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Rapport | Doc. 11623 | 06 juin 2008

La situation de la démocratie en Europe – Les défis spécifiques des démocraties européennes: le cas de la diversité et des migrations

(Ancienne) Commission des questions politiques / Commission des Affaires Générales

Rapporteur : M. Andreas GROSS, Suisse, SOC

Résumé

Ce rapport se base sur la conviction que la diversité est une caractéristique permanente des sociétés démocratiques contemporaines et la conséquence inéluctable de la modernisation, de la mondialisation et de la libéralisation des économies ainsi que de l’évolution démographique.

Les migrations sont une cause importante de cette diversification culturelle au sein des sociétés européennes. La diversité constitue un défi pour nos démocraties qui, dans la majorité des cas, ont été conçues à l’origine pour des sociétés plus homogènes.

Ce rapport contribue à la réflexion sur la façon de s’adapter aux défis et de saisir les possibilités qu’offre la diversité accrue des sociétés. En particulier, il identifie certaines défaillances des systèmes démocratiques et propose un certain nombre de mesures visant à accroître la participation politique des migrants et le caractère participatif du processus démocratique.

«Tout être humain que l’on connaît et sur lequel l’action que l’on mène peut avoir des conséquences est une personne envers laquelle on a des obligations. Cela n’est rien d’autre qu’une simple idée morale. Le défi d’aujourd’hui est de se réapproprier un mode de pensée et de perception qui a pris forme au cours de millénaires dans la vie de petits groupes locaux, pour disposer d’idées et d’institutions qui nous permettent de vivre ensemble au sein de la tribu mondiale que nous sommes devenus»

(Kwame Anthony Appiah, Cosmopolitanism, Ethics in the world of strangers, WW. Norton and Company, New York et Londre, 2006).

A. Projet de résolution

(open)
1. L’Assemblée parlementaire rappelle et confirme sa Résolution 1547 (2007) et sa Recommandation 1791 (2007) sur la situation des droits de l’homme et de la démocratie en Europe, ainsi que sa Recommandation 1500 (2001) sur la participation des immigrés et des résidents étrangers à la vie politique dans les Etats membres du Conseil de l’Europe.
2. L’Assemblée estime que la diversité est une caractéristique permanente des sociétés démocratiques contemporaines et la conséquence inéluctable de la modernisation, de la mondialisation et de la libéralisation des économies ainsi que de l’évolution démographique.
3. La nature et la vitesse de transformation de la diversité culturelle et leurs conséquences sont en constante évolution.
4. Les migrations sont une cause importante de cette diversification culturelle au sein des Etats-nations européens. Selon des estimations fiables, l’Europe compte 64,1 millions de migrants, ce qui représente 8,8 % de la population totale, et ce chiffre est en augmentation. Tous les Etats membres du Conseil de l’Europe sont impliqués.
5. La diversité constitue un défi pour nos démocraties. La plupart d’entre elles ont été conçues à l’origine pour des sociétés plus homogènes. De nos jours, elles ne sont pas toujours en mesure de s’adapter et de saisir les possibilités qu’offre la diversité accrue des sociétés. Il convient de s’attaquer et de remédier sans délai à ces défaillances des démocraties, qui, dans les cas extrêmes, peuvent conduire à la violence.
6. L’Assemblée est consciente du défi majeur que doivent relever les démocraties européennes, à savoir concilier le respect de la diversité dans la société et le caractère participatif du régime et du processus démocratiques, tout en garantissant le plein respect des droits de tous les êtres humains vivant dans un pays donné.
7. Elle se félicite des progrès considérables qui ont été réalisés à cet égard et du fait que la situation des migrants, s’agissant de l’exercice de leurs droits politiques, s’est en général nettement améliorée ces dernières années. L’Assemblée espère que le caractère participatif des démocraties continuera de s’accentuer.
8. En même temps, l’Assemblée rappelle que la démocratie repose sur le principe selon lequel toute personne concernée par une décision doit être directement ou indirectement associée au processus décisionnel, sans quoi la dignité de la personne n’est pas respectée. C’est pourquoi sa représentativité est essentielle et il est inadmissible que de vastes groupes de la population soient exclus du processus démocratique. Il faut remédier à cette situation en facilitant l’accès à la nationalité 
			(1) 
			Le terme de nationalité
se réfère à l’affiliation nationale. ou en étendant les droits politiques, dont le droit de vote, aux non-citoyens.
9. En outre, l’Assemblée ne voit aucune justification au fait que les migrants de longue durée qui résident légalement dans un pays d’accueil soient traités de manière différente uniquement en fonction de leur pays d’origine. A tout le moins, aucune distinction ne devrait être opérée entre les migrants qui sont citoyens d’un Etat membre du Conseil de l’Europe, que leur pays d’origine soit ou non membre de l’Union européenne.
10. L’un des buts ultimes de tout système démocratique devrait être d’assurer l’égalité des chances pour permettre à chacun d’exercer ses droits politiques.
11. Une autre préoccupation concerne l’exercice effectif des droits, une fois accordés. La faible participation à la vie politique des migrants et des personnes issues de l’im-migration, et leur représentation limitée doivent susciter des interrogations sur les obstacles à leur participation plus active au processus démocratique.
12. Il est essentiel d’instaurer un juste équilibre entre le respect de la diversité et la nécessité de l’intégration pour le bon fonctionnement de la démocratie. L’intégration, qui vise fondamentalement à éliminer l’exclusion et la ségrégation de la société, doit aller de pair avec le respect de la diversité, de la différence des cultures, langues et religions, dans le respect absolu des droits de l’homme. L’assimilation ne doit pas être confondue avec l’intégration, qu’elle ne peut que compromettre.
13. Toutefois, dans le même temps, l’intégration implique bel et bien de participer à la société dans son ensemble, et notamment de connaître la(les) langue(s) du pays de résidence et de respecter ses valeurs constitutionnelles, en particulier les principes que sont les droits de l’homme, la démocratie et l’Etat de droit.
14. L’intégration est à la fois une condition nécessaire et un critère pour évaluer la qualité de la démocratie.
15. De surcroît, l’Assemblée relève que la démocratie constitue aussi un moyen non négligeable de garantir à tous l’égalité des chances. Cependant, la façon dont la démocratie est pratiquée à l’heure actuelle l’empêche de tenir pleinement ses promesses. Le moyen de remédier aux lacunes du régime démocratique contemporain est de l’étendre au niveau transnational.
16. L’Assemblée reconnaît que diverses circonstances historiques, géographiques, sociales et culturelles peuvent avoir influé sur l’organisation de la démocratie dans différents pays et influé, par conséquent, sur sa situation actuelle. Il convient de prendre cet élément en compte lorsque l’on évalue la qualité de la démocratie.
17. Afin de renforcer le caractère participatif du processus démocratique et la qualité de la démocratie, l’Assemblée appelle les Etats membres du Conseil de l’Europe:
17.1. S’agissant de l’accès à la nationalité:
17.1.1. à faciliter l’accès à la nationalité en assouplissant les conditions de régularisation, là où ces conditions sont trop restrictives;
17.1.2. à envisager de supprimer les restrictions à la double nationalité lorsqu’il existe de telles restrictions dans la législation nationale;
17.1.3. à envisager de supprimer, dans les cas où la double citoyenneté n’est pas possible, les restrictions imposées aux citoyens qui renoncent à leur citoyenneté, lorsqu’il existe de telles restrictions dans la législation nationale;
17.1.4. à signer et/ou à ratifier la Convention européenne sur la nationalité (STE no 166), s’ils ne l’ont pas déjà fait;
17.2. S’agissant du droit de vote:
17.2.1. à accorder le droit de voter et de se présenter aux élections locales et régionales, au moins aux citoyens des Etats membres du Conseil de l’Europe qui résident légalement dans le pays en tant que première étape, avant d’accorder de tels droits à toute personne étrangère résidant légalement quel que soit son pays d’origine;
17.3. S’agissant des autres droits politiques:
17.3.1. à supprimer les restrictions à l’exercice des libertés individuelles des migrants qui sont des résidents étrangers légaux, en particulier à l’exercice de la liberté d’association, ainsi que d’autres restrictions, même si elles sont en conformité avec l’article 16 de la Convention européenne des droits de l’homme, si de telles restrictions existent dans la législation nationale;
17.3.2. à soutenir la suppression de l’article 16 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui autorise des restrictions à l’activité politique des étrangers;
17.3.3. à signer et/ou à ratifier la Convention européenne sur la participation des étrangers à la vie publique au niveau local (STE no 144), s’ils ne l’ont pas encore fait;
17.4. S’agissant de l’enregistrement des migrants:
17.4.1. à veiller à ce qu’il n’y ait pas d’obstacle à l’enregistrement des migrants et à l’octroi d’un statut de résident de longue durée, s’il y a lieu;
17.4.2. à contribuer à l’instauration, à l’échelon européen, d’un système harmonisé de collecte de données statistiques sur les migrants.
18. L’Assemblée appelle les Etats membres de l’Union européenne à réexaminer la question de la différence de traitement des immigrés de pays tiers par rapport aux immigrés d’autres pays de l’Union européenne, s’agissant de l’exercice des droits politiques, et à remédier à cette situation.
19. L’Assemblée encourage le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe à poursuivre ses activités dans le domaine de la participation des étrangers à la démocratie locale et régionale, et à examiner la question de leur participation politique effective, dont leur représentation aux niveaux local et régional.
20. L’Assemblée invite les commissions compétentes des parlements nationaux à examiner le rapport de 2008 sur la situation de la démocratie en Europe afin de garantir que des suites appropriées lui seront données dans le cadre de la législation et des politiques nationales.

B. Projet de recommandation

(open)
1. L’Assemblée parlementaire renvoie à sa Résolution … (2008). Elle rappelle, en outre, ses précédentes résolutions et recommandations concernant la démocratie, les migrations et la participation politique des migrants.
2. L’Assemblée recommande au Comité des Ministres d’appeler les Etats membres à donner des suites appropriées aux questions soulevées dans la Résolution … (2008) et à prendre les mesures nécessaires pour renforcer le caractère participatif du processus démocratique dans leurs pays respectifs.
3. L’Assemblée recommande au Comité des Ministres de profiter de sa position exceptionnelle de forum de coopération paneuropéenne pour lancer les activités suivantes:
3.1. l’harmonisation, entre les Etats membres du Conseil de l’Europe, des systèmes de collecte et de traitement des données sur les migrants;
3.2. l’élaboration de lignes directrices sur l’enregistrement et le statut des étrangers résidant légalement et durablement dans un Etat membre du Conseil de l’Europe;
3.3. la promotion d’un accès moins restrictif à la citoyenneté et l’harmonisation des systèmes de naturalisation, notamment concernant la durée de résidence requise, pour garantir une situation plus équitable entre les Etats membres, ainsi que les critères permettant de déterminer le degré d’intégration de la personne concernée;
3.4. la promotion de l’harmonisation des réglementations relatives aux droits politiques et électoraux des étrangers dans les Etats membres;
3.5. la promotion de la décentralisation des politiques d’intégration concernant en particulier l’éducation, la culture et l’administration locale;
3.6. la réalisation d’études sur la participation politique des migrants et des personnes issues de l’immigration à différents niveaux de la représentation politique et du processus de décision;
3.7. l’encouragement des gouvernements à suivre l’exemple du Gouvernement néerlandais et à mener à bien une autoévaluation de la qualité de la démocratie dans leurs Etats selon les lignes directrices élaborées par l’Institut international pour la démocratie et l’assistance électorale (IDEA).
4. En outre, l’Assemblée appelle le Comité des Ministres à fournir les ressources nécessaires, à exploiter pleinement en coopération avec d’autres partenaires – le Forum pour l’avenir de la démocratie, en tant qu’instrument permettant de développer encore la démocratie en Europe, et à consacrer l’une de ses futures sessions au défi que posent les migrations aux régimes démocratiques.

