1. Introduction
1.1. Procédure de suivi
1.1.1. Historique du suivi du respect
des obligations et engagements contractés par la Géorgie à l'égard du
Conseil de l'Europe
1. La Géorgie est devenue membre du Conseil de l'Europe
en 1999 et la procédure de suivi a été engagée immédiatement après.
Deux ans plus tard, a été publié un premier rapport sur les progrès
de la réforme en Géorgie, qui mettait en exergue les insuffisances
persistantes ainsi que le fossé existant entre la législation et sa
mise en œuvre
.
2. En novembre 2003, les co-rapporteurs de la Commission de suivi
se trouvaient en Géorgie au moment où les manifestations massives
mais pacifiques, organisées à la suite d'élections parlementaires
truquées, avaient débouché sur la « révolution des roses » et sur
la démission du Président Edouard Chevardnadze. Quelques semaines
plus tard, début janvier 2004, ils se sont rendus une nouvelle fois
dans le pays à l'occasion de l'élection présidentielle qui a vu
la victoire de Mikheïl Saakachvili.
3. Dans la
Résolution
1363 (2004) et la
Recommandation
1643 (2004) sur le fonctionnement des institutions démocratiques
en Géorgie, qu'elle a adoptées en janvier 2004
, l'Assemblée considérait que les nouveaux
dirigeants élus ne pouvaient être tenus pour responsables de l'impuissance
du régime précédent à remplir les obligations et engagements du
pays à l'égard du Conseil de l'Europe. En signe de soutien aux nouvelles
autorités et en raison des circonstances exceptionnelles qui avaient
présidé à la transition en Géorgie, l'Assemblée a accepté de fixer
de nouveaux délais pour la réalisation des engagements de la Géorgie à
l'égard du Conseil de l'Europe.
4. Le nouveau calendrier a été défini un an plus tard dans la
Résolution 1415 (2005), adoptée en janvier 2005. Un an après la Révolution
des Roses, l'Assemblée indiquait clairement que la situation post-révolutionnaire
ne saurait servir d'alibi pour prendre des décisions hâtives et
pour négliger les normes démocratiques et des droits de l'homme.
5. En janvier 2006, c'est-à-dire deux ans après la Révolution
des Roses, l'Assemblée a examiné le nouveau rapport détaillé sur
le respect des obligations et engagements de la Géorgie
et a adopté la
Résolution 1477 (2006).
6. L'Assemblée a conclu que les progrès accomplis par la Géorgie
pouvaient être considérés en général comme encourageants, mais qu'ils
ne constituaient encore qu'un premier pas sur la voie du respect
des obligations et engagements du pays. C'est pourquoi elle a énoncé,
à l'intention des autorités, un certain nombre de recommandations
portant sur les mesures importantes à prendre en vue de réaliser
cet objectif.
7. Consciente que la situation en Géorgie ne pourra être entièrement
normalisée tant que les conflits dans les régions séparatistes d'Abkhazie
et d'Ossétie du Sud n'auront pas été réglés de manière pacifique
et démocratique, l'Assemblée s'est félicitée des efforts déployés
par le Président Saakachvili pour rechercher des solutions; elle
était toutefois extrêmement préoccupée par le fait qu'aucun réel
progrès n'ait été accompli ni sur le terrain ni lors des négociations
en cours. Elle en a appelé à toutes les parties intéressées, et
notamment à la Fédération de Russie, pour qu'elles manifestent,
en principe et en pratique, leur engagement en faveur d'une solution
pacifique et démocratique qui respecte pleinement l'intégrité territoriale
de la Géorgie.
8. L'Assemblée a décidé de poursuivre le suivi jusqu'à ce qu'elle
ait reçu la preuve d'un progrès substantiel, notamment pour ce qui
a trait aux questions mentionnées dans la
Résolution 1477 (2006).
9. Les sévères sanctions que les autorités russes ont décrétées,
à l'automne 2006, à l'encontre de la Géorgie et des citoyens géorgiens
résidant en Russie ainsi que l'aggravation des tensions persistantes
entre les deux pays qui s'en est suivie ont engendré de vives préoccupations
au sein du Conseil de l'Europe
et plus particulièrement de l'Assemblée.
10. La Commission de suivi a chargé M. Eörsi, co-rapporteur pour
la Géorgie, et M. van den Brande, co-rapporteur pour la Russie,
de se rendre dans les deux pays et de faire un rapport. A l'issue
d'une discussion sur la note d'information établie par MM. Eörsi
et van den Brande à la suite des visites qu'ils ont effectuées en novembre
2006, la commission a décidé, lors de sa réunion du 13 décembre
2006, de demander la tenue d'un débat selon la procédure d'urgence
au cours de la partie de session de janvier 2007. Toutefois, l'Assemblée, considérant
que la fermeture avant terme des dernières bases russes de Tbilissi
et le retour de l'Ambassadeur de Russie dans la capitale géorgienne
constituent des premiers pas dans la bonne direction, a décidé de
ne pas tenir ce débat. Le 23 janvier 2007, la Commission de suivi
a adopté une déclaration sur la question et déclassifié la note
d'information sur les missions d'enquête de ses rapporteurs (AS/Mon
(2006) 40 rev.) dans laquelle sont énoncées les mesures immédiates
à prendre par les autorités géorgiennes et les autorités russes.
1.1.2. Contexte du présent rapport
11. Le présent rapport se fonde sur des informations
recueillies lors d'une série de visites effectuées au cours des
derniers mois. Du 10 au 16 septembre 2007, nous nous sommes rendus
à Tbilissi, à Batumi, en Abkhazie et en Ossétie du Sud en vue d'évaluer
la situation dans le pays. Nous avons accordé une attention particulière
aux questions du fonctionnement des institutions démocratiques,
de l'avancement des réformes, de la protection des droits de l'homme,
de la lutte contre la corruption ainsi qu’aux tensions persistantes
avec les régions séparatistes d'Ossétie du Sud et d'Abkhazie. Cette
visite a conduit à la préparation d'un premier projet de rapport,
que la Commission de suivi a examiné lors de sa réunion à Berlin
le 6 novembre 2007. L'analyse complète de la situation en Ossétie
du Sud et en Abkhazie présentée dans le chapitre 6 a fourni le contexte
d'une audience publique sur les conflits gelés organisée par la
Commission de suivi au Bundestag allemand les 5 et 6 novembre 2007.
12. Après la dispersion des manifestations anti-gouvernementales
du 7 novembre par la police anti-émeutes, suivie de l'instauration
d'un état d'urgence et de l'interruption des émissions des chaînes
de TV Imedi et Kavkazia, nous avons immédiatement décidé d'entreprendre
une visite éclair à Tbilisi les 9 et 10 novembre.
13. Après la démission du Président Saakashvili le 25 novembre
et la proclamation de la tenue d'élections présidentielles anticipées
le 5 janvier 2008, nous nous sommes à nouveau rendus à Tbilisi dans
le cadre d'une mission préélectorale du 5 au 7 décembre. Une commission
ad hoc de 30 membres du Bureau de l’Assemblée a observé les élections
le 5 janvier 2008.
14. A toutes ces occasions, nous avons tenu des discussions très
franches et très ouvertes avec les plus hautes autorités de l'Etat,
les ministres concernés, les chefs (et candidats) des partis de
l'opposition et les autorités locales. En marge du programme officiel
établi par la délégation parlementaire de Géorgie, nous avons rencontré
des représentants de groupes de réflexion, d'ONG et de médias locaux,
des ambassadeurs étrangers résidant à Tbilisi et des représentants
d'organisations internationales partenaires.
15. En septembre, à Sukhumi et Tshkinvali, nous nous sommes entretenus
avec MM. Nugzar Ashuba et Znaur Gassiev, Présidents respectivement
des Parlements d'Abkhazie et d'Ossétie du Sud; M. Ivo Petrov, SRSG
adjoint de la MONUG à Sukhumi; des représentants du HCNUR à Gali
et de la mission de l'OSCE à Tskhinvali. Nous nous sommes également
rendus dans le village de Tsikiri (district de Gali) pour y rencontrer une
communauté d'anciens réfugiés. Nous regrettons de ne pas avoir eu
l'occasion de rencontrer les chefs des gouvernements de facto de Sukhumi et Tskhinvali,
ce qui nous aurait permis de nous forger une meilleure idée des
voies possibles pour la résolution du conflit dans les deux régions
séparatistes. Nous avons également eu l'occasion de rencontrer séparément
M. Malkhaz Akishbaia, chef du Gouvernement de la République autonome
d'Abkhazie, à Zugdidi en Haute-Abkhazie, et M. Dimitri Sanaloev,
chef de l'Unité administrative temporaire pour la région de Tskhinvali,
Ossétie du Sud, à Kurta.
16. Nous tenons à remercier les autorités géorgiennes pour leur
entière coopération ainsi que pour l'hospitalité dont elles ont
fait preuve tout au long de nos visites. Nous remercions le Parlement
géorgien et la délégation nationale géorgienne pour l'excellente
organisation des visites, dont l'une dans un délai extrêmement court.
Nos remerciements vont également à la MONUG et à l'OSCE, dont les
missions ont facilité nos visites en Abkhazie et en Ossétie du Sud.
Enfin, nous remercions vivement M. Igor Gaon, Représentant Spécial
du Secrétaire Général du Conseil de l'Europe en Géorgie et Mme Tamara
Katzitadze du Bureau du Conseil de l'Europe à Tbilissi pour l'assistance
active qu'ils nous ont apportée, contribuant ainsi à faire de nos visites
un succès.
17. Au cours de notre première visite en septembre, nous avions
félicité les autorités géorgiennes pour le travail colossal qu'elles
avaient entrepris en lançant simultanément des réformes à divers
échelons, tout en notant plusieurs domaines où des améliorations
restaient nécessaires. Dans l'intervalle, le pays a été bouleversé
par les événements qui ont entaché la réputation de la Géorgie en
tant que championne des réformes démocratiques de la région. Nonobstant
la proximité des élections anticipées et le fait que les résultats
définitifs des élections présidentielles du 5 janvier 2008 n’aient
pas encore été annoncés au moment de la finalisation de ce rapport,
nous avons jugé opportun de respecter le calendrier initial et de
tenir un débat au cours de la partie de session de janvier 2008
de l'Assemblée pour ne pas perdre de vue les progrès réalisés au
cours des deux dernières années et aider la Géorgie à identifier
de nouvelles pistes lui permettant d'aller de l'avant.
18. Enfin, le présent document se fonde sur des informations recueillies
au cours de nos récentes visites ainsi que sur les données fournies
dans divers rapports antérieurs émanant d'autres organisations internationales
gouvernementales et non gouvernementales. Nous n'ignorons pas que
la société géorgienne est confrontée à bon nombre d'autres défis,
concernant notamment la protection des minorités nationales ou l'éducation,
et qui ont trait aux valeurs fondamentales du Conseil de l'Europe.
Toutefois, par souci de cohérence avec d'autres exercices de suivi
semblables et en vue d'éviter d'ouvrir de nouveaux débats, nous limiterons
notre évaluation aux seules questions évoquées dans la
Résolution 1477 (2006).
1.2. Evolution générale depuis l'adoption
de la Résolution 1477
(2006) de l'Assemblée
1.2.1. Evénements politiques
19. En novembre 2003, le nouveau gouvernement a hérité
d'un État en proie à l'insécurité et à la corruption, qui n'avait
aucun contrôle sur de grandes parties de son territoire et qui refusait
tout soutien international. Depuis lors, la Géorgie s'est débarrassée
du legs de la banqueroute politique et s'est défaite de sa piètre réputation
nationale pour jeter les fondations d'une démocratie qui fonctionne
et d'une économie de marché libre.
20. Jusqu'en septembre 2007, la Géorgie a connu une relative stabilité
politique, ce qui a permis au gouvernement d'engager rapidement
des réformes complexes dans tous les principaux domaines de la vie publique.
Le cadre législatif et les plans d'action relatifs à toutes les
grandes réformes ont été adoptés, le gouvernement a réformé le système
éducatif, les organes d'application de la loi et l'Armée, réduit considérablement
et rajeuni la bureaucratie étatique, augmenté les salaires des fonctionnaires,
s'est attaqué vigoureusement à la corruption et a pris des mesures
en vue de renforcer l'indépendance et le professionnalisme des juges.
Les marques de la restauration de l'infrastructure sociale et de
la reconstruction des infrastructures touristiques sont visibles
partout. La Géorgie mérite qu'on la félicite pour tout cela.
21. Néanmoins, certaines réformes ont été menées très rapidement,
provoquant un véritable choc pour la société géorgienne. L'Etat
a été réduit de ses effectifs et beaucoup de personnes ont perdu
leur emploi. La situation sociale a souvent été exacerbée par le
blocus économique russe. En dépit de la diminution globale des chiffres
de la pauvreté, les préoccupations ayant trait aux injustices sociales
ont été insuffisamment prises en compte. Le gouvernement a manqué
de courage pour répondre aux espoirs par trop ambitieux suscités
par la révolution et n’a pas suffisamment fait connaître les enjeux
des réformes. Impatient de remplir ses engagements, le jeune gouvernement
a trop souvent négligé les requêtes de l’opposition et le mécontentement
public, et s’est frayé un chemin grâce à la force au travers des
obstacles perçus. Tous ces facteurs combinés au sentiment populaire
d’un manque de transparence, de responsabilité et d’enquêtes crédibles
sur des affaires troublantes d’abus de fonction ont confronté en
octobre-novembre 2007 le gouvernement réformiste, tant apprécié
au plan international, à une crise politique interne majeure.
22. Au début du mois d’octobre, Arkadi (Badri) Patarkatsishvili,
l’homme le plus fortuné de Géorgie et le propriétaire de la chaîne
TV d’opposition Imedi, a annoncé qu’il dirigerait la campagne antigouvernementale et
deviendrait le principal financeur des manifestations de l'opposition
dans le pays. Par la suite, il a fait une série de déclarations
indiquant qu'il financerait le changement de régime en Géorgie.
Le 2 novembre, des manifestations de masse ont éclaté suite à l’appel
du bloc nouvellement formé par neuf partis d’opposition, réclamant
l’avancement des élections parlementaires de l’automne au printemps
2008, la transformation de la Géorgie en république parlementaire
et la démission du Président de l’époque, Mikheil Saakashvili. Patarkatsishvili
a par ailleurs annoncé qu'il financerait non seulement les manifestations
politiques de l'opposition, mais également les partis politiques
formant l'alliance de l'opposition.
23. Le 7 novembre 2007, les troubles politiques se sont achevés
par la dispersion violente des manifestants par la police anti-émeutes.
Les forces spéciales ont effectué une descente dans les locaux de
la chaîne TV Imedi et ont interrompu la diffusion de ses émissions,
les autorités déclarant que la chaîne lançait des appels à l’organisation
d’un coup d’état orchestré par la Russie. Quelques heures plus tard,
suite au communiqué de Patarkatshishvili jurant «… Je mettrais toute mon énergie, toutes mes
ressources, toutes les ressources financières, jusqu'à mon dernier
Tetri, pour libérer la Géorgie de ce régime fasciste»
et à d’autres appels à la désobéissance civique relayés par les
stations TV et radio Imedi (propriétés de Patarkatsishvili), le gouvernement
a proclamé l’état d’urgence. Plusieurs responsables de l’opposition
ont été inculpés d’association de malfaiteurs et d’activités subversives.
24. Le lendemain, le Président Mikheil Saaskashvili, dans une
tentative de montrer la tension extrême de la situation politique,
a annoncé sa démission en vue de permettre la tenue d’une élection
présidentielle anticipée et l’organisation d’un référendum sur la
date des élections législatives. L'état d'urgence a été levé neuf
jours plus tard, le 16 novembre. A cette même date, il a démis de
ses fonctions le Premier ministre Nogaideli et nommé Vladimer Gurgenidze
à la tête du nouveau gouvernement. Lors de sa propre démission le
25 novembre, le Président Saakashvili a également signé un décret
pour la tenue d'un autre référendum sur l'adhésion à l'OTAN. Imedi
TV et radio Imedi ont recommencé à émettre le 8 décembre; mais quinze
jours plus tard, au milieu de la campagne électorale, les autorités
ont avancé des preuves de l’implication de Badri Patarkatshishvili
dans un nouveau complot visant à renverser le gouvernement quelques
jours après les élections. Plusieurs journalistes ont quitté la
chaîne et la direction d’Imedi a une nouvelle fois décidé de cesser d’émettre.
La chaîne est restée fermée au delà des élections présidentielles.
25. Les actions engagées le 7 novembre ont sérieusement entaché
la crédibilité du gouvernement et sa volonté de bâtir un État fondé
sur les règles de la démocratie et de la primauté du droit. Toutefois,
nous saluons la décision du pouvoir géorgien de résoudre cette crise
par des élections présidentielles anticipées et de demander l’avis
des citoyens sur le calendrier des élections législatives. Cette
décision démocratique et constitutionnelle a permis de mettre fin
à l’escalade de la violence et incité l'opposition à quitter la
rue pour engager une certaine forme de dialogue et se focaliser
sur les élections.
1.2.1.1. Élections présidentielles anticipées
du 5 janvier 2008
26. Vingt deux candidats ont au départ déclaré vouloir
se présenter. Au final, sept candidats ont été enregistrés. Ce sont
notamment:
- Levan Gachechiladze,
nommé par une coalition de neuf partis d'opposition;
- Davit Gamkrelidze, chef du Parti des droits nouveaux;
- Badri Patarkatsishvili, magnat géorgien des médias;
- Shalva Natelashvili, chef du Parti travailliste;
- Mikheil Saakashvili, ex-Président et chef du parti au
pouvoir, le Mouvement national uni;
- Gia Maisashvili, chef du Parti de l'avenir;
- Irina Sarishvili, chef du Parti de l'espoir;
27. Parallèlement au scrutin présidentiel, les électeurs étaient
également appelés à se prononcer par référendum sur la date des
prochaines élections législatives et sur l’adhésion à l’OTAN. Selon
la Constitution, ces élections devraient se dérouler en novembre
2008, mais l'opposition en a réclamé la tenue dès avril 2008. Le
référendum visait à régler ce désaccord en laissant la décision
aux électeurs géorgiens.
28. Dès le départ, la campagne électorale s’est déroulée dans
un contexte politique hautement polarisé. Le gouvernement a déclaré
que son principal objectif est d'organiser des élections libres,
transparentes et équitables. A cette fin, il s’est dit prêt à accueillir
un grand nombre d’observateurs internationaux et a encouragé la
réalisation de sondages à la sortie des urnes. Plus de 1000 observateurs
internationaux et 2000 observateurs nationaux ont participé à l’observation
des élections le 5 janvier 2008.
29. Néanmoins, certaines forces de l’opposition ont mis en doute
l’ensemble du processus avant même que ce dernier n’ait commencé.
Bien que ce scrutin constituait la première réelle occasion pour
les leaders politiques géorgiens d’organiser des élections présidentielles
véritablement compétitives, cette chance n’a pas été saisie par
la plupart des candidats. La campagne de l’opposition n’était pas
focalisée sur le développement des programmes, mais plutôt sur une
rhétorique anti-Saakashvili. Par ailleurs, elle n’est pas non plus
parvenue à présenter un candidat commun et unique capable de faire
contrepoids. Tout au long du processus électoral, la plupart des
candidats de l’opposition se sont davantage attachés à organiser
des manifestations post-électorales en vue de contester les résultats
des urnes, en cas de victoire de Mikheil Saakashvili, plutôt qu’à remporter
le scrutin. Les 24-25 décembre, le gouvernement a publié des enregistrements
secrets montrant Badri Patarkatsishvili cherchant à soudoyer le
chef du Département des Opérations spéciales du ministère de l’Intérieur
pour organiser le renversement du gouvernement et recourir à la
violence, notamment en éliminant le ministre de l’Intérieur.
30. Le cadre législatif de ces élections a subi plusieurs changements
profonds. Le délai très court entre la date de ces modifications
et celle du scrutin a suscité les inquiétudes de diverses parties
prenantes. Cependant, le fait que le Parlement ait déjà préparé
de nouveaux projets d’amendements au Code électoral en vue des élections
prévues au printemps 2008, prenant en compte bon nombre des recommandations précédentes
du BIDDH et de la Commission de Venise, a permis à la majorité au
pouvoir et à l’opposition de parvenir assez rapidement à un compromis
sur ces questions. Le 22 novembre, le Parlement a adopté des modifications
à la Loi géorgienne sur le référendum et au Code électoral unifié.
D'autres amendements concernant des aménagements techniques ont
également été adoptés le 7 décembre. Au cours de notre visite pré-électorale,
nous avons constaté que, bien qu'encore perfectible, le Code électoral
constituait une base adéquate pour la tenue d'élections présidentielles
démocratiques, sous réserve de son application de bonne foi.
31. Le Code électoral amendé a introduit des modifications garantissant
la participation des représentants de l’opposition au processus
électoral tant au plan central que local. L’obligation de désigner
six membres issus des partis de l’opposition et le principe des
décisions prises à la majorité des 2/3 ont permis la mise en place
d’un garde-fou contre d’éventuelles irrégularités. La nouvelle CEC
a fait preuve de sa compétence durant le processus électoral, en
dépit de certaines actions non-constructives et de quelques votes
partisans relevés par des observateurs à long terme des élections.
32. L’exactitude des listes électorales constitue un problème
de longue date en Géorgie. Afin de lutter contre les inexactitudes
perçues et réelles, la CEC a effectué une vérification porte-à-porte
des listes durant la période préélectorale, qui a donné lieu à un
nombre substantiel de révisions. Une campagne de sensibilisation
du public a été menée pour inciter les électeurs à vérifier leur
inscription sur les listes. Cette vérification était possible par
Internet, par la hotline mise en place par la CEC ou en se rendant
personnellement dans les PEC et les DEC. Cette mesure additionnelle
a permis de rectifier 2123 erreurs dans la base de données. Tout
au long de la campagne, l’opposition a prétendu que les listes comportaient
des centaines de milliers « d’âmes mortes », sans toutefois porter
plainte à cet effet auprès de la CEC dans les délais impartis par
la loi. Selon la CEC, près de 31.000 personnes décédées ont été
radiées des listes durant la vérification porte-à-porte et ultérieurement.
Le ministère de l’Intérieur a communiqué à la CEC des informations
sur les personnes décédées enregistrées par le service de l’État
civil jusqu’au 22 décembre 2007 et la population a été appelée à
informer la CEC de tout proche décédé susceptible de figurer encore
sur les listes électorales. En dépit des efforts susmentionnés,
les observateurs internationaux ont relevé plusieurs inexactitudes
le jour du scrutin. Nous reconnaissons cependant une amélioration
considérable de la qualité des listes par rapport aux élections précédentes,
et encourageons la CEC à poursuivre dans cette voie sur la base
des informations complémentaires collectées le jour du scrutin.
33. L’enregistrement des électeurs le jour du scrutin était une
source prévisible de difficultés procédurales. Compte tenu des expériences
négatives qu’a connues la Géorgie dans le passé, lorsque des listes
électorales supplémentaires étaient à l’origine de fraudes électorales,
la plupart des organisations nationales et internationales d’observations
des élections ainsi que l’opposition ont contesté leur utilisation.
En dépit des garde-fous mis en place par la législation électorale
pour lutter contre les activités frauduleuses telles que l’encrage,
l’emploi de caméras vidéo, la présentation immédiate des protocoles,
l’envoi instantané d’informations par fax et une campagne de sensibilisation
du public de grande envergure, les procédures établies par le Code
électoral amendé sont restées complexes et vagues sur certains points.
Compte tenu des améliorations substantielles et continues portées
à la liste électorale d’ensemble après ce scrutin, nous sommes fermement
d’avis que l’utilisation de listes supplémentaires devrait à l’avenir
être abolie.
34. Nous nous félicitons que les autorités aient répondu à nos
recommandations pré-électorales sur la sécurité des votes et qu’elles
aient couvert les isoloirs, ôtant ainsi tout doute quant à la confidentialité
du scrutin dans les bureaux de vote où des caméras vidéo fixées
au plafond étaient utilisées.
35. Au cours de notre mission pré-électorale, l’opposition et
des ONG nous ont fait part de nombreuses allégations d’usage de
fonds publics et de ressources administratives pour la campagne
de l’ancien Président Mikheil Saakashvili. Dans un pays n’ayant
jamais connu auparavant de scrutin véritablement compétitif, il
est compréhensible que la population ne soit généralement pas familiarisée
avec les concessions des politiques démocratiques et ait du mal
à saisir où se situe la frontière entre des campagnes électorales
acceptables et inacceptables. Nous avons constaté que la notion
de ce qui est «équitable» et admissible fait l'objet de nombreux
malentendus entre toutes les parties concernées. A titre d’exemple,
les observateurs à long terme de l’OSCE/BIDDH ont fait état d’usage
abusif de fonds publics lors de la distribution de bons de services
ou de fournitures médicales remis à des groupes vulnérables à des
fins électorales par l’un des candidats
. Le gouvernement et
les responsables du Mouvement national uni (MNU) ont affirmé qu’aucun
abus de ressources administratives n’avait été commis, insistant
sur le fait que la plupart des initiatives sociales avaient été
lancées bien avant l’annonce des élections. Ils ont également confirmé
que le parti avait payé tous les services utilisés par son candidat
au cours de la campagne. Néanmoins, devant l’absence de visibilité
de la campagne des autres candidats, celle surmédiatisée de l’ancien
Président est apparue disproportionnée et a conduit le public à
en déduire l’utilisation de ressources de l’État.
36. Nous avons attiré l’attention des autorités et des représentants
du MNU sur le fait que dans un processus électoral démocratique,
l’État devait être un acteur neutre, mature et compétent. Nous pensons
que notre conseil a été pris en compte et que la ligne de démarcation
et les compétences individuelles des institutions gouvernementales,
de la CEC et du candidat MNU ont été clarifiées au cours du processus électoral.
A cette fin, nous saluons la mise en place de la « Task-force inter-agence
pour des élections libres et équitables » par le Président par intérim.
Elle est placée sous la présidence du ministre de la Justice et
a pour mission de répondre immédiatement à toute plainte concernant
les élections. De même, la CEC a assumé son rôle de seul acteur
clé chargé de mener ces élections et l’implication visible des forces
de sécurité ou de maintien de l’ordre a pris fin.
37. Néanmoins, tout au long de la campagne, des inquiétudes ont
été exprimées quant à la participation de fonctionnaires d'État
nationaux ou locaux d'échelons divers à la campagne de l’ancien
Président. Nous avons conscience qu’il n’existe pas de «normes européennes»
communes relatives aux limites de l'utilisation de ressources administratives
et que la campagne de l'ancien Président a peut-être été conforme
à la loi géorgienne (Article 73 du Code électoral), il est néanmoins
de la responsabilité des autorités gouvernementales de veiller à
ce que l'opinion publique ait le sentiment de conditions de campagne
équitables entre les candidats. Dans un système politique où les
pouvoirs sont largement concentrés entre les mains de la majorité
au pouvoir, il serait judicieux, au titre de l’équité du processus,
d’appliquer – officiellement ou officieusement – certaines restrictions
aux activités de campagne menées par des responsables politiques
et des fonctionnaires. Il convient de noter que le Président par
Intérim a avalisé le 22 décembre les directives électorales destinées
aux fonctionnaires édictées par la CEC et soutenues par la Task-force
inter-agence. Ces directives établissent des règles concrètes que
tous les fonctionnaires sont tenus de respecter au cours de la campagne
électorale et décrivent clairement les activités prohibées et les
sanctions prévues. Nous espérons que ces directives seront plus
largement soutenues avant les prochaines élections législatives.
38. La campagne a également été ternie par de nombreuses allégations
d’intimidations, de pressions exercées par des fonctionnaires locaux
et même d’enlèvements, notamment dans les régions. Même si peu de
ces allégations sont fondées, elles sont encore trop nombreuses
pour ne pas mettre mal à l'aise. Bien qu’il soit peu probable que
le gouvernement de Tbilissi et l'équipe électorale qui entoure l'ancien
Président aient orchestré ces actes, le gouvernement et le MNU ont
contribué au climat de permissivité et d’impunité qui a permis ces
intimidations.
39. Nous tenons à souligner que toute forme d’intimidation ou
de pression est illégale et porte atteinte au libre choix des électeurs.
Face aux allégations, les réponses du gouvernement étaient généralement promptes,
parfois outrageusement défensives, avançant des contre-arguments
formalistes plutôt que de s’attaquer aux causes profondes du problème.
Des fonctionnaires gouvernementaux – mais avant tout l’ancien Président
lui-même - n’ont pas su délivrer de messages forts aux échelons
inférieurs de la gouvernance pour réaffirmer clairement qu’aucune
forme d’intimidation, de pression et de harcèlement ne sera tolérée.
Nous appelons les autorités compétentes de l’État à enquêter sérieusement
sur tous les cas rapportés d’intimidation, de harcèlement et de
violence et d’engager, si besoin est, des poursuites.
40. Un accès égal et impartial aux médias pour tous les candidats
est un élément essentiel d'une élection démocratique. La campagne
a débuté dans le contexte de l'état d'urgence, avec des restrictions
imposées à la radiodiffusion des programmes d'information et à l'information
par les médias électroniques dans l'ensemble du pays – à l'exception
du radiodiffuseur public. Ces restrictions ont été levées neuf jours
plus tard, bien que la chaîne TV Imedi n’ait pas émis durant la
quasi totalité de la campagne
,
et des mesures d’auto-régulation ont été élaborées. Un certain nombre
d'organes publics (Conseil des Médias, CEC, etc.), les diffuseurs
privés et des ONG ont lancé des programmes de suivi des médias de
l’audiovisuel. Les modifications apportées au Code électoral prévoyaient
l'allocation de temps d'antenne égaux à tous les partis «qualifiés».
De plus, le Radiodiffuseur public géorgien (RPG) a été tenu de mettre
à disposition des temps d'antenne supplémentaires à des «personnes
non qualifiées». Vers la fin de la campagne, le RPG a réduit ses
tarifs pour les publicités à caractère politique.
41. Au cours de la visite pré-électorale, notre délégation a appelé
les autorités des médias à assurer une couverture équilibrée et
impartiale de tous les candidats, sans aucune forme d'autocensure
ou entrave à l'accès aux médias. En outre, nous avons également
appelé les médias et les candidats à organiser et à participer à
des débats thématiques télévisés périodiques, afin que les électeurs
fassent un choix éclairé le jour de l'élection. Le paysage médiatique
a été jugé compétitif par la Mission internationale d’observation
des élections (MIOE), reflétant un vaste éventail d’opinions lors
des talk shows, débats télévisés et temps d’antenne gratuits pour
que les électeurs fassent un choix éclairé. Vers la fin de la campagne,
le partage du temps d’antenne était de plus en plus équilibré mais
les informations diffusées aux heures de grande écoute sont restées
en faveur de l’ancien Président. Aucun débat contradictoire n’a
eu lieu, privant ainsi les électeurs de voir les candidats confronter
en direct leurs opinions.
