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Avis de commission | Doc. 11498 | 21 janvier 2008

Développements concernant le statut futur du Kosovo

Commission des questions juridiques et des droits de l'homme

Rapporteur : M. Pieter OMTZIGT, Pays-Bas

Origine - Voir Doc. 11472 et addendum, présentés par la commission des questions politiques. 2008 - Première partie de session

A. Conclusions de la commission

(open)
1. La commission des questions juridiques et des droits de l’homme se félicite du rapport présenté par la commission des questions politiques et soutient le projet de résolution et le projet de recommandation proposés par le rapporteur, Lord Russell-Johnston.
2. Par ailleurs, elle tient à souligner le besoin pressant d’assurer la pleine application des normes dans le domaine de la démocratie, des droits de l’homme et de la prééminence du droit pour toutes les personnes vivant au Kosovo, quelle que soit leur origine ethnique. En effet, dans le climat actuel de tension politique, il est d’autant plus nécessaire d’accorder de nouveau aux normes une attention soutenue afin de favoriser la justice et la confiance. A cet égard, la commission insiste sur le fait que toutes les violations des droits de l’homme au Kosovo commises avant et après la mise en place de la Mission d’administration intérimaire des Nations Unies au Kosovo (MINUK) – doivent faire l’objet d’enquêtes approfondies, impartiales et indépendantes et de poursuites.
3. S’agissant du statut proprement dit, la commission est d’avis que tout nouveau règlement devrait viser à garantir la mise en œuvre complète des «normes pour le Kosovo» 
			(1) 
			Les «normes
pour le Kosovo» constituent un ensemble de critères auxquels le
Kosovo doit satisfaire. Ils figurent dans un document de politique
approuvé par le Conseil de sécurité des Nations Unies et lancé le
10 décembre 2003. Les normes prônent une société multiethnique garantissant
la démocratie, la tolérance, la liberté de circulation et un accès égal
à la justice pour tous au Kosovo, indépendamment de leur origine
ethnique. Voir http://www.unmikonline.org/standards/., à renforcer les mécanismes de protection des droits de l’homme au Kosovo et à renforcer l’appropriation des réformes par les institutions du Kosovo et la responsabilité (accountability) de toutes les parties intéressées.

B. Amendements proposés au projet de résolution

(open)

Amendement A (au projet de résolution)

Dans le projet de résolution, au paragraphe 1, après les mots «est une question politique extrêmement délicate,», ajouter les mots «qui comprend des volets juridiques et relatifs aux droits de l’homme,».

Amendement B (au projet de résolution)

Dans le projet de résolution, au paragraphe 1, après les mots «qui pose un défi à la communauté internationale», ajouter la phrase suivante:

«L’Assemblée insiste également sur le besoin pressant d’assurer l’application pleine et entière des normes dans le domaine de la démocratie, des droits de l’homme et de la prééminence du droit pour toutes les personnes vivant au Kosovo, quelle que soit leur origine ethnique.»

Amendement C (au projet de résolution)

Dans le projet de résolution, au paragraphe 5, remplacer les mots «réalisation des normes pour le Kosovo» par les mots «application des normes pour le Kosovo, ainsi que l’accès des individus à la Cour européenne des Droits de l’Homme».

Amendement D (au projet de résolution)

Dans le projet de résolution, après le paragraphe 7, insérer un nouveau paragraphe:

«Dans ce contexte, l’Assemblée est de plus en plus préoccupée par la situation des Serbes et des autres communautés minoritaires au Kosovo, notamment la communauté des Roms, Ashkali et Egyptiens (RAE). Elle s’inquiète également de la situation des réfugiés, des personnes déplacées et des apatrides du Kosovo – dont le nombre pourrait augmenter à la lumière des développements futurs ayant trait à la définition du statut – ainsi que des retours forcés au Kosovo. Elle réitère que des solutions durables devraient être assurées à tous ceux qui souhaitent revenir de leur plein gré, dans la sécurité et la dignité, ainsi qu’à ceux qui n’en expriment pas le désir.»

Amendement E (au projet de résolution)

Dans le projet de résolution, à la fin du paragraphe 8, ajouter les mots «et à pleinement respecter les normes du Conseil de l’Europe relatives à la prééminence du droit, aux droits de l’homme et aux droits des minorités nationales».

Amendement F (au projet de résolution)

Dans le projet de résolution, après le paragraphe 8, ajouter le nouveau paragraphe suivant:

«En outre, l’Assemblée invite instamment les parties intéressées, y compris la communauté internationale:
1. à respecter pleinement et, si nécessaire, protéger les droits des Serbes et des autres populations en situation minoritaire au Kosovo, quelle que soit leur appartenance ethnique;
2. à accorder de nouveau aux normes pour le Kosovo toute l’attention nécessaire et, dans tous les cas, à développer la coordination entre tous les acteurs impliqués dans la mise en œuvre des normes;
3. à définir une stratégie claire en faveur de la prééminence du droit et des droits de l’homme, et à la mettre en œuvre sans plus tarder;
4. à traiter les dysfonctionnements bien connus du système judiciaire au Kosovo, ainsi que la question des institutions serbes parallèles au Kosovo, qui portent profondément atteinte à la prééminence du droit dans la région;
5. à renforcer la responsabilité (accountability) en cas de violations des droits de l’homme, y compris si ces violations sont le fait des “internationaux” au Kosovo; et
6. à renforcer les mécanismes de protection des droits de l’homme au Kosovo, en particulier l’institution du médiateur, qui jouit d’une grande confiance au sein de la population du Kosovo et dont l’indépendance doit être préservée.»

Amendement G (au projet de résolution)

Dans le projet de résolution, après le paragraphe 8, ajouter le nouveau paragraphe suivant:

«Enfin, l’Assemblée réitère l’appel lancé aux parties intéressées à coopérer pleinement avec le TPIY, à assurer la protection des témoins et à garantir que toutes les violations des droits de l’homme au Kosovo – commises avant et après la mise en place de la Mission d’administration intérimaire des Nations Unies au Kosovo (MINUK) – font l’objet d’enquêtes approfondies, impartiales et indépendantes, et de poursuites, afin de favoriser la vérité et la justice, et d’ouvrir la voie à la réconciliation.»

Amendement H (au projet de résolution)

Dans le projet de résolution, après le paragraphe 9, insérer le nouveau paragraphe suivant:

«L’Assemblée appelle par ailleurs ses Etats membres qui sont également membres de l’Union européenne à maintenir leur position de principe en faisant de la pleine coopération de la Serbie avec le TPIY une condition préalable indispensable du processus de préadhésion et d’adhésion à l’Union européenne.»

