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Rapport | Doc. 11761 | 23 octobre 2008

Les métiers artisanaux et le savoir-faire de la conservation du patrimoine culturel

(Ancienne) Commission de la culture, de la science et de l'éducation

Rapporteure : Baroness Gloria HOOPER, Royaume-Uni

Origine - Renvois en commission: Doc. 11268, Renvoi n° 3357 du 25 juin 2007 2008 - Commission permanente de novembre

Resumé

Ce rapport est le troisième du même rapporteur dans une série au sujet de l’interface public-privé en matière de conservation du patrimoine culturel (voir le Doc. 9913 sur la fiscalité et le Doc. 10731 sur la gestion privée).

Une distinction est faite entre, d’un côté, les métiers artisanaux traditionnels, qui font l’objet d’une résolution encourageant l’appui au secteur non-gouvernemental et le développement de réseaux et, de l’autre, le savoir-faire, aussi bien ancien que moderne, relatif à la conservation et qui fait l’objet principal de la recommandation.

Le rapport rappelle l’implication de l’Assemblée parlementaire dans la formation d’artisans depuis la création en 1977 d’un centre européen à Venise et en 1987 d’une Fondation européenne pour les métiers du patrimoine. Le Comité des Ministres est prié de faire revivre l’implication du Conseil de l’Europe dans ce domaine, par exemple en reconnaissant le nouveau centre à Thiene. Une action concertée doit être poursuivie au niveau européen entre l’état et les secteurs privé et bénévole dans le développement des compétences et des connaissances spécialisées que nécessite la conservation du patrimoine, y compris l’entretien et le maniement de ce dernier.