42. Dans sa déclaration préliminaire sur les élections du 6 janvier
2008, la MIOE a salué l’atmosphère calme et pacifique qui a régné
le jour du scrutin. Mis à part quelques rares incidents, troubles
ou actes de violence, le peuple géorgien a pu exprimer librement
son suffrage. La conduite des élections a été jugée globalement conforme
à la plupart des engagements contractés à l’égard de l’OSCE et du
Conseil de l'Europe et aux normes en matière d’élections démocratiques;
néanmoins, d'importants problèmes ont été mis en lumière, qui doivent
être résolus sans attendre. La MIOE a par ailleurs noté «qu’il s’agissait
de la première élection présidentielle véritablement concurrentielle
organisée dans le pays, qui permettait aux électeurs de la Géorgie d’exprimer
leurs préférences politiques »
.
43. La majorité des autres missions d’observation internationale
(dont celle de la CIE) ont également jugé l’élection présidentielle
ouverte et démocratique. Elles ont néanmoins attiré l’attention
sur « certaines imperfections organisationnelles » et « des facteurs
malencontreux qui jettent une ombre sur la nature démocratique du
processus ». Au moment de la rédaction de ce rapport, les conclusions
définitives et les recommandations de la mission d’observation des
élections de l’OSCE/BIDDH ainsi que de la Commission ad hoc du Bureau
de l’Assemblée pour l’observation de l’élection présidentielle anticipée
du 5 janvier n’étaient pas encore publiées.
44. Malgré la forte chute de neige et des températures très basses,
1,9 millions de votes ont été comptabilisés, ce qui est un record
dans l’histoire géorgienne, bien que ce nombre ne représente que
56 % du nombre total d’électeurs enregistrés.
45. Les résultats officiels n’ont pas encore été annoncés. Cependant,
les résultats officiels préliminaires qui ont été publiés laissent
entrevoir que Mikheil Saakashvili est sur le point de remporter
sa ré-élection au poste de Président de la Géorgie, avec 53,38%
des voix devant son rival Levan Gachechiladze qui aurait obtenu 25,66%
des suffrages. L’opposition refuse toutefois de reconnaître la victoire
de Saakashvili, estimant qu’un deuxième tour est nécessaire. A cette
fin, l’opposition rejette la validation du processus électoral par
les observateurs internationaux et appelle à un nouveau décompte
des voix et à l’annulation pure et simple des résultats du scrutin.
D’importantes manifestations de protestation sont prévues durant
la semaine du 13 au 18 janvier 2008.
46. Nous invitons instamment toutes les forces politiques à respecter
la légitimité du processus démocratiquement mené des élections présidentielles
et à accepter les résultats officiellement proclamés. Toute allégation
de fraude ou de truquage des élections doit être contestée par les
voies légales prescrites par la Constitution de la Géorgie et la
législation afférente. La « géopolitique de l’Avenue Rustaveli »
selon laquelle l’accès au pouvoir et le changement politique sont
dictés par la rue plutôt que par les urnes n’a plus sa place dans
une société démocratique mature qui aspire à adhérer à l’Europe
et aux structures euro-atlantiques. Il en va de même du langage
de haine et de la politique de la corde raide censés apporter la
stabilité et le consensus national. Accepter dignement la défaite,
même si elle s’est jouée de peu, est un principe fondamental de responsabilité
démocratique.
1.2.1.2. Les enjeux politiques à venir
47. Les autorités – et la société géorgienne dans son
ensemble – seront confrontées à plusieurs défis majeurs au cours
des prochains mois :
48. Pour commencer, l’élection présidentielle n’a pas produit
un environnement propice au désamorçage des tensions au sein de
la société géorgienne. Le pays traverse une période de turbulences
avant les élections législatives anticipées qui devraient se tenir
au printemps 2008. Ce prochain scrutin sera un véritable test pour l’avenir
de la démocratie pluraliste en Géorgie.
49. Les autorités devront faire la preuve de leur détermination
à organiser des élections véritablement démocratiques, libres, honnêtes,
concurrentielles et pacifiques, et démontrer leur capacité à atteindre
cet objectif. Elles doivent résolument abandonner toutes mauvaises
pratiques et tentations de fraudes ou d’actes inéquitables dont
nous avons été les témoins au cours des scrutins précédents. La
récente élection présidentielle a montré que des améliorations étaient
encore possibles pour permettre l’expression libre et démocratique
de la volonté du peuple géorgien. A cette fin, nous attendons des
responsables politiques géorgiens un engagement sans faille et une
collaboration avec la communauté internationale pour traiter les causes
des déficiences précédemment relevées et pas seulement leurs symptômes.
50. Concrètement, les autorités auront à faire preuve d’un degré
de maturité plus élevé pour créer un environnement de campagne électoral
équilibré et concurrentiel, dénué de tout acte d’intimidation ou
de pression, et perçu comme tel par la population. Les structures
gouvernementales devraient être séparées de l’administration électorale
et cette dernière devrait pouvoir agir de manière pleinement indépendante.
Il convient encore d’inscrire dans la Constitution les amendements
au Code électoral récemment adoptés, qui abaissent le seuil électoral
de 7 à 5% et transforment le système électoral actuel à la majorité
en un système proportionnel, et de retirer de la législation électorale
les autres incohérences. La liste électorale nécessite encore une
mise à jour définitive sur la base des informations recueillies
à l’occasion du scrutin présidentiel de manière à éliminer les inscriptions
le jour des élections lors des scrutins futurs. Il est de la plus
haute importance de régler immédiatement ces questions et non quelques
jours avant les prochaines élections. Par ailleurs, pour conférer
davantage de crédibilité à ces processus et leur permettre de gagner
la confiance du public, les prétendues infractions commises lors
des élections présidentielles doivent faire l’objet d’enquêtes sérieuses
et leurs auteurs poursuivis en justice.
51. Par ailleurs, le style de gestion et de gouvernance des hauts
dirigeants du pays devra être plus ouvert et permettre des processus
décisionnels et d’élaboration des politiques bien plus inclusifs.
La démocratie ne peut être efficacement soutenue qu’avec la participation
publique et un vaste éventail d’institutions dans la société par
lesquelles les individus peuvent interagir avec l’État. C’est la
seule façon pour un gouvernement démocratique d’atteindre le niveau
requis de consensus afin de garantir l’irréversibilité des réformes. L’inclusion
ne peut se faire sans participation et la participation ne peut
se faire sans une panoplie d’institutions de l’État, du marché et
de la société civile pour servir de médiateurs de la communication.
Dans ce contexte, la mise en place d’institutions fortes et d’une
administration étatique, dotée à tous les échelons, d’une culture politique
d’indépendance, de respect et de pluralité d’opinions doit être
la priorité essentielle des dirigeants politiques.
52. Enfin, il convient de bâtir un Etat véritablement gouverné
par la primauté du droit et de la justice. Tant que l’impunité régnera
et que les lois seront aménagées pour servir des objectifs ou une
justice perçus comme partiaux, le public n’aura aucune confiance
en l’État et ses dirigeants.
53. Restaurer la confiance dans les processus démocratiques à
l’occasion des prochaines élections législatives anticipées relève
de la responsabilité conjointe de toutes les forces politiques en
Géorgie. Les autorités de l’État devraient respecter une pluralité
d’opinions; mais l’opposition porte également sa part de responsabilité
en assurant la stabilité et l’unité nationale et en participant
aux réformes en cours. Une nouvelle opposition dynamique a récemment
émergé à l’occasion des manifestations anti-gouvernementales, signe positif
de la naissance d’une société pluraliste. Cependant, elle doit aussi
chercher à engager un dialogue constructif avec le parti au pouvoir
sur les principales questions politiques. Pour s’assurer le soutien
à long terme des citoyens, l’opposition devrait mettre un terme
à ses critiques irréfléchies de l’action du gouvernement et à la
politique de la corde raide, et proposer à la population des alternatives
constructives à ses problèmes. Ses dirigeants devraient mettre toute
leur énergie dans une campagne véritablement concurrentielle et
digne de ce nom à l’occasion des prochaines élections législatives.
54. Le parti au pouvoir verra très certainement sa majorité réduite
dans le nouveau Parlement. C’est l’occasion de renforcer le processus
de démocratisation en intégrant au processus politique le dialogue
qui lui a tant fait défaut. Pour les dirigeants géorgiens des deux
côtés, c’est l’occasion de tirer les leçons de leurs erreurs et
de prendre conscience de la nécessité d’un débat politique constructif
pour asseoir leur légitimité et recueillir le soutien du peuple.
Une composition plus diversifiée du Parlement renforcerait la capacité
de la société géorgienne à régler ses problèmes sociaux et clivages
politiques au travers du processus parlementaire, plutôt que dans
la rue. La représentation au Parlement d’une proportion plus large
de l’opposition pourrait aider ces partis à devenir des acteurs
politiques matures, responsables et constructifs, capables de constituer
des alternatives crédibles dans la vie politique géorgienne. Cependant,
cette perspective suppose des défis car elle implique un renforcement
des engagements démocratiques de toutes les parties
.
1.2.2. La croissance économique
55. La Géorgie mérite d'être félicitée pour sa croissance
économique et son dynamisme. Au lendemain de la « révolution des
roses », Mikheil Saakachvili a promis de réorienter l'action gouvernementale
et l'économie vers la privatisation, l'économie de marché, l'assouplissement
de la réglementation et la lutte contre la corruption.
56. Le gouvernement a fait des progrès vers la réalisation de
ces objectifs. En janvier 2007, l'Index of Freedom Economy (l'Index
2007 de la liberté économique) publié par le Wall Street Journal
et Heritage Foundation a placé la Géorgie au 35ème rang mondial
des économies les plus libres (sur 157 pays étudiés). Le rapport
Doing Business (La pratique des affaires) publié en 2007 par la
Banque Mondiale, qui classe les économies en fonction de la facilité
d'y conduire des affaires, a attribué à la Géorgie la 18ème place
mondiale, ce qui constitue une avancée majeure comparativement à
sa 37ème et 112ème position respectivement occupée l'année d’avant
et en 2005.
57. Le pays continue de connaître une forte croissance économique,
celle-ci est passée de 9,3% en 2005 à 12% en 2007. Le PIB par habitant
est passé de 700 USD en 2003 à 2 300 USD en 2007. L'inflation se maintient
aux alentours de 11%. Et ce malgré la forte pression exercée par
la Russie en 2006 avec la fermeture de ses frontières aux exportations
géorgiennes ayant entraîné l’effondrement du principal marché d’exportation
traditionnel et la privation d’une partie de la population de ses
moyens d’existence, ainsi que la montée en flèche des prix du gaz
importé de Russie à compter de janvier 2007.
58. L'amélioration de la collecte des impôts et de l'administration
fiscale a permis au gouvernement d'accroître ses revenus de manière
substantielle. Il a été en mesure de verser les arriérés de salaires
et de retraites et d'accroître les dépenses pour les infrastructures
dont le pays a cruellement besoin, telles que les routes et les
réseaux d'alimentation en électricité. Le gouvernement espère être
en mesure de privatiser l'ensemble des entreprises commerciales
nationalisées (à l'exception des chemins de fer) d'ici à la fin
2008, ce qui lui permettra d'accroître ses recettes et de supprimer
les tentations de corruption de l'appareil bureaucratique de l'Etat.
59. La restructuration dans un contexte libéral a exigé une rationalisation,
entraînant, d'une part, des suppressions d'emplois et, de l'autre,
la création de nouveaux postes. Des stratégies aussi draconiennes
ont toutefois comporté certains risques politiques. Le défaut de
communication sur la nécessité absolue de ces réformes pour la société,
caractérisée par un taux de pauvreté (23%, contre 54,5% en 2003)
et de chômage (13-20% selon différentes sources) élevés, l’accès
limité aux services sociaux de base, de bas revenus et une répartition
inégale de ces derniers ont suscité le mécontentement social qui
a conduit à la crise politique de novembre 2007. Le 28 décembre,
le Parlement a révisé le budget 2008 afin de lui donner une orientation
plus sociale. La priorité des dépenses a été accordée au secteur
social, concrétisant ainsi les promesses du gouvernement de régler
les problèmes sociaux du pays de manière plus cohérente. Fortes
de cet objectif, les prévisions actuelles font état pour 2008 d’un
taux de croissance économique de l’ordre de 6%; le PNB devrait atteindre
12 milliards USD et l’inflation 8%.
60. Les investissements étrangers directs (IED) constituent la
plus importante source de capital pour la Géorgie et le Gouvernement
déploie des efforts considérables en vue d'attirer les investisseurs
étrangers. Ces derniers commencent à prendre note des changements
qui interviennent dans le pays. Alors que, dans un premier temps,
les afflux de capitaux étaient dus aux privatisations, ils reflètent
aujourd'hui de plus en plus la volonté des investisseurs de s'établir
en Géorgie. Les IED ont atteint 1 milliard USD en 2006, et ont dépassé les
1,5 milliards USD en 2007. L'année dernière, les principaux investisseurs
étaient la Turquie, les Etats-Unis et le Kazakhstan.
61. La Turquie a remplacé la Russie en tant que principal partenaire
commercial de la Géorgie et un accord de libre-échange avec ce pays
a été conclu. Les investisseurs turcs se sont lancés dans plusieurs investissements
majeurs dans le domaine des infrastructures, y compris l'aéroport
de Tbilissi ainsi qu'un deuxième aéroport à Batumi, qu'utilisent
aujourd'hui les citoyens géorgiens et turcs vivant dans la région.
Un accord a été conclu avec l'Azerbaïdjan en vue de la construction
d'une liaison ferroviaire avec la Turquie, laquelle reliera à terme
Pékin et Londres.
62. Enfin, les dirigeants géorgiens sentent que le succès des
réformes économiques constitue un modèle pour le reste de la région
et contribue à ouvrir des relations commerciales avec les États
voisins. Ces liens sont vitaux et ont d'importantes implications,
non seulement sur le plan économique, mais également sur le plan
de la sécurité énergétique – et peut-être aussi, à long terme, sur
le plan de la résolution des conflits sur son propre territoire.
1.2.3. Les relations internationales
63. La situation géopolitique de la Géorgie, pays situé
entre la mer Noire, la Russie, l'Arménie, l'Azerbaïdjan et la Turquie,
lui confère une importance stratégique bien supérieure à sa taille.
Le pays est en train de devenir la porte de la mer Noire vers le
Caucase et la région plus vaste de la Caspienne, mais il joue également
le rôle de tampon entre la Russie et la Turquie.
64. Le Concept de sécurité nationale, adopté par le gouvernement
géorgien au cours de l'été 2005, définit les principales priorités
de la politique étrangère et de sécurité nationale. Il décrit la
Géorgie comme «une partie intégrante de la zone politique, économique
et culturelle européenne» tout en affirmant que la renaissance de la
«tradition européenne» dans le pays s'effectuera par le biais de
«l'intégration à part entière à l'Organisation du traité de l'Atlantique
Nord et à l'Union européenne» ainsi que par la contribution «à la
sécurité de la région de la mer Noire, en tant que partie constituante
du système de sécurité euro-atlantique»
.
65. En 2006-2007, la Géorgie a continué d'orienter sa politique
étrangère vers l'intégration à l'OTAN et à l'Union européenne. Actuellement,
elle cherche également à s'orienter au sein d'un nouveau paradigme identitaire,
celui d'une grande région de la mer Noire. Ne voulant plus être
considérée uniquement comme un Etat post-soviétique et ne souhaitant
pas être identifiée avec la région du Caucase instable et fragmentée,
la Géorgie voit ses liens avec la communauté de la mer Noire comme
un moyen de se rapprocher du reste de l'Europe. Ainsi emboîte-t-elle
le pas aux autres Etats post-communistes orientés vers l'Ouest pour
s'engager sur la voie de l'intégration euro-atlantique par le biais
de l'OTAN.
66. Les réformes politiques et économiques rapides intervenues
en Géorgie ont contribué à renforcer la confiance internationale
dans le pays en tant qu'acteur-clé de la région. Le recours accru
de la Russie au levier énergétique pour réaliser ses objectifs politiques
a également eu pour effet de focaliser davantage l'intérêt de la
communauté internationale sur la Géorgie comme faisant partie d'une
voie alternative d'acheminement d'énergie vers l'Europe occidentale.
La Géorgie a également offert un partenariat fiable en matière de
contrôle de l'immigration clandestine et de lutte contre la contrebande
et le terrorisme. A l’inverse, les restrictions temporaires récemment
imposées par le gouvernement à la liberté des médias et l'état d'urgence
proclamé le 7 novembre ont entaché la réputation internationale
de la Géorgie en tant que champion des réformes démocratiques aux
frontières extérieures de l’Union européenne.
1.2.3.1. Les relations avec l’OTAN
67. L'adhésion à l'OTAN constitue la plus haute priorité
du gouvernement et de l'opinion publique en matière de politique
étrangère. Le récent référendum du 5 janvier sur l’adhésion à l’OTAN
a montré que 72,5% de la population étaient en faveur de l’intégration.
Ce soutien massif permet d’expliquer pourquoi le gouvernement géorgien
s’est de tout temps focalisé sur cette question. L’adhésion à l’OTAN
était l’une des priorités de tous les candidats de l’opposition
à la récente élection présidentielle, à une exception près.
68. Ayant achevé le Plan d'action individuel de partenariat (IPAP)
en 2006, la Géorgie est aujourd'hui engagée dans un dialogue intensifié
sur les aspirations d'adhésion (ID). Les responsables géorgiens
rivalisent d’efforts pour que soit entamé un Plan d'action pour
l'adhésion (MAP) susceptible de mettre le pays sur la voie de l’adhésion
à l’OTAN au plus tôt. La volonté géorgienne d'adhérer à l'OTAN a
des conséquences sur le plan intérieur; elle a contribué à consolider
le processus de réforme et encouragé les élites politiques à traiter
les différends internes en évitant le recours à la force. Le Gouvernement
estime également qu'il n'existe pour la Géorgie aucune alternative
positive et viable à l'intégration euro-atlantique et que la candidature
du pays à l'OTAN aura un impact sur d'autres pays de la région.
Elle pourrait, par exemple, constituer un facteur de renforcement
des liens entre l'Ukraine et l'OTAN.
69. De leur côté, les responsables de l'OTAN continuent de souligner
que l'adhésion à l'Alliance est tributaire de la performance et
que la décision des membres de l'OTAN de proposer un MAP à la Géorgie
se fondera sur une évaluation collective des progrès qu'elle aura
accomplis en matière de réformes dans de nombreux domaines.
70. Bien que l'OTAN n'intervienne pas directement dans la question
des conflits gelés et déclare ouvertement que les pays non membres
n'ont aucun droit de véto en matière d'élargissement de l'Alliance, l'intégration
progressive de la Géorgie suscite des préoccupations dans les régions
sécessionnistes et des divergences d'opinion dans les capitales
des Etats membres de l'OTAN. Certains estiment que l'adhésion à l'OTAN
offrirait un cadre positif dans lequel les différends pourront être
réglés pacifiquement. D'autres craignent qu'elle n'ait un impact
négatif sur la résolution des conflits: les deux régions séparatistes
étant fortement tournées vers la Russie, elles souhaiteront de moins
en moins être réintégrées dans une Géorgie devenue membre de l'OTAN.
Si la Géorgie devait rejoindre l'Alliance avant la résolution des
deux conflits, les forces russes de maintien de la paix pourraient
prendre prétexte de cette adhésion pour «protéger» les détenteurs
de passeports russes d'Abkhazie et d'Ossétie du Sud. D'un autre
côté, décourager la Géorgie d'adhérer à l'OTAN serait certainement
perçu dans le pays comme donner de facto un droit de veto à la Russie
.
1.2.3.2. Les relations avec l'Union
européenne
71. L'intégration à l'Union européenne est une priorité
élevée dans le calendrier de politique étrangère du gouvernement
géorgien. Bien qu'il aspire depuis longtemps à rejoindre l'Union
européenne, il reconnaît que les perspectives d'adhésion sont encore
lointaines. Il n'en reste pas moins qu'il souhaite ardemment exploiter les
instruments existants pour associer son pays aussi étroitement que
possible à l'UE et le conduire, à terme, vers l'adhésion.
72. Les relations de la Géorgie avec l'Union européenne se développent
dans le cadre du Plan d'Action pour la politique européenne de voisinage
approuvé le 14 novembre 2006. Le pays a adopté une approche pragmatique
pour faire plein usage de cet instrument afin d'améliorer son intégration
sur les plans économique et réglementaire et de renforcer les échanges
bilatéraux ainsi que les relations économiques avec l'Union européenne.
Le Parlement géorgien prépare l'intégration, là où c'est possible,
des normes juridiques européennes dans le droit géorgien. La Géorgie
espère pouvoir accéder plus largement au marché intérieur de l'UE
et souhaite conclure avec elle des accords de libre-échange, notamment
compte tenu de l'embargo décrété récemment par la Russie.
.
73. S'agissant des perspectives à long terme en matière de relations
bilatérales, le PA PEV prévoit que, lorsque l'Accord de partenariat
et de coopération (APC) UE-Géorgie sera arrivé à son terme, en 2009,
on pourrait envisager la conclusion d'un nouvel accord renforcé
reflétant l'évolution générale des relations bilatérales résultant
de la mise en œuvre du PA PEV.
74. L'Union européenne accorde une attention particulière aux
enjeux sécuritaires en Géorgie et dans la région du Caucase du Sud
en général. La Géorgie demande depuis longtemps une participation
accrue aux structures de maintien de la paix dans les zones de conflit
d'Abkhazie et d'Ossétie du Sud. Des efforts sont actuellement déployés
en vue d'accorder une plus grande importance aux questions de résolution
des conflits dans le cadre de la politique de voisinage de l'Union
européenne. Toutefois, l'UE doit encore élaborer une approche stratégique
de ces conflits et une politique cohérente à l’égard de la Géorgie.
Parallèlement, elle assume un rôle plus important en Abkhazie et
en Ossétie du Sud en devenant le plus important donateur pour ces
régions. Elle soutient le développement économique et la remise
en état des infrastructures (réseaux de distribution d'eau et d'électricité),
ainsi que l'aide à l'éducation et le renforcement des capacités
en liaison avec les ONG locales.
75. La Géorgie est très préoccupée par l'accord sur l’allégement
du régime des visas conclu entre l'UE et la Russie, qui reconnaît
implicitement les passeports délivrés par la Russie dans les régions
séparatistes de Géorgie. Il est aujourd'hui plus facile aux habitants
de ces régions qu'aux Géorgiens de se rendre dans les pays de l'espace
Schengen, ce qui est considéré comme un soutien plutôt malvenu au
séparatisme de la part de l'Union européenne. La Commission européenne
et le Conseil européen devraient donc être encouragés à prendre
sous peu des mesures en vue d'engager des négociations relatives
à un accord similaire entre l'UE et la Géorgie.
76. Un autre point qui contribuerait à accélérer le renforcement
des relations de la Géorgie avec l'UE et la croissance économique
du pays concerne l'accord de libre-échange entre l'Union et la Géorgie
en vue de donner aux exportations géorgiennes accès à l'UE.
77. Un nouveau centre de gravité est apparu dernièrement au sein
de l'UE/OTAN pour ce qui concerne la politique à l'égard des voisins
orientaux de l'Europe, y compris la Géorgie. Huit États membres
de l'Union européenne – les trois États baltes, la Pologne, la Roumanie,
la Bulgarie, la République tchèque et la Suède – ont récemment formé
un groupe dénommé «les Nouveaux amis de la Géorgie»; ces pays ont
décidé de travailler ensemble et individuellement à promouvoir les
objectifs euro-atlantiques de la Géorgie. Les Nouveaux amis viennent
remplacer l'ancien groupe des «Amis des la Géorgie» qui avait été
formé il y a une décennie par les États-Unis, l'Allemagne, le Royaume-Uni
et la France; toutefois, celui-ci a perdu de son efficacité et,
en fin de compte de sa pertinence en admettant la Russie dans ses
rangs et en se réinventant lui-même sous la forme des « Amis de
la Géorgie du Secrétaire Général des Nations Unies ». Réunis les
13 et 14 septembre à Vilnius, les Nouveaux Amis ont soutenu l'objectif
de la Géorgie de progresser vers le MAP de l'OTAN au printemps 2008,
ont lancé un appel en vue d'une meilleure adaptation du PEV à la
performance interne de la Géorgie en matière de réformes ainsi qu'aux
intérêts de l'UE dans la région, notamment en ce qui concerne la
facilitation des voyages et les accords commerciaux et ont souligné
les intérêts communs que sert la résolution des conflits. Avec les
Etats-Unis, les Nouveaux Amis peuvent constituer une masse critique
en vue de l'élaboration de la stratégie et de la politique à l'égard
de la Géorgie.
1.2.3.3. Les relations avec les États-Unis
78. La Géorgie considère les États-Unis comme son principal
allié. Les États-Unis se sont impliqués en Géorgie dans les années
90 en raison de leurs intérêts énergétiques dans la région. Après
les événements du 11 septembre 2001 et la guerre en Irak, la situation
géopolitique de la Géorgie a acquis un intérêt supplémentaire. La
Géorgie a le plus important contingent militaire par habitant en
Irak.
79. Les États-Unis apportent une importante aide militaire et
bon nombre de conseils au Gouvernement géorgien ainsi qu'un ferme
soutien politique pour ce qui a trait à l'intégrité territoriale
de la Géorgie et à ses aspirations à devenir membre de l'OTAN.
80. Les États-Unis soutiennent largement les programmes de réformes
démocratiques, économiques et de sécurité, en mettant l'accent sur
le renforcement des institutions et la mise en œuvre de réformes
durables. Depuis 1991, la Géorgie a reçu de la part des États-Unis
une aide s'élevant à près de 1,7 milliard USD. Elle a également
répondu aux normes rigoureuses donnant droit à l'assistance des
États-Unis dans le cadre du projet «Millenium Challenge». Le 12
septembre 2005, la Géorgie a signé avec la «Millenium Challenge
Corporation», un contrat pour un programme d'aide financière sur
cinq ans d'un montant de 295,3 millions USD. Ce programme vise à
galvaniser le développement économique en soutenant les infrastructures
régionales, le développement des entreprises et les initiatives
de lutte contre la pauvreté. Il vise également à soutenir la transition
démocratique en Géorgie et à faciliter la mise en œuvre des réformes
économiques et sociales.
1.2.3.4. Les relations avec la Fédération
de Russie
81. Les tensions avec la Russie constituent, pour la
Géorgie, un problème politique permanent. Elles reflètent le profond
fossé qui s'est creusé au cours des dernières années entre les deux
pays en matière d'aspirations politiques et économiques, de compréhension
de l'interdépendance mutuelle et de résolution des conflits gelés.
82. Le soutien que la Russie accorde depuis des années aux républiques
sécessionnistes d'Abkhazie et d'Ossétie du Sud a été la principale
épine dans les relations russo-géorgiennes, et ce d'autant plus
que la Géorgie sait que toute reprise de contrôle des régions séparatistes
implique nécessairement le consentement de la Russie. L'intransigeance
de la Russie à cet égard, qui se traduit notamment par la délivrance
de passeports russes aux citoyens géorgiens vivant dans ces régions,
ainsi que le lien établi par la Russie entre le statut définitif
du Kosovo et les aspirations sécessionnistes dans les deux régions
séparatistes ont également contribué à accroître les tensions entre
Tbilissi et Moscou.
83. La ferme aspiration de la Géorgie à adhérer à l'OTAN constitue
la principale source de contrariété pour la Russie qui ne manque
aucune occasion de condamner l'orientation de la Géorgie en matière
de politique étrangère et de répéter que l'adhésion du pays à l'OTAN
aurait des retombées négatives à long terme
. La Géorgie voit
dans la réticence des dirigeants russes à accepter le passage de
sa politique étrangère d'est en ouest et notamment le resserrement
de ses liens avec les structures européennes et euro-atlantiques,
une menace pour son indépendance et sa souveraineté. Elle craint
qu'en engageant des actions visant à déstabiliser son économie encore
fragile et en affirmant à ses partenaires européens et américains
que ce petit pays s'apprête à régler ses conflits gelés par la force
armée, les autorités russes ne parviennent à saper la crédibilité
de la Géorgie en tant que partenaire fiable et de renforcer l'impression
qu'elle est un «satellite docile et faible»
.
84. De fait, les différentes mesures punitives et sanctions économiques
décrétées unilatéralement par la Fédération de Russie à l'encontre
de la Géorgie en 2006-2007 ont confirmé ces craintes. Depuis décembre 2006,
les autorités russes ont imposé toute une série d'embargos sur les
fruits et légumes, les vins, le brandy et même l'eau minérale en
provenance de Géorgie, au motif que ces produits ne satisfaisaient
pas aux normes sanitaires applicables en Russie. Le caractère politique
de ces embargos est démontré par l'adoption, le 21 mars 2005, par
la Douma, d'une résolution abolissant ces restrictions pour le segment
abkhaze de la frontière russo-géorgienne
.
85. A la suite de l'expulsion, en septembre 2006, de cinq officiers
des services de renseignements russes, qui a entraîné la rupture
des relations diplomatiques et la fermeture des frontières en octobre
2006, la Russie a coupé toute communication par air, route, mer
et chemin de fer, toute liaison postale et tout transfert de fonds avec
la Géorgie et lancé une grande campagne contre les ressortissants
géorgiens vivant en Russie, les expulsant massivement du pays. Grâce
à l'intervention diplomatique de plusieurs organisations internationales,
on a pu éviter une nouvelle escalade et, en janvier 2007, l'ambassadeur
de Russie est revenu à Tbilissi. Toutefois, les sanctions économiques
sont maintenues et la frontière est encore largement fermée
. Après le rétablissement partiel,
en mai, de la délivrance de visas aux Géorgiens ayant de la famille
en Russie, le Gouvernement a assoupli une nouvelle fois le régime
de visas en juillet en vue de stabiliser les relations bilatérales.
Néanmoins, le plus important groupe de personnes souhaitant obtenir
un visa – les touristes – reste exclu de ces dispositions
.
86. Le 26 mars, la Géorgie a saisi la Cour européenne des Droits
de l'Homme d'une requête contre la Fédération de Russie pour violation
des droits des Géorgiens de souche expulsés de Russie en 2006
.
87. La réticence de la Russie à considérer la Géorgie comme une
voie alternative pour l'acheminement d'énergie vers l'Europe occidentale
est sans aucun doute la troisième cause majeure du conflit qui sévit actuellement
entre les deux États et qui risque de s'aggraver à l'avenir. Les
tactiques de Moscou qui consistent à interrompre la fourniture d'énergie,
mettant à mal l'économie géorgienne par le biais d'embargos ou de hausses
du prix du gaz n'ont pas eu pour effet d'obliger Tbilissi à céder
à Gazprom la partie du gazoduc Nord-Sud dont elle est propriétaire
(contrairement à sa voisine, l'Arménie). La récente décision de
la Russie de doubler le prix du gaz qu'elle fournit à la Géorgie
a plutôt incité cette dernière à réorganiser rapidement ses marchés
de l'énergie et à moderniser son propre potentiel d'acheminement
de l'énergie
.
La Russie conduit une politique énergétique différente à l'égard
des régions séparatistes d'Abkhazie et d'Ossétie du Sud. En décembre
2006, Gazprom a démarré la construction d'un gazoduc en Ossétie
du Nord, déclenchant les vives protestations de Tbilissi. D'un coût
de 15 milliards de roubles (plus de 580 milliards USD), selon certaines sources,
le gazoduc entre Dzuarikau en Ossétie du Nord et Tskhinvali, la
capitale séparatiste d'Ossétie du Sud, court sur 163 Km et pourra
fournir plus de 252,5 millions m3 de
gaz par an
.