C. Exposé des motifs, par M. Gross

(open)

1. Partie I – Evaluer la qualité de la démocratie

1.1. Introduction

1. En avril 2007, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a tenu un débat sur la situation des droits de l’homme et de la démocratie dans les Etats membres du Conseil de l’Europe. Les discussions, qui ont duré toute une journée, se fondaient sur trois rapports: deux rapports thématiques, l’un sur la situation des droits de l’homme, préparé par la commission des questions juridiques et des droits de l’homme, l’autre sur la situation de la démocratie, préparé par la commission des questions politiques; et un rapport traitant de ces deux aspects pays par pays, établi par la commission de suivi. Les autres commissions de l’Assemblée ont été invitées à compléter ces trois rapports dans leurs domaines de compétence respectifs.
2. Dès le début, ce débat a été conçu comme un exercice périodique. L’expérience acquise lors du premier débat, en avril 2007, et les discussions menées par la suite dans les commissions concernées et au sein du Bureau de l’Assemblée ont mené à la conclusion que le débat devrait être tenu sur une base annuelle et consacré alternativement aux droits de l’homme et à la démocratie. Il a également été décidé que le débat devrait se concentrer sur des questions précises.
3. En tant que rapporteur de la commission des questions politiques pour le débat de 2007, et sachant que mon rapport allait être le premier d’une série de rapports dans ce domaine, j’ai décidé d’adopter une démarche normative. Il m’a semblé essentiel de commencer par identifier et définir la base normative des démocraties, base qui pourra servir de critère pour évaluer la situation de la démocratie dans les pays européens, ses principaux défis, et les solutions qui pourraient être proposées.
4. En conséquence, dans mon rapport de 2007 sur la situation de la démocratie en Europe, j’ai recensé les dimensions constitutives de la démocratie et leur pertinence au niveau des individus, des organisations politiques et des institutions de l’Etat. La démocratie étant un processus permanent, jamais terminé, j’ai également proposé un ensemble de normes qui peuvent s’appliquer aux différents stades d’avancement de la démocratie, de «fondamental» à «fort». Sur la base de ces critères, j’ai pu examiner l’application des normes démocratiques dans les Etats membres du Conseil de l’Europe et identifier ainsi les insuffisances du processus démocratique dans certains pays. Je renvoie, à ce sujet, au Doc. 11203, à la Recommandation 1791 (2007) et à la Résolution 1547 (2007).
5. Cette année, la commission des questions politiques a décidé que le rapport devrait se concentrer sur l’un des principaux défis auxquels la démocratie est aujourd’hui confrontée: la migration. Nos systèmes démocratiques font face à une énorme diversité multidimensionnelle au sein même de leur propre société. L’ampleur de ce phénomène sera démontrée dans ce qui suit. Aujourd’hui, tous les Etats doivent relever un défi majeur consistant à concilier le respect de la diversité dans la société et le respect des droits de l’homme et de l’intégrité de l’individu, en se fondant sur une politique démocratique commune.
6. Or les institutions démocratiques de nos pays ne prennent pas suffisamment en compte cet aspect, et le processus démocratique se déroule en grande partie sans impliquer les habitants qui n’ont pas la citoyenneté du pays. Bien souvent, les citoyens d’origine étrangère eux-mêmes ne participent pas suffisamment au processus démocratique, pour plusieurs raisons que je tenterai d’identifier.
7. Tout processus de modernisation implique nécessairement une diversification des communautés qui composent la société. Le défi de la diversité, dont la migration est l’un des facteurs, impose de reconsidérer le cadre analytique servant à évaluer la qualité de la démocratie.
8. En Europe, la migration internationale joue à cet égard un rôle croissant, au même titre que le processus de mondialisation, la libéralisation de l’économie et les changements démographiques. Ce constat s’applique aussi bien aux pays d’Europe occidentale qu’à ceux d’Europe orientale, y compris la Fédération de Russie. En outre, il est de plus en plus largement reconnu que la démographie des populations immigrées sera un élément important de l’évolution future des populations en Europe.
9. L’objectif ultime de tout système démocratique doit être l’élimination des privilèges politiques liés au statut de citoyen, dont sont exclus ceux qui n’ont pas la citoyenneté du pays. En outre, il ne devrait pas y avoir de différence sensible, quant à la participation au processus démocratique, entre des citoyens de différentes origines ou appartenant à des communautés culturelles différentes. Le principe fondamental de la démocratie est que toutes les personnes concernées par une décision donnée dans le cadre d’un processus démocratique doivent être impliquées dans le processus décisionnel.

1.2. Principales conclusions du débat de 2007 sur la situation de la démocratie en Europe

10. La journée de débat de l’Assemblée sur la situation des droits de l’homme et de la démocratie en Europe, en avril 2007, s’est révélée utile et fructueuse. D’une part, nous avons unanimement constaté qu’il est impossible de définir un modèle parfait de démocratie 
			(2) 
			Voir
Pierre Rosanvallon, «L’universalisme démocratique: histoire et problèmes», Esprit, janvier 2008, où il écrit: «Pour
bien penser la démocratie, il faut abandonner l’idée de modèle au
profit de celle d’expérience».. On peut certes dégager un consensus général sur les principes essentiels de la démocratie, mais il n’existe pas de voie unique et parfaite pour mettre ceux-ci en œuvre.
11. Les variables sont trop nombreuses pour cela: elles concernent la géographie, l’histoire, les traditions, la culture, l’état de développement du pays, la manière dont les valeurs et les croyances influencent la démocratie, et la manière dont la démocratie a vu le jour. A mon avis, ce dernier point revêt une importance particulière, et j’y reviendrai dans le présent rapport. Comme l’a souligné M. Riester au cours du débat, pour évaluer la situation de la démocratie dans un pays donné, il faut tout d’abord en étudier l’histoire.
12. S’il est presque impossible de présenter un modèle idéal de démocratie, il est d’autant plus important d’élaborer des critères pour l’évaluation de la démocratie. D’autre part, après que nous avons tous reconnu que la démocratie est un processus de développement permanent, j’ai proposé d’établir quatre ensembles de critères pouvant s’appliquer aux différents stades de ce processus: démocratie fondamentale, avancée, stable ou forte.
13. Cette proposition ayant été favorablement accueillie, j’entends la développer dans le présent rapport, notamment dans le contexte de l’augmentation considérable des flux migratoires, qui est l’un des principaux défis posés à nos systèmes démocratiques aujourd’hui. En effet, les normes et les stades identifiés en matière de démocratie dans le précédent rapport se vérifient quotidiennement dans la pratique de nos pays, et il est essentiel de réagir face à de nouveaux facteurs et à l’évolution de la situation.
14. Troisièmement, nous avons également constaté d’un commun accord qu’aucune démocratie, parmi nos Etats membres, ne peut s’estimer à l’abri de la crise 
			(3) 
			Après
la première lecture en commission du présent exposé des motifs à
la mi-avril, Denis MacShane, mon éminent collègue, ex-ministre britannique,
m’a gentiment envoyé une lettre de trois pages, où il estime qu’on
ne devrait pas dire que la démocratie est en crise dans nos pays.
En effet, il fait observer qu’il n’y a jamais eu autant d’hommes
vivant en démocratie qu’à notre époque. C’est un fait que j’ai déjà
relevé dans mon rapport l’année dernière. Cependant, c’était pour
moi un paradoxe de la démocratie moderne que, bien que jamais autant
de personnes aient vécu en démocratie, il n’y en avait jamais eu
autant à être déçus de la qualité de la démocratie dans laquelle
ils vivaient. C’est ce que je considère comme une crise de nos démocraties
modernes, qui me paraît être une occasion de rechercher tous les moyens
possibles de renforcer, de développer et d’approfondir nos systèmes
démocratiques.. Comme l’a souligné à juste titre l’un des orateurs de l’année dernière, dans un contexte marqué par l’augmentation du niveau d’éducation, la croissance de l’économie et le progrès technologique, mais aussi par la mondialisation de l’information, des marchés et de la société, la démocratie n’est plus simplement une forme d’organisation de la vie politique fondée sur la garantie des droits civiques et sur des élections régulières, libres et équitables. La démocratie ne se résume pas à des élections législatives ou présidentielles. La démocratie concerne la manière dont nous vivons au quotidien. Comme l’a déclaré M. Bonnici au «sujet de la primauté du droit, les lois ne font pas une démocratie à elles seules; encore faut-il disposer de bonnes lois».
15. La démocratie, c’est aussi la promesse fondamentale de distribuer équitablement et sans exclusion les chances et les opportunités de la vie. Les modalités actuelles d’exercice de la démocratie ne permettent pas de tenir de telles promesses.
16. Le déséquilibre entre l’économie et la démocratie a pour conséquence que, de plus en plus souvent, d’importantes décisions sont prises en dehors des parlements, sous l’influence de différents groupes de pression. Les citoyens nourrissent des doutes au sujet de la démocratie, car ils estiment ne pas être en mesure d’influencer le processus politique de prise de décision.
17. En outre, si nous voulons surmonter la crise de la démocratie, nous devons réfléchir au moyen d’établir la démocratie au niveau transnational, dans le cadre d’un traité de l’Union européenne. Les développements récents quant à la Constitution européenne ont clairement montré que la tâche est extrêmement difficile. A cet égard, j’attire l’attention sur un autre rapport en cours de préparation par la commission des questions politiques, qui abordera cette question au sujet de la réforme des Nations Unies.
18. Je partage pleinement le point de vue de nombreux participants au débat de l’an dernier selon lequel nous devons discuter ouvertement de ces questions, faire preuve de persévérance dans nos efforts pour identifier les déficits, et continuer d’émettre des propositions de réforme. A cet effet, nous devons examiner le fonctionnement de la démocratie dans nos pays respectifs et avoir le courage de dévoiler les déficits concrets afin de pouvoir proposer des solutions concrètes. C’est pourquoi je n’hésite pas à illustrer le présent rapport par des exemples concrets de bonnes et de mauvaises pratiques dans les Etats membres.
19. En particulier, j’attire votre attention sur l’excellente idée émise par M. Kox, selon laquelle les rapports examinés lors du débat sur la situation des droits de l’homme et de la démocratie devraient être envoyés aux parlements nationaux et examinés par les commissions compétentes. Malheureusement, il était trop tard, l’an dernier, pour demander officiellement aux parlements nationaux de donner suite à nos textes. Cette année, j’inclurai une recommandation en ce sens dans un projet de texte qui, je l’espère, sera adopté par l’Assemblée. Nous devons impliquer les parlements nationaux! Nous devons encourager la prise de conscience et le débat au niveau national sur cette question essentielle!
20. C’est pourquoi il est si important que nous élaborions des mesures nous permettant d’évaluer la qualité de la démocratie. Un des chapitres suivants a pour but de proposer un cadre amélioré pour une analyse approfondie.

