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Rapport | Doc. 11547 | 27 mars 2008

Le suicide des enfants et des adolescents en Europe: un grave problème de santé publique

(Ancienne) Commission des questions sociales, de la santé et de la famille

Rapporteur : M. Bernard MARQUET, Monaco, ADLE

Origine - Renvoi en commission: Doc. 10773 et Renvoi no 3164 du 23 janvier 2006. 2008 - Deuxième partie de session

Résumé

Le suicide des adolescents est devenu aujourd’hui un grave problème de santé publique. Sous-estimé, il fait pourtant des dizaines de milliers de morts chaque année – plus que les accidents de la route. Il est souvent la conséquence de facteurs aussi bien psychologiques que sociaux. Outre de mettre prématurément fin à de jeunes vies, le suicide fait énormément de dégâts dans son sillage. Ses effets se répercutent sur ceux qui sont étroitement concernés par le décès d’un jeune.

Pour beaucoup d’adolescents, le suicide est lié à une situation d’échec ou de peur de l’échec. En outre, il est prouvé que l’abus d’alcool ou de drogue est associé au suicide des jeunes et que les addictions fournissent souvent un terrain propice.

Le rapport réaffirme l’importance de combattre toutes les discriminations (ethniques, religieuses et sexuelles) qui peuvent avoir une incidence sur ces adolescents et appelle à une meilleure pédagogie à propos de la médiatisation de ces suicides.

Le rapport insiste également sur le dépistage et la prévention de la récidive dans toutes ses composantes médicales, psychologiques et sociales, et appelle les Etats membres du Conseil de l’Europe à prendre des mesures psychosociales appropriées aux jeunes pour répondre à ce problème.

A. Projet de résolution

(open)
1. Le suicide des adolescents est devenu aujourd’hui un grave problème de santé publique. Sous-estimé, il fait pourtant des dizaines de milliers de morts chaque année – plus que les accidents de la route. Il est souvent la conséquence de facteurs aussi bien psychologiques que sociaux. Bien souvent, c’est un appel au secours traduisant un malêtre profond.
2. L’enfance et l’adolescence sont des âges de la vie qui méritent toutes les attentions puisque c’est la période où le futur adulte se construit, s’insère dans la société et apprend à vivre dans une communauté. Il convient donc que cette intégration se fasse dans les meilleures conditions possibles, aussi bien psychologiquement que socialement. De nombreux instruments juridiques du Conseil de l’Europe, tels que la Convention du Conseil del’Europe pour la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels (STCE no 201), la Convention européenne sur l’exercice des droits des enfants (STE no 160) et la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (STCE no 197), garantissent cette intégration.
3. L’Assemblée parlementaire rappelle ses travaux antérieurs sur ce sujet, notamment à travers les Recommandations 1532 (2001) sur une politique sociale dynamique en faveur des enfants et adolescents en milieu urbain et 1632 (2003) sur l’adolescence en détresse: une approche sociale et sanitaire du mal-être des jeunes.
4. L’Assemblée tient également à rappeler à ses Etats membres que la ratification de la Charte sociale européenne incite les Etats membres à mettre en place des politiques de prévention des maladies, y compris les maladies mentales, et à garantir un environnement sain à ces malades. Plusieurs Etats membres ont engagé des politiques de prévention sur le suicide des adolescents mais ces dernières doivent se généraliser.
5. Elle condamne fermement toute violence psychologique, physique où économique faite aux enfants et aux adolescents. Elle connaît les dommages et les séquelles que causent ces violences sur l’équilibre des enfants et des adolescents, qui peuvent être irréparables et les pousser au suicide.
6. Elle exprime également son inquiétude à propos de l’augmentation des conduites à risque, des suicides et tentatives de suicide. L’Assemblée estime que des plans de prévention du suicide en faveur des adolescents doivent se multiplier et elle invite la commission des questions sociales, de la santé et de la famille à se pencher sur cette question.
7. Les enfants et les adolescents doivent faire l’objet de mesures et d’actions spécifiques dans leur rapport au suicide et plus généralement à la mort. Des programmes transversaux incluant des volets sociaux, médicaux et éducatifs doivent être adoptés pour permettre d’agir en amont et ouvrir le dialogue avec ces adolescents perturbés.
8. L’Assemblée estime que certaines méthodes innovantes, comme «l’autopsie psychologique», pourraient être généralisées pour permettre une meilleure connaissance de ce phénomène et surtout une meilleure évaluation des risques.
9. Elle réaffirme son attachement au respect des différences tant politiques, économiques, sociales, culturelles que sexuelles et physiques. A ce titre, elle condamne fermement toute discrimination religieuse, ethnique ou sexuelle et réaffirme son engagement dans la lutte contre le racisme, l’homophobie et la stigmatisation de tous les comportements sexuels, notamment la transsexualité.