88. Pour conclure sur une note positive, il convient de mentionner
que la Russie a enfin honoré dans une large mesure l'engagement
qu'elle avait contracté à l'égard du Conseil de l'Europe; ainsi
a-t-elle retiré sa garnison de Tbilissi et évacué les bases d'Akhalkakali
et de Batumi – et ce, avant même le délai fixé dans une Déclaration
commune du 30 mai 2005. Conformément aux engagements inscrits dans
le Traité sur les forces conventionnelles en Europe (FCE) du Sommet
d'Istanbul (1999), la base militaire de Gudauta (près de Sukhumi)
a dû être fermée le 1er juillet 2001.
Néanmoins, la question reste en suspens, la base continuant d'être
utilisée par les forces de maintien de la paix de la CEI sans cadre
juridique.
1.2.3.5. Les relations avec les organisations
régionales
89. Récemment, les relations avec la CEI se sont tendues.
Depuis plus d'un an maintenant, la Géorgie se montre critique à
l'égard de l'organisation. Selon plusieurs responsables gouvernementaux,
la CEI a perdu à la fois son sens et son objectif et représente
une communauté de valeurs à laquelle la Géorgie ne souhaite guère
adhérer. Le pays a, à plusieurs reprises, annoncé son intention
de se retirer de la CEI
; mais, étant donné que les sommets
de l'organisation offrent une plate-forme pour les contacts et les
échanges avec les États voisins, et notamment avec la Russie, il
semble peu probable que la Géorgie s'engage dans un tel processus
dans un proche avenir.
90. Parallèlement, le GUAM
constitue pour la Géorgie une
alternative plus conforme à ses aspirations en matière de politique
étrangère, car il préserve les relations et promeut l'intégration
avec quelques États de la CEI partageant son état d'esprit. En mai
2006, les chefs des États membres du GUAM ont annoncé que le groupe
chercherait à mieux s'intégrer à l'Ouest. En décembre 2006, les
représentants militaires de l'Ukraine auraient, selon certaines
informations, annoncé qu'une force de maintien de la paix du GUAM
serait mise en place début 2007 en vue de soutenir les opérations
de maintien de la paix des Nations unies. A la même occasion, les
ministres des Affaires étrangères des membres du GUAM ont publié
une déclaration commune dans laquelle ils en appellent à la Russie
pour qu'elle s'abstienne d'actions unilatérales contre la Géorgie
et soutiennent l'installation de forces internationales dans les
régions séparatistes.
1.2.4. Structure d’État et sécurité
91. Il est impossible de bâtir une démocratie durable
en l’absence de sécurité. La Géorgie soutient avoir mis en œuvre
des programmes largement démocratiques face à un gouvernement russe
ouvertement hostile, qui a fermé ses frontières avec le pays et
tenté sans cesse de l’intimider par des manœuvres telles que des attaques
de missiles. La contestation par la Russie de la structure d’Etat
géorgienne a donné naissance à un état de crise permanent et généré
une mentalité d’assiégé dans le pays. Bâtir une démocratie solide
dans ces conditions est à l’évidence une tâche ardue.
92. Dans ces circonstances, il n’est pas étonnant que la fragile
démocratie géorgienne ait commis des erreurs. Bien que le facteur
« Russie » ait probablement été grossièrement exagéré lors du déclenchement
de la crise en novembre 2007, le bras de fer permanent avec la Russie
et les tensions actuelles dans l’arène politique internationale
ne font que contribuer à augmenter l’instabilité en Géorgie.
93. Pourtant, les réactions occidentales, et notamment européennes,
à divers actes d’agression ont été faibles, voire inexistantes.
Les gouvernements occidentaux doivent reconnaître que leur refus
de s’engager avec la Géorgie sur une base sérieuse en matière de
sécurité entrave le développement du pays et porte ainsi atteinte
à l’intérêt de l’Europe à la stabilité de ses voisins orientaux,
qui constituent désormais une voie de communication importante pour
les ressources énergétiques de la Caspienne. Dans ce contexte, construire une
Géorgie démocratique et stable ne sera possible que si l’Europe
est prête à investir davantage dans la sécurité et la stabilité
du pays. Cela implique de soutenir en permanence les réformes intérieures
du pays, de porter plus d’attention à la résolution des conflits
sécessionnistes et de faciliter son intégration dans les structures
euro-atlantiques
.
2. Adhésion aux normes
et instruments du Conseil de l'Europe
2.1. Signature et ratification des
conventions du Conseil de l'Europe
94. Depuis l'adoption de la
Résolution 1477 (2006) en janvier 2006, les autorités géorgiennes ont déployé des
efforts importants pour mettre en œuvre les obligations et engagements
de la Géorgie à l'égard du Conseil de l'Europe. A cette fin, elles
ont ratifié la Convention-cadre sur les minorités nationales (STE
n° 157, entrée en vigueur le 1er avril 2006
) et la Convention-cadre européenne
sur la coopération transfrontalière des collectivités ou autorités
territoriales (STE n° 106, entrée en vigueur le 25 octobre 2006).
95. Le dernier engagement formel contracté par la Géorgie lors
de l'adhésion au Conseil de l'Europe est la signature et la ratification
de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires et
le délai – tel qu'indiqué dans la
Résolution 1415 (2004) – a expiré en septembre 2005. En dépit des promesses
du gouvernement géorgien annonçant en janvier 2007 que la Charte
serait signée puis ratifiée par le parlement à l'automne 2007
, aucun véritable
effort en ce sens ne semble avoir été engagé depuis. M. Nikoloz Vashakidze,
vice-ministre des Affaires étrangères, nous a déclaré que ce retard
était dû à l'élaboration d'un concept national des minorités.
96. Nous sommes convaincus que la ratification et l'application
de la Charte des langues régionales ou minoritaires ne mettent aucunement
en danger l'intégrité territoriale de la Géorgie, contrairement
à ce qu'affirment parfois certains dirigeants nationaux. Au contraire,
l'incapacité à résoudre de façon adéquate ces questions et à protéger
les droits et, en particulier, les droits linguistiques des minorités
nationales risque d'exacerber les tensions entre les minorités et
la majorité et de mettre en danger, par conséquent, la stabilité du
pays. C'est pourquoi nous recommandons
au parlement géorgien d'accélérer le processus de ratification de
la Charte. Nous rappelons aussi aux autorités géorgiennes que, contrairement
à nombre des 25 États membres du Conseil de l'Europe qui n'ont pas
encore ratifié la Charte, la Géorgie s'est engagée volontairement
à la signer et à la ratifier lors de son adhésion en 1999.
97. Nous invitons également les autorités géorgiennes à accélérer
d'une manière générale la ratification des instruments du Conseil
de l'Europe. En huit années d'appartenance, la Géorgie n'a ratifié
que 52 des 200 traités du Conseil de l'Europe. Pendant la période
couverte par ce rapport, seules trois nouvelles ratifications
sont intervenues et aucun traité n'a
été signé. Huit conventions sont signées mais non ratifiées.
2.2. Coopération juridique avec
le Conseil de l'Europe
98. La Géorgie entretient d'excellentes relations de
travail avec les différents organes et directions du Conseil de
l'Europe. Elle a largement bénéficié des programmes d'aide de l'Organisation
et, en particulier, de ceux qui visent à mettre la législation du
pays en conformité avec les normes européennes. Le Plan d'action sur
la Géorgie, adopté en 2005, est en cours d'application.
99. Pendant la période soumise à évaluation, la coopération efficace
menée avec le Conseil de l'Europe a contribué à l'adoption de la
stratégie et du plan d'action pour la lutte contre la corruption,
de la loi sur le rapatriement des personnes déportées hors de Géorgie
par l'ex‑URSS pendant les années 1940 (rapatriement des Turcs meskhètes),
de la loi sur la restitution des biens et le dédommagement sur le
territoire de la Géorgie des victimes du conflit dans l'ex-district
d'Ossétie du Sud, de la nouvelle loi sur l'aide juridictionnelle,
de la loi sur l'autonomie locale et de la loi sur l'interdiction
des communications unilatérales.
100. Un certain nombre de codes de déontologie, notamment celui
de la police, des procureurs, des avocats et des radiodiffuseurs,
ont été élaborés en coopération avec le Conseil de l'Europe.
101. La Direction des institutions démocratiques du Conseil de
l'Europe a soutenu activement le processus de réforme de l'autonomie
locale en Géorgie en réalisant une expertise juridique de plusieurs
projets ou amendements législatifs nouveaux, en particulier: le
projet de loi sur les biens des municipalités, le projet de loi
sur le budget des collectivités locales, le document d'orientation
sur la réforme administrative et territoriale, la loi amendant et
complétant le texte de loi sur la capitale de la Géorgie (Tbilissi),
le projet de loi sur la supervision des activités des organes de
l'autonomie locale, la loi organique révisée sur l'autonomie locale, etc.
Les amendements nécessaires pour mettre la loi organique sur l'autonomie
locale en conformité avec les recommandations du Conseil de l'Europe
sont en cours d'élaboration. Le Conseil de l'Europe, en outre, a terminé
récemment l'évaluation, effectuée à la demande du Conseil de sécurité
de Géorgie, du projet de loi sur le développement régional et le
document d'orientation sur la planification et la mise en œuvre
du développement régional en Géorgie.
102. L'expertise de la Commission de Venise a été sollicitée pour
l'examen d'un certain nombre de projets de loi, dont le projet de
loi sur la restitution des biens et le dédommagement sur le territoire
de la Géorgie des victimes du conflit dans l'ex‑district d'Ossétie
du Sud
,
les amendements au code électoral (avis conjoints OSCE/BIDDH)
, le projet de loi
sur l'amendement de la constitution
et la loi sur la responsabilité
et les poursuites disciplinaires des juges des tribunaux ordinaires
. La Commission conseille actuellement
les législateurs géorgiens sur de nouvelles modifications au code
électoral.
103. Ces dernières années, le parlement géorgien s'est lancé dans
un véritable marathon d'adoption de textes de loi afin de respecter
le calendrier des réformes législatives. Nous comprenons parfaitement
qu'une grande partie de la législation ait dû être adoptée dans
des délais très courts, peu favorables à la réflexion et à un débat
parlementaire ou public approfondi. Néanmoins, nous constatons une
nouvelle fois que les réformes continuent à être menées par un cercle
très étroit de dirigeants politiques qui partagent les mêmes idées
et non par un large éventail de personnes reflétant les riches potentialités
du pays. Ceci ne favorise chez les parlementaires ni une attitude
de responsabilité, ni une véritable appropriation de la législation.
104. Une source fréquente de frustration pour les experts du Conseil
de l'Europe désireux d'aider la Géorgie est le fait que la législation
soit souvent soumise pour expertise par les autorités après son
adoption, ce qui nécessite ensuite d'interminables modifications
pour la rapprocher des standards européens. Récemment, plusieurs
textes législatifs importants n'ont été envoyés à certains organes
du Conseil de l'Europe comme la Commission de Venise qu'après la
première lecture, puis ont été adoptés quelques jours plus tard
ou après qu'eut été rendu l'avis juridique, mais sans tenir compte
de ce dernier. A cet égard, nous encourageons les autorités à envoyer
immédiatement à l'Organisation pour évaluation par des experts tous
les textes de loi relevant des compétences du Conseil de l'Europe.Il serait aussi hautement souhaitable que
les experts du Conseil de l'Europe soient consultés dès l'étape
d'élaboration des textes de loi car ceci assurerait d'emblée une
haute qualité au processus législatif et permettait aussi d'économiser
un temps précieux.
105. L'expérience d'autres États membres qui se sont soumis à la
procédure de suivi de l'Assemblée montre l'importance essentielle
de l'expertise juridique du Conseil de l'Europe pour une adaptation
sans heurt de la législation aux normes européennes, y compris celles
qui découlent de l'acquis communautaire de l'Union européenne.
3. Institutions démocratiques
3.1. Changements constitutionnels
106. Les modifications apportées à la Constitution géorgienne
ont longtemps fait l'objet de discussions approfondies. Les présidents
successifs n'ont adopté de nouvelles constitutions «pour le bien
de la population» que pour s'apercevoir par la suite que le résultat
était tout autre en réalité.
107. Immédiatement après l'élection du Président en février 2004,
de nouvelles modifications ont été apportées à la constitution en
vue de rétablir la fonction de Premier ministre. En vertu de cette
Constitution, le Président nomme le Premier ministre, qui, à son
tour, désigne les ministres de l'Intérieur et de la Défense. Il
a également le droit de nommer un Cabinet des Ministres, si celui-ci
se voit refuser à trois reprises le soutien du parlement. Il peut
même dissoudre le parlement, si celui-ci refuse les projets de budget
de l'Etat. Il est investi de pouvoirs illimités pour dissoudre le
gouvernement. Les amendements de 2004 prévoient également que le Président
préside le Conseil suprême de la Justice et nomme et révoque les
juges «en vertu de la constitution et de la loi organique». La Commission
de Venise, qui avait examiné ces amendements avant leur adoption, avait
conclu qu'ils n'étaient pas pleinement conformes à un «modèle semi-présidentiel»
en raison du maintien de pouvoirs considérables au Président
. Il
n'a pas été donné suite aux recommandations de la Commission.
108. En février 2005, de nouvelles modifications ont été apportées
à la constitution, concernant la diminution du nombre total de sièges
au Parlement monocaméral passé de 235 à 150. Selon cet amendement,
cent députés seront élus au scrutin proportionnel de liste de parti
et cinquante autres, au scrutin majoritaire à un tour. L'amendement
s'appliquera aux prochaines élections législatives prévues en 2008.
Le ministère géorgien de la Justice ayant invité la Commission de
Venise à formuler ses observations sur le projet de loi portant modification
de la constitution, celles-ci ont été présentées sous la forme d'un
avis conjoint avec l'OSCE/BIDDH en décembre 2004. Dans ce cas également,
les recommandations de la Commission n'ont pas été prises en considération.
109. En janvier 2006, l'Assemblée a demandé aux autorités géorgiennes
de «revoir les changements constitutionnels de février 2004, en
tenant compte de l'avis de la Commission européenne pour la démocratie par
le droit (Commission de Venise), notamment en ce qui concerne les
pouvoirs considérables du Président».
110. Le 27 décembre 2006, de nouveaux amendements à la constitution
ont été adoptés, que le Président a promulgués le 10 janvier 2007.
En vertu de ces amendements, ce n'est plus le Président de la République (mais
le président de la Cour suprême) qui préside le Conseil supérieur
de la Justice; il n'a plus non plus le droit de nommer ou de révoquer
les juges. En outre, alors que la constitution permettait jusque
là au Président de dissoudre maintes fois le parlement, le nouvel
amendement ne l'autorise à le faire que deux fois. Cette mesure
marque sans aucun doute une avancée positive.
111. De plus, un amendement a introduit la tenue simultanée d'élections
présidentielles et législatives entre octobre et décembre 2008.
Cet amendement a prorogé le mandat du parlement en place (du moins
des législateurs élus par le biais du système de listes présentées
par les partis) d'au moins six mois et réduit celui du Président
de trois voire six mois
.
Les législateurs du parti au pouvoir ont avancé que ces élections simultanées
étaient nécessaires pour des raisons de politique étrangère, en
ce qu'elles seront considérées comme un référendum d'approbation
des mesures prises par les autorités face à l'accentuation des pressions de
la Russie sur le pays
.
112. Les partis de l'opposition ont contesté l'adoption précipitée
des amendements, et notamment de la disposition prévoyant la tenue
simultanée d'élections présidentielles et législatives; selon eux
en effet, la prorogation du mandat du parlement en place, une première
en la matière, créerait un précédent négatif. En octobre-novembre,
les partis de l'opposition ont intensifié leur action pour la tenue
d'élections législatives en avril au lieu de fin 2008. Le 8 novembre,
le Président a annoncé la tenue d'élections anticipées et d'un référendum
sur cette question. Plus de 60% des électeurs se sont déclarés favorables
à la tenue des élections en avril 2008.
113. Le 22 novembre, le Parlement a adopté des modifications du
Code électoral, concrétisant l’accord conclu par la majorité et
l’opposition pour abaisser le seuil de représentativité de 7% à
5% et remplacer le système majoritaire par un système proportionnel.
D'autres amendements à la constitution sont attendus pour abaisser
le seuil de représentativité. Nous avons noté que ce seuil avait
été porté de 5% à 7% sous le Président Chevardnadze en 1999. Dans
les huit dernières années, ce seuil élevé a entravé le développement
des parties d’opposition et ne les a pas incité à s’unir pour constituer
une plate-forme politique plus forte.
114. Le 28 décembre, le Parlement a présenté un projet d’amendement
à la Constitution qui rendrait contraignant les résultats du référendum
sur le calendrier des élections législatives.
115. Nous recommandons vivement aux autorités géorgiennes d'associer
la Commission de Venise, en tant que premier organe européen compétent
en matière constitutionnelle, à la rédaction de tout amendement constitutionnel
ou d'une nouvelle constitution, et ce, dès le début des travaux.
3.2. Création d'une deuxième chambre
parlementaire
116. Même s'il est généralement admis qu'une telle mesure
permettrait de développer plus avant le système de freins et contrepoids,
en l'absence d'avancées dans le règlement des conflits en Abkhazie
et en Ossétie du Sud, la question reste en suspens.
117. Le Président et le ministre d’État chargé du règlement des
conflits nous ont assuré que les autorités géorgiennes étaient disposées
à accorder la plus large autonomie possible, et notamment à créer
une deuxième chambre parlementaire. Le président du parlement de fait de Tskhinvali a reconnu
en outre que la partie géorgienne était disposée à leur offrir ce
qui avait été demandé au début des années 1990; nous estimons toutefois
qu'il n'y a guère lieu de s'attendre à des progrès notables dans
un proche avenir.
3.3. Réforme électorale
118. Depuis la « révolution des roses », on estime que
dans l'ensemble les élections sont libres et, hormis quelques irrégularités
mineures, qu'elles se déroulent conformément aux normes internationalement reconnues.
Venir à bout d'une fraude électorale sévissant à grande échelle
et jusqu'ici endémique constitue pour la Géorgie une réalisation
majeure eu égard à ses normes démocratiques. Cela étant, la législation électorale
est encore susceptible d'être améliorée et la concurrence politique
n'est guère importante à ce jour, malgré l’environnement compétitif
de la récente élection présidentielle.
119. Au cours des années passées, les partis politiques d’opposition
et les autorités géorgiennes ont tenu un débat sérieux sur la nécessité
d’améliorer les principes et les procédures inscrites dans le Code
électoral de la Géorgie, notamment les questions liées aux principes
de représentativité et de transparence. Le gouvernement a engagé
des discussions sur ces points. En octobre 2005, le Parlement de
la Géorgie a demandé à la Commission européenne pour la démocratie
par le droit (Commission de Venise) d’émettre un avis sur le Code
électoral géorgien. Le 19 décembre 2006, la Commission de Venise
et le Bureau de l’OSCE pour les institutions démocratiques et les
droits de l’homme (BIDDH) ont publié un avis conjoint sur le Code électoral
de la Géorgie, tel qu’amendé au 24 juillet 2006.
120. Le processus de négociation a été très actif au cours des
années 2006-2007 et les amendements législatifs devaient être adoptés
bien avant les élections législatives de 2008, comme prévu par la
Constitution géorgienne. Le Code de bonne conduite en matière électorale
de la Commission de Venise souligne que les modifications importantes
de la législation électorale doivent être effectuées au plus tard
un an avant les élections. Dans ces circonstances, nous avons dans
le premier projet de rapport invité instamment les autorités géorgiennes
à modifier le Code électoral avant la fin de cette année, notamment
en ce qui concerne l'abaissement du seuil de représentativité, la
mise en place de garanties pour l'indépendance de l'administration
électorale et l'amélioration du système de réclamations et de recours.
Dans l'intervalle, la tenue le 5 janvier d'une élection présidentielle
anticipée a été annoncée. Toutefois, sous la pression de l'agitation politique
du début du mois de novembre, d'importants changements ont été une
fois encore entrepris dans le système électoral un mois à peine
avant l’élection.
121. Le 22 novembre, le Parlement a voté et adopté en troisième
lecture des modifications du Code électoral. Elles portent notamment
sur la composition de l'administration électorale et la répartition
des pouvoirs, les dispositions juridiques relatives aux premier
et second tours des élections présidentielles, le nombre de signatures
nécessaires à la nomination d'un candidat, la règle régissant la
création et la taille des circonscriptions électorales, les listes
électorales supplémentaires, la répartition du temps d'antenne entre
les différents sujets électoraux et autres questions d'ordre technique.
122. Suite à une série de discussions avec les partis de l'opposition,
le gouvernement a convenu des demandes visant à remplacer le système
électoral majoritaire actuel en place pour le Parlement par un système
électoral fondé sur la représentation proportionnelle. Certains
parlementaires seront élus selon un système de listes présentées
par les partis à l'échelon national et d'autres sur la base de listes
présentées au niveau régional. Ce changement met ainsi fin au système
précédent et hautement contesté qui imposait l'élection d'un tiers
des membres du Parlement au scrutin uninominal à un tour.
123. Le 15 novembre, le Parlement a exprimé un premier avis favorable
aux amendements constitutionnels permettant un abaissement du seuil
de représentativité au Parlement de 7% à 5%. Ces amendements ont
été soumis à un débat public durant un mois et devraient désormais
être adoptés sans plus attendre. Nous nous félicitons du fait que
les autorités remplissent partiellement cette demande de longue
date de l’Assemblée.
124. En vue des prochaines élections législatives, fixées au printemps
2008, nous espérons que ces modifications seront transposées dans
la loi dans les meilleurs délais.
3.4. Réforme de l'autonomie locale
3.4.1. Législation
125. La Géorgie est un État partie à la Charte européenne
de l'autonomie locale depuis le 1er avril
2005. Vers la fin de la même année, elle a lancé un programme général
de décentralisation. À l'époque de l'adoption du rapport précédent,
en janvier 2006, la Commission d’État sur la décentralisation
et le parlement procédaient à la
rédaction ou à la modification de plusieurs lois, notamment de la
Loi organique relative à l'autonomie locale, qui constitue, avec
le Code électoral, la législation fondamentale en la matière. Cette
législation comprend également un projet relatif au contrôle des
activités des collectivités locales et à la participation des citoyens.
Le Conseil de l'Europe a pris une part active à la rédaction de
ces textes.
126. À cette époque, le Parlement géorgien et les experts du Conseil
de l'Europe ont proposé un calendrier selon lequel la plupart de
ces lois seraient adoptées avant la fin du mois de juin 2006. Les
autorités ont estimé qu'il faudrait environ cinq ans pour mettre
pleinement en œuvre la stratégie de décentralisation. Les élections locales
d'octobre 2006 devaient être le premier véritable test pour la démocratie
locale.
127. Les mesures de décentralisation sont cependant toujours en
cours d'examen au parlement. La loi relative à l'autonomie locale
et le projet de loi sur le budget des collectivités locales ont
été adoptés mais le projet de loi sur la participation des citoyens
aux activités des collectivités locales est toujours en suspens
.
128. La Loi relative au transfert de biens de l'Etat aux collectivités
locales a été adoptée en mars 2005. Des ressources importantes ont
été transférées du pouvoir central aux collectivités locales. Selon
l'USAID, qui a participé à la mise en œuvre de la loi, cette initiative
a permis d'améliorer l'efficacité de gestion des ressources locales
et de renforcer la transparence de l'administration
.
Grâce aux ressources supplémentaires dont elles disposent désormais,
les collectivités locales seront en mesure de définir des programmes
générateurs de recettes au niveau des districts.
129. D'après un rapport récent du CPLRE
,
un certain nombre d'évolutions positives en termes de démocratie
locale sont intervenues en Géorgie depuis la ratification de la
Convention européenne sur l'autonomie locale. Pourtant, il reste
encore beaucoup à faire pour garantir le respect total de la Charte
et d'autres normes du Conseil de l'Europe.
130. L'un des principaux problèmes de la réforme de l'autonomie
locale en Géorgie est la faiblesse des ressources financières d'un
grand nombre de districts et collectivités locales. Grâce à la nouvelle
loi sur l'autonomie locale qui entre en vigueur, certains problèmes
devraient disparaître, et les collectivités locales devraient parvenir
à une certaine viabilité financière. Une formule spéciale a été
mise au point pour assurer la répartition des finances entre les
collectivités locales. Les budgets municipaux sont élaborés sur
la base des revenus per capita de chaque municipalité, puis ajustés
par des transferts de compensation provenant du budget central.
Une municipalité disposant de revenus per capita supérieurs à la
moyenne nationale ne peut prétendre à ces transferts de compensation.
Dans celles dont les revenus per capita sont inférieurs à la moyenne
nationale, le nombre de résidents est multiplié par la différence
entre cette moyenne nationale et les revenus per capita effectifs
de la municipalité. Le chiffre ainsi obtenu est soumis ensuite à
un coefficient de correction pour les régions montagneuses ou les
zones à faible densité de population. Ces municipalités perçoivent
une subvention du budget central qui ne peut être inférieure à 70%
du résultat de la formule évoquée ci-dessus. Enfin, il convient
de consolider l'infrastructure locale afin de donner aux pouvoirs
locaux la possibilité de mieux administrer leurs municipalités.
131. Nous constatons que le pouvoir central exerce toujours un
contrôle considérable à l'échelon local. En raison notamment de
leur manque de professionnalisme, d'expertise et de capacité technique,
les collectivités locales continuent de se heurter à des difficultés
de gestion. Ces circonstances forment le terreau de la corruption,
qui reste un problème préoccupant à l'échelon local.
3.4.2. Mise en œuvre de la réforme
132. Le rapport de suivi de 2005 saluait la volonté des
autorités géorgiennes d'accélérer la réforme de l'autonomie locale.
Il appelait l'attention sur plusieurs éléments positifs mis en avant
par les experts du Conseil de l'Europe, comme la réduction du nombre
de communes, la démarche simple et objective adoptée pour la mise
en œuvre de la réforme, la transparence de l'attribution des pouvoirs
et des fonctions, etc. Il invitait cependant les autorités géorgiennes
à se garder d'adopter les nouvelles lois par trop rapidement et
de précipiter la mise en œuvre de la réforme alors que sa conception
devait encore être revue conformément aux recommandations du Conseil
de l'Europe. Il conseillait au gouvernement géorgien de ne pas fixer
le calendrier d'élaboration de la réforme territoriale uniquement
en fonction de la date des prochaines élections locales; en dépit
des bonnes intentions qui l'animent, la réforme risque fort d'avoir
un effet perturbateur et par là même d'être en définitive inefficace
. Il
appelait également les autorités à consulter davantage les collectivités locales
et l'ensemble de la population, et à régler au préalable les questions
fondamentales de l'étendue des pouvoirs et des fonctions qui seront
«délégués» ou «transférés» aux collectivités locales.
133. D'après le récent rapport de l'ONG Freedom House, intitulé Freedomin
the World 2007:Nations in Transit,
la création de nouvelles instances locales a commencé après les
élections locales d'octobre 2006. Elles ont été mises en place au
niveau des districts, ainsi que dans les six plus grandes villes
de la Géorgie et dans la capitale Tbilissi, qui seront gérées par
des conseils élus au niveau local qui disposeront de leurs propres
ressources. Les municipalités ont été dotées de tous les pouvoirs
et ressources nécessaires à la mise en œuvre de leurs compétences,
conformément à la Charte européenne de l'Autonomie locale et aux meilleures
pratiques internationales.
3.4.3. Commission d’État sur la décentralisation
134. Le rapport de 2006 regrettait que la question de
la Commission d’État sur la décentralisation ait été laissée de
côté lors de la présentation au parlement de sujets essentiels comme
la révision de la Loi sur Tbilissi et du Code électoral national.
Il demandait instamment aux autorités de reconnaître – non seulement
sur le papier, mais aussi dans la pratique – la fonction de coordination
qu'assume la Commission d’État, ainsi que son rôle de tribune pour
un dialogue institutionnel. Il demandait aussi de lui conférer une
véritable autorité et de la doter des moyens nécessaires pour diriger
l'élaboration et la mise en œuvre de la stratégie de décentralisation. Nous notons avec satisfaction que cette
requête a été prise en considération et que le rôle de la Commission
a été considérablement étendu depuis 2006.
135. Le secrétariat de la Commission d’État
créé
en avril 2006 grâce à un financement du PNUD et de l'Urban Institute
(institut d'aménagement et d'urbanisme) a pour mission de garantir
la viabilité à long terme de la réforme. Il a son propre siège et
comprend un directeur exécutif et une équipe d'experts et d'assistants administratifs
tous employés à plein temps. Le Conseil de l'Europe l'assiste dans
la rédaction et la mise en œuvre de son plan d'action.
3.4.4. Élection du maire de Tbilissi
136. Avant l'adoption de la loi sur l'autonomie locale
en 2005, les maires des villes de Tbilissi, Poti et Batoumi étaient
nommés directement par le Président, alors que les maires du reste
du pays étaient élus par les habitants. Le maire de Tbilissi n'avait
donc pas le statut de représentant élu. Une telle procédure de désignation
allait à l'encontre de l'article 3.2 de la Charte européenne de
l'autonomie locale. Le 16 février 2005, la Cour constitutionnelle
a établi que cette procédure violait également les principes de
la constitution.
137. Le 1er juillet 2005, le parlement
a approuvé en troisième et dernière lecture la proposition de loi
soutenue par le gouvernement sur l'élection du maire de Tbilissi.
La nouvelle loi prévoit l'élection de 37 membres du sakrebulo (conseil
municipal): 25 au scrutin majoritaire, et 12 autres selon le système
dit de la «liste compensatoire» entre les partis ayant obtenu 4%
des voix sur l'ensemble des 10 circonscriptions de la capitale. Le
conseil municipal élira ensuite le maire parmi ses 37 membres pour
un mandat de quatre ans à la majorité des deux tiers des votes.
Contrairement à ce qui se passe dans d'autres communes , l'électeur
ne dispose que d'une seule voix (et non de deux voix distinctes,
l'une pour le scrutin majoritaire, l'autre pour le scrutin proportionnel).
138. Les premières élections selon ce nouveau système se sont déroulées
en octobre 2006. Le maire sortant, M. Giorgi Ougoulava, (nommé par
le Président en juillet 2005) a été élu.
4. Prééminence du droit
4.1. Réforme du système judiciaire
139. Depuis qu'en juillet 2005, le «concept» relatif à
l'organisation du système judiciaire a été approuvé par décret présidentiel,
la Géorgie a accompli des progrès significatifs dans la transformation
d'une bureaucratie judiciaire corrompue en un appareil judiciaire
européen moderne. À bien des égards, il nous semble que la réforme
judiciaire en Géorgie – bien qu’encore au stade initial de sa mise
en œuvre - a progressé plus rapidement et avec des objectifs plus
clairs que dans de nombreuses autres sociétés en mutation d'Europe centrale
et orientale, dont certaines sont aujourd'hui membres de l'Union
européenne.