1.3. Exemples illustrant l’actuelle «crise de la démocratie» et la fragilité du citoyen dans nos pays aujourd’hui

21. De nombreux intellectuels différents, des universitaires ainsi que des journalistes ont approfondi, depuis notre débat d’avril 2007, certaines des hypothèses développées dans le premier rapport. Je voudrais citer certains d’entre eux pour illustrer le témoignage de nos travaux et nous permettre d’élargir notre réflexion.
22. Heribert Prantl, grand journaliste allemand et rédacteur en chef de la section politique du journal Süddeutche Zeitung, a écrit dans une tribune intitulée «L’automne de l’Etat» 
			(4) 
			«Der Herbst des Staates», Kursbuch (der Zeit), no 168 (décembre
2007), pp. 74-78.: «Lorsque l’Etat se débarrasse de ses tâches comme un arbre se débarrasse de ses feuilles à l’automne, lorsque l’Etat ne cesse de rétrécir, c’est aussi le domaine d’influence potentiel des citoyens qui se réduit. L’excès de désétatisation fait peser un risque sur la démocratie.»
23. «Le désengagement de l’Etat réduit la marge de décision relevant du processus démocratique. Nous devons répondre par des moyens démocratiques à l’importante question de savoir dans quel type de société nous souhaitons vivre. N’est-ce pas une société dans laquelle chaque habitant peut se sentir chez soi? N’estce pas une société consciente des enjeux fondamentaux de la démocratie, une société dont les membres construisent eux-mêmes leur avenir? Un tel objectif est incompatible avec le fait qu’un nombre croissant d’individus soient victimes d’exclusion. Chacun doit, pour pouvoir assumer pleinement son rôle de citoyen en démocratie, jouir d’un minimum de sécurité sans craindre de ne pas pouvoir satisfaire ses besoins fondamentaux. Telle serait une véritable intégration, et l’intégration est le contraire de l’exclusion.»
24. Dans un ouvrage intitulé L’hiver de la démocratie 
			(5) 
			L’hiver de la démocratie, Armand
Colin, Paris, 2007., Guy Hermet aborde la question de l’état critique de la démocratie: «Nous avons aujourd’hui tendance, estimet-il, à confondre l’étendue et la profondeur de la démocratie. On assiste ainsi au triomphe de la démocratie en surface et à la perte de substance de la démocratie en profondeur.» De fait, nombreux sont ceux pour qui la démocratie ne signifie plus rien.
25. Dans un article publié récemment par un grand journal allemand de politique étrangère, Guy Hermet se montre encore plus explicite et souligne que «tout comme les anciens systèmes de gouvernement, la démocratie périra inévitablement à son tour» 
			(6) 
			Internationale
Politik, Berlin, avril 2008, pp. 108-113.. Aujourd’hui, déclare-t-il, «la démocratie se répand à la périphérie du globe, mais s’est épuisée au centre, dans nos anciennes démocraties».
26. Le professeur Hermet est convaincu que «la crise de notre démocratie dans les pays riches n’est pas temporaire», mais marque le commencement de la fin. Il explique cette crise, notamment, par «la perte d’importance de la souveraineté du peuple», souveraineté qui, selon lui, était perçue jusqu’à présent comme le cœur de la démocratie. M. Hermet est persuadé que pour beaucoup de membres de l’élite, qui ont peur de la souveraineté, celle-ci est «une fiction et une astuce» comprise comme telle par les gens, et que pour faire plaisir au peuple, l’élite est en train d’élaborer des formes différentes de populisme («autoritaires, aimables et traditionnelles»).
27. D’après le professeur Hermet, la cause fondamentale du «déclin de la démocratie politique» est que «nos sociétés sont arrivées à leurs limites matérielles». Pour lui, «le pétrole de la démocratie, ce sont les promesses (matérielles)», et «l’Etat providence, maintenant assis sur le sable, ne peut plus financer toutes les promesses». C’est pourquoi, souligne-t-il, «l’espoir sur lequel reposait la démocratie a été détruit».
28. L’ancien secrétaire à l’emploi de la première administration Clinton et professeur de sciences politiques à Berkeley, Robert Reich, est l’auteur d’une réflexion systématique sur ces questions. Il souligne l’existence d’un double dilemme qui concerne chaque citoyen: «Le capitalisme est sans doute une condition nécessaire de la démocratie mais, comme nous pouvons le voir aux EtatsUnis, la démocratie n’est pas une conséquence nécessaire du capitalisme.» 
			(7) 
			Voir l’interview du
4 janvier 2008 dans le quotidien zurichois TagesAnzeiger,
inspiré de l’ouvrage Supercapitalism. The
transformation of business, democracy and everyday life,
publié en septembre 2007.
29. Reich décrit ce dilemme en ces termes: «L’influence de l’économie sur la politique a augmenté au point d’étouffer la démocratie. Quand je suis arrivé à Washington, dans les années 1970, on y comptait environ 7 000 lobbyistes. Aujourd’hui, ils sont plus de 36 000, auxquels il faut ajouter 70 000 avocats qui défendent les intérêts de l’économie vis-à-vis du Congrès. Ce glissement du pouvoir joue un rôle important dans l’érosion considérable de la confiance des citoyens à l’égard de la politique.»
30. Le second dilemme, selon Robert Reich, concerne directement les citoyens: «Nous avons tous, les Américains comme les autres, un double rôle: consommateurs d’un côté, citoyens de l’autre. En tant que consommateurs, nous souhaitons tous pouvoir acheter à bas prix, jouir des nombreux avantages de la mondialisation et posséder les technologies les plus modernes. En tant qu’investisseurs, nous voulons tirer le profit le plus élevé possible de notre capital, sans prendre en considération la manière dont ce profit a été obtenu. Ce faisant, nous contribuons à renforcer la pression qui s’exerce sur les entreprises. Mais en tant que citoyens, nous déplorons que les entreprises procèdent à des rationalisations, diminuent les salaires et délocalisent les emplois à l’étranger.»
31. «Le problème prend sa source dans notre esprit. La plupart d’entre nous n’ont pas conscience de cette contradiction. Les effets sociaux négatifs de notre système économique sont la conséquence logique de la concurrence de plus en plus vive que se livrent les entreprises pour attirer les consommateurs et les investisseurs (...). Le seul moyen de retrouver notre rôle de citoyens consiste à nous doter de lois visant par exemple à renforcer le droit syndical ou à augmenter les impôts pour les plus fortunés.»
32. «Toutes les démocraties ont été affaiblies par la pression exercée par les entreprises, qui ont su influencer la législation à leur avantage en employant un nombre croissant de lobbyistes. La concurrence accrue se révèle en fin de compte n’être qu’un leurre pour la démocratie.»
33. L’hypothèse selon laquelle il n’existe pas de modèle démocratique applicable à toutes les sociétés est également défendue par Pierre Rosanvallon, éminent spécialiste français de l’histoire de la démocratie: «Pour bien penser la démocratie, il faut abandonner l’idée de modèle au profit de celle d’expérience.» 
			(8) 
			«L’universalisme démocratique:
histoire et problèmes», Esprit,
janvier 2008.
34. En ce qui concerne la nécessité d’établir la démocratie au niveau transnational afin de permettre aux populations de faire jeu égal avec l’économie transnationale, aucun progrès n’a été enregistré depuis des mois, et l’optimisme ne semble pas de mise. Face à l’échec de la seconde tentative d’élaborer une nouvelle Constitution européenne depuis 2001, on finira par adopter l’an prochain un traité européen très proche, par sa substance, du projet constitutionnel rejeté en 2005 par les Français et les Néerlandais, sans que ceux-ci aient eu à nouveau la possibilité de se prononcer. Serge Halimi, directeur de la rédaction du Monde diplomatique, voit dans cette situation un cas de «démocratie simplifiée» 
			(9) 
			Serge Halimi, «La démocratie
simplifiée», Le Monde diplomatique,
mars 2008, p. 1..
35. Pour Martin Alioth, correspondant en Irlande de l’hebdomadaire suisse NZZ am Sonntag, la cause de cette confusion n’est pas dans une organisation qu’il faudrait améliorer mais dans le manque de volonté politique et l’absence d’imagination. Selon lui, il ne devrait pas être trop difficile de rédiger une Constitution européenne qui tienne sur cinq pages et qui puisse être adoptée lors d’un référendum à l’échelle européenne. Le peu de cas dont il est fait aujourd’hui des citoyens européens contribue à renforcer leur scepticisme à l’égard de l’Europe 
			(10) 
			Martin Alioth, NZZ am Sonntag, éditorial, 30 mars
2008.. Mais aussi à l’égard de la démocratie.
36. Dans un nouveau livre à grand tirage sur la justice et l’avenir de la mondialisation, deux auteurs allemands, Harold Schuman et Christiane Greffe, concluent: «L’Union européenne est dans une situation analogue à celle des Nations Unies: elle est plus que jamais nécessaire, mais en même temps, elle devient de plus en plus incapable d’agir. La cause de l’échec de l’Europe sur la scène mondiale est une lacune béante du projet européen, qui n’est autre que le manque de démocratie. Les ministres gouvernent l’Union comme si elle n’était que l’affaire des élites. Les gens se sentent exclus des questions essentielles, qui sont d’ordre politique. (…) Cinquante ans après sa fondation, nous devons donner du pouvoir à l’Europe, la rendre plus capable d’agir. En répugnant à instituer des règles claires pour la constitution d’une majorité démocratique et à démocratiser le régime administratif de l’Union, on sabote toute l’idée européenne.» 
			(11) 
			Global
Countdown, Cologne, 2008, pp. 421-423.
37. Les élections législatives italiennes des 13 et 14 avril 2008 sont un exemple de plus de ce que le professeur britannique Colin Crouch qualifie de «postdémocratie» 
			(12) 
			Colin Crouch, «Oui,
l’Europe est entrée dans l’ère de la postdémocratie», 
			(12) 
			Die Zeit, Hambourg, 24 avril 2008,
p. 54.. Selon lui, on observe deux tendances dans les systèmes démocratiques modernes: «Les classes socio-économiques défavorisées des sociétés postindustrielles ne sont guère plus capables d’exprimer leurs intérêts politiques de façon autonome, surtout si on les compare aux mouvements ouvriers industriels d’autrefois. Les élites économiques partagent des buts clairs (maximisation de la valeur actionnariale) et une idéologie bien affirmée (le néolibéralisme). Par des coopérations supranationales, elles arrivent à faire jouer les gouvernements les uns contre les autres et à exercer beaucoup de fonctions de direction au sein de l’économie mondiale sans la participation d’aucun Etat ou gouvernement, si bien qu’elles disposent d’un pouvoir politique considérable.»
38. «C’est pourquoi tous les grands partis politiques donnent la priorité au jeu des coopérations mondiales (…). Les chefs de tous les partis, qu’ils soient de gauche, de droite ou du centre, se sont coupés des citoyens ordinaires et ne s’adressent à eux que par le biais des médias et en recourant à des méthodes qui dérivent du secteur de la consommation.»

1.4. Amélioration du cadre d’analyse

1.4.1. Dimension conceptuelle

39. Dans mon rapport de l’an dernier, j’ai proposé, aux fins de l’évaluation de la qualité de la démocratie, d’en déterminer les cinq dimensions constitutives et de considérer celles-ci à différents niveaux: celui des individus, celui des organisations politiques et celui des institutions de l’Etat. Cette approche permettait d’évaluer les réalisations et lacunes spécifiques des démocraties en Europe et de définir quatre stades d’avancement de la démocratie en fonction de divers critères.
40. Dans ce vaste débat en cours sur l’avenir de la démocratie, l’hebdomadaire allemand Der Spiegel reprend notre remarque de l’an dernier, à savoir que les causeries télévisées se substituent de plus en plus aux parlements comme lieu où la nation se fait une idée commune d’ellemême: «Les causeries télévisées s’inscrivent dans le XXIe siècle, elles soutiennent le parlement de la démocratie et fixent l’ordre du jour du débat politique d’un pays. La démocratie des causeries télévisées est plus transparente que ne l’était la démocratie parlementaire du XXe siècle, mais elle est aussi plus hystérique, plus superficielle et plus émotionnelle. (…) Dans la démocratie de la causerie télévisuelle, il est permis d’exposer les problèmes, jamais de les résoudre, car on aura encore besoin d’eux la semaine suivante pour une autre causerie. (…) Ce que pense l’invité est certes intéressant, mais ce qu’il dit relève souvent d’une manière de s’exprimer qui cache ce qu’il pense vraiment et veut vraiment dire.» 
			(13) 
			Der Spiegel, no 22, du 26 mai 2008.
41. En élaborant le présent rapport, je me suis rendu compte que la question de la diversité et de l’intégration n’avait pas été suffisamment prise en compte dans le cadre proposé l’an dernier. Comme je l’ai déjà fait observer, la diversité est un signe de la modernisation de nos sociétés. Elle est un processus inévitable qui constitue sans aucun doute un enjeu pour les systèmes démocratiques et appelle une réponse appropriée. On ne saurait en faire abstraction lorsqu’on évalue la qualité de la démocratie.
42. Pour assurer le bon fonctionnement de la démocratie, il est à mes yeux essentiel de trouver un juste équilibre entre diversité et intégration. L’intégration, qui vise en substance à éliminer l’exclusion et la ségrégation sociales, doit aller de pair avec le respect de la diversité, des différences culturelles, linguistiques et religieuses.
43. La notion d’intégration, comme l’a récemment souligné le Premier ministre turc, M. Erdoğan, lors de son discours à Cologne, est incompatible avec celle d’assimilation. L’intégration n’a pas pour but d’étouffer la diversité. Bien au contraire, il s’agit de donner aux intéressés le droit et la possibilité d’apprendre et d’étudier dans leur langue maternelle, de développer leur propre culture et de cultiver leurs coutumes et leurs traditions.
44. D’autre part, l’intégration doit s’accompagner d’un certain degré de participation à la société dans son ensemble. Cela implique d’abord de connaître une langue du pays de résidence. Cela implique ensuite de respecter les valeurs prédominantes dans ce pays exprimées dans sa Constitution, en particulier en ce qui concerne les droits de l’homme, la démocratie et la primauté du droit.
45. Certes, la question de savoir où placer la frontière entre le respect de la diversité et le besoin d’intégration est sujette à controverse: il n’existe pas de modèle universel. Les pays ont, à l’égard de leur population immigrée et de son intégration, des approches différentes qui vont de l’intégration multiculturaliste, fondée sur une grande tolérance et une large acceptation de la diversité culturelle et religieuse, à l’intégration sur la base de principes républicains qui subordonnent l’accès à la citoyenneté à une restriction de l’expression des particularités religieuses et autres dans la sphère publique. Le Royaume-Uni et la France, par exemple, se situent respectivement aux deux extrémités du spectre.
46. Pour intégrer les minorités culturelles nouvelles et anciennes et les nouveaux venus, la société doit faire naître en eux un sentiment d’appartenance. Cela ne signifie pas qu’il faille faire disparaître les sentiments anciens d’appartenance 
			(14) 
			Voir, par exemple,
l’article «Tales of Belonging», The Guardian,
7 avril 2008, qui présente l’intégration dans la société britannique
de neuf immigrés, venus de Pologne, de la Jamaïque, du Pakistan,
de Chine, d’Ouganda, d’Irlande, d’Australie, de Somalie et de Bulgarie,
depuis 1940 jusqu’à nos jours. Voir, par exemple, l’article «Tales
of Belonging», The Guardian,
7 avril 2008, qui présente l’intégration dans la société britannique
de neuf immigrés, venus de Pologne, de la Jamaïque, du Pakistan,
de Chine, d’Ouganda, d’Irlande, d’Australie, de Somalie et de Bulgarie,
depuis 1940 jusqu’à nos jours. à la culture d’origine, mais qu’il convient de permettre à l’immigré de devenir un membre actif de la nouvelle société, c’est-à-dire de pouvoir parler la langue dominante, de vivre de son travail, de faire partie de la société et de sentir que des perspectives encourageantes s’ouvrent à ses proches et à soi-même.
47. Compte tenu de ce qui précède, je propose de compléter le tableau sur les principes de la démocratie et leur expression à trois niveaux – destiné à faciliter l’évaluation de la qualité de la démocratie dans nos Etats membres – en y ajoutant une nouvelle dimension qui avait été négligée dans le rapport de l’an dernier: la diversité et l’intégration.
48. L’ajout d’un nouveau principe au cadre d’évaluation de la qualité de la démocratie aura une incidence sur la classification des paramètres de la construction de la démocratie en quatre catégories que j’avais proposée dans mon précédent rapport. L’intégration et la diversité devraient figurer parmi les critères permettant de définir les démocraties «avancées».