10. L’Assemblée est à l’évidence préoccupée par le taux particulièrement plus élevé de suicides chez les jeunes lesbiennes, homosexuels, bisexuels et transsexuels que parmi l’ensemble des jeunes. Elle relève que cette augmentation du risque n’est pas liée à l’orientation sexuelle ou à l’identité de genre de ces personnes mais à la stigmatisation et à la discrimination qu’elles rencontrent du fait de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre. En tant que telle, cette augmentation du risque a une dimension significative quant aux droits humains.
11. L’Assemblée a également constaté ces dernières années les dérives dangereuses d’une mauvaise utilisation d’internet et la nécessité d’élaborer une réglementation à ce sujet. Dans certains blogs notamment, le suicide est glorifié et peut conduire à de véritables tragédies. De plus, le traitement de l’information médiatique à propos du suicide doit faire l’objet de toutes les attentions vis-à-vis d’un public adolescent influencé par l’internet et la télévision.
12. En conséquence, l’Assemblée est préoccupée par le risque d’effets funestes que peuvent produire les renseignements en ligne qui font l’apologie du suicide. Ces contenus ne sont pas nécessairement illégaux et la recherche n’a pas établi de façon irréfutable qu’ils incitent au suicide, mais ils risquent de porter atteinte au bien-être physique, émotionnel et psychologique des jeunes, notamment en ce qui concerne la présentation et la glorification de l’automutilation. L’Assemblée note que la protection des enfants et des jeunes contre ces risques fait partie des obligations générales qui incombent aux Etats membres, au titre de la Convention européenne des droits de l’homme.
13. A cet égard, l’Assemblée estime que, pour contrebalancer l’apologie du suicide sur internet, il appartient aux Etats membres et aux autres parties prenantes de diffuser des informations sur le sujet pour rehausser la valeur de service public d’internet.
14. L’expertise des associations et des ONG travaillant sur ce sujet doit également trouver un écho dans les décisions gouvernementales. L’Assemblée est convaincue que les organisations concernées de la société civile doivent être associées aux partenaires institutionnels pour une meilleure efficacité.
15. Enfin, la prévention de la récidive doit devenir une priorité. Quinze pour cent des adolescents ayant fait une tentative de suicide récidivent et 75 % des personnes ayant tenté de se suicider ne sont pas hospitalisés. La récidive doit donc être traitée dès la première tentative de suicide par des soins médicaux spécialisés, et un suivi social immédiat et approprié doit être apporté pour prévenir toute nouvelle tentative.
16. En conséquence, et en ce qui concerne le dépistage et la prévention, l’Assemblée invite les Etats membres:
16.1. à se saisir de cette question et à en faire une priorité politique;
16.2. à soutenir la recherche scientifique existant sur ce sujet et à en promouvoir de nouvelles dans les Etats membres;
16.3. à prévoir une éducation à la santé dans les établissements d’enseignement primaire et secondaire mais également à prévenir la violence et l’intimidation à l’école;
16.4. à mettre en place un cycle de formation pour le personnel soignant afin qu’il puisse identifier les personnes à risque et à faire de la suicidologie une discipline indépendante;
16.5. à renforcer les politiques de lutte contre l’abus de stupéfiants et d’alcool chez les mineurs;
16.6. à promouvoir des politiques de soutien des familles afin de les aider à parvenir à une intégration sociale réussie des adolescents;
16.7. à mettre en place et/ou à développer des structures d’accueil ou des cellules d’écoute afin de mieux entendre les appels à l’aide des adolescents et de prévenir les crises;
16.8. à développer auprès des jeunes adolescents la connaissance médicale du suicide et de ses symptômes;
16.9. à combattre toute banalisation du suicide chez les adolescents;
16.10. à restreindre, dans la mesure du possible et surtout dans les lieux publics, tous les moyens permettant de se suicider;
16.11. promouvoir la coopération avec les médias pour une meilleure sensibilisation du public au suicide;
16.12. à offrir des renseignements ciblés, des conseils et une assistance sur le suicide, dans le cadre de la mise en œuvre de la Recommandation du Comité des Ministres Rec(2007)16 sur des mesures visant à promouvoir la valeur de service public d’internet;
16.13. à renforcer les mesures pour lutter contre l’homophobie par des actions éducatives et des groupes de dialogue favorisant l’acceptation de soi et des autres;
16.14. à combattre la pratique inhumaine des mariages forcés et à intensifier une prise de conscience sur ce sujet;
16.15. à renforcer la mise en réseau des associations, des ONG et des services publics.
17. En ce qui concerne la récidive, l’Assemblée invite également les Etats membres:
17.1. à prévoir systématiquement des mesures de soutien psychosocial;
17.2. à prévoir des aides psychologiques aux jeunes, mais également aux parents et aux amis proches;
17.3. à prévoir une approche multidisciplinaire regroupant la santé, l’éducation, l’emploi, la police, les autorités judiciaires, religieuses et politiques ainsi que les médias.