C. Amendements proposés au projet de recommandation

(open)

Amendement I (au projet de recommandation)

Dans le projet de recommandation, au paragraphe 1, remplacer les mots «de maintenir le cap sur l’application des normes» par les mots «d’accorder de nouveau aux normes toute l’attention nécessaire».

Amendement J (au projet de recommandation)

Dans le projet de recommandation, au paragraphe 2, remplacer les mots «où la voie de recours offerte par la Convention européenne des Droits de l’Homme soit ouverte à tous» par les mots «où les principaux instruments internationaux et européens dans ces domaines, notamment la Convention européenne des Droits de l’Homme, la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, et la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales soient pleinement applicables et leurs mécanismes de contrôle respectifs pleinement en vigueur,».

Amendement K (au projet de recommandation)

Dans le projet de recommandation, après le paragraphe 2, ajouter le nouveau paragraphe suivant:

«S’agissant du statut proprement dit, l’Assemblée estime qu’il devrait permettre la pleine application des normes pour le Kosovo, le renforcement des mécanismes de protection des droits de l’homme, l’appropriation des réformes par les institutions du Kosovo et la responsabilité (accountability) accrue de toutes les parties intéressées, y compris de la communauté internationale, au Kosovo.»

Amendement L (au projet de recommandation)

Dans le projet de recommandation, après le paragraphe 2, ajouter le nouveau paragraphe suivant:

«L’Assemblée se félicite également de l’éventuel déploiement d’une mission “prééminence du droit” de l’UE au Kosovo et réaffirme, dans ce contexte, que le Conseil de l’Europe, en tant que principal gardien des droits de l’homme en Europe, devrait être étroitement associé à une telle mission.»

Amendement M (au projet de recommandation)

Dans le projet de recommandation, remplacer le paragraphe 3 par le paragraphe suivant:

«3. Convaincue que le Conseil de l’Europe doit continuer à jouer un rôle de premier plan afin que cette aspiration se concrétise, l’Assemblée invite le Comité des Ministres:
3.1. à renforcer l’actuel Bureau du Conseil de l’Europe au Kosovo;
3.2. à faire tout son possible pour garantir la pleine mise en œuvre des principaux instruments internationaux du Conseil de l’Europe dans les domaines des droits de l’homme et des droits des minorités, y compris de leurs mécanismes de contrôle respectifs;
3.3. à proposer son soutien et son expertise aux autorités compétentes au Kosovo dans les domaines suivants:
3.3.1. questions constitutionnelles et juridiques;
3.3.2. protection des droits de l’homme et renforcement des mécanismes de protection des droits de l’homme, y compris de l’institution du médiateur et d’autres mécanismes visant, inter alia, à garantir la responsabilité (accountability) de la communauté internationale au Kosovo;
3.3.3. solutions durables pour tous les demandeurs d’asile, réfugiés et personnes déplacées;
3.3.4. protection des droits des minorités, notamment ceux de la communauté des Roms, Ashkali et Egyptiens (RAE), et utilisation des langues minoritaires;
3.3.5. protection de la communauté serbe et de son héritage culturel au Kosovo;
3.3.6. indépendance et efficacité de la justice, y compris la lutte contre l’impunité;
3.3.7. lutte contre la corruption, la criminalité organisée, le blanchiment d’argent et la traite d’êtres humains;
3.3.8. démocratisation, financement des partis politiques et bonne gouvernance;
3.3.9. décentralisation et pouvoirs locaux efficaces;
3.3.10. protection du patrimoine culturel et religieux;
3.3.11. dialogue interculturel;
3.3.12. éducation;
3.3.13. soutien de la société civile et mesures favorisant la réconciliation.»

D. Exposé des motifs, par M. Pieter Omtzigt

(open)

1. Introduction

1. En qualité de rapporteur de l’avis de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme sur le rapport «Développements concernant le statut futur du Kosovo» (de la commission des questions politiques), je me suis rendu à Pristina, Mitrovica et Belgrade, du 22 au 25 octobre 2007. J’aimerais exprimer ma gratitude aux autorités de Belgrade et de Pristina, ainsi qu’aux Bureaux du Conseil de l’Europe dans ces deux villes pour leur précieuse coopération.
2. Par ailleurs, avec Lord Russell-Johnston, le rapporteur de la commission des questions politiques, j’ai rencontré à Strasbourg, le 2 octobre 2007, M. Kostunica, Premier ministre de Serbie, et je me suis entretenu le 17 octobre 2007 à La Haye avec Mme Carla Del Ponte, procureur général du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), qui a désormais quitté ses fonctions.
3. Au cours de ma visite dans la région, plusieurs de mes interlocuteurs ont regretté la forte «instrumentalisation», par toutes les parties concernées, des questions juridiques et des droits de l’homme au Kosovo. Je partage pleinement leurs inquiétudes.
4. Tant à Pristina qu’à Belgrade, j’ai souligné à plusieurs reprises qu’indépendamment du futur statut du Kosovo, la préoccupation majeure devait être la pleine application des normes du Conseil de l’Europe en matière de démocratie, de prééminence du droit et de droits de l’homme. J’ai par ailleurs insisté sur le fait que l’ensemble des parties concernées doivent garantir les droits de tous les citoyens du Kosovo, sans discrimination et quelle que soit leur origine ethnique. De plus, tout règlement doit établir des mécanismes garantissant que toutes les allégations de violation des droits de l’homme au Kosovo font l’objet d’une enquête approfondie, impartiale et indépendante.
5. Dès le départ, j’ai également été confronté au dilemme qui opposerait «statut et normes». Il fait référence aux «normes pour le Kosovo» 
			(2) 
			Voir http://www.unmikonline.org/standards/., un document politique approuvé par le Conseil de sécurité des Nations Unies et lancé le 10 décembre 2003, qui énonce un ensemble de critères auxquels le Kosovo doit satisfaire. Les normes prônent une société multiethnique, garantissant la démocratie, la tolérance, la liberté de circulation et l’accès égal à la justice pour tous au Kosovo, indépendamment de leur origine ethnique. En 2005, reconnaissant que l’indétermination du statut du Kosovo entrave la pleine réalisation des normes, la communauté internationale a modifié son approche initiale, qui reposait sur le concept «les normes avant le statut» et a décidé d’initier le processus de détermination du statut du Kosovo. Progressivement, les attentes suscitées par ce processus ont détourné l’attention des normes. Cependant, au cours de ma visite, plusieurs de mes interlocuteurs ont insisté sur la nécessité d’accorder de nouveau aux normes toute l’attention nécessaire dans le contexte politique actuellement tendu de la définition du statut, afin de stimuler un retour de la confiance. En effet, dans l’intervalle, la mise en œuvre des normes dans certains domaines s’est détériorée. Si la situation ne s’améliore pas significativement dans les plus brefs délais, l’avenir du Kosovo restera sombre.
6. Le présent avis repose sur des informations recueillies avant, pendant et après ma visite susmentionnée. Il dresse un panorama des principales questions sources de préoccupation en matière de prééminence du droit et de droits de l’homme au Kosovo, et analyse les mécanismes ou institutions en charge de la protection des droits de l’homme et de la responsabilité (accountability) au Kosovo 
			(3) 
			La commission des questions juridiques et
des droits de l’homme a déjà préparé un rapport sur la protection
des droits de l’homme au Kosovo en janvier 2005, sur la base du
rapport de Tony Lloyd (voir Résolution
1417 (2005) et Doc. 10393)..