140. Conformément au «concept» et au plan d'action ultérieurement
établi par le Gouvernement, le principal objectif de cette réforme
en profondeur est de créer un système judiciaire fort, indépendant
et efficace pour remplacer l'appareil judiciaire en place, largement
corrompu, partial et excessivement mal administré. La réforme concerne
l'organisation du système judiciaire, ainsi que le renforcement
de la mission du conseil supérieur de la justice et des moyens à
la disposition de l'école supérieure de la magistrature. Depuis
2005, le Gouvernement a affecté plus de 560 millions USD à la modernisation
du système judiciaire géorgien et aux efforts visant à placer le
pays sur le chemin du droit établi conformément aux normes démocratiques européennes.
141. La
Résolution 1477 de l'Assemblée, adoptée en janvier 2006, appelait les
autorités géorgiennes à mener à terme la réforme de l'appareil judiciaire
et à veiller au respect des garanties constitutionnelles et législatives
relatives à l'indépendance des membres de la Cour suprême et de
la Cour constitutionnelle; à garantir la mise en place d'un système
transparent et démocratique de remplacement des juges; à assurer l'indépendance
et le haut niveau de professionnalisme de la nouvelle génération
de magistrats; et à veiller à la réussite de la mise en route et
du fonctionnement de l'école supérieure de la magistrature
.
4.1.1. Réforme des tribunaux
142. La réorganisation systémique de l'appareil judiciaire
est en cours, et sa phase initiale, fondamentale, l'introduction
d'une succession hiérarchisée de juridictions, est d'ores et déjà
achevée. Les tribunaux de première instance ont été séparés des
cours d'appel et de cassation, ce qui est pleinement conforme à
la configuration classique des systèmes judiciaires des pays européens.
143. Deux cours d'appel ont été créées. Actuellement, la Cour suprême
est cantonnée au rôle de cour de cassation, afin de faire progresser
de manière uniforme et unifiée l'interprétation des lois, ce qui
sera décisif pour renforcer la sécurité du droit (juridiction dite
doctrinale).
144. Afin de focaliser l'emploi des ressources et d'améliorer l'efficacité
de l'action judiciaire, les structures des tribunaux urbains d'arrondissement
sont élargies et de nouveaux magistrats et membres du personnel judiciaire
ont été recrutés pour mieux diligenter les procès et, ce faisant,
mieux protéger les droits des accusés.
145. Lorsque cette réforme sera achevée, normalement en 2009, il
y aura 18 tribunaux urbains d'arrondissement, répartis dans toutes
les régions, au lieu des 70 petits tribunaux de première instance d'arrondissement
actuels. Cinq tribunaux d'arrondissement élargis, reposant sur le
principe de la spécialisation des juges, ont déjà été créés à Tbilissi,
Mcheta, Khashuri, Ahalkalaki et Sachkhere. Les tribunaux urbains d'arrondissement
seront les juridictions de première instance pour les affaires pénales,
civiles et administratives. Les tribunaux d'instance, nouvellement
créés, seront intégrés à l'échelon inférieur des tribunaux ordinaires
dans les subdivisions territoriales où il n'existe pas de tribunal
urbain d'arrondissement.
146. Les magistrats nommés dans les subdivisions territoriales
et administratives du ressort des tribunaux d'arrondissement veilleront
à ce que les habitants des régions éloignées du tribunal d'arrondissement
puissent accéder rapidement à la justice au niveau local. En même
temps, le fait de libérer les tribunaux d'arrondissement de leurs
compétences en matière d'affaires civiles et administratives mineures
contribue à réduire l'encombrement du rôle dans les tribunaux urbains
d'arrondissement.
147. La Cour constitutionnelle est investie de la totalité des
compétences en matière de contrôle constitutionnel. Elle arbitre
les litiges entre les différents pouvoirs et se prononce sur les
allégations individuelles de violation des droits de l'Homme. La
Cour interprète de manière restrictive son rôle en matière de droits
de l'Homme, puisqu'elle consent à se prononcer uniquement sur les
affaires dans lesquelles des droits de la personne humaine ont été
bafoués du fait de l'application d'articles de lois spécifiques.
148. Les budgets affectés à l'infrastructure matérielle des tribunaux
ont considérablement augmenté. Au cours des deux dernières années,
les édifices abritant 20 tribunaux ont été entièrement rénovés et
équipés; la restauration des sept autres est en cours. Ces travaux
sont entièrement financés par le budget de l'Etat. Cette année,
par exemple, une enveloppe budgétaire de plus de 5.850.000 GEL a
été allouée à ces fins.
149. Le budget du système judiciaire a triplé au cours des trois
dernières années, pour atteindre un montant supérieur à 20 millions
USD. Il nous a été dit que les salaires et les pensions des juges
atteignent désormais l'équivalent de 800 USD. pour un juge de première
instance, 1200 à 1300 USD pour un magistrat du second degré et 1700
USD pour un juge de la Cour suprême. Ceci a substantiellement amélioré
les conditions de travail des juges. À ce jour, tous les magistrats
disposent d'outils de recherche puisqu'ils ont accès à Internet et
à des réseaux numériques spécialisés leur permettant de suivre les
affaires et les décisions de justice.
150. Des systèmes spéciaux de gestion des bases de données ont
été élaborés pour faciliter l'administration des affaires et de
l'appareil judiciaire, ce qui contribuera à améliorer la transparence
et l'efficacité de l'ensemble du système.
4.1.2. L’indépendance de la justice
151. Un aspect essentiel de la réforme consiste à renforcer
l'indépendance du système judiciaire. Précédemment, nous avions
exprimé notre inquiétude au sujet des amendements constitutionnels
introduits au début de l'année 2004, qui renforçaient les pouvoirs
du Président de Géorgie en matière de nomination et de révocation
des magistrats. Le gouvernement s'est ensuite attaqué au problème
de corruption au sein du système judiciaire, mais les procédures
de révocation des juges accusés de corruption manquaient de transparence
et n'offraient pas les garanties d'une procédure régulière. En 2005,
les autorités ont annoncé à un certain nombre de magistrats qu'ils
devaient démissionner sous peine de donner lieu à une procédure disciplinaire.
Vingt et un des trente-sept juges de la Cour suprême ont démissionné
du fait de ces pressions. Neuf ont refusé de démissionner, ont fait
l'objet de procédures disciplinaires en décembre 2005 et ont été reconnus
coupables et révoqués. Ces procédures portaient sur des questions
liées à l'interprétation des lois par les magistrats mis en cause
plutôt que sur des questions de déontologie ou de conduite donnant
matière à un examen disciplinaire.
152. Depuis lors, d'importants amendements législatifs, notamment
constitutionnels, ont été mis en œuvre en vue de renforcer encore
l'indépendance des tribunaux. Depuis les derniers amendements constitutionnels, adoptés
en janvier 2007, le conseil supérieur de la justice n'est plus un
organe consultatif au service du Président de Géorgie. Celui-ci
ne préside plus le conseil, dont il a même cessé d'être membre.
Le conseil supérieur est présidé par le président de la Cour suprême.
La procédure de nomination des membres de ce conseil garantit que
les magistrats détiennent la majorité des sièges (10 sur 18), ce
qui leur donne un rôle décisif dans le processus décisionnel. Le
ministre de la Justice ne siège plus au conseil supérieur de la magistrature
et le parlement ne nomme plus les membres permanents de cette instance.
Toutefois, d'autres personnes, issues de l'exécutif et du législatif,
continuent de siéger au conseil supérieur de la magistrature
.
153. Les membres du conseil supérieur de la justice exercent leurs
compétences disciplinaires par le biais d'un jury composé de six
de ses membres: trois magistrats et trois membres non juges.
154. Le 10 août 2006, la chambre disciplinaire de la Cour suprême
a confirmé la décision prise à l'encontre des magistrats convaincus
fin 2005 d'avoir, entre autres choses, gravement violé la loi en
rendant leur jugement ; aucune allégation de fraude ou de faute
n'a été portée à leur encontre. Cette action a été largement critiquée
par les ONG et les juristes comme portant atteinte à la mission
au cœur de la fonction des juges, qui est d'interpréter et d'appliquer
les lois conformément à leurs connaissances et leur expérience.
Ces juges ont été mis à pied. Cette décision a eu pour effet de
dissuader les magistrats d'exercer leur pouvoir de rendre la justice
en toute indépendance.
155. Le 25 octobre 2006, la commission de suivi a décidé de demander
à la commission de Venise de rendre un avis sur 1) la loi sur la
responsabilité des magistrats des tribunaux ordinaires et les poursuites
disciplinaires les concernant, et 2) le champ d'application de l'article
2.2.a de ladite loi, invoqué pour engager une procédure disciplinaire
à l'encontre de plusieurs juges, dont des magistrats siégeant à
la Cour suprême, qui ont été révoqués sur décision du conseil disciplinaire
datée du 26 décembre 2005 (décision confirmée par la Cour suprême
de Géorgie le 10 août 2006). La commission de Venise a rendu l'avis
demandé lors de sa 70e session plénière
des 16 et 17 mars 2007
. Elle a conclu que
si la loi géorgienne sur la responsabilité des magistrats des tribunaux
ordinaires et les poursuites disciplinaires les concernant partait
d'une intention louable, consistant à fournir des fondements juridiques
permettant de sanctionner les magistrats qui ne s'acquittent pas de
leurs responsabilités, et donc, incidemment, de lutter contre la
corruption, «
ses dispositions, libellées
en termes vagues, constituent une menace réelle pour l'indépendance
de l'appareil judiciaire, mais aussi, à terme, pour la prééminence
du droit. Cette loi devrait donc être révisée et ses dispositions,
reformulées en termes plus clairs et précis afin de garantir leur
conformité avec les normes européennes. »La loi sur la
responsabilité des magistrats et les poursuites disciplinaires les
concernant a depuis lors été amendée en s'inspirant des recommandations
de la Commission de Venise. Une décision du jury disciplinaire du
conseil supérieur de la justice est désormais susceptible d'appel,
interjeté auprès de la chambre disciplinaire de la Cour suprême
de Géorgie, pour en obtenir la réformation en droit comme en fait.
Ceci signifie également que les décisions définitives concernant
les procédures disciplinaires ne peuvent être rendues que par des
magistrats. De plus, seul un juge peut présider le jury disciplinaire
du conseil supérieur de la justice: ceci assure une voix prépondérante
aux magistrats siégeant au sein du jury. Les magistrats siégeant
au conseil supérieur de la justice sont élus par la conférence des
magistrats parmi les membres du conseil.
156. Selon des sources gouvernementales, les amendements à la loi
géorgienne sur la responsabilité des magistrats des tribunaux ordinaires
et les poursuites disciplinaires les concernant ont été adoptés
par le Parlement en juillet 2007. Ces amendements visent à définir
plus clairement et de manière exhaustive les faits entraînant la
responsabilité disciplinaire des juges et contiennent une définition
plus détaillée de ce que l'on entend par «violation grave de la
loi» afin de protéger les juges contre d’éventuelles poursuites
engagées à leur encontre suite à leurs jugements. Il est désormais
clairement établi qu’une interprétation erronée de la loi reposant
sur l’intime conviction du juge ne peut servir de fondement à des
poursuites disciplinaires.
157. L'adoption récente de la loi sur la communication unilatérale
constitue une autre avancée significative qui renforce l'indépendance
du système judiciaire. Elle protège les magistrats des tentatives
de pressions en provenance d'acteurs extérieurs. Elle oblige également
les juges à signaler sur-le-champ au conseil supérieur de la justice
toute tentative d'ingérence dont la cour est l'objet, que l'auteur
soit un fonctionnaire de l'Etat, un membre de l'exécutif, un avocat
ou un particulier. En outre, cette loi interdit expressément d'entreprendre
un magistrat sur l'objet d'un litige dont il est saisi.
158. Le Code de déontologie judiciaire a été substantiellement
révisé. Un projet de règlement déontologique judiciaire, pleinement
conforme aux normes européennes afférentes à la déontologie de la
magistrature, a récemment été présenté à l'association des magistrats
de Géorgie.
159. En dépit de toutes ces initiatives positives, la population
géorgienne a toujours le sentiment que l’appareil judiciaire est
soumis à la corruption et aux pressions du pouvoir exécutif. Nous
avons entendu plusieurs ONG alléguer que le pouvoir exécutif et
des intérêts extérieurs «puissants» continuent à exercer des pressions
sur les autorités judiciaires. De nombreuses ONG se plaignent du
fait que les autorités judiciaires continuent d'agir comme de simples
«chambres d'enregistrement» des décisions du procureur, que la «justice téléphonée»
demeure une pratique fréquente et que l'exécutif exerce une influence
indue. Le sentiment d’une application sélective de la justice est
également à l’origine des récentes manifestations politiques.
160. Nous n’avons aucune raison de douter de la réelle volonté
du Gouvernement géorgien de mettre en place un système judiciaire
exemplaire dans le pays. Cependant, il faudra plus de temps pour
éradiquer des traditions profondément enracinées de corruption,
de pratiques et de mentalités partiales que pour appliquer des réformes.
Dans leur effort en vue de mettre fin à la corruption de l'appareil
judiciaire, les autorités de Géorgie ont osé faire ce devant quoi
ont reculé la plupart des autres pays en transition: débarrasser
la vieille garde de ses juges corrompus et les remplacer par un
nouveau corps judiciaire qui, espérons-le, sera plus qualifié. Ce
processus, bien entendu, était douloureux, et de nombreuses erreurs
ont été commises en chemin. Nous ne doutons pas de la nécessité
de cette démarche, qui devrait toutefois demeurer exceptionnelle.
161. La question que les autorités actuelles doivent désormais
affronter est de savoir comment éviter que de nouvelles loyautés
se mettent en place. Nous estimons que la poursuite des progrès
dépend avant toute chose: de la volonté politique des responsables
du gouvernement de respecter la primauté du droit et la séparation
des pouvoirs, de procédures pleinement transparentes, d'une supervision
efficace exercée par un Parlement élu démocratiquement, mais également
du recrutement et de la promotion au fil du temps de personnes formées
et qualifiées, capables de prendre des décisions en toute indépendance
et désireuses d'exercer la justice dans le pays en appliquant des
procédures ouvertes et transparentes.
162. En dépit des nombreuses mesures positives introduites en vue
de renforcer l'indépendance du système judiciaire, certains motifs
de préoccupation persistent concernant l'influence exercée par la
sphère politique sur le fonctionnement de la justice. Quoique dans
d'autres juridictions européennes, le sommet de l'appareil judiciaire
soit aussi souvent désigné ou élu par l'exécutif et le législatif,
la composition et le fonctionnement actuels du conseil supérieur
de la justice continuent de permettre l'ingérence du politique dans
l'administration de la justice au quotidien. C'est
pourquoi, nous exhortons
les autorités et le législateur géorgiens à réviser de nouveau la
législation conformément à la Charte européenne sur le statut des
juges, afin de limiter l'influence exercée par le personnel politique
sur le recrutement des juges et les procédures disciplinaires dirigées
à leur encontre.
4.1.3. Nomination et formation des
juges et des magistrats
163. Selon les renseignements que nous a communiqué le
président de la Cour suprême de Géorgie, depuis 2005, quelques 140
nouveaux juges ont été recrutés. Cependant, environ 120 des 400
postes de juges que compte le système judiciaire géorgien demeurent
vacants. Le pays a un besoin urgent d'au moins 30 à 40 nouveaux
juges. Il demeure apparemment très difficile de trouver des candidats
intègres, éduqués et qualifiés. Le taux de réussite à l'examen ne
dépasse pas 8%.
164. Le manque de personnel qualifié grève l'aptitude du système
à rendre efficacement la justice. Afin de faciliter le recrutement
de candidats appropriés aux postes vacants, des amendements constitutionnels introduits
récemment ont abaissé à 28 ans l'âge minimum requis pour devenir
juge.
165. Nos interlocuteurs des ONG s'inquiètent du fait que les personnes
(surtout les plus jeunes) nouvellement nommées au sein de l'appareil
judiciaire manquent d'expérience et de formation pour agir de manière
indépendante. De plus, en raison du nombre élevé de postes inoccupés
dans les tribunaux de première instance, les délais d'inscription
des causes au rôle sont longs, et de ce fait, les détenus en attente de
jugement sont maintenus dans des centres de détention surpeuplés
pendant de longues périodes.
166. Selon les autorités géorgiennes, la situation se serait grandement
améliorée. Des règles de procès rapide ont été instaurées par la
nouvelle législation. La nomination de nouveaux juges a permis d’alléger
leur charge de travail et la simplification de certaines procédures
a contribué à la réduction de la durée moyenne des affaires.
167. Un nouveau système de sélection et de nomination des juges
a été introduit il y a de cela quelques mois. L'école supérieure
de la magistrature sera au cœur de ce nouveau modèle. Les normes
de qualité de l'enseignement supérieur du droit seront conformes
au processus de Bologne. Après avoir obtenu leur licence dans l'une
des trois filières du droit (juges, avocats et procureurs) les candidats
devront obtenir un certificat unifié. Ceux qui parviennent au bout
de ce processus de sélection ne seront pas directement nommés juges, ils
seront admis à l'école supérieure de la justice où ils recevront
une formation juridique exhaustive. À l'issue de ce cursus, les
candidats disposeront de la formation requise et seront nommés par
le conseil supérieur de la justice à l'un des postes vacants, sans
autre formalité de sélection. Un plan de carrière progressif dûment réglementé
est également en cours d'élaboration. Il a été demandé au Conseil
de l'Europe de rendre un avis d'expert sur cette procédure de sélection
et de nomination, ainsi que sur les statuts de l'école, et de conseiller les
autorités géorgiennes sur l'élaboration du cursus.
168. La première promotion a été formée en octobre 2007 et suit
un cours accéléré de 18 mois en procédures légales et judiciaires.
Le nouveau cursus a été préparé avec l'aide d'experts du Conseil
de l'Europe et d'écoles similaires des pays membres de l'Union européenne.
169. Les ONG nous ont fait part de nombreuses critiques concernant
le manque de transparence de la procédure de nomination, suscitées
principalement par le fait que les candidats sont interrogés oralement
à huis clos, et qu'aucun procès-verbal d'examen ou compte-rendu
de témoin n'est rédigé. Nous souhaitons recevoir
plus d'information de la part des autorités juridiques du pays à
ce sujet.
170. Nous sommes néanmoins convaincus que le système nouvellement
établi est sur le bon chemin. Le nouveau modèle vient tout juste
d'être introduit et il lui faudrait simplement un peu plus de temps
pour prendre racine. Globalement, le public doit être mieux informé
des différentes mesures positives prises pour réformer l'appareil
judiciaire afin de favoriser leur mise en œuvre effective et améliorer
la confiance de la population.
4.1.4. L'ordre des avocats
171. En janvier 2006, nous avons rapporté l'organisation,
en 2003 et 2004, de deux sessions d'examen d'entrée par le conseil
supérieur de la justice. Mille deux cents avocats ont réussi ces
examens, ont prêté serment et ont été admis au Barreau. L'assemblée
fondatrice de l'ordre des avocats s'est tenue en mars 2005. Elle
a adopté la charte de l'ordre et a élu sa présidence, mais à l'heure
où nous écrivons, le barreau n'est pas encore en service car l'examen
d'entrée a été mis en cause. Les litiges afférents ont ultérieurement
été réglés par des arrangements extrajudiciaires.
172. Selon les renseignements reçus de la Direction générale des
affaires politiques du Conseil de l'Europe, le barreau est en fonction
depuis un an. Actuellement, l'ordre des avocats focalise principalement
ses efforts sur l'élaboration d'un code de déontologie et de procédure
disciplinaire. Le Conseil de l'Europe a proposé de lui apporter
son appui et son expertise.
4.1.5. Système d'aide judiciaire
173. Le 2 juillet 2007, la loi sur l'aide judiciaire est
entrée en vigueur. Elle a introduit un modèle entièrement basé sur
l'octroi d'une aide judiciaire par des défenseurs publics et sur
un organisme pratiquement indépendant (ne relevant pas du Ministère
de la justice) pour l'administrer.
174. La nouvelle loi transforme radicalement le système antérieur
de services judiciaires financés par le secteur public, profondément
influencé par l'héritage soviétique. Elle tente de pallier ses défauts
en mettant en place des procédures claires d'évaluation de l'éligibilité
des personnes à l'aide gratuite et l'assistance d'un avocat commis
d'office, et en introduisant l'obligation pour les avocats privés
désireux d'être commis d'office de s'enregistrer et faire rapport.
Cette loi prévoit une mise en place progressive de ce système au
cours des deux prochaines années. Pour financer cet ambitieux programme
de réformes, le Gouvernement géorgien a augmenté considérablement
le budget affecté à l'aide judiciaire, qui est passé à 800.000 USD
(contre 30.000 environ en 2005).
175. Selon la loi, les Bureaux territoriaux du Service d’aide juridique
doivent couvrir tous les niveaux des procédures pénales et des procédures
administratives sur le territoire relevant de leur compétence (ils couvriront
l’ensemble des procédures civiles et administratives à compter de
2009). Les Bureaux doivent également assurer des consultations juridiques
gratuites et la rédaction de documents juridiques. En 2007, la compétence
des Bureaux a été élargie, ils ont été dotés d’équipements adaptés
et de nouveaux juristes ont été recrutés par voie de concours. Avant
la fin de l’année, de nouveaux Bureaux territoriaux seront créés
et un Registre des avocats commis d’office sera mis en place. Du
1er janvier au 20 septembre 2007, les avocats des Bureaux de Tbilissi
et Imereti ont pris en charge 747 affaires pénales et 11 affaires
administratives.
176. L'établissement d'un régime d'aide judiciaire unifié constitue
certainement une entreprise louable, même s’il reste à ce système
à devenir pleinement opérationnel sur le terrain pour devenir réellement
efficace. Plusieurs organisations de défense des droits de l'Homme
que nous avons rencontrées ont fait part de leurs préoccupations
concernant le fonctionnement actuel de l'aide judiciaire gratuite
en pratique. Elles ont souligné que la qualité du travail des avocats
commis d'office laissait souvent à désirer, et que l'on pouvait
douter du fait que ces avocats seraient perçus comme étant indépendants
des forces de l'ordre et du parquet. Ainsi, de nombreux justiciables
préféraient se passer d'avocat plutôt que d'être représentés par
un avocat commis d'office. Compte
tenu de ce qui précède, nous espérons que le nouveau système sera
élaboré et mis en œuvre en coopération étroite avec l'ordre des
avocats de Géorgie, en particulier pour améliorer la qualité professionnelle
et l'indépendance des services offerts.
4.2. Système d'aide judiciaire Réforme
de la justice pénale
4.2.1. Nouveau Code de procédure pénale
177. En 2004, le Gouvernement géorgien a adopté une stratégie
d'ensemble pour réformer le système de justice pénale, prévoyant
l'adoption d'un nouveau Code de procédure pénale. En janvier 2005,
l'Assemblée s'est réjouie d'apprendre par les autorités géorgiennes
que le nouveau code était en cours d'élaboration. En février 2005,
les experts du Conseil de l'Europe ont exprimé l'avis que la plupart
des amendements proposés étaient compatibles avec les normes européennes,
mais que le projet était néanmoins à considérer comme largement
insatisfaisant. Le projet de code a alors été élaboré en collaboration
avec le Conseil de l'Europe et d'autres organisations internationales
et nationales, et il a été adopté en première lecture en mai 2006.
Ce document comporte de nombreuses avancées, comme l'adoption d'un
mode de procédure accusatoire (dans lequel le juge pourra vraiment
jouer le rôle d'arbitre (et non celui cumulé d'instructeur, de procureur, d'enquêteur
et de jury), l'examen des témoins exclusivement devant le juge,
des procès conduits par des jurys, des délais raisonnables, des
procédures d'enquêtes simples mais efficaces, etc.
178. À la place, les autorités géorgiennes ont introduit des amendements
progressifs au code en vigueur, pour permettre de s'habituer aux
changements et, au besoin, de revenir sur les faiblesses du système.
Sont concernés:
- la charge
de la preuve concernant la nécessité du maintien en détention préventive,
qui revient au procureur, et non plus à la défense;
- l'abolition des témoignages reçus hors prétoire, qui constituaient
un élément essentiel des procès au pénal;
- la réduction de la durée maximum du procès de 24 à 9 mois;
la durée maximale de la détention préventive passe de 9 à 4 mois ;
- l'introduction de la libération sous caution et du système
de «marchandage» sur les chefs d'accusation (plea-bargaining).
179. Le premier stade de l'investigation, c'est-à-dire l'enquête
policière, fait désormais partie de l'enquête préliminaire. Ceci
a grandement contribué à simplifier la procédure d'enquête criminelle
et les rouages bureaucratiques.
180. Pour garantir la transparence et la protection des droits
de la personne, les justiciables ont désormais le droit d'inviter
deux témoins à assister à toute mesure d'investigation ou de fouille.
Par le passé, les forces de l'ordre étaient tenues de choisir des
témoins pour assister aux mesures d'instruction. En pratique, les mêmes
personnes étaient toujours appelées à assister aux mesures de fouilles,
ce qui entraînait des injustices et des interprétations erronées.
La faculté de choisir les témoins dans le cadre de l'instruction
appartient désormais au justiciable. De plus, le projet de code,
s'il est adopté, accordera au défendeur, et dans certains cas, au
plaignant également, le droit de conduire une enquête privée.
181. Face à l'augmentation alarmante du nombre des détenus et à
l'aggravation du surpeuplement qui en résulte dans les centres de
détention (voir 5.2.) depuis l'adoption par le Gouvernement de sa
politique de «tolérance zéro face au crime», le Gouvernement a pris
des mesures en vue de limiter la détention des inculpés. Pour placer
une personne en détention, les autorités doivent maintenant prouver
l'existence d'une forte présomption que l'intéressé se soustraie
à la justice, refuse de comparaître, détruise des preuves, menace
les parties à un procès imminent ou commette une infraction pénale.
D'après le ministre de la Justice, le nombre de cas de détention
préventive décidée par les juridictions inférieures et de condamnations
rendues par les cours d'appel et de cassation a considérablement
diminué, cependant que le recours aux libérations sous caution a
augmenté de 55,3% cette année. Le recours au «marchandage judiciaire»
s'est aussi développé.
182. Dans notre précédent rapport, nous avons exprimé certains
doutes au sujet de l'application du système de marchandage judiciaire
(plea-bargaining), qui, selon
nous, permet à certains auteurs présumés d'infraction d'utiliser
le produit de leur crime pour acheter leur libération de prison,
et qui, d'autre part, risque d'être appliqué arbitrairement ou abusivement,
voire à des fins politiques. Cependant, ce système de négociation
des chefs d'accusation a été amélioré par l'introduction d'une procédure
d'appel. Désormais, l'accord sur les chefs d'accusation n'est recevable
que si le tribunal s'est assuré qu'il n'y a eu ni torture, ni traitement
inhumain ou humiliant. En cas de mauvais traitement, l'inculpé a
le droit de demander l'ouverture d'une procédure pénale à l'encontre
des personnes impliquées. En dépit
de ces améliorations, nous maintenons les réserves exprimées précédemment
sur le risque d'application arbitraire du système de marchandage
judiciaire.
183. Quoique la nécessité de procéder progressivement à l'amélioration
du code de procédure pénale soit compréhensible, et que les amendements
graduels apportés soient parvenus à rapprocher considérablement le
système de justice pénal de Géorgie des normes occidentales libérales
de la justice pénale, un nouveau code de procédure pénale intégrant
les meilleures pratiques européennes est une nécessité incontournable pour
la crédibilité et la pérennité du système judiciaire géorgien. Son
adoption permettrait en outre de faire progresser plus rapidement
la réforme des différentes branches des services de répression.
184. Une question distincte, et plus litigieuse, posée par la réforme
de la justice pénale a trait au récent amendement, ratifié le 27
mai 2007 par le président géorgien, qui abaisse de 14 à 12 ans l'âge
minimum de la responsabilité pénale à l'égard de crimes spécifiques,
parmi lesquels l'assassinat, les coups et blessures intentionnels,
et la plupart des catégories de vols et agressions. Le Conseil de
l'Europe, se joignant à d'autres observateurs internationaux et
nationaux des droits de l'Homme, a sévèrement critiqué ces amendements,
en soulignant qu'ils allaient à l'encontre de la pratique européenne
reconnue et qu'au lieu de régler le problème de la délinquance juvénile,
le fait d'abaisser l'âge de la responsabilité pénale risquait au
contraire de l'exacerber.
185. Nous avons soulevé la question devant le Président et les
ministères concernés, qui ont expliqué que la criminalité juvénile,
en particulier la toxicomanie et la violence, pouvant même entraîner
la mort, était en train de devenir un problème grave dans le pays,
surtout dans certains quartiers riches. Ils nous ont assuré que
les détenus mineurs ne seraient pas envoyés dans des centres de
détention ordinaires, mais qu'ils seraient placés dans des centres
correctionnels éducatifs spéciaux et que la loi ne sera applicable
que lorsque les conditions requises pour l'incarcération des mineurs
auront été réunies.
186. Nonobstant, nous considérons cela comme une mesure destinée
à traiter les symptômes plutôt que les causes expliquant le taux
élevé de criminalité juvénile, qui, selon nous, sont liées, au moins
partiellement, à l'évolution socio-économique rapide que connaît
le pays. Pour éviter que des enfants
délinquants tombent dans l'ornière de la récidive, l'incarcération
des mineurs devrait être une mesure de dernier recours, utilisée
uniquement dans des cas exceptionnels. La protection des droits
de cette catégorie de personnes particulièrement vulnérables, leur
éducation et leur réinsertion sociale devraient faire l'objet du
plus grand soin.
4.2.2. Réforme du ministère public
187. La conception de la réforme du parquet et la stratégie
afférente ont été élaborées et en sont actuellement à la phase de
mise en œuvre
. Selon cette conception,
il est notamment envisagé créer un conseil du ministère public afin
de s'assurer de l'efficacité de l'administration de cette instance
et de sa participation aux procédures de nomination et aux procédures
disciplinaires. L'adoption de la loi sur le ministère public, qui
contiendra la réforme du bureau du procureur général, est au point
mort, bloquée par la non adoption du nouveau code de procédure pénale.
188. Entre-temps, un projet de code déontologique des procureurs
a été approuvé par le procureur général en juin 2006. Il prévoit
des règles visant à renforcer le sens des responsabilités inhérent
au rôle de procureur, garantir la protection des droits de l'Homme,
et contribuer à l'efficacité et l'impartialité des poursuites pénales et
de l'administration de la justice. Tout employé du parquet responsable
d'une infraction aux prescriptions du code déontologique s'expose
à des mesures disciplinaires. L'inspection générale du bureau du
procureur général est chargée d'enquêter sur ces violations.
189. De même, le rôle de surveillance exercé par le parquet en
matière d'enquête préliminaire a été étendu. Au pénal, un enquêteur
ne peut demander à modifier, étendre ou classer une plainte qu'avec
l'accord du procureur. Ceci confère au ministère public des pouvoirs
discrétionnaires de supervision assez étendus. Dans le même temps,
les procédures sont lentes et ne donnent pas des résultats convaincants
dans les enquêtes qui présentent une certaine complexité.
190. Pour des raisons de conflit d'intérêts, le parquet ne supervise
plus le système pénitentiaire.
