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Rapport | Doc. 11790 | 20 janvier 2009

Produire des denrées alimentaires et du carburant

(Ancienne) Commission de l'environnement, de l'agriculture et des questions territoriales

Rapporteur : M. Nigel EVANS, Royaume-Uni

Origine - Renvoi en commission: Doc. 11443 et Renvoi no 3398 du 21 janvier 2008. 2009 - Deuxième partie de session

Résumé

Les agrocarburants, considérés par certains, jusqu’il y a peu de temps, comme une solution miracle aux problèmes énergétiques de la planète, sont devenus la cible de controverses portant sur leurs effets à la fois sur la société et sur l’environnement.

En effet, il semble que le développement trop poussé des agrocarburants ne soit pas justifié du point de vue de la protection de l’environnement et qu’au contraire un tel développement aurait des conséquences négatives sur l’agriculture et sur l’environnement dans le sens le plus large.

Le rapport demande aux gouvernements de prendre les mesures nécessaires pour équilibrer la production des denrées alimentaires et celle des carburants, d’éliminer progressivement les incitations financières, de renforcer les investissements dans la recherche et le développement des agrocarburants de la deuxième génération et d’étudier les possibilités offertes par les sources d’énergie de substitution.

A. Projet de résolution

(open)
1. Face à une limitation des énergies fossiles et des conséquences alarmantes du changement climatique, la production d’agrocarburants est apparue comme une solution miracle.
2. Toutefois, leur utilisation croissante, tout en contribuant à la réduction de la dépendance énergétique et de la consommation de combustibles fossiles, a commencé à poser des problèmes d’un autre ordre. En effet, l’affectation des terres, qui servaient auparavant à la production de denrées alimentaires, à la culture d’agrocarburants a, non seulement entraîné des répercussions néfastes sur la production alimentaire, mais a également suscité des doutes quant à leur contribution à la préservation de l’environnement.
3. En outre, des études ont montré que les agrocarburants produisent bien souvent plus d’émissions de gaz à effet de serre que les combustibles fossiles qu’ils remplacent, si l’on tient compte de tous les facteurs entrant dans leur chaîne de production.
4. La déforestation et le changement d’utilisation des sols libèrent d’importantes quantités de CO2 qui y étaient emmagasinées. A cela s’ajoutent les émissions de gaz qui résultent de la production, de la transformation et du transport des agrocarburants, ainsi que de l’utilisation de technologies qui utilisent des dérivés du pétrole et d’autres éléments émetteurs de gaz à effet de serre.
5. Selon certaines études, il serait plus efficace de conserver ou de restaurer les forêts et les prairies pour préserver le climat plutôt que de développer des cultures pour la production d’agrocarburants. La reforestation permettrait de capter entre deux et neuf fois plus de CO2 sur trente ans que les émissions de CO2 qui seraient économisées par l’utilisation d’agrocarburants pendant la même période de temps.
6. Selon l’OCDE, les agrocarburants ne contribueraient à la réduction des émissions de CO2 qu’à hauteur de 3 % au mieux, pour un coût de 360 euros par tonne de CO2 économisée.
7. Le développement des agrocarburants est donc très controversé lorsqu’on fait le bilan sur le plan énergétique. En effet, on utilise parfois davantage de pétrole pour fabriquer de l’agrocarburant.
8. Quant aux aspects liés à l’alimentation, on estime que la quantité de céréales nécessaire pour remplir le réservoir d’un camion avec de l’agrocarburant peut nourrir une personne durant une année entière. La FAO estime à 10 % le rôle joué par les agrocarburants dans la hausse globale des prix dans le secteur alimentaire, tandis que le FMI avance le pourcentage de 30 %. Selon la Banque mondiale ce pourcentage serait de l’ordre de 75 %.