1.4.2. Dimension historique

49. Je voudrais à présent revenir sur la proposition de M. Riester, exprimée lors du débat précédent sur la démocratie, d’étudier l’histoire des différents pays avant d’évaluer la situation de la démocratie en leur sein.
50. La démocratie est l’aboutissement des divers processus historiques, sociaux et économiques intervenus dans différents pays. Ces conditions spécifiques ont inévitablement influé sur le développement de la démocratie et la forme qu’elle revêt aujourd’hui. Cela est particulièrement évident lorsqu’on compare les «anciennes» démocraties établies de longue date et les nouvelles démocraties issues de l’effondrement des régimes communistes. Cela ne signifie en aucun cas que les premières soient de «meilleures» démocraties, qui connaîtraient un moins grand nombre de problèmes et de préoccupations.
51. La question de la diversité et de l’intégration offre une bonne illustration de ce phénomène. Les pays qui ont émergé récemment d’un passé totalitaire, comme la Lettonie ou la Fédération de Russie, semblent rencontrer à cet égard des problèmes et des préoccupations particuliers en ce qui concerne les droits individuels.
52. Mais par ailleurs, en Suisse, où la démocratie résulte d’un long processus de formation et d’amélioration progressives des institutions politiques, encore trop de citoyens semblent la considérer comme un privilège qui leur est réservé et non comme un droit de l’homme pour tous les habitants du pays.
53. On retiendra de l’expérience helvétique qu’il n’y a pas de raison de ne pas partager le pouvoir avec les citoyens et de leur dénier le droit de participer à toutes les décisions importantes qui les concernent. La société suisse était très diverse dès le début du XIXe siècle. Son intégration au XXe siècle a été essentiellement atteinte par une participation continue à toutes les décisions publiques et politiques importantes. Le système démocratique suisse souffre toujours de deux lacunes: d’abord, les Suisses excluent un trop grand nombre de ceux qui sont concernés par les résultats du processus de décision, car la nationalité suisse est trop difficile à obtenir, alors que dans la quasi-totalité du pays, les droits démocratiques des étrangers sont sous-développés. Ensuite, la démocratie suisse, qui reste privée de financements publics, dépend beaucoup trop de capitaux privés et des personnes riches 
			(15) 
			Voir Jürgen Habermas, Ach, Europa, Francfort, 2008, où
il écrit que «la Constitution doit être conçue pour garantir le fonctionnement
d’un espace politique public auquel les citoyens et la société civile
ont accès et où la Constitution empêche les intérêts politiques,
sociaux ou économiques d’occuper l’espace public».. Il faut encore améliorer l’équité du processus de formation de l’opinion. Sinon, la légitimité des résultats pourrait être contestée 
			(16) 
			Voir le rapport, publié
en mars 2008, des représentants du BIDDH/OSCE mandatés pour observer
les élections législatives de l’automne 2007 en Suisse..

Les principes de la démocratie et leur expression à trois niveaux 
			(17) 
			Extraits de Theor Shiller,
«Principes et critères pour l’évaluation de la démocratie», Perspectives de démocratie (traduction
libre de l’allemand), éditions Dirk Berg-Schlosser, Francfort, 1999.

Niveaux

Principes

1er niveau individu/citoyen

2e niveau groupes sociaux/

organisations politiques (partis, ONG)

3e niveau

système de gouvernance, institutions de l’Etat

1. Droits fondamentaux

Droits individuels, protection juridique, liberté d’expression

Liberté d’association, protection des minorités

Limitation du pouvoir de l’Etat, Constitution fondée sur la prééminence du droit, indépendance du pouvoir judiciaire

2. Ouverture des structures du pouvoir

Accès à la communication et au pouvoir politiques, droit de contrôler le pouvoir

Pluralisme des associations/élites/médias indépendants

Séparation des pouvoirs, limitation des mandats, compétition politique, contrôle du pouvoir

3. Egalité politique

Suffrage universel, plus grande égalité des droits de participation

Egalité des chances d’accéder aux ressources organisationnelles et d’exercer une influence

Egalité des chances dans les systèmes électoraux et les processus de décision

4. Diversité et intégration

Egalité des droits politiques, économiques et sociaux; possibilité de développer sa langue, sa culture et ses traditions dans le respect des droits de l’homme et des valeurs démocratiques; multiplication des possibilités d’intégration, et remplir les obligations, en particulier: apprentissage de la langue du pays hôte

Respect de la diversité; soutien public et financier et ressources organisationnelles; engagement dans le processus de décision concernant leurs intérêts

Egalité des chances pour les migrants et les minorités dans le système électoral et le processus de décision. La conception des institutions politiques devrait servir ce but

5. Transparence et rationalité

Pluralisme des sources d’information, possibilités diverses d’éducation/d’acquisition de compétences politiques, efficacité de la participation individuelle

Pluralisme dans les médias, sphère publique ouverte au débat et à la critique, pluralité des intérêts

Procédures de décision transparentes, différentiation des responsabilités, efficacité et procédures fondées sur le dialogue

6. Efficacité politique, capacité d’agir et d’orienter la société

Intérêt politique, volonté de participer, être prêt à prendre des responsabilités, esprit critique, être prêt à accepter des décisions

Recherche d’intérêts communs, mobilisation d’un soutien politique

Principe de la majorité, capacité de trouver des compromis, ressources pour la mise en œuvre des décisions (droits, ressources financières, etc.), confiance dans les institutions et les systèmes

7. Culture de la citoyenneté

Confiance, sentiment d’appartenance, idée d’être concerné par le jeu politique

Reconnaissance et soutien d’associations, d’organisations civiques et d’ONG

Participation citoyenne à tous les niveaux

54. Dans ce qu’avant la fin de la guerre froide l’Europe occidentale appelait «l’Europe de l’Est», le processus de démocratisation connaît aujourd’hui des dynamiques différentes. Il n’y a pas d’entité pouvant être qualifiée d’«espace homogène d’Europe orientale» 
			(18) 
			Voir
l’article de Charles Rupnik, «Lassitude face à la démocratie et
populisme dans les nouveaux Etats membres», Lettre
nationale, hiver 2007-2008, pp. 25-28, édition allemande.. La démocratie n’est remise en cause dans aucun de ces pays, mais différents types de systèmes démocratiques sont en train d’apparaître, qui sont confrontés chacun à des problèmes spécifiques.
55. Pour Charles Rupnik, nul ne peut douter que les pays d’Europe centrale qui ont adhéré à l’Union européenne en 2004 soient confrontés à «une grave crise de la démocratie qui doit être analysée avec soin sans prendre ses désirs pour des réalités». En Pologne, ajoute-t-il, il semble bien que la «politique de frustration et de ressentiment» de l’ancien gouvernement indique une déception largement répandue face à la démocratie. Il explique de la même manière l’indifférence qu’il observe en République tchèque à l’égard des politiques les plus modérées.
56. Le professeur français constate dans les nouveaux Etats membres d’Europe centrale «une tendance à une certaine lassitude à l’égard de la démocratie», qui doit nous préoccuper, mais qu’il ne faut pas non plus exagérer. Cette tendance met en cause l’attente générale de beaucoup de pays d’Europe centrale selon laquelle les progrès de la libéralisation conduisant à un changement de système et de fonctionnement démocratique devraient être continus.
57. Par «consolidation de la démocratie», il faut comprendre davantage que l’acceptation de ceux qui sont au pouvoir, une modernisation générale, une bonne gouvernance ou l’intégration au sein de l’Union européenne. L’évolution récente en faveur du populisme dans ces pays montre l’importance d’une «culture de la citoyenneté», que de Tocqueville qualifiait «d’habitudes du cœur», pour renforcer la démocratie. Selon Rupnik, «sans une telle culture politique, la légitimité et la stabilité des institutions démocratiques seront toujours contestées».
58. Enfin, pour évaluer un système démocratique, il faut se souvenir que, bien que la diversité liée à la violence soit un signe manifeste des défauts de la démocratie, ce n’est pas la diversité qui fait problème, mais que c’est la manière dont celle-ci est traitée qui est à l’origine du problème.

1.4.3. Etudes de cas: Norvège, France et Pays-Bas

59. Vers la fin du XXe siècle, le Parlement norvégien a lancé une «étude sur le pouvoir et la démocratie» en Norvège, où «le système démocratique est l’un des plus solides des pays démocratiques contemporains» 
			(19) 
			Stein Ringen, What Democrcay is For, Princetown
University Press, 2007, annexe B «How good is the kindest democracy?»,
pp. 256-268.. Entre 1998 et 2003, un comité de cinq professeurs a dirigé un projet de recherche, qui a conduit à la publication de 50 livres, de 77 autres rapports et de bien davantage d’articles, rédigés par plus d’une centaine d’auteurs. Le résultat de cette action remarquable n’est guère connu hors de Norvège. Selon Stein Ringen, professeur de sociologie norvégien basé à Oxford, l’étude a abouti à la conclusion suivante: «La chaîne de commandement démocratique où la gouvernance est sous le contrôle des électeurs s’est rompue et la structure de gouvernement par consensus populaire est en train de se désintégrer sous nos yeux.»
60. Stein Ringen: «Si l’on mesure la qualité d’un système démocratique non seulement à ses procédures constitutionnelles, mais aussi aux structures sociales sousjacentes, il convient de se demander si la société se caractérise par plus ou moins d’équité dans un souci d’autonomie et de dignité. Les gens ordinaires peuventils prendre en main leur destin? Les groupes autrefois exclus s’émancipent-ils? A certains égards, la réponse à ces questions est toujours positive. La situation des anciennes minorités (la population sámi, les juifs, les Tsiganes, les Gens du voyage/rétameurs et les Finnois) a radicalement évolué. En ce qui concerne les Sámis, cette situation a été institutionnalisée par la reconnaissance des droits collectifs dans la Constitution, un parlement sámi élu par la population sámi et jouissant de compétences législatives. Ils sont en outre reconnus comme un peuple autochtone. La situation politique des femmes s’est transformée, celles-ci obtenant dans la pratique un statut égal à celui des hommes.»
61. La tendance dans le domaine des relations sociales n’est pas universellement démocratique; une exception notable de la classe très défavorisée des immigrés est en train d’apparaître. Cependant, en général c’est là une société où le droit et le pouvoir de disposer de soi-même sont non pas endigués, mais dilués au sein de la population.
62. Je cite encore M. Ringen: «Le pouvoir politique et économique s’exerce de plus en plus par-dessus et en dehors de l’Etat-nation, c’est-à-dire qu’il échappe au contrôle des institutions démocratiques nationales; alors qu’au sein de l’Etat-nation, la chaîne de commandement depuis la base est en train de s’affaiblir, hors de l’Etatnation, une nouvelle chaîne de commandement apparaît par-dessus ces limites et elle dirige la législation nationale, sans que les citoyens ou leurs représentants aient virtuellement leur mot à dire ou jouissent d’un pouvoir de contrôle.»
63. «Il est remarquable d’avoir conclu que la démocratie est en déclin indépendamment de l’état de la cohésion sociale. L’étude souligne que le recul de la qualité d’une démocratie représentative tient, si l’on excepte les pressions internationales, aux procédures constitutionnelles et aux institutions elles-mêmes: effritement du pouvoir au niveau local, élections, systèmes de partis, manque de transparence de l’Etat providence, fonctionnement des tribunaux et du contrôle judiciaire. Cela ne favorise guère la protection et l’amélioration de la démocratie dans la pratique. C’est pourquoi, la meilleure façon de restaurer la démocratie est de s’atteler à cette tâche. Il n’est pas nécessaire d’attendre pour œuvrer en faveur de celle-ci qu’on ait réformé la société et le capitalisme. On peut s’occuper directement de la démocratie.»
64. Pour moi, l’intérêt suscité par le projet de démocratie participative lors de la présidentielle du printemps 2007 en France montre bien ce que la conclusion de l’étude norvégienne a de juste. C’est ce qu’ont indiqué beaucoup de livres publiés depuis en France en insistant sur la nécessité d’une démocratie qui soit plus participative. Ainsi, Loïc Blondeaux (Le nouvel esprit de la démocratie – Actualité de la démocratie participative, Seuil, Paris, 2008): «Les démocraties modernes sont à la recherche d’un nouvel esprit, de nouvelles bases. Les formes classiques de représentation politique survivront, mais leur légitimité diminue, de même que leur efficacité. Le pouvoir des institutions représentatives recule partout, leur autorité est contestée et leur capacité d’imposer des solu-tions d’en haut est fortement amoindrie (…). Cet affaiblissement des structures traditionnelles de la démocratie représentative n’annonce pas du tout la mort de la démocratie elle-même.» La démocratie participative offre ellemême une solution politique de rechange, mais elle n’est pas le monopole d’un candidat ou d’un parti, aussi opportune soit-elle. Ce n’est jusqu’ici qu’un programme, qui doit être élaboré et développé avec soin 
			(20) 
			Voir
aussi Marc Crépon et Bernard Stiegler, De
la démocratie participative, Fondements et limites, Mille
et une Nuits, Paris, 2007..
65. Je citerai ici l’excellent rapport élaboré par le ministère néerlandais de l’Intérieur et des Relations au sein du royaume et intitulé «L’état de la démocratie en 2006», qui résulte d’un débat public sur le fonctionnement de la démocratie néerlandaise. Ce rapport, qui examine en détail et évalue différents aspects du système démocratique, notamment la législation, son application, la pratique, le rôle des divers intervenants politiques, et les interactions entre eux, vise à recenser les mesures qui permettraient de garantir, de renforcer et – si nécessaire – de renouveler la démocratie.
66. Le rapport est aussi considéré comme un état des lieux initial. Sur la base d’enquêtes analogues, des changements de la qualité démocratique du système politique néerlandais deviendront perceptibles. Le texte fait en outre ressortir les problèmes qui requièrent de la vigilance et des études complémentaires.
67. Il a été rédigé conformément aux grands principes de l’International Institute for Democracy and Electoral Assistance (IDEA) 
			(21) 
			D. Beetham, S. Bracking,
I. Kearton, Handbook on democracy assessment,
Kluwer Law International, La Haye, 2002.. La méthodologie d’«évaluation de la démocratie» prévoit 56 angles d’approche, qui sont traités en fonction de leur contenu. Les réponses à chacune des sous-questions sont formulées dans la mesure du possible à quatre niveaux différents: législation existante, application effective, indicateurs positifs et négatifs (statistiques) et, si nécessaire, opinions.
68. Les conclusions du rapport, de même que divers constats qui s’y trouvent, donnent matière à réfléchir. En effet, elles soulignent que «la réactivité du gouvernement laisse beaucoup à désirer. C’est pourquoi 83 % des habitants estiment que les autorités ne s’intéressent guère aux problèmes de la population. 90 % ont le sentiment que les politiques associent peu les électeurs à la définition de politiques, et 79 % qu’ils ne rendent pas suffisamment compte de leurs résultats».
69. Je recommande vivement de prendre connaissance de cette initiative extrêmement intéressante, qui devrait être imitée par d’autres Etats membres. J’ai l’intention d’inviter leurs gouvernements à suivre cet exemple.

