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Rapport | Doc. 11724 | 01 octobre 2008

Les conséquences de la guerre entre la Géorgie et la Russie

Commission pour le respect des obligations et engagements des Etats membres du Conseil de l'Europe (Commission de suivi)

Corapporteur : M. Luc Van den BRANDE, Belgique, PPE/DC

Corapporteur : M. Mátyás EÖRSI, Hongrie, ADLE

Origine - Renvoi en commission: Ref. n° 3489 du 29 septembre 2008 2008 - Quatrième partie de session

Résumé

La commission de suivi condamne le déclenchement de la guerre entre la Géorgie et la Russie, deux Etats membres du Conseil de l’Europe, et déplore les souffrances humaines provoquées par cette guerre. Durant et au lendemain de la guerre, les principes du droit international, le Statut du Conseil de l’Europe et les engagements pris par les deux Etats lors de leur adhésion ont été bafoués.

Du point de vue de la commission, le déclenchement de la guerre, le 7 août 2008, a fait suite à une grave escalade des tensions, avec des provocations et une détérioration consécutive de la situation de la sécurité, qui avait commencé beaucoup plus tôt. La vérité est une condition préalable à la réconciliation. Les circonstances entourant le déclenchement de la guerre étant contestées à la fois par la Géorgie et par la Russie, elles devraient être établies de façon objective par une enquête internationale indépendante.

Le rapport condamne la reconnaissance par la Russie de l’indépendance de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie en tant que violation du droit international et des principes du Conseil de l’Europe. En outre, l’acte de reconnaissance et la signature consécutive par la Russie d’accords de partenariats et de coopération avec les autorités de facto à Tskhinvali et à Sukhumi ont entravé le déploiement effectif de l’aide humanitaire. La commission réaffirme son attachement à l’intégrité territoriale et à la souveraineté de la Géorgie et appelle la Russie à revenir sur sa décision de reconnaissance.

Les violations des droits de l’homme et du droit humanitaire commises par les deux parties dans le contexte de la guerre sont un sujet de préoccupation. La commission est particulièrement préoccupée par les allégations plausibles d’actes de nettoyage ethnique commis dans des villages géorgiens en Ossétie du Sud et dans la «zone tampon» par des milices irrégulières et des gangs que les troupes russes n’ont pas arrêtés.

L’instauration d’un dialogue est le meilleur moyen de résoudre tout conflit et de promouvoir la stabilité à long terme. Toutefois, le dialogue nécessite une volonté politique des deux parties et ne peut être poursuivi à l’écart d’actions concrètes. Certaines conditions essentielles au dialogue doivent être réunies et respectées. La mise en œuvre complète du plan de paix, comprenant le retrait des troupes russes sur les positions d’avant le conflit, est essentielle. De plus, le déploiement complet des observateurs de l’Union européenne et de l’OSCE en Ossétie du Sud et en Abkhazie et le retrait de la reconnaissance par la Russie de l’indépendance de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie constitueraient des conditions minimales d’un dialogue constructif.

