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Rapport | Doc. 11758 | 04 novembre 2008

Les soins palliatifs: un modèle pour des politiques sanitaires et sociales novatrices

(Ancienne) Commission des questions sociales, de la santé et de la famille

Rapporteur : M. Wolfgang WODARG, Allemagne

Résumé

L’importance des soins palliatifs en tant que concept global, susceptible de compléter et d’améliorer les programmes de soins existants, est à présent reconnue dans de nombreux Etats membres du Conseil de l’Europe. Les soins palliatifs constituent un complément essentiel et novateur sur le plan social à la médecine curative, fortement marquée par la science, laquelle doit subordonner le bien-être subjectif du patient à l’objectif de guérison et s’accompagne de restrictions liées au traitement et parfois d’importants effets secondaires.

Le rapport vise donc à mettre en lumière le problème essentiel des soins de santé hautement perfectionnés et très coûteux apportés en particulier en Europe occidentale, qui proposent à des intervalles de plus en plus courts des innovations en matière de technologie médicale et de pharmacologie, suscitant les espoirs du public quant à leur succès thérapeutique. Cependant, il est de plus en plus évident que cette forme de soins de santé répond de moins en moins aux besoins fondamentaux des personnes atteintes de maladies chroniques ou rares.

Le rapporteur voit dans les soins palliatifs un modèle pour des politiques sanitaires et sociales novatrices. Le concept de soins palliatifs ne fait pas que répondre à un besoin culturel et humanitaire de la plus haute importance; il apporte également une structure novatrice qui, si elle est soutenue intelligemment, non seulement suscitera un changement durable dans le secteur médical, mais pourra aussi servir de «recette du succès» dans d’autres domaines d’action où se posent des problèmes graves, systémiques et récurrents (par exemple la prévention de la toxicomanie).

Le rapporteur considère donc que les soins palliatifs constituent un élément indispensable à des soins de santé appropriés qui se fondent sur une conception humanitaire de la dignité et de l’autonomie, des droits de l’homme, des droits des patients et sur une conception généralement reconnue de la solidarité et de la cohésion sociale.

Le rapport préconise un vaste débat public sur les priorités en matière de soins de santé, s’appuyant sur des objectifs sanitaires raisonnables et les droits fondamentaux des patients. La protection des droits fondamentaux faisant partie des devoirs de l’Etat et ne relevant pas de la politique d’intérêt, ce débat ne peut être laissé à une politique de groupes d’intérêts.

A. Projet de résolution

(open)
1. L’Assemblée parlementaire note que les soins palliatifs apportent un complément important et socialement novateur à la médecine curative, qui s’appuie beaucoup sur la science, subordonne le bien-être subjectif du patient à la recherche de la guérison et s’accompagne de restrictions liées au traitement et, parfois, d’importants effets secondaires.
2. A cet égard, la position de l’Assemblée est conforme à la définition donnée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), aux termes de laquelle les soins palliatifs cherchent à améliorer la qualité de vie des patients et de leur famille, face aux conséquences d’une maladie potentiellement mortelle, par la prévention et le soulagement de la souffrance, identifiée précocement et évaluée avec précision, ainsi que par le traitement de la douleur et des autres problèmes physiques, psychologiques et spirituels qui y sont liés.
3. L’Assemblée souligne, toutefois, que cette définition n’insiste pas assez sur le potentiel novateur de la démarche en question, ce qui pourrait amener l’opinion publique à penser que les soins palliatifs sont un luxe humanitaire qu’on ne peut plus se permettre en raison des difficultés économiques actuelles.
4. L’Assemblée note que malgré leur qualité et leur coût très élevés, les soins médicaux actuels apportés aux personnes, en fin de vie notamment, ne répondent pas aux besoins fondamentaux de nombreuses personnes (patients atteints d’une maladie grave ou chronique ou nécessitant des soins individuels très importants). A l’heure où les politiques sanitaire et sociale sont de plus en plus dictées par des considérations économiques, il existe un nombre croissant de personnes qui ne peuvent compter sur un groupe de pression assez fort pour défendre leurs droits fondamentaux.
5. L’Assemblée voit dans les soins palliatifs un modèle pour des politiques sanitaire et sociale novatrices, car ils prennent en compte les changements de la manière dont sont perçues la santé et la maladie, et ne partent plus du principe selon lequel le libre arbitre et la participation à la vie sociale présupposent la guérison. Il s’ensuit que l’autonomie est une des conditions de la «santé» entendue de façon subjective, qui suppose la liberté de chacun de décider de la manière dont on aborde la maladie et la mort.
6. L’Assemblée note que les soins palliatifs permettent aux personnes atteintes de maladies graves, qui souffrent ou sont en état de grande détresse, d’exercer leur libre arbitre. Cette approche ne traduit donc pas uniquement un besoin, mais favorise directement la reconnaissance des droits de la personne et du citoyen et le droit de participer à la vie sociale jusqu’à la mort.
7. L’Assemblée juge nécessaire que soit étendue de toute urgence la portée de ce mode novateur de traitement et de soins. Les soins palliatifs devraient devenir accessibles non seulement aux malades en fin de vie, mais aussi aux patients atteints de maladies graves ou chroniques ainsi qu’à toutes les personnes qui nécessitent des soins individuels très importants, qui pourraient bénéficier de cette démarche.
8. Les soins palliatifs peuvent être compris comme relevant d’une démarche élaborée de façon pragmatique en vue d’apporter des soins appropriés, ce qui passe par une médication et des soins intégrés et centrés sur le patient ainsi que d’autres services liés au domaine de la santé et d’autres ressources sociales. Cela suppose, par exemple, l’intervention fructueuse de bénévoles et la possibilité de recourir, selon les besoins, à un soutien social, psychologique et spirituel, lequel peut avoir, pour certains patients, plus d’importance que les soins médicaux proprement dits.
9. Ces constatations amènent l’Assemblée à tirer aussi des conclusions du débat sur l’euthanasie, dont il est ressorti qu’un Etat de droit libéral ne saurait laisser en suspens des questions éthiques touchant à la vie et à la mort d’êtres humains.
10. L’adhésion au pluralisme éthique ne garantit pas à l’individu une liberté maximale pour ce qui est des questions d’éthique, mais privilégie, dans la société, l’arbitraire, le relativisme et, en pratique, le nihilisme par rapport à des positions éthiques raisonnablement étayées. Cela conduit à une perte de repères générale et, en fin de compte, à l’érosion de l’Etat de droit libéral.
11. L’Assemblée rappelle, à cet égard, les recommandations pertinentes concernant les mourants qui figurent dans le rapport de 1980 du Comité européen de la santé intitulé «Problèmes concernant la mort: soins apportés aux mourants» et dans sa Recommandation 1418 (1999) sur la protection des droits de l’homme et de la dignité des malades incurables et des mourants.
12. Elle reconnaît que toute intervention médicale trouve ses limites dans l’autonomie du patient, dans la mesure où celui-ci exprime sa volonté de renoncer à un traitement curatif ou lorsque, indépendamment de toute évaluation médicale de son état de santé, il l’exprime clairement, par exemple dans un testament de vie.
13. L’Assemblée espère que les soins palliatifs offrent aussi la perspective d’une mort digne pour les patients qui ont abandonné tout espoir et qui ont, lorsque la possibilité leur en a été donnée, renoncé à un traitement curatif, mais qui acceptent d’être soulagés de leur douleur et d’avoir un soutien social.
14. C’est pourquoi elle considère les soins palliatifs comme un élément essentiel de soins de santé appropriés fondés sur une conception humanitaire de la dignité humaine et de l’autonomie ainsi que des droits de l’homme, du citoyen et du patient, de même que sur une conception généralement admise de la solidarité et de la cohésion sociale.
15. Elle souligne que la Recommandation Rec(2003)24 du Comité des Ministres aux Etats membres sur l’organisation des soins palliatifs offre déjà une bonne base pour le renforcement de la démarche en la matière.
16. L’Assemblée réaffirme les quatre domaines d’application des soins palliatifs qu’énonce la Recommandation Rec(2003)24 dans le droit-fil de la définition de l’OMS – maîtrise des symptômes, soutien psychologique, spirituel et émotionnel, soutien à la famille, soutien lors du deuil – et, en conséquence, elle recommande particulièrement aux Etats membres:
16.1. de mettre en place un cadre cohérent et complet au niveau de la politique sanitaire nationale en matière de soins palliatifs;
16.2. d’encourager la coopération internationale des diverses organisations, institutions, instituts de recherche et autres instances œuvrant dans le domaine des soins palliatifs.
17. Etant donné les grandes différences qu’on observe quant à l’évolution de ce domaine d’activité dans les pays européens, l’Assemblée est consciente que, bien qu’une mise en œuvre rapide au sein des structures existantes de prise en charge soit souhaitable en vue d’un financement durable, ce dernier risque justement de comporter d’importants obstacles à l’emploi d’une démarche souple de soins et de traitement.
18. C’est pourquoi elle estime qu’une analyse détaillée des obstacles structurels ainsi qu’une analyse exacte des besoins à l’aide d’un ensemble minimal de données tel que proposé à l’annexe de la Recommandation Rec(2003)24 sont nécessaires pour parvenir à des modifications effectives et durables des systèmes de santé existants.
19. Selon elle, si l’on veut que, dans le système de santé, les droits fondamentaux prennent le pas sur d’autres droits des patients, les priorités en matière de soins de santé devront faire l’objet d’un vaste débat public axé sur des objectifs sanitaires raisonnables. La protection des droits fondamentaux faisant partie des responsabilités de l’Etat, elle ne saurait être laissée à une politique de groupes d’intérêts.
20. L’Assemblée estime que l’éthique, en tant que philosophie pratique, a donc un rôle fondamental à jouer dans la structuration du débat public sur les objectifs de santé et l’ordre des priorités en matière de soins.
21. En conséquence, sur le plan général, l’Assemblée recommande aux Etats membres:
21.1. de ne pas aborder l’éthique sous le seul angle de la mise en œuvre, mais de s’y référer systématiquement, car ce n’est qu’en clarifiant et en classifiant les positions fondamentales qu’on pourra parvenir, au sein de la société, à un consensus durable sur des questions éthiques controversées et une répartition équitable des ressources;
21.2. de viser, dans le cadre de la politique sanitaire comme dans celui de la politique économique et financière, à une meilleure rétribution des prestations de services non liées à des produits pour que, à l’aide de la politique économique et des incitations fiscales, la politique sociale puisse contrer plus efficacement la domination croissante de l’économie sur la société;
21.3. de s’attacher, d’une manière générale, à renforcer le secteur des soins de santé primaires en vue de mettre les patients à l’abri d’interventions médicales non indiquées et d’insister de nouveau davantage sur le besoin important de communication entre le médecin et le patient, véritable fondement d’une médecine rationnelle axée sur le patient;
21.4. de promouvoir dans la société, avec les moyens dont dispose l’Etat pour exercer son influence, une vision de la médecine mettant l’accent sur les soins palliatifs comme un pilier essentiel des soins auxquels le patient a droit.
22. Par ailleurs, sur le plan pratique, l’Assemblée recommande également aux Etats membres:
22.1. de considérer et de promouvoir la maîtrise effective des symptômes chez les personnes gravement malades comme une condition essentielle de la relation médecin-patient et du libre arbitre de ce dernier, en vue d’intégrer le potentiel novateur des soins palliatifs au domaine de la médecine curative;
22.2. dans le cadre d’une approche cohérente de la politique sanitaire visant à élaborer une stratégie spécifique destinée à améliorer l’offre de soins palliatifs, d’identifier des indicateurs concrets permettant de vérifier les progrès accomplis dans la prise en charge des patients sur une période donnée;
22.3. d’établir des rapports annuels pour que les lacunes puissent être examinées le plus rapidement possible et comblées de manière appropriée;
22.4. de réagir avec diligence, par exemple par le biais de réglementations spéciales concernant le financement des soins palliatifs, s’il apparaît que les antalgiques ne sont pas administrés de la manière souhaitée ou que la normalisation des traitements hospitaliers (groupes homogènes de diagnostic – DRG) a des retombées négatives sur les structures et les pratiques existantes;
22.5. en ce qui concerne la réglementation des testaments de vie:
22.5.1. de s’abstenir de mettre en place des mécanismes juridiques risquant de créer des problèmes d’interprétation dans la pratique;
22.5.2. de procéder à une évaluation exhaustive des conséquences juridiques, parmi lesquelles d’éventuels effets secondaires juridiques tels que la responsabilité financière («les soins en tant que préjudice pécuniaire»).

B. Exposé des motifs, par M. Wodarg

(open)

