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Rapport | Doc. 12004 | 14 septembre 2009

L’eau: un enjeu stratégique pour le bassin méditerranéen

(Ancienne) Commission de l'environnement, de l'agriculture et des questions territoriales

Rapporteur : M. Bernard MARQUET, Monaco, ADLE

Origine - Renvoi en commission: Doc. 11582, renvoi N° 3448 du 29 mai 2008. 2009 - Quatrième partie de session

Résumé

A l’heure actuelle 3 milliards de personnes dans le monde n’ont pas accès à l’eau potable alors que l’eau est un élément indispensable à la vie.

L’Assemblée parlementaire constate que le changement climatique, la surexploitation des ressources hydriques, la déforestation, l’urbanisation galopante sont des éléments entraînant non seulement une diminution des ressources en eau mais également une pollution des rivières et des nappes phréatiques.

L’Assemblée est également persuadée que le manque d’eau créera des tensions et des conflits et rappelle que les civilisations et les sociétés se sont développées et installées en fonction de la présence de l’eau et des terres fertiles.

En conséquence, l’Assemblée recommande, entre autres, d’élaborer une législation sur le droit à l’eau et à l’assainissement, de développer les possibilités offertes par l’eau en tant que source d’énergie thermique, de promouvoir la coopération transrégionale et transfrontalière en matière d’eau, de mettre en place une culture et une éducation de l’eau.

L’Assemblée souhaite également poursuivre sa réflexion sur le rôle joué par l’eau dans les conflits.

A. Projet de résolution

(open)
1. Gardant à l’esprit que 3 milliards d’habitants dans le monde n’ont pas accès à l’eau potable, l’Assemblée parlementaire rappelle que l’eau constitue le grand défi de notre siècle.
2. L’Assemblée souligne que l’accès à l’eau doit être reconnu comme un droit de l’homme fondamental car l’eau est indispensable à la vie sur la planète et constitue un bien commun de l’humanité.
3. Elle rappelle toutefois que l’eau est également une source d’énergie renouvelable et une source d’énergie thermique, grâce à la chaleur permanente de la croûte terrestre.
4. L’Assemblée constate que ce sont avant tout les ressources en eau potable qui vont se raréfier de plus en plus, alors que les besoins s’accroissent, même si les trois-quarts de la planète sont recouverts d’eau.
5. L’Assemblée souligne également que le changement climatique risque également d’accroître la désertification, obligeant ainsi les hommes à se déplacer vers des lieux où l’eau est accessible.
6. Il en est de même de la surexploitation des ressources hydriques, de la déforestation, de l’agriculture intensive et de l’urbanisation galopante qui entraînent non seulement un manque d’eau mais également une pollution importante des rivières et des nappes phréatiques.
7. Selon une perception générale, le manque d’eau grandissant, les demandes concurrencielles sur les ressources en eau et la pollution pourraient exacerber le potentiel de conflit existant entre les Etats riverains, alors que les ressources en eau transfrontalières devraient être une opportunité de coopération plutôt qu’une source de conflit et un obstacle au développement.
8. Dans ce contexte, l’Assemblée est persuadée que le manque d’eau créera des tensions et selon certains experts les guerres du futur n’auront plus comme déclencheur l’accès au pétrole mais l’accès à l’eau et qu’il faudrait prendre des mesures obligeant les Etats à gérer en commun les rivières ou aquifères transfrontaliers. Des solutions durables devraient être obtenues par le biais des mesures d’instauration de confiance et d’une véritable coopération entre les pays riverains.
9. L’Assemblée constate que le stress hydrique est devenu une réalité, aussi bien au nord qu’au sud de l’Europe et souligne que ce problème deviendra de plus en plus crucial dans les régions du bassin méditerranéen, suite à la concentration de la population dans les villes côtières et à la surexploitation de la ressource en eau résultant du développement de secteurs d’activités tels que l’agriculture, le tourisme, les industries et l’augmentation de la consommation des ménages.
10. L’Assemblée rappelle que le déversement incontrôlé des eaux usées municipales, industrielles ou les eaux de pluie polluées affecte la santé de nombreuses personnes et engendre de lourdes pertes économiques, que ce soit au niveau des revenus ou des coûts de santé.
11. L’Assemblée rappelle, à cet égard, l’engagement des chefs d’Etat et de gouvernement des Etats membres du Conseil de l’Europe, à Varsovie, le 17 mai 2005 pour qu’il y ait un «droit de chacun de vivre dans un environnement sain et équilibré» et leur engagement à «améliorer la qualité de vie» des citoyens en développant des politiques environnementales intégrées dans une «perspective de développement durable».
12. L’Assemblée se réfère également aux propositions formulées par les parlements au Ve Forum mondial de l’Eau, le 19 mars 2009, au cours duquel les participants ont souligné l’importance du rôle joué par les parlementaires dans l’élaboration de règles concernant la gestion de l’eau, l’alimentation en eau, la généralisation du principe du droit à l’eau et la mise en œuvre de politiques de l’eau en tenant compte du changement climatique.
13. L’Assemblée regrette toutefois que la déclaration ministérielle d’Istanbul du 22 mars 2009 ne reconnaisse pas le droit à l’eau et à l’assainissement comme un droit humain.
14. Dans ce contexte, l’Assemblée se félicite de la décision prise à Istanbul d’organiser, sous les auspices de l’Assemblée parlementaire, une conférence sur les suites données au Ve Forum mondial sur l’eau et sur des propositions de thèmes qui feront l’objet du prochain forum.
15. L’Assemblée recommande par conséquent aux Etats membres et non membres et plus particulièrement aux pays du bassin méditerranéen:
15.1. de prendre les mesures nécessaires pour que chaque citoyen puisse avoir accès à l’eau et aux installations sanitaires;
15.2. de promouvoir la coopération transrégionale et transfrontière en matière d’eau;
15.3. de mettre en place une culture et une éducation de l’eau;
15.4. d’élaborer des politiques de coopération en encourageant le transfert de technologies vers les pays qui en ont le plus besoin, notamment en matière de dessalement de l’eau de mer et de retraitement des eaux usées;
15.5. de développer des programmes de recherche pour la mise en place d’une base de données européenne sur l’état des ressources en eau;
15.6. de développer les possibilités offertes par l’eau en tant que source d’énergie thermique ou source d’énergie renouvelable;
15.7. d’élaborer des programmes de gestion des ressources en eau, respectant l’environnement;
15.8. de décentraliser les systèmes de gestion des eaux en les confiant aux collectivités territoriales avec les moyens législatifs et financiers appropriés;
15.9. de mettre en place des centres de formation sur les métiers et les technologies de l’eau;
15.10. d’informer et d’associer les citoyens et, en particulier, les jeunes générations, en les responsabilisant;
15.11. de prendre des mesures pour généraliser les techniques d’assainissement de l’eau.
16. L’Assemblée recommande également au Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe:
16.1. de demander aux collectivités territoriales de procéder à une évaluation stricte des besoins en eau dans les communes et/ les régions et de prendre les mesures nécessaires pour établir un guide des bonnes pratiques dans ce domaine.
16.2. de favoriser les jumelages ou les accords de coopération entre collectivités locales pour renforcer l’échange et le partage des connaissances dans le domaine de l’eau.
17. L’Assemblée continuera à traiter cette question et poursuivra sa réflexion quant à l’élaboration d’une législation sur le droit à l’eau et à l’assainissement comme un droit humain, au rôle joué par l’eau dans les conflits, aux possibilités offertes par l’eau en tant que source d’énergie, aux nouvelles technologies agricoles en matière d’irrigation ainsi qu’aux conséquences du changement climatique sur l’eau.