9. Selon une étude menée par l’université de Stanford, les agrocarburants ont également des effets nocifs sur la santé. L’utilisation de l’éthanol risque de causer un problème de santé publique bien plus important que les pathologies actuelles liées à la pollution provoquée par les hydrocarbures. Les moteurs à combustion d’éthanol font grimper les taux de toxicité en ozone de l’air, notamment dans les grandes villes déjà affectées par la pollution.
10. L’Assemblée parlementaire avait été surprise de constater que la Commission européenne avait choisi d’appuyer fortement le développement des agrocarburants malgré les signaux d’alarme des scientifiques, des agriculteurs et des militants de l’environnement. Son étonnement était d’autant plus grand que la Commission européenne insistait sur le fait que les agrocarburants n’avaient qu’une influence négligeable sur la hausse du prix des produits alimentaires et avait fixé comme objectif un taux de 10 % d’agrocarburants pour l’année 2020.
11. L’Assemblée se félicite que la Commission européenne ait reconsidéré sa position en juillet 2008, en soulignant que ses objectifs n’incluaient en fait aucune obligation précise sur le recours aux agrocarburants, mais aux énergies renouvelables en général.
12. L’Assemblée considère qu’il serait souhaitable que les Etats membres et non membres du Conseil de l’Europe, ainsi que la Commission européenne et les autres organisations internationales concernées, s’engagent sans tarder à essayer de trouver une solution de compromis entre les besoins en carburant de la planète (surtout des pays riches) et les besoins en nourriture (surtout des pays pauvres).
13. C’est pourquoi l’Assemblée invite les gouvernements des Etats membres et observateurs du Conseil de l’Europe ainsi que toutes les organisations internationales concernées à considérer les agrocarburants comme un élément clé dans leurs politiques pour les énergies renouvelables et, ce faisant:
13.1. à mieux tenir compte, dans l’élaboration de leurs politiques énergétique et agricole, des effets nocifs du développement trop poussé des agrocarburants sur l’environnement, sur l’agriculture et sur l’alimentation;
13.2. à tirer profit à la fois des aspects positifs et négatifs des expériences du passé, en tenant compte du fait que même un modèle ayant eu du succès ne peut pas être reproduit à l’identique sans tenir compte des réalités locales;
13.3. à éliminer progressivement toute incitation financière accordée aux producteurs d’agrocarburants et à renforcer le libre-échange à la fois des agrocarburants et des matières premières servant à les produire;
13.4. à s’assurer que les agrocarburants importés sont produits dans le respect des normes de durabilité;
13.5. à encourager davantage les investissements dans la recherche et le développement dans le domaine des agrocarburants de deuxième génération et suivantes, tout en utilisant une classification claire pour les différentes générations d’agrocarburants, sur la base de leurs performances relatives à l’utilisation des ressources, à l’impact environnemental et aux émissions de gaz à effet de serre;
13.6. à soutenir la recherche sur les agrocarburants à base d’algues;
13.7. à encourager la construction de bioraffineries pouvant produire toute une gamme de produits, sans se cantonner aux agrocarburants;
13.8. à mieux étudier toutes les possibilités offertes par les sources d’énergie de substitution, pour produire de l’électricité à moindre coût;
13.9. à mettre l’accent sur le développement de politiques ayant comme but la réduction de la demande d’énergie et des émissions de gaz à effet de serre, notamment en encourageant le développement de véhicules à la fois moins polluants et plus efficaces du point de vue énergétique.