1. Considérations d’ordre général

1. L’importance des soins palliatifs en tant que concept global, susceptible de compléter et d’améliorer les programmes de soins existants, est à présent reconnue dans de nombreux pays à travers le monde.
2. A l’origine, les soins palliatifs étaient considérés comme une façon de soigner les personnes dont le décès était imminent. Depuis, il est admis que le concept de prise en charge globale peut être très bénéfique à un stade bien antérieur aux personnes atteintes de maladies incurables. Ces soins incluent et viennent compléter, par exemple, des thérapies curatives dont les effets indésirables peuvent être atténués par une intervention précoce, ou répondent, au moyen d’un soutien psychosocial ou spirituel, à certains problèmes du patient qui peuvent le démoraliser davantage que la maladie physique elle-même. Sur le plan pratique, il est également contre-productif de limiter les soins palliatifs à la fin de vie imminente, car le terme «abandonné par les médecins» entraîne chez le patient des réactions de peur et de défense.
3. Leur extension aux personnes n’ayant pas de maladie mettant leur vie en danger (par exemple les malades chroniques) et à la prise en charge des personnes âgées en général est une lourde tâche pour l’avenir. Les soins prodigués à ces catégories de personnes sont particulièrement inadaptés, du fait des économies nécessaires dans le secteur de la santé. Tout comme les personnes en fin de vie, les malades chroniques présentent une multitude de troubles, également d’ordre psychosocial: l’approche globale des soins palliatifs présente donc pour eux des avantages considérables.
4. L’importance accordée à l’autonomie du patient, notamment au cours de la dernière phase de la vie, se fonde sur le fait que, dans le monde moderne, la mort n’est plus un processus naturel: elle dépend, dans une large mesure, de décisions médicales et intervient dans des établissements médicaux. En prolongeant artificiellement la vie, on peut engendrer une prolongation de la souffrance, ce contre quoi de nombreuses personnes veulent se prémunir, par exemple en demandant une aide au suicide ou en rédigeant un testament de vie dans lequel elles expriment leur volonté de refuser tout traitement.
5. Une offre complète en matière de programmes de soins palliatifs, à l’échelle de tout un pays, est nécessaire pour s’opposer efficacement à la pratique de l’euthanasie active, demandée avec de plus en plus d’insistance dans de nombreux pays européens.
6. La région Europe de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) compte 52 Etats pour un total de 879 millions d’habitants. Près de 9 millions de personnes y meurent chaque année, dont 24 % du cancer. Etant donné l’élévation de l’âge global de la population, en particulier dans les pays occidentaux, il faut s’attendre à une augmentation considérable du nombre de patients cancéreux. Il est communément admis que l’évolution démographique renforce encore la nécessité urgente d’offrir des soins palliatifs de qualité, à l’échelle de tout un pays.
7. Si, jusqu’à présent, l’Union européenne ne s’est engagée que de manière limitée à offrir de meilleurs programmes de soins palliatifs, on a assisté ces dernières années à une intensification des efforts dirigés vers une Europe élargie. Les premières collectes fiables et systématiques de données réalisées par l’Association européenne de soins palliatifs (EAPC), fondée en 1988, montrent que seul un petit nombre d’Etats n’ont pas pris d’initiatives en matière de soins palliatifs.
8. Les comparaisons entre pays montrent toutefois d’importantes disparités dans la qualité des soins et la rapidité de l’évolution de ce secteur. Dans certains pays, le problème de la mise à disposition de soins appropriés ne se pose qu’au niveau régional (par exemple en Allemagne). Il semblerait qu’un aspect essentiel d’un bon développement soit le degré de réussite de la mise en œuvre des soins palliatifs dans le système de santé existant et d’autres secteurs de la sécurité sociale 
			(1) 
			David
Clark, Carlos Centeno, «Palliative Care in Europe: an emerging approach
to comparative analysis», Clinical Medicine, Vol. 6,
No. 2, March/April 2006, p. 197-201..
9. Ces dernières années, l’OMS a étudié de manière approfondie la question des soins palliatifs et a publié en 2004 deux documents traitant en particulier de certains aspects des soins 
			(2) 
			OMS (2004), Soins palliatifs – les faits et Des soins palliatifs de meilleure qualité pour
les personnes âgées, Editions OMS, Genève.. Sa définition des soins palliatifs (1999, actualisée en 2002) est la définition internationalement reconnue de ce domaine de la médecine: «Les soins palliatifs cherchent à améliorer la qualité de vie des patients et de leur famille face aux conséquences d’une maladie potentiellement mortelle, par la prévention et le soulagement de la souffrance, ainsi que le diagnostic et le traitement précoces de la douleur et des autres problèmes physiques, psychosociaux et spirituels qui lui sont liés.» 
			(3) 
			Sepulveda C.,
Marlin A., Yoshida T., Ullrich A., «Palliative Care: the World Health
Organization’s global perspective», Journal
of Pain and Symptom Management, 2002, 24: 91-96. OMS
(2002), Définition des soins palliatifs.
Voir le site <a href='www.who.int/cancer/palliative/definition/en/print.html'>www.who.int/cancer/palliative/definition/en/print.html.</a> Clark D., Centeno C. (op.
cit., p. 199) commentent les initiatives de l’OMS comme
suit: «En dépit de la symbolique forte de ces initiatives, il semble
malheureusement pour l’instant n’y avoir que peu de preuves de l’efficacité
de ces activités» ; «Les soins palliatifs cherchent à améliorer
la qualité de vie des patients et de leur famille, face aux conséquences
d’une maladie potentiellement mortelle, par la prévention et le soulagement
de la souffrance, identifiée précocement et évaluée avec précision,
ainsi que le traitement de la douleur et des autres problèmes physiques,
psychologiques et spirituels qui lui sont liés.»
10. Contrairement à l’Union européenne, le Conseil de l’Europe a déjà commencé des analyses approfondies de l’évolution des soins palliatifs. S’inspirant du rapport du Comité européen de la santé (1980) «Problèmes concernant la mort: soins apportés aux mourants» et de la Recommandation 1418 de l’Assemblée parlementaire de 1999 «Protection des droits de l’homme et de la dignité des malades incurables et des mourants», le Comité des Ministres a décidé en 2001 de créer une commission d’experts, qui a élaboré en deux ans des lignes directrices européennes pour l’organisation des soins palliatifs. Le 12 novembre 2003, la Recommandation Rec(2003)24 du Comité des Ministres aux Etats membres sur l’organisation des soins palliatifs a été adoptée, accompagnée d’un rapport explicatif complet. L’année suivante, le document avait déjà été traduit dans 17 langues européennes, et donc clairement pris en considération dans la plupart des pays européens 
			(4) 
			Conseil de l’Europe,
Recommandation Rec(2003)24 du Comité des Ministres aux Etats membres
sur l’organisation des soins palliatifs. Adoptée par le Comité des
Ministres le 12 novembre 2003 à la 860e réunion
des Délégués des ministres des Affaires étrangères..
11. Selon le rapport, les soins palliatifs «font partie intégrante du système de santé et constituent un élément inaliénable du droit des citoyens à des soins» (Recommandation). «La politique des soins palliatifs doit être fondée sur les valeurs posées par le Conseil de l’Europe: droits de l’homme et droits des patients, dignité humaine, cohésion sociale, démocratie, équité, solidarité, égalité des chances entre les sexes, participation et liberté de choix.»
12. Les soins palliatifs présentent plusieurs aspects essentiels:
  • le soulagement des symptômes;
  • le soutien psychologique, spirituel et émotionnel;
  • le soutien apporté à la famille;
  • le soutien lors du deuil.
13. Le rapport recommande aux gouvernements des Etats membres d’adopter les politiques et les mesures législatives et autres nécessaires à la mise en place d’un cadre cohérent et complet au niveau national en matière de soins palliatifs et d’encourager la mise en réseau, au niveau international, des organisations, des instituts de recherche et des autres instances œuvrant dans le domaine des soins palliatifs.
14. Il y est noté: «Alors que, dans de nombreux pays, la majeure partie du budget de la santé est consacrée aux personnes ayant atteint les dernières années de leur vie, ces personnes ne reçoivent pas toujours les soins les plus adaptés à leurs besoins.»
15. Cette formulation prudente vise le problème essentiel des soins de santé hautement perfectionnés et très coûteux apportés en particulier en Europe occidentale, qui proposent à des intervalles de plus en plus courts des innovations en matière de technologie médicale et de pharmacologie, entraînant de la part des citoyens des attentes élevées quant au succès thérapeutique. Cependant, il est de plus en plus évident que cette forme de soins de santé ne répond pas aux besoins fondamentaux des personnes atteintes de maladies chroniques ou rares, ou d’une maladie entraînant la mort à court ou à long terme.
16. Le concept global de soins palliatifs en tant que tentative de repenser la médecine est né avec raison dans les années 1960 d’un mouvement de citoyens s’étendant au-delà de l’espace culturel européen. Dans de nombreux pays à travers le monde, on observe que certaines parties de la société demandent et offrent aux patients et aux malades des formes de soins complémentaires destinées à compenser les insuffisances de la «médecine moderne».
17. Cette évolution peut être considérée comme une initiative parallèle des citoyens et des professionnels, qui a connu un degré de réussite remarquable dans certains pays (par exemple au Royaume-Uni), et ce dans un délai relativement court, en dépit de financements publics très limités.
18. Depuis le lancement des premiers programmes de soins palliatifs au Royaume-Uni, beaucoup de choses ont changé dans la façon de les pratiquer. Les établissements les plus fréquemment concernés sont les «hospices» ou les centres de soins palliatifs, mais des unités de soins sont de plus en plus souvent créées dans des centres de court séjour, des centres d’oncologie ou des hôpitaux universitaires. Dans de nombreux pays, outre les services hospitaliers et les équipes de soins palliatifs à domicile, des équipes mobiles ou d’accompagnement ont été créées dans les hôpitaux généraux, qui supervisent les soins et le traitement des patients. Des programmes ont été mis en place dans les maisons de retraite médicalisées, et il existe des équipes hautement spécialisées qui permettent une hospitalisation à domicile. Il existe également des centres de jour. Aujourd’hui, les équipes de soins palliatifs ne se limitent pas à un domaine; au contraire, dans certains pays, elles viennent en aide aux patients, où qu’ils se trouvent: à l’hôpital, à domicile ou dans une maison de retraite médicalisée, le cas échéant.
19. L’un des impératifs majeurs pour l’évolution future est l’élaboration d’indicateurs donnant des informations sur le cadre juridique, la qualité des soins, la formation et la recherche les mieux adaptés. L’élaboration de ces indicateurs est difficile, comme en témoigne l’exemple de l’indicateur potentiel «lieu du décès» 
			(5) 
			Tolle S.W., Rosenfeld A.G.,
Tilden V.P., Park Y., «Oregon’s low in-hospital death rates: what
determines where people die and satisfaction with decisions on place
of death?», Ann Intern Med, 1999,
130: 681-5..
20. La poursuite de l’extension des structures créées au-delà de maladies bien spécifiques (cancer, sida) est menacée par les graves problèmes financiers auxquels doivent faire face les systèmes de sécurité sociale en raison du taux de chômage élevé. Etant donné que chaque année des sommes considérables doivent être mobilisées pour stabiliser la situation et garantir l’existence de personnes qui ne peuvent pas, ou peuvent en partie seulement, assurer leur subsistance et celle de leurs enfants par leurs seuls moyens, et que le nombre de personnes exerçant une activité rémunérée et payant des cotisations à cette fin est en constante diminution, il ne reste aujourd’hui pas beaucoup de place pour les investissements d’avenir (éducation, formation, environnement) ou pour des projets novateurs dans le domaine social et des soins de santé. L’on peut se demander dans quelle mesure les électeurs apporteront du crédit aux députés pour des stratégies politiques à plus long terme, notamment dans l’éventualité d’une réduction des prestations qui serait immédiatement ressentie par la population.
21. Actuellement, le niveau de soins dans le secteur infirmier est insuffisant. Les changements démographiques imminents aggraveront considérablement ce problème, à moins que les structures actuelles ne soient modifiées durablement. La prise en charge des patients en soins palliatifs dans les maisons de retraite médicalisées deviendra l’un des principaux problèmes de ces dix prochaines années. S’agissant des soins aux personnes âgées, le concept de soins palliatifs prendra une importance toute particulière, plus encore qu’aujourd’hui.
22. L’Allemagne n’est pas le seul pays dans lequel il n’y a pas d’organisation de défense des intérêts des personnes gravement malades et des personnes en fin de vie. Les responsables politiques et des soins de santé ne considèrent pas les patients en soins palliatifs comme des clients lucratifs. Ce problème fondamental doit être examiné et réglé avec le courage politique qui s’impose.
23. Le concept de soins palliatifs ne fait pas que répondre à un besoin culturel et humanitaire de la plus haute importance; il apporte également une structure novatrice qui, si elle est soutenue intelligemment, suscitera un changement durable dans le secteur médical et servira de «recette du succès» dans d’autres domaines d’action où se posent des problèmes de plus en plus graves (prévention des toxicomanies, éducation, marché du travail).
24. Il convient de porter une attention particulière au concept et à la compréhension de l’autonomie ainsi qu’à l’importance de ce principe fondamental dans la prise de décisions médicales. L’orientation du patient jouant un rôle majeur dans les soins palliatifs, elle est un important indicateur de réussite. Même s’il est difficile de recueillir les données correspondantes, il faut évaluer si les patients se sentent plus autonomes du fait des soins palliatifs et quelle importance ils attribuent à ce renforcement de leur capacité d’agir (par exemple lors de la décision du lieu dans lequel ils souhaitent mourir). Dans l’état actuel du débat, l’autonomie du patient ne devient importante que s’il y a eu une indication médicale, par exemple si le patient refuse la thérapie qui lui est proposée (le patient n’est pas en mesure de demander une procédure pour laquelle il n’y a pas d’indication). Les problèmes proviennent des différents facteurs qui peuvent influer sur l’indication médicale. L’on ne sait pas vraiment comment aborder les cas ambigus: par exemple, le patient veut rentrer chez lui, mais les proches refusent de le soigner (par exemple parce qu’ils ne pensent pas pouvoir y arriver). Comment un médecin évaluera-t-il le libre arbitre d’un patient atteint de la maladie d’Alzheimer qui n’aura peut-être pas entièrement compris l’explication donnée?
25. L’Europe est un vivier de bonnes pratiques: les premières données des études menées par le groupe de travail de l’Association européenne de soins palliatifs sont présentées ci-après. Ces études visent à évaluer le développement des soins palliatifs en Europe. Elles ont été réalisées dans le cadre d’une coopération entre plusieurs organisations telles que Hospice Information, l’Association internationale des soins palliatifs et l’Observatoire international sur l’accompagnement de la fin de vie de l’université de Lancaster.
26. Les études effectuées à partir des données existantes font apparaître, en matière d’offres de soins palliatifs, de grandes disparités entre les différents pays et entre les différentes régions d’un même pays (zones urbaines et zones rurales, par exemple); une concentration unilatérale sur certains groupes de patients (cancéreux); une sous-représentation des enfants par rapport aux adultes ainsi qu’une implication insuffisante du secteur des soins. Peu de pays sont dotés de normes en matière de soins; et rares sont ceux dans lesquels ces normes ont été fixées à l’initiative du gouvernement 
			(6) 
			On trouvera un aperçu
sous: www.hospices.com/standards/..
27. A l’évidence, le thème de la mort demeure un tabou tant dans le milieu scientifique qu’au sein de l’opinion. Cela saute aux yeux en médecine: la majorité des médecins acquièrent, au cours de leur formation, de solides connaissances spécialisées mais ne savent pas comment se comporter face à un mourant. On ne peut que se féliciter du succès que remporte la nouvelle discipline qu’est la médecine palliative, mais il pourrait néanmoins se révéler utile de procéder à une rétrospective systématique sur le plan de la théorie scientifique. En effet, nous avons certainement envie de connaître les raisons pour lesquelles on en est arrivé à occulter un domaine d’application aussi essentiel de la médecine.

2. La question de l’automatisme fatal

28. Un débat scientifique de grande ampleur sur les concepts d’autonomie est également nécessaire eu égard aux demandes croissantes d’euthanasie active dans l’intérêt de l’autonomie du patient. Les testaments de vie peuvent au contraire générer une illusion dangereuse d’autonomie qui représente, dans des situations vraiment extrêmes, une incitation à prendre une décision contraire aux intérêts vitaux des personnes concernées et qui porte atteinte à la relation de confiance entre le patient et le médecin 
			(7) 
			Rapport intérimaire
de la Commission d’étude sur l’éthique et le droit de la médecine
moderne, 15e mandature, «Testaments de
vie», Conclusions et recommandations, Document papier 15/3700..
29. La mise en place des testaments de vie, telle qu’elle est actuellement à l’étude en Allemagne, ne résout pas le problème de la nécessité de déterminer de manière appropriée la volonté du patient. Ce n’est en effet que dans le cas idéal où celui-ci aura clairement exprimé sa volonté que les médecins pourront intervenir ou s’abstenir d’intervenir en se fondant exclusivement sur le souhait exprès du patient. Dans la pratique, toutefois, cette volonté s’exprime la plupart du temps dans des déclarations contradictoires qui appellent une vérification ou, lorsque cela est impossible, une libre interprétation pour en tirer des indications claires. La plupart des testaments de vie ne sont pas exempts de contradictions.
30. Le devoir du médecin d’apporter son assistance à un patient en détresse interdit de poser la question du rôle de l’éthique; or cette question est essentielle sur le plan moral. L’éthique doit-elle faciliter la résolution de dilemmes graves, comme ceux auxquels est confronté un médecin accompagnant une personne en fin de vie, par un affaiblissement des commandements éthiques (code de déontologie)? Mais n’est-ce pas précisément cet affaiblissement qui a un effet désorientant à plus long terme parce qu’il entraîne la disparition de l’éthique en tant qu’étalon raisonnable permettant de maintenir dans des limites claires et précises à la fois l’action et les choix?
31. Une communication réussie entre le médecin et son patient ne tire pas sa véritable valeur éthique du fait qu’elle permet à ce dernier d’opérer, avec l’aide du médecin, un choix éclairé entre différentes options thérapeutiques, comme il déciderait, en tant que client d’un supermarché, d’acheter tel produit plutôt que tel autre. Elle la tire du fait que c’est le patient lui-même qui assume la responsabilité de la décision et qu’il est auparavant clairement informé des inconvénients et des effets secondaires d’une intervention.
32. Dans un système juridique libéral, on ne saurait laisser en suspens les questions touchant à la vie ou à la mort d’êtres humains. En choisissant de ne pas se prononcer sur ces questions pour laisser au pluralisme ou plutôt aux individus le soin d’exprimer leurs préférences arbitraires, on prend une décision lourde de conséquences qui va à l’encontre de la raison en tant que conseillère. Ce n’est qu’en se fondant sur une argumentation raisonnable qu’on pourra réduire à l’essentiel la multitude des problèmes discutés et des ébauches de solutions envisagées. Ainsi seulement pourra-t-on avoir une vue d’ensemble des choix existants et évitera-t-on systématiquement, dans la discussion, les prétendus consensus, les fausses dissensions, voire le risque d’une politisation du débat.