B. Exposé des motifs par M. Marquet, rapporteur

(open)

1. Introduction 

1. L’eau va-t-elle manquer? Question cruciale car sans eau nulle vie n’est possible.
2. La planète en regorge pourtant et se voit même parfois menacée de débordements du fait de l’évolution de plus en plus nette du climat vers le réchauffement. Mais la menace de manque d’eau pèse surtout sur la qualité de l’eau potable puisque seulement une faible part d’eau douce est réellement accessible.
3. Contrairement à ce que laisse présager son image de continent très développé, l’Europe compte 41 millions de personnes n’ayant pas accès à un service sain d’eau potable, et 85 millions n’ayant pas accès à l’assainissement de base 
			(1) 
			Europe,
water and the world, 4e Forum
mondial de l’Eau, 2006..
4. La région du Moyen-Orient et de l’Afrique du nord (MENA), quant à elle,est de loin la plus pauvre en eau dans le monde, avec 1% de ressources en eau douce au niveau mondial pour 5% de la population mondiale. La gestion des ressources en eau y est d’autant plus difficile que 60% des cours d’eau de la région traversent plusieurs pays 
			(2) 
			Banque mondiale, 2003..
5. En raison du changement climatique et de l’augmentation de la demande en eau, les problèmes d’accès et de disponibilité se posent au Nord comme au Sud du bassin méditerranéen.
6. C’est la raison pour laquelle il devient urgent de modifier les méthodes de gestion de l’eau ainsi que celles concernant l’assainissement et d’arriver à une nouvelle culture de l’eau en équilibrant les considérations économiques, écologiques et sociales.

2. Le stress hydrique: une réalité

2.1. De grandes disparités géographiques

7. Le nord-ouest de l’Europe, très développé et humide, ne connaît pas le problème du manque d’eau. Ses pays se concentrent donc sur les aspects environnementaux et écologiques de la gestion de l’eau.
8. Le sud de l’Europe dispose de services d’eau et d’assainissement satisfaisants, malgré les sécheresses fréquentes, souvent associées à une diminution du niveau des nappes souterraines.
9. Dans les pays d’Europe centrale et d’Europe de l’est, les approvisionnements en eau sont souvent intermittents et de mauvaise qualité, la plupart des infrastructures étant en mauvais état.
10. Au Moyen-Orient et en Afrique du nord, les services d’eau potable sont souvent irréguliers, et la couverture de l’assainissement est insuffisante dans certains pays. Mais la menace la plus alarmante reste le déficit des ressources renouvelables en eau par rapport à la demande, qui devrait frapper cette région dans un futur immédiat.
11. Le Maroc, par exemple, est en train de courir vers une crise de l’eau. Il s’agit là en fait du revers de la médaille des performances économiques de ce pays. En effet, suite aux développements de certains secteurs d’activité, tels que l’agriculture, le tourisme, les industries, de grandes quantités d’eau ont été utilisées. A cela s’est ajoutée la consommation des ménages dans un pays en plein développement urbain.

2.2. La dégradation de la ressource

12. Dans l’ensemble de l’Europe et du bassin méditerranéen, la concentration de la population dans les villes côtières et l’augmentation de la demande conduisent à une surexploitation de la ressource en eau. Certaines nappes souterraines voient leur niveau diminuer de façon dramatique. Dans les zones côtières, cela résulte de plus en plus souvent en une inversion de l’écoulement entre les eaux continentales et marines, entraînant une salinisation irréversible des réserves d’eau douce.
13. Les échanges d’eau limités avec les océans ouverts rendent les mers de la région sensibles à la pollution, qui a augmenté de façon considérable depuis les années 70. Toutes ces mers sont polluées par des métaux lourds, des polluants organiques persistants, des microbes et des niveaux élevés d’eaux usées non traitées.
14. L’agriculture est la première cause de pollution en Europe et dans la région MENA. Les rejets de fertilisants agricoles contenant notamment des matières organiques, de l’azote et du phosphore sont responsables de l’eutrophisation qui touche de nombreuses masses d’eau. De plus, l’agriculture est le secteur qui consomme le plus d’eau, en particulier dans les pays méditerranéens.
15. Dans ce contexte, la Banque mondiale a publié un rapport alarmant sur la situation de l’eau au Maghreb et au Moyen-Orient et en appelle aux gouvernements de cette région d’entreprendre le plus rapidement possible les réformes politiques afin d’éviter de graves pénuries d’eau à l’avenir.
16. En Algérie, par exemple, autre grand pays du Maghreb qui est confronté à ce problème, le gouvernement a commencé à utiliser des ressources alternatives et a entrepris un vaste programme de dessalement d’eau de mer, programme qui devrait être opérationnel dans tout le pays d’ici la fin de l’année 2009.