B. Exposé des motifs, par M. Nigel Evans

(open)

1. Introduction

1. Dans un contexte où les énergies fossiles sont limitées et où leur accessibilité est synonyme de sécurité nationale, et devant la situation alarmante du réchauffement climatique, la substitution des combustibles fossiles par les agrocombustibles peut paraître comme une solution miracle.
2. La grande majorité des spécialistes s’accordent aujourd’hui à affirmer que la consommation des combustibles fossiles est l’une des principales causes du réchauffement planétaire et du changement climatique. Parmi les alternatives aux combustibles fossiles, l’agriculture présente indéniablement un intérêt spécifique. En effet, certains végétaux permettent la production de carburants en remplacement des carburants «classiques», provenant du pétrole.
3. Il semble toutefois que la production à grande échelle de végétaux destinés à la fabrication des «agrocarburants» (c’est-à-dire les agrocombustibles qui peuvent être utilisés dans les moteurs des voitures), tout en contribuant à la réduction de la dépendance énergétique et de la consommation de combustibles fossiles, pose des problèmes d’un autre ordre. En effet, l’affectation des terres (servant auparavant à la production de denrées alimentaires) à la culture d’agrocarburants risque d’avoir des répercussions néfastes sur la production alimentaire.
4. Certains affirment que l’utilisation des agrocarburants contribue ou pourrait même être à l’origine d’une augmentation importante du prix des produits agricoles entrant dans la consommation humaine et animale. C’est ce qui s’est produit en Amérique du Sud, où cette hausse de prix a compromis l’accès aux denrées alimentaires, tandis que le maïs qui devait nourrir les hommes était vendu pour la production d’agrocarburants. Qui plus est, le choix des agriculteurs de faire pousser du maïs (devenu plus rentable) à la place du blé a provoqué une hausse spectaculaire de cette denrée devenue rare.
5. Au Brésil, 6 millions d’automobiles roulent déjà avec un mélange de 25 % d’éthanol dans leur essence. Pour 2020, l’Union européenne a fixé à 10 % la part d’agrocarburants dans la consommation totale de carburants. Elle a même envisagé la suppression des jachères, avec pour conséquence une augmentation potentielle de la production céréalière de 10 à 17 millions de tonnes qui devrait aider à mettre un frein à la hausse générale du prix des produits agricoles. D’après la FAO, la production céréalière mondiale en 2007 atteindrait les 2 095 milliards de tonnes, soit une augmentation de 4,8 % par rapport à 2006 – qui s’explique au moins en partie par une augmentation des surfaces agricoles cultivées pour la production d’agrocarburants. Cela étant, il conviendrait de prendre également en compte la forte hausse de la consommation alimentaire dans les grandes économies émergentes comme la Chine.
6. Par ailleurs, les végétaux cultivés pour la production d’agrocarburants peuvent être fertilisés avec des substances non autorisées pour les cultures destinées à la production alimentaire. Or, ces substances – en particulier lorsqu’elles sont utilisées en quantités importantes – peuvent avoir des effets nocifs sur l’environnement. Ainsi, paradoxalement, les agrocarburants pourraient avoir des incidences négatives tant sur l’agriculture que sur l’environnement, sur les ressources en eau, et contribuer également à la déforestation, à la désertification et à la famine dans certaines régions du monde.
7. Il est donc important, tant du point de vue de l’environnement que de l’agriculture, ainsi que dans une perspective économique à moyen et long termes, de ne pas développer à l’excès ce nouveau secteur qui pourrait non seulement mettre en péril le rôle traditionnel de l’agriculture – à savoir, nourrir l’humanité –, mais aussi endommager, par des effets pervers, l’environnement planétaire, et appauvrir et affamer certaines populations.