2.1. Utilitarisme: le bonheur dénué de raison

33. Après avoir longtemps accepté sans critique le principe selon lequel les bienfaits des prestations médicales peuvent être scientifiquement et objectivement démontrés, l’attention se porte aujourd’hui de manière accrue sur les lacunes structurelles des méthodes objectives. Les études cliniques ne pourront apporter la preuve incontestable des effets bénéfiques de certains médicaments ou de certains traitements que si: a. on est certain de la causalité physique sur laquelle on se fonde; et b. on compare systématiquement les effets des traitements alternatifs possibles ou de l’absence de traitement avec ceux de la nouvelle thérapie. Les études cliniques préalables à l’autorisation de mise sur le marché des médicaments sont bien moins strictes qu’elles ne devraient l’être. Elles nécessitent une évaluation postérieure, comme celle qui est effectuée par des scientifiques indépendants dans le cadre de la médecine fondée sur la preuve 
			(8) 
			Norbert
Schmacke, Wie viel Medizin verträgt der
Mensch?, 2, éd. Bonn/Bad Homburg, 2005. Voir plus particulièrement
les chapitres «Qualitätsdebatte in der Medizin, das ungenützte Kapital
im Gesundheitswesen» (Débat sur la qualité en médecine, le capital
non utilisé dans le système de santé) et «Evidenzbasierte Medizin
und individuelle Therapieziele» (La médecine fondée sur la preuve
et les objectifs thérapeutiques individuels), p. 79-126..
34. Il convient de mener parallèlement une recherche sur les soins, élargie aux conditions dans lesquelles, par exemple, les médicaments sont administrés au quotidien. Il convient en outre de tenir compte du bénéfice particulier qu’en retire le patient. On espère que les nouvelles méthodes permettront de canaliser de manière raisonnable les très vastes possibilités médicales. Les groupes pharmaceutiques ne manifestent guère d’intérêt pour une telle recherche critique. La volonté d’investir des fonds supplémentaires dans l’évaluation d’études cliniques et dans la recherche sur les soins suppose que la société ait conscience de la difficile question de la qualité de la prestation médicale, laquelle doit, bien entendu, également être garantie pour les soins quotidiens par le biais de la gestion de la qualité. La notion de qualité a été qualifiée de «géant endormi» des soins de santé rationnels 
			(9) 
			D.M.
Berwick, «Health Services Research and Quality of Care Assignment
for the 1990s», in Med Care, 1989,
27: 763-771.. Entre-temps, la dimension éthique est devenue, pour la science, un important problème de méthode.
35. Le débat sur la qualité dans son ensemble, auquel la notion de qualité de vie du patient, fort importante dans le domaine des soins palliatifs, donne une nouvelle dimension, repose sur le fait, incompréhensible d’emblée, qu’une connaissance objectivement sûre sur le plan clinique peut être totalement insignifiante sur le plan de la santé humaine. Mais il n’a pas encore été trouvé de réponse claire à la question de savoir quelle norme appliquer lorsque l’objectivité ne suffit pas. La prise en compte de la notion d’adéquation parallèlement à celle d’efficacité permettra d’aborder sous plusieurs angles la question de l’avantage et d’en prendre la mesure. Le débat actuel se heurte à la coexistence d’une diversité de normes, ce qui ne favorise guère la formation d’une idée claire. Une évaluation théorique des méthodes, comme celle qui est possible conformément aux objectifs éthiques, pourrait se révéler extrêmement utile lors du débat sur la qualité.
36. Une des vraies questions qui se posent, dans le cadre de la politique de santé, est celle de la répartition équitable des ressources. En l’absence d’un projet raisonnable en matière d’objectifs de santé et de priorités de soins, le débat public supplémentaire nécessaire à l’acceptation restera probablement pris dans la mêlée des intérêts contradictoires et des groupes de pression 
			(10) 
			La commission d’enquête
Ethique et droit de la médecine moderne a, à mon initiative, mis
en place son propre groupe de travail sur l’allocation: le rapport
clos prématurément en raison des élections anticipées de 2005 consacre
un chapitre distinct à ce thème. «Enquête-Kommission Ethik und Recht
der modernen Medizin: Über den Stand der Arbeit», Bt-Drs, 15/5980, p. 13-47.. L’autonomie du patient est une notion très importante à la fois pour la politique de santé en général et pour les soins palliatifs en particulier. La mise en parallèle de doctrines sociales utilitaristes et autres, de doctrines purement éthico-politiques et de doctrines éthiques se fondant sur l’éthique individuelle, est très utile pour se faire une première idée générale de l’importance de l’autonomie. L’individu autonome n’a pas sa place dans une éthique purement politique et encore moins dans une doctrine purement sociale.
37. Les théories qui donnent de l’Etat ou de la société une interprétation substantialiste ont tendance à entendre les processus sociétaux comme un automatisme qui doit être correctement mis en route, mais qui, par la suite, se règle de lui-même de manière fiable. Selon ces théories, il ne peut y avoir de conflit insoluble entre les intérêts et les droits des individus et ceux de l’ensemble de la société. Etant donné que les variantes modernes, telles que la théorie des systèmes, prennent toujours pour point de départ le système existant, on cherche fébrilement, en raison des symptômes aigus de crise que présentent les systèmes d’assurance sociale, de nouveaux mécanismes et de nouveaux leviers qui permettront de restaurer l’automatisme. Le système doit acquérir la capacité d’apprendre; les sous-systèmes doivent s’autoréguler, ils doivent devenir responsables.
38. Des notions qui ne sont, en fait, raisonnablement applicables qu’à un seul individu deviennent des fonctions directrices pour les systèmes. Nombreux étaient ceux qui, par le passé, répugnaient à parler d’éthique dans le contexte de la société et encore plus à parler d’éthique individuelle. L’homme moderne n’a que faire d’une éthique censée gouverner sa vie sociale: il fait confiance au guidage automatique de la doctrine sociale, qui réduit l’éthique à une affaire privée. Dans de nombreux contextes, et surtout dans celui du débat sur la vieillesse, les soins et la mort, l’éthique a entre-temps été redécouverte, également à l’échelon de la société, et un malaise massif s’est fait jour à propos des débats du passé 
			(11) 
			Verena Wetzstein, «Alzheimer-Demenz
– Entstehung eines Krankheitsbegriffs», in Tagungsdokumentation: Altersdemenz
und Morbus Alzheimer, session annuelle du Conseil national
de l’éthique, 2005, p. 37-48. Thomas Klie, Altersdemenz
als Herausforderung für die Gesellschaft, ebd., p. 65-81..

2.2. Problèmes systémiques: l’économie, une fin en soi

39. Dans le domaine des soins, on constate déjà une forte inversion de la fin et des moyens. Ce n’est pas l’établissement de soins qui sert ceux qu’il héberge; ce sont les patients qui assurent son existence et qui doivent s’adapter aux facteurs qu’il indique comme étant économiquement rentables: personnel soignant peu nombreux, mais nombreux investissements dans les produits et les logiciels d’ordinateurs 
			(12) 
			Une
initiative de l’université de Bielefeld, la «Forschungs-AG Heime»
sous la houlette du Pr Klaus Dörner,
psychiatre, a, pour cette raison, en 2001, conduit à demander la
création d’une commission d’enquête sur le thème des «foyers» en vue
de sensibiliser davantage la société à la situation de détresse
des personnes hébergées en institution. Malheureusement, ma contribution
à la mise en place de cet organe n’a pas reçu le soutien requis
au sein du parlement..
40. L’économisation conduit, d’une manière générale, à l’apparition d’objectifs erronés du système de santé; il est perçu comme un «marché de la croissance» ou une «machine à emplois» et on lui a ôté son objectif premier, à savoir apporter un service au malade. L’économisation de la société conduit à des dépendances fatales et fait que toute action est dictée au premier chef par la crainte de perdre son emploi. La déformation de l’économie en idéologie, telle qu’elle a été analysée dans la théorie utilitariste, crée des conditions de travail psychologiquement insupportables, rend les gens malades ou plus malades (ayant besoin de davantage de soins) et, pour se justifier en tant que théorie de société, veille à ce que la société se taise.
41. Le terme d’«économisation» est souvent repoussé au motif qu’il implique un manque de volonté de tenir un débat raisonnable sur les questions de coût. Dans le présent document, il est plus particulièrement entendu dans le sens de la prévalence des questions économiques lors de l’élaboration des objectifs politiques. C’est précisément cette façon de voir qui marque la différence entre une doctrine libérale du marché, qui met sur un pied d’égalité les objectifs économiques et les autres objectifs, et une doctrine néolibérale qui met l’accent sur les questions commerciales 
			(13) 
			Jerry Mander, Edward
Goldsmith (eds.), The Case against the
Gobal Economy, Londres, 2001..
42. Ce qu’on oublie souvent dans le débat, c’est que, en pratique, se font jour d’importants conflits éthiques ayant certainement de lourdes conséquences pour la santé lorsqu’un prestataire de service, en raison des pressions liées aux coûts et à la concurrence, conseille mal ses clients, par exemple en leur taisant les inconvénients de certains produits ou de certaines prestations pour assurer sa propre survie économique. Le problème c’est que le paiement dépend du succès de l’activité de conseil. Les conséquences négatives des mauvais conseils n’atteignent souvent le client qu’avec un grand retard et peuvent entraîner des coûts supplémentaires considérables dont la collectivité devra porter la charge lorsque des questions essentielles ont été auparavant laissées à la préférence des individus.
43. Si l’on se base sur la structure actuelle des soins infirmiers en Allemagne, il est à noter que le financement des services de soins palliatifs au sein des structures existantes du secteur de la santé représente un problème majeur qui n’a pas encore été résolu. Les soins palliatifs nécessitent une approche qui mette l’accent sur la personne et non sur la technologie, ce qui explique le rôle important du travail bénévole dans de nombreux pays européens.
44. En Allemagne, on observe de nets problèmes d’interface en raison de la séparation stricte entre les différents secteurs et branches d’activités. La concurrence de plus en plus vive entre prestataires de services pour les ressources limitées disponibles, poussée ces dernières années par la classe politique pour des raisons économiques, a obligé les fonds d’assurance-maladie à rivaliser davantage pour attirer des adhérents jeunes et bien rémunérés. En raison d’une mauvaise configuration du système de péréquation fiscale qui ne tient pas compte des risques réels de maladie et des coûts engendrés par les adhérents malades, et bien que certains services soient obligatoires (la loi de réforme actuelle englobe les soins palliatifs), on observe une nette réticence à proposer des services aux malades chroniques ou en phase terminale par crainte d’attirer le «mauvais client», économiquement parlant.
45. Dans de nombreux systèmes de soins à travers le monde, les changements structurels visant à réduire les coûts (création de groupes homogènes de malades) sont de plus en plus ressentis comme étant défavorables aux soins palliatifs. Les grandes avancées dans ce secteur hautement spécialisé sont désormais menacées, puisque les patients présentant des problèmes à la fois sociaux, psychologiques et de santé ne peuvent être classés dans l’une ou l’autre catégorie 
			(14) 
			Roeder N., Klaschik E.,
Cremer M., Lindena G., Juhra C., «DRGs in der Palliativmedizin –
ist die palliativmedizinische Begleitung Schwerkranker pauschalierbar?», Das Krankenhaus, 2002, p. 1000-1004..
46. Pour le système de santé, les calculs économiques énoncés sont faux, et ce non seulement du point de vue moral et du point de vue de la politique de santé, mais également du point de vue économique. Les mauvaises incitations du marché lui-même deviennent ainsi un problème de santé, qui ne peut être résolu ni à l’échelon du système de santé ni à celui de l’Etat providence ou du marché de l’emploi. Le marché auquel nous obéissons veut des produits commercialisables, seuls aptes à participer au marché mondial; et les gouvernements nationaux, tout à leur zèle néolibéral, ont commis la fatale erreur de ne pas voir la ligne de partage économique existant dans le rapport entre produits et prestations de services.
47. Les produits prennent le pas sur les prestations; ils sont prescrits en partant du principe que les prestations, bien plus onéreuses, seront cofinancées par le biais des marges de profit dégagées par les produits. Face à la concurrence de plus en plus agressive à laquelle donne lieu le prix d’un produit, ce cofinancement est devenu une totale illusion. C’est la raison pour laquelle, par comparaison aux produits, la grande majorité des prestations sont mal rétribuées. Pour les visites à domicile et pour les soins appropriés et personnels qu’il apporte au patient, le médecin reçoit un salaire de misère, qu’il doit compenser sur le plan économique en s’empressant de prescrire des produits.
48. L’Etat providence ne peut compenser que très partiellement cette erreur de la politique économique, d’autant que les sociétés transnationales externalisent les coûts sociaux et tirent des profits boursiers des licenciements massifs. La mondialisation a pour résultat, dans le meilleur des cas, d’engendrer à court terme la croissance de la prospérité pour certains. Comme il apparaît de plus en plus clairement, elle ne profite plus à tous par le biais indirect d’un Etat providence efficace et à même d’atténuer les conflits sociaux. Ceux qui font du profit deviennent de plus en plus rares,,et ils se dérobent systématiquement aux responsabilités qui leur incombent au sein de la communauté. Mais ce comportement aura, à plus long terme, des conséquences qui nous toucheront tous: dumping social et environnemental, conflits et luttes armées pour les ressources, à quoi il faut ajouter le problème du chômage massif, que, sous le règne du marché mondial, les riches pays industrialisés seront eux aussi incapables de résoudre.
49. Des concepts de durabilité cohérents et efficaces, qui s’opposent à la «dictature du court terme» découlant du système économique, s’avéreront donc indispensables pour la survie à moyen terme. En revanche, ils doivent être mis en œuvre dès aujourd’hui pour porter leurs fruits demain. Sur le plan politique, cela signifie qu’à court terme, les exigences et conséquences de plus en plus fortes de la mondialisation (pression concurrentielle accrue) doivent être prises en compte ou compensées (chômage, déficit de recettes fiscales, conditions de travail démoralisantes, gaspillage d’énergie et impact environnemental élevé), tout en mettant en place des structures novatrices. Ce défi ne pourra être relevé qu’en encourageant des concepts qui créent des synergies nouvelles dans différents domaines.
50. Pour réorienter l’Etat providence et la médecine, il faut se référer, comme cela a été fait de manière exemplaire dans le domaine des soins palliatifs, à l’éthique individuelle, dont on pourra tirer une idée cohérente et réalisable de l’autonomie. Une telle idée, dont la complexité est déjà apparue, offre, lorsque sa fonction abstraite et directrice est bien comprise, une orientation, et ce tant pour la législation que pour une bonne planification de vie et un bon épanouissement personnel. Seuls des individus forts et autonomes pourront être les garants d’une collectivité forte et d’un ordre étatique qui fonctionne.

3. Les fondements de la réorientation

3.1. L’identité de la médecine: être au service de l’être humain dans sa globalité

51. Une conception de la maladie qui continue de s’orienter très fermement sur le paradigme des sciences exactes ne peut tenir suffisamment compte de la dimension sociale de la maladie telle qu’elle se manifeste, par exemple, dans la grande majorité des maladies mentales et dans le domaine restant difficilement définissable des maladies psychosomatiques. Les effets du mode de vie, de l’âge et de l’environnement qui se trouvent à l’origine de maladies chroniques ou de la polymorbidité n’entrent pas non plus dans le cadre de ce qui est accessible à un diagnostic clair et à un traitement causal.
52. Les importantes modifications intervenues aux XXe et XXIe siècles dans le spectre des maladies, les changements démographiques et leurs conséquences sur la place de la gériatrie et des soins, la confiance en soi accrue des patients ainsi que les pressions liées aux attentes élevées (et partiellement générées par la médecine elle-même) sont autant de défis pour la médecine. Et puis, il y a un autre aspect, connu depuis de longues années mais qui n’a fait que très récemment sa réapparition dans la conscience de l’opinion: celui de la relation entre santé et pauvreté. Dans le domaine de la prévention élémentaire, on déplore, lorsqu’on regarde vers le passé, de nombreux manquements et, lorsqu’on regarde vers l’avenir, l’absence de projet solide 
			(15) 
			«Conseil d’experts
chargés de l’évaluation de l’évolution en matière de système de
santé: coopération et responsabilité, conditions nécessaires pour
des soins de santé ciblés», Expertise 2007, version abrégée contenant
un chapitre distinct consacré à ce thème, p. 83-101..
53. Face au nombre considérable de problèmes connexes, la médecine ne pourra être l’unique stratégie et, selon toute vraisemblance, elle ne sera pas même la plus importante. Toutefois, ce qui, au sein de la profession médicale, doit également jouer un rôle déterminant pour l’action, c’est la prise de conscience du fait que d’autres domaines revêtant une grande importance pour la santé, tels que la formation, les prestations sociales et l’environnement, ont besoin de ressources aujourd’hui liées à la médecine curative. S’agissant des systèmes de santé, la croissance n’a pas d’effet positif sur la société lorsqu’on n’attache aucune importance à la nature des domaines qui se développent. Quel que soit le domaine concerné, la confiance aveugle dans le marché, en vertu du slogan «lorsque l’économie va, la croissance va», n’est pas garante de progrès; et la coopération entre les médecins et l’industrie pharmaceutique ne constitue pas un indice pour la qualité des prestations de santé.
54. En conséquence, le problème, pour le patient, n’est pas tant le fait de mourir, que la peur de la douleur. Quant à la famille, le problème est qu’elle n’est plus en mesure de bien évaluer la situation. Les proches refusent l’idée de la mort prochaine de leur parent, pensant que cela pourrait bien ne pas être le cas. On observe la même incertitude chez les médecins qui n’ont pas été suffisamment préparés, lors de leur formation, au comportement à tenir en cas d’urgence. Situation critique s’il en est lorsque le médecin est incapable de montrer le chemin qui permettra de sortir du cercle vicieux «peur-incertitude-ignorance». La deuxième idée part de la même constatation et fait apparaître qui doit, selon la règle, montrer la voie.
55. La fonction d’aiguilleur du médecin traitant qu’en Allemagne, après avoir pendant un certain temps grossièrement négligé la médecine généraliste au profit de la spécialisation, on cherche à mettre en place pour l’ensemble du système de santé en vue de prévenir les doubles examens et de réduire les coûts, est entièrement mise en lumière s’agissant des besoins des mourants: le médecin traitant peut éviter au patient la douleur et la peur, mais il peut surtout le protéger d’interventions médicales déraisonnables et faire en sorte qu’il reçoive effectivement les soins qui lui sont nécessaires. Cela, toutefois, ne sera possible que si le médecin lui-même voit son travail reconnu par le versement d’honoraires appropriés, ce qui n’est actuellement pas le cas.
56. Le fait que les médecins et le personnel soignant n’apprennent pas, au cours de leur formation, comment appréhender les malades incurables jette une lumière crue sur la manière dont se perçoit la médecine ainsi que sur la société qui, par le passé, a contribué à la formation de cette conception, ou plus précisément l’a demandée. C’est pourquoi il faut se pencher sur le rôle directeur que joue la bonne compréhension de la maladie ainsi que sur le changement qui se dessine 
			(16) 
			Johannes
Bircher, Karl-H. Wehkamp, Das ungenützte
Potential der Medizin. Analyse von Gesundheit und Krankheit zu Beginn
des 21. Jahrhnderts, Zurich, 2006, p. 35-77, dont ont
été reprises les références littéraires relatives aux notions de
maladie et de santé qui suivent..
57. Ce qui précède soulève une nouvelle fois la question de l’équité du système social dans lequel nous vivons. L’autonomie telle qu’il faut la concevoir aura alors des retombées considérables sur la société et sur l’Etat, lequel doit garantir l’indépendance et la participation de tous ses membres, et pas uniquement de ceux dont les parents sont riches et qui, en raison de l’aide massive qu’ils reçoivent depuis leur plus jeune âge, peuvent se permettre d’occuper les emplois les plus lucratifs que propose le système et qui, bien entendu, sont également pris en considération au maximum dans un système de santé déterminé par l’économie.
58. Cette conception de la maladie fait que la mort peut, elle aussi, être un processus créateur. Il est probable que les personnes qui ont capitulé leur vie durant parviennent, au cours de la dernière phase de leur existence, à faire des choses qui leur devenaient de plus en plus difficiles alors qu’elles étaient encore en pleine santé: nouer de nouvelles relations ou bien relancer des relations existantes. C’est pourquoi la période de transition vers la mort peut être, sur le plan de la qualité, supérieure à une vie qui était figée dans des routines insignifiantes.

