1. Introduction
1. Le changement climatique, la dégradation de l’environnement
et les mouvements migratoires font partie des thèmes qui dominent
actuellement la scène politique, sur le plan national et international.
Les relations d’interdépendance entre ces phénomènes, ainsi que
les conséquences qu’ils pourraient avoir si nous n’intervenons pas
rapidement, commencent à attirer l’attention du public et celle
de la communauté scientifique. Lorsqu’il faut agir, cependant, la
volonté politique en faveur du développement durable, de la protection
et du respect de l’environnement et des droits de l’homme – et plus
encore en faveur d’une prise en compte de leur interaction – cèdent
souvent le pas à d’étroits intérêts géopolitiques.
2. Selon les estimations, les catastrophes climatiques tueraient
60 000 personnes par an
et 30 millions de
personnes dans le monde seraient actuellement déplacées en raison
de catastrophes naturelles, de graves détériorations de l'environnement
ou d'un appauvrissement des ressources naturelles. On s’attend à
une forte augmentation de ces chiffres d’ici le milieu du siècle.
S’il n’existe pas de données mondiales officielles sur le nombre
de personnes qui se déplaceront pour des raisons environnementales,
le Rapport Stern prévoit qu’en 2050, 150-200 millions de personnes
seront déplacées à titre permanent à cause des effets du changement climatique
. Paradoxalement, la communauté
internationale se désintéresse presque totalement de ce problème,
qui pourrait s'avérer l'un des plus grands défis démographiques
et humanitaires mondiaux du XXIe siècle.
3. Le déplacement de populations au gré des modifications de
leur environnement est loin d’être un phénomène nouveau
dans
l'histoire de l'humanité. Cependant, le rôle joué par l’activité
humaine dans ces modifications, leurs effets sur le climat lui-même
et sur les écosystèmes dont ces activités dépendent, les proportions
qu’elles peuvent prendre, l’urgence et la rapidité des problèmes
posés par les liens entre environnement et migration ne sont plus
les mêmes aujourd’hui.
4. Dès 1990, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution
du climat (GIEC) relevait que l’impact le plus marquant du changement
climatique serait peut-être le déplacement de populations. Les rapports successifs
du GIEC, aux côtés d'autres publications sur les conséquences du
changement climatique, ont généralement reconnu que les migrations
dues à l'environnement, soudaines ou progressives, allaient énormément
augmenter dans les dix années à venir, représentant un risque majeur
pour la sécurité des personnes, la paix et le développement économique
et social à l’échelon international
.
En décembre 2004, le tsunami en Asie a déplacé à lui seul plus de
2 millions de personnes, dont beaucoup vivent encore aujourd’hui dans
des camps. L'ouragan Katrina, en août 2005, en a déplacé 1,5 million
dont environ 300 000 ne rentreront probablement jamais chez elles.
Les récentes catastrophes en Birmanie et en Chine ont entraîné,
selon les estimations, le déplacement temporaire de 7 millions de
personnes
. Aujourd’hui,
les problèmes environnementaux entraînent en fait davantage de départs
que les guerres.
5. Malgré le nombre impressionnant de personnes déjà touchées
et le risque de voir ce nombre encore augmenter, il n’existe pas
de consensus international sur la définition du phénomène des migrations
liées à l’environnement. Les appellations varient sans cesse: «migrants
écologiques», «écoréfugiés», «migrants climatiques», «exilés de
l’environnement», «migrants environnementaux», etc. Aucune organisation
ne se concentre explicitement sur les problèmes des personnes chassées
de leur lieu de vie par la dégradation de l’environnement. Il n’existe
pas non plus de politique admise par tous; et les cadres juridiques
et normatifs font défaut, laissant sans protection plusieurs catégories
de personnes en quête d’une existence sûre et durable. Il est d’autant
plus difficile, d’une part, d’évaluer le nombre de personnes qui
émigrent pour des raisons environnementales, d’autre part, de leur
assurer une protection juridique. Nombre de migrants environnementaux
sont donc victimes des failles de la législation et de la politique
internationale sur l’immigration et sur les réfugiés. En l’absence
de mécanismes juridiques appropriés visant à les protéger, ils sont
souvent qualifiés de migrants économiques ou en situation irrégulière.
6. Le présent rapport a pour objectif de contribuer au débat
global sur les changements écologiques et sur les migrations. Il
entend aider les responsables politiques au niveau paneuropéen et
au niveau national en Europe à comprendre la nature du défi et l’urgence
de s’intéresser aux rapports complexes entre le changement climatique,
la dégradation de l’environnement, la sécurité humaine et les diverses
formes de mobilité humaine. Il éclaire sur la situation actuelle
de l’élaboration de politiques universelles et sur les façons dont
les organisations qui se préoccupent de la mobilité humaine sous
ses nombreuses formes font face au changement environnemental. De
plus, il étudie les cadres juridiques et normatifs internationaux
en faveur des victimes de la dégradation de l’environnement et les
lacunes qui entravent la protection à grande échelle de ceux qui
décident ou sont contraints de se déplacer soit à l’intérieur de
leur pays, soit à l'étranger. Enfin, la rapporteuse propose plusieurs
solutions de court et de long terme que le Conseil de l’Europe pourrait
adopter dans le cadre de ses propres compétences pour combler les
lacunes existantes.
7. Les informations présentées dans ce rapport puisent dans les
travaux menés sur le sujet par diverses organisations internationales
humanitaires et de développement ainsi que dans les débats de l’audition organisée
le 20 mai 2008 à Paris par la commission des migrations, des réfugiés
et de la population. La rapporteuse exprime une gratitude toute
spéciale pour les nombreux commentaires et suggestions qu’elle a reçus
entre autres du Représentant du Secrétaire général des Nations Unies
pour les droits de l'homme des personnes déplacées à l’intérieur
de leur propre pays, du Haut-Commissariat des Nations Unies pour
les réfugiés (HCR), du Bureau de la coordination des affaires humanitaires
des Nations Unies (OCHA), de l’Organisation internationale pour
les migrations (OIM) et du Conseil norvégien pour les réfugiés (CNR).
8. Enfin, en l’absence de consensus international sur la terminologie,
la rapporteuse privilégie l’expression récente «migrations environnementales»
qui, selon elle, reflète ce phénomène mondial dans son acception
la plus large, de même que l’approche des droits de l’homme du Conseil
de l’Europe. Ce terme englobe tous les mouvements de personnes ayant
pour facteur décisif un phénomène environnemental. Il reflète également
la conviction de la rapporteuse que le statut et les droits de tous
les migrants environnementaux devraient être dûment définis en droit
international.
2. Nature du problème
2.1. Principales causes et principaux
effets de la migration environnementale
9. Les causes de la détérioration ou de la dévastation
de l’environnement qui contraignent des personnes à quitter leur
habitat naturel sont nombreuses et variées. Il peut s’agir d’événements
liés ou non au réchauffement planétaire, ayant des effets ponctuels
ou cycliques ou uniquement sensibles sur le long terme.
10. Deux grands facteurs de migration peuvent être distingués
parmi les effets du changement climatique:
- les processus naturels à long terme (montée du niveau
de la mer, salinisation des terres agricoles, désertification, érosion
des sols, pénurie d’eau);
- les événements climatiques et atmosphériques extrêmes
de courte durée (inondations, ouragans, tempêtes, etc.).
11. Chaque année, sur l'ensemble de la planète, 60 000 km² de
terres cultivées disparaissent en raison de la désertification et
1 % des terres irriguées en raison de l'exploitation et de la salinisation
de l'eau
. La Fédération internationale
de la Croix-Rouge et les sociétés du Croissant-Rouge estiment que
depuis 1996, le nombre de personnes touchées par des catastrophes
naturelles s’élève en moyenne à environ 210 millions par an.
12. Le nombre de catastrophes écologiques, de même que leur ampleur,
a nettement augmenté: d’environ 200, il est passé à plus de 400
ces vingt dernières années. 9 catastrophes sur 10 sont aujourd’hui
liées au climat
. Elles sont souvent d’origine
humaine: déforestation ou salinisation des terres agricoles ou,
plus généralement, conséquences de la déforestation, de la dégradation
de l’environnement ou simplement des pressions démographiques.
13. Des projets tels que des barrages, des canaux d’irrigation
et des constructions urbaines obligent d’importants segments de
la population à déménager. Par exemple, on estime à 33 millions
le nombre de personnes déplacées à la suite de constructions de
barrages en Inde. Les contaminations toxiques (Bhopal, 1984) et
les catastrophes nucléaires (Tchernobyl, 1986) ont aussi contribué
à ces déplacements massifs.
14. Les facteurs non climatiques (mauvaise gestion de l'Etat et
mauvaise politique gouvernementale, croissance démographique, surexploitation
des ressources naturelles, capacité d'une société à se remettre d'une
catastrophe naturelle) contribuent aussi à rendre plus ou moins
vulnérables les personnes concernées. Les Etats défaillants et les
régimes répressifs qui prennent leur propre population en otage,
comme la Corée du Nord, la Birmanie, le Zimbabwe ou la Somalie,
sont aussi de ceux qui génèrent le plus de migration environnementale.
