Doc. 11298

8 juin 2007

Etat, religion, laïcité et droits de l’homme

Rapport

Commission de la culture, de la science et de l’éducation

Rapporteur : M. Lluis Maria de PUIG, Espagne, Groupe socialiste


Résumé

Tout en notant l’importance du fait religieux dans la société européenne, où il est devenu un sujet central de discussion, l'Assemblée réaffirme le principe de la séparation de l'Eglise et de l'Etat en tant qu'une des valeurs communes en Europe.

Dans ce contexte, l’éducation est l’élément majeur pour combattre l’ignorance, les stéréotypes et l’incompréhension des religions aussi bien que des religieux.

La liberté religieuse est protégée par la Convention européenne des Droits de l'Homme mais elle n'est pas illimitée : des principes religieux qui, mis en pratique, impliqueraient une violation des droits de l’homme sont inacceptables.

Des dizaines d’organisations religieuses et humanistes sont déjà représentées au Conseil de l’Europe par le biais du statut participatif des organisations non gouvernementales. Le rapport se réjouit de la proposition du Comité des Ministres d’organiser, sur une base expérimentale, des « Rencontres annuelles sur la dimension religieuse du dialogue interculturel » avec les représentants des religions traditionnellement présentes en Europe et de la société civile. Il ne soutient pas cependant l'établissement de nouvelles structures.

A.       Projet de recommandation

1. L’Assemblée parlementaire constate l’importance du fait religieux dans la société européenne. Cette importance relève de la présence historique de certaines religions depuis des siècles, et de leur influence dans l’histoire européenne. Dans les temps contemporains on a pu constater encore la multiplication de religions sur notre continent, lequel présente une réalité très plurielle des croyances et des églises.

2. Les religions organisées comme telles font partie intégrante de la société et, à cet égard, il faut les considérer comme des institutions constituées et impliquant des citoyens qui ont le droit à la liberté religieuse mais aussi en tant qu’organisations de la société civile, avec toutes ses potentialités d’orientation éthique et civique, avec un rôle à jouer parmi la communauté nationale, qu’elle soit croyante ou laïque.

3. Le Conseil de l’Europe doit reconnaître cette réalité dans sa pluralité et accueillir et respecter le fait religieux comme l’expression éthique, morale et idéologique d’une partie des citoyens européens, en tenant compte des différences entre les religions elles-mêmes et en fonction des circonstances propres à chaque pays.

4. L’Assemblée réaffirme qu’une des valeurs communes en Europe, qui transcende les différences nationales, est la séparation de l’Eglise et de l’Etat. C’est un principe généralement admis qui domine la vie politique et institutionnelle dans les pays démocratiques. Ainsi, dans sa Recommandation 1720 (2005) sur l’éducation et la religion, l’Assemblée notait que « la religion de chacun, y inclus l’option de ne pas avoir de religion, relève du domaine strictement privé ».

5. Au cours des vingt dernières années la pratique religieuse a sensiblement reculé en Europe. Moins d’un Européen sur cinq fréquente un service religieux au moins une fois par semaine alors qu’il y a 20 ans le chiffre était plus du double. Parallèlement, nous assistons à un développement des communautés musulmanes dans presque tous les Etats membres du Conseil de l’Europe.

6. En raison de la globalisation et de l’essor des nouvelles technologies de la communication et de l’information, certains groupes sont particulièrement visibles. La religion est redevenue ces dernières années un sujet central de discussion dans nos sociétés, cela ne fait aucun doute. Les catholiques, les orthodoxes, les évangélistes et les musulmans semblent être les plus actifs.

7. L’Assemblée reconnaît l’importance du dialogue interculturel et de sa dimension religieuse et est prête à participer à l’élaboration d’une stratégie globale du Conseil de l'Europe en la matière. Dans le respect du principe de séparation de l’Eglise et de l’Etat, elle estime cependant que le dialogue interreligieux ou interconfessionnel n’est pas du ressort des Etats ou du Conseil de l’Europe.

8. Dans sa Recommandation 1396 (1999) sur la religion et la démocratie, l’Assemblée affirmait que « plusieurs problèmes de la société européenne moderne ont une composante religieuse, tels que les mouvements fondamentalistes et les actes terroristes, le racisme et la xénophobie, les conflits ethniques ». Cette affirmation garde toute son actualité.

9. La gouvernance et la religion ne devraient pas se mélanger. Cependant, la religion et la démocratie ne sont pas incompatibles et parfois les religions jouent un rôle social très positif. En s’attaquant aux problèmes de société, les autorités civiles, avec le soutien des religions, peuvent éliminer beaucoup de ce qui cause l’extrémisme religieux, mais pas tout.

10. Les gouvernements devraient bien tenir compte de la capacité particulière des communautés religieuses de jouer en faveur de la paix, de la coopération, de la tolérance, de la solidarité, du dialogue interculturel et de l’expansion des valeurs qui sont propres au Conseil de l’Europe.

11. L’éducation est l’élément majeur pour combattre l’ignorance, les stéréotypes et l’incompréhension des religions aussi bien que des religieux et joue un rôle central dans la construction d’une société démocratique.

12. L'école est un élément essentiel du dialogue interculturel et pose aussi les bases d'un comportement tolérant; elle peut efficacement lutter contre le fanatisme en enseignant aux enfants l'histoire et la philosophie des principales religions avec mesure et objectivité. Les médias et les familles peuvent aussi jouer un rôle important dans ce domaine.

13. La connaissance des religions fait partie intégrante de celle de l’histoire des hommes et des civilisations. Elle se distingue de la croyance en une religion en particulier et de sa pratique. Même les pays où une confession est largement prédominante se doivent d'enseigner les origines de toutes les religions plutôt que de faire du prosélytisme.

14. En Europe, diverses situations co-existent. Dans certains Etats une religion est encore privilégiée par rapport aux autres. Des représentants religieux peuvent jouer des rôles politiques, comme c’est le cas des évêques qui siègent à la chambre des Lords au Royaume-Uni. Certains pays ont interdit le port de symboles religieux dans les établissements scolaires. Dans la législation de plusieurs Etats membres du Conseil de l’Europe subsistent des anachronismes liés à un passé où la religion jouait un rôle plus important dans nos sociétés.

15. La liberté de religion est protégée par l’article 9 de la Convention européenne des Droits de l’Homme et par l’article 18 de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Cependant cette liberté n’est pas illimitée ; une religion dont la doctrine ou la pratique irait à l’encontre des autres droits fondamentaux  serait inacceptable.

16. Les Etats ne peuvent pas non plus accepter la diffusion de principes religieux qui, mis en pratique, impliqueraient une violation des droits de l’homme. Si des doutes existent dans ce domaine, les Etats doivent exiger des responsables religieux une prise de position sans ambiguïté sur la primauté des droits de l’homme, tels que consignés dans la Convention européenne des Droits de l’Homme, sur tout principe religieux.

17. La liberté d’expression est l’un des plus importants droits de l’homme. L’Assemblée l’a réaffirmé à plusieurs reprises. Dans sa Recommandation 1510 (2006) sur liberté d’expression et respect des croyances religieuses, elle déclare que « la liberté d’expression, telle qu’elle est protégée en vertu de l’article 10 de la Convention européenne des Droits de l’homme, ne doit pas être davantage restreinte pour répondre à la sensibilité croissante de certains groupes religieux ».

18. Tout en reconnaissant que nous devons du respect à nos semblables et qu’il faut décourager l’insulte gratuite, il va de soi que  la liberté d’expression ne peut être restreinte par déférence à certains dogmes ou convictions de l’une ou de l’autre communauté religieuse.

19. En ce qui concerne les relations entre le Conseil de l’Europe et les communautés religieuses, certaines initiatives ont vu le jour pour promouvoir une relation plus étroite des religions avec le Conseil de l’Europe.

20. À cet égard, il faut rappeler que dans le passé à plusieurs reprises des responsables religieux se sont adressés à l’Assemblée et l’Assemblée a accepté en contrepartie de participer aux grandes conférences organisées par les communautés religieuses. D’autre part, des dizaines d’organisations religieuses et humanistes sont déjà représentées au Conseil de l’Europe par le biais du statut participatif des organisations non gouvernementales.

21. L’Assemblée se réjouit de la proposition du Comité des Ministres d’organiser, sur une base expérimentale, des « Rencontres annuelles sur la dimension religieuse du dialogue interculturel » avec les représentants des religions traditionnellement présentes en Europe et de la société civile.

22. En conséquence, l’Assemblée recommande au Comité des Ministres :

22.1.        de veiller à ce que les communautés religieuses puissent exercer sans entraves le droit fondamental de la liberté de religion dans tous les Etats membres du Conseil de l’Europe dans le respect des principes de la Convention européenne des Droits de l’Homme ;

22.2.       d’exclure toute ingérence dans les affaires confessionnelles des religions, mais de considérer les Eglises comme acteurs de la société civile et les appeler à jouer un rôle actif en faveur de la paix, de la coopération, de la tolérance, de la solidarité, du dialogue interculturel et de l’expansion des valeurs du Conseil de l’Europe ;

22.3.       de réaffirmer le principe d’indépendance du politique et du droit par rapport aux religions ;

22.4.       de poursuivre la réflexion sur la dimension religieuse du dialogue interculturel, notamment en organisant des rencontres avec des responsables religieux ainsi que des représentants du monde humanistique et philosophique ;

22.5.       d’exclure de la consultation toute formation qui ne serait pas attachée sans équivoque aux valeurs fondamentales du Conseil de l’Europe – les droits de l’homme, la démocratie et l’Etat de droit ;

22.6.       de recenser et de diffuser des exemples de bonnes pratiques en matière de dialogue avec des responsables des communautés religieuses ;

22.7.       d’envisager la création d’un institut ayant pour mission d’élaborer des programmes, méthodes et matériels pédagogiques afin d’étudier l'héritage religieux des Etats membres du Conseil de l'Europe.