191. Le ministère public est chargé de toutes les enquêtes pénales
relatives à des allégations de torture et de mauvais traitement.
Les procureurs doivent enquêter sur le recours à la force par la
police dès qu'un détenu blessé au cours de son arrestation est signalé.
La loi impose au parquet d'ouvrir une enquête chaque fois que des
renseignements concernant une éventuelle violation lui parviennent,
même de source anonyme. Si, à l'issue de l'enquête, les procureurs
concluent qu'il n'est pas nécessaire d'engager des poursuites, il
peut être fait appel de cette décision auprès de l'instance supérieure
du parquet.
192. En 2006, une enquête a été ouverte dans 137 cas de torture
et de mauvais traitements. Seize fonctionnaires ont fait l'objet
de poursuites devant les tribunaux. Sept ont été condamnés dans
quatre affaires pénales. Au cours des quatre premiers mois de 2007,
quelque 44 affaires portant sur des allégations de torture et de
mauvais traitements ont donné lieu à des enquêtes. La justice a
été saisie de deux affaires ayant conduit à condamnation et de six
autres inculpations à l'encontre de fonctionnaires. Onze fonctionnaires
ont été reconnus coupables dans trois affaires
.
193. De source du département d’État des États-Unis
,
des ONG signalent que le parquet ouvre des enquêtes qui, souvent,
se poursuivent indéfiniment sans parvenir à une conclusion, ou qui
justifient, lorsqu'elles aboutissent, le recours à la coercition
par la police comme étant raisonnable. En 2006, au moins neuf enquêtes
conduites par le ministère public au sujet d'allégations de torture
et de mauvais traitements ont abouti à la conclusion que la police
n'avait commis aucune infraction. Les statistiques montrent qu’après
la Révolution des Roses, 68 policiers et procureurs ont été poursuivis
et condamnés pour des violations des droits de l’homme. De plus,
27 agents du Ministère public ont été démis de leurs fonctions,
46 ont reçu un avertissement, 19 de sévères réprimandes et 99 ont
reçu un blâme.
194. Malheureusement, nous n'avons pas eu la possibilité d'aborder
ce point avec le bureau du procureur général.
4.3. Réforme de la police
195. La réforme de la police géorgienne, qui a permis
de réduire remarquablement la petite corruption, peut être considérée
comme un succès majeur du gouvernement en place. Quoique la loi
sur la police ne puisse être adoptée tant que le code de procédure
pénal ne l'aura pas été, la réorganisation de la police, subdivisée en
«police de patrouille» (chargée de l'ordre public), police criminelle
et police des frontières, progresse à grands pas. Le nouveau gouvernement
a entièrement réorganisé la police de la circulation, qui avait
la réputation d'être particulièrement corrompue avant la «Révolution
des Roses». Il s'enorgueillit de pouvoir affirmer que la petite
corruption et les pots-de-vin ont été pratiquement éradiqués parmi
les forces de police.
196. Un office principal de protection et de surveillance des droits
de l'Homme a été créé au Ministère de l'intérieur. Il est chargé
d'assurer la supervision interne des services répressifs et des
centres de détention préventive. Il travaille en étroite collaboration
avec le Médiateur et les ONG.
197. Cependant, l'impunité demeure un problème grave au sein des
forces de police, ce qui n'a été contesté par aucun des représentants
des autorités concernées que nous avons rencontrés. Bien que l'an
dernier, le nombre d'infraction ait considérablement diminué, il
est rapporté que les policiers continuent d'être impliqués dans
des violations des droits de l'Homme, qui prennent principalement
la forme d'un recours excessif à la force, en particulier dans les
commissariats et lors des opérations spéciales, de cas de torture
des détenus et d'autres mauvais traitements. Selon les informations
du ministère de l’Intérieur, rien qu’en 2006, 612 agents du ministère
ont fait l’objet de sanctions diverses : 83 ont reçu un blâme, 220
un avertissement, 121 de sévères réprimandes, 11 ont été rétrogradés,
166 démis de leurs fonctions, et 6 suspendus. Par ailleurs, 32 agents
ont fait l’objet de poursuites et deux sont actuellement recherchés.
198. En juin 2006, un nouveau code déontologique est entré en vigueur.
Les observations et suggestions formulées par le Conseil de l'Europe
au sujet du projet de code déontologique de la police ont été prises
en compte dans la version finale du document. Le code impose aux
policiers de respecter les droits individuels de toutes les personnes
et de recourir à la force uniquement lorsque cela se révèle strictement
nécessaire pour mener à bien leur mission. Cependant, la responsabilité
professionnelle des policiers n'est pas engagée.
199. Selon les autorités, le problème du recours excessif à la
violence serait lié au manque de formation professionnelle des forces
de police. C'est pourquoi le Ministère de l'intérieur attache une
grande importance à la formation des policiers. À l'académie de
police, la formation de base de la police de patrouille contient
des cours de droits de l'Homme et une formation complémentaire spécialisée
sur ce même thème est assurée en conjonction avec des partenaires
internationaux, parmi lesquels le Conseil de l'Europe.
Cependant, la formation initiale et continue
de la police, et notamment de la police criminelle, demeure sérieusement lacunaire;
il convient de régler efficacement ce problème .
À de nombreuses reprises, le Conseil de l'Europe s'est déclaré prêt
à accorder une aide substantielle aux autorités géorgiennes dans
ce domaine.
200. Le Conseil de l'Europe pourrait également offrir son savoir-faire
et son assistance en matière de décentralisation des forces de police;
il pourrait notamment aider à mettre en place un système de police
de proximité en Géorgie, système qui, dans de nombreux États membres,
s'est révélé efficace pour rapprocher effectivement la police des
populations locales, et ainsi, renforcer son rôle et améliorer sa
réputation dans la société.
4.4. Lutte contre la corruption
201. Depuis le début, le président Saakachvili et la nouvelle
administration géorgienne ont déclaré faire de la lutte contre la
corruption leur priorité absolue. Une stratégie et un plan d'action
anti-corruption ambitieux ont déjà permis d'obtenir des résultats
significatifs, notamment dans le secteur du maintien de l'ordre.
La corruption à petite échelle, qui paralysait la société géorgienne,
a considérablement diminué. Selon des données reçues du Ministère
de l'intérieur, 211 policiers ont été arrêtés et accusés de corruption,
principalement parce qu'ils recevaient des pots-de-vin. Aujourd'hui,
d'après les sondages, la corruption n'affecte plus que 2% des forces de
police. La stratégie anti-corruption est également appliquée en
limitant drastiquement l'ingérence du gouvernement dans la vie des
citoyens et celle des entreprises. Des observateurs indépendants
ont noté une forte mobilisation en faveur de l'effort de lutte contre
la corruption dans les hautes sphères gouvernementales
.
L'enquête BERD-Banque Mondiale sur l'environnement commercial et
les performances des entreprises (BEEPS 2005) révèle que la Géorgie
arrive en première position parmi les pays en transition pour ce
qui est de la réduction de la corruption entre 2002 et 2005.
202. Une enquête plus récente de l'organisation
Transparency International, publiée
le 26 septembre 2007, classait la Géorgie en 79ème position
sur 180 pays, et lui attribuait un indice de perception de la corruption
de 3,4 points (sur 10)
,
ce qui représente une amélioration significative par rapport aux
résultats obtenus en 2006 (2,8 points). Si cet indice «révèle que
la corruption demeure un problème significatif dans le secteur public
», il indique
néanmoins que la Géorgie est sortie du groupe de pays dans lesquels
la corruption est considérée comme endémique (ceux dont l'indice
est inférieur à 3).
203. Globalement, la volonté de réduire la corruption et le zèle
du Gouvernement dans cette entreprise sont perceptibles dans pratiquement
tous les domaines de la vie publique. Aujourd'hui, les mesures anti-corruption vigoureuses
appliquées parallèlement à la libéralisation de l'économie et à
la réduction de la bureaucratie étatique ont, en effet, pratiquement
éradiqué la petite corruption et la pratique des pots-de-vin dans
la vie quotidienne des citoyens géorgiens. Ceci a permis au Gouvernement
de se concentrer davantage sur la corruption sophistiquée à haut
niveau. De ce fait, pas moins de 400 fonctionnaires ont été poursuivis
pour abus de pouvoir en janvier 2007, dont 11 anciens ministres,
neuf vice-ministres, deux députés, le directeur de la Cour des comptes,
21 juges, 17 procureurs, six maires et 96 hauts fonctionnaires de
collectivités territoriales
. Cette tendance s'est maintenue,
voire amplifiée au fil de la progression des enquêtes sur la corruption.
Le Président est intervenu en personne pour souligner que nul ne
serait traité comme étant au-dessus des lois.
204. Ainsi, et plus particulièrement à la suite des accusations
récemment lancés par l'ex-Ministre de la défense Irakli Okruashvili,
faisant état de corruption dans les hautes sphères politiques, le
Président Saakachvili a annoncé la création d'une commission spéciale
de lutte contre la corruption qui relèverait directement de lui
et du président du parlement
. Le Président a déclaré que la tâche
principale assignée à cette commission consisterait à contrôler
les ministres et les membres de leurs familles. À l'heure où nous écrivons,
nous ne connaissons ni la composition de la future commission, ni
la date de sa création, pas plus que les modalités de son fonctionnement.
Suivant les normes démocratiques, et pour
que cet organe ait toute la crédibilité voulue, nous suggérons que
la création de la commission en question soit proposée par l'opposition. Lors
d'une réunion télévisée du Gouvernement, le 4 octobre 2007, il a
souligné que les citoyens devaient être confiants quant à sa composition,
sa capacité à communiquer avec le public et la transparence de son
action. De plus, pour garantir l'efficacité du travail de cette
commission, l'Etat devra consentir un surcroît d'effort pour renforcer
l'autorité et l'indépendance des institutions chargées de la prévention
et de l'éradication de la corruption, telles que la Cour des comptes,
les inspections générales, le service des marchés publics, l'appareil
judiciaire et le bureau du Médiateur. Il devrait en outre renforcer
le droit de regard parlementaire, accroître la transparence de l'action
du ministère public et du Ministère de l'intérieur.
205. Il convient certainement de se réjouir de cette initiative,
qui devra être rapidement mise en œuvre pour conserver la confiance
de la population. Néanmoins, nous percevons certains risques et
défis dans la manière dont le président et le Gouvernement gèrent
actuellement le dossier de la lutte contre la corruption au sommet. Nous
souhaitons souligner les points suivants:
- Pour assurer la crédibilité à long terme des stratégies
gouvernementales, la lutte contre la corruption ne devrait pas être
menée au coup par coup, mais plutôt par le biais d'une surveillance
systématique et constante de tous les avoirs et biens des fonctionnaires
et de leurs relations avec le secteur des entreprises;
- Au-delà des mesures répressives indispensables, nous encourageons
les autorités géorgiennes à se concentrer sur les causes profondes
de la corruption dans la société afin de trouver un juste équilibre entre
les causes et les conséquences sur la société des poursuites à grand
échelle engagées contre les fonctionnaires corrompus; dans ce contexte,
il faudrait revoir les politiques et les mécanismes de surveillance
des marchés publics et se focaliser sur des dépenses publiques transparentes,
ciblées et prioritaires;
- Bien que toute affaire de corruption de haut niveau s'inscrive
dans un contexte politique, les autorités devraient prendre garde,
lorsque des accusations de corruption sont lancées, d'éviter de
donner l'impression qu'elles visent sélectivement les opposants
politiques. À cette fin, toute condamnation pour corruption devrait
faire l'objet d'une enquête minutieuse soumise à un tribunal, en
respectant pleinement la présomption d'innocence, et devrait être
expliquée au public dans un jugement dûment motivé;
- En cas de libération sous caution, tous les renseignements
pertinents concernant notamment l'identité de celui qui acquitte
la caution, son montant et les faits reprochés devraient immédiatement
être rendus publics; le montant de la caution devrait être justifié
et raisonnable.
206. Dans la
Résolution
1477 (2006), l'Assemblée a recommandé aux autorités géorgiennes
de «poursuivre la lutte contre la corruption, appliquer l'ensemble
des recommandations du Groupe d’États contre la corruption (GRECO)
et ratifier la Convention pénale du Conseil de l'Europe sur la corruption
(STE n° 173);» (paragraphe 10.5.5.). En 2004, le nouveau Gouvernement
a hérité d'une situation dans laquelle seules deux des 25 recommandations
formulées dans le rapport d'évaluation de la conformité du premier
cycle du GRECO avaient été suivies d'effet. Ce retard a motivé le
déclenchement d'une procédure de non-conformité. Toutefois, d'après l'évaluation
globale définitive
du GRECO, publiée en septembre 2006, la
Géorgie s'est totalement ou partiellement conformée aux recommandations
restantes. Par conséquent, il a clos la procédure de non-conformité,
tout en exhortant les autorités géorgiennes à poursuivre sans relâche
leurs efforts de lutte contre la corruption. Le GRECO a également
souligné la nécessité d'impliquer activement la société civile dans
ce processus. La Géorgie a entrepris la rédaction d'un deuxième
rapport d'évaluation.
207. Il est à regretter que la Géorgie soit l'un des 11 États membres
à ne pas avoir ratifié la Convention pénale du Conseil de l'Europe
sur la corruption. Nous exhortons les autorités à envisager de ratifier
cet instrument international important dans les plus brefs délais.
208. La
Résolution 1477
(2006) exhortait également le Gouvernement géorgien à renforcer
les activités visant à favoriser le développement d'un esprit et
d'une déontologie de la fonction publique (paragraphe 10.5.5.).
De fait, le service public a été remanié en profondeur, et le nombre
de ministères, de services publics et de fonctionnaires a considérablement
diminué
. Selon
des sources gouvernementales, les salaires des fonctionnaires ont
été multipliés par 15 environ, ce qui a permis d'attirer de jeunes
professionnels motivés dans la fonction publique. La dérégulation
de l'économie, menée parallèlement à la transformation des institutions et
l'optimisation des ressources humaines, a considérablement limité,
voire éradiqué, la corruption dans certains services autrefois gangrenés
par ce phénomène. Dans certains cas, et surtout dans la police de patrouille
et le service de sécurité des produits, le personnel a été entièrement
renouvelé. Depuis, les citoyens sont devenus beaucoup moins tolérants
et plus sensibles aux problèmes de corruption. Un code de conduite à
l'usage de la fonction publique a été élaboré. Le Conseil de la
fonction publique, organe consultatif rattaché au président de Géorgie,
est chargé de l'application de ce code, de la supervision globale
de la stratégie de réforme de la fonction publique et du plan d'action
afférent.
209. Malgré l'optimisation de l'efficacité du service public, la
rédaction ou l'application des réformes structurelles du secteur
public ne sont pas encore terminées dans plusieurs domaines. Dans
un pays où traditionnellement, le pouvoir est centralisé verticalement,
beaucoup reste à faire pour motiver, responsabiliser et autonomiser
l'échelon administratif intermédiaire. Une
administration publique responsable, non corrompue et apolitique,
capable de résister aux aléas du pouvoir politique du pays serait
un élément clé pour garantir la pérennité des réformes géorgiennes.
C'est pourquoi une importance particulière devrait être accordée
à l'amélioration des critères de sélection et d'admission et à la
transparence de l'accès à l'emploi dans la fonction publique.
5. QUESTIONS DE DROITS DE L'HOMME
5.1. Prévention des actes de torture
et des traitements inhumains, problème de l'impunité des délits
commis par des agents des services de maintien de l'ordre
210. La
Résolution
1477 (2006) de l'Assemblée invitait les autorités géorgiennes «à
consolider les premières mesures prises pour éradiquer la «culture
de la violence» et la torture dans les prisons et les centres de détention
provisoire, à adopter de toute urgence d'autres mesures à cette
fin, en se préoccupant plus spécialement des régions de la Géorgie
autres que la capitale, en particulier pour engager sans tarder
une enquête indépendante et approfondie sur toutes les allégations
de torture et de mauvais traitements, et à appliquer la «tolérance
zéro» de l'impunité» (10.6.3.).
211. La constitution et le droit géorgiens contiennent des dispositions
importantes en matière de protection des droits de l'homme. Des
progrès considérables ont été réalisés pour empêcher les mauvais
traitements infligés aux personnes en détention. Alors qu'en 2006,
Amnesty International, le Département d'État américain, les ONG
nationales et le bureau du Médiateur signalaient de nombreux cas
de détenus blessés à la suite des mauvais traitements infligés par
la police au cours leur arrestation
, le Ministère
de l'Intérieur nous informe que, cette année, ces cas ont été jusqu'ici
très rares.
La torture a pratiquement
été éliminée. Cela traduit un changement majeur dans le bon sens.
212. En 2006-2007, le gouvernement a pris des mesures concrètes
pour éradiquer la torture grâce à des amendements au Code de procédure
pénale (CPP) et des réformes du système pénitentiaire. Par exemple,
à son arrivée au centre de détention, chaque nouveau détenu fait
l'objet d'un examen médical. Lorsqu'un détenu est transféré vers
un autre établissement pénitentiaire, il est soumis à un nouvel
examen médical. Tout échange entre les agents des services de répression
et les détenus est consigné par écrit. L'ensemble du personnel judiciaire
et pénitentiaire doit être identifié par le port d'un badge, et
les agents en civil des services de maintien de l'ordre se sont
vus attribuer des numéros d'identification figurant sur la carte
qu'ils sont tenus de porter durant leur service
.
213. Les nouveaux amendements au CPP adoptés en 2006 considèrent
les preuves obtenues par des procédés illégaux comme irrecevables
et exigent que les aveux des détenus durant la détention provisoire soient
acceptés par le tribunal avant d'être retenus comme preuves. Ces
mesures ont pour but d'empêcher les autorités d'exercer des pressions
sur les présumés coupables afin de les faire passer aux aveux lors
de l'enquête préliminaire. Il convient également de préciser qu'un
compromis sur le chef d'accusation est nul et non avenu s'il entrave
les poursuites judiciaires contre des agents des services de maintien
de l'ordre pour actes de torture ou mauvais traitements.
214. Afin de protéger les suspects de pressions physiques et psychologiques
au cours des interrogatoires, ces derniers ont le droit d'enregistrer
l'interrogatoire, s'ils le souhaitent, avec leur propre matériel d'enregistrement.
215. Le gouvernement a créé des départements de suivi des droits
de l'homme au sein du Ministère de l'Intérieur, du bureau du procureur
général et du département des services pénitentiaires afin de renforcer
le contrôle interne des pratiques relatives aux droits de l'homme
dans les organes des forces publiques. Depuis mars 2005, les maisons
d'arrêt sont subordonnées aux départements de suivi des droits de
l'homme du Ministère de l'Intérieur. En septembre 2006, une nouvelle
entité structurelle a été créée au sein du département des prisons
– le bureau de protection des droits des détenus – pour superviser
et faire respecter les droits des détenus dans le système pénitentiaire.
En plus du renforcement du contrôle interne exercé par l'unité de protection
et de contrôle des droits de l'homme, les services de police font
l'objet d'une inspection régulière par le bureau du Médiateur et
les ONG.
216. En outre, une nouvelle approche est employée pour la sélection,
le recrutement et la formation du personnel du Ministère de l'Intérieur.
L'adoption d'un code d'éthique de la police en janvier 2006 constitue
une autre avancée importante. Des investissements considérables
ont été effectués dans l'acquisition de moyens technologiques modernes
d'investigation et d'équipements scientifiques.
217. Malgré les efforts cités précédemment, l'impunité demeure
un problème sérieux, en particulier dans les régions
.
Les enquêtes menées à bien sont rares. Selon des sources gouvernementales,
entre 2004 et 2006, 68 officiers de police et procureurs ont été
poursuivis et 33 inculpés pour violation des droits de l'homme;
27 agents du Ministère public ont été démis de leurs fonctions,
46 agents ont été réprimandés, 19 ont reçu des avertissements graves
et 99 ont reçu un blâme. Des 105 enquêtes préliminaires menées par
le bureau de l'Inspection générale du Ministère de l'Intérieur en
2006, 70 ont été renvoyées au parquet général. Dans la même période,
ce dernier a introduit 46 affaires contre des agents des forces
de l'ordre; des poursuites judiciaires ont été lancées contre 8
agents dans 5 affaires; et 4 affaires mettant en cause 6 agents
ont été portées devant les tribunaux. En 2006, les tribunaux ont
prononcé 4 condamnations pour mauvais traitements impliquant 7 agents
de police.
218. D'après les ONG, des liens étroits entre le Bureau du procureur
général et la police nuiraient à leur capacité à prouver les fautes
professionnelles des agents de police. Les ONG affirment également
que l'absence de professionnalisme et d'indépendance du corps judiciaire
l'empêcherait de donner suite aux allégations d'actes de torture
.
Par conséquent, malgré la mise en œuvre de réformes positives, les
agents des services de répression auraient encore la possibilité
de recourir à la torture ou aux mauvais traitements, tout en courant
peu de risques d'être démasqués ou punis. Les ONG sont d'avis que
l'absence de formation adéquate pour faire appliquer la loi, ainsi
que le manque de connaissances des citoyens sur la protection qui leur
est accordée, entravent les progrès. Les autorités maintiennent
que les statistiques prouvent le contraire et que les fonctionnaires
de police sont sanctionnés pour tous les types d'inconduite.
219. Les organisations des droits de l'homme ont aussi fait part
de leurs inquiétudes au sujet des abus de plus en plus fréquents
commis depuis 2005 par le personnel pénitentiaire et par les forces
spéciales de police à l'encontre de détenus, lorsque le gouvernement
a renforcé la lutte contre la criminalité et cherché à briser le pouvoir
des chefs du crime organisé, notamment dans le système pénitentiaire.
Ces mesures ont entraîné un recours plus fréquent à la force pour
soumettre ou punir les détenus. En effet, les forces de sécurité
ont employé la force de façon répétée pour réprimer les émeutes
dans les prisons.
220. Le 30 janvier 2006, les forces spéciales auraient procédé
à une fouille à la prison n°1 de Rustavi, au cours de laquelle plusieurs
détenus ont été violentés. Cependant, selon HRW, personne n'a été
en contact avec les détenus pour recueillir directement leurs déclarations.
221. Le 27 mars 2006, les forces spéciales ont utilisé une arme
à feu automatique à la Prison n°5 de Tbilissi pour contenir une
émeute, et entraîné la mort d'au moins 7 détenus. D'après HRW, personne,
pas même les avocats ni les membres du Conseil officiel de contrôle,
n'a été autorisé à entrer dans la prison durant deux jours. Le gouvernement
a déclaré avoir empêché une émeute à l'échelle nationale dans les
établissements pénitentiaires, fomentée par des criminels, et qu'une
répression extrême était nécessaire pour prévenir de nouvelles violences.
Il a présenté pour preuve un enregistrement vidéo et de conversations
téléphoniques au cours desquelles des détenus planifiaient l'émeute.
Cependant, l'opposition et les défenseurs des droits de l'homme
ont mis en doute la version officielle et prétendu que cette révolte
était une action spontanée des détenus pour protester contre les
traitements inhumains infligés par le personnel pénitentiaire, dans
la nuit du 26 au 27 mars, et que la force employée par la police
était excessive.
222. Nous ne disposons pas d'informations pour savoir si l'enquête
sur les incidents mentionnés précédemment progresse.
223. Cette année, aucune plainte majeure contre des employés d'établissements
pénitentiaires n'a été déposée. Des caméras de surveillance ont
été installées dans les couloirs de plusieurs centres de détention, ce
qui a certainement contribué à améliorer le traitement des détenus
par le personnel pénitentiaire. Aucune émeute dans les prisons n'a
par ailleurs été à déplorer.
224. Nous rappelons aux autorités géorgiennes que toute allégation
de mauvais traitements ou de recours abusif à la force par les agents
des services de maintien de l'ordre doit faire l'objet d'une enquête
approfondie et, le cas échéant, de poursuites judiciaires. Nous
saluons les mesures prises pour limiter la force abusive et pour
sensibiliser les forces de police aux droits de l'homme. Néanmoins,
il importe que les autorités restent vigilantes dans ce domaine.
5.2. Conditions de détention
225. Le surpeuplement des prisons et les conditions médiocres
de détention, en particulier dans les maisons d'arrêt, demeurent
la préoccupation majeure en matière de droits de l'homme en Géorgie.
226. En 2006, le Ministère de la Justice, dont dépend le Département
des services pénitentiaires, a lancé un plan d'action global sur
plusieurs années (2006 – 2010) pour réformer l'intégralité du système
pénitentiaire. Ce plan d'action vise à mettre en place un système
pénitentiaire humain fondé sur les droits de l'homme et la dignité
humaine, en remédiant au problème du surpeuplement des prisons et
en améliorant les conditions de vie et la réinsertion des prisonniers
dans la société. Il entend également revoir la sélection, la formation
et la rémunération du personnel pénitentiaire en vue de lutter contre
la corruption. Ce plan d'action a été financé par une hausse importante
du budget (plus d'un milliard de GEL pour les quatre années), notamment
pour la rénovation des établissements existants et la construction
de nouveaux établissements. La première année, le budget public
affecté par le gouvernement au Département des prisons a connu une
hausse de 87% par rapport à 2005. Il a plus que doublé en 2007 en
comparaison avec 2006. Toutefois, la population de détenus est passée
d'environ 8895 détenus en 2005 à 19.441 au 30 septembre 2007
,
ce qui a mis à mal certains des avantages qui auraient pu être tirés
de l'augmentation des ressources allouées. D'après le Ministère
de la Justice, les détenus seront plus de 22.000 d'ici la fin de
l'année.
227. Pour faire face à l'augmentation brutale du nombre de détenus,
le Ministère de la Justice a ouvert six nouveaux établissements
pénitentiaires conformes aux normes physiques internationales, avec
une capacité totale de 5.178 détenus à Tbilissi, Kutaisi, Rustavi
et Khoni depuis octobre 2005
.
Quatre autres nouvelles prisons ayant une capacité maximum de 6.300
détenus sont en construction à Rustavi (extension des prisons n°2
et n°6), Batumi et Zugdidi. Étant donné que la capacité d'accueil
d'avant octobre 2005 était d'environ 12.200 places calculées sur
la base de 2,5m² d'espace de vie par détenu
(et
non sur la base des 4 m² recommandés par le CPT), les nouvelles
infrastructures suffiront à peine. Le pays aura du mal à maintenir
le rythme soutenu de construction de prisons, puisque chaque nouvelle
structure nécessite non seulement une infrastructure physique, mais
aussi le recrutement et la formation d'un personnel pénitentiaire
supplémentaire.
228. De plus, indépendamment du dévouement du personnel et de la
politique de «tolérance zéro du crime» lancée par le gouvernement
géorgien, les procureurs et les magistrats du pays ne peuvent continuer
à envoyer un nombre sans cesse croissant de citoyens derrière les
barreaux. Il convient plutôt d'étudier plus activement de nouvelles
possibilités juridiques utilisant l'incarcération en dernier ressort
et proposant des mesures non privatives de liberté, un recours plus
fréquent à la probation ou à la libération conditionnelle précoce.
A cet égard, des progrès notables semblent déjà avoir été réalisés
au cours des deux dernières années. Le ratio détenus condamnés/détenus
en détention provisoire est passé de 43,1: 56,9 en 2005 à 78,3:
21,7 en septembre 2007
.
Les cas de probation ont doublé l'année dernière. Il est nécessaire
de se tourner vers les mesures facilitant la réinsertion des anciens
détenus.
229. En outre, malgré l'ouverture de nouveaux établissements et
le réaménagement des anciens établissements, et les efforts du Ministère
de la Justice, les conditions de détention «permanente» et de détention
provisoire restent dans l'ensemble médiocres et non conformes aux
normes européennes. Selon un récent rapport de Human Rights Watch,
la majorité des détenus géorgiens occupe des cellules bondées, mal ventilées
et insalubres. Les détenus ne sont pas alimentés ni soignés correctement,
ont un accès limité à l'information et aux visites de leurs familles.
En 2006, certains ont passé des semaines, voire des mois, sans quitter
leur cellule pour faire de l'exercice et pour s'oxygéner. En l'occurrence,
on peut qualifier ces conditions de détention de traitement dégradant.
230. D'autres questions soulevées durant notre mission par nos
interlocuteurs des ONG ont révélé l'insuffisance des activités proposées
aux détenus. Très peu d'entre eux sont autorisés à travailler ou
à suivre une formation professionnelle, et la plupart passe 23 heures
dans leurs cellules sans activité mentale ni physique. Les postes
de télévision et de radio ne sont généralement pas autorisés, même
si ces derniers ne sont pas interdits par la loi.
231. Une autre plainte des organisations des droits de l'homme,
dont nous avons informé le Médiateur, concernait l'augmentation
du taux de mortalité dans le système pénitentiaire et le fait suspect
que la quasi-totalité des détenus décédés aurait succombé à une
crise cardiaque. En 2006, le Ministère de la Justice a signalé la
mort de 92 détenus, contre 46 en 2005. 79 détenus sont décédés au
cours des neuf premiers mois de cette année. Bien que déplorable
d'une manière générale en termes de pourcentage, la situation est relativement
stable depuis 1999 (avec une augmentation d'environ 0,5%-0,6%).
En outre, le décès de 31 détenus sur 92 est survenu en 2006 en juillet/août,
période où les conditions inadaptées ont été aggravées par des températures
de saison très élevées. Le Ministère de la Justice a redoublé d'efforts
pour améliorer les conditions de vie au cours de cette période,
par la mise à disposition de ventilateurs et la suppression des volets
métalliques. Cependant, également cette année, ce sont les conditions
climatiques de février et de juillet qui ont le plus affecté la
santé des prisonniers. Le Médiateur a indiqué que son bureau sollicitait
fréquemment le personnel pénitentiaire pour que les détenus reçoivent
les traitements médicaux nécessaires.
232. Nous avons visité la prison n°7 de Tbilissi, établissement
traditionnellement employé pour la réclusion de détenus «très médiatisés»,
y compris de grands criminels en col blanc et de détenus condamnés
à perpétuité. Nous avons sciemment choisi cet établissement en raison
de nos impressions négatives antérieures sur ses conditions de détention.
Nous avons noté avec satisfaction de nombreux progrès dans cet établissement,
notamment concernant la propreté et la rénovation des cellules,
la séparation des équipements sanitaires, l'espace par détenu et
la luminosité dans la plupart des cellules, l'ouverture d'une boutique
avec un système moderne de paiement par «carte de crédit» et l'installation
de caméras de surveillance
. Nous avons été informés
que, pendant un an, il n'y avait pas eu de plaintes d'actes de torture
ni de violence dans cet établissement pénitentiaire. Les détenus
avec lesquels nous nous sommes entretenus n'avaient pas non plus de
griefs à cet égard.
233. Au moment de notre visite, la prison fonctionnait en dessous
de sa capacité (81 détenus pour une capacité totale de 108 places).
Gardant cela à l'esprit, nous avons été surpris de voir huit détenus
à perpétuité entassés dans une cellule faisant moins de 15/16 m².
Leur cellule (située au 1er niveau du
bâtiment) n'était quasiment pas éclairée, l'unique fenêtre étant
obstruée par un dense grillage permettant à peine le passage de
la lumière du jour et le renouvellement de l'air. Nous avons découvert
par la suite que les détenus concernés n'avaient pas été autorisés
à faire de l'exercice en plein air depuis plus de deux semaines.