15. La politique commerciale du monde occidental – subventions
aux exportations agricoles et restriction des importations – contribue
elle aussi aux migrations écologiques, puisqu'elle nuit à la subsistance
des petits agriculteurs vivant dans des régions marginalisées. L’industrie
agroalimentaire européenne et américaine et ses pratiques, telle
l’application de brevets aux semences génétiquement modifiées, détruisent
également les systèmes de subsistance locaux sans offrir de contrepartie
durable
.
16. Les effets mentionnés ci-dessus se produisent souvent ensemble,
et l'un peut en entraîner un autre. La lutte contre le changement
climatique et sa prévention doivent tenir compte de la coïncidence
de différentes causes.
17. La décision de partir est très complexe et dépend de nombreux
facteurs, si bien qu’il est difficile d’isoler, en théorie comme
dans la pratique, les facteurs environnementaux – notamment liés
au changement climatique – des autres causes possibles de migration.
Néanmoins, les mouvements de populations répondant à des modifications
de l'environnement peuvent être classés selon des critères de durée
et de causalité. Récemment, le Groupe de travail informel sur les
migrations, les déplacements et le changement climatique du Comité
permanent inter-agences des Nations Unies (CPIA)
a proposé une classification en
quatre catégories des impacts du changement climatique
:
- catastrophes
hydrométéorologiques (inondations, ouragans/typhons/cyclones, éboulements
de terrain, etc.);
- dégradation de l’environnement et escalade progressive
des risques de catastrophes (réduction de la disponibilité de l’eau,
désertification, inondations à répétition, salinisation des zones
côtières, etc.);
- perte importante définitive de territoires due à l’élévation
du niveau de la mer (par exemple «submersion» de petite états insulaires);
- conflits armés déclenchés par la raréfaction des ressources
naturelles (eau, nourriture) en raison du changement climatique.
18. Les effets du changement climatique ne sont pas ressentis
de façon uniforme par les différentes populations. Il est bien connu
que le fardeau des migrations climatiques pèsera avant tout sur
les pays les plus pauvres, qui dépendent fortement de l’agriculture
et n’ont pas de possibilités suffisantes de prévenir les crises environnementales.
19. A l’heure actuelle, la grande majorité des migrants environnementaux
vient des zones rurales des pays les moins développés. Cette tendance
devrait évoluer légèrement dans les années à venir, puisque les
zones côtières densément peuplées sont de plus en plus touchées
par la montée du niveau de la mer et par des tempêtes toujours plus
fréquentes; et que les zones montagneuses subissent de fortes pluies,
qui provoquent inondations et glissements de terrain
.
20. Les migrants environnementaux emménagent pour la plupart dans
les centres urbains de leur pays d’origine et, dans une moindre
proportion, vers des pays voisins. Les migrations de longue distance
vers des pays développés, qui contribuent à la «fuite des cerveaux»
des migrants qualifiés, sont plus rares. Les pays les moins développés
sont les plus touchés par ce phénomène
.
21. L’éventuelle disparition de petits Etats insulaires en développement
(Tuvalu, Kiribati) soulève des questions délicates en matière d’apatridie.
Parmi les autres zones particulièrement vulnérables, citons la ceinture
du Sahel, la baie du Bengale, les terres arides d’Amérique centrale
et du Sud et les régions arides d’Asie centrale. Aujourd’hui déjà,
dans la seule Afrique subsaharienne, plus de dix millions de personnes
ont été obligées d’émigrer par manque d’eau et de nourriture. Plus
de 90 % de l’ensemble des décès causés par des catastrophes naturelles
ont lieu dans le monde en développement, notamment en Afrique subsaharienne, sur
le sous-continent indien, en Chine, au Mexique et en Amérique centrale.
22. Cela étant, l'Europe n'est pas non plus à l'abri du changement
climatique et des migrations environnementales. Elle ressent déjà
de plus en plus fortement la pression des victimes de la détérioration
des conditions climatiques en Afrique du Nord. En outre, les risques
d’inondations et les pertes économiques afférentes augmenteront
probablement en Europe dans les décennies à venir. Entre 1998 et
2002, l'Europe a connu une centaine d'inondations destructrices
qui ont touché 1,5 % de sa population, fait 700 morts et un demi-million
de déplacés et occasionné le remboursement de pertes économiques
pour un total de 25 milliards d'euros
.
A long terme, la montée du niveau de la mer entraînera un déplacement
considérable des populations côtières, les Pays-Bas et le Danemark
étant les pays les plus menacés.
2.2. Conséquences de la migration
environnementale
23. Les conséquences de la migration environnementale
ne sont pas toutes négatives. Il peut sembler légitime que des populations
quittent une région victime de dégradations écologiques et non viable
sur le plan agricole. De plus, la migration peut potentiellement
aider à ralentir le processus de dégradation de l’environnement
et permettre à ceux qui restent dans les régions touchées d’adapter
leur façon de vivre, de modifier leurs pratiques agricoles ou, par
exemple, de passer à des activités non agricoles. L’argent envoyé par
les membres de la famille ayant émigré, s’il est consacré à la pérennisation
des moyens de subsistance locaux, peut aider à atténuer les dégradations
de l’environnement dues à l’activité humaine. Les migrations temporaires
ou circulaires peuvent aussi apporter ou renforcer des savoir-faire
permettant d'atténuer l'impact négatif de l'activité humaine sur
les environnements vulnérables et d'améliorer la protection de l'environnement sur
les territoires d'origine
.
24. Cependant, les grandes conséquences de la migration environnementale
sont presque exclusivement négatives: intensification des crises
humanitaires, urbanisation rapide accompagnée de l’extension des quartiers
de taudis et stagnation du développement. En l’absence de mesures
efficaces pour remédier à ces problèmes, l’avenir de nombreux pays
en développement s’annonce très difficile à cause de la dégradation généralisée
des sols, de l’insécurité alimentaire, de l’appauvrissement des
mégapoles et de l’incapacité à les gérer, et de la migration à grande
échelle
.
25. Il est donc essentiel que la communauté internationale intervienne
en amont des problèmes. Des mesures appropriées (prévention, adaptation,
atténuation) doivent être prises pour rendre les pays moins vulnérables
aux effets des catastrophes naturelles et pour gérer l’évolution
des processus environnementaux. A cet égard, une politique de retours
encadrés peut réduire l'impact écologique des conflits ou des catastrophes
qui ont fait fuir les populations et même, si elle s'accompagne
de mesures saines de reconstruction et de réhabilitation, avoir
un effet nettement bénéfique sur l'environnement
.
2.3. Groupes vulnérables
26. Dans une même communauté, les migrations environnementales
touchent les individus de façon différente, en fonction de leur
sexe, de leur l’âge et de leur statut socio-économique. Les groupes
les plus vulnérables tels que les femmes, les enfants, les personnes
âgées, les personnes handicapées et les populations indigènes sont
les plus touchés compte tenu de leurs faibles capacités d’adaptation.
27. Face à la dégradation progressive de l’environnement, les
personnes en mesure de se déplacer – celles qui ont de l’argent,
des réseaux sociaux et d’autres possibilités de subsistance – migrent
généralement à titre individuel. Il arrive que les pauvres vulnérables,
les personnes qui n’ont pas la capacité de se déplacer, qui sont
très jeunes et âgées restent dans leur pays d’origine dans un premier
temps et soient contraintes de déménager par la suite.
28. De la même façon, les petits exploitants agricoles d’Afrique
et d’Asie, ainsi que les populations indigènes de tous les continents
et la population rom en Europe – c’est-à-dire les personnes qui
n’ont pas accès à l’eau potable, aux installations sanitaires, aux
soins de santé et à la sécurité sociale – subiront plus tôt et de
façon disproportionnée les conséquences du changement climatique
.
29. La structure démographique hommes-femmes joue aussi un rôle
important dans les schémas de migration environnementale. Les femmes
sont susceptibles de souffrir davantage que les hommes du changement
climatique. Les rôles qui leur sont traditionnellement dévolus dans
de nombreux pays, comme la collecte de l'eau, dépendent largement
des conditions atmosphériques et climatiques. Dans de nombreuses régions
du monde, notamment les plus pauvres, les femmes sont surreprésentées
dans l’agriculture, secteur qui sera le plus durement frappé par
le changement climatique.
30. Par ailleurs, les recherches mettent en évidence des effets
complexes sur les femmes et sur les rapports hommes-femmes lorsque
des familles rurales, en réaction à des contraintes environnementales,
envoient l'un de leurs membres gagner un salaire en ville pour dépendre
moins directement des ressources naturelles liées au climat. Les
femmes qui ne partent pas, devenues de fait les chefs de famille,
peuvent gagner en autonomie et acquérir des pouvoirs de décision
plus importants. L'émigration masculine peut aussi améliorer la
situation économique de la famille, dans la mesure où elle lui permet
de recevoir des ressources supplémentaires. Dans le même temps,
elle peut exacerber la pauvreté des femmes vivant en milieu rural.
Cependant, confrontées à des catastrophes environnementales et à
l’appauvrissement des ressources, les femmes peuvent chercher à émigrer
elles aussi, le plus souvent vers des centres urbains. Les migrantes
isolées, tout en ayant autant de mal que leurs homologues masculins
à accéder à un emploi, à un logement abordable et aux prestations sociales,
risquent de se heurter à davantage d'obstacles en raison de la discrimination
à leur encontre
.