A. Projet de résolution

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1. L’Assemblée parlementaire est fermement attachée aux principes énoncés dans le Statut du Conseil de l’Europe: la démocratie, les droits de l’homme et la prééminence du droit, ainsi qu’aux principes de souveraineté des Etats, du droit à l’intégrité territoriale et de l’inviolabilité des frontières des Etats. Le respect de ces principes est une obligation qui incombe à tous les Etats membres du Conseil de l’Europe.
2. Lors de leur adhésion au Conseil de l’Europe, la Géorgie et la Russie se sont engagées à régler les conflits par des moyens pacifiques et conformément aux principes du droit international.
3. L’Assemblée condamne le déclenchement d’une guerre entre deux Etats membres de l’Organisation et déplore les souffrances humaines qu’elle provoque.
4. L’Assemblée est consciente que, si la guerre a éclaté le 7 août 2008 de façon inattendue pour la plupart de ses membres, elle faisait suite à une grave escalade des tensions, avec des provocations et une détérioration consécutive de la situation de la sécurité, qui avait commencé beaucoup plus tôt. Aucune mesure visant à réduire les tensions n’a été prise et l’éventualité d’une intervention militaire s’est imposée pour les deux parties au conflit. Cela est inacceptable pour l’Assemblée. L’Assemblée considère que finalement, le plan de maintien de la paix s’est montré dans l’incapacité d’atteindre son objectif et que les forces de maintien de la paix n’ont pas rempli leur mission de protéger les vies et biens des personnes habitant dans la zone du conflit. Dès lors, elle déplore que les appels à des négociations concernant un changement des modalités du processus de maintien de la paix et du règlement du conflit aient été rejetés par l’Ossétie du Sud et la Russie.
5. Toutefois, le début des bombardements de Tskhinvali par les troupes géorgiennes, le 7 août 2008, a marqué une nouvelle escalade: il s’agissait désormais d’un véritable acte de guerre ouverte. L’usage d’armes lourdes et de bombes à sous-munitions comportant des risques graves pour les populations civiles, constituait une utilisation disproportionnée de la force par la Géorgie – bien que sur son propre territoire – et, en tant que telle, une violation du droit international et de l’engagement de la Géorgie à résoudre le conflit par des moyens pacifiques.
6. Dans le même temps, la contre-attaque de la Russie, comportant des actions militaires d’envergure dans le centre et l’ouest de la Géorgie et en Abkhazie, ne respectait pas non plus le principe de proportionnalité et le droit international humanitaire et constituait une violation des principes du Conseil de l’Europe ainsi que des obligations de la Fédération de Russie en tant qu’Etat membre et des engagements spécifiques pris lors de son adhésion. Elle a conduit à l’occupation d’une partie considérable du territoire géorgien ainsi que des attaques visant les infrastructures économiques et stratégiques du pays qui peuvent être considérées comme une atteinte directe à la souveraineté de la Géorgie et donc une violation du Statut du Conseil de l’Europe, ou une tentative de la part de la Russie d’étendre son influence sur un Etat «étranger proche» en violation de son engagement au moment de l’adhésion de dénoncer un tel concept.
7. A ce propos, l’Assemblée considère que, du point de vue du droit international, la notion de «protection des ressortissants à l’étranger» est inacceptable et s’inquiète des répercussions politiques d’une telle stratégie des autorités russes pour les autres Etats membres où un nombre important de ressortissants russes résident.
8. L’Assemblée est convaincue que la vérité est un préalable à la réconciliation. Les circonstances entourant le déclenchement de la guerre étant contestées à la fois par la Géorgie et par la Russie, elles doivent donc être établies de façon objective par une enquête internationale indépendante. Les autorités géorgiennes ont déclaré qu’elles accueilleraient avec satisfaction une telle enquête internationale et les parlementaires russes ont aussi indiqué qu’ils ne s’opposeraient pas à cette proposition. Cette enquête ne devrait pas se limiter au déclenchement de la guerre mais devrait également se concentrer sur les années ayant menées au conflit.
9. L’Assemblée condamne la reconnaissance par la Russie de l’indépendance de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie qu’elle considère comme une violation du droit international et des principes du Conseil de l’Europe. L’Assemblée réaffirme son attachement à l’intégrité territoriale et à la souveraineté de la Géorgie et appelle la Russie à revenir sur sa décision de reconnaître l’indépendance de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie et à respecter pleinement la souveraineté et l’intégrité territoriale de la Géorgie ainsi que l’inviolabilité de ses frontières.
10. L’Assemblée déplore tout particulièrement que la reconnaissance de l’indépendance ait été motivée par la demande unanime des deux chambres du Parlement de la Fédération de Russie, la Douma et le Conseil de la Fédération. Elle s’inquiète particulièrement de ce que la reconnaissance, suivie de la signature récente et consécutive par la Russie d’accords de partenariats et de coopération avec les autorités de facto à Tskhinvali et à Sukhumi, entrave la mise en œuvre du cessez-le-feu conclu sous les auspices de l’Union européenne ainsi que l’apport d’aide humanitaire et le suivi de la mise en œuvre de l’accord de cessez-le-feu par des observateurs indépendants.
11. L’Assemblée s’inquiète des violations des droits de l’homme et du droit humanitaire commises par les deux parties dans le contexte de la guerre, telles que les meurtres ou blessures intentionnels ou évitables de civils, ainsi que la destruction de biens. En particulier, le recours sans discrimination à la force et l’utilisation d’armes par les troupes géorgiennes et russes dans des zones civiles peuvent être considérés comme des crimes de guerre qui doivent faire l’objet d’une enquête exhaustive.
12. Il apparaît que la Russie a manqué à l’obligation qui lui incombe, en vertu de la Convention de La Haye de 1907 concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre, d’empêcher le pillage, de maintenir l’ordre et de protéger les biens dans les zones sous le contrôle de facto de ses forces. A ce sujet, l’Assemblée note que la Russie est totalement responsable des violations des droits de l’homme et du droit humanitaire dans les zones placées sous son contrôle de facto. A la lumière de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, cela concerne également les actes commis à la demande des autorités de facto de Tshkinvali.
13. L’Assemblée est particulièrement préoccupée par les allégations plausibles d’actes de nettoyage ethnique commis dans des villages géorgiens en Ossétie du Sud et dans la “zone tampon” par des milices irrégulières et des gangs que les troupes russes n’ont pas arrêtés. A ce sujet, elle insiste sur le fait que ces actes ont, pour la plupart, été commis après la signature de l’accord de cessez-le-feu le 12 août 2008 et se poursuivent aujourd’hui.
14. Le nombre total de morts et de blessés est sujet à controverse. D’après les dernières estimations indépendantes, 300 personnes auraient été tuées et environ 500 blessées du côté russe, contre 364 morts et 2.234 blessés du côté géorgien. Ces chiffres sont nettement inférieurs à ceux qui avaient été initialement avancés par la Russie notamment. Suite au conflit,14 personnes sont toujours portées disparues du côté géorgien et 6 du côté de l’Ossétie du Sud. Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) continue toutefois de recevoir des demandes de familles de disparus à la recherche de leurs proches.
15. Quelque 192.000 personnes ont été déplacées comme conséquence de la guerre. L’Assemblée s’inquiète du fait qu’un total de 31.000 personnes déplacées (25.000 originaires d’Ossétie du Sud et 6.000 d’Abkhazie) sont considérées comme étant «en permanence» dans l’impossibilité de retourner dans leur lieu de résidence d’origine. Ces chiffres doivent être analysés au regard des quelque 222.000 personnes qui restent déplacées depuis le conflit précédent au début des années 1990.
16. L’Assemblée se félicite du rôle joué par le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe qui s’est rendu dans la région en août et en septembre 2008, a organisé l’échange de prisonniers et identifié six principes pour protéger d’urgence les droits de l’homme et assurer la sécurité humanitaire. L’Assemblée soutient totalement ces principes.
17. L’Assemblée salue l’initiative de la présidence suédoise du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe qui a, entre autres décisions, convoqué une réunion informelle extraordinaire des ministres des Affaires étrangères le 24 septembre 2008 afin d’élaborer la réponse du secteur intergouvernemental de l’Organisation à la crise.
18. L’Assemblée se félicite également du fait que l’Union européenne (UE), sous la présidence française, ait pris une part active dès le début du conflit et rappelle ses appels précédents à cet effet dans sa Résolution 1603 sur le respect des obligations et engagements de la Géorgie, adoptée en janvier 2008. L’Assemblée invite en outre l’Union européenne à renforcer sa propre mission de contrôle sur le terrain et à lui donner un mandat et des ressources non seulement pour assurer la surveillance, mais aussi pour protéger les personnes et les biens.
19. L’Assemblée appelle les autorités russes à autoriser l’accès des observateurs de l’UE et de l’OSCE en Ossétie du Sud et en Abkhazie, qui se trouvent sous le contrôle de facto de la Fédération de Russie. En outre, les différences quant au rôle des observateurs de l’UE dans la zone dite «tampon» peuvent conduire à une nouvelle aggravation de la situation de la sécurité dans la région, empêchant le retour des personnes déplacées après le retrait des troupes russes.