B. Exposé des motifs, par M. Bernard Marquet 
			(1) 
			Le
rapporteur souhaite remercier Mme Nicky
Stanley, professeur en travail social à l’université de Central
Lancashire, pour ses précieux commentaires sur l’exposé des motifs

(open)

1. Introduction

1. Le suicide est un acte délibéré pour mettre fin à sa propre vie. Depuis les travaux d’Emile Durkheim en 1897, le suicide n’est plus associé uniquement à des troubles psychiques ou à une maladie mentale, mais résulte également de problèmes sociaux. Il est devenu avec les maladies graves le deuxième problème majeur de santé publique, surtout à partir des années 1970. Outre qu’il met prématurément fin à de jeunes vies, le suicide fait énormément de dégâts dans son sillage. Ses effets se répercutent sur ceux qui sont étroitement concernés par le décès d’un jeune.
2. Le suicide touche profondément les sociétés occidentales. Il tue plus que les accidents de la route. Parmi les Etats membres du Conseil de l’Europe, la Fédération de Russie, la Hongrie et la Slovénie figurent parmi les pays où le taux de suicides est le plus important. Il touche toutes les catégories de la population, notamment les enfants et les adolescents.
3. Parmi les jeunes, deux tiers des cas concernent des jeunes hommes et un tiers des cas des jeunes femmes dont la tranche d’âge se situe entre 11 et 24 ans – cette proportion étant inversée pour les tentatives de suicide. Si les tentatives de suicide sont surtout un cri d’alarme ou un geste de souffrance, l’acte suicidaire est un geste beaucoup plus violent, qui est parfois planifié et répété pendant un certain temps.
4. L’adolescence, période transitoire de la vie qui varie selon les traditions nationales, peut schématiquement se situer entre 11 et 24 ans. Elle représente surtout le moment où l’on se cherche pour se construire, ce qui se traduit très souvent par un besoin de tout contrôler, même sa mort. Les adolescents se font souvent des confidences qui subliment la mort et la douleur.
5. Le suicide est lié à l’interaction complexe de différents facteurs, à savoir les troubles mentaux, la pauvreté, l’abus de drogues et d’alcool, l’isolement, le deuil, les difficultés relationnelles, les problèmes liés au travail et les discriminations subies. Le suicide demeure un révélateur du mal-être social, qui, s’il est moins lié à l’alcoolisme que dans le passé, doit beaucoup à la montée du chômage et de la précarité ainsi qu’au relâchement des liens familiaux. Pour beaucoup d’adolescents, le suicide est déterminé par une situation d’échec ou de peur de l’échec. En outre, il est prouvé que l’abus d’alcool ou de drogue est associé au suicide des jeunes et que les addictions fournissent souvent un terrain propice au suicide chez les jeunes.
6. En Europe, le taux de suicides est souvent bas dans les pays où la religion occupe une place importante, comme en Italie ou en Pologne, de même que dans les pays musulmans et dans quelques pays asiatiques. Les croyances religieuses peuvent permettre de prévenir le suicide car, pour les croyants de toutes les religions, seul Dieu peut décider de la mort. Enfin, les religions offrent un cadre communautaire à des valeurs de vérité ou de paix et permettent aux adolescents de se sentir intégrés dans un groupe à un moment où ils cherchent la reconnaissance des adultes et de leurs pairs. Mais cette démarche peut également aboutir à des dérives, notamment à l’intérieur de sectes ou de mouvements religieux millénaristes, où l’endoctrinement peut conduire à des suicides collectifs ou à une volonté de mettre fin à sa vie pour rejoindre un monde meilleur. Ce fut le cas par exemple en Albanie en février 2005 où plusieurs enfants de 9 à 16 ans se suicidèrent après avoir eu des contacts avec des témoins de Jéhovah.
7. Les matériels circulant sur internet doivent être traités de manière discriminatoire. Les jeunes considèrent internet comme un espace où ils ne sont plus soumis au contrôle et à la surveillance des adultes. Il est prouvé que les jeunes hommes en particulier peuvent trouver plus facile d’exprimer des pensées et sentiments troublants dans l’espace anonyme et non surveillé d’internet: ainsi, l’initiative CALM au Royaume-Uni, qui visait à soutenir les jeunes hommes dépressifs, en les encourageant à utiliser internet pour exprimer leurs sentiments de désarroi et leur permettre d’accéder à des conseils, a permis des résultats encourageants. Toutefois, la nature non surveillée des espaces de discussion virtuels («chatrooms») et des blogs implique qu’ils offrent aussi la possibilité de glorifier le suicide et de faire circuler librement des informations sur les moyens de se donner la mort.
8. L’on constate également l’apparition des «suicides en série». Ce terme est utilisé pour décrire un certain nombre de suicides survenant dans des moments et lieux rapprochés. Ils ont été repérés dans des institutions comme les universités, les écoles et les prisons. Un suicide qui survient à proximité semble avoir l’effet de lever les inhibitions associées à l’acte de s’ôter la vie.
9. Enfin, il existe un autre phénomène, que les spécialistes appellent le «Mat Syndrome», processus comportant cinq phases d’une durée variable qui conduit l’adolescent à transformer sa douleur en une trajectoire suicidaire. La première phase est celle où l’imaginaire est roi, c’est la fuite dans la tête. Puis vient la phase de lutte pendant laquelle l’adolescent est seul face à son angoisse. La troisième phase s’apparente à la dépression, c’est la période où le jeune appelle à l’aide. La phase de révolte qui suit est également celle pendant laquelle l’adolescent va chercher des personnes ayant les mêmes pensées que lui. Enfin, le processus s’achève avec la dernière phase, appelée «l’œil du cyclone», qui est le moment le plus dangereux, car l’adolescent affiche un calme trompeur, alors même qu’il est en train de préparer le scénario de sa mort 
			(2) 
			Voir Meunier, A et
Tixier, G., La tentation du suicide chez
les adolescents, Payot, Paris, 2005.
10. Dans ce contexte, la prévention doit devenir la préoccupation majeure pour enrayer ce phénomène qui ne cesse de croître. Cependant, suggérer qu’un jeune s’approche du suicide à travers des étapes séquentielles distinctes peut être trompeur, car ces étapes ne sont pas facilement identifiables pour ceux qui cherchent à repérer les jeunes tentés par le suicide.

