Introduction: diversité de la
présence musulmane en Europe
1. L’instauration de la paix est
l’un des défis les plus urgents que doivent relever les sociétés
européennes aujourd’hui. La paix doit être établie, d’une part,
à l’extérieur, avec les pays islamiques de notre monde globalisé
et, d’autre part, à l’intérieur, avec les musulmans qui ont immigré
en Europe ou sont nés dans un pays européen et qui pratiquent diverses
formes de culte islamique.
2. L’association de l’islam avec l’Europe est très ancienne.
Les musulmans vivent depuis des siècles dans les régions des Balkans
et du Caucase, dans la péninsule Ibérique, à Chypre, en Sicile et
à Malte. Plusieurs Etats membres du Conseil de l’Europe, à savoir
l’Albanie, l’Azerbaïdjan et la Turquie, ont une population essentiellement
musulmane. En Russie, l’islam se situe au deuxième rang dans l’ordre
d’importance des religions et constitue la foi de nombreuses minorités
ethniques.
3. En tant qu’Etats coloniaux, la Grande-Bretagne, la France
et les Pays-Bas ont une longue histoire de contacts avec le monde
musulman (avec l’Algérie, le Maroc, la Tunisie, le Pakistan, le
Bangladesh et l’Indonésie, par exemple).
4. De nombreux musulmans ont, en outre, immigré en Europe et
s’y sont installés. Pendant le boom économique des années 1960,
ils sont d’abord arrivés comme travailleurs migrants pour répondre
à une demande de maind’œuvre peu qualifiée dans les industries d’Europe
occidentale. Ils ont ensuite été rejoints par leur famille dans
les années 1970 et 1980. Le regroupement des familles et leur installation
ont commencé à modifier la démographie et la dynamique sociale et
politique des communautés musulmanes en Europe. Du fait de la concentration
des travailleurs migrants et de leur famille dans les zones industrielles,
leur présence était très visible dans un grand nombre de villes
et dans des quartiers ghettoïsés, bien que, globalement, la population
musulmane dans chaque pays fût relativement peu nombreuse.
5. Dans les années 1980, des musulmans d’Afghanistan, d’Iran,
d’Irak et du Liban, et plus tard, dans les années 1990, de Yougoslavie
et de Somalie, sont arrivés en Europe du Nord et de l’Ouest en tant
que réfugiés demandeurs d’asile. Beaucoup d’entre eux étaient des
travailleurs intellectuels qualifiés venant de centres urbains et
capables de jouer, avec les étudiants musulmans en Europe, un rôle
important dans le processus d’interaction entre les communautés
musulmanes et les sociétés d’accueil.
6. Plus récemment, depuis les années 1990, on observe une nouvelle
vague d’immigration vers les pays d’Europe du Sud, à la suite du
développement économique et des besoins de main-d’œuvre de ces pays, notamment
dans l’agriculture et le tourisme. Par exemple, la Grèce accueille
essentiellement des musulmans albanais, mais aussi des musulmans
du Pakistan, du Bangladesh et de l’Irak. En Espagne, un grand nombre d’immigrants
musulmans arrivent clandestinement du Maroc et de l’Afrique subsaharienne
tandis qu’en Italie, ils arrivent d’Afrique du Nord et d’Albanie.
S’attaquer aux causes profondes
de l’extrémisme
7. Depuis le 11 septembre 2001,
les relations entre l’islam et la société européenne sont très tendues. D’une
part, les mouvements extrémistes qui cherchent à atteindre leurs
objectifs par des moyens violents se sont nettement développés.
Ces organisations s’appuient sur les croyances islamiques pour justifier
leurs actions terroristes, exploitant la religion à des fins «misanthropes».
8. D’autre part, l’islam et les valeurs musulmanes sont au cœur
d’un débat public concernant leur compatibilité avec les valeurs
européennes. Les musulmans sont souvent présentés dans les médias
comme un groupe homogène et profondément religieux, partageant une
vision intégriste de l’islam. Malheureusement, cette image stéréotypée
des musulmans masque la diversité des croyances et des pratiques
religieuses au sein des communautés musulmanes qui vivent en Europe;
en effet, ces croyances et pratiques varient considérablement du
fait des différentes origines nationales, culturelles, sociales
et religieuses.