20. L’Assemblée se félicite de la prompte réaction de la communauté internationale à fournir une aide à la région. Elle salue le fait que les autorités russes ont apporté un soutien généreux aux réfugiés d’Ossétie du Sud; les autorités géorgiennes ont, de même, mobilisé de nombreuses ressources pour répondre aux besoins immédiats des personnes déplacées à l’intérieur du territoire de la Géorgie sous leur contrôle effectif. Toutefois, l’Assemblée s’inquiète du fait que la reconnaissance par la Russie de l’indépendance de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie entrave le déploiement effectif de l’aide humanitaire dans ces zones.
21. Au vu des remarques ci-dessus et compte tenu notamment des conclusions de la commission ad hoc de son Bureau qui s’est rendue en Géorgie et en Russie dans le contexte de la guerre du 21 au 26 septembre 2008, l’Assemblée prie instamment la Géorgie et la Russie:
21.1. de mettre en œuvre de façon inconditionnelle tous les points de l’accord de cessez-le-feu conclu sous les auspices de l’UE. Cela implique notamment l’obligation pour la Russie de retirer ses troupes sur ses positions d’avant le conflit et de ne commettre aucun acte de provocation visant à justifier le maintien de la présence des troupes russes dans la zone dite «tampon»;
21.2. de permettre aux observateurs de l’OSCE et de l’UE de se déployer en Ossétie du Sud et en Abkhazie; de revenir sur sa décision de reconnaître l’indépendance de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie;
21.3. de coopérer pleinement à l’ouverture d’une enquête internationale indépendante destinée à examiner les circonstances précises entourant le déclenchement de la guerre; cette initiative ne doit nuire en aucun cas au travail des commissions d’enquêtes créées ou devant être créées au sein de leurs propres parlements, que l’Assemblée soutient totalement;
21.4. de participer de façon inconditionnelle aux pourparlers de Genève prévus pour le 15 octobre concernant les modalités de stabilité et de sécurité en Ossétie du Sud et en Abkhazie. A ce sujet, l’Assemblée déplore le fait que ces discussions n’auront maintenant lieu qu’au niveau des experts;
21.5. de s’abstenir de tout discours incendiaire et de prendre des mesures pour entretenir des relations de bon voisinage;
21.6. de veiller au respect effectif de tous les droits de l’homme en application de la Convention européenne des droits de l’homme et des normes humanitaires en application des Conventions de Genève de 1949 et de leurs protocoles additionnels sur les territoires sous leur contrôle de facto;
21.7. d’enquêter sur toutes les allégations de violations des droits de l’homme commises durant et après la guerre et traduire leurs auteurs devant les tribunaux internes pour qu’ils répondent de leurs actes;
21.8. d’utiliser pleinement les moyens disponibles de règlement pacifique des conflits, y compris selon le cas la Cour européenne des droits de l’homme, la Cour internationale de justice et la Cour pénale internationale, afin de résoudre la situation de conflit latente; dans ce contexte, mettre en œuvre les mesures provisoires ordonnées par la Cour européenne des droits de l’homme le 12 août 2008, à la demande du gouvernement géorgien, ainsi que tout jugement à venir de la Cour concernant des allégations de violations des droits de l’homme liées au conflit.
22. L’Assemblée appelle toutes les parties au conflit, à savoir la Géorgie, la Russie et les autorités de facto en Ossétie du Sud:
22.1. à prendre d’urgence des mesures pour assurer la sécurité de toutes les personnes dans la région d’Ossétie du Sud et dans la zone dite «tampon». Les autorités de facto en Ossétie du Sud et les forces russes ont notamment l’obligation:
22.1.1. de mettre un terme à l’état de non-droit (notamment les agressions physiques, vols, enlèvements, harcèlement, pillage et destruction volontaire par le feu de maisons), conformément à l’article 43 des Conventions de la Haye de 1907 et à la IVe Convention de Genève de 1949;
22.1.2. de fournir sans délai à l’UNHCR et à toutes les organisations humanitaires un accès sans entraves aux régions touchées par le conflit, notamment en Ossétie du Sud et dans la zone dite «tampon». La sécurité doit être garantie à toutes les organisations fournissant de l’aide humanitaire dans ces régions.
22.2. à retirer toutes les mines et munitions non explosées. Cela suppose que toutes les parties au conflit échangent des informations sur l’utilisation et l’emplacement de ces équipements, et aussi la participation d’experts en localisation et retrait de mines et de munitions;
22.3. à coopérer pleinement avec toutes les missions internationales de suivi, qu’elles émanent des Nations Unies, de l’OSCE, l’UE, le Conseil de l’Europe ou toute autre institution internationale, et à autoriser l’accès sans entraves de ces organisations aux régions de conflit;
22.4. veiller à ce que toutes les personnes déplacées par le conflit aient droit au retour volontaire et à ne pas utiliser les personnes déplacées comme des pions sur l’échiquier politique lorsque l’on aborde la question du retour. En outre, toutes les personnes déplacées à l’intérieur de leur pays doivent avoir le droit de retourner dans leur foyer dans des conditions de sécurité et de dignité, se réinstaller de leur plein gré ou se réintégrer localement;
22.5. à procéder immédiatement à la libération et à l’échange des prisonniers de guerre et autres personnes détenues à la suite du conflit, sans exigence de réciprocité de la part d’aucune des parties;
22.6. à régler la question des personnes disparues du récent conflit et du conflit précédent, en veillant à ce qu’elle soit traitée comme un problème humanitaire et non comme une question politique. En outre, mettre en place un mécanisme de coordination multilatéral avec les commissions chargées de la question des personnes disparues;
22.7. à prendre des mesures concrètes pour mettre en œuvre pleinement et efficacement les six principes du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe visant à protéger d’urgence les droits de l’homme et assurer la sécurité humanitaire, élaborés à la suite de sa visite dans la région en août 2008.
23. L’Assemblée appelle tous les Etats membres et les Etats ayant le statut d’observateur auprès de l’Organisation:
23.1. à intensifier leurs efforts pour fournir une aide humanitaire aux victimes du conflit, et notamment:
23.1.1. distribuer et acheminer de l’aide et une assistance pour les besoins immédiats et urgents et pour ceux à plus long terme;
23.1.2. fournir une assistance couvrant les besoins fondamentaux, le logement, les soins de santé, y compris les soins aux victimes de traumatismes, un soutien pour assurer des moyens de subsistance aux victimes, etc.;
23.1.3. un soutien spécifique aux personnes vulnérables telles que les enfants, les personnes âgées et les malades et infirmes.
23.2. à maintenir sous les feux des projecteurs les besoins des 222.000 personnes qui restent déplacées depuis le précédent conflit sur l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud ainsi que les personnes déplacées depuis les conflits précédents dans le Caucase du Nord;
23.3. à condamner formellement le nettoyage ethnique qui a lieu dans les zones sous contrôle effectif des forces russes et des autorités de facto en Ossétie du Sud;
23.4. à faire en sorte, dans la mesure où ils sont également membres de l’OTAN, que l’évaluation par l’OTAN de la constitution de l’arsenal militaire relatif à cette guerre soit rendue publique;
23.5. à mettre à la disposition des organismes internationaux indépendants qui enquêtent sur les circonstances entourant le déclenchement de la guerre toutes les données satellitaires pertinentes qui peuvent être en leur possession.
24. En raison des violations des droits de l’homme et des défis humanitaires résultant du conflit entre la Russie et la Géorgie, l’Assemblée invite son Bureau à veiller à ce que l’Assemblée reste saisie de l’affaire par l’intermédiaire de ses commissions compétentes et renforce sa procédure de suivi à l’égard des deux pays.
25. L’Assemblée décide d’organiser une conférence internationale pour réfléchir à la création de systèmes d’alerte et au renforcement de ceux d’ores et déjà existants pour prévenir la détérioration de conflits en guerres ouvertes.
26. L’Assemblée invite le Secrétaire général du Conseil de l’Europe à faire en sorte, éventuellement après consultation avec le Commissaire aux droits de l’homme, qu’une mission spéciale du Conseil de l’Europe en matière de droits de l’homme soit mise en place sur le terrain disposant d’un accès sans entraves à toutes les zones touchées par la guerre.
27. L’Assemblée invite la Banque de développement du Conseil de l’Europe à envisager des actions visant à apporter une assistance aux réfugiés et aux personnes déplacées et contribuer à la reconstruction dans les zones affectées par la guerre, dont l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie.
28. L’Assemblée est convaincue que l’instauration d’un dialogue est le meilleur moyen de résoudre tout conflit et de promouvoir la stabilité à long terme. Cela est vrai pour ce conflit en particulier. Toutefois, le dialogue nécessite une volonté politique des deux parties et ne peut être poursuivi à l’écart d’actions concrètes. C’est pourquoi certaines conditions essentielles au dialogue doivent être réunies et respectées. La mise en œuvre complète du plan de paix, comprenant le retrait des troupes russes sur les positions d’avant le conflit, est essentiel. De plus, le déploiement complet des observateurs de l’UE et de l’OSCE en Ossétie du Sud et en Abkhazie et le retrait de la reconnaissance par la Russie de l’indépendance de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie, constitueraient des conditions minimales d’un dialogue constructif.
29. Afin de promouvoir un tel dialogue, l’Assemblée envisagera la mise en place sous ses auspices d’une commission ad hoc de l’APCE, à laquelle des parlementaires à la fois russes et géorgiens participeraient, pour servir de forum pour débattre de leurs différences et proposer des solutions visant à sortir de l’impasse dans laquelle les parties se trouvent actuellement et se tourner vers l’avenir.