31. Il est difficile de prévoir la façon dont les sociétés d’origine
et d’accueil s’adapteront au changement climatique et aux migrations
environnementales, et les conséquences possibles sur les dynamiques
de genre. Toutefois, il est essentiel d’admettre que l’évolution
du climat se répercutera différemment sur les hommes et sur les
femmes et d’intégrer dès le départ les considérations de sexe dans
le débat sur les migrations dues au changement climatique
.
2.4. Un processus à double sens:
impact du changement climatique sur les migrations et des migrations
sur l'environnement
32. Les migrations écologiques sont un processus à double
sens: d'une part, les modifications progressives de l'environnement
et les catastrophes naturelles peuvent entraîner des déplacements
de populations, internes ou transfrontaliers; d'autre part, les
migrations peuvent avoir des conséquences directes sur les conditions
environnementales dans les zones d'origine et de destination, en
particulier si de fortes concentrations de personnes (parfois accompagnées
de troupeaux de bétail) sont contraintes de chercher refuge dans
des territoires aux écosystèmes fragiles.
33. L'afflux de migrants écologiques dans des zones urbaines aux
infrastructures et à la capacité d'absorption limitées peut avoir
des effets négatifs sur l'environnement. Un tiers de la population
urbaine mondiale – environ un milliard de personnes – vit déjà dans
des taudis, chiffre qui devrait passer à 1,7 milliard d’ici à 2030.
Dans ces zones urbaines, les nouveaux arrivants s’installent souvent
dans des logements sans garantie de pouvoir y rester, où les services
de base sont insuffisants et où plane sans cesse la menace d’une expulsion,
ce qui aggrave et perpétue le cercle vicieux des abus et de la misère.
Dans les villes, les vagues de nouveaux arrivants viendront donc
gonfler les rangs des habitants pauvres vivant dans des abris précaires, exposés
aux crues, aux glissements de terrains et aux conditions climatiques
extrêmes avec les déplacements de populations qu’ils entraînent.
34. Indépendamment du fait qu'ils sont souvent une question de
survie, les déplacements soudains causés par des conflits ou par
des catastrophes environnementales peuvent alimenter de nouvelles
détériorations de l'environnement et poser des problèmes de sécurité
aux pays de destination.
2.5. Migrations environnementales
et sécurité des personnes
35. La mauvaise gestion des ressources par les migrants
écologiques dans les zones de destination peut accroître la probabilité
de conflits. La diminution des ressources disponibles, dont les
eaux de pêche, l’eau douce et les terres cultivables, peut engendrer
des rivalités et aggraver les conflits sur les droits d’exploitation des
biens. Dans les pays constitués d’un patchwork de populations différentes
sur le plan ethnique, linguistique, religieux ou idéologique, des
sentiments de frustration, de désespoir et d’hostilité peuvent facilement
dégénérer en violences. Puisque les migrations environnementales
seront probablement avant tout intérieures, il s'agira le plus souvent
de conflits civils plutôt qu'internationaux. Il n'est toutefois
pas impossible que les migrations liées au climat débouchent sur
des conflits entre Etats
.
36. Il est donc regrettable que les liens entre détérioration
de l'environnement, migrations et risque d'augmentation des conflits
ne soient pas pleinement pris en compte. Les effets de ces liens
sont difficiles à évaluer, car ils interagissent avec d’autres facteurs
sociaux, économiques et politiques qui rendent l’homme plus ou moins
vulnérable aux modifications de l’environnement et à leurs diverses
conséquences, entre autres sur les migrations
.
37. L'Afrique, où vit 10 % de la population mondiale, héberge
25 % de ses réfugiés. Les parties du continent les plus touchées
par la crise environnementale sont aussi, ce qui n'est pas un hasard,
les principaux théâtres de conflits, de famines récurrentes et de
vastes mouvements de réfugiés.
38. La crise du Darfour, au Soudan, illustre de façon frappante
le lien entre guerre et crise environnementale. Au cours des vingt
dernières années, la région du Darfour a subi deux fortes sécheresses qui
ont porté un sérieux coup à son agriculture. Les nombreuses tribus
vivant au Soudan se disputaient constamment l'accès aux ressources
naturelles. En 2003, lorsque le conflit a éclaté, le Soudan avait
subi une terrible détérioration écologique: forte baisse des précipitations,
désertification des sols. Ces conditions climatiques avaient forcé
des milliers de personnes à partir vers le Sud en quête d’eau et
de nourriture. Les tensions entre agriculteurs et éleveurs suscitées
par la disparition des pâturages et l’évaporation des points d’eau
ont relancé la guerre entre le Nord et le Sud du Soudan
.
39. Le conflit armé au Darfour a encore accentué la dégradation
de l'environnement dans une région dont les ressources naturelles
étaient déjà limitées. Provoquant un afflux massif de réfugiés vers
le pays voisin, le Tchad, la guerre du Darfour a suscité d’importants
problèmes environnementaux qui ont créé une catastrophe humanitaire
sans précédent.
40. Si les crises comparables à celle du Darfour se multipliaient,
le monde pourrait affronter un risque de conflit généralisé: les
déplacements massifs de populations, sources d'instabilité dans
les pays de destination et de transit, alimenteraient une politique
du ressentiment entre les principaux responsables du changement climatique
(à savoir les pays occidentaux industrialisés) et ses principales
victimes. Les mesures d’atténuation du changement climatique (ou
l’échec de ces mesures) auront donc un impact décisif sur le niveau
des tensions politiques nationales et internationales. Selon un
récent rapport du Haut Représentant et de la Commission européenne
pour le Conseil européen: «Il faut voir dans les changements climatiques
un multiplicateur de menace qui renforce les tendances, les tensions
et l’instabilité existantes»
.
41. Dans une étude récente (2007), le Conseil consultatif allemand
sur les changements écologiques mondiaux affirme que «si l'augmentation
des températures mondiales se poursuit, les migrations pourraient devenir
l'un des principaux sujets de conflits politiques sur le plan international»
. De même, le Centre «Développement,
concepts et doctrine» du ministère britannique de la Défense estime
qu'«une brusque modification du climat» pourrait entraîner «un effondrement
de la société, des déplacements massifs de populations, une lutte
accrue autour de ressources beaucoup plus rares et un conflit généralisé»
.
3. Protection, assistance, adaptation
et développement: différentes approches institutionnelles
42. Dans le cadre du débat actuel sur le changement climatique,
la dégradation de l’environnement et les migrations qui en résultent,
on relève différentes tendances et approches institutionnelles en
matière de terminologie, de typologie et de mécanismes de protection
contre les futurs problèmes évoqués plus haut.
43. Pour un grand nombre d’experts et de responsables politiques,
les personnes contraintes de migrer en raison de changements écologiques
sont des «réfugiés»: ils plaident donc en faveur de l’élargissement
de la définition de «réfugié» de la Convention de 1951 relative
au statut des réfugiés, afin d’inclure ces personnes. D’autres appellent
à l’adoption de nouveaux instruments pour leur apporter une protection
similaire à celle prévue pour les réfugiés. Les opposants à cette
mesure soutiennent que les notions et cadres juridiques/normatif
existants suffisent et mettent en garde contre le risque de nuire
aux régimes actuels de protection internationale. Pour d’autres
encore, toute notion concernant les «réfugiés environnementaux»
et la nécessité d’une protection similaire à celle des réfugiés
est au mieux exagérée, au pire politiquement motivée et dangereuse,
et susceptible de servir les intérêts de ceux – gouvernements –
qui souhaitent employer la seule catégorie de «migrants économiques»
pour échapper à leur obligation d’apporter une protection aux réfugiés.
44. Le débat actuel rappelle la plupart des vives discussions
d’il y a une vingtaine d’années sur l’existence, la définition et
le besoin de protection des personnes déplacées à l’intérieur de
leur pays. Tout comme aujourd’hui, certains s’opposaient alors farouchement
à la «création» d’une telle catégorie de personnes, qui risquait,
selon eux, de servir d’excuse aux gouvernements pour garder les
personnes concernées dans leur propre pays
. Par la suite, le succès
et l’adoption des Principes directeurs des Nations Unies relatifs
au déplacement de personnes à l’intérieur de leur propre pays ont
toutefois montré qu’il est judicieux de soulever certaines questions
et d’y mettre un nom.
45. A cette fin, la rapporteuse accueille favorablement le débat
qui s’est tenu dernièrement au sein du groupe de travail informel
du Comité permanent interorganisations dans le domaine humanitaire
des Nations Unies, et la création récente de l’Alliance sur le changement
climatique, l’environnement et les migrations (CCEMA)
,
dans le but de s’entendre sur une compréhension commune des grands
problèmes et de proposer une typologie et une terminologie appropriées
pour les migrations et déplacements induits par des facteurs écologiques.
46. La rapporteuse estime que le Conseil de l’Europe devrait contribuer
à ce débat:
- en s’efforçant
de trouver la meilleure solution possible pour la protection des
droits de tous les individus
- qui
subissent toute forme de dégradation écologique et des catastrophes
naturelles ou provoquées par l’homme;
- qui choisissent ou sont forcés de quitter leur lieu de
résidence habituel;
- qui se déplacent à l’intérieur du pays ou à l'étranger;
- qui sont ou non en mesure de retourner dans leur lieu
d’origine;
- en faisant en sorte d’assurer les besoins de protection
à toutes les étapes du déplacement, c’est-à-dire dans les zones
d’origine, de transit et de destination et durant tout le temps
nécessaire;
- en soutenant les dispositions existantes de la législation
en matière de droits de l’homme et le cadre normatif au niveau international,
et en proposant de nouveaux textes de loi pour combler les vides juridiques identifiés;
- en encourageant, en plus d’une aide humanitaire fort nécessaire,
l’intégration dans l’action internationale de l’adaptation aux changements
climatiques/à la dégradation de l’environnement (et à la réduction
des risques), l’atténuation des conséquences et le développement.