2. Partie II – Un défi spécifique des systèmes démocratiques modernes en Europe: la diversité et les migrations

2.1. Diversité de la population des Etats membres du Conseil de l’Europe

70. Les sociétés modernes sont caractérisées par une très grande diversité ethnique. Cela vaut aussi pour les Etats membres du Conseil de l’Europe. En effet, parmi ses 47 Etats membres, plus aucun, pourrait-on dire, n’est encore composé d’une population homogène sur le plan ethnique.
71. Beaucoup de pays européens sont caractérisés depuis fort longtemps par la présence de minorités «traditionnelles». Ce problème, qui est principalement dû au déplacement des frontières, a été traité aux niveaux national et européen parallèlement au processus de démocratisation et d’intégration. Le Conseil de l’Europe a largement contribué à la détermination de modèles de bonnes pratiques dans ce domaine et sa Convention-cadre pour la protection des minorités nationales a eu un impact très positif sur la situation des minorités dans les Etats membres.
72. En principe, le présent rapport ne traitera pas des minorités traditionnelles qui jouissent des droits civiques dans leur pays de résidence et dont les préoccupations relèvent plutôt des droits spécifiques des minorités. En revanche, j’examinerai de plus près la situation de certains groupes de personnes qui sont devenues minoritaires par suite de changements de frontières intervenus au cours des dernières décennies et n’ont pas la nationalité du pays où elles résident. C’est le cas en particulier de groupes importants dispersés sur les territoires de plusieurs Etats issus de la chute de l’Union soviétique.
73. Au cours des dernières décennies, la quasi-totalité des pays européens ont été confrontés, de plus en plus, au phénomène des «nouvelles minorités» – des immigrants s’installant durablement dans un pays d’accueil, à la recherche de meilleures perspectives économiques. Ce phénomène, qui a pris une ampleur considérable dans certains Etats membres du Conseil de l’Europe, est une conséquence inévitable de la mondialisation et n’est sans doute pas près de s’arrêter.
74. De surcroît, comme je l’ai déjà mentionné, l’élargissement de l’Union européenne et la mondialisation économique ont pour conséquence une augmentation considérable des mouvements de population entre les pays européens.
75. Dans beaucoup de pays, ce processus a entraîné la formation d’importantes communautés de résidents étrangers privés des droits afférents à la citoyenneté et vivant en marge du processus démocratique. L’accès à la citoyenneté est ici une préoccupation centrale, même si ce n’est pas la seule, et j’approfondirai cette question dans mon rapport. J’examinerai aussi dans quelle mesure une opportunité est donnée aux résidents de longue durée porteurs d’un passeport étranger de participer au processus démocratique dans le pays où ils résident.
76. Certains pays ont en outre vu apparaître une nouvelle catégorie de citoyens issus de l’immigration. Bien que ces personnes, descendants d’immigrés ou étrangers qui ont acquis la nationalité de leur pays de résidence, jouissent en principe de tous les droits, il arrive fréquemment, en pratique, qu’elles ne soient pas associées au processus démocratique. J’exposerai des cas de marginalisation qui sont la conséquence de lacunes dans le fonctionnement des institutions démocratiques. Je laisserai à M. Greenway, rapporteur de la commission des migrations, des réfugiés et de la population, le soin d’identifier les mesures susceptibles d’améliorer cette situation.
77. Dans mon rapport, je n’aborderai pas la question des migrants en situation irrégulière. Cette question importante et urgente est traitée dans plusieurs rapports élaborés par la commission des migrations, des réfugiés et de la population.
78. Je n’examinerai pas non plus la situation dans les zones de conflit. Ces questions font également l’objet de rapports spécifiques.

2.2. Importance de la diversité

79. Je n’ai pas l’intention de présenter ici des informations exhaustives sur le nombre d’étrangers ou de citoyens d’origine étrangère dans les Etats membres du Conseil de l’Europe. Je voudrais toutefois donner plusieurs exemples pour illustrer l’étendue du problème. Cela permettra, je l’espère, de faire prendre conscience au lecteur de l’urgence de cette question.
80. Avant de commencer, je dois souligner que les statistiques à notre disposition laissent encore beaucoup à désirer, même si les choses se sont considérablement améliorées depuis quelques années. Les principales difficultés viennent de l’incompatibilité des sources, ainsi que de problèmes conceptuels et de problèmes de définition. Les législations nationales relatives à la protection des données et les modalités de traitement de l’information présentent également des différences selon les Etats membres du Conseil de l’Europe, différences qui entraînent des variations considérables dans les statistiques disponibles. Enfin et surtout, les méthodes de collecte, en particulier en Europe orientale, restent inadaptées et il n’y a pas de systèmes statistiques suffisamment développés. Je ne m’attarderai pas sur cette question, mais je renvoie les lecteurs intéressés aux travaux de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI), et plus spécialement au document intitulé «Statistiques “ethniques” et protection des données dans les pays du Conseil de l’Europe» 
			(22) 
			Par Patrick Simon,
Institut d’études démographiques, Strasbourg, 2007..
81. Malgré toutes ces difficultés, force est de constater que les migrants et les personnes issues de l’immigration représentent une proportion importante des sociétés représentées au Conseil de l’Europe et que ce phénomène est en augmentation.
82. Le nombre total d’étrangers vivant dans les Etats membres du Conseil de l’Europe s’élevait en 2004 à quelque 64,1 millions de personnes 
			(23) 
			Source:
OIM, 2005., soit environ 8,8 % de la population en Europe. Ces étrangers n’étaient pas répartis également entre les pays, la plus grande partie d’entre eux résidant en Europe occidentale.
83. Dans les pays d’Europe occidentale, la population étrangère représentait 42 millions de personnes (plus de 10 %). Ce chiffre a augmenté de plus de 30 % depuis 1995.
84. En Europe centrale et orientale, y inclus la Fédération de Russie, environ 22 millions de résidents étrangers étaient enregistrés en 2004, soit quelque 9% d’une population totale de plus de 242 millions d’habitants. Cependant, je souligne encore une fois que les informations sur la population étrangère vivant dans ces pays, et notamment en Fédération de Russie, sont incomplètes, qu’elles proviennent de sources diverses et que leur collecte laisse à désirer. Il y a tout lieu de penser que les chiffres réels sont beaucoup plus élevés.
85. La proportion d’étrangers dans la population totale varie considérablement d’un pays à l’autre. En 2004, c’est au Luxembourg que cette proportion était, de loin, la plus élevée (38,6 % de la population totale); venaient ensuite la Suisse (22 %) et l’Autriche (9 %), suivies de près par l’Allemagne et la Belgique, puis par l’Irlande et l’Espagne. Dans un autre groupe de pays (Danemark, France, Pays-Bas, Norvège et Royaume-Uni), ce pourcentage s’établissait aux alentours de 4 à 5 %.
86. La situation dans les Etats baltes constitue un cas particulier sur lequel je reviendrai plus en détail. La majorité de la population étrangère en Estonie et en Lettonie est de souche russe. Ces Russes se sont installés en tant que migrants internes pendant l’ère soviétique et ne sont devenus des «migrants internationaux» qu’après l’éclatement de l’Union soviétique.
87. La Lettonie a proportionnellement une large part de résidents n’ayant pas la citoyenneté. La population de résidents en Lettonie est composée de deux groupes ethniques principaux: les Lettons pour 58,9 % et les Russes pour 28,6 %. En 2005, sur une population totale de 2,29 millions d’habitants, 1,9 million (ou 79,6 %) étaient des citoyens lettons et 432 896 (ou 18,8 %) n’avaient pas la citoyenneté lettonne ni même aucune citoyenneté.
88. Un autre indicateur semble important aux fins du présent rapport: le nombre de personnes de naissance étrangère dans les pays européens. Cette catégorie, à l’évidence bien plus nombreuse que la précédente, comprend à la fois les résidents porteurs d’un passeport étranger et les anciens ressortissants étrangers qui ont été naturalisés 
			(24) 
			Ce chiffre comprend
en outre les ressortissants du pays qui ont pu naître à l’étranger,
mais leur nombre est limité.. Il va sans dire que cette catégorie n’est pas homogène et que les deux groupes rencontrent des problèmes différents en ce qui concerne la participation au processus démocratique. Si je les mentionne, c’est que je crois qu’ils sont très révélateurs et illustrent parfaitement la diversité de nos sociétés.
89. En 2006, en Europe occidentale, les personnes nées à l’étranger représentaient entre 7 % et 15 % de la population totale 
			(25) 
			Toutes les statistiques
concernant l’UE/EEE et la Suisse sont tirées d’Eurostat, Statistiques
en bref, Population et conditions sociales, 8/2006.. En termes absolus, cela signifie que dans l’UE/EEE et la Suisse (c’est-à-dire dans 31 des 47 Etats membres du Conseil de l’Europe), sur 474 millions de personnes, quelque 42 millions sont nées hors du pays où elles habitent. L’Allemagne compte, de loin, la plus grande population de naissance étrangère (10,1 millions), suivie par la France (6,4 millions), le Royaume-Uni (5,8 millions), l’Espagne (4,8 millions), l’Italie (2,5 millions), la Suisse (1,7 million) et les Pays-Bas (1,6 million).
90. Par rapport à la taille de leur population, ce sont les deux plus petits pays d’Europe qui comptent le plus grand nombre d’immigrés: le Luxembourg (37,4 %) et le Liechtenstein (33,9 %). Viennent ensuite la Suisse (22,9 %), la Lettonie (19,5 %), l’Estonie (15,4 %), l’Autriche (15,1 %), l’Irlande (14,1 %), Chypre (13,9 %), la Suède (12,4 %) et l’Allemagne (12,3 %).
91. Par ailleurs, l’évolution des chiffres est particulièrement intéressante. Ainsi, on observera que, en 1996, les immigrants représentaient les trois quarts de la croissance démographique de l’Union européenne.
92. Quant à la Fédération de Russie, elle se situe en deuxième position au niveau mondial après les Etats-Unis pour le nombre d’immigrants. En 2000, le nombre de migrants internationaux était de 13 millions 
			(26) 
			Source: OIM, 2003. (plus de 10 % de la population). D’après le recensement effectué en 2002, 11 millions de personnes avaient immigré en Russie depuis le précédent recensement en 1989. 99,5 %, pour la plupart des Russes de souche, venaient de pays de l’ex-Union soviétique.
93. L’immigration de main-d’œuvre en Russie, principalement en provenance des pays de la CEI, est un phénomène très important, largement sous-estimé dans les statistiques officielles. La loi sur les procédures d’entrée et de sortie adoptée en 1996 a eu une incidence fortement préjudiciable sur l’enregistrement des migrants internes et externes en raison d’une répartition tout à fait artificielle entre immigration permanente et temporaire. De ce fait, les immigrants temporaires (dont beaucoup sont restés ou ont l’intention de rester pendant une longue période) ont échappé aux statistiques officielles. A la suite d’autres modifications apportées à la loi en 2000 et en 2003, le coût d’obtention d’un permis de résidence permanent ou temporaire a augmenté, de sorte que de nombreux étrangers ont préféré rester sans papiers.
94. Pour toutes ces raisons, il est difficile de comparer les données relatives à la Fédération de Russie à celles des pays de l’Union européenne et de donner des chiffres exacts sur le degré de diversité. Mais même ces chiffres imparfaits illustrent bien l’étendue du problème auquel doivent faire face les institutions démocratiques dans la Fédération de Russie.
95. Il existe des différences importantes entre l’Europe occidentale et l’Europe centrale et orientale, ainsi qu’entre les pays, en ce qui concerne la composition nationale des populations étrangères. Il est opportun, aux fins du présent rapport, d’établir une distinction entre les migrants citoyens de l’Union européenne et ceux issus d’autres pays européens ou de pays non européens, étant donné que leur situation – qu’il s’agisse des droits politiques ou de l’intégration – n’est pas du tout la même. J’étudierai cette question le moment venu dans mon rapport.
96. En Europe occidentale, la composition de la population étrangère reflète les arrivées successives de migration de main-d’œuvre et le processus plus récent du regroupement familial, ainsi que les arrivées de réfugiés en provenance de pays européens et non européens. Les groupes étrangers prédominants sont par conséquent originaires des pays où des travailleurs ont été recrutés dans les années 50, 60 et 70 ainsi que, le cas échéant, des anciennes colonies. S’y ajoutent souvent des ressortissants des pays de l’ex-Yougoslavie et des régions d’Asie et d’Afrique dévastées par la guerre.
97. Pour donner une idée générale de la proportion de migrants européens et non européens, j’attire votre attention sur les données suivantes: au sein de l’Union européenne, il y avait 12,45 millions d’Européens, 3,66 millions d’Africains et 2,51 millions d’Asiatiques.
98. Néanmoins, si l’on considère les personnes résidant légalement dans un pays et les citoyens naturalisés, le nombre de migrants dans les pays européens en provenance de pays non européens s’élève à près de 25 millions et se décompose approximativement comme suit; 5 millions de Nord-Africains, principalement en France, aux Pays-Bas et en Suède; 5 millions d’Africains, principalement au Royaume-Uni, en France, aux Pays-Bas et en Allemagne; 2,2 millions de Latino-Américains, principalement en Espagne et en Italie; 4 millions de Sud-Asiatiques, principalement au Royaume-Uni; 1 million de Pakistanais, principalement au Royaume-Uni; 1,5 million de Kurdes, principalement en Allemagne; 1 million de Chinois, principalement en France, au Royaume-Uni et aux Pays-Bas; 500 000 Philippins, principalement au Royaume-Uni, en France et en Allemagne; 100 000 Japonais, principalement au Royaume-Uni.
99. Sur presque 50 millions d’étrangers résidant dans les Etats membres de l’Union européenne, quelque 5,51 millions (11,2 %) étaient des ressortissants d’autres Etats membres.
100. Plus récemment, comme je l’ai déjà indiqué, des mouvements migratoires massifs ont eu lieu au sein de l’Union européenne. A la suite de l’élargissement de l’Union en 2004 et 2007, les migrations intracommunautaires ont considérablement augmenté. Il s’agit essentiellement d’immigration dans les pays d’Europe occidentale en provenance des pays d’Europe orientale. Ainsi, depuis 2004, on estime que 750 000 Polonais ont immigré au Royaume-Uni et en Irlande.
101. Il semble que soit en train de se former un espace économique européen transnational caractérisé par une main-d’œuvre extrêmement mobile. Les mouvements de population informels et de courte durée sont désormais très fréquents, bien qu’il subsiste des parallèles remarquables avec la situation qui régnait lors de la vague d’arrivée de travailleurs immigrés dans les décennies qui ont suivi la seconde guerre mondiale. Les récents élargissements de l’Union européenne entraînent une nouvelle répartition des populations au fur et à mesure de l’intégration des économies de l’Union. On constate d’importants mouvements en direction de l’Europe occidentale en provenance des nouveaux membres (lorsque les politiques le permettent).
102. D’autre part, l’émigration européenne vers l’Europe de Sud est un phénomène assez nouveau. Les ressortissants de l’Union européenne, en particulier du RoyaumeUni et de l’Allemagne, constituent une proportion croissante des immigrés en Espagne. Cette dernière compte une population d’environ 1 million de citoyens britanniques, dont 800 000 résidents permanents. Depuis 2000, l’Espagne a «absorbé» quelque 4 millions d’immigrants, voyant ainsi sa population croître de 10 %.
103. Aux données statistiques s’ajoutent des perspectives de plus en plus préoccupantes quant à la démographie, au vieillissement des sociétés, à l’offre et à la demande de main-d’œuvre.
104. Il ne fait aucun doute que la diversification de nos sociétés va se poursuivre parallèlement à leur modernisation. Si nous fermons les yeux sur ce phénomène, si nous ne nous efforçons pas d’intégrer ces groupes importants dans nos systèmes démocratiques, nous mettrons en danger le principe même de la démocratie dans nos pays.