A. Projet de recommandation

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1. La conservation du patrimoine culturel dépend d’un large éventail de capacités. Celles-ci vont des techniques de base employées dans la construction classique et contemporaine à l’analyse scientifique, en passant par la gestion de projets. Il convient d’identifier ces diverses capacités, ainsi que de former le personnel compétent et d’organiser toute une équipe pour l’amener à travailler ensemble à la conception et à l’exécution de projets de conservation.
2. Essentielle au succès de ces projets de conservation est la garantie d’un soutien en termes de crédits et de manifestations d’intérêt. Cette garantie s’impose à tous les stades, y compris celui du suivi et de la mise en œuvre d’un entretien approprié.
3. Les métiers de la conservation peuvent être hautement spécialisés et les matériaux (tels que la pierre provenant de certaines carrières, le bois séché, le chaume ou l’ardoise) difficiles à se procurer. La coopération intra-européenne a beaucoup à apporter en ce qui concerne l’expérience, les matériaux et la mise en commun des connaissances et du savoir-faire.
4. Il fut un temps où la conservation était menacée par la disparition de main-d’œuvre spécialisée et le fait qu’on ne comprenait plus l’usage de matériaux traditionnels comme la chaux. Il faut donc se féliciter d’assister à la reconnaissance croissante de la valeur des métiers manuels. L’intégration des aspects manuels et des aspects intellectuels de la conservation est à encourager dans tous les cours de formation.
5. Conformément à la Recommandation 1621 (2003) sur l’histoire de l’art, l’Assemblée parlementaire estime que les architectes et les promoteurs doivent être au courant des techniques, du savoir-faire et des matériaux traditionnels et en tenir compte dans les projets de restauration.
6. Ce devrait être là une entreprise passionnante attirant des personnes plus jeunes et plus dynamiques (avec une plus grande attention à l’équilibre des sexes), mais mobilisant aussi l’expérience et l’intérêt des générations plus anciennes. Cette entreprise s’inscrit dans le processus vivant de conservation et d’appréciation grâce auquel notre patrimoine peut survivre valablement; elle vaut pour le patrimoine bâti (édifices et ponts), les jardins et les paysages, pour le patrimoine mobilier que représentent les peintures, les sculptures, les instruments de musique et les livres, ainsi que pour le patrimoine mobile constitué par les véhicules terrestres, bateaux et aéronefs.
7. L’Assemblée souligne l’importance que les projets de conservation peuvent avoir pour les métiers, l’industrie et l’économie sur les plans local et régional.
8. La durabilité et l’efficacité énergétique doivent venir s’ajouter aux facteurs qui entrent en ligne de compte dans la conservation. Les règlements en matière de sécurité et de risque incendie prêtent davantage à controverse, par exemple l’obligation de ménager des issues de secours et un accès pour handicapés aux bâtiments historiques ou aux ponts des voiliers traditionnels. Des ateliers pourraient s’avérer utiles dans ces domaines.
9. L’Assemblée est heureuse d’avoir été associée à la création, en 1977 à Venise, d’un Centre européen de formation d’artisans pour la conservation du patrimoine architectural et elle a suivi avec intérêt, puis inquiétude, mais maintenant avec un regain d’enthousiasme l’évolution de ce projet pilote. Elle demande au Comité des Ministres d’accorder la reconnaissance du Conseil de l'Europe au nouveau Centre européen pour les métiers du patrimoine, établi à Thiene (Italie) et de favoriser d’autres initiatives internationales, telles que le centre de formation à la réhabilitation du patrimoine architectural d’Avignon (France), le centre de formation aux métiers du patrimoine de Görlitz (Allemagne) ou le centre international de conservation du patrimoine bâti de Bontida (Roumanie).
10. L’Assemblée a également pris part à la création, en 1987, de la Fondation européenne pour les métiers du patrimoine, dont le but est de couvrir tous ces métiers. Elle demande au Secrétaire Général du Conseil de l’Europe de veiller à ce que soit clarifié le statut juridique de l’institution en question pour permettre à celle-ci de viser à l’établissement d’un réseau européen de métiers du patrimoine et lui fournir des informations pratiques et visibles en plus des bases de données du Conseil de l'Europe qui ont trait aux politiques culturelles des Etats membres connues sous les noms de HEREIN et Compendium.
11. L’Assemblée voudrait donner aux artisans et autres professionnels des informations leur permettant d’évaluer les mérites de certains produits et matériaux et de percer les arcanes des anciennes guildes. La coopération entre secteur public et secteur privé s’impose pour que la conservation se fasse dans le respect des meilleures normes possibles, et il faut que le marché s’ouvre. Le secteur privé, y compris les propriétaires désireux de gérer leur bien ou d’y travailler eux-mêmes, ne doit pas être exclu de ce partenariat. Le Comité des Ministres devrait encourager un débat ouvert et informé sur les principes et la pratique de la conservation, ainsi que sur les techniques et produits de cette dernière et la manière de les évaluer.
12. L’Assemblée tient aussi à voir se poursuivre l’action concertée entre l’État, et les secteurs privé et bénévole, d’autre part, dans le développement des compétences et des connaissances spécialisées que nécessite la conservation du patrimoine, y compris l’entretien et le maniement de ce dernier. Elle se félicite de la création, en 1992, de l’Association européenne des entreprises de restauration du patrimoine architectural (AEERPA), mais voudrait que l’on fasse participer bien davantage les entreprises de restauration responsables et que l’on promeuve, en particulier, leur création et leur développement en Europe centrale et orientale.
13. Enfin, l’Assemblée recommande que le Comité des Ministres entreprenne une étude du savoir-faire disponible sur le plan national pour ce qui est de la conservation, en coopération avec l’Union européenne, le Centre international d’études pour la conservation et la restauration des biens culturels (ICCROM) et d’autres institutions spécialisées ou organismes professionnels, de même qu’avec des ONG, en vue d’élaborer une stratégie européenne de gestion concertée de la conservation du patrimoine à laquelle prennent part des artisans, des architectes et des promoteurs, y compris la reconnaissance des qualifications professionnelles.

B. Projet de résolution

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1. L’Assemblée parlementaire reconnaît la grande variété des métiers traditionnels en tant qu’élément du patrimoine culturel et important moyen d’exprimer la diversité culturelle.
2. Elle rappelle la Recommandation du Comité des Ministres Rec (81) 13 concernant les actions à entreprendre en faveur de certains métiers menacés de disparition dans le cadre de l'activité artisanale, ses propres Résolutions 782 (1982) sur l’artisanat et 798 (1983) sur l’Année 1983 des petites et moyennes entreprises et les métiers d’artisanat, ainsi que sa Recommandation … (2008) sur les métiers artisanaux et le savoir-faire de la conservation du patrimoine culturel.
3. Elle se félicite de l’initiative prise par les étudiants de la faculté de droit de l’Université de Belgrade de rédiger une Convention européenne pour la protection des métiers anciens et traditionnels.
4. L’Assemblée rappelle le rôle joué par les anciennes guildes, qui assuraient le bien-être social et économique de leurs membres et de leurs familles. Elle se félicite du travail que les organisations syndicales ne cessent de fournir à cet effet, plus particulièrement des institutions contemporaines telles que l’Association Confartigianato de Vicenza (Italie), qui soutient les métiers et les artisans.
5. Elle appelle les métiers d’artisanat, les fédérations et associations professionnelles et les groupes de formation nationaux à s’identifier individuellement, à établir des réseaux européens, à s’assurer un soutien public et à exploiter le potentiel, éducatif, économique et touristique de leurs activités.
6. En conclusion, elle demande à l’Union européenne de soutenir – au moyen de ses fonds de développement régionaux et d’autres sources telles que le Programme culturel – les métiers traditionnels, en particulier ceux qui sont nécessaires à la conservation du patrimoine.