2. Aperçu technique

8. Il y a de très nombreux types d’agrocombustibles – depuis le bois utilisé pour cuire les aliments jusqu’aux combustibles modernes très sophistiqués obtenus à partir de la biomasse cultivée à cet effet.
9. Les résidus agricoles – comme les déchets d’origine animale – peuvent aussi être des agrocombustibles. Dans certains pays européens comme l’Allemagne, la France et les Pays-Bas, les déchets animaux deviennent un problème pour l’environnement. Mais ils peuvent servir à la production d’énergie par un procédé de fermentation. En Chine, on utilise cette technologie depuis plus de vingt ans. Ce pays compte maintenant 10 millions de digesteurs de biogaz utilisant des déchets animaux.
10. Les végétaux utilisés comme agrocombustibles peuvent provenir d’arbres à croissance rapide, de céréales, d’huiles végétales, de résidus agricoles ou, dans le cas du Brésil, de canne à sucre.
11. En ce qui concerne, par exemple, la canne à sucre, on peut utiliser soit le sucre soit la bagasse comme source d’énergie. La bagasse est ce qui reste une fois que les tiges ont été pressées, et elle est très utile comme combustible, fourrage et matériau de construction. Les sucreries utilisent la bagasse comme source d’énergie pour fournir la chaleur nécessaire au processus de production de sucre. La technologie moderne permet d’utiliser la bagasse beaucoup plus efficacement, de sorte qu’une bonne partie peut servir à la production d’électricité par une centrale normale de combustion et de production d’énergie. De la sorte, une industrie alimentaire devient aussi une industrie productrice d’énergie.
12. Les agrocarburants ne sont pas une ressource nouvelle. Ils étaient déjà connus lors des premiers pas de l’industrie automobile. En effet, à la naissance du moteur à explosion, son inventeur, Niklaus Otto, comptait utiliser l’éthanol comme carburant. De plus, le premier moteur diesel, du nom de son inventeur Rudolf Diesel, fonctionnait à l’huile d’arachide. Enfin, Henry Ford, pour faire rouler la célèbre Ford T, construite de 1903 à 1926, avait pensé à utiliser l’éthanol comme carburant.
13. Après les deux chocs pétroliers de 1973 et 1979, l’intérêt pour les agrocarburants s’accrut. Mais cet engouement retomba vite en 1986 avec la baisse du prix du pétrole. Dans les années 2000, l’intérêt pour les agrocarburants a repris de plus belle face à la nouvelle hausse du prix du pétrole, à la situation instable de certains grands exportateurs de pétrole et à la volonté de lutter contre l’effet de serre.
14. Il existe deux principales familles d’agrocarburants: les éthanols (destinés aux moteurs à essence) et les agrodiesels (Esters méthyliques d’huiles végétales (EMHV)) pour les véhicules fonctionnant au diesel. Actuellement, l’agrodiesel est beaucoup plus utilisé que l’éthanol en Europe, dans une proportion de 80 % pour le premier et 20 % pour le second. Dans le futur, ce rapport pourrait évoluer avec l’apparition de voitures équipées de moteurs «bicombustible» (dits «flex-fuel»), utilisant au maximum 85 % d’éthanol pour 15 % d’essence. Les éthanols sont issus de la betterave à sucre, du blé, du maïs ou de la canne à sucre. Le procédé consiste à en extraire le sucre, directement ou par hydrolyse de l’amidon pour le blé, pour le faire ensuite fermenter et le transformer en éthanol. Les agrodiesels sont extraits de la transformation des huiles végétales (colza, tournesol, soja et palme) dont on obtient des esters d’huiles pour les mélanger aux diesels.
15. En Europe, la France est le premier producteur d’alcool éthanol avec 33 % de la production européenne 
			(1) 
			Lors de sa visite d’étude
au Centre de recherche sur les agrocarburants (ARD) et à l’entreprise
CRISTANOL de production d’agrocarburant, en France, le 17 décembre
2008, la commission de l’environnement, de l’agriculture et des questions
territoriales a pu se rendre compte des aspects positifs et négatifs
de la production d’agrocarburants.. Cependant l’Espagne reste le premier producteur d’éthanol destiné à la fabrication de carburants. La France a produit durant la campagne 2005-2006 plus de 9 millions d’hectolitres d’alcool, dont 7,6 d’alcool agricole d’origine betteravière (81 %) et céréalière (19 %).
16. Sur le plan mondial, les principaux producteurs d’éthanol d’origine agricole sont les Etats-Unis (près de 200 millions d’hectolitres en 2006) et le Brésil (près 170 millions d’hectolitres en 2006). Ces deux pays sont par ailleurs des «modèles» d’agriculture industrielle, très mécanisée et tournée vers la monoculture, l’intensification et les biotechnologies modernes. En 2006, la production mondiale d’éthanol d’origine agricole était de presque 500 millions d’hectolitres, le Brésil et les Etats-Unis en assurant à eux seuls près des trois quarts.