23. L’Assemblée recommande encore au Comité des Ministres d’encourager les Etats membres :

23.1.       à promouvoir la formation initiale et continue des enseignants, en vue d’une éducation objective et pondérée sur les religions telles qu’elles sont et sur les religions dans l’histoire et à exiger une formation aux droits de l’homme pour tous les responsables religieux notamment pour ceux qui sont éducateurs en contact avec des jeunes ;2

23.2 A éliminer progressivement, si telle est la volonté des citoyens, des éléments de la législation susceptibles d’être discriminatoires du point de vue d’un pluralisme religieux démocratique.

B.       Exposé des motifs, par M. Lluís Maria de Puig, rapporteur

Introduction

1. Ce rapport s’inscrit dans le prolongement des travaux de l’Assemblée sur la tolérance religieuse dans une société démocratique ; j’ai moi-même déjà présenté, en 1999, un rapport intitulé « religion et démocratie » (Doc.8270 et Recommandation 1396). La commission a organisé un colloque sur des questions ayant trait à l’Etat et à la religion (Strasbourg, 27 février 2007) et j’ai représenté l’Assemblée parlementaire à la Conférence européenne « La dimension religieuse du dialogue interculturel » organisée par le comité des ministres les 23-24 avril 2007 à Saint-Marin. Je tiens à remercier M. Frank Cranmer, de l’University College de Londres et du Centre pour le droit et la religion de Cardiff, pour sa contribution au présent document.

La situation actuelle

2. Au cours des soixante dernières années, la pratique religieuse (du moins s’agissant de la religion chrétienne) a sensiblement reculé en Europe. Le fait est intéressant de noter car, par contre, il parait qu'il y a eu une considérable augmentation en Afrique et en Amérique Latine. L’appartenance à une communauté religieuse étant difficile à définir, les statistiques en ce domaine sont notoirement peu fiables ; mais en Angleterre, par exemple, il est généralement admis qu’au cours des deux décennies qui ont suivi 1980, l’Église d’Angleterre (la plus importante du pays) a vu le nombre de ses fidèles baisser d’environ 25 pour cent, la plupart des autres confessions les plus répandues connaissant la même évolution. Cependant, le nombre de personnes affirmant « croire en Dieu » ou adhérer à une certaine forme de spiritualité semble avoir peu diminué selon les résultats du recensement organisé au Royaume-Uni en 2001, 72% s’identifient comme chrétiens.

3. Pendant les vingt dernières années la pratique religieuse a sensiblement reculé en Europe. Moins d’un européen sur cinq fréquente un service religieux au moins une fois par semaine alors qu’il y a 20 ans le chiffre était plus du double. Seulement dans deux Etats membres du Conseil de l’Europe ce pourcentage est supérieur à 50% alors que dans 12 autres il se situe en dessous de 10%.

4. La sécularisation, à quelques rares exceptions près, est un phénomène commun à la plupart des pays européens depuis 1945. Il est cependant difficile de savoir si cette tendance correspond plus à un déclin de la participation aux rites ou à un déclin de la croyance en elle-même. Beaucoup a été écrit sur ce que l’on peut appeler « la croyance sans l’appartenance » : une propension croissante à rechercher une expérience religieuse plus personnelle, presque exclusivement privée, plutôt qu’à fréquenter les lieux de culte. En dépit du recul de la pratique de la religion, les questions relatives à la foi semblent susciter de plus en plus d’intérêt.

5. L’une des raisons de cet intérêt croissant pour les relations entre communautés religieuses et pouvoir séculier pourrait être, paradoxalement, le phénomène de sécularisation lui-même. À mesure que les pratiques religieuses (de toutes sortes) déclinent, les sociétés tendent de plus en plus à contester le fait que les communautés religieuses bénéficient d’une quelconque reconnaissance de la part des autorités civiles, sans parler de privilèges juridiques ou de financements publics, alors que, dans le même temps, les communautés religieuses peuvent commencer à se sentir assaillies ou marginalisées.

6. Le phénomène de mondialisation et la médiatisation croissante des thèmes religieux peuvent constituer une deuxième explication, puisque qu’ils ont conféré à des groupes auparavant marginaux une visibilité parfois disproportionnée par rapport au nombre de leurs adeptes et à leur importance.

7. Par ailleurs l’exacerbation du problème palestinien, le 11 de Septembre, et d’ autres attentats terroristes (Madrid, Casablanca, Londres), la déstabilisation permanente du Moyen Orient, la guerre d’Irak, du Liban, l’ Afghanistan, les affrontements politiques des américains avec la Syrie, avec l’Iran….. tous ces événements tragiques et bien d’autres vont accompagnés de l’idée de la crise entre le monde musulman et el monde chrétien ce qui a remise la thématique religieuse au premier plan de l’actualité international, avec des épisodes qui nous évoquent les intolérances et sectarismes d’autre temps.

8. Enfin, les changements démographiques ont entraîné, pour la première fois depuis la chute de l’Empire ottoman, la présence en Europe d’une importante population musulmane. Aussi déplorable que soit cette attitude, le renforcement de la communauté musulmane est perçu par certains comme une menace et comme le signe d’une dérive plus générale vers l’extrémisme religieux. Beaucoup soupçonnent aussi l’existence de liens entre certains groupes islamistes en Europe et des organisations extrémistes au Moyen-Orient et ailleurs dans le monde.

Travaux antérieurs de l’Assemblée parlementaire

9. Gérer la diversité culturelle de manière constructive et démocratique, tout en tirant parti de la richesse qu’elle représente, est un excellent moyen de renforcer la sécurité, la stabilité et la cohésion sociale ; en outre, depuis le Troisième Sommet des chefs d’Etat et de gouvernement du Conseil de l'Europe, le dialogue interculturel avec sa dimension religieuse compte parmi les priorités politiques de l’Organisation. L’intérêt de l’Assemblée pour les questions religieuses ne date pas d’hier, comme en témoignent la Résolution 885 (1987) sur la contribution juive à la culture européenne, la Résolution 916 (1989) sur les édifices religieux désaffectés ou la Recommandation 1162 et la Directive 465 (1991) sur la contribution de la civilisation islamique à la culture européenne.

10. La Commission de la culture et de l’éducation a étudié en 1999 la question des liens entre religion et démocratie. Son rapport insistait particulièrement sur la nécessité, pour les Etats membres, d’adopter une position de neutralité en matière de religion. La Recommandation 1396 adoptée par l’Assemblée à la suite de ces travaux souligne le besoin de reconnaissance mutuelle et de respect entre les communautés religieuses et les gouvernements. Elle comporte notamment les dispositions suivantes :

« Il n’appartient pas aux hommes politiques de se prononcer sur des questions d’ordre religieux. Quant aux religions, elles ne doivent pas chercher à se substituer à la démocratie et ne doivent pas viser la prise de pouvoir politique ; elles doivent respecter la définition des droits de l’homme contenue dans la Convention européenne des Droits de l’Homme et la prééminence du droit. (Paragraphe 4)

La démocratie et la religion ne sont pas incompatibles, au contraire. La démocratie fournit le meilleur cadre à la liberté de conscience, à l’exercice de la foi et au pluralisme de religions. De son côté, la religion, de par son engagement moral et éthique, les valeurs qu’elle défend, son sens critique et son expression culturelle, peut être une partenaire valable de la société démocratique. (Paragraphe 5)

L’Etat démocratique, qu’il soit laïc ou lié à une religion, doit offrir à toutes les religions qui respectent les conditions énoncées dans la Convention européenne des Droits de l’Homme des conditions équivalentes pour leur développement, et leur permettre de trouver leur juste place dans la société. » (Paragraphe 6)

11. Au lieu d’adhérer au traditionnel principe de stricte séparation entre Etat et religion, en vigueur aux Etats-Unis, l’Assemblée estime que les relations entre communautés religieuses et gouvernements devraient se caractériser dans l’idéal par le partenariat et le soutien mutuel. La Recommandation 1396 part du principe qu’aucune communauté religieuse ne saurait être entravée dans la pratique de sa foi du moment qu’elle respecte la loi, conformément aux droits individuels énoncés dans l’article 9.2 de la Convention européenne des Droits de l’Homme : « La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

12. En avril 2006, plusieurs membres de l’Assemblée ont déposé une proposition de recommandation intitulée « de nouvelles initiatives en matière de dialogue interculturel et interconfessionnel s'imposent ». Ils y font le constat suivant : « Les flambées d’intolérance interconfessionnelle, (…) devenues plus fréquentes ces derniers temps, non seulement en Europe, mais aussi dans le monde entier, exigent que nous fassions des efforts pour concevoir une politique globale en matière de dialogue interculturel et interreligieux. Ignorer les problèmes qui existent objectivement en la matière risque de conduire à l’émergence de nouveaux « clivages », ce qui saperait gravement les fondements démocratiques de la société moderne ». Les auteurs de la proposition estiment que l’Assemblée devrait soutenir « la recherche de nouvelles solutions décisives visant à corriger les tendances actuelles ». Selon eux, « la création d’un institut ayant pour mission d’élaborer des programmes, méthodes et matériels pédagogiques afin d’étudier l'héritage religieux des Etats membres du Conseil de l'Europe, ainsi que l’établissement de représentations des communautés religieuses auprès du Conseil de l'Europe sont des initiatives qui pourraient présenter un intérêt pratique ».

