1. Introduction
1. Chaque année, des millions de femmes sont violées
par leur mari, leur compagnon ou ex‑compagnon, un proche ou une
connaissance de sexe masculin, ou un parfait étranger
. La majorité de ces agressions restent,
pourtant, dans le domaine du secret et sont impunies.
2. La violence à l’égard des femmes, notamment la violence sexuelle,
constitue une atteinte grave à l’intégrité physique et psychique,
mais également au droit à la liberté, à la sécurité et à la dignité
de tout être humain. Même maintenant que la campagne du Conseil
de l’Europe pour combattre la violence à l’égard des femmes, y compris
la violence domestique, a pris fin
,
il importe que l’Europe reste à l’avant‑poste de la lutte contre
la violence à l’égard des femmes, dont le viol est l’une des pires
formes.
3. En juin 2007, j’ai présenté, avec plusieurs de mes collègues,
une proposition de résolution sur le sujet du «viol marital». Cette
proposition a été renvoyée à la commission sur l’égalité des chances
pour les femmes et les hommes pour rapport et j’ai été nommée rapporteuse
en octobre 2007. A la suite de la discussion au sein de notre commission
au sujet de mon projet de rapport sur le viol marital, j’ai proposé,
dans ma note introductive, d’élargir le champ d’application du présent
rapport pour y inclure toutes les formes de viol et de violence
sexuelle, avec trois exceptions: la violence sexuelle en situation
de conflit armé, sur laquelle notre collègue, Mme Smet,
a élaboré un rapport
, les agressions
sexuelles liées aux «drogues du viol», sur lesquelles la commission
a déjà présenté un rapport auquel je n’ai rien à ajouter
, et les abus
sexuels sur les enfants, sur lesquels porte une Convention du Conseil
de l’Europe qui, espérons-le, entrera prochainement en vigueur
.
La commission a souscrit à cette proposition qui a entraîné une
modification du titre, à sa réunion à Paris en mars 2009. Dans l’intervalle,
la commission a présenté un avis à la partie de session de juin
2009 sur «la situation des droits de l’homme en Europe: la nécessité
d’éradiquer l’impunité», qui porte également sur le viol
. Je souhaite présenter le
rapport à l’Assemblée au cours de sa partie de session d’automne
2009, et je tiens à axer celui‑ci sur le viol des femmes, ce qui
nécessiterait un nouveau changement de titre.
2. Définition
et conséquences
4. Toute agression sexuelle, mais plus particulièrement
le viol, constitue un crime inexcusable qui fait subir à la victime
un grave traumatisme physique et psychologique. C’est une atteinte
à la dignité et à l’intégrité d’une personne. Malheureusement, les
viols sont parmi les crimes les moins dénoncés d’Europe
. Ainsi que l’a expliqué
Mme Damanaki dans son rapport, «de nombreuses
victimes n’osent pas se manifester dans une société où les réactions
face au viol reposent encore en grande partie sur des mythes qui
minimisent sa gravité et ne condamnent pas ses auteurs»
. Les mythes courants
qu’elle cite sont les suivants: «seuls certains types de femmes
subissent des viols (celles qui ont des partenaires sexuels multiples
ou qui manquent de discernement); les femmes provoquent les viols
par leur manière de s’habiller
ou leurs
attitudes; les hommes commettent des viols parce qu’ils sont excités
sexuellement ou «en manque» (en fait, ils commettent des viols pour
dominer et humilier)».
5. Les ONG actives dans ce domaine donnent plusieurs raisons
au fait que tant de viols ne sont pas dénoncés, raisons liées aux
mythes cités ci-dessus: la honte et l’embarras, la crainte d’être
blâmée, celle de ne pas être crue
,
la méfiance à l’égard de la police/des tribunaux/du système judiciaire,
la peur que la famille et les amis soient mis au courant, que les
faits soient révélés publiquement et entraînent une stigmatisation, la
crainte de représailles/d’autres agressions, ou encore le doute
sur la perpétration de l’infraction. Le signalement à la police
peut constituer une décision vraiment difficile. Il existe de nombreux
mythes sous‑jacents à la croyance selon laquelle des femmes formulent
des allégations mensongères et malveillantes de viol à l’encontre
d’hommes innocents. Pourtant, des études montrent que les allégations
mensongères en matière de viol sont exactement dans les mêmes proportions
que pour n’importe quel autre crime, c’est-à-dire de 6 à 8 %.