3. Les impacts sur l’environnement

17. Le revers de la médaille est que les agrocarburants peuvent dans plusieurs cas produire plus d’émissions de gaz à effet de serre que les combustibles fossiles qu’ils remplacent, si l’on prend en compte tous les facteurs de leur chaîne de production. La déforestation et le changement d’utilisation des sols provoquent la libération d’importantes quantités de CO2 qui y étaient emmagasinées; à cela s’ajoutent les émissions de gaz qui résultent de la production, de la transformation et du transport des agrocarburants, réalisés en grande partie par de la machinerie et des technologies qui utilisent des dérivés du pétrole et d’autres éléments producteurs de gaz à effet de serre.
18. Selon une étude parue dans la revue Science, il serait plus efficace de conserver ou de restaurer forêts et prairies pour préserver le climat plutôt que de développer des cultures permettant de produire des agrocarburants. L’étude montre que la reforestation permettrait de capter entre deux et neuf fois plus de CO2 sur trente ans que les émissions de CO2 qui seraient économisées par l’utilisation d’agrocarburants pendant la même période de temps.
19. L’OCDE estime que les agrocarburants ne contribueraient à la réduction des émissions de CO2 qu’à hauteur de 3 % au mieux, pour un coût de 360 euros par tonne de CO2 économisée, et critique les encouragements fiscaux accordés par certains Etats aux producteurs d’agrocarburants.
20. En outre, le développement des agrocarburants est très controversé même du point de vue du bilan énergétique. On a besoin de plus de pétrole pour fabriquer de l’agrocarburant. Par exemple, dans le cas de l’éthanol de maïs, on a besoin de 1,3 kilocalorie de pétrole pour produire une kilocalorie de bioéthanol.
21. Du point de vue alimentaire, on constate qu’avec la quantité de céréales nécessaire pour remplir le réservoir d’un camion avec de l’agrocarburant, on peut nourrir une personne durant une année entière.
22. Il semble que les effets nocifs des agrocarburants sur la santé ne soient pas négligeables. Une étude de l’université de Stanford a révélé qu’à terme l’utilisation de l’éthanol va causer un problème de santé publique bien plus important que les actuelles pathologies liées à la pollution provoquée par les hydrocarbures. Les moteurs à combustion d’éthanol font grimper les taux de toxicité en ozone de l’air, notamment dans les grandes villes déjà affectées par le smog. L’utilisation de l’éthanol à la place de l’essence devrait en conséquence causer 9 % de morts en plus dus à la pollution atmosphérique.
23. Certains décideurs politiques (dont des membres du Gouvernement du Royaume-Uni) ont déjà exprimé des préoccupations contre les tendances, jugées trop proagrocarburants, de la Commission européenne (qui a fixé à 10 % le niveau des agrocarburants dans les carburants à atteindre en 2020, malgré la multitude d’interrogations soulevées par ces derniers). L’Allemagne s’apprête à renoncer au développement massif des agrocarburants, car des études ont montré que mélanger 10 % d’éthanol dans l’essence classique risque d’user trop vite les moteurs.
24. Il en est de même des travaux réalisés par le département scientifique interne de la Commission européenne (le Centre commun de recherche de la Commission, Joint Research Centre – JRC), qui n’ont pas été publiés mais qui tirent des signaux d’alarme: l’incertitude est trop grande pour pouvoir déterminer si l’objectif de 10 % d’agrocarburants développé par l’Union européenne conduira ou non à une économie en gaz à effet de serre, et les émissions indirectes causées par la conversion des terres arables ou boisées pour la production d’agrocarburants pourraient contrebalancer les avantages apportés par les agrocarburants. Il est également précisé dans ces études que, si l’on veut réduire les gaz à effet de serre, il est substantiellement plus efficace d’utiliser la biomasse à la production d’électricité plutôt que de produire des agrocarburants conventionnels. C’est aussi la conclusion atteinte par un rapport publié en mai 2007 par la division énergie des Nations Unies.