B. Projet de recommandation

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1. L’Assemblée parlementaire fait référence à sa Résolution…. sur les conséquences de la guerre entre la Géorgie et la Russie dans laquelle elle saluait entre autres décisions l’initiative de la présidence suédoise du Comité des Ministres de convoquer une réunion informelle extraordinaire des ministres des Affaires étrangères le 24 septembre 2008 afin d’élaborer la réponse du secteur intergouvernemental de l’Organisation à la guerre entre la Géorgie et la Russie.
2. L’Assemblée rappelle à cet effet la Déclaration de 1994 du Comité des Ministres sur le respect des engagements acceptés par les Etats membres du Conseil de l’Europe qui fait état de la responsabilité qui lui incombe de veiller au respect total des engagements dans tous les Etats membres, sans préjudice des autres procédures existantes, y compris les activités de l’Assemblée parlementaire et les organes de contrôle conventionnels.
3. L’Assemblée recommande dès lors au Comité des Ministres:
3.1. d’élaborer un plan d’action et de prendre des mesures concrètes en réponse à la crise entre deux Etats membres de l‘Organisation et, en conséquence, au sein de l’Organisation elle-même, en tenant compte du mandat et de l’expertise de l’Organisation;
3.2. d’envisager des actions spécifiques afin de garantir le respect total des engagements pris tant par la Géorgie que par la Russie, y compris une présence renforcée sur le terrain et une mission en matière de droits de l’homme sur place.

C. Exposé des motifs par M. Van den Brande et M. Eörsi, corapporteurs

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1. Introduction

1. Dès le déclenchement de la guerre entre la Russie et la Géorgie les 7 et 8 août 2008, conscient de ce qu’une guerre entre deux Etats membres représente un défi sans précédent pour les principes et valeurs du Conseil de l’Europe, le président de l’Assemblée a demandé aux corapporteurs pour la Russie et la Géorgie de la commission de suivi de visiter les pays dont ils sont responsables. MM. Mátyás Eörsi et Kastriot Islami, corapporteurs pour la Géorgie, se sont rendus à Tbilissi et Gori du 18 au 21 août, et M. Luc van den Brande, l’un des corapporteurs pour la Russie, s’est rendu à Moscou et Vladikavkaz du 20 au 22 août.
2. Lors de sa réunion du 5 septembre 2008, le Bureau de l’Assemblée a décidé, sur la base d’une proposition unanime soumise au nom de leurs groupes par les cinq présidents des groupes politiques de l’Assemblée, de recommander la tenue d’un débat d’urgence sur «Les conséquences de la guerre entre la Géorgie et la Russie» pendant la quatrième partie de la session de 2008. Il a proposé de saisir de cette question la commission de suivi, pour rapport, ainsi que la commission des questions politiques, la commission des questions juridiques et des droits de l’homme et la commission des migrations, des réfugiés et de la population, pour avis.
3. Toujours lors de cette réunion, en vue d’arriver à une meilleure compréhension des faits concernant l’ordre exact des événements des 7 et 8 août, des circonstances y ayant donné lieu, et de la situation politique au lendemain des hostilités, le Bureau de l’Assemblée a décidé de mettre en place une commission ad hoc chargée d’étudier la situation sur le terrain en Russie et en Géorgie du 21 au 26 septembre 2008. La commission ad hoc était composée de moi-même et M. Theodoros Pangalos (Grèce, SOC), corapporteurs de la commission de suivi pour la Russie, et de MM. Mátyás Eörsi (Hongrie, ADLE) et Kastriot Islami (Albanie, SOC), corapporteurs de la commission de suivi pour la Géorgie, M. Göran Lindblad (Suède, PPE/DC), président de la commission des questions politiques, Mme Corien Jonker (Pays-Bas, PPE/DC), présidente de la commission des migrations, des réfugiés et de la population, M. Andreas Gross (Suisse), président du Groupe socialiste, M. Tiny Kox (Pays-Bas), président du Groupe pour la gauche unitaire européenne, et M. David Wilshire (Royaume-Uni), premier vice-président du Groupe démocrate européen.
4. La délégation s’est rendue en Fédération de Russie du 21 au 23 septembre 2008 puis en Géorgie du 24 au 26 septembre 2008. Durant sa visite dans les deux pays, la délégation a rencontré des représentants de haut niveau des autorités étatiques, des représentants d’organisations internationales, ainsi que des représentants de la société civile et de la communauté diplomatique. Lors de la visite en Géorgie, la délégation s’est en outre rendue dans la zone dite «tampon» et en Ossétie du Sud. Les constatations de la délégation font partie intégrante du présent rapport.
5. D'autres représentants du Conseil de l'Europe ont également réagi immédiatement au conflit. Le Président du Comité des Ministres Carl Bildt, ministre suédois des Affaires étrangères, accompagné du Secrétaire Général du Conseil de l'Europe, M. Terry Davis, a visité la zone du conflit, du 11 au 13 août 2008. De plus, le Président suédois a convoqué une réunion informelle des ministres des Affaires étrangères à New York le 24 septembre 2008. Le Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, M. Thomas Hammarberg a visité la zone du conflit du 22 au 29 août, puis du 25 au 28 septembre 2008, et a joué un rôle majeur dans la résolution des problèmes humanitaires et des droits de l'homme causés par le conflit. Il convient de saluer le rôle actif de la Présidence suédoise et du Commissaire aux droits de l'homme. Le Congrès des Pouvoirs locaux et régionaux s'est également rendu dans la région.