3.2. Le système de santé: objectifs de santé centrés sur le patient

59. S’agissant du domaine des soins palliatifs, il est essentiel de clarifier en quoi il consiste, de sensibiliser l’opinion à ce qu’on entend par autonomie et de lui expliquer quelles en sont les effets pour le patient. Ce n’est qu’en nous gardant de précipitation dans nos jugements que nous serons en mesure de faire preuve de la volonté nécessaire pour renoncer à des ressources dont nous entendions profiter nous-mêmes afin de les accorder à ceux qui en ont besoin. L’objectif d’un discours conduit de manière sensée est la compréhension. Sans la compréhension du grand nombre la démocratie ne peut fonctionner.
60. Contrairement à la médecine fondée sur la preuve, qui met l’accent sur l’évaluation des résultats de la recherche clinique, la recherche relative aux soins doit de manière concise porter sur des questions d’adéquation. Elle cherche à établir la preuve absolue que tel médicament, par exemple, présente bien, dans les conditions normales d’utilisation, les avantages que lui attribue la recherche clinique. Il n’est, en effet, pas rare en recherche clinique qu’on ignore certains facteurs importants du quotidien ou bien qu’on se rende compte ultérieurement que le nombre de participants au test était insuffisant pour permettre de constater des effets secondaires qui apparaissent toutefois lorsque le médicament est testé sur un plus grand nombre de personnes. Le conseil d’experts lui-même reconnaît qu’on n’a pas encore été en mesure de «rendre opérationnelle» de manière appropriée la notion d’adéquation.
61. Autre point essentiel en liaison avec les soins palliatifs: dans les calculs du rapport «utilité/coût/qualité», dont on sait d’expérience qu’ils ne s’appuient qu’insuffisamment sur des résultats de recherche ayant fait l’objet d’une évaluation, il est un facteur qui fait systématiquement défaut et qui constitue pourtant dans la pratique un paramètre essentiel de qualité, c’est celui du temps qui reste à chaque patient. Dans les calculs économiques, le temps est calculé du point de vue de l’efficacité en conjugaison avec d’autres options disponibles. Le temps, c’est de l’argent. On mettra en œuvre le moyen ou la méthode la plus rapide. Dans les modèles de soins qui donnent au patient le droit de décider lui-même de son lieu de résidence, le temps constitue un élément non interchangeable. C’est pourquoi il y a lieu de se poser la question de savoir si la procédure consistant à conjuguer les différents paramètres est de nature à refléter les exigences complexes des soins de santé.
62. D’une manière générale, les soins devraient avoir pour objectif de permettre aux patients, en consommant le moins de ressources possible, de se prendre eux-mêmes en charge et de vivre le plus normalement possible. Un tel rationnement raisonnable de la médecine ne découlerait pas au premier chef de la pression des coûts dans le système, mais du souhait d’épargner au patient des interventions et des enchaînements de traitements déterminés médicalement, lesquels auraient, en règle générale, pour effet de le rendre dépendant d’autres traitements médicaux et, dans les cas extrêmes, d’en faire une victime du traitement. Si une bonne médecine générale permettait de garantir que les spécialistes ne seront consultés qu’en cas d’indication médicale expresse, chacun aurait les mêmes chances de recourir à leurs services.
63. Le débat sur la réforme pourrait, en s’orientant sur la notion d’autonomie et compte tenu des objectifs énoncés plus haut, être aiguillé vers une autre voie. Ce qui serait, à cet égard, essentiel, précisément parce que tant le médecin que le patient doivent être davantage sensibilisés à la fois à la qualité et aux coûts, c’est que le débat relatif à ces derniers soit en quelque sorte réintégré dans le deuxième élément pour permettre, chez les médecins et les patients, une prise de conscience de la qualité et des coûts, laquelle jouera alors un rôle directeur pour leurs actions. Pour ce qui concerne le mécanisme dirigé par l’autonomie, qui n’est pas un automatisme puisqu’il exige une certaine activité de part et d’autre, il n’est pas nécessaire de mettre en place des instruments de contrôle et de nouvelles incitations financières destinées à garantir la qualité. Les fausses incitations économiques seraient éliminées d’emblée et non pas dans un deuxième temps comme c’est le cas aujourd’hui, ce qui permettrait, sous la pression des coûts, de rendre à nouveau rationnelle pour le système la logique individuelle auparavant égarée sur le plan systémique.
64. La communication entre le médecin et le patient doit être considérée comme un point de départ essentiel de l’acte médical et être rétribuée en conséquence. Il faut donc veiller à ce qu’elle ne se résume pas, dans la pratique, à un rituel à accomplir le plus rapidement possible pour pouvoir passer au véritable objet de la visite, à savoir le rapport médical, qui devra, dans l’intérêt d’une efficacité objective, être de préférence étayé scientifiquement. Les patients ont d’autant plus besoin de conseils indépendants lorsque leurs maux ne peuvent être clairement définis comme étant d’origine organique et que, pour cette raison, ils errent peut-être déjà depuis un certain temps dans le système. Les efforts déployés par les patients pour se venir eux-mêmes en aide ont, certes, débouché sur la création de structures novatrices, mais les informations supplémentaires recueillies par le patient via internet ne sont pas nécessairement profitables à ses relations avec le médecin.
65. Aucun patient ne peut prétendre à un maximum de soins. Mais c’est avec raison que tous veulent qu’on leur porte un maximum d’attention. Et là, le bât blesse tout particulièrement: en effet, si on ne consacre aux patients qu’un temps limité, c’est également en raison de la pression économique; on se trouve donc pris dans un cercle vicieux, qu’il faut chercher à rompre au lieu de vouloir le contrôler en mettant en place force nouveaux mécanismes. Le médecin traitant/généraliste pourrait être un nœud de communication décisif à partir duquel il serait possible d’atténuer bon nombre des problèmes qui engendrent, au sein du système de santé publique, des conflits d’intérêts ainsi que d’importants problèmes pour le patient. Le médecin traitant ne jouerait donc plus le rôle de «gardien de la porte», mais celui de «gardien de la santé».
66. Les activités du médecin traitant pourraient s’étendre à quatre domaines:
  • les conseils de santé indépendants portant sur les causes possibles de la maladie ainsi que sur les différentes options de traitement en se fondant sur la recherche empirique, y compris la diffusion d’informations par le biais des spécialistes (soins ambulatoires/stationnaires), les organismes payeurs, les possibilités d’assistance en cas de non-prise en charge par les caisses de maladie, le changement de caisse, les assurances complémentaires, les options de soins;
  • la prévention de base, car le médecin traitant est probablement le premier prestataire de services du système à constater les défaillances, par exemple les problèmes de drogue;
  • la coordination, lorsque le patient a besoin d’un traitement plus complexe ou de soins permanents (le médecin traitant en tant que case manager);
  • l’activité médicale dans le cadre de son propre cabinet ou en tant que membre d’une équipe soignante, par exemple pour les soins palliatifs.