2. Facteurs associés au suicide

11. Il convient de rappeler au préalable qu’avoir des pensées suicidaires pour un adolescent n’est pas anormal, bien au contraire. Ces pensées suicidaires deviennent préoccupantes lorsque leur réalisation apparaît comme la seule manière de résoudre ses propres problèmes et difficultés. Le suicide peut en effet être interprété comme un «cri de douleur» en réponse au sentiment d’une personne prise au piège d’une situation sans issue 
			(3) 
			Williams, J.M.G., Cry of Pain: Understanding Suicide and Self-harm,
Penguin, Harmondsworth, 1997..
12. Il est prouvé que le suicide des jeunes est associé à un vaste éventail de facteurs. Si les troubles mentaux interviennent dans une part importante des suicides, ces troubles caractérisent dans une moindre mesure le suicide des jeunes car il y a moins de chances que ceux-ci soient atteints d’une maladie mentale. Outre les facteurs liés à la santé mentale d’un individu, des traits de caractère comme l’impulsivité et le perfectionnisme, l’histoire familiale et des événements de la vie tels que la rupture d’une relation, le harcèlement ou le deuil peuvent jouer un rôle crucial.
13. Un autre facteur de risque provient de l’environnement familial: perte d’un parent proche, violences familiales, abus sexuels (incestes, attouchements, viols) ou encore exposition au suicide d’un proche. La solitude, le chômage et la détention pour les plus âgés ainsi qu’une condition sociale très précaire peuvent aussi expliquer le suicide. Tous ces facteurs contribuent à fragiliser l’estime que les jeunes ont d’eux-mêmes et les enferment dans un sentiment de mal-être, de solitude. Or «dans les cas les plus extrêmes, le sentiment de solitude devient sentiment de flottement, voire de détachement, face à une société qui n’offre pas de repères fixes, ni de sens à l’existence. En effet, le thème de la solitude s’exprime aussi à travers des problématiques beaucoup plus graves, comme celui des scarifications ou des suicides» 
			(4) 
			Dispositif Pass’âge,
bilan d’activité 2006, pôle de ressources «conduites à risque»,
Conseil général du Bas-Rhin, France., résume le pôle de ressources «conduites à risque» du Bas-Rhin en France.
14. Selon une étude canadienne 
			(5) 
			Le divorce et la santé
mentale des enfants, programme des centres de données de recherche
publié dans Journal of Marriage and the
Family, 2005. Disponible sur http://www.statcan.ca/Daily/Francais/051213/q051213c.htm., les enfants dont les parents sont divorcés souffrent plus souvent de dépression que les autres et peuvent manifester des comportements dépressifs ou d’anxiété. Cependant, le rapporteur estime que, comme le divorce est devenu un trait répandu et bien établi de la société européenne, il est inutile de suggérer une association directe avec le suicide des jeunes. Il est peut-être plus pertinent de noter que les structures familiales et sociales changeantes ont privé les jeunes de certaines formes traditionnelles de soutien émotionnel et pratique qui leur facilitaient le passage au statut d’adulte et à un mode de vie indépendant. Certaines des ressources qu’octroyait autrefois le gouvernement pour les jeunes adultes, comme les logements sociaux, les apprentissages ou l’aide au revenu, n’existent plus.
15. Chez les jeunes filles, le suicide est souvent le résultat d’un viol, d’abus sexuels ou de la rupture d’une relation amoureuse. Dans le cas du viol, les jeunes filles développent des sentiments de culpabilité, de dégoût de leur propre corps qui peuvent les pousser au suicide.
16. La souffrance exprimée sur le mode de la délinquance peut se manifester temporairement par une violence retournée contre soi. La question est de savoir si cette violence s’exprimera par la délinquance ou par le suicide. Il est d’ailleurs possible de se demander si les tueries de masse perpétrées par des lycéens dans leurs établissements scolaires ne sont pas une forme de suicide, car après avoir exprimé cette violence contre leurs semblables, ils la retournent contre eux. Néanmoins, le rapporteur souhaite souligner à cet égard que la relation entre le suicide et l’homicide est complexe et varie d’un pays à l’autre.
17. La prise de risques est généralement considérée comme une caractéristique normale du développement des adolescents et comme l’un des moyens par lesquels les jeunes étendent leur expérience et testent les limites. Depuis quelques années, on assiste à une augmentation des conduites à risques (se mettre soi-même en danger avec des risques physiques, pour son corps, sa santé – blessures, maladie, mort – mais aussi des risques psychologiques) résultant en grande partie de pactes entre les adolescents. Les suicides s’inscrivent également dans le cadre de jeux tels que les jeux de rôle qui conduisent les adolescents à approcher le plus possible la mort, soit par confusion entre la réalité et la fiction, soit pour ressentir une sensation qui se situe entre l’extase et la mort.
18. Le suicide collectif ou les incitations au suicide risquent ainsi de se développer avec les nouveaux moyens de communication comme les blogs sur internet. En effet, internet permet à ces jeunes adolescents fragilisés et seuls de rencontrer d’autres «compagnons d’infortune». Au lieu d’en discuter avec leurs parents, le corps médical ou des travailleurs sociaux, ils créent une sorte de communauté et s’enferment ainsi dans un monde où le suicide devient une évidence, voire un geste romantique. «Dans leur esprit, se suicider était aussi banal que de changer de chemise», affirme cette mère belge d’un enfant qui tenta de se suicider après de nombreux échanges sur les blogs avec d’autres adolescents 
			(6) 
			Le
Soir, 28 janvier 2008..
19. Le rapporteur est préoccupé par les effets funestes que peuvent produire les documents en ligne qui font l’apologie du suicide. Ces contenus ne sont pas nécessairement illégaux et la recherche 
			(7) 
			Voir Mishara, B. L.
et D. N. Weisstub (2007), «Ethical, Legal, and Practical Issues
in the Control and Regulation of Suicide Promotion and Assistance
over the internet», Suicide and Life-Threatening
Behavior, 37 (1), pp. 58-65. n’a pas établi de façon irréfutable qu’ils incitent au suicide, mais ils risquent de porter atteinte au bien-être physique, émotionnel et psychologique des jeunes, notamment en ce qui concerne la présentation et la glorification de l’automutilation. L’Assemblée note que la protection des enfants et des jeunes contre ces risques fait partie des obligations générales qui incombent aux Etats au titre de la Convention européenne des droits de l’homme;
20. Le cas le plus emblématique de ces «suicides adolescents en réseau» fut celui de Bridgend au pays de Galles. En 2007, sept adolescents se sont suicidés par pendaison après avoir semble-t-il correspondu sur internet, notamment à travers le club de tchat Bebo. (En dépit des spéculations médiatiques, aucun élément ne permet de prouver que les jeunes qui sont morts à Bridgend avaient discuté du suicide sur internet. Cependant, les médias ont été vivement critiqués au Royaume-Uni pour la couverture de ces décès.) L’histoire fit des émules puisque plusieurs tentatives de suicides collectifs d’adolescents furent constatées en Europe, comme dans la région de Gand en Belgique plus récemment. De plus, ces blogs donnent souvent l’impression que le suicide est facile, fréquent, et suscitent chez les adolescents, notamment s’ils sont en phase de dépression, l’envie de suivre cet exemple, surtout s’il y a un défi à la clé.
21. Les jeunes adolescents, qui grandissent dans cette société médiatisée à outrance, sont souvent confrontés à une forme de médiatisation qui présente le suicide comme un acte héroïque procurant la gloire. En effet, l’évocation du lieu du suicide, de sa méthode et de l’identité du suicidé crée des sortes de modèles pour des adolescents fragilisés, qui sont tentés de les imiter. L’association autrichienne de prévention du suicide, soutenue par l’AISP (Association internationale pour la prévention du suicide), a d’ailleurs lancé en 2006 une vaste campagne de sensibilisation appelant les médias à la prudence dans leur traitement du suicide. De plus, à un âge où l’adolescent se construit identitairement et a besoin de modèles, les suicides de chanteurs de groupe de rock (Nirvana, INXS) peuvent aussi provoquer le désir de les imiter.
22. Une attention particulière doit enfin être apportée aux jeunes ayant des orientations sexuelles non conventionnelles. Ces jeunes présentent un risque plus élevé de crises psychologiques liées à la découverte de leur homosexualité, au rejet par la famille, par les amis, au harcèlement ou aux agressions homophobes. Le rejet social et en particulier l’homophobie, plus que l’homosexualité elle-même et son acceptation, serait le principal facteur de suicide chez les adolescents, notamment chez les garçons. Selon plusieurs études 
			(8) 
			Voir «Le
risque de suicide chez les jeunes à orientation sexuelle non conventionnelle
(gays, lesbiennes, bisexuels, transgenre), UNOG OHCHR– 59e session
de la Commission des droits de l’homme (Genève, avril 2003)., ces jeunes seraient plus exposés que les autres à faire des dépressions les conduisant au suicide. Ils peuvent se retrouver pris au piège entre leur nouvelle et leur ancienne identité sexuelle, qui est celle que connaissent la famille et les amis. Les auteurs de ces études estiment que le déni ou l’acceptation profonde de son homosexualité sont les seuls moyens de se protéger du suicide.