C. Exposé des motifs par la Baronne Hooper, rapporteur

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1. Introduction

1. Le présent rapport correspond à une tentative d’identifier les moyens concrets par lesquels le Conseil de l'Europe peut aider à promouvoir les savoir-faire intervenant dans la conservation du patrimoine culturel matériel. Il tire son origine d’une motion portant sur les métiers anciens et traditionnels, qui sera prise dûment en considération. Il s’agit cependant là d’un domaine assez vaste et mal délimité. J’ai choisi d’en retenir la partie qui concerne et achève la série de rapports que j’ai déjà présentés au sujet de l’interface public-privé en matière de conservation (voir le Doc 9913 sur la fiscalité et le Doc 10731 sur la gestion privée), à propos de laquelle le Conseil de l'Europe a déjà fixé certaines références qui, je pense, doivent être maintenues.
2. Dans l’établissement du présent rapport, je me suis inspiré de l’acquis de longue date du Conseil de l'Europe, de l’expérience de première main des centres d’artisanat de Venise et Thiene, ainsi que des réactions des très nombreuses ONG consultées avec l’assistance d’Europa Nostra. Ces ONG sont énumérées dans l’annexe, et leurs contributions écrites peuvent être demandées au Secrétariat. J’ai inclus dans le rapport certains exemples de bonne pratique portés à mon attention. J’espère que ce rapport aura notamment pour résultat d’en encourager d’autres à se faire connaître.

2. Métiers anciens et traditionnels

3. Des étudiants de la faculté de droit de l’Université de Belgrade se sont penchés récemment sur le thème des métiers anciens et traditionnels et ont élaboré à cet égard un projet formel de Convention européenne, qu’ils ont présenté en novembre 2005 à la Commission de la culture, de la science et de l’éducation. Ce projet initial a ensuite fait l’objet d’un document établi par Branko Ruzic en mai 2006 et a constitué la base d’une motion de recommandation que M. Aligrudic et plusieurs de ses collègues ont présenté en avril 2007 (Doc 11268). Ce texte a aussi été examiné par le secrétariat compétent de la partie intergouvernementale du Conseil de l'Europe, qui a fait rapport à la Commission en janvier 2006 en indiquant qu’à son avis, une convention spécifique sur les métiers ne s’imposait pas, que la procédure d’élaboration d’une convention était très compliquée et qu’il existait déjà – en matière de patrimoine – plusieurs instruments auxquels on peut recourir pour soutenir le savoir-faire et les métiers; en outre, au niveau de la coopération européenne, des échanges pourraient avoir lieu dans ce domaine par le biais du réseau européen du patrimoine.
4. L’initiative des étudiants serbes est à saluer, de même que la persévérance de Branko Rakic, leur directeur d’études. Elle a débouché sur une exposition particulièrement remarquable d’œuvres d’artisanat traditionnel organisée dans les locaux du Conseil de l'Europe, à Strasbourg, durant la récente partie de session de juin 2008. Elle traduit l’enthousiasme de la jeune génération pour la question de l’artisanat, activité digne d’appréciation. En outre, le projet de convention est un modèle d’exercice universitaire en termes d’analyse juridique et culturelle. Il convient toutefois de tempérer son idéalisme en étayant ce dernier avec des négociations multilatérales en temps réel entre représentants de pays peu désireux de souscrire à de nouveaux accords internationaux.
5. Le manque d’intérêt de certains pays pour la négociation de la récente Convention-cadre du Conseil de l'Europe sur la valeur du patrimoine culturel pour la société (Faro, 2005), voire leur opposition ouverte à cette négociation, montre à l’évidence que la signature d’instruments juridiques contraignants tels que les conventions est cependant devenue une zone interdite à la progression de la coopération culturelle européenne. Un observateur plus cynique pourrait étendre cette remarque au-delà du domaine culturel. Mais il s’agit ici d’efficacité, non de juridisme, et l’on doit rechercher le moyen le plus efficace d’avancer.
6. C’est pourquoi je voudrais relier l’idée d’une promotion des métiers anciens et traditionnels à l’utilité pratique de ceux-ci, de même qu’à leur durabilité économique et au soutien politique et financier concret à leur apporter. Je suggère que soient formulées des propositions spécifiques et ciblées s’agissant des différents métiers concernés. Les acteurs les mieux placés pour agir à cet égard sont les professions elles-mêmes (anciennes guildes, fédérations et associations professionnelles, syndicats et groupe nationaux de formation spécialisée). Le domaine des métiers est très vaste, puisqu’il peut aller des sports traditionnels à la gastronomie. D’une manière générale, cette question gagnerait sans doute à être traitée en tant qu’aspect de la diversité culturelle et de la durabilité et promue à titre spécifique.
7. L’artisanat se prête amplement aussi à d’intéressantes analyses socioculturelles. André Delehedde, qui a fait rapport à l’Assemblée sur l’artisanat en 1982 (Doc 4938 et Res 782), a mentionné alors une étude de Gilbert Sommier sur le déclin des métiers d’artisanat en Europe. De son côté, Richard Sennett a fait en la matière une analyse plus récente (2008). Cette question comporte de passionnants aspects annexes, tels que la distinction entre travail manuel et aptitudes intellectuelles, technique et art, Homo laborans ou Homo faber. La situation a évolué avec le temps, mais les problèmes fondamentaux restent tels qu’on les a identifiés, dans le passé, à la différence d’approche entre Platon et Aristote, ainsi qu’à la concurrence entre le rôle social et le rôle commercial des guildes.
8. On mentionnera singulièrement, à cet égard, l’activité de l’École des arts traditionnels du Prince de Galles, à Londres (Prince of Wales’ School of Traditional Arts).
9. Pour conclure cette partie, les métiers anciens et traditionnels peuvent être intéressants pour des raisons académiques, artistiques et touristiques; leur diversité est manifestement à remarquer; mais leur survie dépend de leur pertinence et de leur viabilité, ainsi que du soutien actif des organisations non gouvernementales, et non de l’intervention de l’État. Cela étant, il importe toutefois que les gouvernements ou la réglementation de l’Union européenne n’aillent pas à l’encontre de la survie des métiers et savoir-faire.