2. Aperçu des principales questions liées à la prééminence du droit au Kosovo

7. Le futur règlement de la question du Kosovo doit instaurer des mécanismes garantissant que toute violation des droits de l’homme par une personne ayant autorité au Kosovo fait l’objet d’une enquête approfondie, impartiale et indépendante. Il conviendrait d’instaurer un système judiciaire indépendant tant en matière civile que pénale et de garantir aux victimes de violations des droits de l’homme l’accès à des voies de recours pour obtenir réparation. Pour l’heure, en dépit des mesures actuellement en cours pour renforcer progressivement la justice, le système judiciaire reste un maillon particulièrement faible du cadre institutionnel en place.

2.1. La justice

8. En 1999, la Mission d’administration intérimaire des Nations Unies au Kosovo (MINUK) a reçu pour mandat de réinstaurer la prééminence du droit au Kosovo. La présence de juges internationaux, nommés par le représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies (RSSG) est l’une des caractéristiques du système judiciaire du Kosovo. Par ailleurs, le ministère de la Justice et le Conseil judiciaire du Kosovo restent placés sous l’autorité du RSSG.
9. Malgré quelques avancées, le système judiciaire du Kosovo présente toujours d’importantes déficiences, notamment le manque d’indépendance, la durée excessive des procédures, la non-exécution des décisions de justice, l’inadéquation des ressources et l’arriéré des dossiers. L’intimidation des témoins et l’absence de mesures efficaces de protection des témoins sont également de graves sources de préoccupation dans les affaires pénales (voir aussi ci-dessous la partie consacrée à la coopération avec le TPIY).
10. D’autre part, l’absence de sécurité juridique, résultant de l’existence de tribunaux et de structures administratives parallèles serbes dans certaines parties du Kosovo, placés sous l’autorité de facto du Gouvernement serbe, a souvent été évoquée par mes interlocuteurs au cours de ma visite de fin octobre 2007. En fait, dans les régions du Kosovo habitées par des Serbes, les structures telles que les tribunaux, les écoles et les hôpitaux continuent de répondre directement devant les autorités serbes, opérant ainsi en parallèle de l’administration de la MINUK. Parfois, elles peuvent être complémentaires au système, comblant des lacunes et assurant ainsi l’accès à certains services aux membres des communautés minoritaires. A cet égard, je me dois également d’ajouter que l’idée selon laquelle une communauté ne peut être servie que par les membres de sa propre communauté est ancrée dans les esprits tant chez les Serbes que les Albanais du Kosovo. Ces structures parallèles font obstacle à un avenir commun pour les habitants du Kosovo. A titre d’exemple, les systèmes scolaires parallèles, employant chacun exclusivement la langue de la communauté concernée, mènent à une génération d’enfants qui ne connaissent pas les membres d’autres communautés et qui n’en parlent pas la langue.
11. A l’évidence, les structures parallèles sont un sujet hautement politisé. Mais il est tout aussi évident que l’existence de tribunaux parallèles serbes entrave grandement l’instauration de la prééminence du droit. A cet égard, il est important de noter que le Plan d’application des normes pour le Kosovo (PANK), bien que juridiquement non contraignant, impose le démantèlement des structures parallèles ou leur intégration aux institutions provisoires d’administration autonome («IPAA») 
			(4) 
			Rapport
de l’OSCE, «Parallel structures in Kosovo» (Structures parallèles
au Kosovo), 2006-2007..
12. Concernant les structures de sécurité parallèles, à Mitrovica, j’ai pu constater la présence de gardes serbes surveillant le pont de la rivière Ibar. Ils estimeraient, diton, constituer une force de sécurité visant, inter alia, à empêcher les Albanais du Kosovo de pénétrer dans la partie nord de Mitrovica et à réunir des informations sur les Kosovars albanais vivant au nord. Ils continuent d’assurer leur mission de surveillance et jouent, dit-on, un rôle essentiel dans le maintien de l’équilibre du pouvoir dans le nord du Kosovo.
13. Comme le souligne l’OSCE, la résolution de la question des structures parallèles au Kosovo doit impérativement reposer sur un système protégeant et garantissant les droits de chaque individu (notamment le droit à l’égalité d’accès à l’éducation et aux soins de santé, le droit à la liberté de circulation, le droit de propriété et le droit à un recours effectif).
14. La mise en place d’un nouveau bureau du procureur spécial chargé de la lutte contre le crime organisé, la traite des êtres humains, les crimes interethniques, le terrorisme et la corruption, composé de juges internationaux et locaux, constitue une avancée positive. Par ailleurs, le transfert des responsabilités/l’appropriation des réformes par les institutions du Kosovo est en cours et les institutions locales continuent d’assumer des responsabilités complémentaires dans le domaine judiciaire.

2.2. La nécessité de mettre un terme à l’impunité et de favoriser la vérité et la justice

15. Préalablement au mandat de la MINUK (1999), les Albanais de souche étaient victimes de nombreuses violations des droits de l’homme commises par les autorités serbes au Kosovo. Depuis lors, il a été fait état de crimes motivés par des considérations ethniques perpétrés à l’encontre de membres des communautés minoritaires, principalement des Serbes du Kosovo.
16. Au cours de ma visite, plusieurs de mes interlocuteurs ont dénoncé l’impunité ou l’absence d’obligation de rendre compte (accountability) dont continuent de jouir certains auteurs de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité commis avant le mandat de la MINUK, ainsi que l’impunité des crimes motivés par des considérations ethniques perpétrés depuis juin 1999, y compris ceux de mars 2004 
			(5) 
			Des violences
interethniques ont éclaté du 17 au 19 mars 2004. Dix-neuf personnes
ont été tuées, plus de 900 ont été gravement blessées et plus de
4 100 déplacées de force.. (Des exemples d’irresponsabilité d’institutions internationales au Kosovo sont évoqués dans la partie VI ci-dessous.)
17. J’ai insisté sur le fait que toutes les violations des droits de l’homme au Kosovo – commises avant ou après l’installation de la MINUK au Kosovo – doivent faire l’objet d’enquêtes approfondies et donner lieu à des poursuites.