4. Les impacts sur l’agriculture

25. Au-delà de la préoccupation écologique, il y a d’autres problèmes qui sont d’importance: ceux de l’accès à la terre, de la souveraineté alimentaire et de la faim à l’échelle planétaire.
26. L’augmentation rapide de la demande pour les agrocarburants aura pour conséquence que des milliers d’hectares de terres fertiles ne vont plus produire des aliments mais des combustibles. Ces terres seront concentrées entre les mains de quelques grandes multinationales de l’agroalimentaire et du secteur énergétique, ce qui aura pour effet de «déplacer» les petits paysans vers la misère des centres urbains surpeuplés ou de les convertir en travailleurs ruraux sans terre.
27. De la même manière, les forêts vont cesser de garantir la subsistance de milliers de personnes, les sources d’eau de ces régions seront contaminées et les sols de ces écosystèmes déjà fragiles seront graduellement épuisés par cette agriculture intensive et l’utilisation massive de produits chimiques (dont une bonne partie sont interdits pour les cultures alimentaires, tolérés pour les cultures non alimentaires, mais pas moins nuisibles à l’environnement). Cela s’est déjà produit en Amérique du Sud (surtout en Colombie, en Amazonie et au Brésil), où le développement des monocultures de soja, de canne à sucre ou de palme africaine a conduit à des déforestations massives. Ces monocultures mécanisées utilisent de hautes doses d’engrais (par exemple de l’atrazine, qui est un herbicide très nuisible avec un effet endocrinien).
28. Des études ont été réalisées qui exposent les risques d’une exploitation à large échelle des agrocarburants pour la qualité des sols. Les résultats d’une de ces études, réalisée en Suisse, montrent que la culture des agrocarburants (qui, malheureusement, sont souvent aussi appelés «biocarburants», ce qui est propice à une confusion avec les produits agricoles portant le label «bio») est incompatible avec une agriculture biologique durable, car elle ne restitue pas aux sols une partie suffisante des substances nutritives prélevées.
29. En effet, l’agriculture biologique vise des cycles fermés de substances alimentaires: les substances nutritives tirées du sol y sont ramenées sous forme de compost, de fumure organique ou de fumier. Par contre, dans la production de plantes énergétiques, près de 100 % de la biomasse quitte les sols de l’exploitation. Le risque de dégradation des sols qui en résulte doit alors être réduit par des apports externes.
30. Pour ces raisons, nombre d’organisations paysannes dénoncent le développement des agrocarburants comme une nouvelle forme d’exploitation industrielle de l’agriculture, qui nécessite encore plus de terres cultivables, de mécanisation et de produits chimiques et qui laisse prévoir le développement rapide de «déserts de monoculture» aux dépens des agricultures paysannes et familiales. Elles perçoivent cette tendance comme une vraie menace pour l’agriculture familiale qu’ils pratiquent car, à long terme, les multinationales seront non seulement favorisées par des législations permissives et des subventions, mais elles auront aussi le contrôle des moyens de production (semences, machines, transport). Les organisations paysannes dénoncent aussi la naissance d’un lobby autour de cette nouvelle source d’énergie. Cette question a été soulevée lors du Forum mondial pour la souveraineté alimentaire (Nyéléni, Mali, 2007), où les participants venus des cinq continents ont attiré l’attention sur les dérives et les dangers de ce qui risque de devenir le nouveau lobby d’un nouveau pétrole.
31. De plus, selon une perspective économique, on a pu constater que la production de combustibles à partir de produits agricoles a déjà contribué d’une manière très importante à faire monter les prix des denrées alimentaires sur le marché mondial, avec des conséquences dramatiques sur l’alimentation de millions de personnes.
32. Comme il a été expliqué lors de la Conférence sur les changements climatiques à Bangkok, en avril 2008, chaque fois qu’une surface cultivée est dédiée aux agrocarburants, le prix de la denrée cultivée monte et, en outre, d’autres agriculteurs en produisent davantage, en s’étendant en bonne partie sur des forêts et des pâturages (zones par ailleurs fortement absorbantes de CO2). En outre, la question a été soulevée de savoir si la quantité d’agrocarburants nécessaire pour atteindre les objectifs envisagés par la Commission européenne peut être produite entièrement sur le sol européen ou s’il faut procéder à des importations. Comme le président de la Commission de l’agriculture du Parlement britannique l’a dit, si le seul moyen d’atteindre ces objectifs est d’importer des agrocarburants, l’Europe sera aussi vulnérable qu’avec l’importation du pétrole ou du gaz.
33. Le président de Nestlé a prévenu en mars 2008 que si l’on veut couvrir 20 % du besoin croissant en produits pétroliers avec des agrocarburants, comme cela est prévu, il n’y aura plus rien à manger.

5. Les avantages

34. Les industries les plus puissantes de la planète voient dans le développement des agrocombustibles une source de profits importants, et la possibilité d’être appuyées par les gouvernements par des lois et des subventions rend la situation encore plus attrayante. Les principales intéressées sont les entreprises automobiles (qui espèrent qu’avec les nouveaux agrocarburants les gens vont être obligés de changer de voiture), pétrolières (qui contrôlent le système de distribution de combustibles), celles qui contrôlent le commerce mondial du grain (elles gagneront beaucoup tant par l’augmentation de la demande d’agrocombustibles que par la hausse des prix des aliments qui devront concurrencer ceux-ci) et les transnationales productrices d’OGM.
35. Les autres secteurs économiquement gagnants sont les grandes transnationales forestières et de production de cellulose (qui aujourd’hui produisent pour l’industrie du papier mais qui, avec un minimum de changements technologiques, peuvent se transformer en usines de traitement d’éthanol) ainsi que les fabricants industriels d’aliments pour poulets et bétail, qui envisagent un éventuel développement de la fabrication d’agrodiesel à partir de la graisse animale.