3.1. Difficultés terminologiques:
réfugiés? Déplacés? Migrants?
47. Certes, on peut affirmer que la terminologie importe
peu aux personnes en fuite ou en quête d’une vie ou d’un abri plus
sûrs. De plus, la migration humaine ayant rarement une seule cause,
toute tentative de classification ou de typologie n’en est que plus
complexe; et l’adoption de nouvelles étiquettes et catégories comporte
toujours le risque d’exclure certaines personnes et de creuser les
fossés. Malgré cela, du point de vue de la protection juridique
et de l’élaboration politique, sans au moins une définition concrète
ou descriptive, il est impossible d’atteindre les niveaux envisagés
de protection.
48. Le fait de définir les personnes déplacées en raison de l’impact
des changements écologiques par le terme de «réfugiés», «déplacés»
ou «migrants» a des conséquences importantes sur les obligations
de la communauté internationale en vertu du droit international;
d’où l’intérêt marqué des différents groupes institutionnels à défendre
leurs mandats respectifs en les traduisant dans la terminologie
en question.
49. Deux groupes dominent le débat actuel sur la terminologie –
d’un côté, les organismes humanitaires internationaux; de l’autre,
les organisations de gestion du développement/des migrations – guidés
par leurs préoccupations institutionnelles respectives. Les organisations
humanitaires craignent la dilution ou le chevauchement éventuel
de concepts naissants avec les catégories existantes qu’elles sont
chargées de protéger; tandis que les organisations de développement
se soucient de parvenir à une approche aussi vaste et complète que
possible. Chacun de ces groupes est soutenu par un nombre considérable
de spécialistes, de chercheurs, de groupes de la société civile
et d’autres acteurs. Qui plus est, des chercheurs dans ce domaine proposent
encore diverses autres solutions.
3.1.1. Ecoréfugiés / réfugiés climatiques
50. Le terme «réfugié climatique» est apparu avant que
les personnes déplacées à l’intérieur de leur pays ne soient reconnues
comme un groupe ayant des droits de protection et d’assistance.
Avec la prise de conscience accrue du public sur les questions de
changement climatique et de réchauffement planétaire, les termes
«réfugié climatique» et «écoréfugié» reviennent couramment dans
le discours public. Les militants utilisent ce terme pour insister
sur l’urgence du problème. En effet, confrontées aux conséquences
du changement climatique, les personnes concernées chercheraient
refuge; alors que le terme «migrant environnemental» ferait passer
l’attrait du lieu de destination avant l’inhospitalité du lieu de
départ et aurait une connotation négative, en particulier depuis
les attentats de septembre 2001.
51. Dans cette logique, plusieurs tentatives ont été faites pour
promouvoir la création d'une nouvelle catégorie de réfugiés contraints
de se déplacer pour des raisons écologiques, dont les définitions
les plus connues ont été proposées par El Hinnawi en 1985
,
Myers en 1993
et par Crisp en 2006
. Cependant, les
études sur le sujet contestent souvent la justesse du terme «écoréfugié»,
également rejeté par les grands organismes internationaux consacrés
aux questions de migration et de protection. Le Haut Commissariat
des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR), l’Organisation internationale
pour les migrations (OIM) et, plus récemment, le groupe de travail
informel du Comité permanent interorganisations des Nations Unies
se sont prononcés contre l’usage de ce terme, pour de nombreuses
raisons.
52. Tout d'abord, ils jugent le terme impropre au regard du droit
international. La Convention des Nations Unies de 1951 relative
au statut des réfugiés et son Protocole de 1967 (connus sous le
nom de Convention de Genève sur les réfugiés) fixent plusieurs critères
définissant le statut de réfugié. Seule une personne craignant avec
raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de
sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou
de ses opinions politiques est considérée comme «réfugiée» et bénéficie
des droits correspondants. Dans le contexte des réfugiés environnementaux,
la peur de la persécution est difficile à définir.
53. Deuxièmement, le terme de réfugié sous-entend le passage d’une
frontière, alors que jusqu’ici la plupart des migrations environnementales
se sont produites à l’intérieur de pays. L’étendue du problème risque
fort d’être sous-estimée si la définition se limite aux migrations
transfrontalières.
54. Troisièmement, le concept de réfugié appelle généralement
un droit universel de retour lorsque les persécutions à l’origine
de la fuite ont cessé. Certaines modifications de l’environnement,
comme par exemple la «disparition» de petits Etats insulaires à
faible altitude, en raison de la montée du niveau de la mer, peuvent rendre
ce retour impossible.
55. Quatrièmement, l'UNHCR craint que l'élargissement de la définition
du concept de réfugié n'aboutisse à une érosion du régime international
actuel de protection des réfugiés. A ses yeux, une telle redéfinition pourrait
entraîner une renégociation de la Convention de Genève de 1951 relative
au statut des réfugiés, ce qui risquerait dans le contexte politique
actuel d’abaisser leur niveau de protection des réfugiés selon la définition
actuelle.
56. Enfin, les responsabilités morales et éventuellement légales
sont différentes. Alors que les réfugiés politiques et réfugiés
de guerre sont victimes de leur pays d’origine ou d’un conflit régionalisé,
sans que leur pays d’accueil soit directement responsable de leurs
souffrances, il en va différemment pour les modifications du climat
en matière de responsabilité morale. Etant donné que presque tous
les réfugiés climatiques viendront probablement des pays qui ont
le moins contribué au changement climatique et sont le moins capables
de financer et d'appliquer des programmes d'adaptation, beaucoup
de pays développés d'Europe et d'Amérique du Nord craignent qu'accepter
le terme de réfugié ne les oblige à offrir la même protection qu'aux
réfugiés politiques - précédent qu'aucun pays n'a encore voulu créer.
Par ailleurs, les institutions internationales actuellement en charge
des réfugiés, soit principalement l’UNHCR, sont déjà trop sollicitées
et incapables de faire face à leur «stock» actuel de réfugiés. L'UNHCR,
dont la mission a déjà été élargie aux personnes déplacées, s'oppose
à toute nouvelle extension de son mandat
.
57. En revanche, les partisans des termes «écoréfugiés / réfugiés
climatiques» soutiennent que puisque la Convention de 1951 ne contient
pas de définition arrêtée de «persécution», une évolution est possible.
Malgré cela, un consensus de plus en plus important ressort parmi
les acteurs internationaux contre la modification de la Convention
de Genève de 1951 relative aux réfugiés. Lors d’un congrès international
sur le sujet, qui a eu lieu en octobre 2008
,
personne n’a plus proposé d’élargir la définition actuelle de «réfugiés»
dans le cadre de cette convention
.
58. Toutefois, la notion d’«écoréfugié / réfugié climatique» peut
être éventuellement acceptée dans deux cas: les instruments régionaux
et l’élargissement de traités sur l’environnement.
59. Tout d’abord, la définition de «réfugié» proposée par certains
instruments régionaux a été élargie pour couvrir d’autres personnes
ayant fui de graves menaces pour leur existence et leur liberté.
Par exemple, la Convention de 1969 de l’Organisation de l’unité
africaine (OUA) régissant les aspects propres aux problèmes des
réfugiés en Afrique énonce que ceux-ci peuvent aussi être des personnes
obligées de fuir en raison d’événements troublant gravement l'ordre
public – que l’on pourrait raisonnablement interpréter comme englobant
les situations dues à des catastrophes environnementales, en particulier
celles qui bouleversent effectivement l’ordre public
.
La Convention de 1994 des Etats arabes relative aux réfugiés accepte
«les catastrophes naturelles ou les incidents dévastateurs» comme
causes valables.
60. Ensuite, Biermann et Boas, soutenus par Global Governance
– projet regroupant onze instituts de recherche européens
–
plaident pour l'extension de la notion de réfugié à l'aide d'un
statut spécifiquement conçu pour les réfugiés climatiques, qui leur
offrirait la même protection qu'aux autres réfugiés tout en restant indépendant
de la Convention de Genève de 1951. Ce système indépendant s’appuierait
sur cinq grands principes: réinstallation planifiée, primauté du
relogement sur l’asile temporaire, reconnaissance des droits collectifs
des populations locales, soutien international aux politiques nationales
et répartition des efforts entre les pays.
3.1.2. Déplacement environnemental
61. La plupart des migrants environnementaux sont (seront)
différents des réfugiés pour une raison importante: ils se déplacent
à l’intérieur de leur pays. Par conséquent, la majorité des organismes humanitaires
préfèrent parler de «déplacement» au sujet de la mobilité humaine
induite par des catastrophes naturelles ou provoquées par l’homme
et considèrent que ces personnes relèvent de la catégorie des déplacés internes,
protégés par les Principes directeurs de 1998 des Nations Unies
relatifs au déplacement de personnes à l’intérieur de leur propre
pays et les Lignes directrices de 2006 sur la protection des droits
de l’homme en cas de catastrophes naturelles.