4. Soins palliatifs: une coopération née du sens des responsabilités

4.1. L’approche des soins palliatifs: un objectif raisonnablement défini

67. Avant de passer à un examen plus approfondi des aspects particulièrement importants des soins, il convient de donner les définitions de base des termes employés en matière de soins palliatifs ainsi que des formes d’organisation de ces soins 
			(17) 
			Les informations compilées
ci-dessous se fondent sur le rapport intérimaire de la commission
d’enquête «Ethique et droit en médecine moderne: Verbesserung der
Versorgung Schwerstkranker und Sterbender in Deutschland durch Palliativmedizin
und Hospizarbeit», Document 15/5858 du 22.06.2005 ainsi que sur
le rapport figurant en annexe à la Recommandation Rec(2003)24 du
Comité des Ministres aux Etats membres sur l’organisation des soins
palliatifs..
68. Les termes «soins à domicile» désignent d’une manière générale les soins prodigués à un patient à son domicile; l’expression peut toutefois, comme c’est le cas lorsqu’elle est transposée en allemand, désigner certains types de soins à domicile dispensés, par exemple, à des patients souffrant d’une tumeur, ou bien des programmes nutritionnels et de perfusion à usage domestique proposés par des sociétés.
69. Hospice: Du latin hospitium – signifiant «gîte», mais aussi «hospitalité» – le terme d’«hospice» date du début de l’expansion du christianisme à travers l’Empire romain où les hospices accueillaient des voyageurs, des nécessiteux, des malades et des mourants auxquels ils apportaient une aide. Au IVe siècle, ces maisons se sont répandues au-delà de la région orientale de la Méditerranée, sous la direction de communautés de moines, et servaient à l’hébergement des pèlerins. Le terme a été employé dans le sens exclusif de maison de soins et d’accompagnement des mourants par Jeanne Garnier qui a fondé, en 1842 à Lyon, le premier hospice, auquel d’autres sont venus s’ajouter en France. Dans d’autres pays européens, ce n’est en partie que bien plus tard que s’ouvriront d’autres maisons: 1879 en Irlande, 1899 aux Etats-Unis, 1905 en Angleterre. Cecily Saunders qui, en 1967, a ouvert l’hospice St. Christopher à Londres, est considérée comme la fondatrice du mouvement moderne des hospices. En Allemagne, ce n’est qu’en 1986 qu’a été ouverte à Aix-la-Chapelle la première maison de soins stationnaires, mais le mouvement des hospices existe dans le pays depuis les années 1960 
			(18) 
			Du point de vue socio-historique,
cette évolution s’inscrit dans le mouvement général de défense des
droits des citoyens apparu dans les années 1960, qui aux Etats-Unis
et en Grande-Bretagne revendiquait une participation et une solidarité
accrues dans les domaines social et de la santé. Voir Enquete-Kommission
Demographischer Wandel, «Herausforderungen unserer älter werdenden
Gesellschaft an den Einzelnen und die Politik» (zur Sache 3/2002),
Berlin, 2002, p. 588.. Parallèlement à l’aide aux malades incurables et aux mourants, il a également pour objectif de transmettre l’idée de la participation des citoyens aux soins de santé et de développer une culture de la mort au sein de la société.
70. Travail d’hospice, soins en hospice – l’hébergement et les soins en hospice doivent satisfaire aux quatre critères suivants, reconnus à l’échelon international: les services de l’hospice doivent s’adresser au mourant et à sa famille; une assistance holistique doit être apportée par une équipe pluridisciplinaire; les membres de l’équipe doivent posséder des connaissances particulières en matière de contrôle des symptômes; et la continuité des soins doit être garantie vingt-quatre heures sur vingt-quatre, y compris la nuit et pendant le week-end.
71. Unités de soins mobiles, diverses formes de services et de soins palliatifs: ils prodiguent les soins aux mourants à domicile et peuvent avoir des compétences fort diverses. Leur tâche première comporte un travail de formation et de relations publiques, ainsi qu’un travail d’accompagnement psychosocial des personnes en fin de vie et de leurs familles; ce travail est accompli par des aides bénévoles ayant reçu une formation. Les unités de soins mobiles, qui comptent également des professionnels, peuvent aussi se charger de tâches supplémentaires ou spécialisées en matière de soins, de conseils et de prestations médicales; elles peuvent, en outre, se charger, en fonction de leurs compétences professionnelles, de dispenser, dans des cas complexes, des soins à domicile durables, contribuant ainsi à éviter les hospitalisations.
72. Etablissements de soins: institutions se situant en dehors du circuit des soins stationnaires intensifs qui, en tant qu’unités indépendantes sur le plan économique, des bâtiments et de l’organisation, disposent de leurs propres ressources et de leur propre concept. Dans les petits établissements à caractère familial, on s’occupe en moyenne de 16 malades incurables en fin de vie, qui ne peuvent être soignés à domicile, mais qui ne nécessitent pas non plus un traitement en hôpital ou dans un service de soins palliatifs. Ces établissements, qui sont plutôt considérés comme venant en complément des services ambulatoires, peuvent en principe assurer des soins à long terme. On évite d’y créer un climat d’hôpital; on veille à ce que les locaux soient clairs ainsi qu’à offrir aux familles la possibilité d’y passer la nuit et de se préparer un en-cas. L’accent est mis sur le contrôle des traitements antidouleur et le contrôle des symptômes ainsi que sur les soins palliatifs, l’assistance psychosociale et spirituelle. C’est pourquoi il est souhaitable que l’équipe directrice ait reçu une formation appropriée; dans de nombreux pays, on peut demander la prise en charge par les caisses d’assurance-maladie des dépenses engagées. L’assistance médicale peut être fournie par des médecins établis ou en coopération avec des centres de traitement de la douleur et des spécialistes en médecine palliative.
73. Centres de soins de jour/centres d’accueil pour enfants: alors que les établissements de soins stationnaires existants peuvent dispenser des soins de jour en vue de soulager les soignants familiaux ou de permettre à des personnes qui veulent en principe être soignées à domicile d’accéder à certains services médicaux, les centres d’accueil pour enfants sont des institutions spécialisées équipées pour satisfaire les besoins particuliers des enfants gravement malades et qui mettent l’accent sur l’assistance à leurs frères et sœurs. Ils se différencient des établissements pour adultes, entre autres, par la durée des soins, lesquels débutent immédiatement après que le diagnostic a été établi. Chez un enfant atteint d’une maladie grave, l’évolution de cette dernière peut s’étendre sur plusieurs années. La longue durée du séjour peut engendrer de graves problèmes de financement lorsque la caisse de maladie ne prend en charge qu’une infime partie des dépenses. Les données analysées jusqu’à présent font apparaître que, dans la plupart des pays, il existe d’importants déficits dans le domaine des soins aux enfants gravement malades.
74. Equipe pluridisciplinaire: les malades incurables peuvent être en proie à des problèmes physiques, psychiques, sociaux et spirituels dont il n’est pas rare qu’ils se renforcent mutuellement. C’est la raison pour laquelle la prise en charge holistique des patients devrait pouvoir s’appuyer sur les compétences de divers groupes professionnels. En médecine palliative, ceux-ci comprennent des médecins et des personnels soignants spécialisés, des bénévoles et d’autres professionnels de la santé ou encore des travailleurs sociaux, des psychothérapeutes, des psychologues, des directeurs de conscience, etc.
75. Soins palliatifs: terme technique couramment employé à l’échelon international conformément à la définition, adoptée en 2002 par l’OMS, d’un concept global et multidisciplinaire en vue d’«améliorer la qualité de vie des patients et de leur famille, face aux conséquences d’une maladie potentiellement mortelle, par la prévention et le soulagement de la souffrance, identifiée précocement et évaluée avec précision, ainsi que par le traitement de la douleur et des autres problèmes physiques, psychologiques et spirituels qui y sont liés».
76. Médecine palliative: du latin pallium, «manteau» ou «protection». La première «équipe de soutien hospitalier» a été créée en 1974 au St. Louis Hospital de New York; en 1975 a été ouverte, au Royal Victoria Hospital de Montréal (Canada), la première unité de soins palliatifs au monde dont le fondateur, Belfour Mount, fut le premier à employer le qualificatif de «palliatif». La médecine palliative offre aux patients atteints de maladies graves, évolutives ou terminales, un traitement actif et global. Elle vise à atténuer les souffrances physiques dues à la maladie ainsi que les problèmes psychiques, sociaux et spirituels. Elle a pour principal objectif d’améliorer la qualité de vie des patients et de leur famille, laquelle bénéficie également d’un accompagnement après le décès. La notion anglaise de palliative care englobe les compétences médicales, psychosociales et infirmières. Au sens plus strict, la médecine palliative (palliative medicine) est la contribution indispensable du médecin spécialiste aux soins palliatifs.
77. Traitement palliatif: cette expression désigne uniquement les traitements qui ont pour but de prolonger la vie ou d’améliorer la qualité de vie même lorsqu’il n’y a plus lieu d’en attendre un effet curatif. En oncologie, ce sont par exemple des traitements spécifiques aux tumeurs, tels que la chimiothérapie, la radiothérapie, l’hormonothérapie et la chirurgie. Dans la pratique médicale, traitement palliatif et médecine palliative ne s’excluent pas mutuellement; cela vaut également pour le traitement de soutien qui vise à atténuer autant que possible les effets secondaires d’un traitement indispensable, par exemple de la chimiothérapie.
78. Soins palliatifs non médicaux: désignent les connaissances techniques en matière de soins et de procédures dans le cadre des soins palliatifs. Les aides bénévoles qualifiés constituent un élément essentiel de l’équipe soignante; ils travaillent toutefois beaucoup sous la direction d’un personnel soignant spécialement formé. Ce dernier est plus particulièrement chargé d’assurer le suivi du traitement antidouleur et du contrôle des symptômes; d’effectuer des manipulations délicates (changer les pansements, mettre en place des systèmes de pompe, etc.); de donner aux familles des instructions et des conseils sur la manière de dispenser les soins; d’accompagner, sur le plan psychologique et social, les patients et leurs familles; d’apporter une assistance en vue de surmonter les processus de la maladie et de la mort; d’assister les familles lors du travail de deuil; de prodiguer conseils et soutien sur le plan social et juridique.
79. Service spécialisé dans les soins palliatifs: dans un hôpital ou un établissement de soins, service spécialisé dans le traitement, la prise en charge et l’accompagnement des patients présentant des symptômes et des souffrances particulièrement complexes. Il se caractérise, lui aussi, par la présence d’une équipe pluridisciplinaire hautement spécialisée sur le plan médical, infirmier et psychosocial qui peut également comprendre des aides bénévoles. En fonction des souffrances des patients, priorité peut être donnée aux problèmes médicaux, infirmiers, psychosociaux ou spirituels. On y accorde une grande importance à l’organisation de la coopération et de la communication. En règle générale, les services palliatifs sont des unités indépendantes bénéficiant de la plus grande autonomie possible: les médecins et le personnel soignant s’occupent exclusivement de leurs patients. Le service palliatif devrait être organisé et dirigé par un médecin spécialisé qui doit être tenu de veiller à la coopération interdisciplinaire. Les soins particulièrement intensifs et individuels dispensés aux patients n’ont pas uniquement pour effet de permettre, un traitement contre la douleur et un contrôle des symptômes – efficaces dans la grande majorité des cas –, mais également d’apporter un soutien global aux patients et à leurs familles. Ils ont pour objectif d’atténuer les souffrances liées à la maladie et au traitement et, si possible, de stabiliser l’état des intéressés de sorte qu’ils puissent retourner chez eux. Dans l’idéal, le service palliatif travaille en réseau avec d’autres institutions, avec d’autres services ou avec des médecins donnant des soins ambulatoires et peut jouer un rôle de coordinateur dans la formation des réseaux. Il est en outre indispensable à la recherche clinique et à la formation spécialisée initiale et permanente.
80. Il n’a été possible d’adopter, pour les soins palliatifs, une approche méthodique et spécifique – qui, comme on le verra plus bas avec les exemples du traitement de la douleur et de la recherche en thanatologie moderne, place le sujet au centre de l’attention – que parce qu’on a défini clairement l’objectif du concept en se fondant sur l’orientation vers le patient et son entourage. Pour ce qui concerne l’ensemble du domaine de la médecine, il reste encore à évaluer des méthodes qui portent avant tout sur les aspects qualitatifs. Ces dernières bénéficient d’une reconnaissance croissante de la part de la recherche médicale 
			(19) 
			L’annexe
à la Recommandation 24 no 138 constate
les lacunes des connaissances méthodiques et note l’intérêt croissant
pour les études de qualité. Nos 119-143
dans l’ensemble à propos de l’amélioration de la qualité et la recherche.. La référence aux connaissances théoriques de la recherche qualitative, que rendent possible les modèles échelonnés de la conscience que l’être humain a de lui-même, doit donc être ici systématiquement stimulée puisque ce sont précisément des maladies comme la démence ou bien des accidents qui provoquent une régression vers des formes plus rudimentaires de conscience et qu’il peut donc être extrêmement important pour les personnels soignants qu’ils soient en mesure d’évaluer correctement la capacité d’autodétermination de leurs patients.
81. La douleur est un phénomène subjectif. Les analyses relatives au traitement de la douleur postopératoire ont montré que les patients dont les douleurs avaient la même origine physique (intervention à l’abdomen, par exemple) avaient besoin de quantités très différentes d’analgésiques pour parvenir à une régression satisfaisante de la douleur 
			(20) 
			K.A. Lehmann, Der postoperative Schmerz, Berlin,
1994.. En l’absence de critères objectifs pour mesurer l’intensité de la douleur, on procède à une estimation en se fondant sur la description qu’en donne le patient ainsi que sur l’enregistrement des effets du traitement antidouleur ordonné par le médecin. Les échelles analogiques numériques et visuelles sont utiles pour saisir et documenter l’intensité subjective de la douleur. Sur une échelle allant de 0 (absence de douleur) à 10 (douleur intolérable), le patient peut indiquer celle qu’il ressent.
82. On ne dispose encore que de points de repère et d’estimations pour ce qui concerne la fréquence, par exemple, des douleurs d’origine tumorale, mais ces éléments tendent à indiquer des variations extrêmes. Au stade précoce de la maladie, 20 à 50 % des patients ressentent des douleurs; au stade avancé, ils sont entre 60 et 95 % 
			(21) 
			K.M. Foley, «Pain assessment
and cancer pain syndromes», in Doyle
D., Hanks G.W., MacDonald N. (Ed.), Oxford Textbook
of Palliative Medicine, Oxford, 1998, p. 310 et suiv.. En l’état actuel des connaissances, 90 % des patients pourraient être traités avec succès, mais dans la pratique cela n’est souvent pas le cas parce que l’expertise fait défaut ou que l’intensité de la douleur est sous-évaluée, ce qui fait qu’on administre souvent des «opioïdes faibles» 
			(22) 
			En
Allemagne, les stupéfiants délivrés uniquement sur ordonnance sont
les opioïdes forts tels que la morphine, l’hydromorphone, le fentanyl,
la buprénorphine, l’oxycodon, la lévométhadone. Sont exclus du règlement
sur les stupéfiants, par exemple, le tramadol et la tilidine.. Les préjugés à l’égard des analgésiques continuent de jouer un rôle déterminant et le traitement des patients souffrant de douleurs demande beaucoup de temps parce que le bon dosage exige une attention et une communication continues. Les opioïdes ont, en outre, un coût relativement élevé.
83. Le traitement pharmacologique de la douleur peut prendre différentes formes, selon le siège de la douleur. Les douleurs d’origine viscérale doivent être traitées différemment de celles qui sont causées directement ou indirectement par irritation ou stimulation des voies nerveuses ou du système nerveux central. Le diagnostic de la maladie ne suffit pas pour définir le type de douleur à laquelle on a affaire. C’est une des raisons pour lesquelles une spécialisation est à la fois importante et indispensable.
84. L’établissement d’un diagnostic approprié de la douleur se heurte également à d’autres difficultés, liées aux préjugés largement répandus au sein du corps médical à propos de l’effet des analgésiques très puissants. Les données tirées de l’expérience en matière de traitement des douleurs tumorales montrent que, lorsqu’ils sont correctement administrés, les opioïdes n’entraînent ni une dépendance psychique ni une accoutumance qui nécessiteraient une augmentation constante de la dose. Ils n’ont pas non plus pour effet de précipiter le décès. Le fait que les substances doivent être correctement dosées pour éviter les effets néfastes ne vaut pas, on le sait, uniquement pour les analgésiques. Mais l’administration de ces derniers requiert une surveillance permanente de la part du médecin, qui doit également veiller à en adapter la dose jusqu’au décès. La publication récente, par un groupe d’intervention de l’IAHPC (International Association for Hospice and Palliative Care), d’une liste de 33 médicaments destinés au traitement de 23 symptômes différents a jeté une importante base pour le débat futur 
			(23) 
			L.
De Lima, «The International association for hospice and palliative
care list of essential medicines for palliative care», Palliat Med, 2006, 20: 647-51..
85. L’Allemagne fait, certes, partie des pays où l’on observe une augmentation des prescriptions de morphine, mais il n’y en a pas moins lieu de penser que la fourniture d’analgésiques aux patients suivant un traitement contre la douleur laisse grandement à désirer. La consommation de ces médicaments a augmenté de 0,8 kg pour un million d’habitants en 1985 à 17,7 kg pour un million d’habitants en 2002. Les besoins sont estimés à 80 kg pour un million d’habitants 
			(24) 
			Organe international
de contrôle des stupéfiants (OICS) (2002), «Consommation des principaux
stupéfiants. Evaluation des besoins mondiaux pour 2002, statistiques
pour 2000», Nations Unies, New York. E. Klaschik, «Entwicklung und
Stand der Palliativmedizin», in Husebö,
S., Klaschik E. (Ed.), Heidelberg, 2003.. En raison des forts préjugés, on ne pourra s’attendre à un réel progrès que lorsque la société aura émis un signal clair et que, pour les douleurs chroniques, les analgésiques ne seront plus financés comme les autres médicaments, en Allemagne par exemple dans le cadre de budgets. Il convient d’évoquer également la possible ignorance et l’indifférence des médecins traitants pour ce qui a trait à d’éventuelles actions récursoires.
86. Supprimer la douleur par la prise de médicaments n’est pas non plus un objectif généralisable. Apprendre à gérer la douleur dès le plus jeune âge peut faire partie de l’autodétermination ou d’une éducation qui repose sur une stratégie pariant sur l’endurcissement et non sur l’évitement. Cette sociologie de la douleur nécessaire à la compréhension de perceptions subjectives fait apparaître différents degrés de tolérance.
87. Figure marquante de la théorie qui sous-tend, entre autres, le mouvement allemand des hospices, Elisabeth Kübler-Ross, médecin helvéto-américain, a effectué un travail de pionnier dans le domaine de la recherche en thanatologie. En tant que médecin, elle a mené, en collaboration avec des étudiants en théologie, des interviews avec des mourants et a développé un modèle idéalisé de phases pour l’application duquel une interprétation individuelle différenciée reste essentielle. Il distingue les cinq phases suivantes: 1. le choc, l’incrédulité; 2. la colère, la révolte; 3. la négociation, le marchandage; 4. la dépression, la détresse; 5. l’acceptation, l’approbation.
88. L’«espoir» est présent dans chacune de ces phases, mais il change de nature au fil des différentes étapes: il passe de l’espoir d’une guérison miracle ou de la découverte d’un nouveau traitement à celui d’un décès sans douleur. Le processus du décès, qui se déroule de manière différente pour chaque individu, est déterminant. Le modèle a une grande valeur pour ceux qui accompagnent le mourant parce qu’il leur permet de comprendre la sensibilité humaine. Mais l’accompagnateur ne devrait pas se donner pour mission de provoquer, par ses actes, l’arrivée de la dernière phase le plus rapidement possible. Il devra toujours se limiter à offrir son assistance. Le vrai travail, c’est au patient lui-même de l’accomplir 
			(25) 
			Elisabeth Kübler-Ross, On death and dying (Les derniers
instants de la vie), 1969. Pour la critique de Kübler-Ross. Zwischenbericht Enquete-Kommission Ethik und
Recht der modernen Medizin, S. 10..
89. La critique selon laquelle ce modèle ne tient pas suffisamment compte des particularités individuelles méconnaît l’importance de la méthode qui sous-tend cette approche. La méthode de l’idéalisation permet, en se fondant sur des destins individuels, d’opérer une généralisation abstraite, laquelle doit ensuite être à nouveau individualisée lors de l’application concrète 
			(26) 
			Description de la méthode
d’idéalisation et de réalisation chez K. Düsing, Fundamente der Ethik, p. 301 et
suiv.. Il n’est pas besoin, pour l’élaboration et l’application de tels modèles, de disposer de données empiriques complètes pour qu’ils satisfassent au critère de l’applicabilité générale. L’approche orientée vers le sujet ne permet toutefois pas à des tiers, par exemple des prestataires professionnels de services, d’agir à la place de l’intéressé.
90. La recherche orientée vers le sujet n’a pas pour objectif la médecine dite «de confort». Elle requiert une grande capacité de communication qu’on ne pourra acquérir qu’en s’exerçant à l’art de l’autoréflexion, par exemple pour ce qui concerne l’orientation de ses propres valeurs. On ne sera pas en mesure d’accompagner efficacement les processus subjectifs complexes intervenant chez les autres si on part soi-même d’une conception réductrice du monde.
91. A l’origine, on ne tenait pas compte, au cours de la formation initiale aux soins palliatifs, de l’importance de la communication et des compétences qu’elle requiert sur le plan théorique. Entre-temps, ces thèmes ont été inclus au programme d’études. La pratique ne permet en rien d’acquérir automatiquement un bon niveau de compétences dans ce domaine; ce dernier ne constitue pas un «plus facultatif». En matière de soins palliatifs également, la plupart des problèmes ne procèdent pas de mesures médicales ou infirmières erronées mais d’une mauvaise communication. Les facultés de communication constituent un élément nécessaire et essentiel de toute prestation de santé; s’agissant des soins palliatifs, on tient, de manière idéale, compte de ce fait dès le début de la formation. C’est ce qui explique que l’approche en équipe est plus efficace; cela explique aussi pourquoi elle a été très rapidement adoptée dans les services cliniques dont le quotidien est particulièrement mouvementé, comme les services de réanimation.
92. En médecine palliative, tout commence par une définition raisonnable des objectifs: la qualité de vie ne saurait se mesurer uniquement à l’aune de la durée de la vie parce que le temps que fait gagner le traitement peut constituer, selon les conditions dans lesquelles il est appliqué, une période de souffrances inutiles. Sur le plan psychologique, la situation du patient est comparable à celle d’un condamné à mort qui vit dans une incertitude permanente, se demandant si et quand l’exécution aura lieu. Un critère «durée de vie» purement quantitatif peut donc conduire à une perte totale de qualité et engendrer en réalité la pire torture: le maintien du patient dans un état oscillant entre l’espoir et la peur. Le traitement d’une maladie incurable est un purgatoire sur Terre. La délivrance est improbable; la souffrance est certaine mais probablement inutile et ne permet pas à la paix intérieure au sens large, donc la paix de l’âme, de s’installer.
93. Renoncer délibérément à poursuivre le traitement permettra au patient de gagner un temps de vie qu’il pourra employer utilement. L’autonomie fournit une nouvelle marge de manœuvre. Lorsque les symptômes de la maladie sont contrôlés efficacement, la personne gravement malade peut se consacrer à d’autres relations qui revêtent de l’importance pour elle. Ce n’est qu’en exploitant de manière constructive cette nouvelle marge de manœuvre qu’elle-même et sa famille bénéficieront d’une qualité de vie. La notion de qualité de vie pose problème également dans le domaine des soins palliatifs. Ce ne sont pas les prestataires de services, professionnels ou non, qui sont les garants du succès, mais le patient lui-même. Le gain initial d’une nouvelle dimension de la notion d’utile en et par la médecine est menacé lorsque, au-delà des exigences professionnelles, le critère de qualité est, une nouvelle fois, satisfait uniquement par des calculs quantitatifs.
94. Mais, bien entendu, la proposition d’une offre globale est quantifiable et les normes de la pratique médicale constituent un critère de qualité pour les soins. Si l’on échoue à contrôler les symptômes de manière efficace, on ne pourra créer la marge de manœuvre requise. Recevoir des soins n’est toutefois, comme on vient de le montrer, pas une fin en soi; c’est le sujet autonome qui est la fin en soi; et le recours à une assistance préside à la réalisation du véritable objectif, à savoir l’intégration réussie de la mort dans sa propre conception de la vie. L’accompagnement des mourants est une aide à la vie.
95. La médecine palliative se démarque donc du traitement palliatif ou du traitement curatif, mais elle ne doit pas être entendue comme excluant les autres formes de soins. Au contraire, l’approche palliative adoptée dès l’établissement du diagnostic, comme c’est habituellement le cas dans les établissements de soins pour enfants, se révèle très positive pour le patient. C’est dans les limites que la médecine elle-même s’impose que réside le potentiel de cette discipline, qui dépasse de beaucoup le cadre d’un domaine spécialisé. Dans la pratique, c’est le patient lui-même qui décide de la direction à prendre; ce n’est que s’il se détourne d’un traitement porteur d’espoir que d’autres processus stimulant les sens pourront devenir importants pour lui.
96. Les soins devraient s’orienter sur la définition initiale d’objectifs raisonnables; à défaut, l’inversion de la relation entre la fin et le moyen se faufilera de nouveau par le biais de la professionnalisation/spécialisation. Des soins qui trouvent une justification objective sur le seul plan professionnel ne sauraient constituer un critère approprié pour l’évaluation de l’adéquation des moyens.