6. Les agrocarburants de deuxième génération

36. Après les sévères critiques apportées au développement des agrocarburants (dont celle du rapporteur spécial de l’ONU pour le droit à l’alimentation, Jean Ziegler, qui a parlé d’un «crime contre l’humanité», et celle du premier directeur général adjoint du FMI, John Lipsky, qui a estimé que le développement des agrocarburants est responsable à 70 % de la hausse du prix du maïs et à 40 % de celui du soja), les industriels ont essayé de mettre au point une seconde génération d’agrocarburants, fondée sur la biomasse, qui valoriserait donc la partie non comestible des cultures.
37. Les agrocarburants de deuxième génération seront donc fabriqués non plus à partir des graines et des plantes, mais avec les matières organiques non comestibles des plantes, dont la dégradation naturelle sur le sol participe à la constitution de l’humus nécessaire à leur régénération, ou encore avec le bois des arbres. N’importe quelle plante pourrait donc être utilisée pour la production d’agrocarburants de deuxième génération.
38. Il reste toutefois des problèmes à prendre en compte lors du développement de cette deuxième génération d’agrocarburants: celui des stocks d’humus, qui jouent un grand rôle dans la fertilité des sols et dans le stockage du carbone, et l’utilisation du bois qui ne doit pas conduire à la déforestation.
39. Les résidus agricoles sont toutefois limités en volume. L’enjeu prioritaire des agrocarburants est donc celui de la productivité. Or pour l’instant, les rendements énergétiques des agrocarburants de deuxième génération restent très bas. Il faudra attendre au moins une dizaine d’années encore avant de passer à une production industrielle.
40. Cependant, l’Allemagne a déjà décidé de jouer un rôle de pionnier dans le développement d’agrocarburants de la deuxième génération. Une usine qui produira un carburant BTL («biomass to liquid») va être construite, dont la production devrait démarrer au début de l’année 2009. L’usine est conçue pour produire 18 millions de litres de carburant par an.
41. Une autre piste à explorer dans l’avenir serait celle des algues microscopiques, capables de développer un rendement 30 fois supérieur à celui des oléagineux terrestres. Le prix de l’agrocarburant algal, certes élévé, resterait quand même inférieur au prix du pétrole.

7. Conclusions

42. Le «boom» des agrocarburants peut sembler facilement justifiable par certaines théories, surtout lorsqu’on le présente comme la solution miracle aux problèmes énergétiques de la planète. Cependant, plus le sujet est étudié en profondeur, plus il devient évident que le développement trop poussé des agrocarburants entraîne de nouveaux problèmes pour la société.
43. Il a été plutôt surprenant de constater que la Commission européenne avait choisi d’appuyer fortement le développement des agrocombustibles malgré les signaux d’alarme des scientifiques, des agriculteurs et des militants de l’environnement. Le Président de la Commission européenne avait reconnu les problèmes environnementaux que pouvait causer la production d’agrocombustibles, mais avait déclaré avec assurance qu’une telle situation pourrait être évitée, et que davantage de recherche améliorerait la production. Le commissaire européen chargé du commerce s’est dit convaincu que les consommateurs paieraient pour les agrocombustibles uniquement s’ils ont la garantie que leur production ne polluera pas l’environnement, et le commissaire européen à l’énergie, de son côté, a affirmé que le développement des agrocarburants entraînait des réductions significatives des émissions de gaz à effet de serre, en comparaison avec leur alternative, le pétrole. Ensuite, en juillet 2008, la Commission européenne a reconsidéré sa position, en soulignant qu’en fait ses objectifs n’incluaient aucun objectif précis sur le recours aux agrocarburants, mais concernaient les énergies renouvelables.
44. Les décideurs politiques, en Europe comme ailleurs à travers le monde, doivent fonder leurs actions sur des informations complètes, fiables et portant sur tous les domaines pouvant être affectés par la manière dont évoluera l’industrie des agrocombustibles. C’est pourquoi ce rapport appelle à un moratoire sur le développement des agrocarburants de première génération, en parallèle avec des efforts dirigés vers l’augmentation de l’efficacité énergétique et la promotion de véhicules moins émetteurs de CO2.
45. Il serait donc souhaitable que les Etats membres et non membres du Conseil de l’Europe, ainsi que la Commission européenne et les autres organisations internationales concernées, s’engagent sans tarder à essayer de trouver une solution d’équilibre entre les besoins en carburant de la planète (surtout des pays riches) et les besoins en nourriture (surtout des pays pauvres). Dans ce contexte, ils devraient, entre autres:
  • mieux tenir compte des effets nocifs du développement trop poussé des agrocarburants sur l’agriculture et sur l’alimentation;
  • éliminer progressivement toute subvention accordée aux producteurs d’agrocarburants;
  • encourager le développement des agrocarburants de deuxième génération;
  • soutenir la recherche sur les agrocarburants à base d’algues;
  • mettre l’accent sur le développement de véhicules à la fois moins polluants et plus efficaces du point de vue énergétique.
__________

