Avis de commission | Doc. 11731 | 01 octobre 2008
Les conséquences de la guerre entre la Géorgie et la Russie
Commission des questions politiques et de la démocratie
A. Conclusions de la commission
(open)La commission des questions politiques décide de proposer les amendements suivants.
B. Amendements proposés par la commission des questions politiques
(open)Amendement A (au projet de résolution)
Au paragraphe 1, après «L’Assemblée parlementaire est fermement attachée», ajouter les mots «à la quête de la paix et».
Amendement B (au projet de résolution)
Après le paragraphe 29, ajouter un nouveau paragraphe comme suit:
«En vue de minimiser les risques de nouvelles flambées de violence impliquant ses Etats membres, l’Assemblée doit jouer un rôle en matière de prévention et de résolution des conflits, dans la mesure où la démocratie, les droits de l’homme et la primauté du droit ne peuvent être respectés sans paix. Elle décide par conséquent de demander au Bureau d’étudier les mécanismes qui lui permettraient d’user de la diplomatie parlementaire dans le cadre des conflits gelés en Europe et d’autres situations susceptibles de porter atteinte à la paix et à la stabilité.»
Amendement C (au projet de recommandation)
Au paragraphe 3.2, après les mots «tant par la Géorgie que par la Russie, y compris», ajouter les mots
«le renforcement du suivi des engagements et obligations des deux pays, ainsi que l’a recommandé la présidence suédoise du Comité des Ministres,».
C. Exposé des motifs, par M. Lindblad
(open)1. Cette guerre: une raison de s’alarmer
2. Chacun porte sa part de responsabilité
- responsabilité pour le déclenchement de la guerre, qui est l’aspect le plus difficile à définir. Bien sûr, si des preuves venaient retracer la séquence exacte des événements de la nuit du 7 au 8 août, il serait possible de confondre l’agresseur. Mais il serait injuste d’attribuer à ce dernier l’entière responsabilité de cette guerre car cette nuit fut le point culminant d’un processus engagé bien avant;
- responsabilité pour la façon dont cette guerre a été menée, et elle incombe, comme l’a décrit la commission des questions juridiques et des droits de l’homme de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE), aux deux pays car l’ampleur de leurs actions militaires, les cibles et le type d’armes utilisées étaient disproportionnés au vu de l’objectif que les parties prétendaient poursuivre;
- et également responsabilité pour l’instauration des conditions d’un règlement pacifique, durable et légitime du conflit, qui suppose de respecter les termes du cessez-le-feu, de protéger les civils contre les actes de violence et les violations des droits de l’homme dans les zones soumises au contrôle de facto d’un pays, et de s’abstenir de tout acte reconnaissant la mutilation de l’intégrité territoriale de la Géorgie en dehors d’un processus de négociation pacifique. Cette responsabilité incombe pour l’essentiel à la Russie.
2.1. La période qui a précédé la guerre
- des actes répétés de provocation, ou perçus comme tels, des deux côtés;
- des échauffourées et des échanges de tirs continus entre les forces géorgiennes et les milices d’Ossétie du Sud;
- le piétinement des négociations pour le règlement des conflits, que chacune des parties attribue au désintérêt de l’autre partie;
- l’annonce faite par les autorités russes en avril 2008 selon laquelle elles allaient établir des relations officielles avec les autorités de facto séparatistes à Tskhinvali et Soukhoumi;
- le renforcement du dispositif militaire russe dans la région, en termes d’effectifs et de matériel.
- le mécanisme de maintien de la paix établi par l’Accord de Sotchi de 1992 était irréalisable. Aux termes de cet accord, les troupes géorgiennes, russes et sud-ossètes se sont vu confier des tâches de maintien de la paix . Il était prévisible que, en cas de tensions extrêmes, ces troupes auraient tôt fait d’abandonner leurs uniformes de défenseurs de la paix pour se faire la guerre;
- de même, il n’était pas difficile de prévoir que l’octroi unilatéral de la citoyenneté russe à la majorité de la population d’Ossétie du Sud pourrait être utilisé par la Russie pour légitimer le recours à la force afin de protéger ses citoyens.
2.2. La guerre
- la 58e armée russe a été envoyée en Ossétie du Sud en réponse au bombardement massif et aveugle de Tskhinvali par l’artillerie géorgienne – comme le prétendent les autorités russes; ou
- si le bombardement de Tskhinvali a été décidé en réaction à l’arrivée massive en Ossétie du Sud de contingents militaires russes – comme l’affirment les autorités géorgiennes.