4.2. La rigueur en matière d’indicateurs: comparaison entre les pays

97. Les disparités qu’on observe dans les différents pays pour ce qui concerne le développement des soins palliatifs sont dues à diverses circonstances qu’il convient de bien différencier pour éviter les erreurs d’évaluation. La grande majorité des indicateurs doivent se fonder sur la différenciation entre le débat qui se tient au sein de l’opinion et les mesures concrètes prises par le gouvernement, par exemple en matière de politique de santé publique. La naissance au sein de la société d’un mouvement des hospices fort constitue certainement une donnée importante pour ce qui concerne l’engagement et la prise de conscience des citoyens, mais elle ne constitue pas un indicateur quant à la qualité des soins effectivement donnés.
98. En Suède, par exemple, l’Etat a mis en œuvre très tôt et de manière cohérente une politique faisant prévaloir les soins ambulatoires sur les soins stationnaires; c’est la raison pour laquelle les soins gratuits à domicile sont devenus une évidence pour le patient et pour sa famille 
			(27) 
			Dans
un rapport datant de 1979, le Gouvernement suédois a explicitement
rejeté l’idée de la création d’établissements distincts pour les
mourants. C.J. Fürst, «Perspectives on Palliative care: Sweden»,
in Support Cancer Care, 8:441-443.
Résumé de l’expertise effectuée au nom de la commission d’enquête
Ethique et droit en médecine et portant sur dix pays européens (Belgique,
France, Royaume-Uni, Pays-Bas, Norvège, Autriche, Pologne, Suède,
Suisse, Espagne), p. 59 et suiv.. De plus, les membres de la famille reçoivent un soutien financier au titre des congés qu’ils prennent pour soigner leurs proches. En Suède et, d’une manière générale, dans les pays scandinaves, le bénévolat est insignifiant; mais on ne saurait en déduire que les soins sont généralement considérés comme relevant des experts. De même en Espagne, on attache une grande importance à la tradition qui veut que la famille se charge de dispenser les soins, alors que, dans un même temps, les établissements de soins sont assortis de la connotation très négative de «mouroirs».
99. Pour ce qui concerne les gouvernements, on peut dégager différentes stratégies: ainsi, en Suède, aux Pays-Bas ou en Belgique, l’objectif est une mise en œuvre rapide au sein du système existant. Mais une telle politique ne peut être cohérente que si elle intègre le plus largement possible le secteur des soins et que les instruments pertinents ne portent pas uniquement sur la spécialisation des médecins ou des hôpitaux – tendance qu’on observe, par exemple, en France.
100. Dans le cadre de la stratégie de mise en œuvre rapide, il existe la possibilité d’un financement par le biais des structures existantes ainsi qu’un soutien des soins palliatifs par le biais de budgets propres, comme en Belgique. Il convient d’établir une distinction entre cette stratégie et celle qui consiste à adopter une législation sans base financière appropriée et durable, qui risque fort de ne pas dépasser le stade des nobles déclarations d’intention. C’est ce phénomène qu’on observe actuellement en Espagne après le départ en flèche effectué par le gouvernement au cours de la décentralisation de la politique de santé. Ce qui fait que l’assistance n’est satisfaisante qu’à l’échelon régional, l’Etat dans son ensemble ne s’estimant plus compétent.
101. En Suisse également la forte décentralisation est rendue responsable de la mauvaise situation dans le domaine de l’assistance. La position qui prévaut chez un grand nombre de professionnels est décrite dans un rapport de la Société de médecine et des soins palliatifs publié en l’an 2000 comme un refus de prendre au sérieux la nouvelle spécialité: «We all know what palliative care is» («Chacun sait ce que sont les soins palliatifs») 
			(28) 
			Annexe à la Recommandation
24, no 28-31. C. Knipping, «Das Verständnis,
die Umsetzung und Qualifizierung von Palliative Care in der Schweiz
unter besonderer Berücksichtigung der Pflege – eine Literaturrecherche»,
Master Thesis, St. Gallen, 2003..
102. La question de savoir si une modification en profondeur des structures est opérée lorsqu’elle s’avère nécessaire pour parvenir à financer durablement les soins palliatifs ou si elle reste superficielle constitue un important indicateur. C’est la situation qui règne en Allemagne où le législateur a inscrit le droit aux soins palliatifs dans le Code social, sans toutefois prévoir une rétribution appropriée pour les soins complexes. Autre important problème en Allemagne: les incitations pour des soins intégrés n’impliquent pas les organismes payeurs mais sont fixées à l’échelon des prestataires, alors que les organismes payeurs, par exemple les caisses de maladie, doivent se faire concurrence.
103. Ces incitations contradictoires ont des retombées néfastes avant tout sur les soins palliatifs, même si entre-temps l’Etat accorde des subventions, par exemple pour la coordination d’équipes professionnelles. Le système de financement mixte, en partie par les caisses de maladie, en partie par la caisse de soins, en partie par des subventions étatiques, des dons ou par les patients, est si complexe qu’il ne permet pas une amélioration durable de l’offre de soins.
104. Pourtant, le concept de soins palliatifs correspond, dans une large mesure, à la nécessité du renforcement, dans le système de santé allemand, de la coordination et de la responsabilité que le conseil d’experts a recommandé dans sa dernière expertise: nouvelle perception de soi de la part des groupes de professionnels, soulagement du corps médical et refoulement simultané du mode de pensée axé sur la profession, implication équitable des soins. Mais étant donné qu’en Allemagne tant la consolidation des structures de financement que la réforme fondamentale des soins ont été ajournées, ce n’est probablement qu’après les élections de 2009 qu’on aura de nouveau la possibilité d’engager une réforme globale du système de santé.
105. Même si en Europe orientale les pays sont, dans l’ensemble, moins nombreux à avoir engagé un développement des soins palliatifs, on ne constate, d’une manière générale, pas de différence qui soit due à la pénurie de ressources 
			(29) 
			Une étude de l’Eastern
and Central European Palliative Care Task Force (ECEPT) montre qu’il
n’y a pas lieu de penser qu’il existe des différences fondamentales.
Clark, D. et Wright, M., «Transitions in end of life care. Hospice
and related developments in Eastern and Central Asia», 2002, université
de Sheffield. L’étude porte sur 28 pays en recourant à des méthodes
quantitatives et qualitatives.. Il est au contraire impressionnant de voir l’efficacité avec laquelle la mise en réseau de cinq centres de référence (les «phares») situés en Roumanie (1), en Hongrie (1), en Fédération de Russie (1) et en Pologne (2) a permis de créer un niveau élevé de compétences. Ces centres dispensent d’excellents services de soins; parallèlement, ils se chargent de la formation initiale et continue, de la recherche, des relations internationales, et effectuent un travail de lobby politique. La médecine palliative et le travail des hospices en Pologne sont considérés comme exemplaires pour l’Europe orientale 
			(30) 
			F. Nauck, «Hospizarbeit
und Palliativmedizin. Europäischer Ausblick», in Aulbert,
E., Klaschik, E., Kettler, D. (Hrsg.), Palliativmedizin
– Ausdruck gesellschaftlicher Verantwortung, Stuttgart
u.a., S. 3ff. En particulier, concernant la Pologne: Gronemeyer,
R., Fink, M., Globisch, M., Studie zur
Hospizarbeit in 16 Ländern, Justus-Liebig Universität
Giessen, 2004. Globisch, M., 2004, «Hungary», in R. Gronemeyer, M. Fink, M. Globisch
et F. Schumann, Helping People at the
End of their Lives: Hospice and Palliative Care in Europe, université de Giessen, Allemagne..
106. Et cela notamment en raison de la bonne intégration de l’enseignement de la médecine palliative dans les universités. Des douze facultés de médecine que compte la Pologne, onze proposent des cours de médecine palliative aux étudiants: trois dans le cadre d’un enseignement facultatif et les autres dans le cadre de l’enseignement obligatoire, même si la médecine palliative ne constitue pas une discipline distincte. Il existe six chaires de médecine palliative; mais il n’existe pas de spécialisation en la matière. La vaste formation complémentaire à laquelle ne peuvent participer que des médecins ayant déjà une formation spécialisée a été suivie jusqu’en 2004 par 55 médecins.
107. De son côté, l’Allemagne s’est engagée dans la voie inverse. Il n’y existe que deux chaires; une formation spécialisée est possible; en raison de la faiblesse des honoraires, il y a peu de demandes de formation complémentaire, malgré le grand intérêt que manifestent, d’une manière générale, les médecins de famille. Il apparaît également ici qu’un potentiel important peut déboucher sur de maigres résultats, malgré ou bien en raison des efforts déployés par les politiques en vue de maîtriser les coûts.
108. Dans le domaine de la formation continue également, il existe en Pologne un grand nombre d’offres. Depuis 1991, l’initiative de coopération «British Charity – Polish Hospices Fund» joue un rôle important dans la formation continue des médecins et du personnel soignant polonais. Ces derniers peuvent être hébergés dans de nombreux hospices britanniques et y recevoir une formation continue. Les séjours sont financés par des fonds provenant de l’organisation d’utilité publique. Le fonds accomplit, au bénéfice des soins palliatifs en Europe orientale, un travail dont il ne faut pas sous-estimer la valeur. Des séminaires de grande qualité, organisés par le Département de soins palliatifs de Posen et le Centre de soins palliatifs de l’OMS d’Oxford, sont également tenus à Puszczykowo. Le Centre de documentation et de formation en matière de soins palliatifs de Posen propose des cours théoriques et pratiques à l’intention du personnel médical – y compris d’autres pays européens. Voilà, même si le financement n’est pas encore pleinement garanti, un autre exemple de bonne coopération internationale 
			(31) 
			Les cours sont organisés
en coopération avec la faculté de médecine de l’université Karol
Marcinkowski de Poznań, la Polish Association of Palliative Care
et l’Eastern and Central European Task Force (ECEPT). La situation
en Pologne a également ceci de remarquable qu’en raison de la bonne
formation permanente, des soins palliatifs en pédiatrie sont déjà proposés
dans 29 régions..
109. Il ressort de la liste des principaux problèmes existant en Europe orientale que la situation ne diffère guère de celle qui règne dans les pays occidentaux: «absence de reconnaissance au niveau des politiques, remboursement insuffisant et caractère peu durable; accès insuffisant aux opiacés; difficultés de recrutement du personnel spécialisé; manque d’équipements médicaux et de soins; manque d’opportunités de recherche; existence de stéréotypes culturels négatifs» 
			(32) 
			Annexe à la Recommandation
24, paragraphe 16..
110. En Hongrie, le gouvernement a engagé, en 1997, une stratégie ciblée. Une référence explicite aux soins palliatifs a été incluse dans la loi, qui reconnaît formellement aux patients le droit à un traitement de contrôle des symptômes et le droit de vivre avec leur famille; cette loi stipule que les soins doivent être, dans toute la mesure du possible, assurés à domicile et prévoit également un soutien moral pour la famille et les proches. Le ministère hongrois de la Santé a, en coopération avec l’Association des soins palliatifs, publié des lignes directrices à l’intention des professionnels. Les principes éthiques, qui abordent également explicitement la question de l’allocation, sont particulièrement contraignants 
			(33) 
			K. Hegedüs et I.E.
Szy, Palliative care of terminally ill
cancer patients, Budapest, Hungarian Hospice-Palliative Association,
2002..
111. S’agissant des soins palliatifs, la coopération dans l’intérêt du patient et de sa famille se fonde sur les preneurs de décision potentiels (patient, membres de la famille, bénévoles, professionnels, spécialistes) dans les structures (ambulatoire, stationnaire, transversale, réseau). Les unités isolées sont confrontées à de grandes difficultés organisationnelles, financières et fonctionnelles, et la coordination elle-même constitue une tâche indépendante. Ainsi est-il, par exemple, apparu que les prestataires de services peu spécialisés ne sont souvent pas en mesure d’évaluer correctement le moment où ils doivent demander une expertise supplémentaire. Plus le nombre d’acteurs est important et plus les impératifs de communication sont élevés pour toutes les parties. Des structures aussi complexes requièrent beaucoup de temps jusqu’à ce qu’elles puissent fonctionner efficacement.
112. Une bonne couverture territoriale peut, en principe, être considérée comme une donnée positive, mais elle n’est pas, en elle-même, garante d’un professionnalisme ou d’une spécialisation suffisants. Lorsque la qualité des soins n’est assurée que dans une certaine région ou dans un certain domaine, comme la cancérologie, on ne peut en déduire que le développement dans son ensemble se trouve sur la bonne voie. On ne manquera pas ici de considérer comme souhaitables la permanence du financement ainsi qu’une construction et un aménagement permanents et coordonnés.
113. C’est la raison pour laquelle, à bien des égards, c’est bien entendu le Royaume-Uni qui est le pays doté des structures les plus solides et, dans de nombreux domaines, d’une coopération coordonnée de manière exemplaire 
			(34) 
			Rapport
de la commission d’enquête Ethique et droit dans la médecine moderne,
p. 47.. Mais le financement repose en grande partie sur des dons privés et sur le bénévolat. L’évolution ultérieure montrera s’il s’agit là d’une base de financement durable.
114. S’agissant de l’autonomie des patients, l’indicateur le plus important reste le lieu du décès. Toutefois, comme on l’a déjà dit, cet indicateur ne sera probant que si on connaît l’endroit où le patient souhaitait mourir et celui où il est effectivement décédé, ainsi que la raison pour laquelle il s’y trouvait. On ne parviendra pas de sitôt à recueillir des données aussi utiles. De même, si on emprunte la voie de la recherche empirique quantitative, seuls les sondages d’opinion permettront de faire apparaître si la demande d’euthanasie accuse un recul. S’agissant de l’importance de la communication entre le médecin et le patient, des études font apparaître des premiers résultats encourageants 
			(35) 
			M.A.
Steward, «Effective Physician-Patient Communication and Health Outcomes:
A Review», in Can Med Assoc 1995,
152: 1423-1433. «Evidence on Patient-Doctor Communication»? In Cancer Prevention & Control? 1999,
3: 25-30..
115. Il serait souhaitable que les efforts déployés en matière de politique sanitaire débouchent, dans l’intérêt de l’autonomie du patient, sur l’instauration d’une coopération générale, bénéficiant d’un financement durable, entre des prestataires de services aux niveaux de spécialisation différents en fonction des besoins; à cet égard, un indicateur fait encore défaut. Les efforts politiques en vue d’une construction et d’un aménagement continus peuvent être mesurés grâce à trois indicateurs: existe-t-il un droit aux soins palliatifs? Existe-t-il une analyse des besoins reposant sur des données? Existe-t-il une stratégie politique incontestable et des normes officielles 
			(36) 
			De
telles normes officielles existent par exemple en Autriche: Gesundheitswesen
ÖBf. Abgestufte Hospiz- und Palliativversorgung in Österreich – <a href='http://www.gesundheitsministerium.at/'>www.gesundheitsministerium.at</a> – et en Ecosse: Scottish Home Office HaHD. Palliative cancer
guidelines – www.palliativcarescotland.org.?
116. A cet égard, il existe une question plus fondamentale encore: celle de savoir si, lors de l’élaboration de la politique sanitaire, on établit un ordre de priorité pour les objectifs de santé, comment il se présente et s’il repose sur une large acceptation de la part de l’opinion. Sans une définition claire de l’objectif premier, tous les objectifs subordonnés à contenu concret ne seront pas durables. Un concept établi conformément à des objectifs raisonnables aurait, en revanche, de bonnes chances de susciter la compréhension chez la plupart des citoyens, car ce qui est étendu est applicable à tous et pas seulement à la majorité. En Allemagne, il serait souhaitable qu’un débat orienté sur l’éthique vienne rapidement prendre le relais de la querelle usante et politisée que se livrent les groupes d’intérêts.
117. Les indicateurs potentiels de la vitalité du mouvement de soins palliatifs en Europe sont: l’existence d’associations de soins palliatifs; les annuaires ou monographies dans lesquels figurent les services de soins palliatifs mentionnés dans des publications ou sur l’internet; la publication d’articles sur le développement des soins palliatifs dans les revues spécialisées; la participation de professionnels à des programmes de soins palliatifs. D’autres indicateurs comprennent les éléments suivants:
  • débat controversé car il est difficile de dire si la mise en œuvre dans le secteur de la santé actuel serait bénéfique (conditions préalables d’une intégration réussie);
  • base financière (concepts viables);
  • soins de santé – saturation, accès large, structures flexibles (par exemple coopération intersectorielle; concept progressif: soins palliatifs généraux et spécialisés);
  • intérêt des patients, qualité de vie, autonomie (choix du lieu de soins et de décès);
  • qualité des soins (accès aux stupéfiants, normes de qualité, évaluation ou optimisation du processus, coopération et communication);
  • inscription dans les directives en matière de formation (approche en plusieurs étapes; intégration du secteur infirmier);
  • efforts de recherche.