3. Facteurs associés aux tentatives de suicide

23. A la différence du suicide, les tentatives de suicide sont souvent considérées comme un appel au secours ou la conséquence d’un grand isolement social ou d’une inattention de la part des adultes. Elles ont souvent pour point de départ des situations apparemment anodines, telles qu’une mauvaise note scolaire, une réprimande familiale ou des déboires sentimentaux. Enfin, la façon de tenter de se suicider envoie un message fort à destination des proches et du corps médical. Certaines façons, moins violentes, sont plus des appels au secours qu’une réelle volonté de mettre fin à ses jours.
24. A l’heure actuelle, il n’existe pas de statistiques sur les tentatives de suicide, mais on constate cependant qu’en règle générale les tentatives de suicide sont plus nombreuses chez les filles que chez les garçons. L’on attribue ce constat au fait que les jeunes hommes utilisent des moyens plus violents que les jeunes filles.
25. Il est possible de distinguer trois types de facteurs, définis par la conférence de consensus sur la crise suicidaire des adolescents organisée par la Fédération française de psychiatrie à Paris en 2000: les facteurs primaires, qui ont des valeurs prédictives fortes (les antécédents de tentatives de suicide multiplient par 20 le risque d’un nouveau geste; les dépressions par 5; les antécédents de soins psychiatriques par 30); les facteurs secondaires, qui peuvent être aggravants s’il y a des facteurs primaires (violences entre parents ou entre parents et enfants, violence sexuelle, dépression, alcoolisme, décès ou séparation brutale, problèmes disciplinaires à l’école notamment); et enfin les facteurs tertiaires, qui sont plus d’ordre sociologique (âge, sexe notamment) 
			(9) 
			Voir le site <a href='http://www.has-sante.fr/portail/display.jsp?id=c_271964'>http://www.has-sante.fr/portail/display.jsp?id=c_271964.</a>.
26. En général, les filles expriment leur souffrance par des tentatives de suicide en prenant des médicaments qui provoquent la mort mais avec l’espoir de trouver un sommeil réparateur et de se réveiller différentes. La prise de médicaments laissera plus facilement en vie les jeunes qui utilisent ce moyen.
27. Le traitement chimique des tentatives de suicide pose également certains problèmes. En effet, les médicaments et notamment les antidépresseurs présentent certains risques pour les suicidants. Outre le phénomène de dépendance, la levée de l’inhibition peut entraîner de nouveaux risques suicidaires.
28. Après une tentative de suicide, il y a un grand risque de récidive. Cette récidive n’apparaît pas forcément tout de suite, ni l’année d’après, mais un peu plus tard dans la vie. Il existe ainsi une propension très importante à la répétition du geste suicidaire. C’est ainsi que 15 % des adolescents qui ont tenté de se suicider vont récidiver. Pour aider au mieux les adolescents il est essentiel que l’entourage familial, éducatif et médical accompagne l’adolescent et essaie de lui redonner l’estime de lui-même en valorisant notamment ses compétences. «Il est important d’aller voir le jeune suicidant au service de réanimation. Etre là au moment où il reprend conscience, discuter avec lui et lui donner aussitôt un rendez-vous. Le fait de l’avoir vu à ce moment crée un lien, un engagement. Trois jours après, c’est souvent trop tard: le jeune jure qu’il n’a pas besoin d’être suivi, qu’il ne le fera plus», estime un médecin 
			(10) 
			Bulletin de l’ordre
des médecins, février 2005..
29. Il faut noter que le désespoir ou le sentiment éprouvé face à des problèmes qui paraissent insolubles permet d’éclairer le lien entre la dépression et la tentative de suicide. Le désespoir peut se traduire par un manque de projets, un sentiment d’incompétence et une faible estime de soi. Le désespoir explique ainsi souvent mieux que la dépression clinique une tentative de suicide et peut être un des meilleurs facteurs pronostiques d’un suicide accompli.
30. Le suicide en milieu étudiant demeure également un problème très préoccupant. En effet, pour ces adolescents ou jeunes adultes, leur environnement est souvent un monde nouveau dans lequel ne s’exercent plus l’autorité et la bienveillance des parents, une société où il faut se confronter aux défis qu’implique la transition à une vie indépendante et au statut d’adulte.
31. Une étude britannique 
			(11) 
			Nick
Stanley, Sharon Mallon, Jo Bell, Susan Hilton et Jill Manthorpe, 
			(11) 
			«Réponses
et prévention du suicide étudiant», Département de travail social,
université de Lancashire, février 2007. a ainsi montré que le taux de suicides en milieu étudiant et ses causes sont bien souvent similaires à ceux des jeunes adultes en général. Cependant, ces causes (problèmes mentaux, consommation d’alcool, de drogues, participation active aux conduites à risque, automutilations délibérées – surtout chez les jeunes filles – solitude, déceptions amoureuses) prennent une résonance plus particulière dans le milieu étudiant, espace de liberté retrouvée où se structurent les rapports sociaux. De plus, certaines causes de suicide des jeunes sont spécifiques au monde étudiant, comme le manque de ressources financières et l’échec universitaire.
32. Enfin, le suicide d’étudiants crée bien souvent un climat d’anxiété et de peur lorsque l’acte est commis sur un campus ou dans une résidence universitaire. L’attente de la police et du croque-mort, l’enquête de la police, l’identification du suicidé par les étudiants, l’accompagnement des parents à la morgue et la diffusion de la nouvelle aux autres étudiants sont autant d’éléments qui agissent sur l’équilibre mental de ces jeunes adultes et qui peuvent entraîner chez les étudiants les plus fragiles des risques d’imitation.
33. Une attention particulière doit être également apportée au phénomène nouveau des blogs (contraction de weblog) sur internet, qui est un ensemble de pages personnelles permettant aux adolescents de s’exprimer par des textes, des photos, des morceaux de musique et de dialoguer avec les internautes. Il ne s’agit pas d’un journal intime, mais d’un espace public soumis aux lois régissant la liberté d’expression.
34. Dans ce contexte, il est bon de rappeler que les automutilations peuvent également être considérées comme des tentatives de suicide au sens large. Ces automutilations sont en effet devenues emblématiques de l’adolescence. Cette pratique touche le plus souvent les filles alors que les garçons expriment leur agressivité par des actes violents à l’extérieur.