2.3. Normes démocratiques définies dans le rapport de 2007 sur la situation de la démocratie qui peuvent être remises en cause par l’importance du nombre de migrants dans les pays européens

105. Dans mon dernier rapport, j’ai proposé des critères permettant d’évaluer la qualité de la démocratie et de déterminer son stade d’avancement. Tout système démocratique doit satisfaire à un certain nombre de conditions préalables, que j’ai appelées «normes fondamentales de la démocratie». Parmi les conditions de démocratie fondamentale figurent notamment les libertés individuelles (liberté des médias, liberté d’association, droits politiques), des élections libres et équitables, une représentation réelle et une démocratie parlementaire effective.
106. Dans le présent rapport, je me propose d’examiner dans quelle mesure les migrants qui, comme je l’ai montré, représentent une proportion importante de nos sociétés, peuvent jouir des droits découlant de ces normes. La réponse aura également une incidence sur l’évaluation de la qualité de la démocratie dans nos pays, puisqu’elle offrira aussi une mesure de la représentativité et de la participation au processus de décision politique.
107. Avant d’entrer dans le détail, je souligne encore une fois que, sur le territoire de l’Union européenne, la situation des migrants originaires de pays membres de l’Union est généralement bien meilleure que celle des ressortissants de pays non membres.
108. Une autre observation générale porte sur les progrès considérables qui ont été réalisés depuis quelques années s’agissant d’associer les migrants, qu’ils soient ou non citoyens de l’Union européenne, au processus démocratique. Cela est en partie le fruit d’une prise de conscience au sein des sociétés. Dans les années 1950 et 1960, les «travailleurs immigrés» étaient considérés comme des migrants temporaires et leurs libertés fondamentales – de circulation, d’assemblée et d’association, notamment – faisaient l’objet de restrictions (par exemple en France ou en Belgique). Dans les années 1970, quand des contingentements de l’immigration ont été imposés, de nombreux gouvernements européens ont adopté des lois pour étendre aux immigrés déjà présents dans le pays une série de droits civiques, notamment les libertés fondamentales et les droits à l’éducation, à la santé et à la sécurité sociale. Dans certains pays, ces droits ont été assortis de droits politiques. Malheureusement, plusieurs pays, en particulier les nouveaux pays de destination, n’ont pas suivi cette voie.
109. Lorsque, dans un pays démocratique, une grande partie de la population est exclue du processus démocratique, deux voies sont en principe à sa disposition pour remédier à cette situation: intégrer les immigrés dans la communauté des citoyens par la naturalisation ou accorder des droits politiques aux non-ressortissants. Les deux options ne s’excluent pas mutuellement, elles peuvent être complémentaires. Les mesures adoptées varient considérablement selon les Etats membres du Conseil de l’Europe. Je vais maintenant les examiner.

2.3.1. Accès à la citoyenneté

110. Concernant l’accès à la citoyenneté, il ressort clairement des statistiques que cette option ne peut être considérée comme la solution principale à l’exclusion des migrants et qu’elle ne peut venir qu’en complément d’autres mesures. Le pourcentage d’étrangers qui acquièrent la nationalité de leur pays de résidence diffère peu d’un Etat membre du Conseil de l’Europe à l’autre. Il est resté relativement stable au cours des dernières années (sauf en Allemagne et en Lettonie, voir ci-après). Il s’établit bon an mal an aux alentours de 2 à 3,5 %.
111. Les principales préoccupations relatives à l’acquisition de la citoyenneté peuvent être illustrées par la situation en Allemagne. Dans ce pays, les débats publics ont eu une large audience, du fait que la population immigrée y était extrêmement importante et le taux de naturalisation très faible. En 1989, près de 5 millions de personnes, principalement originaires de Turquie, vivaient en Allemagne depuis une vingtaine ou une trentaine d’années sans qu’elles-mêmes ni leurs enfants, nés en Allemagne, ne jouissent de droits civiques. En 1999, une nouvelle législation a libéralisé les procédures d’acquisition de la citoyenneté, permettant à la troisième et, dans certains cas, à la deuxième génération d’immigrés de bénéficier du jus soli.
112. La situation en Lettonie est également un sujet de préoccupation. En raison du contexte historique, au moment de la proclamation de l’indépendance en 1991 quelque 730 000 résidents n’avaient pas de liens de citoyenneté avec la Lettonie d’avant-guerre et, de ce fait, n’ont pu bénéficier de l’octroi automatique de la nationalité sur la base du jus sanguinis. Le processus de naturalisation n’a commencé qu’en 1995, après l’adoption (en 1994) de la loi sur la citoyenneté; ce retard a nui à son bon déroulement. A la suite du processus de naturalisation, qui s’est étalé sur dix ans, le nombre total de non-citoyens a diminué d’un tiers, passant de 29 % de la population à 18,8 %. Le processus s’est accéléré après l’adhésion de la Lettonie à l’Union européenne. En 2004, le nombre de citoyens d’origine russe a pour la première fois dépassé celui des noncitoyens d’origine russe 
			(27) 
			Voir document As/mon(2005)39rev:
Dialogue postsuivi avec la Lettonie.. Toutefois, sachant que plus de 432 000 résidents sont toujours des non-citoyens, on ne peut certainement pas dire que le problème soit réglé.
113. En Fédération de Russie, la situation n’est pas moins préoccupante. D’après les estimations, entre 600 000 et 1,4 million de personnes vivent sur le territoire de la Fédération de Russie hors de tout statut juridique. Outre les migrations illégales, le problème vient de cette absence de statut juridique 
			(28) 
			Voir Doc. 10568: Respect des obligations et engagements de la Fédération
de Russie., qui est le lot d’un grand nombre d’anciens citoyens soviétiques qui résidaient auparavant en Fédération de Russie et ont été réputés migrants en situation irrégulière à partir de l’entrée en vigueur des lois fédérales de 2002 sur la citoyenneté russe et sur le statut juridique des ressortissants étrangers dans la Fédération de Russie. Ainsi, beaucoup de citoyens de l’ex-URSS qui n’ont pas obtenu la nationalité russe vivent dans le pays sous le régime d’un enregistrement provisoire ou même sans être enregistrés.
114. Les conditions à remplir pour pouvoir être naturalisé diffèrent d’un pays à l’autre. Les lois sont plus ou moins restrictives en fonction du dosage entre le jus soli et le jus sanguinis. A l’évidence, le besoin se fait sentir d’une harmonisation à l’échelle de tout le continent, en s’alignant de préférence sur les modèles les plus généreux.
115. Faciliter l’accès à la naturalisation n’est cependant qu’un aspect du problème. Et ce n’est pas toujours la législation restrictive du pays de résidence qui empêche les ressortissants étrangers de faire une demande de naturalisation. Dans certains cas, même ceux qui pourraient l’obtenir s’en abstiennent en raison de lois restrictives dans leur pays d’origine. Dans certains Etats, en effet, la renonciation à la nationalité n’entraîne pas seulement la perte des droits politiques. Ainsi, jusqu’en 1995, les Turcs qui renonçaient à la nationalité turque ne pouvaient pas posséder de biens fonciers en Turquie ni en hériter. D’autre part, certains Etats interdisent aux émigrants qui souhaitent se faire naturaliser dans un autre pays de renoncer à leur nationalité d’origine tant qu’ils n’ont pas remboursé les frais de leur scolarité et ne se sont pas acquittés de leurs obligations militaires (par exemple la Grèce).
116. Aussi longtemps que la double nationalité sera impossible, la naturalisation est une mesure insuffisante car cela entraîne un problème de loyauté des deuxième et troisième générations envers leurs parents et grands-parents.
117. La solution pourrait être la double nationalité. Cette formule présente cependant des inconvénients: dans certains cas, les intéressés peuvent avoir à faire leur service militaire dans les deux pays ou être soumis à une double imposition. Le principal problème est toutefois que la double nationalité est interdite par beaucoup de pays.
118. La position du Conseil de l’Europe a évolué sur cette question. En 1963, il a élaboré une convention visant à la réduction des cas de pluralité de nationalités (Convention sur la réduction des cas de pluralité de nationalités et sur les obligations militaires en cas de pluralité de nationalités (STE no 43). En 1990, 11 pays seulement avaient ratifié ce texte. En 1977, deux résolutions 
			(29) 
			Résolution (77) 13
concernant la nationalité des enfants nés dans le mariage et Résolution
(77) 12 concernant la nationalité des conjoints de nationalités
différentes. du Conseil de l’Europe préconisaient la double nationalité pour les enfants, au moins jusqu’à un âge donné, ainsi que pour les conjoints de nationalités différentes. En 1997, le Conseil a élaboré une Convention sur la nationalité (STE no 166) qui reconnaissait le droit des Etats de déterminer leur propre procédure d’acquisition de la nationalité et les laissait libres d’autoriser ou non la double nationalité.
119. A l’heure actuelle, plusieurs Etats membres du Conseil de l’Europe, dont l’Allemagne, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, l’Autriche et le Danemark, n’autorisent pas la double nationalité. A l’inverse, certains pays, dont la Suisse (en 1990) et les Pays-Bas (en 1991), ont instauré cette possibilité dans leur législation nationale. J’espère que l’Assemblée conviendra de la nécessité d’appeler les gouvernements de nos Etats membres à instituer, s’ils ne l’ont pas encore fait, la notion de double nationalité dans leur droit interne.