2.3. Le rythme croissant des inondations et des sécheresses

17. Les modèles de simulation du changement climatique prévoient non seulement un assèchement des zones déjà arides, mais encore un accroissement de la fréquence et de la sévérité des événements hydrologiques extrêmes (inondations et sécheresses).
18. Depuis 1998, les inondations ont causé en Europe environ 700 morts, le déplacement d’environ un demi-million de personnes et 25 milliards d’euros de pertes économiques.
19. Les inondations peuvent également avoir de graves conséquences environnementales. Par exemple, des usines de traitement des eaux usées peuvent être inondées, ainsi que des usines contenant de grandes quantités de produits chimiques toxiques. Elles peuvent aussi détruire les zones humides et réduire la biodiversité.
20. Les sécheresses ont causé en Europe plus de 85 milliards d’euros de pertes durant ces 30 dernières années, avec une moyenne de 5.3 milliards d’euros par an entre 1991 et 2006. En 2003 le sud et l’ouest de l’Europe ont connu une vague de chaleur exceptionnellement longue et sans pluie, qui causa la mort de milliers de personnes, notamment du troisième âge. Au sud de la Méditerranée, la fréquence des années de sécheresse a augmenté sévèrement depuis 30 ans.

2.4. L’eau est aussi une source d’énergie

21. Il est bon de rappeler que l’eau est une source d’énergie renouvelable à ne pas négliger, que ce soit à partir des rivières, des lacs, mais également des vagues, des marées ou des courants marins.
22. C’est ainsi qu’au Nord de l’Ecosse a été installée une machine permettant de fournir de l’électricité aux petites îles qui en manquent et d’alimenter une usine de dessalement de l’eau de mer.
23. De son côté, une société britannique envisage d’utiliser des hydroliennes (sorte d’éoliennes sous-marines) qui utiliseraient les courants marins comme une hélice de bateau pour produire de l’électricité.
24. L’énergie produite à partir de l’eau est une énergie propre, renouvelable et a l’avantage de ne pas être consommatrice d’eau.
25. L’énergie de l’eau est gratuite mais limitée par la réserve d’eau disponible selon les pays. Si cette énergie est positive pour l’environnement, ses impacts peuvent parfois être lourds de conséquences lorsqu’il s’agit de créer des barrages ou des retenues d’eau artificielles.
26. L’eau peut également être une source d’énergie thermique, grâce à la chaleur permanente de la croûte terrestre. L’eau des aquifères ou l’eau des nappes profondes des bassins sédimentaires sont des eaux chaudes qui peuvent être utilisées pour le chauffage des habitations grâce à un système de pompage. Cette source d’énergie est encore peu utilisée et mériterait un examen plus approfondi.

2.5. Un exemple d’entraide: le transfert d’eau par voie maritime vers Barcelone

27. Un bateau-citerne contenant 36 000 m3 d’eau potable est arrivé le 21 mai 2008 à Barcelone. Durant quelques semaines, quelque 25 000 m3 supplémentaires ont été acheminés quotidiennement par voie maritime depuis Marseille, Fos-sur-Mer et Tarragone jusqu’à la capitale catalane, qui souffrait d’une raréfaction de la ressource en eau.
28. Cette mesure d’urgence résultait d’une sécheresse persistante au cours de l’hiver 2007-2008, qui a conduit à une baisse alarmante des réserves d’eau de la Catalogne. L’agglomération de Barcelone, qui abrite environ 5 millions d’habitants dans une zone géographique qui n’est arrosée par aucun fleuve à fort débit, était menacée de se retrouver face à une pénurie d’eau à la fin de l’été 2008, en pleine période d’affluence touristique, ce qui aurait entraîner d’importantes pertes économiques.
29. L’acheminement d’eau potable par voie maritime, envisagé depuis le mois de janvier 2008, avait déjà été mis en œuvre dans les années 80 depuis Marseille et Fos-sur-Mer, à destination de l’Espagne, l’Algérie et la Sardaigne. Dans le cas présent, six navires affrétés par la Société des eaux de Marseille et la Société du canal de Provence effectuaient les livraisons, au rythme de 63 voyages mensuels. Chaque mois, Barcelone devait recevoir 1,66 millions m3 d’eau potable, soit près de 6% de la consommation de la ville, pour un coût mensuel de 22 millions d’euros.
30. Cette solution très onéreuse était envisagée dans l’attente de la mise en fonctionnement de l’usine de dessalement d’eau de mer du Llobregat, au sud de Barcelone, qui fournira 200 000 m3 par jour à partir de fin 2009.
31. Certes ces transferts constituent une opportunité pour la région cédante de mieux utiliser une ressource surabondante à des fins économiques et commerciales, et d’entretenir la solidarité internationale. Mais ils suscitent de nombreuses réactions d’opposition de la part des élus locaux, des associations de protection de l’environnement et du public. La plupart des critiques s’adressent à l’imprévoyance des autorités espagnoles qui, au lieu de faire face avec fermeté à la crise structurelle de l’eau qui les frappe, surexploitent les réserves d’eau douce pour l’agriculture irriguée et le tourisme (golfs, piscines, hôtels).
32. Les autorités de la région avaient aussi envisagé des projets ambitieux d’approvisionnement en eau depuis d’autres bassins: construction d’un canal de 330 km pour acheminer l’eau depuis le Rhône, installation d’une canalisation de 62 km pour transvaser l’eau depuis le fleuve Ebre, au sud de Barcelone.
33. La mise en œuvre d’une gestion intégrée de la ressource en eau est une bien meilleure alternative. Elle permettrait de réduire les pertes élevées des réseaux et de mieux planifier l’allocation des ressources en eau, puisque le secteur primaire en prélève 73 % pour une contribution au PIB inférieure à 2 %. Une maîtrise de la demande suffirait à épargner le recours à des solutions extrêmes.