2.2.1. Coopération avec le TPIY – Procès justes et efficaces devant les juridictions nationales pour crimes de guerre

18. Comme l’ont souligné à maintes reprises 
			(6) 
			Voir
la Résolution 1564 (2007) «Poursuites
engagées pour les crimes relevant de la compétence du Tribunal pénal international
pour l’ex-Yougoslavie (TPIY)» et la Résolution 1533 sur la situation
actuelle au Kosovo (janvier 2007). Voir également l’arrêt de la
Cour internationale de justice (CIJ) en février 2007.l’Assemblée et Mme Carla Del Ponte, procureur général du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), qui a désormais quitté ses fonctions, les autorités de la région doivent coopérer pleinement avec le TPIY afin de remettre les personnes accusées de crime de guerre, quelle que soit leur origine ethnique.
19. En décembre 2007 
			(7) 
			Voir le site <a href='http://www.un.org/icty/pressreal/2007/pr1202e-annex.htm'>http://www.un.org/icty/pressreal/2007/pr1202e-annex.htm</a>., Mme Del Ponte a notamment demandé aux Etats membres et à la Commission de l’Union européenne de maintenir leur position de principe en faisant de la pleine coopération de la Serbie avec le TPIY une condition préalable indispensable du processus de préadhésion et d’adhésion à l’UE.
20. Lors de notre rencontre à La Haye, Mme Del Ponte a évoqué le cas de M. Ramush Haradinaj, cité également par plusieurs ONG à Pristina et Belgrade au cours de ma visite dans la région. Ils ont souligné que M. Ramush Haradinaj s’était porté candidat à l’élection de l’Assemblée du Kosovo alors qu’il est accusé de crimes de guerre par le TPIY et placé en détention préventive 
			(8) 
			Il
a été élu.. Lors de mes entretiens avec des représentants du TPIY, ils ont cité comme exemples inquiétants de manque de coopération des allégations d’intimidation des témoins par un ministre au Kosovo dans l’affaire «Haradinaj» et l’intimidation de témoins ou l’obstruction faite à la justice dans l’affaire «Seselj».
21. Il est surprenant que des personnes soupçonnées par le TPIY continuent de jouer des rôles importants dans la vie politique. Les autorités, les gouvernements et les responsables politiques du Kosovo et de Belgrade doivent s’engager à coopérer pleinement avec le TPIY. Les partis respectifs devraient par ailleurs demander à ceux accusés ou recherchés pour crimes de guerre, intimidations de témoins ou obstructions à la justice d’abandonner tout rôle politique.
22. Il convient de souligner les efforts nationaux importants entrepris dans la poursuite des crimes de guerre. Des procès justes et efficaces des suspects restants, devant des juridictions nationales, sont déterminants pour renforcer la lutte contre l’impunité et forger le respect de la prééminence du droit.
23. La mise en œuvre de la législation sur la protection des témoins, ainsi que des mesures concrètes garantissant leur protection efficace et des changements de lieu de résidence sont indispensables.

2.2.2. Crimes à motivation ethnique

24. En 2006, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe notait que «L’impunité, telle que perçue, des auteurs de crimes violents à l’encontre des Serbes, notamment lors des épisodes de violence de mars 2004, ainsi qu’à l’encontre des Roms et d’autres, est un problème particulièrement grave qui doit être traité en priorité» 
			(9) 
			Résolution
du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, adoptée en 2006,
ResCMN(2006)9, sur la mise en œuvre de la Convention-cadre pour
la protection des minorités nationales au Kosovo (République de
Serbie).. J’ai répété au cours de ma visite que toutes les communautés minoritaires au Kosovo devaient avoir accès à des recours effectifs contre la discrimination, que les crimes à motivation ethnique devaient faire l’objet d’enquêtes approfondies et que leurs auteurs présumés devaient être poursuivis et effectivement punis si leur culpabilité était établie.
25. En conclusion, j’ai eu le sentiment, au cours de ma visite, qu’il restait beaucoup à faire sur la voie de la réconciliation.

3. Aperçu des principales questions liées aux droits de l’homme au Kosovo

3.1. Les communautés minoritaires au Kosovo: préoccupations d’ordre général

26. Selon la plupart des sources, les Albanais de souche représentent près de 90 % de l’ensemble de la population du Kosovo, les 10 % restants étant composés de Serbes, de Roms, de Turcs, de Bosniaques, de Goranis, d’Ashkalis, d’Egyptiens et de Croates. Il existe néanmoins certaines zones du Kosovo où les Albanais de souche sont minoritaires. Les Serbes et les Roms vivent généralement dans des villages mixtes ou monoethniques et des enclaves disséminées dans tout le Kosovo.
27. Selon l’institution du médiateur au Kosovo, les problèmes généraux rencontrés par l’ensemble des communautés minoritaires ont trait à l’éducation, au chômage et à l’incapacité à utiliser leur langue respective dans un contexte officiel, s’ils ne sont pas Serbes ou Albanais. De plus, des actes de malveillance et des dommages causés aux biens des membres des communautés minoritaires sont toujours rapportés et la liberté de circulation des membres de ces communautés reste limitée dans plusieurs régions.
28. La perspective d’un nouveau statut politique a mis en lumière l’incertitude liée à la protection future des communautés minoritaires. Davantage d’efforts sont nécessaires pour améliorer la situation en termes de sécurité au Kosovo, de plus en plus considérée comme instable. Un suivi systématique de la situation des droits de l’homme des personnes rapatriées et des populations en situation minoritaire risquant d’être déplacées est également essentiel.