9. L’idée que la présence de l’islam en Europe, incarnée par
ses citoyens et migrants musulmans, constitue un problème pour l’Europe,
ainsi que pour les normes et valeurs européennes, a trouvé un large
écho dans les débats politiques européens. Elle a instauré un climat
de peur et creusé le fossé religieux et culturel.
10. L’extrémisme n’est pas simplement une histoire d’adeptes de
la foi islamique. Toute religion a ses extrémistes et l’extrémisme
politique est l’une des plus grandes menaces en Europe.
11. Le rapport de M. Mota Amaral reconnaît l’ampleur du problème:
la faisabilité de l’intégration de l’islam dans les sociétés européennes
et ses modalités ne dépendent plus du processus d’intégration et
de la cohésion de l’ensemble de la société, mais de la «question
urgente et prioritaire de la coexistence pacifique de différents
groupes religieux dans nos sociétés et de la sécurité de nos pays».
12. Le rapport illustre les diverses dimensions du processus de
radicalisation. Il affirme, à bon droit, que la discrimination,
la réprobation et l’aliénation des communautés musulmanes doivent
être prises en compte si l’on veut comprendre la radicalisation.
M. Mota Amaral souligne donc, à juste titre, qu’il incombe aux Etats
et à la société de s’attaquer aux causes profondes de l’extrémisme,
notamment à la discrimination, au racisme, à l’inégalité des chances
et à l’exclusion sociale.
Intégration
13. Le rapporteur estime que l’octroi
des mêmes droits qu’aux autres citoyens, dans tous les domaines
de la société, aux membres des communautés d’immigrés vivant en
permanence dans les pays européens constitue un élément essentiel
de toute politique d’intégration avisée.
14. L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a certes
mis l’accent, depuis longtemps, sur les questions d’intégration
des migrants en général
, et sur l’intégration des femmes
migrantes
et des jeunes migrants
en
particulier, mais des travaux approfondis sont nécessaires pour
étudier les questions essentielles à l’intégration de groupes spécifiques,
dont les migrants et les citoyens européens issus de l’immigration
qui appartiennent à des groupes de confession musulmane.
15. Il est regrettable que, depuis le 11 septembre 2001, le débat
sur l’immigration soit dominé par les questions de sécurité et de
contrôle des frontières au détriment des politiques d’intégration.
16. De tels attitudes et choix politiques négligent le fait que
des millions d’immigrés résident légalement dans les Etats membres
du Conseil de l’Europe, tiennent à participer pleinement à la vie
de leur pays d’accueil et respectent ses valeurs et ses règles démocratiques.
17. Si le terrorisme et l’extrémisme constituent une menace pour
la démocratie, les gouvernements et l’opinion publique devraient
être aussi conscients que l’incapacité à concevoir et à mettre en
œuvre des politiques d’intégration efficaces pour les immigrés mettra
tout autant en péril les valeurs qui sont au cœur de la société
européenne, à savoir l’égalité, la représentation démocratique et
la cohésion sociale.
L’intégration en tant que processus
à double sens
18. Le rapporteur estime que l’intégration
devrait être un processus permanent, à double sens, fondé sur des
droits et des devoirs communs pour les immigrés et la société d’accueil.
19. Selon l’étude de l’Observatoire européen des phénomènes racistes
et xénophobes
,
de nombreux musulmans en Europe reconnaissent qu’ils doivent eux-mêmes
faire plus pour nouer le dialogue avec la société dans son ensemble,
surmonter les obstacles et les difficultés qu’ils rencontrent et
s’impliquer davantage dans l’intégration.
20. L’engagement et la participation doivent aussi être encouragés
et soutenus par l’ensemble de la société qui doit faire davantage
d’efforts pour s’adapter à la diversité et supprimer les obstacles
à l’intégration. En principe, les politiques d’intégration devraient
conduire à de meilleures relations entre les personnes d’origine différente
et à une diminution de la discrimination raciale dans les sociétés
européennes.
21. Toutefois, comme le démontrent les rapports de suivi par pays
de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI),
ce n’est apparemment pas toujours le cas. Le débat public sur l’intégration semble
être passé d’un examen plutôt technique, dans le cadre duquel les
différents handicaps étaient examinés et traités, à un débat plus
général sur les cultures et les valeurs des différents groupes et,
en dernière analyse, sur la qualité intrinsèque de ces cultures
et valeurs et leur compatibilité.