13. Le Président de l’Assemblée a aussi manifesté son intérêt pour cette question. Pendant sa visite au Saint-Siège, en avril 2007, il s’est exprimé ainsi : « La mondialisation a mis en contact étroit les cultures et les religions. Une telle proximité peut être source d'enrichissement, mais aussi de frictions et d’incompréhensions. Notre conviction est que le dialogue interculturel et interreligieux est la seule manière d'assurer la paix et la stabilité à long terme de l'Europe et du reste du monde. »

14. L’Assemblée a toujours défendu l’idée selon laquelle, au lieu d’élaborer des lois spéciales pour certains groupes, tels que les religions ou les sectes, il vaut généralement mieux veiller à ce que ces groupes respectent les lois générales comme tout autre groupe ou individu.

15. En 2006, l’Assemblée a traité la question de la liberté d’expression et du respect des croyances religieuses à la suite de la controverse sur les caricatures danoises. Dans sa Recommandation 1510, l’Assemblée estime que « la liberté d’expression, telle qu’elle est protégée en vertu de l’article 10 de la Convention européenne des Droits de l’Homme, ne doit pas être davantage restreinte pour répondre à la sensibilité croissante de certains groupes religieux ».

Relations officielles entre Etats et religions

Séparation, déclaration et personnalité juridique

16. Les relations entretenues par les Etats européens avec les religions découlent presque toujours d’évolutions historiques ; très rares sont les Etats qui ont adopté une position philosophique a priori dans ce domaine. Il existe donc différents modèles de relations officielles entre Église et Etat ; chaque Etat membre du Conseil de l’Europe ayant connu une évolution différente, les situations sont souvent d’une grande complexité.

17. En France, depuis la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’Etat (dont l’article 2 déclare : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte »), il existe en principe une stricte séparation entre les deux entités : c’est ce qu’on entend par « laïcité ». En outre, la loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 interdit, dans les établissements d’enseignement publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent « ostensiblement » une appartenance religieuse. Il est également interdit d'apposer des signes religieux sur les monuments publics, et les cimetières ne peuvent pas être confessionnels.

18. En réalité, cependant, la séparation est moins tranchée qu’elle ne peut le paraître à première vue. L’Etat paie les salaires des aumôniers des hôpitaux, des prisons et des institutions militaires (car autrement, dans ces cas particuliers, la pratique d’une religion pourrait s’avérer compliquée) ; et en vertu d’une disposition non abrogée du Concordat de 1801 entre Napoléon et le Vatican, le président de la République est consulté quant à la nomination des évêques catholiques. Depuis la loi de 1908 modifiant la « loi de séparation » de 1905, l’Etat français est propriétaire des lieux de culte catholiques construits avant 1905 et responsable de leur entretien, si bien qu’une part considérable des frais d’entretien des églises catholiques est encore couverte par des fonds publics. Les établissements d’enseignement confessionnels privés sont également reconnus par la loi dite « loi Debré » de 1959, et peuvent fonctionner sous contrat avec l’Etat à condition de n’imposer aucune épreuve religieuse lors de leurs examens d’entrée. De plus, les organisations religieuses bénéficient d’abattements fiscaux et les dons des membres ouvrent droit à une réduction d’impôt.

19. En outre, comme l’Alsace-Lorraine faisait partie de l’Allemagne en 1905, la loi de séparation n’a jamais été appliquée dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle. Quatre cultes y sont officiellement reconnus : luthérien, réformé, catholique et israélite. Les ministres des quatre cultes reconnus par le Concordat sont rémunérés par l’Etat, des représentants autorisés de ces cultes assurent l’instruction religieuse à l’école et les départements sont autorisés à soutenir la construction et l’entretien des lieux de culte. Les fidèles des quatre cultes reconnus peuvent demander au gouvernement central de verser une partie de leur impôt sur le revenu à leur organisation religieuse.

20. De nombreux Etats disposent d’un système de reconnaissance officielle des groupes religieux. En Autriche, par exemple, les organisations déclarées conformément à la loi de 1874 sur la reconnaissance des communautés religieuses ont le statut de personnes morales, ce qui leur permet d’exercer un certain nombre d’activités quasi-publiques (par exemple, assurer un enseignement religieux dans les écoles publiques) qui restent interdites aux communautés confessionnelles non déclarées.

21. Le nombre d’organisations ainsi reconnues est très variable. Certains pays ont fixé des critères très souples. En Hongrie par exemple, pour être déclaré, un groupe religieux doit simplement compter au moins cent adhérents et déposer une brève présentation de son fonctionnement. Les groupes religieux sont libres de pratiquer leur foi qu’ils soient déclarés ou non, mais l’inscription officielle donne accès à plusieurs formes de financements publics. En Moldova, par ailleurs, la Cour européenne des Droits de l’Homme a jugé dans deux affaires récentes (Véritable Église orthodoxe de Moldova et autres c. Moldova [2007], 27 février 2007 (952/03) et Église métropolitaine de Bessarabie et autres c. Moldova [2001] (45701/99)) que le refus de reconnaissance des deux Églises en question par le gouvernement avait constitué une violation de leurs droits au titre de la Convention.

L’impôt cultuel

22. Point le plus important peut-être, dans plusieurs pays (l’Autriche, le Danemark, l’Islande, la Finlande, l’Allemagne, la Norvège et une partie de la Suisse), les gouvernements fédéraux ou régionaux lèvent un impôt cultuel (« impôt d’église » ou Kirchensteuer). Une faible part des impôts sur le revenu est versée à l’ensemble des Églises ou à certaines d’entre elles proportionnellement au nombre de leurs fidèles ; par exemple, dans le canton de Berne, l’Église réformée, l’Église catholique romaine et l’Église catholique chrétienne de l’Union d’Utrecht sont reconnues par l’article 121 de la Constitution du canton comme « Églises nationales » et bénéficient de l’impôt. L’impôt cultuel peut être obligatoire pour tous ou n’être acquitté que par les personnes observant les cultes concernés. En Allemagne, seuls les fidèles paient l’impôt ; cependant, les personnes appartenant à une Église et souhaitant être dispensées de l’impôt doivent déposer une demande officielle de sortie de l’Église, la Kirchenaustritt. En Islande, bien que l’article 64 de la Constitution permette aux contribuables de choisir la communauté religieuse à laquelle ils souhaitent verser l’impôt, ceux qui ne sont membres d’aucune organisation religieuse sont tenus de verser une somme équivalente à l’Université d’Islande.

De la reconnaissance par l’Etat aux Églises « instituées »

23. Le degré de reconnaissance accordé à telle ou telle communauté religieuse varie également selon les pays.

24. En Scandinavie, l’Église évangélique luthérienne bénéficie traditionnellement du soutien et de la protection de l’Etat. Ce statut de religion d’Etat est toujours d’actualité au Danemark, en Norvège et en Islande ; par exemple, la Constitution danoise affirme dans son chapitre premier, article 4 : « L’Église évangélique luthérienne est l’Église nationale danoise et jouit, comme telle, du soutien de l’Etat. » L’Église du Danemark ne possède pas de système de synodes indépendant de l’Etat ; elle relève de l’autorité du ministre des Affaires ecclésiastiques et ses canons et statuts sont promulgués par le Parlement danois et font partie du droit public. En Finlande, la loi accorde un statut spécial à l’Église évangélique luthérienne et à la petite Église orthodoxe autonome, et les citoyens appartenant à l’une de ces Églises paient un impôt cultuel en même temps que leur impôt sur le revenu. Jusqu’au 31 décembre 1999, l’Église évangélique luthérienne était également religion officielle en Suède et le souverain devait y professer la religion évangélique luthérienne (comme c’est toujours le cas en Norvège) ; cependant, plusieurs modifications constitutionnelles sont intervenues et aujourd’hui, l’Église de Suède est une personne morale indépendante de l’Etat, à égalité avec les autres communautés religieuses.

25. Au Royaume-Uni, le souverain est aussi « gouverneur suprême » de l’Église d’Angleterre ; aux termes de l’Act of Settlement (Acte d’établissement) de 1700, il doit se conformer « à la communion de l’Église anglicane, ainsi qu’elle est établie par les lois » et ne peut être de religion catholique romaine. Les évêques et les doyens des cathédrales sont nommés par la Couronne. Enfin, les archevêques d’York et de Canterbury et les évêques des vingt-quatre diocèses sont d’office membres à part entière de la chambre haute du Parlement (la Chambre des Lords). Cependant, la situation varie dans les trois autres juridictions du Royaume-Uni. Bien que l’Église réformée d’Écosse soit l’Église nationale de l’Écosse, la loi de 1921 la concernant lui garantit l’indépendance en matière spirituelle. Les Églises anglicanes d’Irlande et du pays de Galles étaient autrefois des Églises instituées, au statut comparable à celui de l’Église d’Angleterre, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui.