4. Dépistage et prévention de la récidive

35. La prévention du suicide est née en Angleterre en novembre 1952. C’est un pasteur, Chad Varah, qui en a fondé les bases en faisant publier dans la presse londonienne l’annonce suivante: «Avant de vous suicider, appeler Man 2000». C’était son propre numéro de téléphone. Il avait lancé cet appel à la suite du suicide d’un jeune de son entourage et il était convaincu que s’il avait pu lui parler juste avant son geste, son ami aurait renoncé à son passage à l’acte.
36. Le dépistage consiste le plus souvent à essayer de repérer une fragilité particulière chez l’adolescent ou l’enfant. Les parents, mais aussi les enseignants, les camarades de classe, tous ceux qui gravitent autour de lui doivent essayer de percevoir les signes précurseurs: le fait que l’enfant devienne plus triste, qu’il travaille moins bien à l’école et présente des signes de surexcitation. Il est important, dans ce contexte, que tous les signes soient pris en compte et l’un des signes les plus visibles est celui de la scarification sur le corps, acte par lequel l’adolescent va essayer dans un premier temps d’exorciser sa souffrance.
37. Dans ce contexte, l’OMS estime que, pour prévenir les suicides en Europe, il faut avant tout identifier les maladies mentales qui poussent les personnes à s’en prendre à elles-mêmes. Certaines maladies, comme la dépression, commencent tôt et, selon le corps médical, la dépression d’une jeune fille de 14 ans ne se manifeste pas de la même manière que celle d’une femme de 45 ans.
38. Selon une étude entreprise en milieu hospitalier, en matière de prévention l’on distingue la prévention primaire, la prévention secondaire et la prévention tertiaire. La prévention primaire concerne des sujets ne présentant pas de risque suicidaire mais des facteurs de risque: pertes relationnelles, familiales, affectives. Ces situations, qui ne justifient pas de mesures de protection immédiates comme une hospitalisation, mettent l’accent sur l’importance d’une intervention psychosociale précoce. Cette forme de prévention est particulièrement importante en milieu scolaire, où l’on peut identifier plus facilement les jeunes sujets à risque de suicide.
39. La prévention secondaire vise à stopper le processus suicidaire avant que le sujet ne passe à l’acte. Il est très important pour l’entourage de reconnaître le «texte suicidaire». Une majorité de suicidés ont fait part de leur projet à un membre de leur entourage, alors que d’autres gardent leur projet secret.
40. La prévention dite tertiaire tend avant tout à éviter la récidive en essayant d’identifier les éléments qui la font craindre.
41. Une association québécoise de prévention du suicide propose de restreindre l’accès aux moyens de s’enlever la vie pour éviter les suicides impulsifs (armes à feu, armes blanches, produits toxiques ménagers), de construire des barrières antisuicide, d’engager des surveillants spécialisés dans les lycées et dans les centres de détention pour reconnaître les signes précurseurs de dépression et de prévoir une aide psychologique aussi bien pour les adolescents que pour la famille pour éviter les récidives.
42. Un autre exemple est celui des «Samaritains» au Royaume-Uni, où l’on écoute et reçoit toutes les personnes qui se trouvent en détresse morale. L’on constate d’ailleurs qu’au Royaume-Uni le nombre annuel des suicides est le plus bas d’Europe.
43. La prévention du suicide implique par conséquent des activités allant de l’éducation au traitement des troubles psychologiques et au contrôle environnemental des facteurs de risque. La réponse des médecins ne doit plus être pharmaceutique.
44. La prévention médicale s’est développée ces dernières années. Pendant longtemps, le corps médical était démuni face à ce problème. Aujourd’hui, cette prévention est intégrée dans des programmes régionaux ou municipaux autour de structures regroupant des médecins, des infirmières et des pédopsychiatres. Mais la prise en charge médicale doit s’intensifier. En février 2005, l’ordre des médecins français révélait que 75 % des adolescents qui faisaient une tentative de suicide n’étaient pas hospitalisés 
			(12) 
			Bulletin
de l’ordre des médecins, février 2005.
45. Il est par conséquent important de prévoir des structures appropriées, dès la prise en charge du suicidant dans les services de réanimation ou pendant les premiers soins. L’acte suicidaire ne doit pas être banalisé et il faudra aider l’adolescent mais aussi sa famille à dépasser cet acte et apprendre à aborder l’avenir en oubliant le passé. Parfois, la tentative de suicide vient seulement clore une crise d’adolescence et ce geste, qui permet d’exprimer le malaise, peut alors augurer une guérison.
46. De plus, les professionnels de santé doivent également bénéficier de programmes de formation et d’éducation aux phénomènes du suicide, et plus particulièrement celui qui vise les adolescents. L’attitude des professionnels de santé envers les adolescents qui ont des pensées suicidaires, d’automutilation ou qui font une tentative de suicide peut être déterminante pour les amener à être suivis ou soutenus. Il existe une quantité considérable de témoignages provenant des adolescents eux-mêmes qui montrent que l’attitude des professionnels de santé peut être moralisatrice, méprisante ou indifférente (Fondation pour la santé mentale, 2006). Les programmes de formation ont pour tâche essentielle de remettre en cause et de modifier cette attitude. Plusieurs pays (Pays-Bas, Danemark, Norvège, notamment) ont lancé de vastes programmes sur ce sujet. En Norvège, par exemple, la formation est une priorité. Les programmes d’éducation en suicidologie sont transversaux, intégrant de nombreux champs de compétence (médical, social, particularismes régionaux).
47. La prévention psychologique doit également permettre de détecter le plus tôt possible les dysfonctionnements psychologiques qui conduisent de jeunes adolescents à passer à l’acte. La Finlande et le Canada ont notamment mis en place, dans le cadre de leur programme de prévention, une méthode appelée «autopsie psychologique» qui permet de discerner les facteurs conduisant au suicide. Comme une autopsie classique, la méthode de «l’autopsie psychologique» retrace le parcours psychologique, social et médical du suicidant pour mieux comprendre son acte et ainsi permettre une détection plus précoce chez les adolescents en difficulté.