2.3. Le lendemain de la guerre
- les troupes russes n’ont pas respecté leur engagement d’un retrait immédiat sur les lignes qu’elles occupaient avant le début des hostilités. Selon l’accord de mise en œuvre du cessez-le-feu négocié par l’Union européenne, leur retrait devrait désormais intervenir d’ici au 10 octobre. Cependant, les autorités russes se déclarent elles-mêmes prêtes à ne retirer leurs troupes que de la zone dite «tampon» après l’arrivée des observateurs de l’Union européenne, arguant du fait que l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud étant désormais des Etats indépendants, le déploiement d’observateurs sur leur territoire relève de leur décision souveraine. De même, le retrait ou le déploiement de troupes est une question à part, relevant d’accords bilatéraux;
- dans ce contexte, la reconnaissance par la Russie des deux régions séparatistes en tant qu’Etats indépendants constitue un défi pour les valeurs et les normes européennes et complique encore davantage un retour à la situation quo ante;
- les troupes russes toujours présentes de facto dans la zone dite «tampon» et en Ossétie du Sud ont failli à leur responsabilité de protéger la population contre les violences, les violations des droits de l’homme et le nettoyage ethnique.
3. Le Kosovo comme précédent: prédiction ou annonce?
3.1. La reconnaissance par la Russie de l’indépendance de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud
- ces régions ont historiquement joui du statut d’Etat et aucune des deux ne faisait partie de la Géorgie au temps de l’Union soviétique;
- la population de ces régions souhaite et est prête à l’indépendance; par ailleurs, des institutions en état de fonctionner sont en place;
- après le génocide perpétré par les Géorgiens contre les populations de ces territoires, il est inconcevable qu’elles soient à nouveau placées sous la souveraineté de la Géorgie.
- le Kosovo a déclaré unilatéralement son indépendance à la suite de plus de deux ans de négociations assidues, après qu’un envoyé des Nations Unies ait recommandé l’indépendance comme seule solution possible et après le blocage du Conseil de sécurité des Nations Unies en raison du refus russe d’accepter la solution préconisée par l’envoyé;
- l’indépendance du Kosovo doit être examinée dans le contexte de la dissolution de l’ancienne Yougoslavie;
- le Kosovo a déclaré son indépendance après neuf ans d’administration internationale au cours desquels la souveraineté de la Serbie sur ce territoire n’était que purement formelle;
- les Albanais du Kosovo ont été victimes d’un nettoyage ethnique de la part de la Serbie, ce qui rendait pour eux inconcevable tout retour à la souveraineté serbe.
3.2. Davantage de conséquences sur les pays étrangers proches de la Russie?
3.3. Conséquences en Fédération de Russie?
4. Intérêts stratégiques: défense et énergie
4.1. Défense
- elle garantit la présence de bases militaires en Abkhazie et en Ossétie du Sud et le démantèlement des capacités militaires géorgiennes;
- de plus, en dépit de l’établissement de la commission OTAN-Géorgie immédiatement après le conflit, la guerre peut avoir semé le doute chez certains membres de l’OTAN quant à la pertinence d’un élargissement de l’OTAN à des Etats comme la Géorgie et l’Ukraine, par peur d’être entraînés dans un conflit armé dû au comportement inconscient de certains responsables politiques. La guerre a pu de ce fait amener certains pays d’Europe à reconsidérer leur souhait d’adhérer à l’OTAN.
4.2. Energie
- en tant qu’un des principaux fournisseurs mondiaux, la dépendance européenne renforce la confiance de la Russie en ses relations internationales. A diverses occasions, la Russie a montré qu’elle savait fermer le robinet, ce qui est un moyen de pression énorme;
- en raison de l’évidente volatilité de la situation en matière de sécurité dans la région, les clients et les investisseurs ont tendance à être plus circonspects à l’égard de la Géorgie en tant que pays de transit fiable, ce qui affecte négativement l’économie géorgienne et renforce la dépendance à l’égard des voies de transport russes;
- la dépendance énergétique à l’égard de la Russie est un élément qui divise les Etats européens quant à leur politique étrangère envers ce pays. Il ne nous a pas échappé au cours de cette crise que les pays les plus dépendants ont tendance à se montrer moins critiques que les autres et qu’ils sont moins enclins à convenir de l’application de sanctions. Cette division met à mal l’unité d’une position européenne commune et l’affaiblit;
- la fermeture simultanée de toutes les voies de transit géorgiennes a incité un autre pays de la région, l’Azerbaïdjan, à ne pas prendre ouvertement position.