Commission chargée du rapport: commission de l’environnement, de l’agriculture et des questions territoriales.

Renvoi en commission: Doc. 11443 et Renvoi no 3398 du 21 janvier 2008.

Projet de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 18 décembre 2008.

Membres de la commission: M. Alan Meale (Président), Mme Maria Manuela de Melo (1re Vice-Présidente), M. Juha Korkeaoja (2e Vice-Président), M. Cezar Florin Preda (3e Vice-Président), M. Ruhi Açikgöz, M. Miloš Aligrudić, M. Alejandro Alonso Núñez, M. Gerolf Annemans, M. Miguel Arias Cañete, M. Alexander Babakov, M. Rony Bargetze, M. Fabio Berardi, Mme Guðfinna S. Bjarnadóttir, M. Ioannis Bougas, M. Ivan Brajović, Mme Elvira Cortajarena Iturrioz, M. Valeriu Cosarciuc, M. Taulant Dedja, M. Hubert Deittert, M. Miljenko Dorić, M. Gianpaolo Dozzo, M. Tomasz Dudziński, M. József Ékes, M. Savo Erić, M. Bill Etherington, M. Nigel Evans, M. Joseph Falzon (remplaçant: M. Joseph Debono Grech), M. Gianni Farina, M. Iván Farkas, M. György Frunda, Mme Eva García Pastor, M. Zahari Georgiev, M. Peter Götz, M. Rafael Huseynov, M. Jean Huss, M. Fazail Ibrahimli, M. Ilie Ilaşcu, M. Ivan Ivanov, M. Igor Ivanovski, M. Bjørn Jacobsen, M. Gediminas Jakavonis, Mme Danuta Jazłowiecka, M. Stanisław Kalemba, M. Ishkhan Khachatryan, M. Haluk Koç, M. Gerhard Kurzmann, M. Dominique Le Mèner, M. François Loncle, M. Aleksei Lotman, Mme Kerstin Lundgren (remplaçant: M. Kent Olsson), M. Theo Maissen, M. Yevhen Marmazov, M. Bernard Marquet, M. Mikheil Matchavariani, M. José Mendes Bota, M. Pasquale Nessa (remplaçant: M. Marco Zacchera), M. Tomislav Nikolić, Mme Carina Ohlsson, M. Joe O’Reilly, M. Germinal Peiro (remplaçant: M. Jean-François Le Grand), M. Ivan Popescu, M. Jakob Presečnik, M. René Rouquet, Mme Anta Rugāte, M. Giacinto Russo, M. Fidias Sarikas, M. Hermann Scheer, M. Andreas Schieder, M. Hans Kristian Skibby (remplaçant: M. Morten Messerschmidt), M. Ladislav Skopal, M. Rainder Steenblock, M. Valeriy Sudarenkov, M. Vilmos Szabó, M. Vyacheslav Timchenko, M. Bruno Tobback, M. Nikolay Tulaev, M. Tomas Úlehla, M. Mustafa Ünal, M. Henk van Gerven, M. Rudolf Vis, M. Harm Evert Waalkens, M. Hansjörg Walter, Mme Roudoula Zissi.

N.B. Les noms des membres présents à la réunion sont indiqués en gras.

Secrétariat de la commission: Mme Nollinger, M. Torcătoriu et Mme Karanjac.