3. Métiers et savoir-faire de la conservation du patrimoine culturel

10. C’est là un domaine qui n’est nouveau ni pour le Conseil de l'Europe, ni pour l’Assemblée, dans lequel l’Organisation a fourni un travail important et concret et qu’elle doit continuer à suivre. Comme indiqué au début, je traite du patrimoine matériel, qui couvre des constructions telles que les bâtiments et les ponts, les gardiens et les paysages, le patrimoine mobilier (tel que peintures, sculptures, cloches et instruments de musique et livres) et le patrimoine mobile (véhicules terrestres, bateaux et aéronefs).
11. Le Conseil de l'Europe a tenu plusieurs grandes conférences sur les métiers et savoir-faire de la conservation du patrimoine culturel; les plus pertinentes sont celles-ci:
  • Congrès sur les métiers et l’artisanat, Fulda, juin 1980
  • Symposiums européens des entreprises de restauration du patrimoine architectural, Strasbourg, juin 1991 et juin 1998
  • Colloque sur la promotion de l’histoire de l’art en Europe, Venise, novembre 2002

D’autre part, cette question a été soulevée lors de conférences des ministres spécialisés.

12. Les textes les plus pertinents publiés à cet égard sont les suivants:
  • Charte européenne du patrimoine architectural et Déclaration d’Amsterdam (1975)
  • Rec 849 (1978) de l’Assemblée sur Pro Venetia Viva et le Centre européen de formation d’artisans (Doc 4190, rapport d’Olaf Schwencke)
  • Res 782 (1982) de l’Assemblée sur l’artisanat (Doc 4938, rapport d’André Delehedde, document qui résume les travaux menés en la matière par le Conseil de l'Europe depuis 1965)
  • Rec 1621 (2003) de l’Assemblée sur la promotion de l’histoire de l’art en Europe (Doc 9881, rapport d’Eddie O’Hara, dont une partie est consacrée à la formation des ouvriers qualifiés de la restauration)
  • Rec (80) 16 du Comité des Ministres concernant la formation spécialisée des architectes, urbanistes, ingénieurs du génie civil et paysagistes
  • Rec (81) 13 du Comité des Ministres concernant les actions à entreprendre en faveur de certains métiers menacés de disparition dans le cadre de l'activité artisanale
  • Rec (86) 15 du Comité des Ministres relative à la promotion des métiers artisanaux intervenant dans la conservation du patrimoine architectural

Voir également la Convention européenne du paysage (2000), Article 6, et la Convention de Faro (2005), Article 13.