26. La situation constitutionnelle unique de l’Église d’Angleterre soulève aujourd’hui une certaine polémique. Les partisans de la situation actuelle avancent que la loi oblige l’Église à assurer l’administration du culte dans toute l’Angleterre, ce qui signifie que même les personnes n’appartenant à aucune organisation religieuse peuvent se tourner vers elle à tout moment et que la place de la religion dans le pays est officiellement reconnue. Cependant, la démographie religieuse de l’Angleterre a changé : le pays compte maintenant, par exemple, environ 1,5 million de musulmans et (principalement à la suite d’une immigration en provenance des nouveaux Etats membres de l’Union européenne) une communauté catholique de plus en plus importante, alors que, dans le même temps, la société dans son ensemble est de plus en plus sécularisée. Beaucoup considèrent comme discriminatoire le fait que le souverain n’ait pas le droit d’être catholique, et comme « non démocratique » la présence des évêques à la Chambre des Lords. En outre, beaucoup d’ecclésiastiques, au sein de l’Église d’Angleterre elle-même, souhaiteraient ne plus être tenus d’exercer leur ministère auprès de toute personne indépendamment de ses croyances, et beaucoup de citoyens extérieurs à l’Église soutiennent, comme la National Secular Society, le principe selon lequel aucune religion, quelle qu’elle soit, ne devrait bénéficier d’une reconnaissance juridique particulière. Le Royaume-Uni n’ayant pas de constitution écrite, l’évolution du débat sur la place de l’Église est difficile à prévoir ; cependant, si la Chambre des Lords devenait une chambre entièrement élue, et non nommée, les évêques n’y siègeraient plus, ce qui rendrait nettement moins justifiée la pratique actuelle d’intervention de la Couronne (c’est-à-dire du gouvernement) dans la nomination des évêques.

27. La Belgique se caractérise par une forme assez nuancée de reconnaissance de la religion par l’Etat ; celui-ci subventionne pourtant largement les communautés religieuses. La Constitution garantit la liberté des cultes et celle de leur exercice public (article 19) et la non-ingérence de l'Etat dans la nomination des ministres des cultes (article 21). Toutefois, le Gouvernement reconnaît et finance certains groupes religieux et « modes de vie » : anglicans, juifs, orthodoxes, musulmans, protestants et catholiques ; en outre, depuis le 5 mai 1993, les organisations non confessionnelles sont reconnues au même titre que les autres. L’article 181 de la Constitution prévoit que l’Etat prend en charge les traitements et pensions des ministres des cultes, ainsi que des délégués des organisations reconnues par la loi qui offrent une assistance morale selon une conception philosophique non confessionnelle. Cela a pour conséquence, par exemple, que la dizaine de pasteurs anglicans en poste en Belgique reçoivent tous un traitement provenant du budget de l’Etat.

Concordats avec le Saint-Siège

28. « La position de l’Eglise catholique en droit international est particulière, car le Pape est à la fois souverain pontife de l’Eglise et chef de l’Etat du Vatican. Le Saint-Siège est sujet de droit international et considéré par le droit international et la pratique comme étant sur le même plan que celui des Etats, puisqu’il se présente comme se conformant aux principes fondamentaux et aux règles habituelles de l’ordre international et qu’il se manifeste dans les activités qui sont propres à chaque membre de la Communauté internationale : la conclusion de traités bilatéraux et multilatéraux, les relations diplomatiques (actuellement avec 175 États), la présence dans les organisations intergouvernementales (actuellement dans 27 organisations à caractère international, régional ou de groupe), la participation aux conférences internationales, les activités de médiation ou d’arbitrage. Dans le cas de l’ONU, le statut d’observateur permanent reconnu au Saint-Siège depuis 1962 a été formalisé et codifié de manière définitive en 2004 par l’Assemblée générale. Divers États européens, pour des raisons historiques et par la volonté démocratique ont conclu des accords bilatéraux avec le Saint-Siège, appelés normalement concordats, dans le but de réglementer les relations entre l’Eglise catholique et l’Etat. Ces concordats dans le pays concerné confèrent un rôle spécial plus ou moins important à l’Eglise comme le montrent les exemples ci-dessous.

29. L’actuel concordat entre le Saint-Siège et l’Autriche a été conclu en 1934, annulé par l’Anchluss en 1938 et réintroduit par le gouvernement fédéral en 1957. Aux termes de ce concordat, l’Église peut agir conformément à son propre droit (le droit canon) et les institutions reconnues comme des personnes morales par le droit canon jouissent du même statut en droit public. Le concordat porte également sur les limites des provinces ecclésiastiques et des diocèses (dont les modifications doivent se faire en accord avec le gouvernement fédéral), les facultés de théologie, les ordres religieux, les biens de l’Église et les aumôneries au sein des institutions publiques.

30. Avant l’adoption de la Constitution de 1947, les relations entre l’Italie et l’Église catholique étaient régies par le concordat de Latran, conclu en 1929, qui faisait du catholicisme la religion d’Etat. Ce concordat a été modifié en 1984 par l’accord de Villa Madama qui, tout en entérinant le principe de laïcité, a maintenu la pratique du soutien de l’Etat à la religion, l’Etat versant par exemple les salaires des enseignants désignés par l’Église pour assurer l’instruction religieuse dans les écoles publiques. Cependant, l’Etat italien peut également soutenir des religions autres que le catholicisme si elles en font la demande ; et le Gouvernement, sous réserve de l’approbation du Parlement, peut conclure des accords avec certaines confessions, dont les représentants sont alors autorisés à accéder aux hôpitaux publics, aux prisons et aux casernes militaires et à célébrer des mariages religieux.

31. Le Portugal a conclu en mai 2004 un nouveau concordat avec le Vatican, qui abroge l’ancien concordat de 1940 et reconnaît comme une personne morale la Conférence épiscopale portugaise. La loi sur la liberté de religion entrée en vigueur fin 2003 offre un cadre juridique aux autres groupes religieux à condition qu’ils soient établis dans le pays depuis au moins trente ans ou reconnus sur le plan international depuis au moins soixante ans. La loi accorde aussi à d’autres confessions de nombreux droits autrefois réservés à l’Église catholique ; en outre, chaque communauté religieuse peut conclure son propre « concordat » avec le Gouvernement. En février 2007, malgré l’opposition ouverte de l’église catholique, les portugais se sont prononcés par référendum favorablement à une loi qui permet l’avortement.

32. En Espagne, la position de l’Église catholique est également réglementée par un concordat avec le Saint-Siège. Par ailleurs, la loi de 1980 sur la liberté de religion réaffirme le caractère laïc de l’Etat et met en œuvre la liberté de religion prévue par la Constitution en créant un régime juridique et certains privilèges à l’attention des organisations religieuses. Pour acquérir le statut de personne morale, une communauté religieuse doit s’inscrire auprès du ministère de la Justice en présentant des preuves de sa fondation ou de son existence en Espagne, une déclaration affirmant son caractère religieux ainsi que son règlement.

33. Bien qu’ils aient conclu des concordats avec le Saint-Siège, l’Autriche, l’Italie, le Portugal et l’Espagne observent tous une politique essentiellement neutre à l’égard de la pratique religieuse et ne font pas de différence entre les groupes confessionnels. À l’inverse, un Etat peut élaborer tout ou partie de ses lois en fonction de la théologie morale catholique sans avoir signé de traité officiel avec le Vatican.

34. À Malte, par exemple, bien qu’il n’existe par de concordat avec le Vatican, la situation juridique de la religion reflète l’appartenance de la grande majorité des habitants au catholicisme. L’article 2 de la Constitution (un amendement de 1974 à la Constitution d’indépendance de 1964, issu d’un compromis entre le gouvernement travailliste et l’opposition nationaliste) fait du catholicisme la religion d’Etat :

  «  1)       La religion de Malte est la religion catholique apostolique romaine.

      2)       Les autorités de l’Église catholique apostolique romaine ont le devoir et le droit d’enseigner quels principes sont bons et lesquels sont condamnables.

      3)       L’enseignement religieux de la foi catholique apostolique romaine est assuré en tant que matière obligatoire dans toutes les écoles publiques.  »

35. Actuellement, Malte n’autorise pas le divorce civil ; en outre, la compétence exclusive autrefois reconnue aux tribunaux ecclésiastiques en matière de mariages catholiques, qui avait été abrogée par la loi sur le mariage de 1975, a été rétablie par une modification apportée à la loi sur le mariage en 1995.