62. En effet, selon la définition contenue dans les Principes
directeurs, «les personnes déplacées à l'intérieur de leur propre
pays» sont «
des personnes ou des groupes
de personnes qui ont été forcés ou contraints à fuir ou à quitter
leur foyer ou leur lieu de résidence habituel, notamment en raison
d'un conflit armé, de situations de violence généralisée, de violations
des droits de l'homme ou de catastrophes naturelles ou provoquées
par l'homme ou pour en éviter les effets, et qui n'ont pas franchi
les frontières internationalement reconnues d'un Etat» .
63. En incluant les catastrophes, on reconnaît que les besoins
de protection des personnes déplacées à cause de catastrophes écologiques
exigent aussi l’attention internationale.
64. Cependant, le terme «déplacement/déplacé environnemental»
tel qu’il s’applique actuellement a deux grands inconvénients. D’une
part, il ne concerne que les mouvements internes, laissant sans
protection similaire les personnes qui fuient les mêmes catastrophes
mais traversent les frontières. D’autre part, la définition de déplacé
à l’intérieur du pays (DIP) ne renvoie qu’aux «catastrophes naturelles
et provoquées par l’homme», impliquant des effets soudains comparables
aux situations de conflits ou de violence généralisée. On ne sait
pas clairement si les personnes qui se déplacent à cause d’une dégradation
progressive de l’environnement sont couvertes par les Principes
directeurs, même s’il est prévu que ce dernier phénomène entraîne
à l’avenir davantage de mouvements de population que lesdites catastrophes.
65. Selon la rapporteuse, il est possible de dissiper les inquiétudes
des personnes qui ne sont pas faveur d’une notion fondée sur le
déplacement par l’ajout de catégories distinctes de déplacés et
en incluant les victimes de la dégradation progressive de l’environnement
et des mouvements transfrontaliers dans la définition descriptive
et non exhaustive des Principes directeurs.
3.1.3. Migrations induites par des
facteurs écologiques
66. L’Organisation internationale pour les migrations
(OIM) a proposé une définition de travail des «migrations environnementales/migrants
environnementaux», qui englobe les personnes déplacées en raison de
catastrophes naturelles ou humaines et celles qui choisissent de
se déplacer à cause de la détérioration de leur environnement.
67. Selon cette définition, les migrants environnementaux sont
«des personnes ou des groupes de personnes qui, pour des raisons
liées à des changements soudains ou progressifs de l’environnement,
ayant un impact négatif sur leur vie ou leurs conditions de vie,
sont obligées ou décident de quitter leur lieu de résidence à titre
temporaire ou permanent et de se déplacer soit à l’intérieur d’un
pays, soit à l’étranger.»
68. Cette définition englobe toutes les personnes dont la migration
est essentiellement motivée par un facteur écologique et tient compte
du fait que les déplacements dus à l’environnement peuvent être
internes ou internationaux de courte ou de longue durée et provoqués
par des modifications soudaines ou progressives, sans ignorer les
facteurs politiques, économiques et sociaux qui entrent en jeu
.
69. Plusieurs organisations humanitaires internationales, dont
l’UNHCR, s’y sont opposées au motif qu’elle est trop vaste pour
être d’un quelconque usage et qu’elle recouvre potentiellement des
termes existants bien définis tels que «réfugié» et «personnes déplacées
à l’intérieur de leur propre pays»
.
70. De même, dans une lettre adressée à la rapporteuse le 30 octobre
2008, M. Walter Kälin, Représentant du Secrétaire général des Nations
Unies pour les droits des personnes déplacées à l’intérieur de leur
propre pays, a attiré l’attention sur le fait que «la terminologie
juridique international réserve le terme "migrant" aux personnes
qui vont à l’étranger». Il soutient que «cette interprétation est
énoncée explicitement dans la Convention des Nations Unies sur la
protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres
de leur famille, mais aussi implicitement dans la définition de
"travailleur migrant" de la Convention européenne relative au statut
juridique du travailleur migrant» (STE n° 093); et que la notion
de déplacement interne «aurait aussi l’avantage psychologique de
ne pas laisser entendre que les personnes déplacées dans leur propre
pays devraient être assimilés d’une manière ou d’une autre à des
"migrants" qui, en tant qu’étrangers, ne bénéficient pas des mêmes
droits que la population locale».
71. Si la rapporteuse comprend totalement les craintes de l’UNHCR
et de M. Kälin, elle tient aussi compte des inquiétudes de ceux
qui déplorent l’absence d’une définition de «migrant» acceptée par
tous, et du fait que ceux qui conservent le terme «migration» ont
défini dans leur mandat des catégories de «migration internationale»
et de «migration interne».
72. Les difficultés terminologiques et les lacunes existantes
ont été discutées par le Groupe de travail informel sur les migrations,
les déplacements et le changement climatique du Comité permanent
inter-agences des Nations Unies. Il a été proposé, dans le cadre
de ces discussions de distinguer «migrations / migrants environnementaux»,
qui renvoient à un mouvement volontaire, et «déplacements / déplacés environnementaux»,
à un mouvement forcé. Toutefois, aucun accord n’a été trouvé.
73. Deux grandes questions sont donc posées autour de la définition
de «migrant environnemental»:
- ne
doit-elle concerner que les mouvements transfrontaliers ou inclure
également les mouvements internes ?
- doit-elle se limiter aux seuls mouvements volontaires
ou inclure les mouvements volontaires et forcés – et tous les types
de mouvement entre ces deux cas de figure ?
74. Pour ce qui concerne la première question, le débat dépasse
le champ des migrations environnementales puisqu’il concerne la
définition (ou l’absence de) de «migration» en général. L’OIM fait observer
que la migration est par définition un mouvement de population,
qui peut se produire à l’intérieur comme à l’extérieur des frontières.
Au sujet de la «migration internationale», le mandat de l’OIM (comme
la plupart des instruments internationaux) indique que ce qui se
produit dans un pays ne relève généralement pas de la coopération
internationale: il est de la responsabilité du pays concerné de
s’en occuper. La référence même à la «migration internationale»
laisse entendre qu’il peut y avoir d’autres types de migration et
que la notion de migration peut être plus vaste. Les termes «migration
interne», «migration de zone rurale à urbaine» et «migration de
zone rurale à rurale» sont couramment employés, en particulier par
UN-HABITAT, UNFPA, CENUE
et par les milieux universitaires.
75. Sous cet angle, il semble difficile de limiter le terme «migrant»
à la catégorie des migrants internationaux. Alors que ces derniers
sont souvent considérés comme des étrangers sur le territoire de
l’Etat d’accueil, ce n’est pas nécessairement le cas des migrants
internes ou qui retournent chez eux. En ne tenant compte des migrants
que par le prisme de la nationalité, on risque de négliger l’élément
fondamental de la migration: son caractère dynamique.
76. La deuxième question controversée est aussi étroitement liée
à l’intérêt que portent les différents acteurs à leurs mandats.
Plusieurs agences humanitaires qui se concentrent sur un seul aspect
des mouvements humains (les mouvements forcés) préfèrent généralement
séparer les notions de mouvements forcés et volontaires. De leur
côté, les organismes de développement et ceux qui travaillent sur
des questions plus vastes de la population soutiennent que la migration
environnementale couvre toutes les formes de mouvement, volontaire
comme forcé. Ils s’accordent à dire qu’il existe des cas manifestes
de migration environnementale forcée; toutefois, en pratique, il
est difficile de déterminer dans la plupart des cas si les mouvements
ont été forcés ou non. Par conséquent, une classification nette
des mouvements induits par des facteurs écologiques volontaires
ou forcés pourrait conduire à une situation où la majorité des personnes concernées
se situeront quelque part entre ces deux «catégories». Pour s’assurer
que personne n’est exclu, la définition de «migrant environnemental»
couvre la vaste gamme de mobilité humaine causée par des facteurs
écologiques.
77. Autre point important: s’il est prévu que la majorité des
migrants environnementaux ne dépassera pas les frontières de son
pays, en revanche, il n’est pas sûr que les futurs migrants seront
forcés (ou déplacés). Il est tout aussi difficile de distinguer
la nature forcée ou volontaire, qu’il s’agisse de mouvements à l’intérieur
ou à l’extérieur des frontières. La migration environnementale interne
(y compris volontaire) est très importante par exemple pour le débat
sur l’urbanisation. Par conséquent, le discours sur les mouvements
internes liés à des facteurs environnementaux ne devrait pas se
limiter aux déplacés internes.
78. Cela étant, de son point de vue institutionnel, la rapporteuse
reconnaît l’avantage de la définition de l’OIM ou de toute autre
vaste définition. En effet, cette définition de travail n’exclut
personne et est suffisamment souple et solide pour permettre des
discussions distinctes sur les changements de l’environnement et
sur la mobilité humaine, tout en étant pragmatique et en laissant
une marge d’action immédiate. Les termes «volontaire» et «forcé»
peuvent être utilisés comme des sous-catégories de migration; cependant,
toute nouvelle segmentation de mouvement (de migration) «volontaire»
et (de migration) «forcée» est artificielle et ne ferait que créer
un besoin de catégorisation supplémentaire des migrants et des déplacés «semi-volontaires»
et «semi-forcés».
3.2. Applicabilité des cadres de
protection existants
79. Un grand nombre de pactes, normes et instruments
juridiques internationaux, nationaux et régionaux bien établis protègent
les droits des personnes contraintes de se déplacer à cause de conflits,
de persécutions, de catastrophes naturelles et de projets de développement.