2.3.2. Droits électoraux

120. Bien entendu, la naturalisation ne suffit pas à régler le problème de l’exclusion des migrants du système démocratique et ne peut améliorer que marginalement la situation. Tout en encourageant les gouvernements à faciliter l’accès à la naturalisation, l’Assemblée devrait les inviter à accorder des droits politiques indépendamment de la nationalité.
121. Je reviens ici à une remarque que j’ai faite plus haut sur les différences de traitement entre les ressortissants et les non-ressortissants de l’Union européenne dans ses 27 Etats membres. La citoyenneté européenne instaurée par le Traité de Maastricht (1992) et confirmée par le Traité d’Amsterdam (1997) attribue à tous les ressortissants des Etats membres de l’Union le droit de vote et l’éligibilité lors des élections locales et au Parlement européen, quel que soit leur pays de résidence au sein de l’Union. Ce principe, fondé sur la réciprocité, fait obligation à tous les Etats membres d’adopter des lois à cet effet dans leur législation nationale. Il a été mis en application et les dispositions pertinentes s’appliquent aux nouveaux Etats membres.
122. Toutefois, ces droits électoraux ne sont accordés qu’aux ressortissants des Etats membres de l’Union européenne. Les étrangers issus de pays tiers, quelle que soit la durée pendant laquelle ils ont résidé légalement sur le territoire de l’Union, ne bénéficient pas de cette disposition.
123. Quant à la situation des citoyens de l’Union européenne en matière de droits électoraux dans les pays européens non membres de l’Union, elle n’est pas différente de celle des autres résidents étrangers.
124. Pour l’instant, il n’est pas question d’octroyer aux citoyens de l’Union européenne de droits électoraux au niveau national dans leur pays de résidence.
125. Concernant les droits électoraux des non-ressortissants de l’Union européenne sur le territoire de l’Union ou d’autres Etats membres du Conseil de l’Europe, la situation varie selon le pays de résidence. Chaque pays (y compris les Etats membres de l’Union) est libre d’autoriser la participation politique des étrangers aux différents niveaux (à l’exception des élections au Parlement européen).
126. A ce jour, 11 pays ont accordé des droits électoraux aux résidents étrangers quelle que soit leur nationalité, sous réserve d’une durée minimale de séjour dans le pays. En Irlande (depuis 1963), tous les étrangers qui résident dans le pays depuis au moins six mois peuvent voter et être candidat aux élections locales. En Suède (depuis 1975) et au Danemark (depuis 1991), la durée de séjour minimale requise est de trois ans. Les Pays-Bas ont accordé en 1985 le droit de vote au niveau local à tous les étrangers résidant depuis cinq ans sur leur territoire. En Finlande, la période requise est de quatre ans. En Estonie, en Lituanie et en Slovénie (depuis 2002) ainsi qu’en Slovaquie (depuis 2003) et en Belgique (depuis 2004), elle est de cinq ans.
127. Le Royaume-Uni, l’Espagne, le Portugal et la République tchèque appliquent le principe de réciprocité. En outre, le Royaume-Uni accorde des droits politiques, y compris le droit de vote lors des élections nationales, aux ressortissants des pays du Commonwealth qui résident sur son territoire.
128. En Suisse, où les cantons sont souverains pour ce qui est de l’octroi de la citoyenneté et des droits électoraux, les cantons francophones du Jura, de Neuchâtel, de Genève et de Vaud sont plus progressistes et accordent les droits électoraux aux niveaux local et cantonal aux étrangers à partir de cinq ans de résidence. Dans le canton du Jura, ces étrangers peuvent même participer à l’élection des deux sénateurs, c’est-à-dire des représentants du canton à la deuxième chambre du parlement national.
129. A l’inverse, les propositions tendant à accorder aux résidents étrangers les droits électoraux aux élections locales sont dans l’impasse en Belgique, en France et en Allemagne. D’autres pays membres du Conseil de l’Europe, qui n’ont pas été cités, n’accordent aucun droit électoral aux résidents étrangers.
130. Dans certaines régions des Etats membres du Conseil de l’Europe, les résidents étrangers privés des droits électoraux constituent la majorité de la population dans cette région.
131. En 1992, le Conseil de l’Europe a ouvert à la signature la Convention sur la participation des étrangers à la vie publique au niveau local (STE no 144), dont l’objectif est d’améliorer l’intégration et la participation des nonressortissants résidant légalement sur le territoire de ses Etats membres, notamment en leur octroyant le droit de vote aux élections locales. A ce jour, malheureusement, la convention n’a été signée que par 13 pays et ratifiée par 8. Elle est entrée en vigueur en 1997.
132. L’Assemblée a, à plusieurs reprises, exprimé sa préoccupation quant à la participation politique des étrangers, en particulier dans la Recommandation 1500 (2001) sur la participation des immigrés et des résidents étrangers à la vie politique dans les Etats membres du Conseil de l’Europe 
			(30) 
			Voir aussi Doc. 8916. et la Recommandation 1650 (2004) relative aux liens entre les Européens vivant à l’étranger et leur pays d’origine 
			(31) 
			Voir
aussi Doc. 10072..
133. Le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe a également pris position sur cette question, se déclarant favorable à l’idée d’accorder les droits électoraux aux étrangers résidant légalement dans les Etats membres du Conseil de l’Europe depuis un certain temps, quel que soit leur pays d’origine 
			(32) 
			Voir Recommandation 153 (2004) sur «Un pacte pour l’intégration et la participation
des personnes issues de l’immigration dans les villes et régions
d’Europe»..
134. Je partage pleinement l’opinion des organes susmentionnés du Conseil de l’Europe et propose que nous réitérions notre appel aux Etats membres. La jouissance par tous des droits électoraux est assurément indispensable au bon fonctionnement de la démocratie.
135. Une autre question sur laquelle je voudrais attirer l’attention sans m’y appesantir, puisqu’elle fera l’objet d’un autre rapport en cours d’élaboration par la commission des questions politiques, est celle des seuils dans les systèmes électoraux. Etant donné qu’elle est étroitement liée à celle de la représentation et qu’elle est importante dans le cas des migrants, je voudrais réitérer ma position, à savoir que des seuils plus bas sont davantage bénéfiques pour la représentativité des parlements 
			(33) 
			Voir Résolution 1547 (2007) sur la situation des droits de l’homme et de la démocratie
en Europe..

2.3.3. Autres droits politiques

136. Les droits électoraux sont essentiels, mais ils ne sont pas la seule façon possible d’assurer la participation politique des migrants. Les années 1970 et 1980 ont vu se développer des organisations, dans certains cas encouragées par l’Etat, visant à représenter les intérêts des migrants, à faciliter leur intégration et à proposer diverses activités sociales. Dans beaucoup de pays européens, les droits civils et sociaux ont été accordés plus rapidement aux résidents étrangers que les droits politiques. Le rapport de la commission des migrations, des réfugiés et de la population examinera plus en détail les différentes formes d’intégration des migrants dans le processus de décision par le biais d’organes consultatifs ou de consultations systématiques des ONG. Ces initiatives sont précieuses, mais elles ne sauraient remplacer une véritable représentativité 
			(34) 
			Une
nouvelle fois, je marque mon accord avec le point mentionné dans
la lettre citée ci-avant de M. MacShane. Le travail des ONG doit
être respecté mais elles ne peuvent en aucun cas remplacer le rôle
et la légitimité qu’ont les partis politiques dans la démocratie..
137. Je ferai observer que plusieurs Etats membres du Conseil de l’Europe continuent de restreindre certaines des libertés individuelles des résidents étrangers, en particulier la liberté d’association (République tchèque) et/ou le droit d’adhérer à un parti politique (Estonie, Lettonie, Lituanie, Slovaquie et Slovénie). Même si ces mesures sont conformes à la Convention européenne des droits de l’homme (article 16), elles sont difficiles à justifier et sont assurément contraires à l’esprit de la démocratie. Je propose d’inviter fermement tous les Etats à réexaminer leur législation nationale en vue de garantir aux étrangers résidant légalement sur leur territoire l’ensemble des libertés fondamentales et des droits politiques reconnus aux citoyens. Je suis également d’avis que l’article 16 n’a plus de justification dans nos sociétés modernes et doit être aboli.
138. Comme en attestent les nombreux exemples cités ci-dessus, les Etats peuvent améliorer l’intégration démocratique sans toucher au principe de la nationalité en étendant les droits électoraux, les droits politiques et les libertés individuelles aux non-ressortissants. Malheureusement, un certain nombre d’Etats membres du Conseil de l’Europe, qui ont un accès restrictif à la naturalisation, ont également des politiques restrictives en matière de droits politiques des non-résidents.

2.3.4. Etude de cas: le Canada

139. Etant donné le grand nombre de migrants et de personnes d’origine immigrée, la question de l’intégration est très importante au Canada. Chaque année, un certain nombre d’immigrés, correspondant à 1 % de la population, sont admis au Canada. Dans certaines provinces, comme le Québec, jusqu’à 10 % des habitants sont nés à l’étranger. Il en va ainsi pour près de la moitié de la population de l’Ontario, le centre économique du Canada.
140. Lancé en 1988, le modèle canadien de «multiculturalisme» est en opposition complète avec celui «d’assimilation». Il est inscrit dans le droit fédéral, qui impose le principe d’égalité raciale et culturelle et qui encourage les divers groupes culturels à maintenir et à développer leur identité et leurs traditions, tout en favorisant leur participation à la société canadienne. Tout en reconnaissant le français et l’anglais comme langues officielles, la loi sur les langues officielles (1985) protège les minorités linguistiques et elle leur donne les moyens de développer leur langue.
141. Ce modèle, qui est aussi qualifié de «société de la diversité et de l’inclusion», est fondé sur un «contrat moral» entre la société d’accueil et une communauté culturelle particulière afin de promouvoir sa pleine intégration tout en préservant sa culture. Les mesures d’application comprennent des équipements pour s’installer et apprendre la langue du pays, une assistance pour chercher du travail et d’autres services sociaux. Par ailleurs, les collectivités locales octroient aux communautés culturelles des ressources financières et organisationnelles pour préserver et développer leur culture.
142. Les résultats de cette approche, qui semblent particulièrement encourageants, devraient être étudiés en Europe. L’intégration et la reconnaissance simultanée de différentes cultures, une mosaïque de nationalités développant leur culture tout en contribuant au développement de la société globale conduisent à davantage de participation des habitants et, en fin de compte, à un meilleur fonctionnement de la démocratie.
143. L’expérience canadienne serait, me semble-t-il, très utile pour inciter les pays européens, pour lesquels il est encore difficile d’admettre qu’ils sont devenus ces dernières décennies des pays d’immigration, à trouver un juste équilibre entre le fait que leur société devient de plus en plus diverse et la nécessité de l’intégrer, grâce à des mesures politiques, sociales et économiques méthodiques.