3. La réponse de l’Europe: une approche intégrée au niveau international

3.1. La Gestion intégrée de la ressource en eau

34. La Gestion intégrée de la ressource en eau (GIRE) est une notion apparue après les conférences internationales de Dublin et Rio de Janeiro en 1992. Le Global Water Partnership la définit comme «un processus qui encourage la mise en valeur et la gestion coordonnée de l’eau, des terres et des ressources associées en vue de maximiser le bien-être économique et social d’une manière équitable sans compromettre la durabilité d’écosystèmes vitaux» 
			(3) 
			GWP, 2001..
35. En Europe, elle trouve ses racines dans les Confédérations hydrographiques mises en place par l’Espagne en 1926, les Agences de l’eau établies en France en 1964, la prise en compte du maintien de la qualité de l’eau par les Comités de l’eau néerlandais dans les années 1980, et la mise en place de commissions internationales de rivières (par exemple la Commission internationale pour la protection du Rhin en 1950).
36. L’unité naturelle pour la gestion de la ressource est le bassin versant 
			(4) 
			Le bassin
hydrographique, ou bassin versant, est une zone dans laquelle toutes
les eaux de pluie convergent à travers un réseau de rivières, fleuves
et lacs vers la mer dans laquelle ils se déversent par un seul estuaire., car il est le territoire à l’échelle duquel une gestion de l’ensemble des ressources en eau est pertinente, et ce quelle que soit la taille ou le caractère transfrontalier du bassin.
37. Le premier objectif de la GIRE est de maintenir le respect des équilibres naturels liés à l’eau, en évitant les prélèvements excessifs et les pollutions. Au niveau d’un bassin versant, chaque usage de l’eau en un point donné a un impact sur un autre usage en aval. C’est pourquoi tous les secteurs (agriculture, industrie, tourisme, navigation, etc.) qui génèrent des nuisances pour les ressources en eau doivent prendre en considération l’incidence de leur développement sur ces dernières. La GIRE s’appuie sur la comptabilisation économique de tous les impacts, en la répercutant dans une tarification appropriée.
38. Le second objectif de la GIRE est de développer et maîtriser la mobilisation de la ressource, tout en assurant une allocation équitable entre les différents usagers. D’une part, l’expérience de l’approvisionnement en eau potable et assainissement dans le monde montre que le développement des infrastructures ne peut être rendu économiquement viable que par l’adoption d’une politique de recouvrement des coûts. D’autre part, la maîtrise de la demande en eau nécessite que le coût réel de l’exploitation de la ressource et de ses impacts environnementaux se ressente dans la facture de l’usager. Il est alors indispensable que soit mise en place une tarification qui tienne compte des volumes d’eau consommés et qui assure la couverture de l’essentiel des charges supportées par l’exploitant.
39. Le choix d’une telle approche intégrée pose de nombreuses questions sur les parties prenantes à mobiliser pour les prises de décision, ainsi que sur les modes de participation. En effet, la gestion intégrée ne peut avoir de succès que si tous les acteurs concernés (élus, exploitants, associations d’usagers, etc.) sont informés et impliqués le plus en amont possible des projets ou programmes d’aménagement et associés dans la définition des politiques.

3.2. La coopération transfrontalière

40. Au niveau mondial, il n’existe pas d’obligation de coopération obligeant les États à gérer en commun les rivières ou aquifères transfrontaliers. Des conventions internationales, négociées au cas par cas, existent dans certains cas et apportent une solution au problème.
41. L’Europe compte 73 bassins versants transfrontaliers 
			(5) 
			UNESCO, 2002. L’adoption d’une approche de GIRE au niveau d’un tel bassin passe forcément par le rapprochement des pays ayant une partie de leur territoire située sur ce bassin. Historiquement, de nombreux accords de gestion transfrontalière de la ressource en eau ont été signés entre les pays européens. C’est le cas notamment des efforts entrepris pour prévenir les inondations dans le bassin du Rhin et celui de l’Elbe.
42. La mise en place d’une gestion transfrontalière des ressources en eau se heurte généralement à la difficulté de rassembler les principales parties prenantes autour d’un consensus. Il est souvent nécessaire de promouvoir les bénéfices qu’apporte une telle coopération. Dans ce contexte, l’aspect politique et culturel est crucial: développements géopolitiques, politiques nationales de gestion de l’eau, etc. L’appui des organismes régionaux comme l’Union européenne est important pour surmonter ces obstacles.

3.3. Un exemple: la gestion transfrontalière du bassin du Danube

43. À la veille de la Première Guerre mondiale, l’empire austro-hongrois était de loin le principal pays du bassin du Danube, mais en 1918-1919, il fut démembré et de nouveaux pays furent créés. Suite à la Seconde Guerre mondiale, la plupart de ces pays, mis à part l’Allemagne et l’Autriche, devinrent membres du bloc soviétique. Après la chute du communisme en 1989, l’URSS, la Tchécoslovaquie et la Yougoslavie furent démembrées, et le bassin du Danube devint le bassin le plus international au monde, avec dix-huit pays.
44. La coopération internationale démarra en 1856 avec le Traité de Paris, qui institua une Commission européenne du Danube dont le rôle était de garantir la libre navigation sur le fleuve. Après la seconde Guerre mondiale, cette notion de «libre circulation» fut remplacée par celle de «navigation sous contrôle» par la Convention de Belgrade en 1948. Jusqu’en 1990, les pays riverains du Danube étaient partagés entre les blocs soviétique et occidental, et leurs niveaux économiques étaient très disparates, c’est pourquoi les accords bilatéraux ont prédominé durant cette période. Toutefois, les pays du Danube se rassemblèrent en 1986 autour de la Déclaration de Bucarest, qui fixa des objectifs d’amélioration et de contrôle de la qualité des eaux.
45. En 1991, suite aux changements politiques majeurs intervenus en Europe centrale et orientale, les États danubiens se réunirent à Sofia pour mettre en place le Programme environnement du bassin versant du Danube (EPDRB), avec l’assistance de la communauté internationale et en particulier l’Union européenne. Cette démarche aboutit en 1994 à la signature par tous les pays riverains d’une Convention de protection du Danube (DRCP), qui établit un cadre de gestion intégrée de la ressource en eau:
  • gestion durable et équitable de l’eau, prenant en compte la préservation des ressources;
  • contrôle des risques de pollutions accidentelles et d’événements extrêmes;
  • réduction de la charge polluante.
46. Cette convention fut ratifiée en 1998 et la première réunion de la Commission internationale (ICPDR) fut tenue à Vienne au mois d’octobre. Le programme d’action collective (JAP) de cette Commission définit les mesures à prendre pour la période 2001-2005, afin d’atteindre les objectifs fixés par la Convention sur la protection.
47. L’évolution politique la plus récente du bassin du Danube fut l’accession de plusieurs pays riverains à l’Union européenne.