3.1.1. Serbes du Kosovo

29. La plupart si ce n’est toutes les questions concernant la vie des Serbes du Kosovo restent hautement politisées. Ils vivent pour l’essentiel dans des enclaves dans diverses régions du Kosovo. En dépit d’améliorations de la situation générale en matière de sécurité, la liberté de circulation continue de poser des problèmes dans plusieurs zones. Par ailleurs, les Serbes du Kosovo dépendent toujours pour l’essentiel de structures parallèles soutenues par les autorités de Belgrade en ce qui concerne les prestations de services de base (à cet égard, voir la partie II cidessus). Les représentants des institutions provisoires d’administration autonome du Kosovo («IPAA») critiquent à ce titre les habitants des enclaves, alors que ces derniers se plaignent du manque de soutien des institutions provisoires 
			(10) 
			Voir Rapport 2006-2007 de l’institution
du médiateur du Kosovo..
30. Au cours de ma visite dans la région, certains interlocuteurs serbes ont évoqué le patrimoine culturel serbe. Bien que cette question soit elle aussi fortement politisée, il convient de reconnaître que la protection du riche patrimoine culturel du Kosovo est primordiale pour parvenir à une réconciliation de toutes les communautés. Chaque partie doit apprendre à respecter le patrimoine de l’autre. Indépendamment du statut futur du Kosovo, la protection des églises orthodoxes serbes est de la plus haute importance. Sans elle, tout dialogue interculturel est impossible.
31. Les événements de mars 2004 ont mis en évidence combien le secteur culturel est sensible, menant à des attaques contre des biens culturels emblématiques des deux communautés ethniques (des églises orthodoxes au Kosovo et des mosquées musulmanes à Belgrade et Niš).
32. Le Conseil de l’Europe, avec d’autres organisations internationales, devrait continuer de faire profiter le Kosovo de son soutien et de son expertise en matière de patrimoine culturel 
			(11) 
			Voir
les travaux de l’APCE sur cette question, notamment les Doc. 10127 et 10170
(commission de la culture, de la science et de l’éducation)..

3.1.2. Roms, Ashkali et Egyptiens (RAE)

33. Selon les estimations, 35000 à 40000 Roms, Ashkali et Egyptiens (RAE) vivraient toujours au Kosovo 
			(12) 
			Voir
Forum des Roms et Ashkalis du Kosovo, document structurel 1/2006.
Le rapport informel sur la mise en œuvre de la Convention-cadre
pour la protection des minorités nationales fait état de 35 000
personnes alors que la MINUK avance le nombre de 39 000 personnes.. Tous mes interlocuteurs ont reconnu que les RAE constituent la communauté la plus pauvre et la plus vulnérable du Kosovo. Il semblerait que les milieux internationaux et les autorités locales aient récemment porté une attention accrue aux problèmes des RAE. Il est impératif d’éviter toute politisation indue de ce problème pour l’essentiel humanitaire ou touchant aux droits de l’homme et que le bien-être et la santé des Roms restent au centre des préoccupations de toutes les parties intéressées 
			(13) 
			Voir également l’avis du Comité consultatif
de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales, adopté
le 25 novembre 2005, ACFC/OP/I(2005)004..
34. Certains observateurs prévoient, en cas d’indépendance du Kosovo, un possible changement de la structure de sa population minoritaire marqué par une éventuelle faible diminution de l’effectif des Serbes et une éventuelle augmentation de celui des RAE. Compte tenu du contexte actuel et des lacunes dans la prise en compte de leurs besoins et de leurs préoccupations dans les plans pour l’avenir du Kosovo, le retour anticipé des RAE pourrait engendrer une sérieuse détérioration de la situation 
			(14) 
			Voir Forum RA – position
2006..
35. Le coordonnateur du Conseil de l’Europe pour les Roms et Gens du voyage ainsi que le Forum européen des Roms et Gens du voyage ont exprimé leurs préoccupations devant le manque d’implication des Roms dans le processus d’élaboration du statut du Kosovo.

3.2. Réfugiés et personnes déplacées: craintes quant aux retours forcés et aux conditions de retour volontaire

36. Selon le HCR, la situation d’ensemble du Kosovo, le manque de liberté de mouvement et les conditions inadéquates de réinsertion durable (accès limité à l’emploi et aux services publics, logement, problèmes liés à la propriété) continuent d’affecter la perspective d’un retour durable et sûr des personnes déplacées du Kosovo. Par ailleurs, cette population attend le résultat des négociations sur le statut du Kosovo et avant cela aucun mouvement significatif ne devrait avoir lieu. Des rapports font état de l’hostilité et du harcèlement dont sont victimes beaucoup de RAE mais aussi et surtout des Serbes, à leur retour au Kosovo.
37. Au cours de ma visite, plusieurs interlocuteurs ont également exprimé leurs préoccupations devant la situation des personnes déplacées du Kosovo en Serbie. Ils ont souligné la précarité de la situation sociale dans plusieurs des centre collectifs et camps informels de personnes déplacées et l’impossibilité pour nombre d’entre elles d’obtenir des papiers d’identité, et par là même d’accéder aux services publics. Davantage d’efforts doivent être déployés pour répondre aux besoins de ces personnes.
38. Les représentants du HCR au Kosovo et à Belgrade ont insisté sur le fait que les personnes déplacées ne devaient pas être otages des futurs accords politiques 
			(15) 
			Voir également APCE Recommandation 1802 (2007),
Situation des réfugiés et personnes déplacées de longue date en
Europe du Sud-Est..
39. Ils ont également indiqué que le nombre de réfugiés, de personnes déplacées et d’apatrides pourrait augmenter à la lumière des développements futurs liés à la définition du statut. Par ailleurs, ces représentants ont exprimé leurs craintes du fait qu’avant même une résolution sur le statut futur du Kosovo, certains pays s’apprêtent à forcer au retour des personnes qui auraient toujours besoin d’une protection temporaire, mais aussi des personnes dont la demande de reconnaissance du statut de réfugié doit être examinée. Beaucoup de ces personnes sont issues des communautés minoritaires 
			(16) 
			Pour plus
de détails, voir également Amnesty International, Kosovo (Serbie),
«Non-retour forcé des minorités au Kosovo», mai 2007..
40. Mes interlocuteurs ont estimé qu’un afflux massif de rapatriés (forcés ou volontaires) ne serait pas une solution durable et risquerait de déstabiliser la situation déjà fragile en matière de sécurité et d’accentuer les tensions ethniques.

3.3. Autres questions

41. Au cours de ma visite, plusieurs autres sources de préoccupation ont été évoquées, notamment la corruption, la criminalité organisée, la traite des êtres humains et les violences domestiques, mais également les violences et la discrimination à l’encontre des minorités sexuelles.

4. Renforcement de la protection des droits de l’homme et de la responsabilité (accountability) au Kosovo

4.1. Applicabilité des instruments du Conseil de l’Europe au Kosovo et fonctionnement de leurs mécanismes de contrôle respectifs 
			(17) 
			Compte
tenu des incertitudes actuelles quant au statut futur du Kosovo,
cette section ne reflète que la situation présente.