Il ne fait pas de doute que cette situation est inacceptable
. Les détenus se sont également
plaints d'avoir été transférés sans explication d'une autre prison.
Aucun d'entre eux n'a été informé des raisons de ces transferts
dans un autre établissement. Ils étaient dans l'ensemble bien informés
de leurs droits et jugeaient les conditions de détention inadaptées
aux détenus à perpétuité. Les autorités pénitentiaires semblent
avoir conscience de ces plaintes mais ignorer le problème. Selon
elles, ces détenus ont été transférés vers un autre établissement
de Rustavi pour la période de rénovation de leur établissement d'origine.
Aucun des détenus n'avait connaissance de la possibilité de faire
appel de la décision de transfert.
234. Les détenus que nous avons interrogés à la prison n°7 n'étaient
pas autorisés à se lancer dans des activités ou formations professionnelles.
Il convient d'améliorer ce point. L'accès à la radio, à la télévision
ou à la presse écrite (autres que les journaux envoyés par les proches)
était totalement interdit, même s'il est permis par la loi. Il est
nécessaire de remédier immédiatement à cela, en particulier compte
tenu de la durée des peines que doivent purger la plupart des détenus
dans cet établissement. Au moment de notre visite, nous nous sommes
entretenus avec un détenu à perpétuité placé en isolement cellulaire,
qui ne s'est pourtant pas plaint de cette situation et a indiqué
avoir quelques contacts avec d'autres détenus durant la journée.
Il nous semble que la restriction des visites et de la correspondance
est excessive, notamment pour les prisonniers en détention provisoire.
235. Il nous semble que la restriction des visites et de la correspondance
est excessive, notamment pour les prisonniers en détention provisoire.
La restriction des visites et de la correspondance semble excessive, notamment
pour les prisonniers en détention provisoire. En effet, ceux-ci
ont besoin de l'autorisation préalable de l'autorité d'enquête compétente
ou du tribunal pour recevoir des visites qui – même si elles sont
autorisées – ne peuvent avoir lieu que deux fois par mois. Le droit
de visite est encore plus restrictif pour les détenus à perpétuité,
en particulier pour ceux qui purgent leur peine dans le cadre d'un
régime de détention en cellule: les visites sont limitées à deux
par an. Les installations prévues pour les visites que nous avons
observées à la prison n°7 ne permettent pas le contact physique
entre détenus et visiteurs. Dans de telles conditions, il est impossible
pour les détenus purgeant de longues peines de maintenir un contact
suffisant avec leurs familles.
236. A la lumière de ce qui précède, nous pouvons conclure que
les conditions de détention se sont améliorées d'une manière générale,
même si le surpeuplement risque de demeurer un problème majeur.
Nous espérons que le
nouveau projet
de Code pénitentiaire , visant à rendre le système pénitentiaire géorgien
conforme aux normes internationales, sera adopté sans tarder. Nous
encourageons les autorités à tenir compte des récentes recommandations
et observations faites par le CPT durant sa visite en Géorgie en
mars 2007, au moment de l'examen du projet de Code. Nous saluons
l'initiative des autorités géorgiennes de rendre public le rapport
du CPT le 25 octobre 2007 .
237. Il semble que les mesures prises pour éradiquer les mauvais
traitements subis par les détenus ont donné de bons résultats; cependant,
nous comptons sur l'introduction
de garanties renforcées à cet égard avec l'adoption du Code d'éthique
du personnel du système pénitentiaire. Qui plus est, nous invitons les
autorités à accorder une attention particulière aux conditions de
détention des mineurs.
238. Nous apprécions le fait que, depuis 2006, les autorités géorgiennes
aient rendu les prisons accessibles 24 heures sur 24 aux divers
organes de contrôle, tels que le bureau du Médiateur, le département
de l'inspection et du contrôle du Ministère de la justice, ainsi
qu'aux commissions locales de suivi composées d'ONG représentatives
et de personnalités publiques. Nous
espérons que les observations et recommandations de ces organes
de contrôle seront dûment prises en compte dans l'élaboration de la
nouvelle législation et dans les mesures prises pour améliorer les
conditions de détention.
239. Du peu que nous avons nous-mêmes observé lors de la visite
à la prison n°7, nous recommandons que tant que cet établissement
fonctionnera en dessous de sa capacité totale, ses occupants soient
mieux répartis dans les cellules afin de disposer du maximum d'espace
possible (même si le minimum conseillé de 4 m² ne peut pour l'heure
être pleinement respecté). Par ailleurs, nous exhortons les autorités
à prendre des mesures pour fournir l'éclairage et l'exercice en
plein air nécessaires à tous les détenus, quelle que soit la durée
de leur incarcération. De plus, nous recommandons d'améliorer nettement
les activités proposées aux détenus, notamment l'accès aux informations
de l'extérieur par l'installation de postes de télévision et de
radio. Enfin, nous demandons aux autorités de revoir les réglementations
actuelles trop strictes sur les visites et la correspondance, en
particulier concernant les prisonniers en détention provisoire et
ceux soumis au régime sévère.
5.3. Rapatriement de la population
meskhète
240. Le rapatriement en Géorgie de la population meskhète
d'ici à fin 2011 était l'un des engagements pris par le pays au
moment de son adhésion en 1999. Pourtant, ce n'est que depuis l'arrivée
au pouvoir du gouvernement actuel que cet engagement a été sérieusement
pris en considération et partiellement respecté.
241. En janvier 2006, la
Résolution
1477 (2006) de l'Assemblée invitait les autorités géorgiennes
«à poursuivre le travail de la Commission nationale de rapatriement,
à rechercher activement une aide internationale et à accélérer le
processus d'adoption de la législation pertinente afin de créer
les conditions qui permettront d'engager le processus de rapatriement,
en vue de l'achever d'ici à 2011; à appliquer pleinement les recommandations
énoncées dans la de l'Assemblée sur la situation de la population
meskhète déportée» (paragraphe 10.3.).
242. En mars 2005, une Commission nationale a été formée pour présenter
un nouveau projet en coopération avec le Conseil de l'Europe et
les experts du Centre européen pour les questions des minorités
(ECMI). Parallèlement, la commission parlementaire concernée a entrepris
l'étude d'une loi sur le rapatriement. Le projet de loi mentionnait
des mécanismes globaux de soutien de l'État aux rapatriés, ainsi
que des mécanismes de réglementation du rapatriement, concernant
les lieux d'implantation et les mesures à prendre pour l'intégration
des rapatriés. Ce projet de loi est passé par une série de consultations
d'experts juridiques du Conseil de l'Europe, de représentants meskhètes
et d'autres organisations de la société civile
. Néanmoins, le processus a été
à nouveau suspendu à l'automne 2006.
243. Le gouvernement a présenté une version très abrégée du projet
de loi au Parlement en juin 2007, portant uniquement sur les procédures
de demande et les conditions d'octroi du statut de rapatrié et de
citoyen. C'est dans cette version réduite que le projet de loi sur
«le rapatriement des personnes forcées à s'exiler de la Géorgie
par l'ex-URSS dans les années 1940» a finalement été adopté en première
lecture, le 22 juin 2007 (par 134 voix contre 14).
244. Même si cette adoption a été largement critiquée, nous comprenons
qu'il s'agit du seul moyen pour les législateurs géorgiens de faire
ne serait-ce qu'un premier pas vers le respect de leur engagement.
Le Président Saakachvili et les législateurs du pays considèrent
la question du rapatriement comme une «obligation morale» et il
n'y a pas lieu de douter de leur sincérité. Toutefois, le gouvernement
se trouve confronté à la forte réticence de l'opinion publique vis-à-vis
du rapatriement meskhète. En effet, il ressort d'un sondage effectué
par l'Institut républicain international en février 2007 que 67%
de la population étaient contre et seulement 16% pour. L'opposition
était même plus élevée que dans un sondage de 2006, où 53% étaient
contre. Le Samtskhe-Javakheti, région d'où les Meskhètes ont été
déportés, est peuplé d'une grande minorité arménienne. Les communautés
locales tant arméniennes que géorgiennes se sont vivement prononcées
contre le rapatriement.
245. Une résistance similaire est ressortie du débat parlementaire
de juin, certains partis de l'opposition faisant des déclarations
d'une provocation alarmante. Même les partis moins virulents ont
laissé entendre que la Géorgie n'était pas préparée à proposer un
retour digne de ce nom aux Meskhètes et que leur présence risquerait
d'exacerber l'instabilité politique ou de menacer l'intégrité territoriale
de la Géorgie.
246. Seule une force de l'opposition – le Parti républicain – a
soutenu le projet. Néanmoins, ce parti a émis des critiques quant
à l'incapacité des autorités à lancer une véritable campagne de
sensibilisation publique en vue de rallier la population à la proposition
.
247. Le contenu du projet de loi tel qu'adopté a été fortement
critiqué; d'aucuns ont même été jusqu'à le qualifier de «loi sur
le non rapatriement». Pour avoir examiné cette loi, nous adoptons
une position plus modérée, tout en convenant que bon nombre de dispositions
sont vagues et laissent trop de marge d'interprétation aux fonctionnaires
chargés de traiter les demandes de rapatriement – et risquent donc
que certaines soient rejetées pour des raisons techniques. De plus,
cette loi stipule que les demandes ne seront traitées qu'entre le
1er janvier 2008 et le 1er janvier 2009. Aucune ne sera jugée recevable
passé ce délai. Selon Giga Bokeria, président de la délégation de
Géorgie auprès de l'APCE, la période d'un an permettra aux autorités
de déterminer précisément combien de personnes souhaitent être rapatriées.
Le gouvernement sera donc en mesure de planifier – de façon rationnelle
et conformément aux intérêts nationaux – l'évolution du processus
.
248. Une autre ambiguïté de la loi concerne la question de la citoyenneté.
Le texte stipule que d'ici le 1er janvier
2010, un décret sur des procédures simplifiées pour les rapatriés
sera promulgué. Pendant un certain temps, on ne pourra donc savoir
clairement ce à quoi les rapatriés doivent s'attendre en termes
de citoyenneté
.
249. Par ailleurs, la loi mentionne le droit de faire une demande
de statut de rapatrié, mais pas le droit au rapatriement. Elle ne
prévoit pas l'ordre ni les procédures de réinstallation et reste
floue sur les moyens de régler les questions de propriété, d'imposition
ou de sécurité sociale à l'arrivée des rapatriés en Géorgie. Elle ne
définit pas non plus leurs droits ni leurs devoirs.
250. De nombreux points étant ignorés ou traités de façon ambiguë,
il sera nécessaire de revoir par la suite la loi adoptée. Bien que
la Géorgie ait officiellement rempli son engagement consistant à
adopter une loi sur le rapatriement de la population meskhète, il
reste fort à faire pour respecter l'échéance de 2011 en vue son achèvement.
Nous invitons donc les autorités géorgiennes à:
- mettre au point une stratégie
nationale satisfaisante pour la réinstallation et l'intégration
des futurs rapatriés meskhètes;
- considérer la création d'une commission mixte avec la
participation de représentants du gouvernement, d'organisations
internationales et des ONG concernées pour étudier la mise en œuvre
de la loi ainsi que des améliorations de la législation existante;
- envisager d'apporter un soutien financier et technique
aux Meskhètes rapatriés, même si cela ne fait pas partie des engagements
pris initialement par la Géorgie en 1999;
- explorer tous les moyens possibles pour faire changer
l'opinion publique fort négative sur le rapatriement des Meskhètes.
Leur déportation n'est pas encore suffisamment reconnue dans les
livres d'histoire et les musées.
251. Il est indispensable que le gouvernement règle ce problème
avec force attention et sensibilité pour éviter qu'il ne devienne
un élément majeur de la campagne électorale de l'année prochaine.
252. Enfin, au moment même de l'établissement du présent rapport,
le Conseil de l'Europe organise un séminaire à Tbilissi sur la mise
en œuvre de cette loi. Nous encourageons
le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe à continuer à fournir
une aide et un soutien importants au gouvernement géorgien pour
lui permettre d'honorer pleinement ses engagements d'adhésion d'ici
à fin 2011.
5.4. Pluralisme des médias et liberté
d'expression
253. Depuis la Révolution des Roses, la législation sur
la liberté de parole et les médias a fait l’objet d’un débat ouvert,
animé et critique au sein de la société civile géorgienne. La Loi
sur la liberté de parole et d’expression, adoptée en juin 2004,
est généralement considérée comme l’une des plus démocratiques et libérales
de ce type en Europe. Elle repose sur les dispositions concernant
la liberté d’expression inscrites dans la Constitution géorgienne
et les traités des droits de l’homme auxquels la Géorgie est partie.
254. La Loi interdit la censure et protège les journalistes contre
les pressions indues des propriétaires et éditeurs. Elle prévoit
une procédure permettant aux journalistes, à titre individuel, d’assigner
les propriétaires et éditeurs devant les tribunaux civils. Ils bénéficient
ainsi d’une voie de recours juridique pour les affaires concernant
l’État, mais également pour les violations des principes d’indépendance
des journalistes par les propriétaires et éditeurs. Cette loi garantit
aux journalistes l’indépendance et la liberté de pensée. Ce volet particulier
de la législation encourage les professionnels des médias à prendre
des décisions éditoriales en se fiant à leur propre discernement.
La loi prévoit également une protection spéciale des « donneurs
d’alerte » et des personnes communiquant de bonne foi des informations
confidentielles pour prévenir ou signaler des infractions.
255. La loi accorde une immunité absolue des sources journalistiques
confidentielles. Elle garantit qu’un tribunal ne peut imposer à
un journaliste de dévoiler ses sources d’informations au cours d’actions
en justice. Une protection absolue est consentie aux individus,
ce qui signifie qu’un journaliste ne peut être tenu de dévoiler
ses sources, quelle que soit l’importance des principes opposés.
Le Code de procédure pénale de la Géorgie contient des garanties
additionnelles pour l’activité journalistique.
256. Le gouvernement n'exerce pas d'influence ni de pression directe
sur les médias, bien que selon le rapport Freedom House 2008, une
partie des médias se soit montrée vulnérable à la pression exercée
en coulisses par le gouvernement après la Révolution des Roses.
Les ONG et les analystes indépendants des médias accusent parfois
les hauts fonctionnaires d'exercer une influence abusive sur les
décisions relatives au contenu éditorial et à la programmation,
par le biais de leurs relations personnelles avec les directeurs
de l'information et les instances dirigeantes des médias
.
Cette situation est principalement due au fait que bon nombre des
responsables actuels des médias appartenaient auparavant à l'opposition
et qu'avec le changement de gouvernement, ces derniers se sont automatiquement
rapprochés du nouveau gouvernement et d'autres autorités. Cette
évolution a favorisé une certaine autocensure. La faible indépendance
des rédactions, qui utilisent les points de vente de presse pour
promouvoir les intérêts politiques de leurs propriétaires, et l'insuffisance
de normes professionnelles sont des problèmes majeures dans le domaine
des médias.
257. Le gouvernement et les représentants de la société civile
déplorent la qualité de la presse écrite et audiovisuelle. Un projet
de code d'éthique à l'intention des diffuseurs est en cours d'élaboration,
avec l'aide d'experts du Conseil de l'Europe. Cette initiative a
suscité les vives critiques de la majorité des journalistes et a
été dénoncée comme une tentative gouvernementale pour contrôler
les médias audiovisuels. Par conséquent, la Commission nationale
de régulation des communications a reporté l'adoption de ce code
pour permettre un débat public.
258. La Loi de 2004 sur la liberté d'expression a supprimé la diffamation
du Code pénal et déchargé les journalistes de leur responsabilité
pénale pour la révélation de secrets d'État. Aucun cas de demande
de dommages-intérêts excessive n'a été signalé au cours des dernières
années. La nouvelle loi prévoit que la responsabilité d’un individu
ne peut être engagée qu’en cas de fausse déclaration portant gravement
atteinte à une personne ou à sa réputation et non pour une simple
erreur. La loi a ainsi créé un environnement favorable à l’engagement
de discussions et de débats libres. Par ailleurs, elle établit une
distinction entre personnes privées et publiques lors des actions
en diffamation. Cette distinction traduit le principe bien établi selon
lequel les personnalités publiques, en raison de leur statut au
sein de la société, doivent tolérer un niveau plus élevé de critiques
que le citoyen ordinaire. La charge de la preuve n’incombe plus
au défendeur (c’est-à-dire le média), mais au plaignant, les actions
contre les médias devenant ainsi plus difficiles à gagner. Selon la
loi, seul le propriétaire du média peut être tenu pour responsable
par le tribunal en cas de diffusion ou de publication de déclarations
diffamatoires. La responsabilité individuelle d’un journaliste ou
d’un éditeur ne peut en aucun cas être engagée en cas de publication
de déclarations diffamatoires. Il s’agit d’une protection juridique
importante, évitant aux journalistes, en cas d’accusation de diffamation,
d’être dans l’obligation de s’assurer à titre personnel les services
d’avocats coûteux ou de verser des dommages alors qu’ils n’en auraient pas
les moyens.
259. Il n'existe pas d'association officielle puissante des médias,
cependant, en 2006, le Conseil des médias a pris des mesures pour
l'application de normes professionnelles auxquelles la quasi‑totalité
des médias a souscrit.
260. Même si le Code administratif général stipule que tout citoyen
a le droit de demander des informations aux agents du service public,
il semblerait que certaines institutions financées par des fonds
gouvernementaux ne délivrent jamais les informations sollicitées
– tout du moins pas immédiatement, comme l'exige la loi. En effet,
si l'information n'est pas disponible sur le moment, la loi prévoit
qu'elle soit délivrée dans les 10 jours qui suivent le dépôt de
la demande.
261. La liberté des médias a récemment été placée sur le devant
de la scène. L’environnement médiatique a été affecté par le récent
état d’urgence au cours duquel les radiodiffuseurs ont été soumis
à des restrictions dans leurs reportages et deux chaînes TV ont
été temporairement interdites d’émission. Tous les radiodiffuseurs
ont repris le cours normal de leurs activités après la levée de
l’état d’urgence, neuf jours plus tard, mais la chaîne TV d’opposition
Imedi, victime d’une descente de police le 7 novembre et dont la
licence a été momentanément suspendue, n’a pu recommencer à émettre
qu’un mois plus tard. Le 26 décembre, six journalistes ont annoncé
leur décision de quitter la chaîne Imedi suite aux accusations portées
contre son propriétaire, Badri Patarkatsishvili. La direction de
la chaîne a de ce fait stoppé la diffusion soucieuse de ne pas être
mêlée à des jeux politiques « au parfum de scandale », et affirmant
subir des pressions tant de son propriétaire que des autorités.
262. Une conséquence positive de la réaction déplorable de la majorité
géorgienne de ce 7 novembre, et de ses contrecoups, est la sensibilisation
accrue aux normes professionnelles et éthiques des médias en Géorgie. Le
cadre légal régissant la liberté d'expression, et notamment la radiodiffusion
en Géorgie, est extrêmement libéral et repose sur l'autorégulation.
Néanmoins, la qualité et le professionnalisme des médias laissent
encore à désirer alors que les tentatives d'adoption d'un Code déontologique
pour les radiodiffuseurs ont échoué en raison du refus opposé par
les journalistes. La fermeture de la chaîne Imedi, bien que largement
condamnée, a placé la qualité des comptes-rendus au cœur du débat
public. Elle a également suscité la multiplication de la diffusion
d’opinions divergentes par des radiodiffuseurs privés. Alors qu'avant
le 7 novembre Imedi était la seule chaîne de télévision à offrir
des débats politiques, d'autres chaînes privées ont depuis lors
suivi cette voie. L'élaboration par le Conseil des Médias de lignes
directrices visant à encourager la liberté et la pondération des
médias au cours de la période pré et post-électorale est un développement
majeur. Ces lignes directrices ont été acceptées par la plupart
des principales chaînes TV géorgiennes. Les experts du Conseil de
l'Europe travaillent à l'heure actuelle à la révision d'un projet
de Code déontologique pour les radiodiffuseurs.
5.5. Bureau du Médiateur (Défenseur
public)
263. La
Résolution
1477(2006) de l'Assemblée invitait les autorités géorgiennes
«à accorder au bureau du Médiateur toute l'indépendance nécessaire
aux plans politique et financier, et à envisager d'étendre ses compétences»
(paragraphe 10.6.5.).
264. Opérationnel depuis déjà plus d'une décennie, le bureau du
Médiateur est une force d'appui efficace pour la protection des
droits de l'homme en Géorgie. Il s'emploie à examiner rapidement
toutes les allégations de violation des droits de l'homme. La confiance
publique et le crédit accordés au bureau se sont donc considérablement
renforcés. Ce succès s'accompagne d'une augmentation constante du
nombre de plaintes déposées à son bureau. Selon lui, les requêtes
relèvent essentiellement de la sphère socioculturelle, notamment
du logement et du droit du travail, mais aussi de procédures pénales
et civiles. Les plaintes pour violations des droits de propriété
ont récemment augmenté, en particulier concernant la destruction
de biens par l'État sans compensation équitable.
265. Les citoyens se tournent souvent vers le bureau du Médiateur
au sujet de l'illégalité de décisions prises par les tribunaux.
Toutefois, conformément à la Loi organique sur le Médiateur, celui-ci
ne peut interférer avec les procédures judiciaires, ni citer des
témoins à comparaître devant le tribunal, ni assumer les fonctions d'avocat
de la défense. Au mieux, le Médiateur a la possibilité de soumettre
des propositions au Conseil supérieur de la Justice relatives à
la responsabilité disciplinaire des magistrats, en cas d'infraction
de la loi. Le Médiateur regrette pourtant que ses propositions de
sanctions disciplinaires à l'encontre des magistrats n'aient pas
été suivies d'effet jusqu'ici. En outre, M. Subari déplore la fréquente
réticence du ministère public à ouvrir des enquêtes sur des crimes
commis par des fonctionnaires, tels que des actes de torture et
des traitements inhumains, des arrestations arbitraires, la non
exécution de décisions de justice, la conduite d'enquêtes peu objectives,
etc.
266. En Géorgie, le bureau du Médiateur bénéficie d'un droit de
contrôle bien plus étendu que dans la plupart des autres pays européens.
Dans le cadre de la mise en œuvre du Plan d'action 2005-2009 pour
la réforme de la justice pénale, le suivi de la prévention de la
torture, des mauvais traitements et d'autres manquements aux droits
de l'homme dans les institutions fermées est devenu une fonction
centrale du Médiateur. Depuis janvier 2005, il a effectué plus de
3.000 visites dans des centres de détention provisoire et des commissariats de
police et émis des recommandations. Le contrôle des établissements
pénitentiaires, des cliniques psychiatriques, des orphelinats, des
unités militaires et des centres d'hébergement pour personnes âgées
fait également partie des attributions du Médiateur.
267. Plusieurs centres spécialisés du bureau du Médiateur, comme
le Centre de la tolérance, le Centre du droit des patients et le
Centre juridique ont été mis sur pied avec l'aide du PNUD et d'autres
organisations donatrices. L'ouverture de ces centres a permis de
parfaire l'analyse de questions spécifiques des droits de l'homme.
A titre d’exemple, le Centre juridique, créé en 2006, examine des
projets de lois ainsi que des lois en vigueur. Depuis sa création,
il a proposé des amendements à 35 projets de lois.
268. Le bureau du Médiateur s'investit activement dans le suivi
de la situation en matière de tolérance ethnique et religieuse dans
le pays. Des représentants d'organisations civiles ont néanmoins
fait remarquer que le bureau devrait élargir ses compétences pour
également traiter d'autres formes de discrimination, y compris la
discrimination pour des raisons d'appartenance ou d'orientation
sexuelles.
Compte tenu de la perception
généralement négative de l'homosexualité en Géorgie, qui va parfois
jusqu'à l'homophobie et est soutenue par l'Église orthodoxe géorgienne,
et du fait que même la campagne du Conseil de l'Europe «Tous différents
– tous égaux» a dû être annulée plus tôt dans l'année à cause de
violentes attaques des médias qualifiant l'événement de «gay pride» , nous recommandons que l'attitude problématique
envers l'homosexualité et les droits des LGBT soit étudiée par le
bureau du Médiateur dans le cadre ses activités de suivi et soit
intégrée dans ses formations aux droits de l'homme.
269. Dans le cadre de la réforme de la justice pénale, il est prévu
d'étendre l'autorité du bureau du Médiateur. A cet égard, celui-ci
a rédigé des amendements relatifs à ses compétences, à la Loi organique
le concernant.
270. De plus, cette réforme prévoit d'augmenter le budget du bureau
du Médiateur. Selon les données disponibles sur le site officiel
du Ministère de la Justice, le budget total du Plan d'action 2006-2009
le concernant s'élèverait à 2.050.000 GEL. D'après le Médiateur,
le budget total pour 2007 affecté à son bureau serait de 1.340.000
GEL.
6. Conflits touchant les régions
de l'Abkhazie (Géorgie) et de l'Ossétie du Sud (Géorgie)
6.1. Engagement à un règlement pacifique
des conflits
271. Au moment de leur adhésion au Conseil de l'Europe,
la Géorgie (1999)
ainsi que la Russie
(1996)
se sont soumises
volontairement à l'obligation de régler tous les conflits internationaux
et les différends intérieurs par des moyens pacifiques. Par la suite,
dans ses résolutions, l'Assemblée a recommandé aux autorités géorgiennes
d'adopter un cadre légal pour le rétablissement des droits de propriété
et d'occupation ou le dédommagement des biens perdus pendant les
conflits intérieurs et de veiller à ce que les personnes déplacées
à l'intérieur du pays jouissent des mêmes droits que le reste de
la population.
En 2005, l'Assemblée
a appelé par deux fois la Fédération de Russie «à user de sa grande
influence pour soutenir les efforts du gouvernement géorgien visant
à résoudre de manière pacifique et politique les conflits qui perdurent avec
l'Ossétie du Sud et l'Abkhazie; à créer les conditions nécessaires
pour garantir une large autonomie à l'Ossétie du Sud et à l'Abkhazie,
et pour rétablir l'intégrité territoriale de la Géorgie»
et à «contribuer de manière
constructive à la résolution des problèmes encore en suspens et
mettre un terme aux pratiques qui, comme la délivrance de passeports
russes aux habitants des régions géorgiennes des régions de l'Abkhazie et
de l'Ossétie du Sud, peuvent – de manière directe ou indirecte –
porter atteinte à la souveraineté et à l'intégrité territoriale
de ces pays».
Ces obligations et recommandations
donnent mandat au Conseil de l'Europe d'évaluer les progrès réalisés
en vue de la stabilisation de la situation et d'un règlement pacifique
en Abkhazie et en Ossétie du Sud.
272. Le Comité de suivi de l'Assemblée parlementaire et le Comité
des Ministres suivent parallèlement l'évolution de la situation
dans les deux régions séparatistes depuis plusieurs années. Le Commissaire
aux Droits de l'Homme du Conseil de l'Europe a visité récemment
les deux régions et a transmis en septembre 2007 un rapport d'évaluation
de la situation des droits de l'homme dans ces régions.
Lors
de la partie de session d'avril 2007, l'Assemblée a adopté la
Résolution 1553 (2007) sur les personnes disparues en Arménie, en Azerbaïdjan
et en Géorgie dans les conflits touchant les régions du Haut-Karabakh,
de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud, préparée par notre collègue
M. Platvoet (Pays-Bas, ULE), qui abordait aussi certaines questions
importantes en matière de droits de l'homme dans les deux régions
séparatistes. Lors de notre récente visite, en outre, nous avons
examiné les facteurs politiques qui s'opposent aujourd'hui à un
règlement de ces conflits
273. L'état d'esprit des communautés, qui empêche l'adoption de
mesures visant à restaurer la confiance, est à notre avis l'obstacle
principal au règlement des conflits. Les communautés sont isolées
les unes des autres depuis maintenant près de quinze ans et ont
été soumises à une propagande intensive de tous les côtés. Ceci a
conduit à ancrer solidement chez chacune des parties une image déformée
et négative de «l'autre» qui ne correspond pas à la réalité mais
dont il sera nécessaire de tenir compte dans la recherche d'une
solution. Il faut aussi déplorer le fait que les parties et la communauté
internationale ne soient pas parvenues jusqu'ici à créer les conditions
minimales nécessaires au retour dans la sécurité des personnes déplacées
à l'intérieur du pays, question que nous abordons également dans
ce chapitre du rapport.
274. D'une manière générale, le gouvernement géorgien continue
à respecter ses obligations internationales relatives au règlement
pacifique des conflits intérieurs. Il affirme ne pas chercher à
résoudre par la voie militaire les conflits à l'intérieur des frontières
de la Géorgie et nous n'avons en fait aucune raison de penser que
les autorités géorgiennes, qui travaillent déjà main dans la main
avec les structures de l'OTAN et de l'UE dans la perspective d'un
renforcement de l'intégration, aient l'intention de résoudre ces
conflits par des moyens autres que pacifiques, bien que leur impatience
sans cesse proclamée à propos du blocage de la situation actuelle puisse
parfois laisser croire le contraire.
Il
n'existe aujourd'hui en Géorgie aucune force politique défendant l'idée
d'un possible règlement militaire. L'image que la propagande russe
donne souvent de la Géorgie, à savoir celle d'un pays agressif,
armé jusqu'aux dents et prêt à se lancer à tout moment dans une
nouvelle attaque militaire, est absurde. Pendant les dernières années,
la Géorgie a proposé plusieurs plans de paix qui ont reçu le soutien
de l'OSCE et de l'UE. Ces propositions de paix, cependant, ont été
rejetées par les autres parties qui les ont interprétées comme servant
principalement à attester la bonne volonté de la Géorgie devant la
communauté internationale et à lui permettre ainsi d'imposer une
solution conforme à ses vœux.
275. Selon le ministre d'Etat chargé du règlement des conflits,
la Géorgie ne s'occupe plus maintenant des seules questions opérationnelles
quotidiennes, comme le traitement des incidents frontaliers, mais
fait porter ses efforts sur les aspects plus stratégiques du règlement
du conflit, notamment la reconstruction économique, le retour des
personnes déplacées, la restitution des biens, etc. Cette évolution,
cependant, n'a guère été facilitée par les incidents frontaliers
et les raids aériens répétés qui enflamment régulièrement les esprits
et éloignent l'attention – à la fois dans le pays et au niveau international
– des problèmes spécifiques à résoudre en vue d'un règlement pacifique.
Néanmoins, le gouvernement géorgien a fait preuve, semble-t-il,
d'une maturité beaucoup grande face à ces provocations l'an dernier.
Lors du dernier incident militaire de violation de ses frontières
,
il a réagi de manière sobre et responsable en cherchant immédiatement
à obtenir une réponse diplomatique des pays occidentaux au lieu
d'engager une riposte unilatérale.