3.4. La Directive cadre sur l’eau

48. Le dispositif actuel de gestion de l’eau dans l’Union européenne est l’aboutissement d’un cheminement politique vieux d’une trentaine d’années et d’une demande de plus en plus pressante des citoyens de pouvoir jouir d’un environnement de qualité et d’une sécurité accrue en matière de santé publique. La première vague de législation a eu lieu dans les années 70 avec des directives fixant des objectifs de qualité en fonction des usages. La seconde phase, dans les années 90, a consisté à lutter contre le déversement de substances polluantes dans les milieux aquatiques, encourageant ainsi la réalisation d’investissements qui ont permis d’améliorer significativement la qualité de l’eau.
49. L’Union européenne s’est dotée en 2000 d’un nouveau cadre de travail unique: la Directive Cadre sur l’Eau (DCE) établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l’eau. L’ambition des 27 Etats membres est d’atteindre un bon état écologique des eaux 
			(6) 
			Une eau
« en bon état écologique » est une eau qui garantit la santé humaine
et qui préserve la vie animale et végétale. C’est donc une eau sans
produits toxiques, disponible en quantité suffisante pour tous les
usages. dès 2015. Cette approche est également mise en œuvre par les pays associés et les pays en accession, totalisant ainsi près de 10% de la population mondiale.
50. La DCE répond de façon innovante au besoin d’une approche intégrée. Elle prend en compte le cycle de l’eau dans son ensemble et tente de concilier les besoins de tous les usagers de l’eau. Elle fixe des objectifs de résultats en mettant l’accent essentiellement sur la qualité de l’eau et l’écologie. Elle inclut la nécessité d’adresser les problèmes d’inondations et de sécheresses.
51. Toutefois la DCE éprouve des difficultés de mise en œuvre. Bien que les objectifs qu’elle fixe soient reconnus comme étant réalistes, leur atteinte a un coût élevé et prend plus de temps que prévu dans certains pays.
52. Les principes de la DCE sont universellement applicables. Elle ne tient cependant pas compte du rôle que peut avoir l’eau en tant que moteur du développement social et économique. En effet, elle ignore certains aspects fondamentaux de la GIRE comme la gestion de la demande, l’efficience de l’utilisation de l’eau, la pauvreté et les problèmes de genre. Etant donné l’importance qu’elle accorde à l’état écologique des eaux et les coûts élevés qu’elle occasionne, la DCE peut être considérée comme une «bonne pratique» adaptée aux pays très industrialisés d’Europe, mais qui ne pourrait pas s’exporter sous sa forme actuelle aux pays en développement.
53. Les principes fondamentaux de la DCE sont:
  • le recours à une approche par bassins versants;
  • les principes de précaution et d’action préventive;
  • le recouvrement des coûts liés à l’usage de l’eau;
  • le principe du pollueur-payeur;
  • la prise de décisions au niveau le plus proche possible des lieux où l’eau est utilisée ou affectée;
  • une approche combinée pour contrôler la pollution à la source;
  • l’implication du public.
54. La DCE oblige les États membres à produire un plan de gestion pour les bassins transfrontaliers et à mettre les moyens en commun pour le définir et l’appliquer.
55. Elle introduit une approche socio-économique qui exige que soient identifiés en premier lieu les usages de l’eau (activités ludiques, AEP, irrigation, industrie, etc.), et d’évaluer l’impact économique de ces usages.
56. Elle impose qu’un rapport soit présenté, répondant aux 3 questions suivantes au niveau du bassin versant:
  • les prix actuels couvrent-ils les coûts opérationnels et de renouvellement du service?
  • les pollueurs paient-ils des amendes équivalentes au coût des dommages environnementaux qu’ils occasionnent?
  • comment les coûts sont-ils répartis entre les différents secteurs économiques?
57. La directive comprend une exigence de transparence (qui paie quoi et pourquoi?), mais n’insiste pas sur le recouvrement total des coûts. Pour des raisons sociales, économiques et environnementales, elle autorise le maintien de mécanismes de subventions et de transferts financiers.
58. Les premiers plans de gestion seront définis en 2009, puis tous les 6 ans.

3.5. La solidarité

59. Les exigences de recouvrement des coûts et le recours au principe du «pollueur-payeur» peuvent constituer une menace pour la capacité à payer de certains usagers. Des mécanismes de solidarité sont habituellement mis en place à différents niveaux pour répartir ou alléger la répercussion du coût des infrastructures et de l’exploitation sur la facture des usagers.
60. Au niveau local, les autorités responsables de l’eau appliquent fréquemment le même tarif à toutes les personnes de la zone qu’elles couvrent, afin que les usagers individuels dont les services d’eau et d’assainissement sont plus coûteux que la moyenne (par exemple parce que leur domicile est éloigné du reste de la communauté) ne paient pas plus que leurs voisins. Mais il est d’usage d’établir des distinctions entre les usages domestique et professionnel, pour s’assurer que les gros consommateurs (industrie, agriculture, etc.) paient un coût au mètre cube plus élevé.
61. Au niveau national ou régional, des systèmes de tarification peuvent être mis en place pour harmoniser les coûts entre les zones rurales et urbaines, ou entre les villes disposant de bonnes infrastructures et celles qui nécessitent une réhabilitation. Par exemple, il est courant d’imposer des leviers discrétionnaires sur les factures d’eau suivant leur localisation, le volume consommé, etc.
62. Au niveau international, l’Union européenne a mis en place d’importants programmes d’investissement solidaires dans les nouveaux et les futurs États membres 
			(7) 
			Via
le «Fonds de cohésion» pour les nouveaux États membres et l’«Instrument
structurel de préadhésion» (ISPA) pour les potentiels futurs États
membres.. Ces programmes soutiennent les autorités responsables de l’eau de ces pays dans la construction des infrastructures qui leur permettront de se conformer aux réglementations européennes. L’aide officielle au développement (ODA), bilatérale et multilatérale, constitue une forme supplémentaire de solidarité transfrontalière 
			(8) 
			EuropeAid, EU Water
Initiative, EAP Task Force..
63. Certaines actions décentralisées peuvent également constituer une source de financement pour les projets en matière d’eau, comme le jumelage de villes de différents pays, ou bien les réseaux européens d’autorités locales tels que le Conseil des communes et régions d’Europe (CCRE).