4.3. Qualité des soins: adéquation des fins et des moyens

118. Les systèmes de santé très différenciés présentent les déficits concrets suivants, qui peuvent avoir des effets négatifs sur le développement de formes de soins complexes comme les soins palliatifs:
  • refoulement du thème de la mort et de la fin de vie dans la formation et la pratique médicale. La médecine palliative ou la communication ne sont pas enseignées dans le cadre des programmes d’études des médecins et des personnels de santé. L’approche orientée vers le sujet, qui est, en fait, essentielle, n’est pas encore systématiquement établie sur le plan scientifique. La communication est considérée comme une compétence sociale qu’on acquiert par la pratique, et non comme une manière d’aborder le traitement et la recherche qu’il faut adapter systématiquement et dont l’importance dépasse largement le cadre de la relation individuelle entre le médecin et le patient;
  • la répartition sectorielle des soins médicaux et du financement ainsi que la spécialisation très poussée telle qu’elle avait cours par le passé conduisent, dans le contexte d’une concurrence croissante, à l’absence de mise en réseau et de coopération pluri- et interdisciplinaire qui serait dans l’intérêt du patient. Le besoin urgent de formes de soins transsectorielles se fait sentir, mais ces dernières ne sont pas convenablement rétribuées dans bon nombre des systèmes existants. C’est pourquoi la politique de santé doit avoir pour objectif de réaliser une intégration générale incluant les organismes payeurs au lieu de se fixer uniquement sur l’échelon du prestataire de service;
  • les structures de financement des soins de santé sont fortement axées sur la médecine curative et les actes médicaux techniques, de sorte que le principe «high person – low technology» («beaucoup d’être humain – peu de technologie») de la médecine palliative ainsi qu’un soutien psychologique, spirituel et émotionnel approprié ne sont pas financés de manière suffisante (la chimiothérapie est mieux payée que les soins palliatifs). La budgétisation des dépenses en matière de médicaments constitue une autre contrainte économique qui a des retombées négatives sur l’approche palliative, car elle a pour conséquence la non-prescription des coûteux médicaments destinés au contrôle des symptômes;
  • le facteur temps, dont la pression s’accroît en raison des dépenses administratives supplémentaires (gestion de la qualité) et de la pénurie en personnel due aux contraintes économiques, n’est pas considéré comme un problème structurel. Il a pourtant des effets immédiats sur la qualité des soins: il ne reste pas suffisamment de temps pour une communication appropriée et un accompagnement personnel; de graves erreurs surviennent – par exemple, lors de l’établissement du traitement – qui, en raison de l’absence de données complètes, ne pourront être corrigées qu’a posteriori, ce qui ne fait qu’accroître une nouvelle fois les dépenses supplémentaires. Nous renvoyons ici au débat qui se tient actuellement à propos des indicateurs relatifs à la sécurité des patients.
119. S’agissant des soins palliatifs, on distingue, en principe, trois niveaux de qualification (les connaissances de base non spécialisées, les connaissances de base approfondies et les connaissances spécialisées) qui devraient faire l’objet d’un enseignement obligatoire lors de la formation initiale et continue des médecins et des personnels soignants (soins aux malades et aux personnes âgées). Ces connaissances devraient déboucher, dans la pratique, notamment pour ce qui concerne l’accompagnement lors du deuil, sur une assistance globale que les intéressés devraient pouvoir demander en fonction de leurs besoins.
120. S’agissant de la pratique, on peut partir du principe que, si la possibilité pour les malades de mourir chez eux doit être érigée en droit fondamental, il est besoin, parallèlement aux services proposés par des institutions telles que les hôpitaux, les centres de soins ou les hospices, d’une offre globale de soins palliatifs souples et non spécialisés. Il conviendra également de mettre à la disposition d’un petit nombre de patients présentant des symptômes plus complexes des équipes mobiles spécialisées. Ces équipes soit travailleront uniquement en tant que conseillers, apportant lorsque c’est nécessaire un soutien à leurs collègues non spécialisés, soit se chargeront de dispenser elles-mêmes les soins. Pour ce qui concerne le domaine de la médecine palliative hautement spécialisée, on peut partir du principe que le nombre de patients est encore plus restreint, par exemple dans les services palliatifs attachés aux hôpitaux et constitués en réseau. Outre la prise en charge immédiate des cas particulièrement complexes et la coordination, ces services sont également investis d’une importante mission de formation clinique spécialisée et de recherche.
121. Indicateurs potentiels d’une structure de soins adéquate:
  • nombre de lits en soins palliatifs par million d’habitants (au Royaume-Uni environ 50, la demande en Allemagne est également estimée à 50 par million d’habitants);
  • nombre de services de soins ambulatoires par million d’habitants (de 4 à 8 selon les estimations pour la Rhénanie-du-Nord-Westphalie, tandis que la loi sur la protection de la concurrence (Wettbewerbssicherungsgesetz) se base sur 24 à 32 postes à temps plein par million d’habitants);
  • accès à d’autres catégories de professionnels pour que le patient et ses proches bénéficient de conseils interdisciplinaires et multiprofessionnels (par exemple psychologues, travailleurs sociaux, pasteurs, etc.);
  • intégration des travailleurs bénévoles aux soins palliatifs dans le cadre de structures adéquates de coordination du bénévolat (en Allemagne, les postes de coordinateurs des services ambulatoires de soins palliatifs sont financés conformément au Code social V);
  • possibilités de financement adéquat d’un système national de services de soins ambulatoires; un financement de la coordination et du travail en réseau est également prévu;
  • assurance de qualité, par exemple en diffusant un «Ensemble minimal de données» ou un système de documentation standardisé, ou d’autres mesures telles que l’audit (comme le recommande la Recommandation Rec(2003)24 du Comité des Ministres);
  • la médecine palliative est devenue une discipline universitaire (chaires d’université, intégration dans le cursus médical);
  • la médecine palliative en tant que discipline autonome dans la médecine et les soins infirmiers (spécialiste médical, infirmière spécialisée).

4.4. Travail d’équipe: professionnalisation de la société

122. Le potentiel novateur des soins palliatifs devra donc être analysé de manière approfondie dans le présent rapport. Ce dernier n’est pas seulement dû au potentiel évident qui caractérise toute professionnalisation et toute spécialisation, mais aussi à l’approche globale qui nécessite l’intégration de connaissances de plusieurs disciplines dans l’intérêt du patient et à la méthode de travail qui n’est plus uniquement basée sur l’inter- et le multiprofessionnalisme, mais également sur la participation et la prise en considération d’autres ressources de la société.
123. En médecine palliative, un traitement est par exemple donné non sur la base de tel ou tel objectif, mais après que l’on a défini des objectifs de traitement avec le patient. Il en résulte une approche flexible et notamment une communication permanente avec le patient et sa famille, ce qui peut servir d’exemple pour d’autres secteurs des soins médicaux. L’amélioration de la relation patient-médecin entraînera une meilleure observance de la part du patient, laquelle aura, à son tour, d’importantes répercussions sur le succès thérapeutique.
124. Le patient fait l’objet d’une approche holistique qui tient compte de sa famille, de ses proches, bref, de tout ce qui fait son environnement social. On ne le réduit pas à un corps ou à une partie de corps; on n’en fait pas non plus l’objet d’une mesure thérapeutique jugée nécessaire. Le patient reste, en toutes circonstances, un sujet ancré dans son environnement social; l’aide de sa famille et de ses proches peut se révéler extrêmement utile pour les soins médicaux, mais ces derniers peuvent, en raison de la gravité de la maladie dont souffre le patient, avoir eux-mêmes besoin d’aide.
125. Les soins palliatifs fonctionnent sur la base d’un concept complexe santé/maladie. Outre les paramètres d’évolution des possibilités qu’offre la technologie médicale, qui dominent encore la perception publique, et les préoccupations en matière de santé publique (lieux de travail sains, pauvreté et risques sanitaires), qui visent principalement les méthodes scientifiques quantitatives, les soins palliatifs introduisent un nouveau concept de qualité, qui intègre également les perceptions subjectives des patients.
126. Au cours du débat, notamment dans le contexte de la démence – qui constitue le véritable défi à relever par la société –, de nombreuses critiques ont été formulées à propos de l’importance accordée aux capacités cognitives et de raisonnement pour l’autonomie et le libre arbitre, au motif qu’elle conduirait nécessairement à dévaloriser et à marginaliser les personnes atteintes de démence et, partant, à ne plus les considérer comme des individus à part entière. Comme on l’a montré, aucune distinction n’est faite entre décision autonome et décision hétéronome. Face à des concepts aussi peu différenciés, on n’est guère en mesure d’établir une distinction entre le domaine central des droits fondamentaux, dont relève la décision autonome, et celui, beaucoup plus vaste, des droits de l’individu qui peuvent dépendre de l’âge, comme les droits civiques, ou qui peuvent comporter des droits et des devoirs bien précis liés aux responsabilités inhérentes à une profession.
127. Il serait intéressant de considérer l’autonomie non pas comme une quantité statistique, mais comme un potentiel à acquérir au cours de la vie. Pour faire face à la fin de vie, il faut de multiples soutiens. Outre l’approche par étapes adoptée actuellement pour améliorer les structures de soins palliatifs dans les différents pays européens, des efforts doivent être déployés, à moyen et à long terme, pour renforcer le potentiel personnel des patients et leur capacité à agir de leur propre initiative, si l’on envisage d’étendre les services disponibles aux personnes qui ne sont pas gravement malades 
			(37) 
			Johannes Bircher,
Karl-H. Wehkamp, Das ungenutzte Potential
der Medizin, Analyse von Gesundheit und Krankheit zu Beginn des
21. Jahrhunderts, Zurich, 2006, p. 130. Pertinence du
modèle de Meikirch pour les soins apportés aux personnes gravement
malades: «Il montre que la perte inévitable du potentiel partiel
d’ordre biologique peut être compensée, du moins en partie, par
un potentiel partiel acquis personnellement ainsi qu’en réduisant
ses propres attentes face à la vie. Il y a donc des indications
claires quant à la façon dont les personnes peuvent se préparer
à leur fin de vie. Il est toujours surprenant et très émouvant d’observer
le calme et la sérénité avec lesquels certains individus acceptent
la transition de la vie à la mort. De toute évidence, ces personnes
ont pu acquérir personnellement un potentiel partiel tel qu’il leur
permet de considérer de façon positive le processus naturel de la
mort comme faisant partie de la vie. Du point de vue de la médecine
sociale, cela soulève la question des mesures nécessaires pour permettre
à un maximum de personnes d’acquérir un potentiel partiel suffisamment
important pour leur fin de vie et leur mort.».
128. La nécessité, évoquée dans de nombreux rapports traitant du problème de la démence et de l’autonomie, de tenir davantage compte à la fois du besoin d’aide et de l’acceptation de la dépendance à l’égard du raisonnement autonome, passe à côté du vrai problème lorsqu’on omet d’opérer la nécessaire dissociation de ce qu’on appelle la «dépendance dysfonctionnelle» qui est au premier chef engendrée ou du moins renforcée par les pratiques qui ont cours dans les établissements de soins. C’est précisément la raison pour laquelle on en arrive à ignorer systématiquement les capacités qui subsistent; si la manière dont les établissements organisent les soins a pour effet de mettre la dignité en question, c’est parce que les patients ayant besoin de soins sont considérés d’emblée comme étant plus dépendants qu’ils ne le sont ou qu’ils ne souhaiteraient l’être. Le problème du respect de la dignité des personnes âgées n’exige donc pas qu’on aborde d’un œil nouveau l’autonomie de chacun des patients; il nécessite, en revanche, une remise en question et une communication accrue de la part des professionnels, qui doivent se battre contre le système en place pour forcer une plus grande autonomie à la fois pour eux-mêmes et pour leurs patients.
129. C’est à l’ensemble de la société qu’incombe la responsabilité de faire en sorte que le secteur des soins soit doté d’un cadre qui favorise la remise en question et la communication au sein de l’équipe soignante et qui lui permette d’investir plus de temps dans la réadaptation. «Il n’est pas rare que les médecins et le personnel soignant se retrouvent dans une situation telle qu’ils ne sont plus en mesure de faire des principes éthiques le principal fondement de leur action. (…) En portant atteinte à leur intégrité personnelle en les obligeant à occulter les principes éthiques, on suscite chez eux un sentiment de culpabilité qui les conduit finalement à douter d’eux-mêmes et à envisager d’abandonner leur profession. C’est la raison pour laquelle l’intervention ne consiste pas uniquement à transmettre des principes éthiques au cours de la formation, mais aussi et surtout à créer des conditions de travail de nature à permettre l’avènement d’une “communauté agissant moralement”.» 
			(38) 
			A. Kruse, «Altersdemenz»,
document de conférence, Conférence annuelle NER, 2005, p. 53 et
suiv.
130. De multiples formes de soutien sont nécessaires pour maintenir l’autonomie des personnes en fin de vie ayant besoin d’une assistance complexe. A côté de la stratégie progressive qu’ils suivent aujourd’hui en vue d’apporter des améliorations aux établissements dotés de services de soins palliatifs, les pays européens doivent veiller à ce que l’élargissement de l’offre de soins aux personnes moins gravement malades, prévu à plus ou moins long terme, s’accompagne d’un renforcement du sens des responsabilités et du potentiel individuel du patient.
131. L’idée essentielle en ce qui concerne les soins palliatifs, c’est-à-dire le fait que les mesures d’activation et de réadaptation peuvent apporter une contribution majeure à la qualité de vie des personnes gravement malades, peut être élargie par des concepts de prévention, qui doivent indiquer clairement aux personnes concernées quel pourrait être l’impact direct sur leur santé des efforts qu’ils ont faits. La racine latine pallium (manteau) est une illustration explicite du concept de protection. Les individus ont également besoin d’une protection pour eux-mêmes. L’autonomisation, l’entraînement et la coopération sont plus motivants que le fait de retomber dans les mécanismes autoritaires, les examens médicaux préventifs obligatoires, les menaces de sanctions ou les leçons de morale faciles.
132. A juste titre, le rapport relatif à la Recommandation Rec(2003)24 du Comité des Ministres souligne l’importance souvent sous-estimée des bénévoles. Le travail bénévole n’est pas suffisant, mais nécessaire au fonctionnement des soins. Il permet un gain de temps en employant les spécialistes nécessaires pour des raisons de coût. Un autre aspect à prendre en compte lors des discussions futures est la solidarité vécue (investir du temps au lieu de l’argent), afin de renforcer la solidarité et la responsabilité personnelle 
			(39) 
			La critique intelligente
de Klaus Dörner concernant le système de soins actuels part de l’hypothèse
selon laquelle le fait de ne plus prendre soin de l’autre mais de
transférer cette tâche aux structures anonymes et aux établissements spécialisés
est la cause d’une grande partie des problèmes d’ordre principalement
psychosocial dont souffrent les personnes, problèmes qui entraînent
l’apparition de symptômes physiques de maladie. Klaus Dörner, Die Gesundheitsfalle. Woran unsere Medizin
krankt. Zwölf Thesen zu ihrer Heilung, München, Econ
Verlag, 2003..
133. Le soutien de la population active a été une force importante, voire motrice, tant aux débuts des soins palliatifs qu’au cours de leur développement ultérieur. En Allemagne, la relation entre la médecine palliative et le mouvement des «hospices» a été tendue pendant de nombreuses années. D’importants efforts ont été faits par les deux parties, qui ont récemment abouti à une meilleure coopération. Dans les autres pays également, seul un système bien équilibré est facteur de réussite. La coordination entre les secteurs professionnel, semi-professionnel et privé, requise d’urgence dans l’intérêt des personnes concernées et fonctionnant parfaitement si elle est bien planifiée, ne doit pas être considérée comme une solution transitoire à supporter en raison d’un manque de ressources. Au contraire, elle est au cœur du concept.
134. A l’avenir, il faudra accorder une attention toute particulière aux «avantages» réciproques pour les bénéficiaires des soins et les assistants puisque, bientôt, le travail bénévole dans sa forme actuelle finira par disparaître. Dans la plupart des pays, les travailleurs bénévoles sont principalement des femmes de 50 à 70 ans qui, conformément au modèle traditionnel, ont placé leur évolution professionnelle au second plan, donnant la préférence à leurs enfants et leur famille. Ce groupe de personnes subit à nouveau tout le poids des soins infirmiers, sans recevoir aucun soutien ni compensation adéquats (par exemple en ce qui concerne les cotisations de retraite qui n’ont pas encore été versées). Cette injustice structurelle, si elle alimente le débat public, n’a pour l’instant pas donné lieu à beaucoup d’actions politiques pour y remédier. Les périodes d’attente instaurées par la loi, par exemple en Suède, en France ou en Autriche, en ce qui concerne les proches qui soignent les malades, sont certainement souhaitables mais ne sont utilisées que de façon limitée.
135. L’institution par voie législative d’un «congé de soutien familial» pour les personnes qui s’occupent d’un parent dépendant, comme cela a été fait en Suède, en France ou en Autriche, est certes très souhaitable; mais on n’y aura vraisemblablement recours que dans une moindre mesure, pour des raisons financières ou par crainte de perdre son emploi malgré la protection contre le licenciement 
			(40) 
			Rapport intérimaire
de la commission d’enquête Ethique et droit en médecine moderne.
«Verbesserung der Versorgung Schwerstkranker und Sterbender in Deutschland
durch Palliativmedizin und Hospizarbeit» (Amélioration des soins
aux incurables et aux mourants en Allemagne par la médecine palliative
et le travail des hospices) recommande l’introduction, en Allemagne,
du congé de soutien familial et expose la situation dans d’autres
pays européens.. Il y a lieu de penser que demain, les femmes ne seront plus disposées à se dévouer sans contrepartie. Les taux de naissance sont très parlants à cet égard. Dans l’intérêt de la durabilité des soins aux personnes âgées et des soins palliatifs, il convient de se poser la question de savoir s’il faut craindre également un certain désengagement de la part d’autres institutions de la société (par exemple les Eglises). Les concepts politiques qui avaient été mis au point dans le contexte du bénévolat, de l’engagement citoyen et du changement démographique jouent également un rôle important pour la mise en œuvre durable des soins palliatifs et doivent être poursuivis.
136. En ce qui concerne les soins palliatifs, la participation n’est pas juste une «étiquette» mais un aspect essentiel du travail quotidien. Ainsi, ce concept représente le défi culturel majeur qui se pose aux sociétés libérales choyées par la prospérité. Il apparaît qu’un droit de participation contribue à la capacité de répondre aux besoins de la société tels que les soins et l’aide mutuels. Une professionnalisation excessive et une dépendance aux fonds publics sont par conséquent des risques que le mouvement allemand des hospices perçoit bien et fait très clairement connaître 
			(41) 
			Dans le cadre de la
réforme actuelle des soins de santé, l’organisme de coordination
de ces structures – Bundesarbeitsgemeinschaft Hospiz (BAG Hospiz)
– a plaidé pour que les structures mises en place au fil des ans
soient expressément mentionnées dans la loi et prises en considération
dans le processus décisionnel..
137. Un domaine intéressant pour l’extension des soins palliatifs au-delà du secteur des soins infirmiers et des soins aux malades chroniques pourrait être celui des cures de sevrage. Une politique en matière de toxicomanie qui ne serait pas axée sur le fond du problème mais se limiterait à la lutte contre les différentes substances toxicomanogènes reviendrait à déshabiller Pierre pour habiller Paul. Le stress, l’incapacité à faire face à des demandes excessives et le manque de participation sociale sont les causes majeures de la conduite toxicomaniaque. Les soins palliatifs ont ouvert la voie à une gestion intelligente des drogues toxicomanogènes et peuvent donc contribuer au traitement des toxicomanes ainsi qu’à la prévention de la toxicomanie à l’aide d’une expertise solide et de mesures pratiques appropriées. Les anciens toxicomanes pourraient servir de partenaires de coopération dans ce domaine.
138. Il faut donc traiter ces problèmes de manière réfléchie si on veut trouver une solution appropriée. Les interdictions et les sanctions ne sont que les réflexes irraisonnés d’un législateur impuissant, qui ont tout au plus pour effet de fournir une protection à court terme à ceux qui ne sont pas encore dépendants, mais qui ne sont d’aucune utilité pour ceux qui se sont engagés dans la voie de la dépendance.
139. Le potentiel novateur des soins palliatifs, en tant que concept de traitement et d’assistance approprié conforme à la priorité des droits fondamentaux sur les droits individuels, ne pourra se réaliser que si la société tout entière travaille à intégrer cette idée dans le domaine médical au sens strict. Le secteur de la médecine et le secteur des soins sont d’importants partenaires de coopération; mais ils ne peuvent agir à la place de la société, ne serait-ce qu’en raison de leur spécialisation. L’assistance en tant que prestation de service professionnelle ne pourra pas être financée en totalité par les assurances; une telle idée est d’ailleurs à rejeter comme étant absolument contre-productive: la mentalité de l’assuré, qui pense comme un client conscient de ses droits, a pour effet d’engendrer une désolidarisation bien plus fondamentale.
140. La liberté et l’autonomie de chacun procèdent de la prise de conscience d’une responsabilité commune. C’est pourquoi les objectifs du renforcement de la responsabilité et de l’intensification de la coopération au sein des systèmes de santé doivent être examinés indépendamment de la question de savoir à qui incombera cette responsabilité: professionnels, bénévoles ou personnes privées. La possibilité pour chacun d’apporter une contribution appropriée découle d’une façon ou d’une autre de la forme de coopération: l’autonomie n’est possible qu’en se partageant la responsabilité pour autrui. C’est pourquoi les soins palliatifs reposent, tant en théorie qu’en pratique, sur la notion d’une responsabilité partagée et d’une assistance professionnelle individuelle pouvant être demandée en fonction des besoins.
141. L’Allemagne est très en retard pour ce qui est de la modernisation des structures, leur assouplissement et leur adéquation aux besoins individuels. C’est exactement à cet indicateur que devra se mesurer l’efficacité du système: la qualité résulte du temps consacré par les professionnels ou autres (bénévoles, personnes privées) ; elle ne saurait procéder de la seule efficacité coût-bénéfice, car dans ce cas le temps est porté sur le compte de l’argent. Comme on l’a montré, ce calcul constitue, de la part de la théorie économique, une grossière erreur qui a des conséquences dramatiques non seulement pour le système de santé, mais également pour le système d’assurance sociale tout entier. Pour l’avenir, se pose donc très clairement la question de savoir si nous pouvons nous permettre de continuer de nous tromper dans nos calculs.