13. Passablement plus importante, cependant, est l’action concrète en matière de formation et d’information, à laquelle l’Assemblée a pris une très large part.
14. La création à Venise, en 1977, du Centre européen de formation d’artisans pour la conservation du patrimoine architectural a été une des mesures les plus concrètes que le Conseil de l'Europe ait jamais prises. Sous la pression de l’Assemblée et avec l’engagement personnel du Secrétaire général adjoint de l’époque, le comte Sforza, ce centre fut créé en tant qu’agence opérationnelle de la Fondation européenne Pro Venetia Viva, d’abord à San Pasquale. Par la suite, il fut réinstallé dans l’île de San Servolo, avec le soutien de la Province de Venise, et il devint membre actif des Organisations privées pour la sauvegarde de Venise. Notre commission culturelle s’y est rendue à plusieurs reprises, et il a accueilli en 2002 notre conférence sur l’histoire de l’art. Le Centre fut officiellement reconnu par le Conseil de l'Europe au début de 1994, et le Président de l’Assemblée était Président d’office du conseil de direction de la Fondation européenne Pro Venetia Viva. La gestion du Centre passa ensuite dans des mains italiennes. La présence du Centre à San Servolo devait attirer l’attention, mais aussi les critiques des autorités. À mesure que l’île se développait, le Centre devint un enjeu de la politique locale. Il n’était pas aussi bien géré qu’il aurait pu l’être. Il a fini par fermer, et ses équipements et dossiers – y compris les chefs-d’œuvre de ses stagiaires – sont tombés dans l’oubli en 2007.
15. Tel un phénix, le Centre a vu son esprit resurgir dans la Villa Fabris, à Thiene, où il bénéficie du soutien généreux de l’Association Confartigianato de Vicenza. Je me suis rendu en avril 2008 au nouveau Centre et j’ai été très impressionnée par ses locaux, son contexte culturel d’architecture palladienne et vernaculaire, ainsi que l’esprit d’entreprise de ses nouveaux mécènes. Je pense que le Comité des Ministres devrait renouveler la reconnaissance du Conseil de l'Europe pour le nouveau Centre européen de Thiene afin de soutenir la part prise par celui-ci à la promotion des politiques et métiers de la conservation.
16. L’idée initiale, qui était de sauver Venise, a vite fait place à l’idée beaucoup plus générale de promouvoir le savoir-faire en question à tous les niveaux. Les cours dispensés à Venise, puis maintenant à Thiene, ont pour caractéristique principale d’être multilingues (anglais, français, allemand et italien à l’heure actuelle), ainsi que de mettre l’accent sur le travail d’équipe dans la gestion de la conservation in situ (ce qui vaut pour l’historien de l’art et l’architecte comme pour l’artisan) et la participation à la réalisation de projets réels dans la région. Nous devons réaffirmer notre soutien de ce principe. Les cours ont commencé à Thiene en 2007; le programme 2008 comporte des cours intensifs à partir de février et pendant toute l’année, de même que sur la conservation du patrimoine architectural, trois mois durant, d’avril à juillet. Les contributions de Sir Bernard Fielden et de Wolf Elbert sont à mentionner dans ce contexte.
17. D’autres centres dispensent des cours de formation à la conservation. Un gros travail est accompli actuellement au niveau national. En 1995, le Conseil de l'Europe a publié une liste d’environ 190 établissements sous la forme d’un Répertoire européen des centres de formation en métiers et savoir-faire relatif au patrimoine. La plupart étaient des centres nationaux; relativement peu étaient européens ou internationaux, ce qui est encore le cas aujourd’hui. En plus de ce que fait le Conseil de l'Europe, je tiens à mentionner le travail fourni par le Centre international d’études pour la conservation et la restauration des biens culturels. Organisation gouvernementale ayant son siège à Rome, l’ICCROM œuvre dans ce domaine depuis 1965 et prépare actuellement son deuxième cours sur la conservation du patrimoine bâti (mars et avril 2009), ainsi que son seizième cours sur la conservation de la pierre (avril-juillet 2009). Le nombre de stagiaires participant à ces cours internationaux est inévitablement très limité. D’autres centres de portée internationale ont attiré mon attention: le Centre de formation aux métiers du patrimoine de Görlitz (Allemagne), le Collège nautique d’Enkhuizen (Pays-Bas) et le centre international de conservation du patrimoine bâti de Bontida (Roumanie).
18. La réflexion sur la conservation est en train d’évoluer. Par exemple, on accorde maintenant plus d’importance à l’entretien régulier qu’à la restauration intégrale. Des techniques et des matériaux nouveaux s’élaborent, et les anciens sont mieux compris. L’étude de la manière dont un bâtiment a été conçu et construit est jugée pertinente pour la conservation actuelle dudit bâtiment: cette remarque m’a été faite par Guido Beltramini, Directeur du Centre international d’études d’architecture Andrea Palladio, à Vicenza, et les usages nouveaux appellent des solutions nouvelles.