4. L’eau au Maghreb: comment préserver une ressource aussi rare?

4.1. La menace de déficit hydrique

64. La situation du secteur de l’eau est particulièrement préoccupante au Maghreb. Le Maroc, l’Algérie et la Tunisie connaissent aujourd’hui un stress hydrique, conséquence d’une forte croissance de la population au cours des 30 dernières années, d’une amélioration des niveaux de vie de leurs habitants et de politiques économiques qui ont marginalisé la question de l’eau.
65. Les hydrologues s’accordent pour dire que les pays dont la disponibilité en eau douce renouvelable est inférieure à 1700 m3 par habitant et par an connaîtront des épisodes de déficit de la ressource, voire un déficit chronique si cette disponibilité est inférieure à 1000 m3 par habitant et par an 
			(9) 
			IDRC 1996.. L’Algérie et la Tunisie sont gravement menacées, avec des disponibilités en eau respectives de 800 et 480 m3 par habitant et par an. Toutefois, bien qu’il dispose de 1800 m3 d’eau douce renouvelable par habitant et par an 
			(10) 
			FAO Aquastat 2008 &
2002., le Maroc risque fort d’être également affecté.
66. Certes les pays du Maghreb ont réalisé de nets progrès en termes d’accès aux services d’eau et d’assainissement, avec une couverture moyenne de 84% de la population pour l’eau potable et 83% pour l’assainissement 
			(11) 
			OMS
& UNICEF Joint Monitoring Programme for Water supply and sanitation
2004.. Mais en cas de déficit chronique de la ressource en eau, la situation pourrait régresser.
67. Les grands volumes utilisés pour l’irrigation font de l’agriculture le principal consommateur d’eau (80%), loin devant l’usage domestique (14%) et l’industrie (6%). Ces chiffres traduisent une insuffisance de l’approvisionnement des ménages en eau potable et un certain retard dans le développement de l’industrie par rapport aux pays très développés. Mais surtout, ils mettent en évidence la priorité qui doit être accordée à la rationalisation de l’usage de l’eau à des fins d’irrigation, qui représente à lui seul une consommation de 38% de la totalité des ressources renouvelables en eau de la région 
			(12) 
			FAO Aquastat
2000..

4.2. Augmenter l’offre, réduire la demande

68. Dans ce contexte menaçant de stress hydrique, les pays du Maghreb n’ont d’autre choix que de prendre les mesures nécessaires pour augmenter l’offre et réduire la demande en eau.
69. Bien que les disponibilités renouvelables en eau douce soient limitées, il existe des moyens pour augmenter significativement l’offre d’eau.
70. Le premier consiste à traiter les eaux usées à un niveau suffisant pour les réutiliser dans l’irrigation. D’une part, cette ressource est disponible en quantités croissantes du fait du développement des villes, du tourisme et de l’industrie. D’autre part, les eaux traitées contiennent des composés organiques qui couvrent les besoins nutritifs de la majorité des cultures, ce qui permet une diminution des coûts de production agricole liés à l’usage de fertilisants.
71. L’offre en eau peut également être augmentée par le recours aux eaux saumâtres. Des programmes d’exploitation sont déjà en cours, qui s’accompagnent d’un effort de recherche pour réduire les risques d’endommagement de l’aquifère et des sols, liés à la salinité de l’eau.
72. Enfin, le dessalement de l’eau de mer est une solution qui offre les perspectives d’une ressource illimitée en eau. Cette technique est déjà à l’œuvre en Algérie (17 millions de m3 en 2002), en Tunisie (13 millions de m3 en 2001) et au Maroc (7 millions de m3 en 2000), mais elle est très coûteuse de par sa forte consommation d’énergie et ne peut donc pas se substituer à la ressource en eau douce.
73. Il existe cependant de nombreuses mesures à prendre pour réduire la demande en eau. En particulier, une meilleure maintenance des réseaux de distribution d’eau potable permettrait de diminuer considérablement les pertes d’eau liées aux fuites. Les systèmes tarifaires doivent être revus pour inciter les usagers à l’économie de l’eau. Des campagnes de sensibilisation peuvent renforcer cette responsabilisation du public. Enfin, une optimisation des systèmes de drainage entraînerait une réduction significative des prélèvements agricoles.

4.3. La nécessité d’une coopération internationale

74. La préservation de la ressource en eau du Maghreb requiert nécessairement la mise en œuvre de programmes au niveau de la région.
75. Les sols du Maghreb sont sujets à une forte érosion, notamment due aux précipitations survenant après de longues périodes de sécheresse. Cette érosion des sols a des conséquences graves sur l’état des ressources en eau: envasement des retenues d’eau, disparition des couches fertiles du sol, recharge insuffisante de l’aquifère. Les pays du Maghreb doivent donc mettre en place un schéma directeur de préservation des sols et de la ressource en eau, dont les composantes principales seraient la reforestation de certaines zones, l’aménagement de nouvelles retenues d’eau, la recharge des nappes et l’identification des zones propices à l’abstraction ou à la dispersion de l’eau.
76. Une restructuration stratégique du secteur de l’irrigation pourrait conduire à une allocation optimale des ressources en eau, notamment en privilégiant parmi les cultures à forte valeur ajoutée, celles qui consomment le moins d’eau. L’expérience du Maghreb montre que la privatisation du secteur, ou du moins l’augmentation de l’autonomie organisationnelle et financière de ses organismes publics, conduit naturellement à un usage plus rentable et plus économe de l’eau. En outre, il est possible d’impliquer les usagers dans le développement et la maintenance de leurs réseaux d’irrigation, au travers de la création d’associations d’usagers.
77. Dans les pays du Maghreb, le secteur de l’eau est organisé de telle façon que chaque usage de l’eau (irrigation, eau potable, assainissement) est géré par un office central, soumis à des règles rigides, fonctionnant indépendamment des autres offices, et accordant très peu d’intérêt à la rentabilité de leur activité. Chacun de ces sous-secteurs étant fragmenté entre des monopoles publics indépendants et des organismes publics qui ont des objectifs sociaux et politiques, la gestion du secteur de l’eau est déficiente et caractérisée par un fort suremploi. Il serait extrêmement bénéfique de restructurer ce secteur de manière décentralisée, c’est-à-dire que la gestion des services d’eau serait effectuée au niveau local par des organismes publics autonomes ou des entreprises privées.
78. Enfin, les pays du Maghreb devront unir leurs efforts de recherche, afin de développer ensemble des solutions technologiques et stratégiques à la mesure de leurs problèmes de gestion de la ressource en eau.
79. L’ensemble de ces recommandations relève de la gestion intégrée des ressources en eau. La résolution des problèmes des pays du Maghreb en termes de stress hydrique et d’accès aux services d’eau peut donc s’inspirer de l’approche européenne de coopération internationale, tout en bénéficiant du soutien de l’Union européenne.