2. Contexte

6. Le conflit au sujet de l’Ossétie du Sud a commencé en 1991, à la suite de la déclaration d’indépendance de la Géorgie qui a débouché sur la suppression du statut d’autonomie de l’Ossétie du Sud par le Gouvernement géorgien alors en place, lorsque de violents affrontements ont opposé les troupes géorgiennes aux milices séparatistes sud-ossètes. Afin d’éviter une confrontation majeure avec la Russie, la Géorgie a accepté, en 1992, un accord de cessez-le-feu (dit «Accord de Sochi») qui laissait une partie de l’Ossétie du Sud sous le contrôle de facto des forces séparatistes. Une force de maintien de la paix composée de troupes russes, géorgiennes et (nord- et sud-) ossètes a été créée dans le cadre de cet accord. En 1992, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) a mis en place une mission de suivi de l’opération de maintien de la paix. Sous les auspices de l’OSCE, une commission mixte de contrôle a en outre été mise en place avec la participation de la Géorgie, de l’Ossétie du Sud, de l’Ossétie du Nord et de la Russie. Cette enceinte constituait le principal mécanisme de négociation visant à préserver la paix.
7. L’escalade du conflit et sa transformation en une véritable guerre ouverte entre la Géorgie et la Russie ont été totalement inattendus. On assistait toutefois depuis quelque temps à un grave regain de tension qui a précédé le déclenchement des hostilités armées entre les deux pays. A l’évidence, la guerre entre la Russie et la Géorgie n’a pas débuté le 7 août 2008.
8. Il sera difficile de déterminer avec exactitude à partir de quel moment les tensions ont commencé à s’aggraver à tel point que les deux parties au conflit ont choisi l’option militaire. On peut cependant retenir comme date charnière le 6 mars 2008 puisque ce jour-là, la Russie s’est retirée unilatéralement du traité imposant des sanctions économiques contre l’Abkhazie qui avait été conclu par la Communauté des Etats indépendants (CEI) en 1996.
9. Cela a été suivi, le 21 mars 2008, par la résolution de la Douma d’Etat demandant aux autorités russes de reconnaître l’indépendance de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie. Cet appel a été rejeté à l'époque par les autorités russes. Le 16 avril 2008, Vladimir Poutine, le Président russe alors en exercice, a cependant promulgué un décret donnant pour instruction aux autorités russes d’établir des liens directs, officiels et légaux avec les autorités de facto dans les régions sécessionnistes d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud. La Géorgie a dénoncé ce décret en faisant valoir qu’il s’agissait en fait d’une tentative d’annexion du territoire géorgien. Ce décret a aussi suscité de vives critiques de la part de la communauté internationale.
10. A ce jour, il est difficile de savoir exactement pourquoi la Russie a pris ces décisions qui ont sans nul doute aggravé les tensions entre les deux pays. La reconnaissance unilatérale du Kosovo par plusieurs pays occidentaux, de même que la perspective d’un Plan d’action pour l’adhésion à l’OTAN de la Géorgie, semble avoir eu une influence non négligeable à cet égard.
11. Les initiatives précitées de la Fédération de Russie ont non seulement accru les tensions, mais encore détérioré les relations bilatérales entre la Géorgie et la Russie. De surcroît, la délivrance massive de passeports russes aux habitants des deux régions sécessionnistes a incontestablement encouragé les dirigeants séparatistes de ces régions à faire monter d’un cran la confrontation et à rejeter une solution négociée au conflit. En conséquence, la situation s’est considérablement dégradée sur le plan de la sécurité dans les deux régions. De plus, ces actions ont entraîné un durcissement des échanges verbaux qui ne pouvait qu'aggraver la tension déjà palpable des relations entre les deux pays.
12. Une nouvelle détérioration de la situation en matière de sécurité a fait suite à la décision des autorités russes d’envoyer, tout en restant dans les limites du plafond autorisé par les accords de 1994 de la CEI, un nouveau contingent de forces de «maintien de la paix» en Abkhazie en mai 2008. Elle a notamment envoyé des parachutistes et de l’artillerie lourde. De plus, le 31 mai 2008, le ministre russe de la Défense a annoncé qu’il envoyait en Abkhazie 300 membres non armés des troupes du génie pour les chemins de fer avec pour mission de réparer la ligne Soukhoumi-Ochamchire. Ces deux initiatives ont donné lieu à de vives protestations de la part des autorités géorgiennes et ont aussi été vigoureusement condamnées par la communauté internationale.
13. Pendant ce temps, en Ossétie du Sud, la situation ne cessait de se détériorer sur le plan de la sécurité. Provocations et incidents violents se sont succédé des deux côtés, dont des fusillades de tireurs isolés, des attentats à l’explosif et des attaques à l’artillerie et aux armes légères dirigées contre des villages géorgiens et sud-ossètes. Il est clair que le dispositif de maintien de la paix mis en place par les accords de Sochi ne fonctionnait plus et que les effectifs déployés à cette fin ne remplissaient pas le rôle qui leur incombait, à savoir protéger les populations civiles et maintenir l’ordre dans leur secteur. En outre, cet immobilisme des forces de paix ainsi que les initiatives des autorités russes évoquées plus haut semblent confirmer les affirmations selon lesquelles la Russie était devenue partie au conflit et ne pouvait plus être considérée comme un médiateur neutre, ni conserver ce rôle. Russes et Sud-Ossètes sont ainsi restés sourds aux appels répétés des autorités géorgiennes demandant une modification du dispositif de maintien de la paix.
14. Conscient de ce que la situation devenait incontrôlable, le Gouvernement allemand a proposé un plan de paix pour l’Abkhazie. Les pourparlers ont échoué lorsque les autorités de facto en Abkhazie ont refusé de participer aux négociations prévues à Berlin en juillet 2008. En outre, les propositions visant à organiser, sous l’égide de l’Union européenne et de l’OSCE, des pourparlers de paix entre la Géorgie et les dirigeants de facto d’Ossétie du Sud ont capoté en juillet 2008 à la suite du refus des dirigeants de facto d’Ossétie du Sud.
15. Début août, la situation sécuritaire s’est considérablement dégradée. Elle a commencé à devenir incontrôlable lorsque le 1er août, cinq policiers géorgiens ont été blessés dans l’explosion de voitures piégées en Ossétie du Sud. Le même jour, plusieurs personnes ont été tuées lors d’affrontements à Tskhinvali et dans des villages ethniques géorgiens. Entre les 3 et 5 août, les autorités de facto d’Ossétie du Sud ont entrepris d’évacuer la population civile de Tskhinvali et des environs. Le 7 août, les dirigeants des populations ethniques géorgiennes des villages d’Ossétie du Sud leur ont recommandé de quitter le secteur.
16. L’ordre exact des événements ainsi que les circonstances qui y ont donné lieu font l’objet d’une grande controverse entre la Russie et la Géorgie, qui expriment des vues diamétralement opposées.
17. Selon les autorités russes, la tension et les flambées de violence – ponctuées d’échanges de tirs d’armes et d’artillerie légères – qui ont opposé la Géorgie et l’Ossétie du Sud se sont progressivement intensifiées au cours de l’été, principalement, mais pas exclusivement, en raison des provocations de la Géorgie et malgré tous les efforts déployés par les forces russes de maintien de la paix en vue de calmer les esprits et de ramener les deux parties à la table des négociations. Vers 22 h 38, le 7 août, les autorités géorgiennes auraient ensuite lancé – sans avoir préalablement subi de provocation – une attaque militaire de grande envergure, manifestement préméditée selon l'avis des instances russes, contre Tskhinvali et des villages ossètes situés dans la zone de sécurité. L’artillerie lourde et des batteries de roquettes auraient bombardé Tskhinvali «massivement et aveuglément». Lorsqu’elles n’ont plus eu aucun doute sur les informations faisant état de nombreux morts et blessés parmi la population civile et d’attaques lancées contre des soldats russes chargés du maintien de la paix, les autorités russes ont lancé une contre-offensive et envoyé des troupes en Géorgie par le tunnel de Roki.
18. Selon les autorités géorgiennes, les tensions se seraient progressivement intensifiées en Ossétie du Sud depuis plusieurs mois en raison de provocations et d’attaques lancées contre des villages géorgiens par les séparatistes sud-ossètes. Les forces russes de maintien de la paix ne seraient pas intervenues pour empêcher ces attaques. Avec leur approbation tacite, l’Ossétie du Sud aurait toujours opposé un refus aux tentatives répétées de la Géorgie de mettre un terme aux hostilités par des moyens pacifiques. Les 6 et 7 août, l’escalade des violences a pris des proportions sans précédent, au risque de déstabiliser le pays. Dans la nuit du 7 au 8 août, les autorités géorgiennes auraient reçu plusieurs rapports des services de renseignement selon lesquels des troupes militaires russes étaient en train de traverser le tunnel de Roki et de prendre position en Ossétie du Sud, en déployant notamment des tanks et de l’artillerie lourde. Une contre-attaque a alors été lancée en légitime défense en réaction à cette invasion du territoire géorgien par la Russie.
19. Les autorités russes nient catégoriquement que des troupes russes aient traversé le tunnel de Roki avant l’attaque de Tskhinvali par la Géorgie. Elles soulignent que les informations des services de renseignement rendues publiques par les autorités géorgiennes sont largement considérées au mieux comme peu convaincantes, puisqu’elles n’ont fait l’objet d’aucune vérification indépendante. Malheureusement, ni la Russie ni les Etats-Unis, qui possèdent pourtant un puissant système de satellites de renseignements, ne disposeraient d’images satellite qui pourraient contribuer à confirmer ou infirmer les déclarations de la Géorgie selon lesquelles des troupes russes auraient franchi le tunnel de Roki avant l’attaque de Tskhinvali.
20. Les autorités russes ont rendu publics des plans militaires géorgiens dont elles affirment s’être emparé, concernant l’invasion de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie. Selon la Russie, ces documents constituent la preuve que l’attaque lancée contre l’Ossétie du Sud était planifiée et préparée depuis longtemps. La Géorgie nie catégoriquement avoir préparé et planifié à l’avance une telle invasion. Il faut tenir compte du fait que dans la plupart (voire la totalité) des pays, les forces militaires ont des plans en vue de toute hypothétique situation militaire susceptible de se produire. Par conséquent, même si ces plans étaient authentiques, leur existence ne constituerait pas en soi une preuve attestant du caractère prémédité et planifié de l’attaque de Tskhinvali. En outre, des membres de la communauté internationale en Géorgie ont fait valoir que le niveau de désorganisation de l’action militaire de la Géorgie en Ossétie du Sud, de même que la retraite chaotique de ses troupes, tend à démentir l’idée que cette attaque avait été préparée longtemps à l’avance. L’OTAN a procédé à une évaluation de la conduite des hostilités qui pourrait apporter un éclairage sur la question de la préparation. Il est regrettable que ces informations demeurent classées secrètes.
21. Au vu de la complexité de la situation, de ces vues diamétralement opposées, étant donné que la Géorgie et la Russie contestent chacune la version de l’autre et rejettent toute responsabilité, il est clair que seule une enquête internationale indépendante permettra d’établir avec précision l’ordre exact des événements des 7 et 8 août ainsi que les circonstances ayant conduit au déclenchement des hostilités armées entre la Géorgie et la Russie. Il est essentiel que ces faits soient établis. La vérité est une condition préalable à toute amorce de réconciliation entre ces deux Etats membres du Conseil de l’Europe.
22. Comme mentionné précédemment, la guerre n’a toutefois pas débuté le 7 août. Il est tout aussi clair que, quels que soient les facteurs qui l’ont provoquée, le bombardement de Tskhinvali par les troupes géorgiennes, avec l’artillerie lourde et des batteries de lance-roquettes, a marqué le début de la guerre ouverte entre la Géorgie et la Fédération de Russie.
23. Après le début du bombardement de Tskhinvali, la Russie a riposté par une contre-attaque offensive. Après plusieurs jours de combats acharnés, les forces russes ont non seulement contraint les militaires géorgiens à se retirer de l’Ossétie du Sud, mais également occupé une grande portion du territoire géorgien à l’ouest et au sud de la zone du conflit. Elles ont ensuite aussi commencé à viser des cibles stratégiques, économiques et civiles, au cœur même de la Géorgie, notamment des voies ferrées, des ponts et le port de Poti, qui est situé à une distance considérable de la zone de conflit.
24. Lorsque la guerre a éclaté en Ossétie du Sud, les forces séparatistes abkhazes ont commencé, le 8 août 2008, à attaquer les troupes géorgiennes dans les gorges de Kodori. Bénéficiant semble-t-il de l’aide des forces militaires russes, elles ont repoussé les troupes militaires géorgiennes en dehors des zones de l’Abkhazie contrôlées par la Géorgie.
25. L’incursion russe en Géorgie n’a été interrompue que lorsque les Présidents Medvedev et Saakashvili ont signé, le 12 août 2008, l’accord de cessez-le-feu négocié par le Président français, M. Sarkozy, au nom de l’Union européenne.
26. Indépendamment des circonstances qui ont conduit à cette guerre, et sans considération du caractère justifié ou non de l’assaut militaire de la Géorgie contre Tskhinvali, la riposte militaire russe est allée bien au-delà de ce qui était nécessaire pour rétablir la paix et protéger les civils. Cette réaction militaire disproportionnée ainsi que la destruction injustifiée des infrastructures économiques et stratégiques de la Géorgie et les appels répétés à un changement de régime constituent soit une atteinte directe à la souveraineté de la Géorgie, soit une indication de la volonté de la Russie de rétablir une influence directe et décisive sur la Géorgie, restaurant ainsi ses ambitions sur son «voisinage immédiat», en violation de ses engagements consécutifs à l’adhésion au Conseil de l’Europe.