5. Une nouvelle guerre froide?
6. Ce que le Conseil de l’Europe devrait faire
- faire preuve de fermeté quant à ses principes et ses valeurs tout en préservant le dialogue avec toutes les parties impliquées dans la guerre;
- établir une procédure de monitoring renforcée du Comité des Ministres concernant les engagements et obligations de la Russie et de la Géorgie, ainsi que l’a proposé la présidence suédoise du Comité des Ministres;
- intensifier la coopération avec les pays concernés en vue de renforcer la mise en œuvre de la démocratie, le respect des droits de l’homme et de la primauté du droit;
- se donner les moyens d’agir vite et avec souplesse afin de prévenir les tensions entre ses Etats membres et éviter toute escalade au-delà d’un seuil critique. A titre d’exemple, l’APCE pourrait mettre en place une commission ad hoc de parlementaires issus de diverses commissions de l’APCE et forts de spécialisations différentes, qui serait chargée de la diplomatie parlementaire, de la promotion de la mise en œuvre des résolutions précédentes de l’APCE, ou de la médiation entre les parties. En un mot, le Conseil de l’Europe et son Assemblée devraient jouer un rôle en matière de prévention des conflits;
- naturellement, intervenir dans la prévention des conflits suppose de faire preuve d’un certain courage politique pour régler les conflits gelés et d’autres situations de conflit affectant les intérêts nationaux étroits de certains Etats membres, y compris de «vieilles démocraties»;
- envisager un nouveau système de sanctions, permettant à l’Organisation de faire pression sans exclure du dialogue le pays sanctionné.
7. Conclusions du rapporteur
Je partage les principaux avis exprimés par les rapporteurs de la commission de suivi. Néanmoins, je souhaiterais ajouter les considérations suivantes:
- la Géorgie et la Russie portent toutes deux une part de responsabilité dans le conflit et dans ses perspectives de solution;
- parallèlement, cette part de responsabilité n’est pas égale, elle pèse plus lourdement sur les épaules de la Russie, eu égard notamment à sa ligne de conduite après l’arrêt des hostilités;
- la Russie devrait revenir sur sa reconnaissance de l’indépendance des deux régions séparatistes, l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud;
- l’intégrité territoriale de la Géorgie ne saurait être remise en cause, elle ne peut faire l’objet d’aucune négociation et doit être préservée en refusant de faire quoi que ce soit qui pourrait laisser penser à un consentement de la sécession de certaines parties du territoire géorgien;
- dans sa politique étrangère, la Russie devrait éviter de céder à la tentation de considérer que ses pays voisins disposent d’une souveraineté limitée: chaque Etat doit avoir la liberté de choisir ses alliances et la conduite de sa politique étrangère;
- la Russie devrait immédiatement mettre un terme à sa politique d’octroi de passeports aux citoyens d’autres Etats membres qui ne l’ont pas demandé;
- la Russie devrait s’abstenir d’utiliser la citoyenneté et l’énergie comme moyens de promouvoir ses objectifs politiques;
- envisager un nouveau système de sanctions, permettant à l’Organisation de faire pression sans exclure du dialogue la partie sanctionnée.
- le Conseil de l’Europe devrait admettre sa responsabilité de ne pas avoir été en mesure de prévenir la guerre;
- l’Assemblée devrait:
- maintenir le dialogue avec toutes les parties impliquées dans la guerre;
- développer un rôle actif en matière de prévention et de résolution des conflits et, à cette fin, mettre en place des mécanismes de diplomatie parlementaire;
- aborder systématiquement la question des conflits gelés en Europe;
Commission chargée du rapport: commission pour le respect des obligations et engagements des Etats membres du Conseil de l’Europe (commission de suivi).
Commission saisie pour avis: commission des questions politiques.
Renvoi en commission: Renvoi no 3489 du 29 septembre 2008.
Avis approuvé par la commission le 1er octobre 2008.
Voir Résolution 1633 et Recommandation 1846 (35e séance, 2 octobre 2008).