36. De même, en Irlande (pays qui adopte par ailleurs une attitude résolument séparatiste à l’égard des relations entre Église et Etat), l’article 40-3, paragraphe 3 de la Constitution dispose que l’Etat « reconnaît le droit à la vie du fœtus et, en respectant pleinement le droit égal de la mère à la vie, garantit dans ses lois le respect et, dans toute la mesure du possible, par ses lois la défense et l’exercice de ce droit. » (traduction non officielle) À la suite d’une controverse sur la publicité faite dans la presse irlandaise par des cliniques britanniques pratiquant des avortements, l’article 40-3, paragraphe 3 a été complété en 1992 par de nouvelles dispositions (dont la légalité a été confirmée par la Cour suprême en 1995) ; celles-ci précisent que l’alinéa précédent ne limite pas la liberté de voyager à l’étranger et n’interdit pas de se procurer ou de diffuser, en Irlande, sous réserve des conditions pouvant être fixées par la loi, des informations sur les services légalement disponibles à l’étranger.

L’orthodoxie

37. Aux termes de l’article 3-1 de la Constitution grecque, « la religion dominante en Grèce est celle de l’Église orthodoxe orientale du Christ ». L’orthodoxie est donc religion officielle et même s’il n’existe pas d’impôt cultuel, le gouvernement paie les salaires, les retraites et la formation religieuse du clergé, finance l’entretien des églises et accorde une reconnaissance particulière au droit canon orthodoxe. La liberté de religion est affirmée par l’article 13-2 qui, cependant, précise que l’exercice du culte ne doit pas porter atteinte à l’ordre public et aux bonnes mœurs et interdit le prosélytisme – interdiction qui a fait l’objet d’un arrêt défavorable de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Kokkinakis c. Grèce ([1994] 17 CEDH 397). Les confessions juive et musulmane sont les seules, outre l’Église orthodoxe, auxquelles le droit public grec accorde une personnalité juridique : les autres religions n’en sont dotées qu’en droit privé et doivent créer des entités publiques spécifiques pour pouvoir détenir des biens en leur nom. Cependant, les exonérations de taxe foncière dont bénéficient les organisations religieuses s’appliquent aussi bien aux orthodoxes qu’aux non orthodoxes.

38. Le traité de Lausanne de 1923 a octroyé un régime particulier à la minorité musulmane de Thrace occidentale. Le territoire est divisé en trois districts, chacun dirigé par un mufti nommé par le Ministre de l’Éducation nationale et des Cultes ; ces muftis ont juridiction sur leur communauté en matière de droit familial et d’héritage ainsi que sur les questions religieuses.

39. La Russie, pays où la population orthodoxe est la plus importante, est beaucoup plus diverse que la Grèce sur le plan religieux. Bien qu’environ 70 pour cent des Russes soient orthodoxes, le pays englobe de nombreuses minorités religieuses différentes : fin 2005, le nombre des organisations religieuses déclarées auprès du ministère de la Justice s’élevait à plus de 22 000. La minorité religieuse la plus importante est de loin la communauté musulmane, qui représente environ 14 pour cent de la population. Moscou, Saint-Pétersbourg et certaines parties de la Sibérie comprennent d’importantes communautés musulmanes, mais la majorité des musulmans vivent dans la région Volga-Oural et dans le Nord Caucase. On compte aussi, probablement, pas moins de deux millions de protestants et d’un million de juifs.

40. L’article 28 de la Constitution russe garantit « la liberté de conscience, la liberté de croyance, y compris le droit de professer et pratiquer individuellement ou avec d’autres toute religion ou de n’en professer et pratiquer aucune, de choisir, d’avoir et de diffuser librement des convictions religieuses et autres ou d’agir conformément à celles-ci ». La loi de 1997 sur la liberté de conscience et les associations religieuses n’établit aucune « religion d’Etat » et affirme en préambule que le christianisme, l’islam, le bouddhisme, le judaïsme et les autres religions font partie du patrimoine russe – mais elle fait Etat de « la contribution particulière de l’orthodoxie à l’histoire de la Russie et à l’établissement et au développement de la spiritualité et de la culture russes ».

L’islam

41. Plusieurs Etats membres du Conseil de l’Europe sont à majorité musulmane : l’Albanie, l’Azerbaïdjan, la Bosnie-Herzégovine et la Turquie.

42. Après la mort d’Enver Hoxha en 1985, l’Albanie a commencé à sortir de plusieurs décennies d’un régime de laïcité poussée à l’extrême. Les citoyens de culture musulmane constituent la plus grande communauté religieuse, représentant environ 65 à 70 pour cent de la population. On estime que quelque 20 pour cent des habitants sont de tradition albanaise orthodoxe, et 10 pour cent catholiques. La Constitution de 1998 affirme la liberté religieuse et l’égalité entre les religions ; ainsi, par exemple, le calendrier officiel des jours fériés englobe les fêtes religieuses de toutes les confessions prédominantes et plusieurs établissements d’enseignement sont gérés, sous contrat avec l’Etat, par des communautés catholiques et musulmanes. Les mouvements religieux peuvent acquérir le statut de personne morale en se déclarant, conformément à la loi sur les organisations sans but lucratif. Cette déclaration n’est cependant pas obligatoire.

43. La situation de la province serbe du Kosovo (majoritairement peuplée de musulmans albanais) reste un motif de préoccupation : les tensions interethniques entre la majorité et la petite population serbe n’ont pas disparu. Bien qu’aux termes de la Résolution 1244 du Conseil de sécurité de l’Onu, la province fasse toujours techniquement partie de la Serbie, elle est gouvernée depuis 1999 par la Mission d’administration intérimaire des Nations Unies au Kosovo (Minuk).

44. L’immense majorité de la population de l’Azerbaïdjan est musulmane, avec environ deux tiers de chiites et un tiers de sunnites. Les autres formations religieuses d’une certaine importance sont les petites communautés israélite et russe orthodoxe. Les congrégations suivantes sont également présentes depuis longtemps dans le pays : luthériens, catholiques, baptistes, vieux-croyants, adventistes du septième jour et bahaïs. Plus récemment sont arrivés de nouveaux groupes religieux comme les musulmans wahhabites, les chrétiens évangéliques et pentecôtistes, les témoins de Jéhovah et les adeptes du mouvement Hare Krishna. La Constitution est d’esprit laïc : l’article 18 déclare en substance que la religion est séparée de l’Etat et que toutes les religions sont égales devant la loi. Le même article interdit la propagande et la diffusion de religions qui portent atteinte à la dignité humaine et aux principes d’humanité et affirme la laïcité du système d’enseignement public.

45. Le chapitre II (tel qu’amendé) de la loi de 1992 sur la liberté de croyance religieuse impose aux associations religieuses d’adopter et de déposer des chartes présentant leur structure, leurs biens et leurs ressources. En vertu de l’article 5, il est interdit aux partis politiques de se livrer à des activités religieuses et aux dirigeants religieux d’occuper un poste public. Le chapitre II, article 8 subordonne toutes les communautés musulmanes à la Direction des musulmans du Caucase pour tout ce qui concerne les questions d’organisation. En 2004, la mosquée Djouma s’est rendue célèbre en refusant de s’inscrire auprès de la Direction, arguant que les lois azéries sur la liberté de religion ne l’obligeaient pas à accomplir cette démarche ; son imam, accusé de prêcher le radicalisme, a été condamné à cinq ans de prison avec sursis. L’enregistrement des organisations religieuses est assuré par un Comité d’Etat aux Affaires religieuses. Selon le « Rapport 2006 sur la liberté religieuse dans le monde » publié par le Bureau de la démocratie, des droits de l’homme et du travail du Département d’Etat américain, en 2005-2006, 27 formations religieuses ont été enregistrées en Azerbaïdjan et 6 ont été refusées, dont 5 non musulmanes ; d’autre part, une Église baptiste dont la demande avait été auparavant rejetée a été enregistrée.

46. Bien que sa population soit très majoritairement musulmane, depuis la fondation de l’Etat turc moderne par Kemal Atatürk et İsmet İnönü et la ratification de la Constitution de 1921, la Turquie est un pays résolument laïc. Les droits des minorités non musulmanes ont été garantis par le traité de Lausanne, en 1923 ; et en 1926, l’ancien ordre juridique (la charia) a été remplacé par un Code civil modelé sur celui de la Suisse. Le traité de Lausanne accorde aux juifs et aux chrétiens orthodoxes grecs et arméniens un statut juridique spécial de communauté minoritaire. Les autres religions minoritaires n’ont pas ce statut ; cependant, l’article 39 du traité garantit dans tous les cas l’égalité entre les citoyens turcs quelles que soient leurs convictions religieuses : « Les ressortissants turcs appartenant aux minorités non musulmanes jouissent des mêmes droits civils et politiques que les musulmans. Tous les habitants de la Turquie, sans distinction de religion, sont égaux devant la loi ».

47. L’article 2 de l’actuelle Constitution définit la République de Turquie comme « un Etat de droit démocratique, laïc et social » ; comme l’avance le professeur Talip Kucukcan, « la Turquie moderne continue à lutter pour trouver un équilibre approprié entre religion et laïcité dans une nation presque entièrement musulmane ». M. Kucukcan considère les élections législatives de décembre 1995 comme un tournant dans l’histoire politique moderne du pays : la victoire du Parti de la prospérité (Refah Partisi) a donné la majorité à un parti islamiste pour la première fois depuis la fondation de la République turque. Cependant, en janvier 1998, la Cour constitutionnelle a ordonné la dissolution du Parti de la prospérité au motif qu’il était « un centre d’activités contraires au principe de laïcité », dissolution dont la Grande chambre de la Cour européenne des droits de l’homme a reconnu le bien-fondé (Refah Partisi (Parti de la prospérité) et autres c. Turquie [2003] (Requêtes n° 41340/98, 41342/98, 41343/98 et 41344/98)). De même, dans l’affaire Fazilet Partisi et Kutan c. Turquie [2006] (Requête no 1444/02), la troisième section de la CEDH a rayé du rôle une requête contre la dissolution du Parti de la vertu [Fazilet Partisi], le successeur du Parti de la prospérité. La politique de laïcité a également justifié l’interdiction du port de vêtements religieux dans les institutions publiques. Dans l’affaire Leyla Şahin c. Turquie [2005] (Requête n° 44774/98), la Grande chambre a jugé que le refus de l’Université d’Istanbul de laisser la requérante porter le foulard islamique en cours n’avait pas constitué une violation de ses droits aux termes de la Convention.