22. Lors d’un récent séminaire sur «les liens entre intégration
et lutte contre le racisme et la discrimination raciale»
, l’ECRI a recommandé de mettre fortement
l’accent sur la non-discrimination dans toutes les stratégies d’intégration:
«Pour parvenir à une société véritablement
intégrée, il est essentiel que les politiques d’intégration agissent
simultanément, d’une part, sur la discrimination, le racisme et
les préjugés, et d’autre part, sur les éventuelles lacunes des membres
des groupes minoritaires (langue, éducation, compétences professionnelles,
connaissance de la société) qui nuisent à leur capacité à participer
pleinement à la société. Dans le même temps, il est nécessaire que
la lutte contre la discrimination et le racisme soit explicitement
et systématiquement présentée au public comme faisant partie intégrante
des politiques d’intégration, afin de bénéficier de la priorité
politique généralement donnée aux questions d’intégration.»
23. C’est pourquoi le rapporteur rappelle les recommandations
adressées par l’ECRI aux Etats membres dans sa Recommandation de
politique générale sur la lutte contre l’intolérance et les discriminations
envers les musulmans (
Recommandation
no 5) et sur la lutte contre le racisme tout en combattant
le terrorisme (no 8).
24. Le rapporteur insiste également sur l’importance d’adopter
une législation antidiscrimination dans tous les Etats membres du
Conseil de l’Europe et d’élaborer des mécanismes efficaces pour
la mettre en œuvre. En Allemagne, la transposition de la directive
de l’Union européenne visant à lutter contre la discrimination
, par
exemple, a été adoptée sans enthousiasme et la loi ne comporte toujours
pas d’instruments d’application efficaces. Les pouvoirs du médiateur
devraient être clairement définis et la charge de la preuve ne devrait
pas incomber à l’individu qui fait l’objet de la discrimination,
mais être au contraire partagée avec les auteurs de la discrimination,
qui met souvent en cause les employeurs ou l’administration.
25. S’agissant de l’intégration des jeunes, le rapporteur souligne
les travaux menés par le Centre européen de la jeunesse sur «l’islamophobie
et ses conséquences pour les jeunes» ainsi que les nombreuses et importantes
activités de jeunesse mises en œuvre dans le cadre de la campagne «Tous différents – tous égaux».
Conclusion: vers une société
multiethnique inclusive?
26. La présence musulmane en Europe
est très diversifiée, reflétant les différents contextes nationaux, culturels,
sociaux et religieux. Certains Etats membres du Conseil de l’Europe
ont une population essentiellement musulmane, d’autres, d’importantes
minorités ethniques de confession musulmane, et d’autres encore,
des communautés musulmanes déjà établies ou d’immigration plus récente
qui englobent de nos jours les citoyens européens de deuxième et
troisième générations.
27. Les personnes identifiées comme «musulmanes», du fait soit
de leur nationalité, soit de leur origine ou appartenance ethnique,
culturelle ou familiale, ne se définissent pas forcément comme telles.
Des études montrent que la plupart des musulmans européens, comme
c’est le cas dans d’autres religions, ont des valeurs et un mode
de vie laïcs.
28. Il est regrettable que, depuis le 11 septembre 2001, les relations
entre l’islam et la société européenne soient très tendues et que
le débat sur l’immigration soit dominé par les questions de sécurité
au détriment des politiques d’intégration.
29. Le rapporteur engage, par conséquent, les Etats membres à
suivre les recommandations du Conseil de l’Europe en prenant une
série de mesures concrètes permettant aux communautés musulmanes
qui vivent en permanence en Europe de s’intégrer dans la société
grâce à un accès équitable et exempt de toute discrimination à l’emploi,
à l’éducation, à la formation professionnelle, au logement dans
des quartiers mixtes et aux services publics. Le processus d’intégration
devrait conduire, avec le temps, à la participation démocratique
par le biais de la citoyenneté et/ou du droit de vote. En investissant
dans l’intégration ainsi que dans l’instauration de la tolérance
et de la compréhension mutuelle, notamment chez les jeunes, l’Europe progressera
dans la voie d’un avenir pacifique.