Malheureusement, il n’existe pas de cadre similaire pour protéger
les droits des personnes contraintes de se déplacer à cause de changements écologiques.
Plusieurs instruments juridiques et normatifs peuvent néanmoins
s’appliquer dans le cas de la migration environnementale.
80. Premièrement, dans le contexte des mouvements transfrontaliers,
la législation internationale des droits de l’homme s’applique d’une
manière générale. La Déclaration universelle des droits de l’homme
de 1948 protège la liberté de mouvement et d’autres droits sociaux,
culturels et économiques, qu’il est possible de faire valoir en
vertu du droit international fondamental et humanitaire mais qui
peuvent être menacés lorsque les personnes sont forcées de migrer
par une dégradation écologique.
81. Dans les cas d’importantes dégradations environnementales
et catastrophes soudaines, le principe fondamental de non-refoulement
peut s’appliquer. En cas de risque de mauvais traitement, les personnes concernées
sont protégés contre un retour éventuel. Ce principe est expressément
établi par les articles 2 et 3 de la Convention européenne des droits
de l’homme et des libertés fondamentales, et par sa jurisprudence, par
l’article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et
politiques, et par l’article 3 de la Convention contre la torture.
La protection contre le non-refoulement est pertinente en cas de
migration forcée par des modifications écologiques, notamment en
cas de fuite de situations conflictuelles liées à l’environnement
(par exemple, un conflit provoqué par la rareté des ressources)
.
82. Même si ce cas est trop restreint pour étendre la Convention
de 1951 et le Protocole de 1967 aux «écoréfugiés», il est néanmoins
possible de qualifier ces derniers de réfugiés au sens juridique
en cas de «persécution environnementale»
,
c’est-à-dire si leurs gouvernements détruisent intentionnellement
leur environnement, leur font subir une discrimination en matière
d’assistance et/ou utilisent les conséquences des catastrophes d’une
façon comparable à de la persécution, pour une ou plusieurs des
raisons énoncées par la Convention de 1951 relative aux réfugiés.
La dégradation de l’environnement ou les catastrophes ne peuvent être
considérées comme un motif de persécution, mais comme une forme
de persécution
.
83. Diverses normes et instruments «subsidiaires» prévoient d’autres
formes de protection directe ou indirecte des droits de l’homme
pour les groupes de migrants, par exemple, le Pacte de 1966 Pacte
relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, la Convention
internationale de 1996 sur les droits civils et politiques, et d’autres
conventions internationales concernant des groupes sociaux particuliers,
telles que la Convention internationale de 1990 sur la protection
des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leurs familles,
la Convention de 1989 relative aux droits de l’enfant, la Convention
de 1981 sur l’élimination de toutes les formes de discrimination
à l’égard des femmes et la Convention de l’OIT de 1991 sur les droits
des peuples autochtones
.
84. Par ailleurs, la protection des citoyens des petits Etats
insulaires (qui seront submergés avec la montée du niveau de la
mer) menacés d’apatridie pose une question délicate, qui relève
du champ de la Convention des Nations Unies de 1954 relative au
statut des apatrides, de la Convention des Nations Unies de 1961
sur la réduction des cas d’apatridie et du mandat de protection
du HCR pour les apatrides
.
85. Deuxièmement, une grande partie des migrants environnementaux
est généralement déplacée à l’intérieur d’un pays. Les déplacements
causés par des catastrophes sont reconnus dans les Principes directeurs
de 1998 des Nations Unies relatifs au déplacement de personnes à
l’intérieur de leur propre pays et des Lignes directrices de 2006
du Comité permanent interorganisations sur la protection des droits
de l’homme en cas de catastrophes naturelles.
86. Les Principes directeurs proposent un cadre normatif unique
pour l’élaboration de stratégies d’assistance et de protection.
Ils sont devenus un outil pratique permettant d’identifier les droits
et les garanties pertinentes pour la protection et l’assistance
des déplacés internes à toutes les étapes du déplacement, quelle qu’en
soit la cause. Il s’agit d’une synthèse des éléments pertinents
de la législation des droits de l’homme et, par analogie, des réfugiés
ainsi que du droit humanitaire international. Les Principes devraient
sans doute être considérés comme contraignants sur le plan juridique,
dans la mesure où ils reprennent les dispositions du droit international
existant. Cette démarche est considérée comme novatrice dans le
développement de normes internationales
.
87. Troisièmement, comme indiqué précédemment, les instruments
régionaux tels que la Convention de l’Organisation de l’Unité africaine
(OUA) de 1969 régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés
en Afrique
, la Déclaration
de Carthagène de 1984 sur les réfugiés et la Convention de 1994
des Etats arabes sur les réfugiés prévoient une certaine protection
pour les victimes de catastrophes environnementales, en particulier
si ces dernières viennent à troubler fortement l’ordre public.
88. En Europe, la Convention des droits de l’homme et des libertés
fondamentales, ses protocoles additionnels et sa jurisprudence,
composent le mécanisme de protection le plus important pour les
migrants environnementaux, qu'ils se déplacent dans les Etats membres
du Conseil de l’Europe ainsi que pour les migrants environnementaux
d’autres régions du monde qui entrent en Europe. Bien qu’à ce jour
la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme n’ait
pas traité directement la protection des migrants environnementaux,
dans deux arrêts récents (
Öneryildiz
c. Turquie et
Budayeva
c. Russie ), la Cour a clairement indiqué que
les Etats devenaient responsables de l’incapacité à protéger la
vie en cas de pertes humaines dues au non respect de leur devoir
de prendre des mesures préventives en cas d’annonce d’une catastrophe,
alors qu’ils avaient à disposition des moyens efficaces pour limiter
les risques.
89. Bien qu’ils ne soient pas reconnus explicitement, dans certains
cas, les migrants environnementaux pourraient probablement bénéficier
d’une protection provisoire en vertu de la Directive de 2001 du
Conseil de l’Union européenne sur la protection temporaire
et
de celle de 2004 sur les conditions à remplir
,
sous réserve de l’approbation majoritaire du Conseil qu’une catastrophe
naturelle exige le recours à ces mécanismes.
90. Quatrièmement, au niveau national, seules la Suède et la Finlande
accordent pour l’heure une protection subsidiaire au motif de catastrophes
naturelles. La loi suédoise relative aux réfugiés (chapitre 4 article
2) inclut toute personne «incapable de retourner dans son pays d’origine
à cause d’une catastrophe écologique» dans la catégorie «autres
personnes ayant besoin d’une protection». De même, l’article 88
de la loi finlandaise relative aux étrangers accorde une protection
aux personnes incapables de retourner dans leur pays «en raison
d’un conflit armé ou d’une catastrophe écologique» et leur délivre
des permis de résidence.
3.3. Lacunes des cadres de protection
existants
91. Le Groupe de travail informel sur les migrations,
les déplacements et le changement climatique du Comité permanent
inter-agences des Nations Unies (CPIA) a récemment identifié trois
grands vides potentiels, sur le plan juridique et opérationnel
:
- la législation internationale
des droits de l’homme protège les personnes qui traversent les frontières après
avoir subi des catastrophes (et après que leurs zones d’habitation
sont déclarées interdites), mais ne leur donne pas droit à l’admission
ni au séjour dans un autre pays. Ces personnes ne sont pas automatiquement
protégées par la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés,
à moins de remplir les critères établis. Dans certains cas, elles
peuvent avoir besoin d’une protection et d’une assistance provisoires
en attendant leur retour;
- on note l’absence de critères pour distinguer [la migration]
volontaire des mouvements [des déplacements] forcés dans les situations
de catastrophes;
- dans le cas où un Etat perdrait l’intégralité de son territoire
– l’un des éléments constitutifs de l’Etat –, on ne sait pas clairement
si son statut serait toujours reconnu par la communauté internationale.
Il n’est pas à exclure que sa population serait alors considérée
comme apatride. Il importe de conclure des accords spéciaux pour
permettre à celle-ci de se déplacer dans les autres pays et pour
éviter qu’elle ne soit apatride.
92. S’agissant du premier point, les migrants environnementaux
qui traversent les frontières ne sont pas considérés comme des réfugiés
ayant droit à une protection nationale dans le cadre international
existant; ils ne sont pas non plus nécessairement considérés comme
travailleurs migrants. S’ils bénéficient de l’applicabilité des
normes des droits de l’homme, en revanche, leur statut demeure peu
clair. Dans le même temps,les
Etats n'ont cependant pas d'obligations spécifiques à l'égard des
migrants écologiques et à ce jour, aucun texte juridique international
n'oblige quiconque à fournir une aide internationale aux personnes déplacées
pour raisons environnementales lorsque leur pays n'est pas en mesure
de les protéger.
93. S’agissant du deuxième point, la migration environnementale
couvre toutes les formes de mouvement, volontaire et forcé. Dans
le cadre normatif humanitaire / relatif aux déplacés internes, couverts
par les Principes directeurs, il manque un cadre de protection d’un
segment entier de migrants qui traversent les frontières, en raison
d’une dégradation progressive de l’environnement. Nombre de ces
migrants sont confrontés à des difficultés et ont des besoins similaires
à ceux des personnes déplacés à cause de conflits. Toutefois, la
protection et l’assistance dépendent largement du fait que les organisations
internationales les incluent ou non dans leurs mandats (on parle
dans ce cas de «vides opérationnels»
).