19. Comme l’a déclaré dernièrement Donald Hankey, Président d’Icomos Royaume Uni, on va maintenant devoir faire face à de nouveaux défis en matière de conservation, notamment dans le contexte de la durabilité comme dans celui des avantages sociaux et économiques de l’investissement dans les métiers du patrimoine, y compris le soutien des collectivités locales défavorisées et l’assistance apportée aux PME pour assurer des emplois durables aux populations locales.
20. Il faut prêter attention aussi au maintien des savoir-faire traditionnels dans le maniement comme dans la restauration du patrimoine, ce qu’a souligné European Maritime Heritage.
21. Il existe dans tout cela un réel besoin de formation et, plus généralement, d’échange effectif d’informations. Par exemple, il serait utile de disposer d’une information en ligne sur les techniques de conservation et les produits recommandés. Mais on va toucher alors à des questions hautement controversées: ainsi les professionnels discutent-ils longuement des mérites comparés du PVC et du bois pour les bâtis de fenêtre, ou encore de l’enduit à la chaux et de la peinture au silicone. De plus, la préférence donnée à un produit par rapport à un autre pour le même usage est commercialement sensible. Mais je crois qu’il faut aller dans cette direction et que ce genre d’information doit devenir disponible au niveau européen. Le Conseil de l'Europe, il est vrai, élabore à l’heure actuelle des outils d’information sur la politique culturelle, y compris celle intéressant le patrimoine. Les sites pertinents sont HEREIN et Compendium. Ce type d’information présente un caractère largement administratif et concerne davantage la politique que la pratique. Elle n’est donc pas encore aussi pertinente vis-à-vis du domaine plus concret dont traite le présent rapport.
22. La question des procédures et produits normalisés prête à controverse, car certains craignent à juste titre à juste titre de voir imposer ainsi des produits qui n’ont pas forcément été mis à l’épreuve ou que l’on cherche à promouvoir pour des motifs purement commerciaux. Le Conseil de l'Europe doit prendre à cet égard l’initiative d’un débat ouvert et informé visant à rendre une évaluation possible plus qu’à imposer des normes. Il doit favoriser les échanges européens de savoir-faire et de personnel, remettant ainsi en honneur une des traditions les plus efficaces de la création architecturale et artistique de notre continent. On m’a assuré que ce processus venait justement d’être inauguré par le RIBA (Royal Institute of British Architects) et l’IHBC (Institute of Historic Building Conservation), Royaume-Uni. Une approche commune s’impose au niveau européen.
23. La réglementation en matière de sécurité et de risque incendie et autre suscite davantage de controverses, par exemple en ce qui concerne l’obligation de ménager des issues de secours et des accès pour handicapés aux bâtiments historiques ou au pont des voiliers anciens. Des ateliers pourraient s’avérer utiles dans ces domaines, notamment s’ils sont conduits par les organes de l’Union européenne chargés d’introduire les règlements correspondants.
24. La participation du secteur privé est manifestement souhaitable. L’Assemblée lui a ouvert la porte en organisant deux conférences avec des représentants des entreprises de restauration, en 1991 et 1998 respectivement. Il a été créé une association européenne (Association européenne des entreprises de restauration du patrimoine architectural, AEERPA), qui n’a cependant des branches que dans neuf pays d’Europe. Le contact a été maintenu depuis, entre autres par le biais des projets que la DG IV du Conseil de l'Europe réalise en Europe du Sud-Est. Il y aurait lieu de clarifier les relations avec certains individus, ainsi qu’avec l’Union européenne. Le principe d’une coopération avec le secteur privé n’en reste pas moins valide. On devrait insister davantage sur l’extension du savoir-faire et les conseils à prodiguer aux entreprises privées d’Europe centrale et orientale ou du Caucase du Sud qui s’occupent du patrimoine local que sur la recherche de contrats pour des entreprises d’Europe occidentale dans ces régions. Là encore, c’est l’affaire du secteur privé, le rôle de l’État consistant à prodiguer des encouragements en facilitant l’accroissement des capacités pertinentes.
25. Les ONG jouent le double rôle important qui consiste à canaliser l’enthousiasme des bénévoles tout en élevant le niveau de savoir-faire. Europa Nostra a apporté sa reconnaissance à ce secteur et – à Bergen, en 2005 – a attiré l’attention sur le degré d’auto-assistance existant en Norvège (dugnod). Le prix qu’elle décerne chaque année comporte une catégorie pour l’éducation, la formation et la sensibilisation.
26. On ne doit pas oublier la situation particulière des propriétaires d’un bien historique qui souhaitent y faire eux-mêmes des travaux. Que ce soit comme artisans ou comme propriétaires privés responsables de leur bien, ils ont un rôle direct à jouer et leur apport peut accroître considérablement les ressources financières et autres disponibles pour la conservation. Il importe que leur participation soit aussi conforme que possible aux principes de conservation.