48. L’attachement du peuple turc à la laïcité a été démontré récemment par les manifestations apparemment spontanées qui ont eu lieu à Ankara, Istanbul et Izmir, où des millions de personnes ont manifesté leur inquiétude face à la proposition du gouvernement d’un président de la république issu du parti islamique. Cependant, même si la laïcité est souhaitable, elle ne devrait pas être obtenue aux dépends de la démocratie.

49. A cet égard il faut signaler que certaines discriminations contre des minorités religieuses en Turquie, ont fait l’objet d’interventions répétées de la Commission européenne qui insiste sur le fait qu’il ne suffit pas d’avoir une législation plus ou moins correcte en la matière mais que l’on doit la mettre en pratique. Le Parlement européen a demandé également, par une résolution sur le processus d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne (27 septembre 2006), entre autres, que l’on élimine toutes les restrictions appliquées aux minorités religieuses concernant la personnalité juridique, la formation du clergé, les permis de travail, les écoles et de même que l’on puisse aborder de manière correcte la question des propriétés confisquées et la possibilité de citer l’Etat en justice pour préjudice en cas de négligence en matière judiciaire. Il invite enfin les Autorités turques à accorder une totale liberté de culte à toutes les minorités et communautés.

50. Contrairement à l’Albanie, à l’Azerbaïdjan et à la Turquie, la Bosnie-Herzégovine est une société profondément divisée, à la fois sur le plan ethnique et religieux. L’Etat se compose de deux entités : la Fédération de Bosnie-Herzégovine et la République serbe (Republika Srpska). Selon le World Factbook de la CIA pour 2006, 50 pour cent de la population est musulmane, 27 pour cent orthodoxe et 15 pour cent catholique (répartition qui correspond largement aux divisions ethniques entre bosniaques, serbes et croates) ; et depuis l’épuration ethnique et les migrations internes qu’elle a entraînées pendant la guerre de 1992–1995, la majorité des serbes orthodoxes vivent en République serbe et la majorité des musulmans et des catholiques dans la Fédération. La structure constitutionnelle créée par les accords de Dayton, qui ont mis fin au conflit bosniaque en 1995, répartit expressément les sièges parlementaires et la plupart des fonctions gouvernementales entre les membres des trois « peuples constitutifs ». Cela peut entraîner une discrimination constitutionnelle envers « les autres » (la petite communauté juive, par exemple) et les sympathisants des confessions qui ne correspondent pas aux trois grands groupes.

51. La Constitution de l’Etat de Bosnie-Herzégovine et les constitutions des deux entités garantissent la liberté de religion, et la loi de 2004 sur la liberté religieuse accorde de nombreux droits aux différentes confessions. Néanmoins, les adeptes de religions minoritaires vivant dans des zones largement homogènes sur le plan ethnique ont pu voir le droit de pratiquer leur culte restreint par la majorité, parfois par la violence. Dans son « Rapport 2006 sur la liberté religieuse dans le monde », le Bureau de la démocratie, des droits de l’homme et du travail du Département d’Etat américain affirme que les trois communautés religieuses ont signalé « un nombre significatif d’attaques contre des biens religieux ». Appartenance ethnique et orientation religieuse coïncident tant qu’il est pratiquement impossible de distinguer l’intolérance religieuse de l’intolérance ethnique. En outre, malgré les dispositions constitutionnelles et juridiques protégeant la liberté religieuse,

« … presque toutes les régions du pays ont été le théâtre de discriminations à l’encontre des minorités religieuses. En certains lieux, les responsables politiques et religieux locaux ont alimenté l’intolérance et la montée du sentiment nationaliste à travers des déclarations publiques, parfois même dans leurs sermons. Les symboles religieux ont souvent été détournés à des fins politiques ».

52. Enfin, la restitution des biens religieux continue également à poser problème.

53. En plus des préoccupations indiquées pour la Bosnie-Herzégovine nous devons inclure aussi la préoccupation pour les discriminations subies par les croyants dans certains pays, où se fait jour l’intolérance religieuse vis-à-vis des chrétiens ainsi que l’islamophobie et l’antisémitisme, attitudes qui contiennent des éléments politiques, ethniques mais aussi religieux.

54. Aux côtés des pays à majorité musulmane, de plus en plus d’Etats membres du Conseil de l’Europe abritent une population musulmane significative. En France et au Royaume-Uni, les musulmans sont tout d’abord arrivés comme immigrants, mais ces deux pays comptent maintenant de plus en plus de musulmans nés sur leur territoire. Il est impossible d’obtenir des chiffres fiables concernant le nombre d’adeptes de l’islam dans l’un ou l’autre pays. Les résultats du recensement de 2001 semblent indiquer que le Royaume-Uni compte environ 1,6 million de musulmans, soit 2,7 pour cent de la population totale. En France, la mention de l’appartenance religieuse dans le recensement étant interdite, les chiffres sont encore plus impressionnants qu’au Royaume-Uni : le ministère des Affaires étrangères estime entre 3,7 et 5,5 millions le nombre des musulmans dans le pays, soit 5 à 9 pour cent de la population totale. Les musulmans sont également très présents en Allemagne. Le ministère des Affaires étrangères estime à environ trois millions le nombre de musulmans en Allemagne ; beaucoup d’entre eux sont des Turcs travailleurs migrants (Gastarbeiter), mais on compte de plus en plus d’enfants d’immigrants nés en Allemagne.

55. L’augmentation du nombre de citoyens musulmans en France et au Royaume-Uni a été marquée par des tensions sociales, et certains ont voulu voir une dimension religieuse dans les troubles récemment survenus dans les deux pays, au printemps et au début de l’été 2001 (en particulier) en Angleterre et à l’automne 2005 en France. Cependant, les chercheurs et les acteurs de la scène sociale ont été plus enclins à les expliquer par d’autres facteurs, soulignant que la toute première cause des troubles était la pauvreté, associée à des perspectives d’emploi faibles ou inexistantes pour les jeunes, et que beaucoup de jeunes musulmans avaient simplement l’impression de ne pas avoir de vraie place dans la société.

56. Dans un discours prononcé le 5 avril 2007 au Centre du patrimoine culturel musulman, à Londres, Ruth Kelly, ministre des Communautés et du Gouvernement local, a affirmé la volonté du gouvernement du Royaume-Uni d’accentuer sa lutte contre l’islamophobie et l’antisémitisme et a dénoncé l’extrémisme violent prêché par une infime minorité au nom de l’islam. Elle a affirmé que l’extrémisme religieux ne pouvait être vaincu qu’à travers une approche multiple : veiller à ce qu’une législation adéquate permette de traduire les terroristes en justice, promouvoir des valeurs communes de justice, de paix et de respect entre citoyens de toutes appartenances religieuses et soutenir le rôle des institutions religieuses et de leurs responsables.

57. Il n’existe pas d’estimation entièrement fiable de la population islamique en Russie. Selon différentes sources, entre 14 et 23 millions de Russes sont musulmans ; même selon l’estimation la plus basse, ils représentent au moins dix pour cent de la population. Contrairement aux minorités musulmanes d’Europe occidentale, beaucoup de musulmans russes descendent des populations natives de territoires qui ont été progressivement intégrées à ce qui est aujourd’hui la Russie, bien que leur nombre ait été accru par l’arrivée de nouveaux migrants des anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale. Les relations entre la population majoritaire et la minorité musulmane ont été ternies par le séparatisme en Tchétchénie, partie du pays qui est majoritairement musulmane et que beaucoup de Russes non musulmans considèrent comme influencée par les idées d’organisations islamistes radicales, comme Al Qaïda.

58. Les autres religions et communautés religieuses présentes en Europe, telles que le judaïsme, le bouddhisme, le sikhisme et beaucoup d’autres ne font pas l’objet d’une référence spéciale dans ce chapitre car elles ne posent pas de problèmes particuliers (il serait intéressant de se poser la question pourquoi ?).