48. Bien entendu, rien ne saurait remplacer la prévention sociale préalable, celle qui s’exerce au sein de la famille et du cercle amical de l’adolescent. Le fait qu’un enfant se sente aimé, reconnu, valorisé et qu’il ait l’impression d’être compris et intégré dans un groupe joue grandement en faveur de son équilibre. Le rôle des adultes auprès des adolescents est fondamental dans tous les domaines. L’écoute et le dialogue doivent être privilégiés. Et toute allusion à la mort ou à un éventuel suicide faite par l’adolescent ne doit pas être considérée par les parents comme un chantage mais comme un appel au secours. Car comme le rappelle Patrick Delaroche, pédopsychiatre et psychanalyste, auteur d’Adolescents à problèmes: «Dans un conflit qui oppose l’adolescent à ses parents, beaucoup d’adultes ne voient que la crise d’opposition, et pas toujours la souffrance réelle qui peut se trouver derrière ce conflit.»
49. Enfin, les familles doivent prendre conscience de l’ampleur du problème et se confier à leur médecin de famille car, bien souvent, les tentatives de suicide des adolescents sont cachées à l’entourage familial et au médecin en raison d’un sentiment de honte persistant. Le médecin et la famille doivent donc être pleinement associés à la reconstruction psychologique des adolescents.
50. Le rôle des parents est encore plus important pour les adolescents ayant des orientations sexuelles non conventionnelles car leur attitude est cruciale pour les aider à vivre et à accepter leur orientation. De même, l’école, le collège et l’université ont aussi un rôle à jouer pour encourager les jeunes, à la fois individuellement et en groupe, à accepter la diversité en matière de sexualité ainsi qu’en matière de race et de handicap.
51. Lorsque cette prévention sociale est absente au sein du domicile familial, les diverses structures sociales doivent se mobiliser pour détecter les risques suicidaires. A l’école notamment, les travailleurs sociaux, en lien avec le corps médical, offrent alors un espace de dialogue pour évoquer les problèmes qui rongent ces adolescents et peuvent les pousser au suicide. Mais comme le rappelle l’OMS, «l’équilibre qui doit être trouvé auprès d’un étudiant suicidant doit se situer entre la distance et l’intimité, et entre l’empathie et le respect» 
			(13) 
			Preventing
Suicide, a resource for teachers and other school staff, Department
of Mental Health, World Health Organization, 2000. Des associations, telles que Papyrus au Royaume-Uni (dédiée à la prévention du suicide chez les jeunes), proposent une assistance à la fois aux parents et aux adolescents, et tentent également d’apporter leur expertise dans les décisions politiques pour permettre une meilleure mise en œuvre de ces dernières.
52. De nombreuses structures se sont mises en place dans plusieurs Etats membres pour servir de plate-forme de dialogue à ces adolescents qui pourraient être amenés à faire une tentative de suicide. Ces pôles sur les conduites à risques permettent aux suicidants potentiels de trouver une oreille attentive à leurs angoisses qui rassure ces adolescents. Ainsi, en Allemagne, l’Alliance contre la dépression, vaste plan de prévention du suicide, a mis en place une ligne téléphonique ouverte vingt-quatre heures sur vingt-quatre pour les suicidants ou leurs proches. En France, des pôles de ressources «conduites à risque» offrent aux adolescents des espaces d’écoute et de dialogue. «Le travail des écoutants ne se réduit donc pas à l’écoute. Ces derniers jouent un rôle actif durant l’appel téléphonique. Ils permettent aux appelants d’accéder à de nouveaux mots pour exprimer leurs pensées, leurs craintes, voire leur souffrances» 
			(14) 
			Valérie Béguet, Danièle
Heideyer et Jocelyn Lachance, «Raconter les “conduites à risques”», Revue des sciences sociales, université
Marc-Bloch, Strasbourg, no 38, 2007., résume Valérie Béguet, responsable de l’un de ces pôles au Conseil général du Bas-Rhin, à Strasbourg.
53. La prévention passe également par de grandes politiques de sensibilisation, aussi bien en ce qui concerne le traitement médiatique des suicides des adolescents que le refus de la banalisation d’un tel acte. Des pays tels que la Bosnie-Herzégovine, la Slovénie, la Norvège ou le Royaume-Uni, notamment, ont bien compris l’impact médiatique du suicide sur les adolescents et commencent à agir sur ce terrain.
54. Cette politique de prévention passe aussi par une politique éducative envers les adolescents eux-mêmes. C’est d’ailleurs ce que préconise l’association Papyrus, qui estime que les adolescents devraient pouvoir reconnaître les symptômes de maladies mentales aussi bien chez eux que chez les autres pour y répondre de manière approprié et rapide. En effet, la recherche sur un certain nombre de questions a montré que les premières personnes à qui s’adressent les jeunes en détresse pour trouver un soutien sont les autres jeunes.
55. Enfin, il faut, malheureusement, envisager le cas où la mort survient, entraînant le plus souvent un immense sentiment de perte et de culpabilité chez les parents. Les familles, mais également tout le proche entourage, vont vivre un cauchemar et se demander ce qu’ils auraient pu faire pour empêcher cet acte. Il faut, par conséquent, être très attentifs à l’état d’esprit et à l’attitude des jeunes qui ont vécu le suicide d’un proche ou d’un ami et les aider à vivre ce deuil particulièrement difficile à supporter.
56. Dans ce contexte, le rapporteur souhaite souligner l’importance des stratégies dites de «postvention» et le rôle des établissements comme l’école, les clubs, le collège, l’université et la prison pour appliquer ces stratégies. La «postvention» est un terme qui est utilisé pour couvrir un éventail d’activités de planification et de soutien visant à limiter les effets du suicide sur les survivants 
			(15) 
			Schneidman, E.S., «Postvention:
The care of the bereaved», in Pasnau, 
			(15) 
			R.O.
(éd.), Consultation-liaison Psychiatry,
New York: Grune and Stratton, 1975.. Le risque que les pensées et comportements suicidaires se transmettent à d’autres jeunes au sein de ces communautés signifie que l’école, les clubs, le collège, l’université et la prison ont un rôle à jouer pour garantir que des stratégies de «postvention» seront adoptées à la suite d’un décès.