42. Selon le Cadre constitutionnel pour un gouvernement autonome provisoire au Kosovo: la Convention européenne des Droits de l’homme (CEDH), la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires et la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales sont, inter alia, directement applicables au Kosovo.

4.1.1. Convention européenne des Droits de l’Homme et son mécanisme de contrôle, la Cour européenne des Droits de l’Homme («la Cour»)

43. En vertu du Cadre constitutionnel pour un gouvernement autonome provisoire au Kosovo, les droits garantis par la CEDH sont applicables au Kosovo mais il n’existe pas de fondement juridique à l’exercice de la juridiction de la Cour. Autrement dit, les habitants du Kosovo ne jouissent pas du droit d’accès individuel à la Cour européenne des Droits de l’Homme. C’est pourquoi le Kosovo a été considéré à plusieurs occasions comme un «trou noir» en Europe 
			(18) 
			Voir
notamment APCE, Doc. 10037 et
11202..
44. En février 2006, la Cour européenne des Droits de l’Homme a décidé qu’elle n’avait pas compétence pour se prononcer sur une requête soumise au nom des Roms, Ashkali et Egyptiens vivant dans les camps contaminés par le plomb de Mitrovica et relative aux violations de leurs droits au titre de la CEDH, au motif que la MINUK n’était pas partie à la Convention 
			(19) 
			Courrier de la Cour au
Centre européen des Roms, 27 février 2006..
45. La question de l’applicabilité de la Convention au Kosovo, et les obligations – s’il en est – des Etats participant à la KFOR quant aux allégations de violations des droits de l’homme, ont été examinées par la Cour européenne des Droits de l’Homme dans deux affaires récentes (Behrami et Saramati), toutes deux déclarées irrecevables/rayées du rôle 
			(20) 
			A. Behrami et
B. Behrami c. France (no 71412/01)
et R. Saramati c. France, Allemagne et
Norvège (no 78166/01), Décision
de la Grande Chambre, mai 2007. La Cour a rayé du rôle la requête
Saramati concernant l’Allemagne; et déclaré irrecevables les autres
observations de la requête Saramati ainsi que l’affaire Behrami et Behrami c. France. La
Cour a conclu que les griefs des requérants doivent être déclarés
incompatibles ratione personae avec
les dispositions de la Convention. Elle a, par ailleurs, déclaré
que la Convention ne saurait s’interpréter de manière à faire relever
du contrôle de la Cour les actions et omissions des Parties contractantes
couvertes par des résolutions du Conseil de sécurité et commises
avant ou pendant de telles missions. Une autre affaire concernant
la KFOR – Kasumaj c. Grèce,
no 6974/05 – a été communiquée en 2006.
Elle concernerait le respect des droits de propriété, l’accès à
un tribunal et la disponibilité d’un recours..
46. Tout accord sur le statut du Kosovo devra garantir l’applicabilité pleine et entière de la CEDH et la mise en œuvre de son mécanisme de contrôle au Kosovo.

4.1.2. Convention européenne pour la prévention de la torture et accès du Comité pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants du Conseil de l’Europe (CPT) aux lieux de détention au Kosovo

47. En vertu d’un accord conclu en août 2004 entre le Conseil de l’Europe et la MINUK, et d’un échange de courriers daté de 2006 entre les secrétaires généraux du Conseil de l’Europe et de l’OTAN, le CPT a obtenu l’accès aux lieux de détention de la MINUK et de la KFOR et a mené sa première visite au Kosovo en mars 2007. Au cours de ma visite, j’ai appelé la MINUK à autoriser la publication du rapport du CPT dès que possible.

4.1.3. Convention-cadre pour la protection des minorités nationales (convention-cadre)

48. Le suivi de la convention-cadre a été rendu possible par un accord conclu entre le Conseil de l’Europe et la MINUK sur «Les dispositions techniques relatives à la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales», signé le 23 août 2004.
49. En juin 2006 
			(21) 
			Voir Résolution ResCMN(2006)9
sur la mise en œuvre de la Convention-cadre pour la protection des
minorités nationales (CCPMN) au Kosovo (République de Serbie). Voir
également l’avis du comité consultatif et le rapport informel des
ONG., le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a conclu que «la protection des minorités nationales est un domaine qui revêt une importance capitale pour les droits de l’homme ainsi que pour la paix et la stabilité au Kosovo. L’accord conclu entre le Conseil de l’Europe et la MINUK concernant le suivi de la convention-cadre constitue une étape essentielle pour améliorer la responsabilité internationale des autorités du Kosovo dans ce domaine».
50. Il a, par ailleurs, conclu que «les accords institutionnels actuels, complexes et ambigus, associés à une incertitude en ce qui concerne le futur statut du Kosovo, ont quelquefois obscurci les responsabilités et les obligations des autorités respectives dans la mise en œuvre de la convention-cadre, au détriment des personnes appartenant à des communautés minoritaires. Par conséquent, quelle que soit l’issue des pourparlers relatifs au statut, il est important que les autorités qui dirigent réellement le Kosovo, qu’elles soient internationales ou locales, assument clairement leurs responsabilités pour la mise en œuvre de ce traité. Cependant, il apparaît clairement que, sans tenir compte des accords institutionnels, la mise en œuvre des principes de la convention-cadre demeure difficile au Kosovo, où la violence interethnique a sérieusement fragilisé la confiance entre les communautés».
51. A cet égard, en juin 2006, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a également adressé un certain nombre de recommandations aux autorités du Kosovo, tant internationales que locales 
			(22) 
			Pour
plus de détails, voir Résolution ResCMN(2006)9 sur la mise en œuvre
de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales
(CCPMN) au Kosovo (République de Serbie).. Néanmoins, il semblerait qu’elles aient peu été suivies d’effet quant à leur mise en œuvre.

4.1.4. Règlement futur

52. Tout règlement futur doit garantir que les principaux instruments internationaux et européens des droits de l’homme sont pleinement applicables dans l’ensemble du Kosovo et que leurs mécanismes de contrôle respectifs y sont en vigueur. En particulier, je considère qu’il est de la plus haute importance de veiller à ce que les habitants du Kosovo jouissent d’un accès individuel à la Cour européenne des Droits de l’Homme après avoir épuisé tous les recours du droit interne.
53. Par ailleurs, l’éventuelle future mission Prééminence du droit/Rule of law de l’UE au Kosovo devrait définir une stratégie claire en faveur de la prééminence du droit et des droits de l’homme et la mettre en œuvre sans délai avec l’ensemble des parties intéressées. Le Conseil de l’Europe, en tant que principal gardien des droits de l’homme en Europe, devrait être étroitement associé à cette mission de l’UE.