5. Des solutions possibles

5.1. L’assainissement, une nécessité

80. Le déversement incontrôlé des eaux usées municipales (y compris les eaux industrielles et les eaux de pluie polluées) affecte la santé de nombreuses personnes et engendre de lourdes pertes économiques. Cette pratique endommage les écosystèmes aquatiques et pollue les océans, ce qui résulte en une contamination de l’approvisionnement et des ressources en eau. Cela induit des morts massives de poissons et une diminution du tourisme et génère des maladies véhiculées par l’eau et la nourriture, ce qui implique des pertes de revenus et des augmentations des coûts de santé et de traitement de l’eau potable.
81. Aujourd’hui encore, l’Europe traite moins de 50% de la pollution de ses eaux usées urbaines.
82. Au sud de la Méditerranée, des efforts conséquents ont été déployés pour apporter des services d’approvisionnement en eau à une large partie de la population. Cela a entraîné une augmentation importante des problèmes de qualité de l’eau associés au rejet des eaux usées.
83. L’Union européenne a adopté en 1991 une Directive sur le traitement des eaux urbaines résiduaires, qui encourage les gouvernements nationaux, les autorités locales et les industries à accorder plus d’importance à la réduction de la pollution. Cette directive, basée sur la performance, décrète que toutes les agglomérations de plus de 2000 habitants doivent avoir un système de traitement des eaux usées, et qu’avant 2005, toutes les eaux usées urbaines déversées dans des zones menacées d’eutrophisation doivent être épurées de tout azote ou phosphore.
84. La directive encourage également les progrès en matière de technologies et de pratiques d’assainissement, y compris l’amélioration de l’intégration des stations de traitement dans l’environnement, un meilleur contrôle de la pollution des eaux de pluie et l’amélioration des réseaux existants et de la gestion des inondations.
85. Le coût d’application de cette directive était estimé à 12 milliards d’euros d’investissement pour les 12 États membres. Ces coûts d’investissement sont élevés et les États membres éprouvent des difficultés à les financer. La Commission européenne a intenté de nombreuses actions en justice contre les pays qui n’ont pas atteint les objectifs fixés par la directive: Espagne, Suède, France, Belgique, Grèce.
86. Dans la région MENA, de manière générale, les investissements dans le secteur de l’assainissement accusent un retard d’une dizaine d’années sur l’approvisionnement en eau potable. Les finances publiques sont déjà trop sollicitées par les services d’eau potable pour financer des investissements appropriés dans la collecte et le traitement des eaux usées.
87. Dans de nombreux pays de la zone Europe et du bassin méditerranéen, les services d’assainissement sont facturés à des tarifs insuffisants pour couvrir les investissements nécessaires à la préservation de l’environnement et au maintien de la qualité des eaux. L’expérience montre qu’il est difficile d’augmenter ces tarifs, car la disposition à payer des usagers de ces services est bien plus faible que pour l’eau potable.
88. Certes l’assainissement coûte cher, comme nous l’avons évoqué ci-dessus. Mais le coût de l’absence d’assainissement est en réalité bien plus élevé.
89. Depuis 1991, l’investissement de capitaux dans le contrôle de la pollution des eaux urbaines résiduaires dans l’UE a engendré des bénéfices considérables pour la santé, le tourisme et la réhabilitation des ressources en eau. Les travaux mis en œuvre ont également créé des emplois, en particulier au sein des services et des entreprises qui se sont développés pour exploiter les nouvelles infrastructures.

5.2. Une bonne gestion: condition préalable

90. Une gestion holistique de l’eau douce en tant que ressource limitée et vulnérable et l’intégration de programmes et de plans sectoriels sur l’eau dans le cadre de la politique économique et sociale sont d’une importance primordiale.
91. En Europe, les activités économiques ont entraîné une augmentation substantielle des besoins en eau, le déclin des forêts a augmenté la fréquence et la force des tempêtes, entraînant des crues plus fréquentes et des glissements de terrain.
92. Il faut souligner également le rôle non négligeable joué par les montagnes. En effet, les montagnes constituent des zones d’intense érosion et de concentration rapide des eaux formant ainsi des crues et des inondations ayant des conséquences ravageuses dans les plaines.
93. La gestion des eaux douces est depuis plusieurs années un sujet de grande préoccupation dont l’enjeu est capital.
94. Il est donc indispensable que les Etats adoptent une approche coordonnée visant à développer un mécanisme de coopération qui prendrait en compte les différents éléments nécessaires pour arriver à une stratégie viable.
95. Une utilisation intelligente et une gestion cohérente des ressources en eau apparaissent donc nécessaires pour pouvoir garantir le plus rapidement possible un accès universel à ces ressources qui sont vitales pour l’homme.
96. Il faut dont agir très vite et prendre les mesures visant à arriver à une gestion équilibrée de l’offre et de la demande en mettant en place des infrastructures permettant d’avoir une utilisation optimale de l’eau.
97. Les Etats devraient tous être dotés d’une législation portant sur une gestion saine des ressources en eau.