Diversité religieuse, limites de l’intervention de l’Etat et limites de la liberté de religion

59. La pluralité de religions que nous connaissons aujourd’hui (qui résulte en partie, mais en partie seulement, des mouvements de migration vers l’Europe qui ont suivi la décolonisation) pose des problèmes aux gouvernements aussi bien qu’aux communautés religieuses. Pour quelques gouvernements, dans des pays ayant une longue tradition de laïcité, le problème majeur a été d’accepter la montée de la pratique religieuse en tant que telle. Pour beaucoup d’autres, la difficulté a consisté à s’adapter à une situation de diversité religieuse là où auparavant, l’Etat était ouvertement confessionnel ou la vaste majorité des citoyens avaient la même religion. Enfin, certains aspects des formes les plus strictes de l’islam (comme le port du niqab, un voile qui couvre le visage) semblent poser des problèmes particuliers à certains gouvernements. Pour les communautés religieuses, il peut être délicat de concilier le fait de vivre et de travailler dans une société laïque avec les règles de leur religion (par exemple, les préceptes alimentaires et les moments de prière), ce qui peut parfois engendrer des conflits.

60. Plusieurs cas spécifiques seront traités dans des rapports séparés :

• Blasphème, insultes à caractère religieux et incitation à la haine à l’encontre de personnes au motif de leur religion (rapporteur : Mme Hurskainen) ;

• Les communautés musulmanes européennes confrontées à l’extrémisme (rapport de la commission des affaires politiques, rapporteur pour avis : Mme Damanaki) ;

• Dangers du créationnisme dans l’éducation (rapporteur : M. Lengagne).

61. L’égalité des sexes et les droits des homosexuels figurent parmi les autres sujets actuels de préoccupation.

62. Là où la pratique religieuse semble entrer en conflit avec les droits de l’homme ou l’intérêt public, le premier devoir des gouvernements est de respecter la volonté démocratiquement exprimée par les citoyens. Le précédent rapport de la Commission de la culture et de l’éducation sur la religion et la démocratie, mentionné plus haut, a énoncé une série de principes qui devraient orienter les actions futures concernant les relations entre Etat et religion :

• Religion et Etat ne sont pas incompatibles au sein d’un système démocratique.

• La liberté de religion n’est pas une liberté sans bornes, permettant de justifier n’importe quel acte au nom de la religion ; le libre exercice de la religion doit reposer sur la proportionnalité.

• La liberté religieuse implique que les communautés religieuses doivent, à travers leurs propres actions, déterminer leur position au sein de la société dont elles font partie.

• Les gouvernements doivent respecter les droits fondamentaux s’agissant des pratiques et des idées religieuses.

• Les membres de communautés religieuses doivent respecter la démocratie et les lois des pays dont ils sont ressortissants.

• Les gouvernements doivent tenir compte de la position des communautés religieuses et leur accorder un soutien proportionnellement à leur importance.

• Étant donné que la religion et les communautés religieuses font partie de la société au sens large, il est de l’intérêt public de garantir le bien-être culturel et intellectuel de leurs adeptes en tant que citoyens.

• Les gouvernements ne devraient pas intervenir dans les activités quotidiennes des formations religieuses et devraient faire preuve de neutralité et de non-discrimination dans leurs relations avec elles.

63. Ce même rapport conclut que ces principes impliquent pour l’Etat un double rôle à l’égard de la religion : d’une part promouvoir et protéger les activités qui contribuent à renforcer la cohésion et la stabilité de la société, d’autre part interdire tout ce qui contrevient aux valeurs d’humanisme qui sont la base de la structure juridique et sociale d’une démocratie. L’Etat ne peut donc tolérer aucune violation de la dignité humaine et des droits de l’homme au nom de la foi ; les communautés religieuses sont tenues de respecter les principes de démocratie et de prééminence du droit, et il ne saurait être laissé libre cours à des atteintes à l’ordre public ou aux droits démocratiques des citoyens. Parallèlement, la religion étant un élément important de la culture et des traditions humaines, la société devrait faire en sorte que les citoyens puissent pratiquer leur religion le plus facilement possible, et promouvoir l’expression culturelle de la religion.

Contribution des religions à la gouvernance

64. Les représentants religieux présents au Colloque sur des questions ayant trait à l’Etat et à la religion organisé à Strasbourg le 27 février 2007 ont été unanimes : un dialogue est nécessaire entre les formations religieuses qui ont contribué aux valeurs, aux idéaux et aux principes qui forment notre patrimoine européen commun. Cependant, les représentants des confessions catholique, orthodoxe et israélite, tout en voyant dans la séparation des Églises et de l’Etat une reconnaissance réciproque de l’autonomie des différentes formes d’activité humaine, ont aussi affirmé que la religion ne pouvait être séparée de la société dans laquelle elle s’inscrit. Le représentant musulman est allé plus loin : bien qu’il n’existe pas de modèle unique de l’islam, a-t-il déclaré, sa pratique englobe tous les aspects de la vie – si bien que la laïcité est une notion qui n’a pas de sens pour un musulman.

65. Les tenants d’une position humaniste et laïque ont souligné que la « liberté de religion » risquait facilement, au lieu d’être comprise comme la liberté qu’a chacun d’adhérer à la religion ou à la croyance de son choix, de basculer vers la liberté, pour des hiérarchies religieuses non élues, d’exercer une influence sur la sphère publique. Sur ce point, M. Wood, de la National Secular Society (Royaume-Uni), a attiré l’attention sur le fait que les évêques anglicans continuaient à siéger d’office à la chambre haute du Parlement du Royaume-Uni. Mme Pegna, vice-présidente de la Fédération humaniste européenne, a soutenu que la représentation formelle de la religion dans la sphère publique risquait toujours de devenir une menace pour la laïcité. Elle a salué la Résolution de l’OSCE invitant les Etats membres, entre autres, à « assurer l’égalité effective entre croyants et non-croyants » et à « favoriser l’établissement d’un climat de tolérance réciproque et de respect entre croyants appartenant à différentes communautés ainsi qu’entre croyants et non-croyants ».

66. Il convient en effet de contrer le risque que les communautés religieuses ne dérivent, de la défense parfaitement légitime de leurs intérêts citoyens auprès de leurs gouvernements en accord avec les principes démocratiques, vers une ingérence dans des questions qui devraient rester purement laïcs. Nous ne devrions pas pour autant ignorer l’apport historique des religions au progrès et à l’évolution de la pensée humaine. Les religions ont contribué à la naissance d’une morale humaniste autant qu’à celle d’une morale religieuse ; et en Europe, les codes laïques de comportement social et la morale laïque doivent beaucoup à la tradition judéo-chrétienne et même à l’influence de l’islam très présent au Moyen Age.

67. Les gouvernements devraient donc reconnaître que les communautés religieuses peuvent jouer un rôle important en faveur de la paix, de la tolérance, de la compréhension, de la fraternité, de la solidarité, du dialogue interculturel et de toutes les vertus présentées comme des impératifs de la foi qui sous-tend tout discours religieux – même si certains des actes commis au cours de l’histoire au nom de la religion étaient loin de respecter ces valeurs.

68. L’Etat n’a pas à s’occuper des questions de foi ou de croyance, sauf pour veiller à ce que les manifestations de la religion soient en accord avec la loi ; d’autre part, il doit protéger les droits des croyants en tant que citoyens et ceux des organisations religieuses en tant qu’éléments importants de la société civile. En outre, les droits d’autrui et ceux dont jouit une collectivité ne peuvent en aucun cas être limités au non de tel ou tel système de croyance ; et si un conflit survient entre droits fondamentaux et préceptes religieux, l’Etat doit toujours prendre la défense des droits fondamentaux.

69. Cette position n’est pas toujours la plus facile à tenir, comme le gouvernement du Royaume-Uni en a récemment fait l’expérience : il lui a fallu choisir entre affirmer le droit des couples homosexuels à l’égalité de traitement en matière d’adoption ou se plier aux objections morales des autorités catholiques, opposées à ce que des enfants soient adoptés par ces couples. Il a décidé, sur ce point, que la demande d’égalité de traitement devait passer avant les objections fondées sur une morale théologique. Un autre exemple est celui de l’attitude homophobe du présent gouvernement polonais.

70. Cependant, même s’il devait y avoir toujours des cas difficiles, la « foi » et les « droits de l’homme » ne devraient pas être considérés comme s’excluant mutuellement par principe, pas plus qu’ils ne doivent fatalement s’opposer dans la pratique. La clé réside dans la promotion des valeurs communes aux formations religieuses et à la société où elles se trouvent.

Relations entre les religions et le Conseil de l’Europe

71. Par le biais du Saint Siège, qui a le statut d’observateur auprès du Comité des ministres, l’Eglise Catholique est représentée au Conseil de l’Europe depuis le 10 novembre 1970. Cette représentation découle du fait que le Vatican est un état. Il occupe aujourd’hui la même position que le Canada, le Japon, le Mexique et les États-Unis et il peut participer, comme tous les États observateurs, aux réunions du Comité des Délégués des Ministres

72. Le Saint-Siège est aussi signataire de la Convention culturelle européenne, de la Convention européenne modifiée pour la Protection du patrimoine archéologique, de la Convention européenne sur la reconnaissance académique des titres universitaires, de la Convention européenne sur la Télévision transfrontalière, de la Convention sur la reconnaissance des titres relatifs à l’enseignement supérieur dans les régions européennes (Conseil de l'Europe - Unesco), du protocole de modification de la Convention européenne sur la Télévision transfrontalière. Il est membre, en outre, de la Banque pour le Développement du Conseil de l’Europe et de différents Accords partiels adoptés dans le cadre du Conseil de l’Europe.