4.2. Mécanismes nationaux de protection des droits de l’homme: le rôle crucial de l’institution du médiateur

54. Il semblerait que les préoccupations en matière de droits de l’homme ne soient pas suffisamment prises en compte dans les programmes de la MINUK et des institutions provisoires, en dépit de la création, au sein de chaque ministère, d’unités des droits de l’homme chargées de l’application de la Stratégie des droits de l’homme. De même, le problème de la législation du Kosovo ne concerne pas tant sa qualité que l’absence de véritable mise en œuvre.
55. L’institution du médiateur au Kosovo a été établie en 2000 par le Règlement no 2000/38 de la MINUK, en tant qu’institution indépendante ayant pour mandat de régler les questions relatives aux allégations de violations des droits de l’homme ou abus d’autorité perpétrés par les autorités publiques internationales et locales au Kosovo. Le médiateur international était un juriste polonais, Marek Antoni Nowicki. En 2006, le représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies (RSSG) a promulgué le Règlement 2006/06 de la MINUK, selon lequel l’institution du médiateur ne peut être saisie que d’affaires où des violations des droits de l’homme sont le résultat d’actions des institutions du Kosovo. Par ailleurs, l’institution est devenue une institution «locale» (kosovare).
56. Il a été rapporté qu’en raison de son caractère multiethnique et de sa présence sur le terrain, cette institution jouissait d’une grande confiance au sein de la population kosovare, y compris des communautés minoritaires, et était considérée – du moins avant la limitation de ses compétences – comme l’un des mécanismes de responsabilité des institutions internationales les plus efficaces du Kosovo. D’autre part, aux dires de l’actuel médiateur en exercice, elle est le seul mécanisme indépendant de protection des droits de l’homme au Kosovo en vertu duquel les institutions provisoires sont tenues de répondre de leurs actes devant la loi.
57. Pour l’instant, l’Assemblée du Kosovo n’a pas réussi à nommer un médiateur national permanent. De plus, des préoccupations ont été exprimées en octobre 2007 quant au processus de sélection des candidats au poste de médiateur. Les allégations d’ingérence politique émises sont très préoccupantes. Le médiateur est tenu de remplir sa mission de manière consciencieuse, indépendante et impartiale, en totale conformité avec les Principes de Paris 
			(23) 
			Les
six critères clés des Principes de Paris relatifs au statut des
institutions nationales de promotion et de protection des droits
de l’homme, approuvés par l’Assemblée générale des Nations Unies
en décembre 1993, sont: une indépendance garantie par les statuts
ou la Constitution, une autonomie à l’égard du gouvernement, le
pluralisme, y compris dans la composition, un mandat large reposant
sur les normes universelles des droits de l’homme, des pouvoirs d’investigation
adéquats, et des ressources suffisantes.. En outre, après ma visite, des craintes sont nées des propositions de réduction de budget qui risquent de mettre en péril la durabilité de l’institution.
58. Cette institution, dont l’indépendance doit être impérativement préservée, devrait jouer un rôle de premier plan dans l’instauration de la prééminence du droit et le règlement des problèmes des droits de l’homme, y compris ceux des communautés minoritaires et des autres groupes vulnérables. Il convient de la renforcer et non de l’affaiblir.

4.3. Le manque de responsabilité («accountability») des institutions internationales au pouvoir au Kosovo

59. Au Kosovo, le climat d’impunité hérité du passé et décrit par bon nombre d’ONG a encore été aggravé par le problème général de la responsabilité (accountability) 
			(24) 
			Voir
le rapport de Human Rights Watch «Better late than never: Enhancing
the accountability of international institutions in Kosovo», juin
2007. «Accountability – the extent to which an institution and the
officials within it, are held responsible for their actions – is
a key element of good governance and essential to the enjoyment
of human rights.» Voir aussi les rap ports 2006-2007 d’Amnesty International.lié au statut du Kosovo. Le personnel des organisations internationales jouit de l’immunité et la compatibilité de ses actes avec les normes des droits de l’homme n’est pas contrôlée. A cet égard, il convient de souligner une nouvelle fois que l’institution du médiateur a été dépossédée de son mandat d’enquêter sur la MINUK et la KFOR en 2006 (voir ci-dessus).
60. Les exemples concrets suivants de non-responsabilité m’ont été communiqués:

4.3.1. Responsabilité pénale

  • impunité du contingent roumain de police de la MINUK pour son rôle allégué dans le meurtre de deux manifestants le 10 février 2007;
  • absence de recours et de compensation pour la famille Behrami, dont un fils a été tué et un autre mutilé par des munitions explosives non explosées (UXO) dans une zone déclarée sûre par la KFOR. La Cour européenne des Droits de l’Homme a déclaré cette affaire irrecevable (voir ci-dessus);
  • absence de recours et de compensation pour Saramati qui a prétendu avoir été placé en détention extrajudiciaire pendant une longue période par la KFOR (décision identique de la Cour européenne des Droits de l’Homme (requête irrecevable/radiation du rôle).

4.3.2. Responsabilité administrative

Les dossiers concernent des affaires relatives aux droits de propriété, des réactions excessives de la part de la police internationale et des membres des forces de maintien de la paix de la KFOR (accidents de la route, comportements sexuels inconvenants, etc.) pour lesquelles il n’existe pas de mécanisme permanent de prise en compte des plaintes publiques en vue de leur traitement. Human Rights Watch a suggéré un certain nombre de solutions pour combler le vide actuel 
			(25) 
			Idem..

61. Pour la MINUK, le problème général de responsabilité a été abordé et réglé, dans une certaine mesure, par la création de la commission consultative («Advisory Panel») pour les droits de l’homme, chargée de soumettre au RSSG un avis indépendant en cas d’allégations de violations des droits de l’homme par le personnel «international». Néanmoins, cette commission n’a pas encore commencé ses travaux (elle s’est enfin réunie pour la première fois, en novembre 2007) et il semble que son autorité reste conditionnée par la bonne volonté dont fera preuve la MINUK pour se conformer à ses conclusions. Au cours des toutes dernières années, les personnes s’estimant victimes de violations de leurs droits fondamentaux par les Nations Unies n’ont trouvé aucune possibilité de recours.