3. L’accord de cessez-le-feu et le lendemain de la guerre

27. Dans l’accord de cessez-le-feu négocié par le Président Sarkozy, la Géorgie et la Russie ont convenu:
  • de ne pas recourir à la force;
  • de mettre définitivement fin aux hostilités;
  • de permettre le libre acheminement de l’assistance humanitaire;
  • du retour des forces géorgiennes à leurs positions habituelles;
  • du retrait des troupes russes derrière les lignes antérieures au déclenchement des hostilités. Dans l’attente d’un mécanisme international, les forces russes de maintien de la paix mettront en œuvre des mesures additionnelles de sécurité;
  • de l’ouverture de discussions internationales sur les modalités de sécurité et de stabilité en Abkhazie et en Ossétie du Sud.
28. Selon l’accord de cessez-le-feu, les Russes devaient procéder sans délai à un retrait de leurs forces sur les positions antérieures au début du conflit. Cependant, en dépit des assurances en sens contraire du Président russe, M. Medvedev, le retrait des troupes russes n’a pas commencé immédiatement après la signature de l’accord de cessez-le-feu. Lorsque les corapporteurs de l’Assemblée pour la Russie et la Géorgie se sont rendus à Moscou et Tbilissi respectivement, le retrait des troupes russes n’avait pas encore commencé. De fait, la destruction des infrastructures économiques et stratégiques de la Géorgie se poursuivait sans discontinuer.
29. La définition des mesures additionnelles de sécurité devant être mises en œuvre par les forces russes de maintien de la paix, telles que mentionnées au point 5 de l’accord de cessez-le-feu, a donné lieu à des interprétations contradictoires de la part des autorités russes, d’un côté, et des autorités géorgiennes et de la communauté internationale, de l’autre. Les autorités russes en ont retenu une interprétation extensive, qui leur permettrait de maintenir un large éventail de points de contrôle en dehors de la zone du conflit et à l’intérieur même de la Géorgie. En conséquence, les troupes russes ont assumé le contrôle de facto des principaux axes est-ouest et nord-sud de transport, une initiative jugée inacceptable car cela porte significativement atteinte à la souveraineté de la Géorgie. En réaction, le Président français, M. Sarkozy, a adressé en date du 16 août 2008 une lettre aux Présidents Saakashvili et Medvedev aux fins de définir précisément les «mesures additionnelles de sécurité» convenues lors des pourparlers de cessez-le-feu. Dans cette lettre, le Président Sarkozy a indiqué clairement que ces mesures ne pourraient être mises en œuvre qu’à l’intérieur d’une zone d’une profondeur de quelques kilomètres depuis la limite administrative entre l’Ossétie du Sud et le reste de la Géorgie, à l’exclusion de toute autre partie du territoire géorgien; qu’elles auront un caractère provisoire; qu’elles prendront la forme de patrouilles effectuées par les seules forces de maintien de la paix autorisées par l’accord de Sochi de 1992; et qu’elles ne sauraient concerner aucun centre urbain significatif ou grand axe de transport.
30. Le 25 août, l’Assemblée fédérale russe (la Douma d’Etat et le Conseil de la Fédération) a voté à l’unanimité une résolution appelant le Président Medvedev à reconnaître l’indépendance de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie. Le 26 août, le Président Medvedev a promulgué un décret par lequel la Fédération de Russie reconnaissait l’indépendance des républiques autoproclamées d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud. Cette reconnaissance a été largement condamnée par la communauté internationale, étant donné que cela bafoue le principe de l’intégrité territoriale de la Géorgie, est contraire au droit international, aux obligations de la Fédération de Russie en tant que membre du Conseil de l’Europe, et contrevient à l’accord de cessez-le-feu signé par le Président Medvedev.
31. Etant donné le retard pris dans l’application du cessez-le-feu, le Président Sarkozy s’est rendu à Moscou le 8 septembre accompagné de M. José Manuel Barroso, président de la Commission européenne, de M. Javier Solana, haut représentant de l’UE pour la politique étrangère et de sécurité commune, et M. Bernard Kouchner, ministre français des Affaires étrangères et européennes, pour demander instamment aux autorités russes de le mettre en œuvre sans réserve. Lors de cette réunion, il a été décidé que la Russie retirerait ses troupes des zones adjacentes à l’Abkhazie et à l’Ossétie du Sud dans les dix jours qui suivraient le déploiement de la mission d’observation de l’UE le 1er octobre 2008, qu’elle autoriserait les observateurs européens à rester en Abkhazie et qu’elle permettrait aux observateurs de l’OSCE d’accéder à toutes les zones, y compris en Ossétie du Sud, en conformité avec les schémas de déploiement antérieurs. Enfin, la Russie a accepté d’engager des discussions sur le point 6 de l’accord de cessez-le-feu, le 15 octobre 2008.
32. La reconnaissance unilatérale de l’indépendance de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie par la Fédération de Russie a une incidence directe sur l’application de l’accord de cessez-le-feu. Les autorités russes ont fait savoir catégoriquement que la présence des troupes russes dans ces régions n’était plus gouvernée par l’accord de cessez-le-feu mais par des accords bilatéraux entre la Russie, l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie. Le 18 septembre, la Russie a signé des accords d’amitié et de coopération avec l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud qui permettent, entre autres, l’établissement de bases militaires russes dans ces deux régions. Les autorités russes ont indiqué qu’elles avaient l’intention de poster jusqu’à 4 000 hommes dans chacune des régions, en violation manifeste de l’accord de cessez-le-feu.
33. La reconnaissance par la Russie de l’indépendance de ces deux régions complique aussi l'apport de l’aide humanitaire ainsi que le suivi de l’application de l’accord de cessez-le-feu par des observateurs indépendants. Les organisations humanitaires se voient refuser l’entrée en Ossétie du Sud via la Géorgie. Quant aux observateurs de l’Union européenne et de l’OSCE, ils ne peuvent pas du tout entrer en Ossétie du Sud et en Abkhazie. Malgré l’accord du 8 septembre, les discussions concernant l’aire de déploiement des observateurs de l’OSCE n’ont pas abouti, l’écueil majeur étant l’accès à l’Ossétie du Sud. Les autorités russes ont bien fait comprendre que les observateurs de l’UE ne seront pas autorisés à entrer en Ossétie du Sud et en Abkhazie, en dépit de l’insistance de l’UE, qui considère que leur mandat couvre l’ensemble de la Géorgie, y compris les régions séparatistes.
34. Il faut noter que la reconnaissance unilatérale de l'indépendance a renforcé le contrôle des autorités de facto de Tskhinvali sur le district Akhalgori en Ossétie du Sud, qui n'était pas concerné par l'accord de Sochi et était donc sous l'autorité pleine et reconnue du Gouvernement géorgien avant la guerre.
35. L'avis de la commission des migrations, des réfugiés et de la population inclut l'examen détaillé des conséquences humanitaires de la guerre. Toutefois, durant les premières phases du conflit, de 35 000 à 40 000 réfugiés sud-ossètes ont été recensés en Ossétie du Nord. Les autorités russes ont géré cet afflux de réfugiés de manière très efficace, évitant ainsi une crise humanitaire en Ossétie du Nord. La plupart de ces personnes ont maintenant regagné leur lieu de résidence. D’après les estimations, quelque 2 000 personnes demeureraient en Ossétie du Nord dans leurs familles.
36. Une certaine confusion règne concernant le nombre exact de personnes déplacées en Géorgie en raison de cette guerre. Selon différentes sources, le conflit aurait dans un premier temps provoqué le déplacement de plus de 140 000 personnes en Géorgie, dont 60 000 sont toujours déplacées. Environ 29 000 personnes devraient pouvoir rentrer chez elles lorsque les troupes russes se seront retirées de la zone dite «tampon» 
			(1) 
			Secteur
de la Géorgie actuellement sous contrôle des troupes russes, jusqu’au
déploiement des observateurs de l’UE. et que la sécurité de la population sera de nouveau assurée. On considère en revanche que 31 000 personnes (dont 25 000 originaires d’Ossétie du Sud et 6 000 d’Abkhazie) seront dans l’impossibilité de regagner leur lieu de résidence d’origine, et ce «à titre permanent». Il s’agit essentiellement de populations ethniques géorgiennes provenant des zones placées sous le contrôle de facto de Tskhinvali et Soukhoumi. Ces chiffres sont à replacer dans le contexte. Il faut savoir qu’il y a déjà 222 000 personnes déplacées originaires de la région à la suite du conflit de 1992.
37. La situation humanitaire est encore compliquée par l’incertitude concernant la «zone tampon». Malgré la nécessité urgente de combler l’actuel vide sécuritaire, il semble y avoir des points de vue contradictoires concernant le rôle des observateurs de l’Union européenne et des forces de police géorgiennes. Alors que l’Union européenne envoie des observateurs strictement civils chargés de surveiller la situation sur le plan de la sécurité et considère qu’il incombe aux forces de l’ordre géorgiennes de garantir la sécurité de la population dans la région, les autorités russes semblent penser que la protection civile doit aussi relever de la responsabilité des observateurs de l’Union européenne et sont réticentes quant à l’idée d’une présence policière géorgienne armée dans ce secteur. Il importe de résoudre ce point de toute urgence afin d’éviter une nouvelle détérioration de la sécurité dans la région.
38. Le nombre de morts à la suite du conflit est sujet à controverse, mais toutes les parties en présence s’accordent à dire que les chiffres initialement avancés étaient exagérément élevés. Des sources indépendantes situent le total des morts autour de 664. Cependant, on ne saurait trop insister sur le fait que même une seule victime est une victime de trop.
39. Les pillages, les agressions et les destructions de biens se sont généralisés sur une grande échelle dans les villages géorgiens d’Ossétie du Sud et de la «zone tampon», principalement après la signature de l’accord de cessez-le-feu. Selon des témoins, ces violences ont été commises par des milices et des troupes irrégulières sud-ossètes, mais aussi par des «volontaires» venus du Caucase du Nord. D’après les informations recueillies, les troupes russes ne seraient pas impliquées et n’auraient pas participé au pillage et à la destruction par le feu. Elles n’auraient cependant rien fait pour empêcher les violences et auraient souvent fermé les yeux. Ces récits ont été confirmés par des informations indépendantes émanant d’organisations russes de défense des droits de l’homme qui étaient présentes en Ossétie du Sud pendant et après le déclenchement des hostilités. Le pillage généralisé et les destructions de biens ont aussi été confirmés par la délégation de l’Assemblée qui a visité plusieurs villages en Ossétie du Sud et dans la «zone tampon» le 25 septembre 2008.
40. Dans son rapport établi après sa visite dans la zone de conflit, entre le 22 et le 29 août, le Commissaire aux droits de l’homme a présenté six principes visant à garantir les droits de l’homme et à assurer une protection et une aide humanitaires, que nous soutenons pleinement:
40.1. Le droit au retour des personnes qui ont fui ou ont été déplacées doit être garanti. Il faut pour cela que leur sécurité soit assurée et leur domicile rendu à nouveau habitable. Il est urgent de réparer les logements endommagés. Les personnes concernées ont le droit d’être informées de l’évolution de la situation; nul ne doit être renvoyé chez lui contre son gré.
40.2. Les personnes qui ont fui ou ont été déplacées doivent bénéficier de conditions de vie décentes jusqu’à ce qu’elles puissent rentrer chez elles. D’où la nécessité de coordonner efficacement l’aide apportée par les acteurs gouvernementaux et intergouvernementaux. Il convient de faire face aux besoins matériels mais aussi aux troubles psychologiques et psychosociaux.
40.3. Toute la région touchée par la guerre doit faire l’objet d’un déminage. Il faut localiser, enlever et détruire les bombes à sous-munitions, mines, munitions non explosées et autres engins dangereux. Tant que cela n’est pas fait, les terrains concernés doivent être signalés et la population clairement informée des dangers. Il faut que les parties au conflit déclarent quel type d’armes et de munitions elles ont utilisé, où et quand. Cette opération nécessitera une contribution internationale qu’il serait dans l’intérêt des deux parties d’accepter.
40.4. Les violences physiques, les incendies volontaires et le pillage doivent cesser complètement et leurs auteurs doivent être arrêtés et rendre compte de leurs actes. Il faut résoudre d’urgence le problème de l’absence de police dans la zone «tampon» située entre Tskhinvali et Karaleti.
40.5. Le déploiement de moyens humanitaires permanents doit permettre de protéger et de secourir les prisonniers de guerre, autres détenus et personnes bloquées dans des situations d’insécurité. Le mécanisme de dialogue et d’échanges mutuels habituel en pareil cas doit être laissé en place et pleinement soutenu, par la communauté internationale également. Il est nécessaire d’établir un système coordonné pour recueillir des informations sur les personnes disparues et pouvoir agir.
40.6. La présence et l’aide internationales sont indispensables dans la zone touchée par le conflit. Il conviendrait de soutenir les programmes du HCR, de l’Unicef, du CICR et d’autres agences et de donner à l’OSCE le pouvoir et les ressources nécessaires pour étendre sa mission. En plus des observateurs du cessez-le-feu et des forces de police, il faut envoyer sur place des observateurs des droits de l’homme spécialisés, dont l’action pourrait être coordonnée avec celle des médiateurs locaux. La protection des minorités doit être une priorité absolue et il faut encourager les relations intercommunautaires.
41. Le caractère systématique des pillages et des destructions de biens en Ossétie du Sud, les déclarations des dirigeants de facto à Tskhinvali indiquant que le retour des populations ethniques géorgiennes déplacées serait malvenu, même si elles adoptaient la citoyenneté de l’Etat autoproclamé comme l'exigent les autorités de facto, portent à croire qu’une politique de nettoyage ethnique est menée en Ossétie du Sud. Cela est confirmé par des informations émanant d’organisations internationales humanitaires et de secours, ainsi que par des organisations de défense des droits de l’homme et par la communauté diplomatique en Géorgie, qui ont signalé des actes systématiques de nettoyage ethnique perpétrés dans les villages géorgiens d’Ossétie du Sud par des milices et des troupes irrégulières sud-ossètes. Selon d’autres informations, dans certains cas, des villages entiers auraient été rasés au bulldozer. Ce scénario semble aussi confirmé par la visite de la délégation de l’APCE dans la région. Celle-ci a pu constater que le village géorgien de Ksuisi, en Ossétie du Sud, avait été entièrement pillé et presque totalement détruit.
42. Les informations faisant état de nettoyage ethnique sont extrêmement préoccupantes. Il faut souligner qu’au regard du droit international, même en l’absence d’implication directe des troupes russes, la Russie porte l’entière responsabilité des violences et des atteintes aux droits de l’homme commises sur les territoires placés sous son contrôle effectif.
43. Pendant la première phase des hostilités armées, Tskhinvali a subi les bombardements aveugles de l’armée géorgienne et a été pilonnée au lance-roquettes et à l’artillerie lourde. Lors de sa visite de la ville, la délégation a constaté que plusieurs quartiers d’habitation, de même que des bâtiments publics, ont été complètement détruits par les bombardements aveugles de l’armée géorgienne dans la première phase du conflit, puis par les combats qui se sont ensuivis dans la ville entre les troupes géorgiennes et russes. Il y a lieu de souligner que le recours à la force sans discrimination et l’utilisation d’armes par les deux parties dans des zones civiles peuvent être considérés comme des crimes de guerre. A cet égard, une enquête exhaustive doit donc être entreprise aux fins d’établir la réalité des faits.