4. Il convient d’intensifier la coopération internationale

27. Une manière d’y parvenir est d’encourager davantage la mise en réseau de métiers du patrimoine. La fondation européenne Pro Venetia Viva a créé le Centre de Venise en tant que projet pilote initialement limité aux métiers de conservation architecturale. En 1995, l’initiative a été prise d’étendre la portée de cette fondation en faisant d’elle un réseau européen chargé de favoriser tous les métiers du patrimoine, connu sous la dénomination officielle «Fondation Venetia – Fondation européenne pour les métiers du patrimoine» (désignée ci-après par son sigle français FEMP). Puis, en novembre 1998, une «Association FEMP» a été enregistrée à Strasbourg (car pour pouvoir être financée par l’Union européenne, la nouvelle institution devait avoir son siège dans un pays membre de l’Union, ce qui n’était pas le cas de la Fondation PVV initiale, qui avait son siège en Suisse). La FEMP a mené à bien diverses activités qui ont démontré son utilité, notamment comme moyen unique d’attirer les crédits de l’Union européenne (par exemple pour le vaste projet HEREIN), mais aussi comme moyen de répandre l’information sur les métiers du patrimoine. Je suis devenu Président de la FEMP en mars 1998 et le suis toujours aujourd’hui, car aucune action n’a été entreprise par suite de la décision de Walter Schwimmer, alors Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, de retirer à la Fondation les crédits et le personnel du Conseil de l'Europe à la fin de l’année 2001. Le susnommé a pris sa décision malgré les interventions de l’Assemblée et une proposition directe de la conférence ministérielle spécialisée de Portoroz tendant à ce que la FEMP soit «officiellement placée sous les auspices du Conseil de l'Europe». Une action s’impose, d’ailleurs, pour résoudre cette situation, soit en relançant l’action de la Fondation, soit en fermant celle-ci. Personnellement, j’aimerais faire revivre cette fondation, car je la crois nécessaire, mais j’ai besoin pour cela d’un soutien financier et politique.
28. Une autre manière d’y parvenir est d’étudier constamment et intégralement les compétences disponibles en matière de conservation. Cette tâche pourrait être accomplie par le Conseil de l'Europe en conjonction avec l’Union européenne, l’ICCROM et d’autres agences spécialisées ou organismes professionnels – tels le RIBA ou l’IHBC au Royaume-Uni et des ONG comme REMPART en France – afin d’élaborer une stratégie européenne pour la gestion concertée de la conservation du patrimoine. Cette stratégie devrait couvrir le problème de la reconnaissance des qualifications professionnelles, pour la résolution duquel le récent Cadre européen des qualifications (2008) suggère une approche pratique. La création au Royaume-Uni, en avril dernier, de la Heritage Skills Task Force devrait aussi bénéficier d’un soutien.

5. Conclusion

29. Le Conseil de l'Europe a la possibilité de coordonner son rôle dans l’éducation, la formation et l’emploi avec sa prééminence traditionnelle dans le domaine du patrimoine culturel. Il pourrait réaffirmer son rôle dans le domaine du patrimoine par la création d’un réseau des métiers de conservation du patrimoine en partenariat avec le secteur privé. Il devrait profiter de la réinstallation du centre de conservation à Thiene pour lancer cette activité. Il devrait aussi promouvoir la création d’autres centres, notamment en Europe centrale et orientale. Enfin, il devrait lancer une étude permanente et exhaustive des compétences disponibles en matière de conservation. Le rôle du secteur non gouvernemental est vital, et il convient d’encourager pleinement les organismes qui travaillent dans ce domaine.