4.4. Renforcer la responsabilité («accountability»)

62. Tant qu’une administration civile et une présence militaire internationales resteront au Kosovo, qu’elles soient placées sous l’autorité des Nations Unies, de l’OTAN ou de l’Union européenne, leurs actes et omissions devraient continuer d’être soumis à un contrôle, des enquêtes et une supervision indépendants. Pour les personnes portant plainte contre de telles autorités, l’accès aux recours doit être garanti.
63. Les ONG ont souligné qu’en dépit des nombreuses analyses faites du manque de responsabilité (accountability) internationale au Kosovo, seuls de rares progrès ont été réalisés pour y remédier. La définition d’un nouveau statut devrait offrir de nouvelles opportunités à cet égard. L’institution du médiateur devrait y jouer un rôle clé et voir de ce fait son mandat modifié.

5. Statut du Kosovo et droit international

64. Au cours de ma visite, les autorités de Serbie ont déclaré que la définition du statut du Kosovo était un problème juridique et que le fait de priver la Serbie de son intégrité territoriale aurait pour effet de porter atteinte à l’ordre juridique international. J’ai répondu que la définition du statut du Kosovo était une question politique extrêmement sensible, comprenant des aspects juridiques et relatifs aux droits de l’homme importants. S’agissant de l’argument du droit international, je souscris pleinement à l’avis de Lord Russell-Johnston selon lequel le Kosovo constitue une situation unique en Europe et que «la tension entre le principe d’autodétermination et le respect de l’intégrité territoriale ne doit pas forcément être réglée en faveur de la dernière solution». En fait, «le cas du Timor-Leste [ex-Timor-Oriental] montre bien que les Nations Unies peuvent aussi se prononcer, dans des circonstances très spéciales, en faveur de la création d’un Etat indépendant, quel que soit le principe d’intégrité territoriale» 
			(26) 
			Voir Doc. 11472, paragraphe 52, note
no 8, «A la suite de graves violations
des droits de l’homme dans le Timor-Oriental par le Gouvernement
indonésien, les Nations Unies ont mis en place en 1989 l’Administration
transitoire des Nations Unies au Timor-Oriental (ATNUTO) et encouragé
le processus d’indépendance (voir Résolutions 1272 (1999), 1338
(2002), 1392 (2002) et 1410 (2002) du CSNU)».. Le Kosovo occupe à l’évidence une situation unique en Europe. Deux éléments majeurs sont à rappeler à cet égard: premièrement, les violences ont été commises par les autorités contre leur propre population (c’est-à-dire la population albanaise du Kosovo) et ont déclenché la réaction de la communauté internationale en 1999; deuxièmement, parce que le Kosovo est sous administration des Nations Unies depuis huit ans désormais.

6. Remarques conclusives: statut et normes

65. En fin de compte, il apparaît à l’évidence que l’indétermination du statut du Kosovo entrave la pleine réalisation des «normes pour le Kosovo». Mais il apparaît tout aussi clairement qu’il est désormais nécessaire d’accorder de nouveau aux «normes pour le Kosovo» une attention soutenue afin de répondre aux graves sujets d’inquiétude et de renforcer la protection des droits de l’homme et la responsabilité (accountability). J’ajouterais que ma visite a mis en lumière que toutes les parties intéressées portent une part de responsabilité dans la situation actuelle – qu’elles soient à Pristina, à Belgrade ou dans les rangs de la communauté internationale au Kosovo.
66. Je considère que le statut du Kosovo doit permettre la pleine réalisation des «normes pour le Kosovo», le renforcement des mécanismes de protection des droits de l’homme, celui de l’appropriation des réformes par les institutions, ainsi qu’une plus grande responsabilité (accountability) des parties concernées, y compris de la communauté internationale au Kosovo.
67. Le Kosovo doit être un lieu où les principaux instruments internationaux et européens dans le domaine des droits de l’homme et des droits des minorités, notamment la Convention européenne des Droits de l’Homme (STE no 5), la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (STE no 126) et la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales (STE no 157) sont pleinement applicables, où les mécanismes de contrôle respectifs sont pleinement en vigueur et où les valeurs de démocratie, de tolérance et de multiculturalisme sont partagées par le peuple et les institutions.
68. Par conséquent, toutes les parties intéressées, y compris la communauté internationale, devraient:
  • respecter pleinement, et si nécessaire, protéger les droits des Serbes et des autres populations en situation minoritaire au Kosovo, quelle que soit leur appartenance ethnique;
  • accorder de nouveau aux «normes pour le Kosovo» toute l’attention nécessaire et, dans tous les cas, développer la coordination entre tous les acteurs impliqués dans la mise en œuvre des normes;
  • définir une stratégie claire en faveur de la prééminence du droit et des droits de l’homme, et la mettre en œuvre sans plus tarder;
  • traiter les dysfonctionnements bien connus du système judiciaire au Kosovo, ainsi que la question des institutions serbes parallèles au Kosovo, qui portent profondément atteinte à la prééminence du droit dans la région;
  • renforcer la responsabilité (accountability) en cas de violations des droits de l’homme, notamment si ces violations sont le fait des «internationaux» au Kosovo; et
  • renforcer les mécanismes de protection des droits de l’homme au Kosovo, en particulier l’institution du médiateur qui jouit d’une grande confiance au sein de la population du Kosovo et dont l’indépendance doit être préservée.
69. Toute éventuelle mission (Prééminence du droit/Rule of law) de l’UE au Kosovo, ainsi que les autres parties concernées, devraient définir une stratégie claire en faveur de la prééminence du droit et des droits de l’homme, et la mettre en œuvre sans plus tarder.
70. Par ailleurs, les parties concernées devraient coopérer pleinement avec le TPIY et garantir que toutes les violations des droits de l’homme au Kosovo – commises avant et après la mise en place de la MINUK – font l’objet d’enquêtes approfondies, impartiales et indépendantes, et de poursuites pour favoriser la vérité et la justice et ouvrir la voie à la réconciliation.
71. La population du Kosovo souffre depuis suffisamment longtemps et mérite un avenir plus prometteur. La situation économique est peu encourageante compte tenu du chômage massif. Centrer tous les efforts sur le statut et les normes (qui couvrent les droits de l’homme et la lutte contre la corruption et l’impunité) est la seule voie vers un avenir meilleur pour tous les habitants du Kosovo.

Commission chargée du rapport: commission des questions politiques.

Commission saisie pour avis: commission des questions juridiques et des droits de l’homme.

Renvoi en commission: Renvoi no 3324 du 16 mars 2007. Avis approuvé par la commission le 21 janvier 2008.

Voir 4e séance, 22 janvier 2008 (adoption des projets de résolution et de recommandation amendés); et Résolution 1595 et Recommandation 1822.