276. L'ensemble des parties au processus de négociation sont depuis
longtemps d'avis que, pour parvenir à un règlement pacifique de
ces conflits, il est nécessaire de renforcer l'attrait de la Géorgie
pour l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud. Depuis peu, la Géorgie a fortement
modéré sa politique à l'égard des régions sécessionnistes et elle
privilégie maintenant une méthode «douce» de résolution des conflits
qui devrait créer des possibilités de dialogue. Sa stratégie actuelle
met en avant le lien entre le règlement des conflits et les réformes
internes. Les mesures prises à cet égard comprennent l'investissement
à grande échelle dans les infrastructures (reconstruction des routes,
des écoles, des hôpitaux et des bâtiments de l'administration publique)
et la distribution de nourriture et de médicaments dans les régions
actuellement sous contrôle géorgien afin de rendre visible l'écart
croissant entre ces régions et le reste de l'Abkhazie et de l'Ossétie
du Sud en termes de développement économique. Elles impliquent aussi
une prise en compte de la nouvelle «unité administrative provisoire»
à l'échelon politique national: récemment, par exemple, un membre
de l'organe dirigeant de l'«unité administrative provisoire» a été
nommé vice‑ministre de l'économie. Cette stratégie, qui est appliquée
surtout au règlement du conflit en Ossétie du Sud, a suscité de
nouvelles tensions dans la région mais pourrait déboucher sur de
réels progrès politiques si elle est appliquée de manière adéquate.
277. Les observateurs internationaux, cependant, notent que la
nouvelle stratégie adoptée par la Géorgie pourrait se retourner
contre elle et que les fréquents problèmes de sécurité risquent
de dégénérer si elle n'agit pas avec prudence
. Ils conseillent
aussi à la Géorgie de ne pas chercher à aller trop loin trop rapidement,
en soulignant qu'une impatience excessive pourrait favoriser l'escalade
des tensions et aboutir à une perte totale de contrôle de la situation.
278. Sur les conseils de la communauté internationale, le Gouvernement
géorgien concentre actuellement ses efforts sur la relance de relations
bilatérales avec les autorités séparatistes. Le 25 octobre, le ministre d'Etat
chargé du règlement des conflits a rencontré le ministre de facto
des Affaires étrangères d'Abkhazie à Soukhoumi, refermant la parenthèse
d'une année de suspension des relations bilatérales entre les hauts fonctionnaires
de Géorgie et d'Abkhazie
. Soukhoumi avait précédemment soumis
la reprise du dialogue à un certain nombre de conditions, comme
le retrait des forces géorgiennes et du «gouvernement alternatif» soutenu
par Tbilissi de la vallée de la Kodori, dans la région séparatiste
contrôlée par Tbilissi. Actuellement, le dialogue semble plus difficile
à établir avec les autorités de Tskhinvali, qui ne souhaitent pas
participer à une solution négociée.
279. Le Gouvernement géorgien a récemment mis en train la création
d'une Commission d'Etat chargée de réfléchir au nouveau statut de
l'Ossétie du Sud au sein de l'Etat géorgien; cette commission devrait
réunir au sein d'un vaste dialogue l'ensemble des parties de même
que les partenaires internationaux de la Géorgie. Le Gouvernement
géorgien a entrepris de faire appel à l'expertise du Conseil de
l'Europe pour le projet à élaborer.
280. 2008 sera une importante année-test pour le gouvernement géorgien:
la Géorgie, en effet, attache une grande importance au Sommet de
l'OTAN prévu en avril 2008 à Bucarest, à l'issue duquel elle pourrait rejoindre
le Plan d'action pour l'adhésion à l'OTAN (MAP). La Géorgie considère
son adhésion éventuelle à l'OTAN comme une garantie supplémentaire
de protection de son intégrité territoriale. Pour le moment, cependant,
la voie est étroite entre le respect des normes diplomatiques que
l'OTAN et l'UE attendent de ses membres potentiels et l'adoption
de mesures pour sauvegarder la souveraineté, la sécurité et la dignité
du pays.
2008 sera aussi une année
d'élections présidentielles et législatives en Géorgie. La restauration
de l'intégrité territoriale est une priorité inscrite à l'ordre
du jour politique, tant pour le Mouvement national uni que pour
l'opposition nouvellement unifiée. Les Géorgiens, en outre, font
observer que les vieux modèles n'ont pas permis de résoudre les
désaccords en suspens et soulignent que le temps est venu d'en adopter
de nouveaux. Ces modèles devront toutefois tenir compte des réalités
actuelles du terrain ainsi que de l'évolution de la situation géostratégique
dans l'ensemble de la région du Caucase.
6.2. Raisons du blocage persistant
de la situation
281. Le processus de règlement pacifique du statut politique
de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud est aujourd'hui interrompu;
aucune négociation véritable n'a lieu actuellement entre les parties
et aucune tentative de médiation n'est en cours au niveau international.
Les discussions que nous avons pu avoir avec les différents acteurs
nous permettent de distinguer cinq facteurs ou objets de désaccord
fondamentaux s'opposant aujourd'hui au règlement effectif de ces
conflits.
282. Premièrement, la communauté internationale reconnaît de façon
univoque la souveraineté étatique et l'intégrité territoriale de
la Géorgie, légitimant ainsi le droit de l'Etat géorgien à contrôler
l'ensemble de son territoire. La Géorgie considère son incapacité
de fait à rétablir le contrôle sur l'ensemble de son territoire comme
un obstacle à la construction de l'Etat géorgien, à la sécurité
nationale et au développement économique du pays. Des centaines
de milliers de personnes sont toujours déplacées du fait de la purification ethnique
du début des années 90 en Abkhazie et la plupart d'entre elles vivent
dans des conditions très difficiles en Géorgie et aussi en Russie.
Les meurtres et enlèvements fréquents ainsi que l'absence de loi, d'ordre
et de garanties pour le retour en sécurité des réfugiés dans les
zones de conflit contribuent à accroître la nervosité et l'impatience
du gouvernement géorgien qui a recours occasionnellement à l'invective
verbale, ce qui n'est guère apprécié des autres parties à un règlement
pacifique. Les Géorgiens considèrent qu'ils ne peuvent laisser se
poursuivre la «tactique visant à prolonger la situation, prolonger
l'injustice et prolonger les persécutions dans le but ultime d'annexer
ces territoires».
283. Ils s'impatientent aussi de ce que, chaque fois qu'ils cherchent
à rétablir leur contrôle sur une zone troublée (comme ils l'ont
fait dans la haute vallée de la Kodori en juillet 2006), ou lorsqu'ils
s'efforcent de reconstituer une force militaire afin de modifier
la posture du pays dans le processus de négociations, organisent
un camp d'été patriotique pour la jeunesse à Ganmukhuri afin de
mettre en contact les jeunes d'origine ethnique différente ou demandent
la mise en place sous l'égide de l'ONU d'une force de maintien de la
paix et de police neutre et professionnelle, la Géorgie subit les
reproches à la fois de ses partenaires occidentaux et de la Russie
et se voit rappeler l'obligation de s'en tenir aux mécanismes existants
de résolution des conflits, alors que ceux-ci ont fait la preuve
de leur échec complet
. Cette forme de soutien
international de la souveraineté et de l'intégrité territoriale
de la Géorgie est perçue par Tbilissi comme contribuant au maintien
du statu quo au lieu de conduire à un règlement fructueux.
284. Deuxièmement, ces conflits
sont originellement des conflits intercommunautaires dont le règlement
a été «gelé» du fait de différences d'appréciation de leurs causes
et de différences d'interprétation du droit international. La Géorgie
affirme le principe de la souveraineté et de l'intégrité territoriale
du pays, tandis que les Abkhazes et les Ossètes du Sud invoquent
le droit à l'autodétermination comme base de leur combat pour l'indépendance.
Cependant, même si d'authentiques griefs de la part des populations
minoritaires et les erreurs graves commises par les dirigeants géorgiens
de l'époque sont à l'origine de ces conflits, l'influence exercée
par la Russie sur les régions sécessionnistes s'est accrue au fil
des ans à un point tel que la
nature de
ces conflits a changé. Dans le même temps, le rôle de
la Géorgie comme partenaire stratégique de l'Europe et des États-Unis
s'est aussi renforcé. On peut donc se demander si les caractéristiques
essentielles de ces conflits sont encore celles d'une guerre civile
de sécession ou s'ils ne constituent pas plutôt une forme non dissimulée
de confrontation entre la Russie et la Géorgie par acteurs interposés
,
ou bien même s'ils ne s'inscrivent pas dans une rivalité entre grandes
puissances mettant aux prises des acteurs internationaux se caractérisant
eux‑mêmes par des identités et des intérêts incompatibles.
285. Depuis 2004, en effet, la Russie a adopté une nouvelle position,
plus affirmée, à l'égard des deux régions sécessionnistes, récusant
ainsi son rôle précédent de simple «facilitateur» de la paix. La
partie géorgienne considère que le soutien politique, financier
et militaire apporté par la Russie aux autorités de facto de Sukhumi et
Tskhinvali n'est pas compatible avec le rôle d'intermédiaire fiable.
Les Géorgiens affirment que la grande majorité de la population
de l'Abkhazie détient un passeport russe, que le rouble russe est
la monnaie qui a cours dans la région et qu'un certain nombre de
retraités touchent des retraites russes. Moscou a détaché des officiers
russes auprès de l'armée et des services de sécurité et des gouvernements
de facto de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud. Le ministre de la
défense de l'Abkhazie et son chef d'état‑major, par exemple, sont
tous deux d'anciens officiers russes. Deux officiers russes remplissent
également les fonctions de ministre de la défense et de chef des
services de sécurité à Tskhinvali. Le 18 novembre 2006, le dirigeant
de facto de l'Ossétie du Sud, Eduard Kokoiti, qui est soutenu par
la Russie, a déclaré que «l'Ossétie du Sud rejoindra de toutes façons
l'Ossétie du Nord et deviendra membre de la Fédération de Russie
dans un avenir proche».
Ces différents éléments
sont jugés intolérables par les Géorgiens qui y voient la preuve
que la Russie a l'intention de remettre en cause la stabilité de
la Géorgie et de réduire à néant les perspectives de rétablissement
de l'intégrité territoriale du pays.
286. La partie russe considère que les Abkhazes et les Ossètes
du Sud ne veulent pas vivre sous domination géorgienne et souhaitent
le déploiement de forces russes de maintien de la paix sur leur
territoire, au moins jusqu'à ce que la Géorgie parvienne à les convaincre
qu'elle ne cherchera pas à régler militairement ces conflits. L'importance
de ce dernier aspect s'est accrue depuis l'opération des forces
spéciales géorgiennes dans la haute vallée de la Kodori en juillet
2006, qui a été perçue par la partie russe comme un recours à la force
militaire pour résoudre le conflit en Abkhazie. Ce même mois, la
Douma russe a adopté une résolution autorisant les troupes russes
à intervenir n'importe où pour protéger des citoyens russes, y compris
– on peut le supposer – ceux qui résident de façon permanente en
Abkhazie et en Ossétie du Sud. L'adoption par la Douma russe le
6 décembre 2006 de deux autres résolutions appelant à reconnaître
la sécession de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud de la Géorgie
en vue de leur intégration potentielle dans la Fédération de Russie
a bloqué tout espoir de progrès dans les négociations à la fin 2006.
287. En tant que parties directement impliquées dans les deux conflits,
la Russie et la Géorgie s'accusent mutuellement de chercher à les
résoudre sur la base de leurs intérêts particuliers et de l'image
qu'elles se font des réalités sur le terrain. La Russie affirme
vouloir régler rapidement les conflits en cours par la seule voie pacifique
mais ne pouvoir admettre le refus de la Géorgie de tenir compte
des réalités dans les deux régions sécessionnistes. Les actions
provocatrices de la Géorgie sont perçues comme humiliantes pour
les forces russes de maintien de la paix et pour la Russie en général
qui demande sur un ton quelque
peu paternaliste à la partie géorgienne d'assumer la responsabilité
de ses actes. La Géorgie, de son côté, affirme être prête à considérer
la Russie comme un élément de la solution et non comme un élément
du problème. La Géorgie, de son côté, affirme être prête à considérer
la Russie comme un élément de la solution et non comme un élément du
problème. Les Géorgiens ne cherchent pas à exclure la Russie du
processus de paix mais, compte tenu de la partialité de la Russie
et des intérêts en jeu pour elle dans les zones de conflit, les
modalités des négociations et des opérations de maintien de la paix
devraient être modifiées de façon à permettre une participation
internationale au processus de négociation et l'arrivée de forces
de police internationales dans les deux régions. Ce point de vue,
que rejettent Moscou et les deux régions séparatistes, ne bénéficie
pas d'un soutien très affirmé parmi les partenaires occidentaux
de la Géorgie qui ne souhaitent pas envenimer plus encore leurs
relations avec la Russie.
288. La Géorgie a placé tous ses espoirs de récupération des territoires
perdus dans son intégration à l'Ouest et notamment la perspective
de son adhésion à l'OTAN. Cette adhésion est vigoureusement soutenue
par les États-Unis. Il s'agit là d'une source d'irritation pour
la Russie qui envisage ses relations avec les États-Unis dans la
région selon une logique à somme nulle et a indiqué clairement que
l'adhésion de la Géorgie à l'OTAN «compliquera énormément et reportera
à un avenir très lointain» la résolution des conflits en Ossétie
du Sud et en Abkhazie. La série d'incidents frontaliers et les violations
récentes de l'espace aérien géorgien sont peut-être l'indication
que la Russie cherche à tester la patience de la Géorgie et les
réactions internationales et à faire comprendre à la Géorgie que,
bien que désireux de resserrer leurs liens avec elle dans le domaine
de l'énergie, les États-Unis et l'Europe ne sont peut être pas prêts
à endosser de nouvelles obligations en matière de sécurité.
289. La Russie affirme avoir adopté une approche à long terme du
règlement des conflits et défend l'idée que le renforcement de la
confiance entre les parties est une condition préalable à la cohabitation
dans un État commun. Cependant, on ne peut pas dire qu'elle fasse
beaucoup pour restaurer cette confiance. La propagande de Moscou
continue à présenter la Géorgie comme coupable d'agression et de
nettoyage ethnique contre les Abkhazes et les Ossètes. La Russie
se sert fréquemment de la plate‑forme que lui offrent le Conseil
de Sécurité de l'ONU et ses résolutions pour faire valoir ses arguments,
ce qui ne fait que renforcer le blocage politique.
290. Pendant la nuit du 11 mars 2007, des hélicoptères russes ont
lancé une attaque aérienne de grande envergure dans la haute vallée
de la Kodori en Géorgie.
Plus récemment, le 6 août, un ou plusieurs
appareils militaires russes de type SU-24 ont violé de nouveau l'espace
aérien géorgien en pénétrant plus de 75 kilomètres à l'intérieur
du territoire souverain de la Géorgie et en lâchant un missile tactique
anti-radar de précision Raduga Kh-58 à proximité du village de Tsitelubani,
près de la région de Tskhinvali, en Ossétie du Sud (à environ 60
km de Tbilissi).
Cette
dernière incursion avait probablement pour objectif d'endommager ou
de détruire le radar géorgien installé à Tsitelubani mais le missile
n'a pas atteint sa cible.
L'analyse
des données de radar civiles et militaires géorgiennes a conclu
que l'avion était entré dans l'espace aérien de la Géorgie à partir
de la Fédération de Russie. Une équipe de l'OSCE présente sur le
terrain, qui incluait des représentants de la Russie, a confirmé
que des appareils étaient entrés et sortis de Géorgie par le nord-est.
291. Comme lors de l'attaque du 11 mars, la Russie a d'abord déclaré
que les Géorgiens étaient responsables de l'incident puis, de façon
contradictoire, que l'incident n'avait pas eu lieu. La Géorgie,
de son côté, a réaffirmé qu'elle était prête à ouvrir immédiatement
des consultations bilatérales avec la partie russe afin d'empêcher
la répétition de tels incidents. Deux réunions de consultation ont
effectivement eu lieu le 17 août à Tbilissi puis, au niveau politique,
le 30 août à Moscou.
Après
la déclaration de la Présidence portugaise de l'UE le 10 août, qui
soulignait «la nécessité d'une enquête rapide, approfondie et indépendante pour
éclaircir et vérifier la totalité des faits entourant cet incident»,
le ministère des affaires étrangères de la Géorgie a appelé à une
enquête internationale indépendante
des
circonstances de l'incursion aérienne et du lâcher de missile. Deux
groupes d'experts se sont rendus en Géorgie
et
ont l'un et l'autre confirmé que l'espace aérien géorgien avait
été violé trois fois le 6 août par des appareils volants venus de
l'espace aérien russe et que la Géorgie ne disposait pas des capacités
nécessaires pour lancer un missile de ce type.
292. Dans la
Résolution
1752 du 13 avril 2007, le Conseil de Sécurité de l'ONU a
condamné en tant que telle l'attaque contre les villages de la haute
vallée de la Kodori mais en évitant d'attribuer des responsabilités,
sans doute à cause du veto russe. L'OSCE, lors de sa réaction à
la crise du mois d'août, comparable à celle de l'ONU après l'incident
du mois de mars et l'incident plus tardif de la vallée de la Kodori,
s'est montrée tout aussi incapable de réagir à cet événement.
293. Ceci nous amène à la
troisième raison
expliquant le blocage actuel de la situation:
les mécanismes internationaux existants pour
répondre à ce type d'incidents sont inefficaces :
tant l'ONU que l'OSCE sont mal armées pour empêcher la répétition
de tels incidents,
principalement parce que ces organes multilatéraux
internationaux sont soumis à un veto politique ou budgétaire de
la Russie. L'incapacité à réagir de façon convaincante aux provocations
de ce type laisse en fait accroire à la Russie qu'elle peut se livrer
à des intimidations à l'égard de ses voisins sans avoir à rendre
de comptes afin de dissuader la Géorgie d'adhérer aux institutions
euro‑atlantiques.
294. Quatrièmement, il n'existe pas
en général de consensus international sur les moyens de résoudre
le problème. Les organisations multilatérales internationales
ne disposent ni d'une stratégie claire ni d'une véritable expérience
du règlement des conflits sécessionnistes en Europe. Associée à
la crainte de remettre en cause les fragiles accords de cessez-le-feu,
cette absence de stratégie cohérente aboutit généralement à la
défense du statu quo. Les décideurs
occidentaux incitent régulièrement à la «prudence» et conseillent
aux dirigeants géorgiens de faire confiance au «processus de paix»
et aux institutions internationales travaillant sous l'égide de
l'ONU et de l'OSCE. Ce «processus», cependant, n'est pas seulement
inefficace; il sert d'excuse à l'inaction.
Les
dernières résolutions de l'ONU depuis octobre, par exemple, demandent
en termes vigoureux à la Géorgie d'appliquer les conditions de l'accord
de Moscou de 1994. Citant ces résolutions, Moscou et Sukhumi exigent
par conséquent le retrait de la police et des autorités civiles
géorgiennes de la haute vallée de la Kodori comme condition préalable
à la reprise des négociations. La diplomatie occidentale a ainsi
fourni à Moscou et Sukhumi des arguments pour continuer à bloquer
les négociations que les diplomates occidentaux souhaitent voir
reprendre.
295. Dans sa récente allocution devant l'Assemblée générale de
l'ONU le 26 septembre 2007, le président géorgien a déclaré que
«quatorze années se sont écoulées sans qu'une seule fois ait été
menée une analyse approfondie des raisons pour lesquelles la paix
n'a pu s'imposer». Il a appelé à «un examen détaillé de tous les
aspects du processus de paix» qui devrait aboutir à des «changements
fondamentaux» des modalités actuelles de «médiation» et de «maintien
de la paix». Il a demandé en outre qu'une présence «compétente et neutre»
se substitue au rôle «partial et non équilibré des soi‑disant forces
de maintien de la paix».
296. L'Union européenne n'a pas exclu en principe de participer
à des opérations de maintien de la paix. Ceci nécessiterait toutefois
que les opérations conjointes soient approuvées par les autres parties,
y compris la Russie.
297. Enfin, le maintien
du statu quo sert aussi d'alibi aux gouvernements occidentaux qui
soutiennent – à des degrés divers toutefois – l'
indépendance du Kosovo à l'égard
de la Serbie. Cette approche admet tacitement le lien établi par
Moscou entre les conflits post‑soviétiques et le conflit du Kosovo,
alors que cette thèse est officiellement rejetée par les États-Unis
et l'Union européenne. Toute reconnaissance tacite ou implicite
de ce lien pourrait faire le jeu de Moscou dont la tactique est
de bloquer la résolution des cinq conflits.
298. Le «précédent du Kosovo» a suscité une attitude politique
nouvelle parmi les régions sécessionnistes. La perspective de l'indépendance
du Kosovo, bien qu'encore «conditionnelle», alimente la détermination
des entités sécessionnistes à résister à tout règlement du conflit
dans l'espoir que, tôt ou tard, elles pourront suivre l'exemple
du Kosovo.
Le
président de facto de l'Abkhazie a ouvertement déclaré qu'«en cas
de reconnaissance du Kosovo, l'Abkhazie sera reconnue dans les trois
jours qui suivent».
6.3. Évolution de la situation et
de l'état d'esprit dans les régions sécessionnistes
299. Dans son allocution récente devant l'ONU, le président
géorgien a précisé la proposition politique de la Géorgie aux communautés
sud-ossète et abkhaze: une «complète autonomie sur la base des principes
ayant guidé l'Europe», accompagnée d'une protection spéciale des
droits linguistiques et des droits des minorités dans le cadre des
garanties constitutionnelles, ainsi que de garanties internationales
à négocier. Il a également établi un lien entre la préservation
durable de l'identité ethnique avec la garantie légale des droits
de propriété.
Comme on pouvait
s'y attendre, cette proposition a été reçue avec des sentiments
partagés dans les zones en conflit.
6.3.1. Ossétie du Sud
La période de conflit ouvert
en Ossétie du Sud, qui a duré de 1990 à 1992, a coûté la vie à environ
un millier de personnes. Le conflit s'est achevé par un accord de
cessez-le-feu signé le 14 juillet 1992. Cet accord de cessez-le-feu
s'est traduit par la mise en place d'une opération trilatérale de
maintien de la paix comprenant des troupes russes et géorgiennes
et des troupes des autorités sud‑ossètes de facto. Une commission
conjointe de contrôle (JCC) au sein de laquelle sont représentées
la Russie, l'entité sud‑ossète de facto, l'Ossétie du Nord (région
de la Fédération de Russie) et la Géorgie supervise la situation
en matière de sécurité et poursuit des négociations pour le règlement
du conflit. L'OSCE surveille la situation. Le gouvernement géorgien
s'est plaint à de nombreuses reprises que le format actuel des discussions
le met en situation de désavantage; il souhaite une plus grande
participation de la communauté internationale. L'UE participe en
tant qu'observateur aux réunions de la JCC sur les questions économiques.
300. A la suite de l'élection de Mikhaïl Saakachvili à
la présidence en janvier 2004, le gouvernement géorgien a intensifié
les efforts pour rétablir son contrôle sur l'Ossétie du Sud. La
stratégie adoptée à cet égard a inclus une campagne de lutte contre
la contrebande, dirigée principalement contre le marché florissant
d'Ergneti
, et une campagne d'aide
humanitaire visant à saper le pouvoir des dirigeants sud‑ossètes.
Ces mesures, cependant, ont eu pour effet de renforcer le soutien
dont bénéficient les autorités de facto car la survie économique
de nombreux Ossètes du Sud dépend d'activités commerciales illégales.
La politique agressive de lutte contre la contrebande s'est aussi
traduite par un renforcement de la présence des troupes géorgiennes sur
le terrain, ce qui a provoqué des réactions brutales de la partie
ossète. L'été 2004 a vu une escalade de la tension qui a failli
déboucher sur une nouvelle guerre ouverte. Au bout d'un mois, les
deux parties sont parvenues à se mettre d'accord sur un cessez-le-feu
qui, toutefois, n'empêche pas les tirs et les incidents criminels
de se produire quotidiennement dans la région.
301. Dans le cadre de la nouvelle stratégie du gouvernement géorgien
visant à modifier de façon pacifique le statu quo, Tbilissi soutient
depuis novembre 2006 une autre administration en Ossétie du Sud
qui est dirigée par Dmitri Sanakoev, un ancien officiel du gouvernement
de facto de Tskhinvali. Un gouvernement alternatif a été créé à
Kurta en Ossétie du Sud, à 5 kilomètres seulement de Tskhinvali.
Il existe donc maintenant une dualité de pouvoirs en Ossétie du
Sud. Le 10 mai 2007, le gouvernement géorgien a nommé Sanakoev chef de
la nouvelle «unité administrative provisoire» de la région de Tskhinvali
/ Ossétie du Sud.
Jusqu'ici, Sanakoev
a réussi à obtenir le soutien des villages de population géorgienne
mais il n'est pas certain qu'il parvienne
à acquérir une réelle influence dans la partie de territoire gouvernée
par les Ossètes, ce qui déterminera l'évolution ultérieure du conflit.
302. Le gouvernement géorgien considère Sanakoev comme un véritable
interlocuteur ossète avec lequel il pourrait négocier un règlement
permettant de maintenir l'Ossétie du Sud à l'intérieur de la Géorgie.
Sa crédibilité tient à ses yeux au fait qu'il s'agit d'un Ossète
et d'un ancien sécessionniste ayant combattu contre les Géorgiens
en 1991-1992. Le président Saakachvili et plusieurs officiels gouvernementaux
nous ont déclaré avoir confiance dans la capacité de Sanakoev à
obtenir le soutien de la majorité de la population des villages actuellement
placés sous le contrôle des autorités sud‑ossètes de facto. Toutefois,
ils n'excluent pas l'éventualité de provocations graves orchestrées
par Moscou qui pourraient ralentir le processus.
303. Le soutien politique apporté à Sanakoev par Tbilissi s'accompagne
d'un effort de réhabilitation économique des zones sous contrôle
géorgien, avec l'aide des donneurs internationaux et en particulier
des Etats‑Unis. Diverses entreprises géorgiennes de construction
et autres construisent, avec le soutien du gouvernement, des routes,
des banques, des cinémas et des hôtels ou rénovent des écoles et
la différence avec les zones administrées par les autorités sécessionnistes
est déjà visible. L'économie est certainement un domaine dans lequel
des progrès sont possibles. Néanmoins, d'autres réalités économiques
contribuent aussi à alimenter le conflit: il est probable en effet
que tous ceux qui bénéficient des opérations lucratives de contrebande
et de contrefaçon en Ossétie du Sud résisteront à une réaffirmation
de l'autorité de l'Etat.
304. Lors de l'entretien que nous avons eu avec lui, Dmitri Sanakoev
a indiqué que le géorgien devrait devenir la langue officielle du
territoire sud-ossète et une complète autonomie garantie afin de
préserver l'identité linguistique et culturelle ossète.
Il a également souligné
que l'attrait de l'UE pourrait devenir un facteur décisif d'instauration
de la confiance entre Ossètes et Géorgiens. L'UE est à son avis
particulièrement bien placée pour servir d'intermédiaire en vue
de l'ouverture d'un dialogue politique et du règlement du conflit.
305. Le gouvernement géorgien s'efforce activement d'obtenir le
soutien international de l'unité administrative dirigée par Sanakoev.
C'est la raison pour laquelle Sanakoev accompagne souvent le président ou
les officiels gouvernementaux dans leurs déplacements à l'étranger.
De plus, le 21 septembre 2007, la Géorgie a organisé à Tamarasheni,
en Ossétie du Sud, une conférence internationale sur le conflit.
Cette manifestation, la toute première de ce type dans une zone
de conflit post‑soviétique, a été suivie par des ambassadeurs et
des officiels de presque tous les États membres de l'UE et de l'OTAN
ainsi que par les représentants des missions de l'UE et de l'OSCE
en Géorgie.
306. Malgré ces développements positifs, nous approuvons l'analyse
de l'ICG (International Crisis Group) selon lequel Tbilissi, bien
que faisant preuve d'une certaine imagination dans son approche
du conflit, devrait aussi comprendre que cette stratégie ne peut
donner des résultats du jour au lendemain et que les incitations économiques
ne seront pas, à elles seules, suffisantes. Les aspirations et les
craintes de la partie ossète devront aussi être prises en compte.
Les Ossètes de Tskhinvali doutent que Sanakoev soit en mesure de représenter
leurs intérêts en les faisant passer avant ceux de Tbilissi. Dans
les villages contrôlés par les autorités de Tskhinvali, un grand
nombre d'Ossètes le considèrent comme un traître. L'ICG pense par conséquent
que Tbilissi devrait rouvrir le dialogue sur les questions de fond
avec Tskhinvali pendant que Sanakoev s'efforce d'accroître sa crédibilité
auprès des Ossètes.
307. Les Géorgiens indiquent avoir accepté depuis mars 2007 la
reprise partielle des travaux de la Commission conjointe de contrôle
tout en soulignant que les négociations bilatérales entre la Géorgie
et l'Ossétie du Sud sont le facteur principal. Ils regrettent néanmoins
qu'au cours des négociations, le groupe Kokoiti ait représenté principalement
les intérêts russes et non les intérêts de la population locale.
308. Comme on le sait, les autorités sud‑ossètes de facto cherchent
aussi à obtenir la reconnaissance européenne; cependant, ni M. Kokoiti
ni aucun officiel des autorités de facto n'a répondu à notre demande d'entretien.
Le président du parlement de facto est la seule personne que nous
ayons pu rencontrer à Tskhinvali. Il a exprimé le regret que la
proposition du président Saakachvili en faveur de l'autonomie complète à
l'intérieur du territoire de la Géorgie intervienne 18 ans après
la première demande du parlement sud-ossète à cet égard. La situation,
à son avis, ne pourra être débloquée tant que ne sera pas organisé
l'équivalent d'un procès de Nuremberg pour l'Ossétie du Sud. Il
souhaite aussi obtenir des garanties du gouvernement géorgien que
les atrocités ne pourront se reproduire. Le président du parlement
de Tskhinvali, un Ossète, considère que le conflit est entièrement
de nature politique et qu'il ne s'agit pas d'un conflit interethnique.
309. Une session plénière de la Commission conjointe de contrôle
(JCC) sur l'Ossétie du Sud devait avoir lieu les 23 et 24 octobre
2007 à Tbilissi. On s'attendait à ce que la partie géorgienne mette
en avant une nouvelle fois sa demande de démilitarisation de la
région et de désarmement des groupes armés illégaux et cherche à
reprendre le contrôle du tunnel de Roki, qui relie l'Ossétie du
Sud sécessionniste à la Fédération de Russie. Tbilissi a aussi proposé
que l'équipe dirigeante de Sanakoev participe aux négociations dans
leur format actuel, sur des questions pratiques comme l'approvisionnement
en eau, l'électricité, les routes, les projets humanitaire et de
rétablissement de la confiance, sachant qu'elle contrôle environ
50% du territoire. La partie sud-ossète, de son côté, devait défendre
un accord de non-recours à la force dont elle espère qu'il pourra
être signé par le chef sécessionniste sud ossète, Eduard Kokoiti,
et par le président Saakachvili. Mais les deux jours de pourparlers
ont été totalement stériles, ce que la partie géorgienne a interprété
comme la démonstration de l'inefficacité du cadre de négociation
posé par les Russes. L'Ossétie du Sud a estimé quant à elle que
le refus de Tbilissi de signer l'accord non-recours à la force était
responsable de l'échec des pourparlers
.