4.5. Le défi de la démence

142. Paradoxalement, c’est l’intensification de la recherche sur la maladie d’Alzheimer qui a conduit à une pathologisation générale de la vieillesse, et ce, bien que ladite recherche offre la possibilité d’établir un diagnostic différencié permettant de faire la distinction entre un recul «normal» des facultés cognitives dû à l’âge et une maladie présentant une évolution caractéristique, perçue comme très angoissante au sein de l’opinion. Cet état de choses est étroitement lié à la dynamique propre du mécanisme scientifique et à l’influence des incitations économiques en vue de la mise au point de médicaments. Il se pose donc ici, dans une mesure tout à fait différente que pour les soins palliatifs, outre la question de l’allocation et celle de la légalité du suicide assisté, un certain nombre de questions brûlantes sur le plan éthique: celle de la recherche sur des personnes n’ayant pas la capacité de consentir et celle des limites juridiques du diagnostic génétique.
143. En termes concrets, cela signifie qu’environ un million de personnes souffrent à l’heure actuelle de troubles cognitifs qui peuvent être attribués aux diverses formes de démence. En l’an 2000, l’Allemagne comptait 12,2 millions de personnes âgées de plus de 65 ans (en 1900, ils étaient 3,2 millions). Pour l’année 2030, on prévoit un doublement du nombre de cas de démence; et pour 2050, on parle déjà de 16,9 millions de personnes touchées. Les chiffres varient ici en fonction des scénarios de risque sur lesquels on se fonde. L’assertion selon laquelle l’âge constitue le premier facteur de risque de développement d’une démence n’a donc rien d’étonnant; mais elle découle du fait que si, dans bien des cas, les progrès de la médecine moderne ne permettent pas une guérison, ils permettent toutefois de continuer de vivre malgré la maladie.
144. Pour résumer, on peut dire que les chiffres réels ne viennent pas étayer le scénario catastrophe qui évoque le fléau des XXe et XXIe siècles : une explosion du nombre des patients, une bombe à retardement, etc. Mais il faut bien entendu avancer des pronostics pour répondre à la question de savoir comment organiser les soins de manière durable; et, quels que soient les chiffres, la variante institutionnelle que constitue le centre de soins est, d’une part, inabordable et, de l’autre, rejetée par la grande majorité des personnes interrogées.

5. Perspectives d’avenir: une utopie raisonnable

145. Le débat sur le rationnement devrait être tenu au sein de la société et ne pas être ramené à l’échelon de la relation entre le médecin et le patient. Mais ici, une médication précoce de la maladie d’Alzheimer n’est pas l’unique souhait ou l’unique option. Les soins visant à maintenir l’intérêt du patient ainsi que son autonomie prennent beaucoup de temps: ils sont donc chers. Mais ce sont ceux qui doivent prévaloir si l’on estime que les droits fondamentaux priment sur les autres droits (droits de l’individu). Je considère la question du diagnostic, de même que le débat sur le diagnostic génétique dans son ensemble, comme éminemment problématiques en l’absence de stratégie préventive ou de véritable traitement des causes de la maladie.
146. Une utopie raisonnable consiste à faire de la santé l’objet d’un effort collectif impliquant le plus grand nombre possible de personnes et de groupes professionnels, en vue d’aider collectivement ceux qui sont obligés de vivre avec un handicap physique ou psychique ou avec une maladie incurable de la manière la plus autonome possible. Cette vie ne s’achève qu’avec la mort et nous devrions nous garder de décider pour nous-mêmes ou pour les autres ce qui vaut la peine d’être vécu et ce qui ne la vaut pas.
147. L’éthique est, en elle-même, une théorie de nature pratique. La seule expression d’«éthique appliquée», domaine dont relève par exemple la bioéthique, suffit à témoigner d’une mauvaise interprétation de cette théorie particulière. Point n’est besoin d’éthique appliquée: il faut réapprendre à faire bon usage de l’éthique. Celle-ci se réalise par les actes; elle ne saurait être instrumentalisée pour servir à justifier ses actes, à avoir la conscience tranquille, à montrer qu’on recourt à de nobles valeurs, voire pour servir de cache-misère. Mais pour pouvoir agir dans le respect de l’éthique ou pour élaborer des projets éthiquement ambitieux tels que les soins palliatifs, il faut un cadre approprié, dont la définition relève de la responsabilité de l’Etat.
148. L’éthique joue un rôle éminent dans la détermination d’objectifs raisonnables car, en tant que discipline philosophique, elle garantit une définition claire de l’ordre des objectifs à atteindre tout en ménageant une certaine souplesse quant au contenu de ces objectifs. Ce dernier peut, compte tenu de la grande variété des cas, être très différent. La même image se dégage sur le plan culturel chez différents peuples; chacun possède son propre système juridique, ses propres traditions, etc. Ce n’est que par le biais d’une définition formelle des objectifs qu’on pourra réaliser la généralisation nécessaire. Les objectifs dont le contenu est définissable ou applicable à la majorité ne sont pas tous raisonnables. La généralisation d’un objectif ne se mesure pas à l’aune de la majorité, mais à l’aune de la raison. C’est pourquoi l’éthique est absolument indispensable à la politique, même si, pour des raisons pratiques, dans les démocraties c’est la majorité qui décide.
149. La science, en revanche, s’intéresse à l’objectivité du résultat de ses recherches. L’objectivité scientifique s’efforce également de satisfaire au critère de la généralisation, la plupart du temps sans y parvenir en raison des processus empiriques qu’elle suit et pour lesquels les données nécessaires font défaut. L’éthique et la théorie de la connaissance peuvent, ici aussi, apporter une importante contribution à condition que les scientifiques appliquent davantage d’autoréflexion aux méthodes qu’ils emploient, et à condition qu’ils s’attachent à instaurer, dans l’intérêt des nouvelles connaissances, une véritable coopération avec d’autres disciplines.
150. Il ressort clairement de la recherche sur la maladie d’Alzheimer 
			(42) 
			Voir Ch. Haass, p.
23. qu’une compréhension mécaniste ne tient pas compte de la causalité des processus complexes qui se déroulent dans le corps humain, sans parler du fait que le réductionnisme ne peut appréhender de manière appropriée l’être humain dans toutes ses dimensions – physique, psychique et spirituelle. Un organisme n’est pas un mécanisme. Son «fonctionnement» repose sur l’auto-organisation et ne peut être expliqué qu’en partant du principe qu’il contribue à l’ensemble des processus naturels. La génétique humaine pâtit d’une manière générale de sa conception étriquée et mécaniste et nourrit sa propre contradiction. La présomption de sa méthodologie ne saurait être garante de progrès; et ce, même lorsque les milieux intéressés mettent des sommes gigantesques à la disposition de la recherche.
151. Il est une citation de Kant qu’on se plaît à reprendre en philosophie politique: «Le problème de la constitution d’un Etat reposant sur des principes juridiques raisonnables», disait le philosophe, «n’est pas insoluble, même pour un peuple de démons, pour peu qu’il soit doué d’entendement». Peut-être sommes-nous en train de devenir un «peuple de démons»; mais nous sommes, hélas, doués de trop peu d’entendement. Peut-être allons-nous de nouveau comprendre combien il importe d’agir en êtres humains. Peut-être verrons-nous que, pour l’avenir du droit, il est deux voies possibles: celle d’une érosion par la base – c’est ce qui se passe lorsque les droits de l’individu sont placés au-dessus des droits de l’homme –, ou bien celle d’une évolution fondée sur la raison. Nous ne parviendrons à une évolution progressive et ciblée qu’en nous fondant sur les principes éthiques sur lesquels a été édifié notre Etat de droit, au lieu de, les estimant trop lyriques, les dédaigner, comme cela a été le cas au cours du débat tenu en Allemagne sur l’article 1, paragraphe 1, de la Constitution qui érige la dignité humaine en principe juridique suprême 
			(43) 
			Wolfgang
Wodarg, «Diesseits des Rubikon? Politische Standortbestimmung im
Streit um die rechtliche und moralische Auslegung der Menschenwürde»,
in Biomedizin und Menschenwürde, éd.
Matthias Kettner, Francfort-sur-le-Main, 2004, p. 15-41..
152. Cet automatisme que nous avions institué au nom de la prétendue objectivité et des lois économiques, croyant pourvoir au plus grand bonheur du plus grand nombre, ne fonctionne plus comme nous l’avions imaginé. Pour de nombreuses personnes, il n’est pas source de richesse ni de bonheur mais vraisemblablement cause de pauvreté et de maladie, et peut même ravir leur dignité. La dignité humaine est un bien menacé: en l’absence d’un projet de société émancipateur défendu par les citoyens qui, faisant preuve d’un engagement actif et solidaire, travaillent à le traduire dans les faits, la base de la reconnaissance mutuelle qui constitue le fondement du libre arbitre et de la dignité ne pourra que se désagréger. L’autonomie n’est pas automatique.

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Commission chargée du rapport: commission des questions sociales, de la santé et de la famille.

Renvoi en commission: Doc. 10775, Renvoi no 3206 du 17 mars 2006.

Projet de résolution adopté par la commission le 15 septembre 2008.

Membres de la commission: Mme Christine McCafferty (Présidente), M. Denis Jacquat (1er Vice-Président) (remplaçant: M. Yves Pozzo di Borgo), Mme Minodora Cliveti (2e Vice-Présidente), Mme Darinka Stantcheva (3e Vice-Présidente), Mme María del Rosario Fátima Aburto Baselga, M. Francis Agius, M. Konstantinos Aivaliotis, M. Farkhad Akhmedov, M. Vicenç Alay Ferrer, Mme Sirpa Asko-Seljavaara, M. Jorodd Asphjell, M. Lokman Ayva, M. Zigmantas Balčytis, M. Miguel Barceló Pérez, M. Andris Bērzinš, M. Roland Blum, Mme Olena Bondarenko, Mme Monika Brüning, Mme Bożenna Bukiewicz, Mme Karmela Caparin, M. José Carracao Gutiérrez, M. Igor Chernyshenko, M. Imre Czinege, M. Karl Donabauer, Mme Daniela Filipiová, M. Ilija Filipović, M. André Flahaut, M. Paul Flynn, M. Pernille Frahm, Mme Doris Frommelt, M. Renato Galeazzi, M. Henk van Gerven, Mme Sophia Giannaka, M. Stepan Glăvan, M. Marcel Glesener, M. Luc Goutry, Mme Claude Greff, M. Michael Hancock, Mme Olha Herasym’yuk, M. Ali Huseynov, M. Fazail Ibrahimli, Mme Evguenia Jivkova, Mme Marietta Karamanli, M. András Kelemen, M. Peter Kelly, Baroness Knight of Collingtree, M. Haluk Koç, M. Andrija Mandić, M. Michał Marcinkiewicz, M. Bernard Marquet, M. Ruzhdi Matoshi, Mme Liliane Maury Pasquier, M. Donato Mosella, M. Felix Müri, Mme Maia Nadiradzé, Mme Carina Ohlsson, M. Peter Omtzigt, Mme Lajla Pernaska, Mme Marietta de Pourbaix-Lundin, M. Cezar Florin Preda (remplaçant: M. Laurentiu Mironescu), Mme Vjerica Radeta, M. Walter Riester, M. Andrea Rigoni, M. Ricardo Rodrigues, Mme Maria de Belém Roseira, M. Alessandro Rossi, Mme Marlene Rupprecht (remplaçant: M. Wolfgang Wodarg), M. Indrek Saar, M. Fidias Sarikas, M. Andreas Schieder, M. Ellert B. Schram, M. Gianpaolo Silvestri, Mme Anna Sobecka, Mme Michaela Šojdrová, M. Oleg Ţulea, M. Alexander Ulrich, M. Mustafa Ünal, M. Milan Urbáni, Mme Nataša Vučković, M. Dmitry Vyatkin (remplaçant: Mme Tatiana. Volozhinskaya), M. Victor Yanukovych (remplaçant: M. Ivan Popescu), Mme Barbara Žgajner-Tavš, M. Vladimir Zhidkikh, Mme Naira Zohrabyan

N.B. Les noms des membres qui ont pris part à la réunion sont indiqués en gras

Secrétariat de la commission: M. Mezei, Mme Meunier