6. Conclusions et recommandations

98. L’eau constitue le grand défi de notre siècle. Sans une eau saine, l’homme n’a le choix que de mourir de faim, de soif ou de maladie ou de fuir. L’accès à une eau saine donne la possibilité à tout être humain de vivre dignement.
99. Même si la planète est recouverte aux trois-quarts d’eau, elle manque toutefois d’eau potable. Il s’agit donc véritablement de la survie humaine.
100. Dans ce contexte, l’Assemblée Parlementaire rappelle l’engagement des Chefs d’Etat et de gouvernement des Etats membres du Conseil de l’Europe à Varsovie, le 17 mai 2005, pour qu’il y ait un «droit de chacun de vivre dans un environnement sain et équilibré» et leur engagement à «améliorer la qualité de vie» des citoyens en développant des politiques environnementales intégrées dans une «perspective de développement durable».
101. La reconnaissance de l’accès à l’eau comme un droit de l’homme fondamental pourrait ainsi être un outil précieux pour s’assurer que chaque individu puisse avoir accès à une quantité suffisante d’eau.
102. Pour ce faire, il est donc indispensable de mettre en place une véritable culture de l’eau et d’instaurer une solidarité étatique par rapport à l’eau.
103. En conclusion, l’Assemblée parlementaire recommande aux Etats membres et non membres du Conseil de l’Europe:
  • de prendre les mesures nécessaires pour que chaque citoyen puisse avoir accès à l’eau et aux installations sanitaires;
  • de soutenir et de développer des programmes de recherche pour la mise en place d’une base de données sur l’état des ressources en eau;
  • d’améliorer ou, s’ils ne l’ont pas encore fait, d’instaurer la gouvernance relative à l’eau et d’élaborer des programmes de gestion efficace de ressources en eau;
  • créer un réseau d’information pour la gestion des ressources en eau, qui permettrait également de regrouper les différents travaux menés sur le plan mondial;
  • de décentraliser les systèmes de gestion des eaux pour les confier aux collectivités territoriales en leur donnant les moyens législatifs et financiers appropriés;
  • mettre en place des campagnes d’information et de prévention des citoyens et surtout auprès des jeunes générations;
  • d’associer le plus possible les utilisateurs en les responsabilisant;
  • prendre des mesures pour généraliser les techniques d’assainissement de l’eau;
  • de prendre des mesures pour le traitement des eaux usées et d’en étudier leur impact sur le milieu marin;
  • d’étudier les possibilités d’utilisation des sols après le dessalement;
  • d’examiner les possibilités d’utiliser au mieux l’eau en tant qu’énergie hydraulique et thermique;
  • d’examiner plus attentivement le rôle joué par l’eau dans les conflits;
  • d’examiner les conséquences du changement climatique sur l’eau.
104. L’Assemblée parlementaire recommande également au Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe de demander aux collectivités locales de procéder à une évaluation stricte des besoins en eau dans les communes et de prendre les mesures nécessaires pour établir un guide des bonnes pratiques dans ce domaine.

***

Commission chargée du rapport: commission de l’environnement, de l’agriculture et des questions territoriales

Renvoi en commission: Doc. 11582, renvoi N° 3448 du 29 mai 2008

Projet de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 4 septembre 2009

Membres de la commission: M. Alan Meale (Président), Mme Maria Manuela de Melo (1re Vice-Présidente), M. Juha Korkeaoja (2e Vice-président), M. Cezar Florin Preda (3e Vice-président), M. Remigijus Ačas, M. Ruhi Açikgöz, M. Artsruni Aghajanyan, M. Miloš Aligrudić, M. Alejandro Alonso Nùñez (remplaçant: M. Gabino Puche Rodriguez Acosta), M. Gerolf Annemans, M. Miguel Arias Cañete, M. Alexander Babakov, M. Ivan Brajović, Mme Elvira Cortajarena Iturrioz, M. Veleriu Cosarciuc, M. Vladimiro Crisafulli, M. Taulant Dedja, M. Hubert Deittert, M. Karl Donabauer, M. Miljenko Dorić, M. Gianpaolo Dozzo, M. Tomasz Dudziński, M. József Ékes, M. Savo Erić, M. Bill Etherington, M. Nigel Evans, M. Joseph Falzon, M. Relu Fenechiu, M. Zahari Georgiev, M. Peter Götz, M. Rafael Huseynov, M. Jean Huss, M. Fazail Ibrahimli, M. Ivan Ivanov, M. Igor Ivanovski, M. Bjørn Jacobsen, Mme Danuta Jazłowiecka, M. Birkir Jon Jonsson, M. Stanisław Kalemba, M. Guiorgui Kandelaki, M. Haluk Koç, M. Bojan Kostres, M. Pavol Kubovic, M. Paul Lempens, M. Anastosios Liaskos, M. François Loncle, M. Aleksei Lotman, Mme Kerstin Lundgren (remplaçant: M. Kent Olsson), M. Theo Maissen, Mme Christine Marin, M. Yevhen Marmazov, M. Bernard Marquet, M. José Mendes Bota, M. Peter Mitterrer, M. Pier Marino Mularoni, M. Adrian Năstase, M. Pasquale Nessa, M. Tomislav Nikolić, Mme Carina Ohlsson, M. Joe O’Reilly, M. Germinal Peiro (alternate: M. Alain Cousin), M. Ivan Popescu, M. René Rouquet, Mme Anta Rugāte, M. Giacento Russo, M. Fidias Sarikas, M. Leander Schädler, M. Herman Scheer, M. Mykola Shershun, M. Hans Kristian Skibby, M. Ladislav Skopal, M. Rainder Steenblock, M. Valerij Sudarenkov, M. Laszlo Szakacs, M. Vyacheslav Timchenko, M. Bruno Tobback (remplaçant: M. Daniel Ducarme), M. Dragan Todorovic, M. Nikolay Tulaev, M. Tomas Ulehla, M. Mustafa Ünal, M. Peter Verlič, M. Rudolf Vis, M. Harm Evert Waalkens, M. Hansjörg Walter, Mme Roudoula Zissi

N.B.: Les noms des membres qui ont participé à la réunion sont indiqués en gras

Secrétariat de la commission: Mme Agnès Nollinger, M. Bogdan Torcătoriu et Mme Dana Karanjac