Annexe – Liste des contributions écrites

(open)

1. Cathedrals and Church Buildings, Royaume-Uni
2. Chalmers University of Technology et Université de Göteborg
3. COTAC (Conference on Training in Architectural Conservation), Royaume-Uni
4. Construction Skills (Royaume-Uni)
5. Deutsche Stiftung Denkmalschutz (Allemagne)
6. European Maritime Heritage
7. Heritage Afloat (Royaume-Uni)
8. Heritage Link (Royaume-Uni)
9. Heritage Railway Association (Royaume-Uni)
10. Historic Chapels Trust (Royaume-Uni)
11. Icomos UK
12. Icon (Institute for Conservation), Royaume-Uni
13. Institut du Patrimoine Wallon (Belgique)
14. International Network for Traditional Building, Architecture and Urbanism
15. Maisons Paysannes de France
16. National Heritage Training Group (Royaume-Uni)
17. North of England Civic Trust (Royaume-Uni)
18. Transylvania Trust (Roumanie)
19. Union REMPART (France)

Ces contributions sont disponibles en langue originale également auprès du secrétariat.

Commission chargée du rapport: Commission de la culture, de la science et de l’éducation

Renvois en commission: Doc. 11268, Renvoi n° 3357 du 25 juin 2007

Projet de recommandation et projet de résolution adoptés à l’unanimité par la commission le 2 octobre 2008

Membres de la commission: Mme Anne Brasseur (Présidente), Baronne Hooper, M. Detlef Dzembritzki, M. Mehmet Tekelioğlu (Vice-Présidents), M. Remigijus Ačas, M. Vincenç Alay Ferrer, M. Kornél Almássy, Mme Aneliya Atanasova, M. Lokman Ayva, M. Rony Bargetze, M. Walter Bartoš, M. Radu Mircea Berceanu, Mme Deborah Bergamini, Mme Oksana Bilozir (Remplaçante: Mme Olha Herasym’yuk), Mme Guðfinna Bjarnadóttir, Mme Ana Blatnik, Mme Rossana Boldi, M. Ivan Brajović, M. Vlad Cubreacov, Mme Lena Dabkowska-Cichocka, M. Ivica Dačić, M. Joseph Debono Grech, M. Ferdinand Devinsky, M. Daniel Ducarme (Remplaçant: M. Hendrik Daems), Mme Åse Gunhild Woie Duesund, Mme Anke Eymer, M. Relu Fenechiu, Mme Blanca Fernández-Capel, M. Axel Fischer, M. Gvozden Srećko Flego, M. Dario Franceschini (Remplaçante: Mme Federica Mogherini Rebesani), M. José FreireAntunes (Remplaçant: M. José Luis Arnaut), M. Guiorgui Gabashvili (Remplaçant: M. Guiorgui Targamadze), M. M. Ioannis Giannellis-Theodosiadis, M. Paolo Giaretta, M. Stefan Glǎvan, M. Raffi Hovannisian, M. Rafael Huseynov, M. Fazail Ibrahimli, M. Mogens Jensen, M. Morgan Johansson, Mme Francine John-Calame, Mme Liana Kanelli (Remplaçante: Mme Rodoula Zissi), M. Jan Kaźmierczak, Miss Cecilia Keaveney, Mme Svetlana Khorkina (Remplaçant: M. Oleg Lebedev, M. Serhii Kivalov, M. Anatoliy Korobeynikov, Mme Elvira Kovács, M. József Kozma, M. Jean-Pierre Kucheida, M. Ertuğrul Kumcuoğlu, M. Markku Laukkanen, M. Jacques Legendre, M. René van der Linden, Mme Milica Marković, Mme Muriel Marland-Militello, M. Andrew McIntosh (Remplaçante: Baronne Knight of Collingtree), Mme Maria Manuela de Melo, Mme Assunta Meloni, M. Paskal Milo, Mme Christine Muttonen, Mme Miroslava Nĕmcová, M. Edward O’Hara, M. Kent Olsson, M. Andrey Pantev, Mme Antigoni Papadopoulos, Mme Majda Potrata, Mme Adoración Quesada Bravo, M. Paul Rowen (Remplaçant: M. Robert Walter), Mme Anta Rugāte, M. Indrek Saar, Mme Ana Sánchez Hernández, M. André Schneider (Remplaçant Mr Frédéric Reiss), M. Yury Solonin (Remplaçant: M. Oleg Panteleev), M. Christophe Steiner, Mme Doris Stump, M. Valeriy Sudarenkov (Remplaçant: M. Ivan Melnikov), M. Petro Symonenko, M. Hugo Vandenberghe, M. Klaas de Vries, M. Piotr Wach, M. Wolfgang Wodarg.

N.B: Les noms des membres qui ont pris part à la réunion sont imprimés en caractères gras

Secrétariat de la commission: M. Grayson, M. Ary, M. Dossow