4. Les engagements et obligations de la Géorgie et de la Russie et les conséquences de la guerre

44. La guerre entre la Russie et la Géorgie constitue l’une des plus graves crises de la période récente pour le Conseil de l’Europe, et une remise en question des principes et valeurs qu’il incarne. De graves violations ont été commises, qui concernent le statut de l’Organisation mais aussi les obligations et engagements souscrits par la Géorgie et par la Russie lors de leur adhésion.
45. La souveraineté de l’Etat, le droit à l’intégrité territoriale et à son respect, la non-agression sont trois principes de base du droit international. Le respect de ces principes, obligation fondamentale de la Charte des Nations Unies (chapitre I, article 2, et chapitre VI), fait partie des obligations générales des Etats membres découlant du Statut du Conseil de l’Europe, ainsi que des engagements qu’ils ont pris en adhérant à l’Organisation. Les mêmes principes fondamentaux figurent dans la Déclaration sur les principes régissant les relations des pays participants, incluse dans l’Acte final d’Helsinki, dont tant la Russie que la Géorgie sont signataires.
46. Lors de leur adhésion au Conseil de l’Europe, la Géorgie et la Russie se sont engagées à régler le conflit au sujet de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie par des moyens pacifiques. La Russie s’est en outre engagée à résoudre les conflits frontaliers conformément aux principes du droit international, et à «dénoncer la notion selon laquelle il existerait deux catégories de pays étrangers, dont l’une pourrait être traitée en tant que zone d’influence spéciale, appelée “pays étranger proche”».
47. Il va sans dire qu’en vertu de ces engagements, les deux pays devraient entretenir des relations de bon voisinage et respecter les intérêts légitimes de chacun en matière de paix et de sécurité.
48. L’Ossétie du Sud et l’Abkhazie font partie intégrante de la Géorgie et les actions militaires entreprises par les forces géorgiennes pendant le conflit concernaient donc le territoire géorgien. L’argument de la Russie selon lequel les actions militaires géorgiennes constituaient une «utilisation illégale de la force» déclenchant le droit à l’autodéfense en application de la Charte des Nations Unies n’a donc pas de fondement juridique, étant donné que les actions militaires menées par la Géorgie sur son territoire ne peuvent en aucun cas être vues comme une agression contre la Fédération de Russie qui aurait donné à celle-ci le droit de s’auto-défendre.
49. Affirmer que la Russie a dû prendre des mesures «d’autodéfense» pour protéger ses ressortissants dans un autre Etat contrevient au droit international. Les actions militaires d’envergure menées par la Fédération de Russie en Géorgie ne peuvent donc être justifiée sur cette base.
50. Il est clair que la Russie et la Géorgie ont violé leur engagement de régler leurs différends par des moyens pacifiques.
51. En ce qui concerne les actions entreprises par la Géorgie sur son territoire, elles doivent être vues à la lumière des normes internationales relatives aux droits de l’homme et du droit humanitaire, en particulier la Convention européenne des droits de l’homme. La manière dont la Géorgie a agi afin de regagner le contrôle effectif d’une partie de son territoire remet sérieusement en cause son respect de ces obligations.
52. Le recours à la force sans discrimination et l’utilisation d’armes dans des zones civiles, par les troupes géorgiennes et par les troupes russes, peuvent être considérés comme des crimes de guerre qui doivent faire l’objet d’enquêtes exhaustives.
53. La reconnaissance unilatérale par la Russie de l’indépendance autoproclamée de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie a bafoué les principes de l’intégrité territoriale et de la souveraineté de la Géorgie et est contraire au droit international, au Statut du Conseil de l’Europe et aux obligations de la Fédération de Russie en tant que membre de cette organisation.
54. Le pillage et la destruction de biens à grande échelle ainsi que les pratiques de nettoyage ethnique en Ossétie du Sud constituent une violation directe du droit international humanitaire et du droit des droits de l’homme. Il faut souligner qu’au regard du droit international, même en l’absence d’implication directe des troupes russes, la Russie porte l’entière responsabilité des violences et des atteintes aux droits de l’homme commises sur les territoires placés sous son contrôle effectif.