94. S’agissant du troisième point, les droits des populations
touchées et la charge de leur protection soulèvent plusieurs questions
délicates. Dans le cas de la disparition de petits Etats insulaires,
mais aussi de conséquences du changement climatique, ces populations
risquent de ne jamais pouvoir retourner chez elles car leurs habitats
d’origine ont été submergés ou détruits
.
Il importe de s’interroger pour savoir qui accueillera ces personnes
contraintes d'émigrer quand elles ne pourront plus vivre dans leur
propre pays. Il sera nécessaire d’adopter de nouvelles approches
pour trouver des solutions durables.
95. Par ailleurs, notons également que la législation relative
à l’environnement est lacunaire: ni la Convention-cadre des Nations
Unies sur les changements climatiques ni son Protocole de Kyoto
ne contiennent de dispositions sur une assistance ou une protection
spéciale pour les victimes directes des effets du changement climatique.
96. La rapporteuse partage l’avis du groupe de travail du Comité
permanent interorganisations sur la nécessité de recherches et d’analyses
approfondies sur l’ampleur, la nature et les schémas de mouvements de
population liés au climat, et sur les groupes qui ne veulent ou
ne peuvent se déplacer. Par ailleurs, il convient d’étudier plus
avant la législation existante et les possibilités de protection
pour savoir comment combler au mieux les lacunes potentielles et
celles déjà identifiées en matière de protection. De plus, il faut s’interroger
davantage sur la mesure dans laquelle les déplacés environnementaux
font l’objet de violations des droits fondamentaux au même titre
que les réfugiés et les déplacés internes.
97. Enfin, les cadres actuels de protection pâtissent d’une mise
en œuvre très insuffisante, qui s’explique dans la plupart des cas
par des capacités limitées et dans d’autres cas, par l’absence de
volonté politique. Il est indispensable de trouver comment remédier
à ce gros problème de mise en œuvre
.
3.4. Nécessité d’une nouvelle législation?
98. Les diverses lacunes identifiées montrent la nécessité
d’établir de nouveaux cadres de protection. Deux domaines exigent
impérativement des mesures juridiques complémentaires:
- l’apatridie potentielle dans
le cas des «Etats qui disparaissent»;
- la nécessité d’interdire l’expulsion des populations de
pays touchés par une catastrophe naturelle, victimes d’une grave
dégradation environnementale et qui ne garantissent pas une existence
sûre d’un point de vue écologique; les populations qui ne sont pas
«réfugiées» selon les termes de la Convention de 1951 ne devraient
pas être renvoyées chez elles, pour des raisons humanitaires. Par
exemple, il serait judicieux d’accorder une protection humanitaire
ou un autre statut de protection.
99. Reste à voir si la communauté internationale est prête à accomplir
davantage. En effet, il faut beaucoup de temps pour s’entendre sur
les termes d’une convention, de même qu’il n’est pas évident de
parvenir à un consensus sur une convention qui porte, finalement,
sur la souveraineté de l’Etat. Par ailleurs, même les conventions
contraignantes ont parfois peu d’impact compte tenu de l’insuffisance
de mécanismes de mise en œuvre; alors que les Principes directeurs,
qui ne sont pas contraignants, sont de plus en plus fréquemment intégrés
dans les législations et politiques nationales.
100. D’un autre côté, les effets cumulés du changement climatique
et des catastrophes naturelles de plus en plus fréquentes, de la
hausse des prix de l’énergie et des denrées alimentaires, et de
la crise financière mondiale sur les Etats et les régions les plus
vulnérables incitent à l’adoption de nouveaux instruments de protection
juridique. Dans un récent document de politique
, l’UNHCR indique que «des outils complémentaires,
normes ou accords seront nécessaires pour que les principes élémentaires
des instruments internationaux des droits de l’homme soient traduits
dans des formes tangibles de protection et dans un soutien aux populations
concernées».
101. Divers mécanismes de protection contraignants ou non contraignants
pourraient être envisagés au vu de l’augmentation des processus
migratoires induits par des facteurs climatiques et écologiques.
102. Pour combler les lacunes, il conviendrait notamment d’élaborer
et d’adopter une convention internationale totalement nouvelle et
distincte, qui pourrait se fonder sur la législation relative à l’environnement,
aux droits de l’homme et aux réfugiés. Les faiblesses du volet du
droit international sur l’environnement concernent son application
et les difficultés à établir les responsabilités, qui rendent difficile
la protection basée sur la responsabilité
.
103. Une autre solution consisterait à élargir la définition descriptive
des Principes directeurs relatifs au déplacement de personnes à
l’intérieur de leur propre pays aux catastrophes écologiques progressives,
tout en créant en parallèle une synthèse similaire du droit international
existant sur le déplacement externe, sous forme de principes.
104. En outre, il peut être judicieux de revoir l’idée de l’élaboration
concertée d’une convention contraignante sur les déplacements internes
(et éventuellement externes). A cet égard, l’adoption prévue au
printemps 2009 du nouveau projet de Protocole de l’Organisation
de l’Unité africaine pour la protection et l’assistance des personnes
déplacées à l’intérieur de leur pays en Afrique, premier instrument
au monde juridiquement contraignant pour la protection de ces personnes,
ouvre de nouvelles perspectives. En plus d’être contraignante pour
ses signataires, la convention de l’OUA augmentera le champ de protection
des Principes directeurs (par exemple, en incluant les personnes
déplacées à cause de l’absence de développement) et donnera à l’OUA
le droit d’intervenir dans les Etats membres pour protéger les personnes
déplacées
.
105. Une autre solution juridiquement contraignante a été proposée
par Biermann et Boas, opposés à l’idée d’une convention internationale
indépendante qui exigerait un processus de négociation bien trop
lent pour répondre à l’urgence de la situation actuelle. Ils proposent
un autre type d'instrument juridique nouveau adapté aux besoins
des réfugiés climatiques (un Protocole à la Convention-cadre des
Nations Unies sur les changements climatiques relatif à la reconnaissance,
à la protection et au relogement des réfugiés climatiques), un mécanisme
de financement séparé (le Fonds pour la protection et le relogement
des réfugiés climatiques) et un réseau d'«agences de mise en œuvre»
placées sous l'autorité de la conférence des Parties au nouveau
Protocole
.
Selon les deux chercheurs, ce nouvel instrument demanderait quelques
ajustements terminologiques au sein du système du HCR des Nations
Unies mais ne poserait pas de problème pratique ni juridique, puisqu’il
ne toucherait pas à la définition de la Convention de Genève. Le
Protocole pourrait également, en théorie, être intégré à un protocole
d’adaptation plus large, à condition que ses principes fondamentaux
soient conservés, ainsi que les financements nécessaires.
106. Inutile de dire que dans tous les cas proposés, des recherches
plus poussées seront indispensables avant de prendre des mesures
concrètes. La communauté internationale doit encore tenir un débat
approfondi sur le type d’instruments nécessaires pour relever les
nouveaux défis. Toutes ces possibilités devraient avoir le même
fondement: les individus manifestement contraints de se déplacer
en raison d’une dégradation de l’environnement, même associée à
d’autres facteurs socioéconomiques, doivent être suffisamment protégés par
un mécanisme international leur accordant certains droits.
3.5. v. Les «gardiens» des migrants
environnementaux
107. Pour l’heure, il n’existe pas de consensus au sein
de la communauté internationale pour savoir qui sera effectivement
chargé de résoudre les questions de protection et d’assistance,
de fixation de normes, d’adaptation et de développement. Néanmoins,
la pertinence de la structure actuelle d’action humanitaire fait l’objet
d’interrogations, de même que la nécessité de nouvelles institutions,
coalitions et partenariats. Il semblerait normal que ces questions
amènent à une réflexion collective.
108. S’agissant de la dimension humanitaire, il est indiscutable
que les agences des Nations Unies ont un rôle de premier plan à
jouer. Dans le cadre de la réforme humanitaire, les Nations Unies
entendent renforcer la protection des déplacés internes par une
approche «sectorielle»
, qui permettrait de mieux
répartir les tâches, de combler les lacunes et de renforcer la protection
des déplacés internes dans une multitude de cas urgents. Consolider
l’approche sectorielle peut être un moyen de perfectionner les mécanismes
institutionnels face aux migrations environnementales.
109. Il n’existe toutefois aucun organisme chargé de la protection
et de l’assistance de ces personnes, même si le HCR des Nations
Unies joue maintenant un rôle spécial de «leader sectoriel» pour
la protection des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre
pays à la suite d’un conflit et rend compte de son action en tant
que responsable de secteur. Le défi demeure considérable et il faut
aller plus loin puisque le HCR n’a pas encore la capacité d’apporter
une réponse plus prévisible, responsable et efficace dans le contexte
des catastrophes naturelles
.
110. En matière de fixation de normes, notamment «de décisions
sur la protection des populations contraintes de se déplacer à cause
des conséquences de la dégradation et des bouleversements écologiques»
, le Comité informel permanent
inter-organisations est indéniablement l’organe le plus compétent.
A ce titre, son rôle et son statut méritent d’être renforcés et
élargis.
111. La rapporteuse estime néanmoins que la réponse internationale
au problème des migrations environnementales devrait aller au-delà
de l’action humanitaire. Elle salue donc également la création récente de
l’Alliance sur le changement climatique, l’environnement et les
migrations, qui a pour objet de servir de point de convergence et
de lieu d’échange politique et scientifique. Elle ne doute pas des
avantages à long terme de la mise en place d’une structure de coordination
efficace regroupant diverses organisations internationales et parties
prenantes, y compris les structures de coordination existantes.