6.3.1.1. Restitution des biens
310. La Géorgie s'est engagée à adopter un texte de loi
sur la restitution des biens aux victimes du conflit sud-ossète
comme condition d'adhésion au Conseil de l'Europe en 1999. En 2004,
le gouvernement a élaboré un projet de loi sur la restitution des
logements et des biens aux victimes du conflit entre la Géorgie
et l'Ossétie du Sud sur lequel la Commission de Venise a rendu un
avis assez critique. En 2006, le projet de loi a été révisé en tenant
compte des observations de la Commission de Venise. Il a été adopté
en première lecture le 9 juin 2006 et la loi, intitulée «loi sur
la restitution des biens et le dédommagement sur le territoire de
la Géorgie des victimes du conflit dans l'ex-district d'Ossétie
du Sud», est finalement entrée en vigueur le 1er janvier
2007. La Géorgie a ainsi rempli un autre des engagements contractés
lors de l'adhésion au Conseil de l'Europe.
311. La loi autorise les Ossètes et les Géorgiens ayant perdu des
biens au cours du conflit à demander la restitution de leur logement
en justifiant de leur titre légal de propriété. Si les biens en
question ont été endommagés au cours du conflit, ces personnes peuvent
prétendre à un dédommagement adéquat ou à un logement équivalent.
312. Dans son avis sur le projet révisé de loi, la Commission de
Venise indiquait que ce texte, bien que plus clair que les versions
précédentes et permettant de résoudre plusieurs problèmes, laissait
certaines questions en suspens, compte tenu en particulier du fait
que la loi devait servir aussi à rétablir la confiance. Elle soulignait également
la nécessité d'introduire des moyens de réparation efficaces du
préjudice moral subi en relation avec les violations des droits
de l'homme commises au cours du conflit. L'ensemble législatif devait
aussi, selon elle, s'accompagner de mesures d'intégration économique
et sociale et de mesures en vue d'améliorer l'infrastructure des
zones concernées. Elle appelait enfin les autorités géorgiennes
à établir en détail le coût financier de la loi avant son adoption.
Ses conséquences financières doivent être évaluées non seulement
au plan national mais dans une perspective internationale
.
313. Depuis l'adoption de la loi le 1er janvier,
la Géorgie est maintenant théoriquement prête à commencer à traiter
les demandes de restitution de biens. Une commission de restitution
tripartite, qui comprendra des représentants du gouvernement géorgien,
des autorités de Tskhinvali et des organisations internationales,
est en cours de création. Plusieurs organisations internationales
comme le Conseil de l'Europe, l'OSCE, l'ONU, la Commission européenne,
ainsi que l'ambassade des États-Unis, travaillent avec le gouvernement
géorgien au règlement des questions organisationnelles.
314. S'agissant des personnes déplacées, cependant, les relations
tendues entre Tbilissi et les autorités de facto de Tskhinvali ont
plus ou moins bloqué l'application de la loi. Outre les tensions
politiques, de nombreuses raisons expliquent la réticence de beaucoup
de personnes déplacées à revenir dans leur région d'origine: la
peur, le manque de confiance dans la loi ou les autorités géorgiennes,
l'intégration en Ossétie du Nord, etc. Selon certains, la loi pourrait
susciter des tensions entre anciens et nouveaux propriétaires, avec
le risque de haine interethnique qui pourrait en résulter
315. Les autorités de Tskhinvali hésitent en outre à participer
à un système régi par le droit de la Géorgie, Etat dont elles déclarent
avoir fait sécession. Elles considèrent aussi que la loi les place
en situation de désavantage puisque qu'elles n'occuperont qu'un
tiers des sièges de la commission tripartite appelée à statuer sur
chaque réclamation, les autres sièges revenant aux officiels géorgiens
et aux organisations internationales. Enfin, elles craignent que
des demandes de restitution de biens ne soient déposées par des
Géorgiens ayant fui l'Ossétie du Sud.
316. L'Ossétie du Nord, république de 700,000 habitants qui accueille
un nombre très important de réfugiés, est plus favorable au retour
des personnes déplacées mais considère qu'en l'absence d'un accord
entre la Géorgie et la Russie ou la Géorgie et l'Ossétie du Sud,
elle ne peut être partie prenante de cette loi.
6.3.2. Abkhazie
Le conflit en Abkhazie
a coûté la vie à plus de 10.000 personnes entre 1992 et 1994. La
période la plus intense du conflit a duré d'août 1992 à septembre
1993. Une «Déclaration sur les mesures à prendre en vue d'un règlement
politique du conflit entre la Géorgie et l'Abkhazie» a été signée
en avril 1994 à Moscou ainsi qu'un accord de cessez-le-feu et de
séparation des forces (accord de Moscou) en mai 1994. Une opération
de maintien de la paix dirigée par la Russie et organisée sous mandat
de la Communauté des Etats indépendants (CEI) et sous la supervision
des Nations Unies (Mission d'observation des Nations Unies en Géorgie,
MONUG) se poursuit en Abkhazie.
317. Pour Tbilissi, l'Abkhazie représente une région extrêmement
importante et ceci pour plusieurs raisons: l'emplacement stratégique
de la région sur le littoral de la mer Noire
, son intérêt du point de vue du développement
durable de l'économie géorgienne, le nombre élevé de personnes déplacées
qui continuent à être affectées par le non‑règlement du conflit
ainsi que la difficulté à résoudre le conflit et les problèmes qu'il soulève
dans les relations avec la Russie.
318. Le conflit est alimenté par des récits historiques concurrents.
Pour les Abkhazes, la population indigène de l'Abkhazie a été victime
au cours des derniers siècles de transferts massifs et d'un processus
de colonisation qui explique la très faible proportion d'Abkhazes
de souche à la fin de l'ère soviétique
. Les Géorgiens, par contre, considèrent
la guerre civile de 1992 à 1994 comme une lutte pour le pouvoir
non pas entre des peuples ou des nations mais entre des groupes
aux intérêts différents, l'un d'entre eux étant celui des Abkhazes.
Géorgiens et Abkhazes qualifient généralement les événements qu'ils
ont subis de «purification ethnique».
Du fait de
la guerre, la population a diminué d'environ 535.000 à 120.000 habitants.
319. La confrontation militaire entre les forces abkhazes et géorgiennes
en 1992-1993 a abouti essentiellement à l'entier contrôle par les
premières du territoire de l'ex‑République soviétique autonome d'Abkhazie.
Des atrocités ont été commises des deux côtés mais ni les autorités
géorgiennes ni les autorités abkhazes n'ont encore commencé à enquêter
sur les crimes de guerre, déclaré une amnistie ou condamné de manière
significative les auteurs de crimes de guerre.
320. Les Abkhazes cherchent à obtenir l'indépendance complète de
la Géorgie, non l'intégration au sein de la Russie. Ils soulignent
que, lors des élections présidentielles de facto organisées en 2004,
le candidat soutenu par Moscou a perdu les élections. Néanmoins,
les Abkhazes «sous‑traitent» certaines de leurs institutions «étatiques»
essentielles à des organes de l'Etat russe. La plupart des habitants
de la région détiennent un passeport russe, les retraités touchent
des retraites de l'Etat russe et le rouble est la seule monnaie
ayant cours dans la région. En outre, bien que l'essentiel de la
législation en vigueur date toujours de l'époque soviétique, un
processus d'harmonisation des systèmes légaux de l'Abkhazie et de
la Russie est en cours
.
321. En mai 1994, l'accord de Moscou a instauré un cessez‑le‑feu
avec séparation des forces et abouti à la mise en place d'une force
de maintien de la paix de la CEI composée en fait uniquement de
troupes russes. Ces troupes contrôlent encore aujourd'hui le district
frontalier entre l'Abkhazie et le reste de la Géorgie, qui est divisé
en une «zone intérieure de sécurité» et une «zone extérieure d'accès
restreint» dans laquelle toute présence militaire ou déploiement
d'armes lourdes sont interdits. L'accord de Moscou prévoit aussi
la supervision par l'ONU des forces de maintien de la paix de la
CEI, ce qui a abouti à la création de la mission d'observation de
l'ONU en Géorgie (MONUG). Le mandat de cette mission, qui a pour
but de faciliter le retour des réfugiés et des personnes déplacées,
a été régulièrement prolongé.
322. La situation en Abkhazie est aujourd'hui relativement stable
si l'on excepte les violations occasionnelles du cessez‑le‑feu et
le retour dans le district de Gali de quelques 45.000 personnes
déplacées. La coopération entre Abkhazes et Géorgiens se limite
à certaines questions économiques comme l'exploitation de la centrale électrique
d'Inguri et la construction à travers l'Abkhazie d'une voie ferrée
d'importance stratégique. Les négociations restent néanmoins bloquées
à l'échelon politique. Au printemps 2006, une vague d'optimisme
a pu faire croire à la reprise des discussions en vue d'un renforcement
de la coopération et d'une résolution des différends: pour la première
fois depuis janvier 2001, les parties ont rouvert les pourparlers
sous l'égide du Conseil de coordination placé sous la direction
de l'ONU. Les Abkhazes ont présenté un document intitulé «Pour ouvrir
la voie de l'avenir» et la Géorgie une «Feuille de route» mais ces
initiatives sont restées sans lendemain.
Après l'opération de lutte
contre la criminalité lancé contre les rebelles armés de Kvitsiani
qui a permis au gouvernement géorgien de rétablir son contrôle sur
la haute vallée de la Kodori en juillet 2006 et la reprise de la
surveillance de l'ONU et l'introduction de mesures supplémentaires
en matière de transparence dans cette zone, auparavant gouvernée
par les seigneurs de guerre, toutes les discussions ont été interrompues
par les Abkhazes.
323. La partie abkhaze continue à faire dépendre la reprise du
dialogue d'un retour au statu quo ante dans la vallée de la Kodori,
c'est-à-dire avant l'opération des forces spéciales géorgiennes
en 2006, tandis que la partie géorgienne affirme que la situation
dans cette zone n'est pas négociable.
La
Géorgie considère comme seul représentant légitime le gouvernement
de la République autonome d'Abkhazie dirigé par Alkhaz Akishbaia
qui était depuis longtemps «en exil» à Tbilissi et s'est installé
provisoirement à Chkalta, dans la partie supérieure de l'Abkhazie,
depuis septembre 2006 seulement, quelques semaines après la reprise
du contrôle par la Géorgie de la vallée de la Kodori. A la suite
de ces événements, en octobre 2006, des élections locales géorgiennes
ont été organisées dans la haute vallée de la Kodori.
324. La partie géorgienne exige l'établissement d'un «plan sérieux
et praticable pour le retour des personnes déplacées», incluant
notamment la définition d'un cadre légal et d'un programme de retour,
un projet de réhabilitation économique, la garantie des droits fondamentaux
des personnes déplacées, y compris leurs droits de propriété, et
la reprise du dialogue direct entre les interlocuteurs géorgiens
et abkhazes, sans aucune condition préalable.
Elle
demande aussi certains changements fondamentaux des modalités du
processus de négociation et de l'opération de maintien de la paix
que la partie abkhaze, soutenue par la Russie, n'est pas prête à
accepter.
325. De l'avis des observateurs internationaux, le problème majeur
réside dans l'absence d'un minimum de confiance entre les Géorgiens
et les Abkhazes. Les effets du nettoyage ethnique, qui continuent
de se faire ressentir, sont un obstacle majeur à la confiance et
aux efforts pour la rétablir. Le fait que la communauté géorgienne
n'ait pas été autorisée à retourner en Abkhazie – hormis dans le
district de Gali qui, de toutes façons, a toujours été majoritairement
géorgien – rend impossibles les contacts entre les communautés (qui sont
la clé d'une restauration de la confiance) et la mise en oeuvre
de mesures conjointes. De ce fait, le climat politique n'est toujours
pas propice à un déblocage de la situation en dépit d'une première
tentative de réconciliation: à Sukhumi, le 25 octobre 2007, s'est
déroulée une rencontre à haut niveau entre le ministre d'Etat géorgien
chargé du règlement des conflits et le ministre de facto des Affaires
étrangères d'Abkhazie – qui ne s'étaient pas réunis depuis plus
d'un an –, à la suite de l'accord de Tbilissi de libérer sept militaires Abkhazes
placés en détention lors des affrontements du 20 août avec les forces
du ministère géorgien de l'Intérieur
. Les parties ont également convenu
de reprendre les réunions quadripartites hebdomadaires
.
326. Parallèlement à la reprise des contacts bilatéraux, il serait
souhaitable de commencer par des mesures limitées d'instauration
de la confiance, notamment en allégeant les restrictions commerciales.
Enfin, beaucoup de travail reste à faire avec la société civile
et les ONG qui ont toutes deux un rôle à jouer dans la création
de conditions favorables à la paix et à la réconciliation.
6.3.2.1. Conditions de retour des personnes
déplacées
327. La guerre civile de 1992-1993 a entraîné le départ
massif des Géorgiens, qui étaient auparavant le groupe majoritaire
en Abkhazie, ainsi que d'autres groupes ethniques comme les Grecs,
les Estoniens, les Arméniens et les Azéris. Il s'est agi d'un processus
de purification ethnique. Près de la moitié de la population d'avant-guerre,
qui comptait 535.000 personnes, a été déplacée de force, principalement
vers la Géorgie et la Russie.
328. La presque totalité de la population du district de Gali,
qui comptait environ 79.000 personnes, pour la plupart des Géorgiens
de souche, a été déplacée. On estime à 45.000 le nombre de personnes
revenues dans le district de Gali depuis 1999. Ce district est actuellement
la seule zone dans laquelle les personnes déplacées sont autorisées
à revenir, bien que la situation politique ne puisse être considérée
comme propice à ce retour.
Les
personnes déplacées rentrent dans leur région d'origine de façon
semi-légale, sans aucune aide du gouvernement géorgien. Leur retour
est toléré par les autorités abkhazes qui ne leur reconnaissent néanmoins
aucun droit. De nombreuses personnes déplacées reviennent dans la
région comme travailleurs saisonniers à l'époque des moissons. L'ancienne
propiska (permis de résidence de
l'époque soviétique) leur sert à prouver qu'ils résidaient auparavant
dans la région et leur donne aussi le droit de demander la «citoyenneté
abkhaze».
329. La «loi sur la citoyenneté de la république d'Abkhazie» a
été adoptée par le parlement abkhaze de facto en octobre 2005. Elle
restreint la possibilité d'acquérir ou de conserver une deuxième
citoyenneté autre que celle de la Fédération de Russie. Les personnes
déplacées qui reviennent dans le district de Gali n'ont donc pas
la possibilité de conserver leur passeport géorgien en acquérant
la «citoyenneté» abkhaze. Le bureau du HCR nous a indiqué que personne
n'est contraint à adopter le passeport abkhaze (qui de toutes façons
n'a aucune validité internationale). Les autorités abkhazes de facto
ont elles‑mêmes confirmé que la loi n'est pas appliquée de façon
très stricte dans le district de Gali et que la plupart des personnes
déplacées qui reviennent détiennent à la fois un passeport géorgien
et un passeport abkhaze.
330. L'obtention de la citoyenneté abkhaze est cependant soumise
à une période de service militaire obligatoire dans l'«armée abkhaze».
Des informations de diverses sources internationales et géorgiennes semblent
indiquer que, dans le district de Gali, des Géorgiens de souche
ont été incorporés de force dans les forces militaires abkhazes.
Les autorités abkhazes de facto rejettent ces allégations en soulignant
que seuls des citoyens abkhazes ont été incorporés. Certains représentants
locaux des personnes déplacées aujourd'hui rentrées dans la région
nous ont indiqué cependant que le problème existe et que c'est la
raison pour laquelle pratiquement aucun homme de 18 à 40 ans n'est
revenu s'installer de façon permanente dans le district de Gali.
331. De graves problèmes subsistent en matière d'éducation: les
écoles sont très peu nombreuses et l'enseignement y est dispensé
uniquement en russe. De nombreuses familles géorgiennes rapatriées
envoient par conséquent leurs enfants à l'école à Zugdidi. En dépit
des propos du président de facto Bagapsh qui, en février 2007, avait
affirmé au Commissaire aux Droits de l'Homme du Conseil de l'Europe
avoir donné l'ordre au «ministère de l'éducation» abkhaze d'ouvrir
des écoles de langue géorgienne dans le district de Gali, nous avons
appris qu'aucune école de ce type n'a encore été créée. Nous avons
nous‑même visité une petite école dans le village de Tsikiri (district
de Gali) où toutes les familles interrogées étaient géorgiennes.
Ces familles nous ont indiqué qu'elles n'étaient autorisées ni à
enseigner en géorgien ni à se servir de manuels géorgiens. Les manuels
que nous avons examinés suivaient tous le programme scolaire russe
et leur contenu était fortement imprégné de patriotisme russe.
332. Les conditions de vie des personnes déplacées revenues dans
la région restent extrêmement insuffisantes, notamment en raison
du manque de logements adaptés, des opportunités économiques réduites et
de l'absence générale de services publics. La situation, cependant,
n'est guère meilleure dans les centres de regroupement collectif
de Zugdidi où les personnes déplacées vivent entassées. Néanmoins,
de nombreuses personnes déplacées préfèrent rester dans les centres
de regroupement où elles reçoivent une indemnité de l'Etat d'un
montant minuscule (14 GEL) et des allocations couvant leur frais
d'eau et d'électricité.
333. La situation générale en matière de sécurité et la situation
en matière de droits de l'homme demeurent précaires dans le district
de Gali. On fait état de nombreuses allégations de meurtre, d'enlèvement
et de détention extrajudiciaire, en particulier pendant la période
des moissons et en période électorale, et l'impunité règne. Le manque
de confiance des victimes dans l'efficacité des autorités locales
de facto et dans leur détermination à enquêter sur ces crimes, ainsi
que la désinformation et la politisation des nouvelles, renforcent le
sentiment d'insécurité des personnes déplacées rentrées dans la
région.
334. Aucun Géorgien de souche n'a encore pu revenir dans les autres
régions de l'Abkhazie. Ayant déclaré unilatéralement l'indépendance
et inquiets de perdre leur actuelle prépondérance démographique,
les Abkhazes déclarent être prêts à envisager le retour d'un grand
nombre de Géorgiens uniquement sous certaines conditions rigoureuses.
Ils indiquent qu'ils s'opposeront au retour des Géorgiens qui ont
combattu lors du conflit et soulignent que «ceux qui reviennent
doivent savoir qu'ils reviennent dans une république ayant ses propres
lois et sa propre identité».
335. La question des biens demeure un sujet de préoccupation grave.
Dans toute la campagne abkhaze ainsi qu'à Sukhumi, des dizaines
de milliers de maisons détruites, inoccupées ou à l'abandon témoignent
de manière sinistre de la violence du dernier conflit en Abkhazie.
Les autorités géorgiennes sont préoccupées par certaines informations
faisant état de la privatisation accélérée des biens appartenant
aux Géorgiens de souche qui ont fui l'Abkhazie. Les tribunaux rejettent
apparemment comme irrecevables les réclamations des propriétaires
déplacés par le conflit armé depuis 1992 qui demandent la restitution
de leurs biens occupés de manière illégale. La
Résolution 1781 (2007) du Conseil de sécurité des Nations Unies, adoptée à
sa 5759e séance le 15 octobre 2007, a
réaffirmé «
l'importance fondamentale
du droit au retour en Abkhazie (Géorgie) des réfugiés et des déplacés» et
«
que les droits de propriété de ces personnes
n'ont en rien été affectés par le fait que les propriétaires ont
dû fuir pendant le conflit et que le droit de résidence et l'identité
desdits propriétaires doivent être respectés»
336. En réponse à cela, le ministère géorgien des réfugiés et du
logement a lancé en mars 2006 un programme appelé «Ma maison» qui
prévoit le recensement par l'Etat des titres fonciers et immobiliers détenus
par les personnes déplacées, afin de protéger les droits de propriété
de ces personnes en Abkhazie et en Ossétie du Sud.
337. D'après le même ministère, les personnes déplacées vivant
en Géorgie proprement dite représentent actuellement 6% de la population:
232.623 viennent d'Abkhazie et 12.673 de la région de Tskhinvali,
soit au total 245.296 personnes. La grande majorité des personnes
déplacées vivent dans des centres de regroupement et sont logées
dans des bâtiments publics dans des conditions très précaires. Les
autres vivent avec des parents ou des amis, louent un appartement
ou ont acheté un logement. En 2006, le gouvernement géorgien a annoncé
la création d'une commission d'Etat pour l'élaboration d'une stratégie
nationale en faveur des personnes déplacées avec le soutien de la
communauté internationale et des organisations de la société civile.
La stratégie nationale a depuis été adoptée et le plan d'action
correspondant devrait être prêt d'ici la fin 2007. Ce plan d'action
couvrira tous les aspects du déplacement: logement, emploi, questions
sociales et statut légal. Le gouvernement a souligné à ce propos
que l'intégration des personnes déplacées n'empêchera pas leur retour
ultérieur dans leur ancien lieu de résidence.
6.4. Enjeux futurs
338. Comme on le voit, les obstacles à un règlement effectif
des deux conflits qui perdurent sur le territoire géorgien restent
nombreux et tiennent pour une part à la logique à somme nulle qui
est celle de nombre des parties au processus de paix. Le processus
lui-même est fondamentalement défectueux: la politique globale d'apaisement
n'a pas donné de résultats; les mécanismes existants – qu'il s'agisse
des modalités des négociations et de l'opération de maintien de
la paix ou de l'enquête effective et indépendante sur les incidents frontaliers
– se sont révélés inefficaces et il n'existe pas de consensus international
sur la nature actuelle des conflits et sur les moyens de les résoudre.
La conséquence en est le maintien du statu quo et le blocage des «négociations
sur la manière de négocier». Le prix à payer pour le maintien du
statu quo, cependant, est très élevé. C'est pourquoi une véritable
analyse internationale indépendante serait nécessaire afin d'établir
pour quelle raison et à quel moment le processus s'est fourvoyé.
339. Pour être efficace, un processus de paix doit être reconnu
comme impartial et équitable par toutes les parties au conflit.
Compte tenu des raisons évoquées plus haut, le rôle primordial que
tient la Russie dans les processus de médiation (du fait de son
droit de veto à l'ONU et à l'OSCE) et de maintien de la paix est
obsolète; il reflète les réalités géopolitiques de la décennie précédente,
à un moment où les intérêts occidentaux dans la région étaient encore
minimes. Dans tout le Caucase‑Sud et plus généralement autour de
la mer Noire, les réalités géostratégiques sont aujourd'hui différentes,
ce qui nécessite évidemment une internationalisation des structures
de médiation et de maintien de la paix dans les situations de «conflit
gelé». Ceci ne veut pas dire que le contingent russe en place doive
être réduit mais il devrait être placé sous un mandat international
bien défini. Le rôle de Médiateur de l'Union européenne devait être
renforcé de manière significative dans ce processus.
340. Il y a quatre ans, la Géorgie a annoncé que l'intégration
euro-atlantique – et notamment l'adhésion à l'OTAN – constituait
le but ultime de sa politique étrangère et elle a engagé une série
de réformes afin d'atteindre ce but aussi rapidement que possible.
Cet objectif bénéficie aujourd'hui d'un très large soutien public
et politique dans le pays. La communauté internationale devrait
reconnaître et respecter les aspirations de la Géorgie à cet égard
car la poursuite des progrès du pays vers la réalisation de ses
objectifs permettra aussi de mieux garantir la sécurité commune,
la démocratie et la gouvernance fondée sur l'état de droit.
341. La résolution des conflits est l'objectif central de la politique
du gouvernement géorgien. Son action est animée par la préoccupation
légitime d'édifier un État souverain à l'intégrité territoriale
entière et contrôlant l'ensemble de son territoire. L'opinion publique
géorgienne, en outre, n'est pas prête à accepter une solution qui
ne serait pas conforme à la politique officiellement poursuivie
par le gouvernement géorgien et qui n'impliquerait pas la réintégration
complète des territoires séparatistes. Malgré ces contraintes, cependant,
le gouvernement géorgien devrait se montrer plus ouvert à un compromis
et favoriser le développement d'une attitude plus pragmatique dans
la population géorgienne. Il devrait travailler à modifier l'état
d'esprit actuel et, pour ce faire, il est nécessaire de comprendre
et de prendre en compte les craintes et les objectifs des autres parties.
Il importe tout particulièrement que la Géorgie parvienne à créer
des conditions permettant aux Abkhazes et aux Sud Ossètes de surmonter
leur crainte séculaire d'une «géorgianisation» forcée et qu'elle
leur offre des garanties de sécurité afin d'instaurer un climat
de confiance. La méthode qui consiste à isoler ces populations,
à les soumettre à un blocus et à leur tenir un discours hostile
n'a pas favorisé de progrès dans le sens d'une solution aux conflits
. A l'inverse, se mobiliser
plus activement dans le rétablissement de la confiance favorisera
le retour des réfugiés et des personnes déplacées, ce qui constituerait
un progrès considérable.
342. De leur côté, les chefs séparatistes, soutenus par les autorités
russes, devraient s'engager dans un dialogue authentique avec les
autorités géorgiennes en vue de parvenir à des résultats. De plus,
c'est cette absence de dialogue pragmatique sur le fond qui incite
la partie géorgienne à faire preuve de créativité dans la recherche
de nouvelles «solutions administratives».
343. Enfin, les autorités russes devraient comprendre que les actes
de provocation ou les violations ciblées du droit international
visant à «tester la patience» de l'autre partie ne peuvent en aucune
façon favoriser le règlement des conflits et auront des répercussions
négatives sur la Russie elle‑même. De même, les sanctions, boycotts
ou tout autre forme excessive de «punition» ne peuvent constituer
des moyens efficaces de résoudre les conflits mais risquent au contraire
– tout comme les provocations verbales – d'avoir des conséquences
désastreuses.
7. Etapes ultérieures du processus
de suivi
344. Deux ans se sont écoulés depuis notre précédent rapport
et notre impression générale est que les autorités géorgiennes ont
accompli des progrès rapides et substantiels sur la voie du respect
de leurs obligations et engagements. D'un point de vue formel, pratiquement
tous les engagements relatifs aux questions en suspens mentionnées
dans la
Résolution 1477
(2006) ont été satisfaits. Néanmoins, des insuffisances importantes
subsistent dans les domaines analysés aux différents chapitres du
présent rapport.
345. Le relèvement des normes démocratiques et la création de conditions
adéquates pour l'opposition parlementaire, ainsi que le développement
de la tolérance à l'égard des opposants politiques dans la vie publique,
sont à notre avis les domaines prioritaires à surveiller avant de
pouvoir envisager de clore la procédure détaillée de suivi. Nous
attendons de la Géorgie qu'elle manifeste un véritable respect des
normes démocratiques en conduisant des élections libres et, ce qui
est encore plus important, équitables en
2008. Hormis quelques lacunes mineures, nous nous félicitons que
la législation électorale ait été amendée à cette fin.
346. La Géorgie devrait consacrer tous ses efforts au développement
d'institutions de l'Etat stables ainsi qu'au renforcement de ses
capacités administratives et de son aptitude à faire face aux aléas
de la vie politique.
347. Le pays devrait aussi engager des efforts plus déterminés
et de plus grande ampleur pour réformer le système judiciaire, mettre
en place des mécanismes garantissant de façon adéquate l'indépendance
des tribunaux et du ministère public, lutter contre la corruption
et faire avancer la décentralisation. Il devrait aussi améliorer
ses performances dans d'autres domaines des droits de l'homme comme
les conditions de détention, la prévention de la torture et le respect
des droits des minorités et des droits en matière de religion. Le
règlement pacifique des conflits en Ossétie du Sud et en Abkhazie
serait une garantie supplémentaire en vue de l'édification d'un
État moderne et prospère.
348. Toutes les grandes réformes sont aujourd'hui en cours de réalisation.
Toutefois, la mise en place d'un cadre législatif adapté, bien qu'évidemment
importante, n'est pas en tant que telle suffisante. La volonté politique
dans la mise en œuvre de ces réformes sera le facteur décisif qui
permettra de rompre avec les habitudes et les mentalités ancrées
dans le passé.
349. La Géorgie a engagé l'une des étapes les plus décisives de
son processus de réforme. Tant qu'elle poursuivra sur la voie de
la démocratie, elle réussira, quels que soient les résultats des
élections présidentielles et législatives de 2008. Toutefois, tout
recourt à la violence peut remettre en cause les réalisations des
dernières années. Aider le pays à maintenir son cap démocratique
est aujourd'hui la tâche essentielle du gouvernement.
Commission chargée du rapport:commission
pour le respect des obligations et engagements des Etats membres
du Conseil de l'Europe (commission de suivi)
Renvoi en commission:Résolution 1115 (1997)
Projet de résolutionadopté
à l'unanimité par la commission le 22 janvier 2008
Membres de la commission:
M. Serhiy Holovaty (Président),
M. Leonid Slutsky (1st Vice-président),
M. György Frunda (2nd Vice-président),
M. Konstantin Kosachev (3rd Vice-président),
M. Aydin Abbasov, M. Pedro Agramunt,
M. Jaume Bartumeu Cassany, Mme Meritxell BatetLamaña, M. Ryszard Bender, M. József Berényi, M. Aleksandër Biberaj, M. Luc Van den Brande, M. Patrick Breen,
M. Mevlüt Çavuşoğlu, M. Sergej Chelemendik,
Mme Lise Christoffersen,
M. Boriss Cilevičs, M. Georges Colombier, M. Valeriu Cosarciuc, Mme Herta Däubler-Gmelin,
M. Joseph Debono Grech, M. Juris Dobelis,
Mme Josette Durrieu, M. Mátyás Eörsi, M. Per-Kristian Foss, M.
Jean-Charles Gardetto, M. József Gedei, M. Marcel Glesener, M. Charles Goerens, M.
Andreas Gross, M. Michael Hagberg, Mme Gultakin Hajiyeva, M. Michael Hancock, M. Davit Harutyunyan, M. Andres Herkel, M. Kastriot Islami, M. Miloš Jeftić, Mme Evguenia Jivkova, M. Ali Rashid Khalil,
M. Andros Kyprianou, M. Jaakko Laakso,
Mme Sabine Leutheusser-Schnarrenberger,
M. Eduard Lintner, M. Pietro
Marcenaro, M. Mikhail Margelov, M. Bernard Marquet, M. Dick Marty, M. Frano Matušić, M. Miloš Melčák, Mme Assunta Meloni, Mme
Nadezhda Mikhailova, M. Neven Mimica,
M. João Bosco Mota Amaral, M. Zsolt Németh, M. Theodoros Pangalos,
Mme Maria Postoico, M. Christos
Pourgourides, M. Andrea Rigoni, M. Dario Rivolta,
M. Armen Rustamyan, M. Oliver Sambevski, M. Kimmo Sasi, M. Andreas Schieder, M. Samad Seyidov, Mme Aldona Staponkienė,
Mme Elene Tevdoradze, M.
Mihai Tudose, M. Egidijus Vareikis,
M. Miltiadis Varvitsiotis,
M. José Vera Jardim, Mme Birutė Vėsaitė, M. Robert Walter, M. David
Wilshire, Mme Renate Wohlwend,
M. Boris Zala, M. Andrej Zernovski.
N.B. Les noms des membres qui ont participé à la réunion sont
indiqués en gras
Secrétariat de la commission:Mme
Ravaud, Mme Chatzivassiliou, Mme Odrats, M. Karpenko