73. La Convention Européenne a résisté aux nombreuses pressions pour inclure une référence à la religion dans le préambule du projet de constitution européenne en 2005 et la Commission a fait de même en 2007 pour la déclaration de Berlin marquant le cinquantième anniversaire de l’Union européenne. Même si l’histoire montre indéniablement que dans les racines intellectuelles et civilisatrices de l’Europe il y a sans aucun doute l’empreinte de la chrétienté; comme d’ailleurs on ne peut pas nier une trace du monothéisme juif et aussi une influence musulmane pas négligeable qui vient du moyen age, comme l’Assemblée a souligné dans ses rapports sur la contribution juive à la culture européenne (Doc. 5778) et sur la contribution de la civilisation islamique à la culture européenne (Doc. 6497). C’est peut être pourquoi on n’a pas voulu faire une mention à une seule religion. La raison de ne pas mentionner de religion du tout est le principe de séparation.

74. Les religions en tant que telles ne sont représentées dans aucune organisation internationale intergouvernementale et il ne semble pas souhaitable de changer cette situation. Le statut d’observateur du Saint Siège auprès du Comité des ministres ne devrait pas être considéré comme discriminatoire envers les autres religions car ce n’est pas la religion catholique mais l’Etat du Vatican qui jouit de ce statut.

75. Tout cela n’empêche pas le Conseil de l’Europe et l’Assemblée d’avoir des échanges de vues avec des responsables religieux, comme certaines de ses commissions l’ont souvent fait. Le comité des ministres se propose d’organiser, sur une base expérimentale, des « Rencontres annuelles sur la dimension religieuse du dialogue interculturel » avec les représentants des religions traditionnellement présentes en Europe et de la société civile. L’Assemblée doit s’en féliciter sous réserve que les participants acceptent les valeurs du Conseil de l’Europe.

76. Des membres de l’Assemblée, et notamment son Président, sont invités et participent régulièrement à des réunions organisées par les différentes religions. C’est encore un canal de communication entre les religions et le Conseil de l’Europe.

77. À plusieurs reprises des responsables religieux se sont adressés à l’Assemblée. Il est paradoxal que, malgré importance accordée au dialogue, aucune de ces personnalités n’a accepté de répondre aux questions des parlementaires. A l’avenir il serait souhaitable que toute personnalité invitée à s’adresser à l’Assemblée donne son accord pour répondre aux questions des membres.

Conclusions

• L’Assemblée doit saisir cette occasion pour réaffirmer les principes de séparation entre Etat et église et de prééminence des droits de l’homme, de la démocratie et de l’Etat de droit sur tout principe religieux.

• L’Assemblée doit aussi encourager l’évolution dans nos Etats et la modification des législations dépassées sur les religions.

• Les religions devraient aussi évoluer à la lumière du changement scientifique et social, tenant compte des nouveaux droits et de nouvelles valeurs civiques.

• Il doit y avoir une parfaite compatibilité entre le libre exercice de toutes les religions d’une part, la démocratie et les droits de l’homme d’autre part.

• Il ne peut y avoir d’opposition ou d’incompatibilité entre religion, démocratie et droits de l’homme.

• Le Conseil de l’Europe doit encourager et faciliter le dialogue interculturel et tenir compte de la dimension religieuse en tant que réalité culturelle et sociale en Europe. Il ne lui appartient pas de se prononcer en matière de dialogue interreligieux.

Annexe

Liste des OING ayant un intérêt pour la dimension religieuse du dialogue interculturel

et dotées du statut participatif auprès du Conseil de l’Europe (mai 2007)

Alliance européenne des Unions chrétiennes féminines (Européen YWCA)
Alliance universelle des UCJG (Unions chrétiennes de jeunes Gens)
Association catholique internationale des Services de la Jeunesse féminine (ACISJF)
Association catholique mondiale pour la Communication (SIGNIS)
Association internationale des Charités (AIC)
Association internationale des Juristes Juifs (AIJJ)
Association internationale Initiatives et Changement

B'Nai B'Rith «Conseil international» (ICBB)
Bureau international catholique de l'Enfance (BICE)
Caritas Internationalis (Confédération internationale des Charités catholiques)
Colloque européen des Paroisses (CEP)
Commission des Eglises auprès des Migrants en Europe (CEME)
Commission intereuropéenne Eglise et Ecole (ICCS)
Commission internationale catholique pour les Migrations (CICM)
Conférence des Eglises européennes (KEK)
Conférence européenne des Radios chrétiennes (CERC)
Conférence des Rabbins européens (CER)
Congrès juif européen (CJE)
Conseil Quaker pour les Affaires européennes (QCEA)
Conseil européen des Communautés juives
Conseil européen des Fédérations WIZO (CEFW)
Conseil international des Femmes juives (ICJW)
Fédération des Associations Familiales Catholiques en Europe (FAFCE)

Fédération européenne des Associations des Etudiants Chrétiens (EKV)
Fédération Européenne pour l'Education Catholique des Adultes (FEECA)

Fédération internationale de l’Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture (FIACAT)
Fédération internationale des Universités Catholiques (FIUC)
Forum de la jeunesse et des associations étudiantes musulmans européennes (FEMYSO)

Jeunesse étudiante catholique internationale – Mouvement international des Etudiants catholiques, Coordination européenne JECI-MIEC
Mouvement catholique international pour la Paix – Pax Christi

Mouvement international d’Apostolat en milieux sociaux indépendants (MIAMSI)

Mouvement international de la Jeunesse agricole et rurale catholique (MIJARC)
Office international de l'Enseignement catholique (OIEC)
Union européenne des anciens et anciennes Elèves de l'Enseignement catholique (UNAEC-EUROPE)
Union mondiale des Organisations féminines catholiques (UMOFC)
Union Mondiale ORT (Organisation-Reconstruction-Travail)
Union internationale humaniste et laïque (UIHL)

OING dont la demande d’obtention du statut participatif est en attente:

Espaces - Spiritualités, Cultures et Société en Europe

Réseau européen Eglises et Libertés

Union européenne des étudiants juifs

* * *

Commission chargée du rapport : Commission de la culture, de la science et de l’éducation

Renvoi en commission : Doc. 10908, Renvoi n° 3238 du 26 juin 2006

Projet de recommandation adopté à l’unanimité par la commission le 31 mai 2007

Membres de la Commission: M. Jacques Legendre (Président), Baronne Hooper, M. Wolfgang Wodarg, Mme Anne Brasseur, (Vice-Présidents), M. Hans Ager, M. Toomas Alatalu, M. Kornél Almássy, M. Lars Barfoed, M. Rony Bargetze, M. Lars Bartos, Mme Marie-Louise Bemelmans-Videc (Remplaçant: M. Dees), M. Radu Mircea Berceanu, M. Levan Berdzenishvili, Mme Oksana Bilozir, Mme Maria Luisia Boccia (Remplaçant: M. Stefano Morselli), Mme Margherita Boniver, M. Ioannis Bougas, M. Osman Coşkunoğlu, M. Vlad Cubreacov, M. Ivica Dačić, Mme Maria Damanaki, M. Joseph Debono Grech, M. Stepan Demirchyan, M. Ferdinand Devinski, Mme Åse Gunhild Woie Duesund, M. Detlef Dzembritzki, Mme Anke Eymer, M. Relu Fenechiu, Mme Blanca Fernández-Capel, Mme Maria Emelina Fernández-Soriano, M. Axel Fischer, M. José Freire Antunes, M. Eamon Gilmore, M. Stefan Glǎvan, M. Luc Goutry, M. Vladimir Grachev, M. Andreas Gross, M. Jean-Pol Henry, M. Rafael Huseynov, M. Fazail Ibrahimli, Mme Halide İncekara, Mme Evguenia Jivkova, M. Morgan Johansson, Mme Dagny Jónsdóttir, M. Ali Rashid Khalil, M. József Kozma, M. Jean-Pierre Kucheida, M. Markku Laukkanen, M. Guy Lengagne, Mme Jagoda Majska-Martinčević, M. Tomasz Markowski, M. Andrew McIntosh, M. Ivan Melnikov (Remplaçant; M. Alexander Fomenko), Mme Maria Manuela Melo, Mme Assunta Meloni, M. Paskal Milo, Mme Christine Muttonen, Mme Miroslava Nĕmcová, M. Edward O’Hara (Remplaçant: M. Robert Walter), M. Kent Olsson, M. Andrey Pantev, Mme Antigoni Pericleous Papadopoulos, M. Azis Pollozhani, Mme Majda Potrata, M. Dušan Proroković, M. Lluis Maria de Puig (Remplaçante: Mme María Josefa Porteiro), M. Zbigniew Rau (Remplaçant: M. Zbigniew Girzynski), Mme Anta Rugāte, M. André Schneider, M. Urs Schweitzer, M. Vitaliy Shybko, Mme Geraldine Smith, Mme Albertina Soliani, M. Yury Solonin, M. Christophe Spiliotis-Saquet (Remplaçant: M. Bernard Marquet), M. Valeriy Sudarenkov, M. Petro Symonenko, M. Mehmet Tekelioğlu, M. Ed van Thijn, M. Piotr Wach, M. Emanuelis Zingeris

N.B : Les noms des membres qui ont pris part à la réunion sont imprimés en caractères gras

Chef du Secrétariat: M. Grayson

Secrétaires de la commission : M. Ary, M. Dossow