2.4. Préoccupations relatives à la représentativité des systèmes démocratiques

144. Une participation effective au système démocratique passe bien évidemment par le droit de participer aux élections à différents niveaux, mais l’expérience montre que la reconnaissance de ce droit «sur le papier» ne débouche pas automatiquement sur une participation élevée. Même dans les pays où les migrants peuvent voter (par exemple aux élections locales en Suède), le niveau de leur participation en tant que candidats et en tant qu’électeurs est à juste titre préoccupant.
145. Bien que très variable, le taux de participation des immigrés est généralement inférieur à celui des autochtones. Ainsi, en 2006, au cours d’un scrutin dans les trois cantons suisses qui ont accordé le droit de vote aux étrangers, le taux de participation des résidents étrangers était respectivement de 23 %, de 26,5 % et de 41 %, contre 32 %, 41 % et 59 % de la population suisse
146. Fait encore plus inquiétant en Europe, la participation politique des groupes n’appartenant pas au groupe majoritaire dans le pays a reculé au cours des dernières décennies. Les chiffres de la participation ont certes aussi diminué pour les nationaux, mais ce recul a été beaucoup moins important pour ces derniers que pour les migrants. Ainsi, en Suède, le taux de participation aux élections locales pour l’ensemble de la population est passé de 90 % en 1976 à 84 % en 1994. Dans le même temps, la participation des immigrés est tombée de 60 % à 40 %.
147. Une faible participation au processus politique entraîne nécessairement une faible représentation aux différents échelons du pouvoir. Les migrants sont incontestablement sous-représentés à tous les niveaux. Il suffira, pour illustrer ce problème, de dire qu’il y a eu seulement quatre maires d’origine étrangère en France entre 1995 et 2001. La situation s’est améliorée depuis, mais elle reste un sujet de préoccupation. Lors des élections municipales de 2005 au Luxembourg, les résidents étrangers constituaient 39 % de la population, mais ils représentaient 10 % des électeurs, 5,9 % des candidats et 1,2 % des représentants élus.
148. Ceux qui ont le droit de vote au niveau national (les étrangers naturalisés ou les citoyens d’origine immigrée) sont sous-représentés au parlement. Ainsi, au cours des trois dernières élections en Norvège (en 1997, en 2001 et en 2005), seuls quatre habitants d’origine immigrée ont été élus. Aux Pays-Bas, ce chiffre est de dix depuis 1998. En Allemagne, à la suite des élections fédérales de 2005, cinq députés d’origine turque ont représenté plus de 600 000 électeurs d’origine turque. De plus, il y a deux autres députés d’origine étrangère au Bundestag. Au Royaume-Uni, au cours de la période de 1997 à 2008, il y avait 19 personnes d’origine immigrée à la Chambre des communes. En France, entre 1997 et 2002, seule une personne d’origine étrangère était membre de l’Assemblée nationale. A la suite des élections récentes de 2007, ils sont désormais cinq.
149. Le problème commence par la sous-représentation au sein des partis politiques. Même dans les pays où les migrants peuvent bénéficier de droits politiques, ils sont, en règle générale, moins actifs en termes de participation politique que les nationaux. Je tenterai d’expliquer ce phénomène dans le chapitre suivant. Pour le moment, je souhaite seulement attirer votre attention sur différents aspects du problème.
150. Il est communément admis que les partis politiques choisissent et désignent rarement des migrants comme candidats dans le processus électoral. Ce grave problème a été dûment étudié dans la résolution de l’Assemblée sur le Code de bonne conduite des partis politiques 
			(35) 
			Résolution 1546 (2007).. Je suis convaincu que la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise), qui est en train d’élaborer ce code, examinera attentivement les mesures qui pourraient être proposées pour remédier à cette situation.
151. L’expérience de certains partis est sans aucun doute intéressante. Je mentionnerai ici les «Black Sections» du Parti travailliste britannique et l’émergence, à l’échelon local du pouvoir, de militants d’origine indo-pakistanaise.
152. L’on entend parfois objecter que la participation des immigrés serait plus préjudiciable que favorable à l’intégration et que les organisations d’immigrés pourraient contribuer à la formation de «sociétés parallèles». Cette objection vise particulièrement les communautés musulmanes et ce problème ne doit pas être éludé. A cet égard, j’appelle votre attention sur le rapport de la commission des questions politiques sur la question des «communautés musulmanes européennes face à l’extrémisme» (Doc. 11540).
153. Enfin, lorsqu’on parle de la participation politique des migrants, on ne peut faire abstraction de graves problèmes qui touchent nos sociétés contemporaines: le racisme et l’intolérance. Pour les surmonter, nous devons engager nos sociétés dans un processus d’éducation, de promotion des valeurs démocratiques et de la tolérance.

2.5. Obstacles à une amélioration de la représentation et de la participation

154. Il existe relativement peu d’études sur les raisons de la faible participation des migrants à la vie politique. Néanmoins, il est généralement admis que les personnes qui jouissent d’une position socio-économique plus élevée tendent à être plus actives que les personnes défavorisées. Dans la mesure où les migrants et les personnes issues de l’immigration appartiennent majoritairement aux couches de la société de condition sociale peu élevée et à faible revenu, on peut s’attendre, statistiquement, à ce qu’ils soient moins actifs que la population autochtone.
155. Les migrants sont souvent en position défavorable en ce qui concerne les facteurs de l’intégration politique: maîtrise de la langue, éducation, emploi, appartenance à un syndicat ou à d’autres associations.
156. Les compétences linguistiques sont cruciales pour l’intégration en général. C’est pourquoi j’insiste encore une fois sur la nécessité de connaître la langue locale. Cela ne doit pas empêcher les migrants de cultiver leur propre langue et il convient de leur en donner les moyens (écoles et associations). Il est préférable de laisser aux collectivités locales, qui sont mieux placées à cet égard, le soin de procurer aux migrants des possibilités d’apprendre la langue locale.
157. La participation à des associations, à des organisations ethniques et à des syndicats crée un engagement social qui peut déboucher sur une activité politique et une plus grande participation politique. De plus, la vie associative des communautés ethniques ne présente pas seulement un intérêt pour les migrants: elle représente aussi un investissement dans la qualité de la démocratie.
158. Il existe une corrélation positive entre l’acquisition de la nationalité et le niveau de participation politique.
159. L’exclusion sociale a de toute évidence un effet négatif sur la participation politique. Les individus ont besoin de reconnaissance, de confiance et de soutien pour être actifs sur le plan politique.
160. Plus généralement, les communautés immigrées qui connaissent les problèmes d’intégration les plus graves sont celles qui réunissent les caractéristiques suivantes, qui les différencient de leur contexte local: une culture différente, une religion différente, une langue différente et un statut social peu élevé et le chômage.
161. Certains observateurs, dénonçant le faible nombre de responsables politiques et de fonctionnaires d’origine immigrée, préconisent des mesures d’action positive pour accroître la représentation des étrangers dans les partis politiques et aux postes de responsabilité. Le fait de créer un département ou un ministère chargé des questions d’immigration permettrait d’accroître la visibilité politique de ces questions. Les partis politiques devraient être encouragés à désigner des candidats issus de minorités ethniques.
162. Le rapport présenté par M. Greenway an nom de la commission des migrations, des réfugiés et de la population tentera de définir plus systématiquement les mesures susceptibles de contribuer à l’amélioration de la participation politique des migrants.

3. Conclusions

163. Plus la diversité est grande dans nos sociétés, plus elle engendre de peurs qui sont exploitées par les partis populistes d’extrême droite et qui favorisent la xénophobie. Cela pourrait nous aider à expliquer le paradoxe selon lequel bien que nous vivions à une époque bien plus sûre qu’au cours des 200 dernières années, de plus en plus de gens se sentent en insécurité 
			(36) 
			Voir
Zygmunt Bauman, «Etat, démocratie, comment faire face aux peurs», Flüchtlinge Zeitung, Leben in der Ungewissheit (Vivre
dans l’incertitude), Hambourg, 2008..
164. La seule façon de surmonter ce problème éprouvé par beaucoup de monde, notamment les laissés-pourcompte, est à la fois économique (sécurité des emplois, niveau de vie décent et sécurité sociale) et sociale (sentiment d’appartenance à la société, possibilité de promotion de l’individu au sein de la société). Trouver les moyens de garantir cette sécurité dans une économie mondialisée, tel est le principal défi que les systèmes démocratiques modernes doivent relever aujourd’hui en Europe.
165. L’idée de partage est inhérente à la démocratie. Il est tout naturel que l’on ne soit pas disposé à partager sa richesse si l’on estime qu’elle est insuffisante. La pauvreté et un sentiment de faiblesse peuvent conduire à l’agression dans des cas extrêmes, comme nous l’avons vu dans certains de nos Etats membres.
166. Selon moi, la principale conclusion de ce rapport est qu’il nous faut prendre cet élément élémentaire en considération quand nous évaluons nos démocraties. L’intégration est une condition préalable essentielle et un critère pour l’évaluation de la qualité d’une démocratie.
167. Je le souligne encore une fois: la diversité de nos sociétés doit être considérée dans un sens beaucoup plus large que le simple résultat des migrations. En un sens, tout individu peut se sentir à certains égards étranger dans le pays où il réside. Ce n’est pas une question de nationalité, mais de situation économique, sociale ou politique.
168. Ainsi, les conflits nés de la liberté et de la diversité sont inévitables dans toute société. Ce qui fait la différence entre un système démocratique et un système non démocratique, est une responsabilité conjointe qui requiert une action et une solidarité nationales et européennes. démocratique est la façon dont ces conflits sont traités. S’ils sont gérés de manière efficace dans le cadre constitutionnel d’une démocratie bâtie avec soin, cela prouve que les institutions démocratiques du pays sont en état de fonctionner correctement. Si, au contraire, ils débouchent sur la violence, il est clair que les institutions démocratiques ont échoué. En effet, la démocratie n’est pas seulement un processus, mais aussi une promesse.
169. Une autre conclusion de ce rapport concerne l’intégration. Le principal obstacle à l’intégration politique est l’intégration sociale. A dire vrai, la plupart des problèmes résultant des migrations peuvent s’expliquer par des causes sociales et économiques.
170. L’intégration, par opposition à l’assimilation, est profitable à l’ensemble de la société. Cependant, le respect de la diversité multiculturelle doit être réciproque et fondé sur l’acceptation de certaines valeurs universelles. Il doit aussi s’accompagner de la volonté de devenir un membre à part entière d’une société, parlant la langue du pays et respectant ses principes.
171. La participation politique n’est que l’une des nombreuses dimensions de la participation active d’un individu à la société; elle revêt toutefois une importance considérable en raison de ses liens avec l’identité politique et l’expression de normes, de valeurs, etc. L’exclusion politique des immigrés est préjudiciable à la cohésion et à la justice sociales; elle compromet la qualité démocratique de la représentation et de la participation dans les sociétés d’accueil.
172. Dans ce contexte, les problèmes posés par la diversité liée à l’immigration, l’exclusion socio-économique et les perceptions de la xénophobie et de l’insécurité appellent des politiques qui tendent à promouvoir un développement économique qui permette à tout un chacun de mener une vie digne de ce nom, une démocratie participative qui n’exclut pas ceux qui ne sont pas nés dans le pays et une culture de pluralisme et de respect mutuel. C’est ainsi que les sociétés diversifiées peuvent être intégrées.
173. L’intégration des étrangers et des personnes issues de l’immigration, ainsi que leur participation au processus

Commission chargée du rapport: commission des questions politiques.

Renvoi en commission: Renvoi no 3413 du 21 janvier 2008.

Projets de résolution et de recommandation adoptés en commission le 15 mai 2008.

Membres de la commission: M. Göran Lindblad (Président), M. David Wilshire (Vice-Président), M. Björn von Sydow (Vice-Président), Mme Kristiina Ojuland (VicePrésidente) (remplaçant: M. Andres Herkel), Mme Fátima Aburto Baselga, M. Miloš Aligrudić, M. Claudio Azzolini, M. Alexandre Babakov, M. Denis Badré, M. Ryszard Bender (remplaçant: M. Karol Karski), M. Fabio Berardi, M. Radu Mircea Berceanu, M. Andris Bērzinš, M. Aleksandër Biberaj, Mme Gudfinna Bjarnadóttir, M. Giorgi Bokeria, M. Predrag Boškovic, M. Luc Van den Brande, M. Mevlüt Çavuoğlu, M. Lorenzo Cesa, Mme Elvira Cortajarena, Mme Anna Čurdová, M. Hendrick Daems, M. Dumitru Diacov, M. Michel Dreyfus-Schmidt, Mme Josette Durrieu, M. Frank Fahey, M. Joan Albert Farré Santuré, M. Pietro Fassino, M. PerKristian Foss, Mme Doris Frommelt, M. Jean-Charles Gardetto, M. Charles Goerens, M. Andreas Gross, M. Davit Harutyunyan, M. Joachim Hörster, Mme Sinikka Hurskainen, M. Tadeusz Iwiński, M. Bakir Izetbegović, M. Michael Aastrup Jensen (remplaçant: M. Mogens Jensen), Mme Birgen Kele, M. Victor Kolesnikov, M. Konstantin Kosachev, Mme Darja Lavtižar-Bebler, M. René van der Linden, M. Dariusz Lipiński, M. Younal Loutfi, M. Mikhail Margelov, M. Dick Marty (remplaçante: Mme Fiala), M. Frano Matušić, M. Mircea Mereută, M. Dragoljub Mićunović (remplaçant: M. Željko Ivanji), M. Jean-Claude Mignon, Mme Nadezhda Mikhailova, M. Aydin Mirzazada, M. Joāo Bosco Mota Amaral, Mme Miroslava Němcová, M. Zsolt Németh, M. Fritz Neugebauer, M. Hryhoriy Omelchenko, M. Theodoros Pangalos (remplaçant: M. Nicolaos Dendias), M. Aristotelis Pavlidis, M. Ivan Popescu, M. Christos Pourgourides, M. John Prescott, M. Gabino Puche, M. Jeffrey Pullicino Orlando, M. Andrea Rigoni, Lord Russell-Johnston, M. Oliver Sambevski, M. Ingo Schmitt, M. Samad Seyidov, M. Leonid Slutsky, M. Rainder Steenblock, M. Zoltán Szabó, M. Mehmet Tekelioğlu, M. Han Ten Broeke, Lord Tomlinson, M. Mihai Tudose, M. José Vera Jardim, Mme Birutė Vėsaitė, M. Wolfgang Wodarg, Mme Gisela Wurm, M. Boris Zala.

Ex officio: MM. Mátyás Eörsi, Tiny Kox.

N.B. Les noms des membres présents à la réunion sont indiqués en gras.

Voir 24e séance, 25 juin 2008 (adoption des projets de résolution et de recommandation amendés); et Résolution 1617 et Recommandation 1839.