5. Conclusions et recommandations

57. La perte d’un enfant, quelle qu’en soit la cause, fait basculer les parents dans un autre monde. Mais s’il s’agit d’un suicide, les parents sont confrontés à l’inacceptable.
58. Pour reprendre les conclusions d’une conférence qui s’est tenue à Nantes en 2000 sur cette question: «Un suicide est toujours un échec, l’échec d’une personne qui a renoncé, l’échec d’un entourage qui n’a pas su voir, ni entendre, l’échec d’une société qui n’a pas su se donner les moyens d’aider, de soutenir, de sauver.»
59. Le suicide d’un adolescent est un scandale et un drame qui concerne la société tout entière car il touche tous les membres d’une même famille, reflète les rapports qu’entretiennent les membres d’une même société et, surtout, constitue un échec pour toute société démocratique qui se veut progressiste et égalitaire.
60. L’Assemblée recommande, entre autres, aux gouvernements de prendre toutes les mesures pour reconnaître que le suicide et les tentatives de suicide sont un problème de santé publique majeur car, comme le rappelle Dominique Gillot, ancienne secrétaire d’Etat à la Santé française, «l’Europe de demain ne peut pas accepter, elle qui représente un facteur d’espoir pour une grande majorité de jeunes, que tout ne soit pas mis en œuvre pour prévenir de telles conduites désespérées» 
			(16) 
			Discours
à la Conférence européenne de Nantes sur la prévention du suicide
des jeunes, 20 septembre 2000..

***

Commission chargée du rapport: commission des questions sociales, de la santé et de la famille.

Renvoi en commission: Doc. 10773 et Renvoi no 3164 du 23 janvier 2006.

Projet de résolution adopté par la commission le 14 mars 2008.

Membres de la commission: Mme Christine McCafferty (Présidente), M. Denis Jacquat (1er Vice-Président), Mme Minodora Cliveti (2e Vice-Présidente), M. Konstantinos Aivaliotis, M. Farkhad Akhmedov, M. Vicenç Alay Ferrer, Mme Sirpa Asko-Seljavaara, M. Jorodd Asphjell, M. Lokman Ayva, M. Zigmantas Balčytis, M. Miguel Barceló Pérez, M. Andris Bērzinš, M. Jaime Blanco García, M. Roland Blum, Mme Olena Bondarenko, Mme Monika Brüning, Mme Boženna Bukiewicz, M. Igor Chernyshenko, M. Imre Czinege, Mme Helen D’Amato, M. Karl Donabauer, Mme Daniela Filipiová, M. Ilija Filipović, M. André Flahaut (remplaçant: M. Philippe Monfils), M. Paul Flynn, Mme Pernille Frahm, Mme Doris Frommelt, M. Renato Galeazzi, M. Henk van Gerven, Mme Sophia Giannaka, M. Stepan Glăvan, M. Marcel Glesener, M. Luc Goutry (remplaçant: Geert Lambert), Mme Claude Greff, M. Michael Hancock, Mme Olha Herasym’yuk, M. Vahe Hovhannisyan, M. Ali Huseynov, M. Fazail Ibrahimli, Mme Evguenia Jivkova, Mme Marietta Karamanli (remplaçant: M. Jean-Paul Lecoq), M. András Kelemen, M. Peter Kelly, Baroness Knight of Collingtree, M. Haluk Koç, M. Slaven Letica, M. Andrija Mandić, M. Michal Marcinkiewicz, M. Bernard Marquet, M. Ruzhdi Matoshi (remplaçant: M. Aziz Pollozhani), Mme Liliane Maury Pasquier, M. Donato Mosella, M. Felix Müri, Mme Maia Nadiradzé, Mme Carina Ohlsson, M. Peter Omtzigt, Mme Vera Oskina, Mme Lajla Pernaska, Mme Marietta de Pourbaix-Lundin, M. Cezar Florin Preda, Mme Adoración Quesada Bravo (remplaçante: Mme Bianca Fernández-Capel), Mme Vjerica Radeta, M. Walter Riester, M. Andrea Rigoni, M. Ricardo Rodrigues, Mme Maria de Belém Roseira, M. Alessandro Rossi, Mme Marlene Rupprecht, M. Indrek Saar, M. Fidias Sarikas, M. Andreas Schieder, M. Ellert B. Schram, M. Gianpaolo Silvestri, Mme Svetlana Smirnova (remplaçant: M. Vladimir Zhidkikh), Mme Anna Sobecka, Mme Michaela Šojdrová, Mme Darinka Stantcheva, M. Oleg Ţulea, M. Alexander Ulrich, M. Mustafa Ünal, M. Milan Urbáni, Mme Nastaša Vučković, M. Victor Yanukovych, Mme Barbara Žgajner-Tavš.

N.B. Les noms des membres qui ont pris part à la réunion sont indiqués en gras.

Voir 15e séance, 16 avril 2008 (adoption du projet de résolution amendé); et Résolution 1608.