5. Conclusions et recommandations

55. Le déclenchement de la guerre entre la Fédération de Russie et la Géorgie pose un défi de taille au Conseil de l’Europe et à son Assemblée. L’Assemblée doit condamner les violations du droit international, du Statut du Conseil de l’Europe et des engagements souscrits par ces deux membres de l’Organisation. Cependant, elle doit dans le même temps s’attacher à maintenir le dialogue avec, et entre, la Russie et la Géorgie.
56. Il est clair que le conflit n’a pas débuté le 7 août. Bien avant cette date, une grave escalade des tensions a donné lieu à la rupture du processus de paix. Les effectifs déployés pour garantir le maintien se sont montrés incapables de remplir le rôle qui leur incombait, à savoir protéger les populations civiles dans la zone de conflit et résoudre les différends opposant les parties en présence. De ce fait, les provocations mutuelles et les violences interethniques ont fait passer au second plan l’exigence de rechercher une paix durable et négociée.
57. Etant donné la complexité de la situation, les vues diamétralement opposées des parties au conflit, leurs discours publics nationaux mutuellement exclusifs, le rejet de toute responsabilité par les deux parties, il est essentiel qu’une enquête internationale indépendante soit ouverte pour établir les faits concernant la séquence exacte des événements des 7 et 8 août et les circonstances ayant conduit au déclenchement de la guerre, ainsi que la responsabilité précise de chacune des parties au conflit. La vérité est une condition préalable à la réconciliation.
58. La reconnaissance unilatérale par la Russie de l’indépendance de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie constitue une violation du droit international et des principes du Conseil de l’Europe. Elle doit par conséquent être condamnée. En outre, une telle reconnaissance unilatérale contrevient à l’accord de cessez-le-feu et constitue un obstacle au règlement du conflit. L’Assemblée devrait demander instamment à la Russie de retirer sa reconnaissance de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud.
59. Les deux parties devraient pleinement appliquer les six points de l’accord de cessez-le-feu sans délai, conditions préalables ou réserves.
60. De toute évidence, les deux parties n’en ont pas assez fait pour éviter la guerre et de graves violations des droits de l’homme ont été commises et continuent de l’être. L’impunité pour ces agissements et ces actes présumés de nettoyage ethnique est inacceptable. Le Conseil de l’Europe a un rôle important à jouer à cet égard. Toutes les allégations d’atteintes aux droits de l’homme doivent faire l’objet d’une enquête et les responsables présumés doivent être traduits en justice. A cet égard, il est clair que la Fédération de Russie porte l’entière responsabilité de la protection des civils dans les territoires placés sous son contrôle effectif et, en conséquence, des violences et des atteintes aux droits de l’homme dont ils sont victimes. Le recours sans discrimination à la force et l’utilisation d’armes par les troupes géorgiennes et russes dans des zones civiles peuvent être considérés comme des crimes de guerre qui doivent faire l’objet d’une enquête exhaustive.
61. La guerre entre la Géorgie et la Russie a des conséquences géopolitiques indéniables et pèsera lourdement sur les relations internationales avec la fédération de Russie. L'avis de la Commission des affaires politiques offre une analyse détaillée de ces questions. Toutefois, il est clair à nos yeux que cette guerre et la réaction de la communauté internationale, dont celle de l'Assemblée, auront un effet direct sur d'autres conflits non résolus sur le Continent. L'Assemblée doit exprimer sans réserve aucune son refus de voir de tels conflits aboutir à des guerres.
62. L’Assemblée est convaincue que l’instauration d’un dialogue est le meilleur moyen de résoudre tout conflit et de promouvoir la stabilité à long terme. Cela est vrai pour ce conflit en particulier. Toutefois, le dialogue nécessite une volonté politique des deux parties et ne peut être poursuivi en l’absence d’actions concrètes. C’est pourquoi certaines conditions essentielles au dialogue doivent être réunies et respectées. La mise en œuvre complète du plan de paix, comprenant le retrait des troupes russes sur les positions antérieures au déclenchement des hostilités, le déploiement complet des observateurs de l’UE et de l’OSCE en Ossétie du Sud et le retrait par la Russie de sa reconnaissance de l’indépendance de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie, constituerait des conditions minimales d’un dialogue constructif.

Commission chargée du rapport: commission pour le respect des obligations et engagements des Etats membres du Conseil de l'Europe (commission de suivi)

Renvoi en commission: Ref. n° 3489 du 29 septembre 2008

Projet de résolution adopté à l'unanimité par la commission le 30 septembre 2008

Membres de la commission: M. Serhiy Holovaty (Président), M. György Frunda (1er Vice-président), M. Konstantin Kosachev (2e Vice-président), M. Leonid Slutsky (3e Vice-président), M. Aydin Abbasov, M. Avet Adonts, M. Pedro Agramunt, M. Miloš Aligrudić, Mme Meritxell Batet Lamaña, M. Ryszard Bender, M. József Berényi, Mr Aleksandër Biberaj, Mr Luc Van den Brande, Mr Jean-Guy Branger, Mr Mevlüt Çavuşoğlu, M. Sergej Chelemendik, Mme Lise Christoffersen, M. Boriss Cilevičs, M. Georges Colombier, M. Telmo Correia, M. Valeriu Cosarciuc, Mme Herta Däubler-Gmelin, M. Joseph Debono Grech, M. Juris Dobelis, Mme Josette Durrieu, M. Mátyás Eörsi, Mme Mirjana Ferić-Vac, M. Jean-Charles Gardetto, M. József Gedei, M. Marcel Glesener, M. Charles Goerens, M. Andreas Gross, M. Michael Hagberg, M. Holger Haibach, Mme Gultakin Hajiyeva, M. Michael Hancock, M. Davit Harutyunyan, M. Andres Herkel, M. Raffi Hovannisian, M. Kastriot Islami, M. Miloš Jevtić, Mme Evguenia Jivkova, M. Hakki Keskin, M. Andros Kyprianou, M. Jaakko Laakso, Mme Sabine Leutheusser-Schnarrenberger, M. Göran Lindblad, M. René van der Linden, M. Eduard Lintner, M. Younal Loutfi, M. Pietro Marcenaro, M. Mikhail Margelov, M. Bernard Marquet, M. Dick Marty, M. Miloš Melčák, Mme Assunta Meloni, Mme Nursuna Memecan, M. João Bosco Mota Amaral, M. Theodoros Pangalos, Mme Maria Postoico, M. Christos Pourgourides, M. John Prescott, M. Andrea Rigoni, M. Armen Rustamyan, M. Indrek Saar, M. Oliver Sambevski, M. Kimmo Sasi, M. Andreas Schieder, M. Samad Seyidov, Mme Aldona Staponkienė, M. Christoph Strässer, M. Mihai Tudose, M. Egidijus Vareikis, M. Miltiadis Varvitsiotis, M. José Vera Jardim, Mme Birutė Vėsaitė, M. Piotr Wach, M. Robert Walter, M. David Wilshire, Mme Renate Wohlwend, Mme Karin S. Woldseth, M. Boris Zala, M. Andrej Zernovski.

N.B. Les noms des membres qui ont participé à la réunion sont indiqués en gras

Secrétariat de la commission: Mme Chatzivassiliou, M. Klein, Mme Trévisan, M. Karpenko