Une commission de coordination pour les migrations environnementales
pourrait d’ailleurs être créée pour coordonner les travaux des organisations internationales
sur les différents aspects du problème de la mobilité environnementale,
notamment la réduction des risques, l'aide humanitaire, l'adaptation
et le développement.
4. Politiques préconisées en Europe
112. Les pays industrialisés, dont la plupart des Etats
membres du Conseil de l'Europe, ont de plus fortes capacités d'adaptation,
si bien que les migrations dues au climat y sont moins probables
ou y représenteront un problème moins grave. Actuellement – et dans
un avenir proche –, la plupart des migrants environnementaux et
des personnes déplacées n’arrivent ou ne peuvent arriver aux frontières
européennes.
113. Mais il est évident qu'il est beaucoup moins coûteux de prévenir
que de guérir et que la plus grande part des responsabilités incombera
au monde industrialisé et riche en ressources / capitaux, qui est
reconnu comme le premier responsable du changement climatique et
dispose des moyens et des technologies nécessaires pour réagir.
Les pays européens auront donc un rôle prépondérant à jouer. Avec
les Etats-Unis, ils auront la grande responsabilité d’intensifier
les mesures visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre,
pour atteindre les Objectifs du Millénaire, mais aussi de prendre
des mesures renforcées de limitation des risques de catastrophes,
notamment de prévention, d’analyse de la vulnérabilité, d’alerte
précoce et de capacité de faire face.
114. Afin de prévenir une éventuelle augmentation des risques posés
par les migrations environnementales, il convient d'élaborer des
stratégies ciblant d'une part leurs causes, d'autre part la gestion
des migrations qui s'avéreront inévitables. Une meilleure coopération
internationale est nécessaire pour renforcer la capacité d’adaptation
des populations menacées par les effets du changement climatique.
115. Au niveau européen, la bonne gestion des migrations environnementales
passera obligatoirement par l'élaboration d'une stratégie complète
en matière de politique d'immigration, associée à la promotion de politiques
économiques et commerciales plus ouvertes vis-à-vis des pays du
tiers-monde. Cette stratégie devrait anticiper les flux migratoires,
offrir une protection adéquate aux victimes de bouleversements climatiques,
prévoir des mécanismes de réparation des dommages subis par ces
personnes déplacées (au niveau social, économique et culturel) et
encourager la sensibilisation des populations et des autorités à
ces problèmes.
116. Un système de financement approprié devrait être mis en place
au niveau européen pour indemniser les personnes déplacées et soutenir
des projets de développement et de gestion des migrations.
117. La politique relative à la migration devrait être mieux intégrée
dans les programmes nationaux de développement et de coopération
au développement. Cette forme de coopération peut aider les groupes vulnérables
qui vivent dans une pauvreté absolue à limiter les impacts de la
dégradation de l’environnement et du changement climatique, et à
réduire leur vulnérabilité aux effets de tels phénomènes. Toutefois,
les stratégies futures de développement devront se soucier davantage
de la durabilité des projets de développement, compte tenu des impacts
climatiques prévisibles au niveau local. Par exemple, le développement
agricole des régions très menacées par la sécheresse devrait être
réévalué.
118. Concernant le statut et la protection juridiques des migrants
environnementaux, les pays européens pourraient soutenir l'idée
d'une nouvelle convention internationale assurant une protection
aux personnes déplacées par la dégradation de l'environnement et
le changement climatique, ainsi que celle d'une intégration de ces
dispositions à d'autres instruments juridiques internationaux existants.
119. Puisque ces processus connaîtront certainement une lente progression,
il importe que l’Europe joue un rôle pionner en fixant des normes
dans le domaine de la protection juridique des victimes de déplacements écologiques
et en élaborant ses propres dispositions pour protéger et aider
les migrants environnementaux par le biais de programmes de protection
régionale. En l’occurrence, les instruments existants de l’Union européenne
et du Conseil de l’Europe sont un bon point de référence.
120. Dans le cadre du Conseil de l’Europe, il faut continuer d’encourager
les Etats membres à intégrer les Principes directeurs relatifs au
déplacement de personnes à l’intérieur de leur propre pays et la Recommandation
Rec(2006)6 du Comité des Ministres dans la législation nationale.
Il convient d’étudier également la législation et la jurisprudence
nationales finlandaises et suédoises, qui accordent une protection subsidiaire
en cas de catastrophes naturelles, pour voir si elles pourraient
servir d’exemples de bonne pratique aux mécanismes de protection
nationale.
121. S’agissant de l’amélioration des mécanismes de protection
des droits de l’homme pour des problèmes posés par le changement
climatique et la dégradation de l’environnement, il serait judicieux
d’ajouter à la Convention européenne des droits de l’homme un protocole
séparé sur le droit à un environnement sain et sûr.
122. De plus, une étude juridique d’ensemble sur les lacunes du
droit et des dispositions normatives internationales existantes
pourrait être réalisée en vue de l’élaboration éventuelle d’une
Convention-cadre européenne relative au statut et aux droits des
migrants environnementaux.
123. Un groupe de travail sur la protection et le relogement des
populations chassées par des perturbations environnementales devrait
être mis en place par le Conseil de l'Europe, en coopération avec
les institutions de l'Union européenne.
124. Enfin, une large coopération devrait s'instaurer sur de multiples
sujets de recherche, dont la météorologie, la géographie, les migrations,
le développement, la cohésion sociale et la santé, afin de mieux comprendre
et reconnaître les liens entre les forces environnementales et les
mouvements de populations. Il importe en outre de considérer favorablement
les initiatives pluridisciplinaires d’ONG pour sensibiliser le public et
les activités visant à intégrer des solutions à la migration environnementale
dans l’aide au développement.
Commission chargée du rapport:
commission des migrations, des réfugiés et de la population
Renvoi en commission: Doc. 11084, renvoi n° 3297 du 22 janvier 2007, modifié par renvoi
n° 3317 du 16 mars 2007
Projet de recommandation et projet
de résolutionadoptés à l’unanimité par la commission
le 11 décembre 2008
Membres de la commission: Mme
Corien W.A. Jonker (présidente),
M. Doug Henderson (1er vice-président), M.
Pedro Agramunt (2ème vice-président),
M. Alessandro Rossi (3ème vice-président),
Mme Tina Acketoft, M. Francis Agius, M. Ioannis Banias, Ms Donka
Banović, M. Márton Braun, M. André Bugnon, M. Mevlüt Çavuşoğlu, M. Sergej Chelemendik,
M. Vannino Chiti, M. Christopher Chope (remplaçant: M. Bill Etherington), M. Boriss Cilevičs,
Mme Minodora Cliveti, M. Telmo Correia, Mme Claire Curtis-Thomas, M. Ivica Dačić,
M. Taulant Dedja, M. Nikolaos Dendias, M. Arcadio DíazTejera,
M. Mitko Dimitrov, M. Karl Donabauer,
M. Tuur Elzinga, M. Valeriy Fedorov, M. Oleksandr Feldman, Mme Doris
Fiala, M. Bernard Fournier, M. Paul Giacobbi, Mme Gunn Karin Gjul,
Mme Angelika Graf, M. John Greenway (remplaçant: M. Humfrey Malins), M. Tony Gregory, M. Andrzej
Grzyb, M. Michael Hagberg,
Mme Gultakin Hajiyeva, M. Davit Harutyunyan (remplaçante: Mme Hermine Naghdalyan), M. Jürgen Herrmann,
M. Bernd Heynemann, M. Jean Huss, M. Ilie Ilaşcu, M. Tadeusz Iwiński, M. Mustafa Jemiliev, M. Tomáš Jirsa, M. Reijo
Kallio, M. Hakki Keskin, M. Guiorgui Kandelaki (remplaçant: M. David Darchiashvili), M. Egidijus Klumbys,
M. Ruslan Kondratov, M. Dimitrij Kovačič, M. Andros Kyprianou, M.
Geert Lambert, M. Younal
Loutfi (remplaçante: Mme Aneliya Atanasova),
M. Andrija Mandić, M. Jean-Pierre Masseret (remplaçant: M. Denis Jacquat), M. Slavko Matić, Mme
Ana Catarina Mendonça, M. Gebhard Negele, M. Hryhoriy Omelchenko, M. Morten Østergaard, M. Alexey
Ostrovsky, M. Grigore Petrenco, M. Cezar Florin Preda, M. Milorad
Pupovac, M. Frédéric Reiss, Mme Mailis Reps,
M. Gonzalo Robles Orozco (remplaçant: M. Gabino Puche), M. Giacomo Santini, Mme Michaela
Sburny, M. Samad Seyidov, M. Steingrímur J. Sigfússon, Mme Miet
Smet, M. Giacomo Stucchi, M. Vilmos Szabó,
M. Tuğrul Türkeş, Mme Özlem
Türköne, M. Michał Wojtczak, M. Marco Zacchera, M. Yury Zelenskiy,
M. Andrej Zernovski, M. Jiří Zlatuška
N.B.: Les noms des membres ayant pris part à la réunion sont
imprimés en caractères gras.
Secrétariat de la commission:M.
Lervik, M. Neville, Mme Odrats, M. Ekström