6. Il est encore plus difficile de dénoncer et de prouver le
viol dans les situations de «date‑rape» (viol commis par un compagnon
de sortie), où le violeur est un ami ou une connaissance qui soutient
que la victime a consenti aux relations sexuelles. De toutes les
agressions sexuelles, c’est le viol marital qui est le plus rarement
dénoncé
.
Les croyances personnelles, culturelles, religieuses et sociétales
aggravent encore les raisons énumérées ci‑dessus. La non dénonciation
du viol marital peut aussi s’expliquer par l’amour éprouvé pour
le compagnon, l’attachement à la relation, le fait d’avoir des enfants
en commun et/ou le sentiment d’avoir «une obligation», un «devoir».
7. Etant donné la conception stéréotypée très répandue de ce
qu’est un «véritable» viol, on estime souvent que, puisque les conjoints
connaissent une intimité sexuelle, les rapports sexuels forcés dans
le mariage ne sont pas aussi traumatisants que le viol perpétré
par un étranger. Pourtant, ce n’est pas nécessairement le cas. Le
viol commis par un étranger peut être extrêmement traumatisant mais
il s’agit généralement d’un acte de violence unique, clairement
perçu comme un viol
. Dans le cas d’un
viol par le conjoint ou un partenaire sexuel de longue date, l’histoire
des relations affecte les réactions de la victime et celles de la
société. Le viol marital s’inscrit bien souvent dans une relation
marquée par des sévices. Le traumatisme engendré par le viol aggrave
encore les effets des autres actes de violence domestique. En outre,
le viol marital se produit généralement de manière répétée.
8. Il importe de comprendre que le viol n’est pas une activité
«sexuelle», c’est‑à‑dire que le violeur n’est généralement pas motivé
par la relation sexuelle elle-même mais par la volonté d’exercer
une domination. Le viol est un puissant instrument pour assujettir,
tenir sous sa coupe, blesser et humilier une femme. C’est l’une des
raisons pour lesquelles le viol marital est si courant au terme
d’une relation, lorsque, par exemple, la femme a mis fin à une relation
abusive, a demandé le divorce ou encore se bat pour obtenir la garde
de son/ses enfant(s).
9. Les hommes sont aussi parfois victimes de viols. La motivation
des violeurs est généralement la même qu’avec les victimes féminines:
comme expliqué précédemment, les violeurs violent avant tout pour
contrôler, dominer, blesser et humilier – non pour avoir une relation
sexuelle
. Toutefois,
hors de certains cadres institutionnels tels que les prisons et
les casernes militaires, et en dehors des périodes de conflit armé
, les viols d’hommes adultes sont
relativement rares, bien qu’il soit difficile d’obtenir des données
fiables à ce sujet. L’une des raisons est que le degré de signalement
des viols d’hommes est aussi faible, si ce n’est encore davantage,
que celui des viols de femmes – la honte liée au fait d’être victime
de viol peut être encore plus grande pour les hommes que pour les
femmes dans certaines sociétés et communautés, en particulier celles qui
ont une culture patriarcale, machiste et homophobe. La plupart des
recommandations du présent rapport sont valables pour toutes sortes
de viol, quel que soit le sexe de la victime. Toutefois, compte
tenu de leur prévalence, je me concentrerai principalement sur les
viols de femmes.
10. Malheureusement, le nombre très restreint de cas de viol signalés
va de pair avec un taux très élevé d’attrition
et avec un nombre extrêmement limité
de condamnations
– notamment pour viol marital.
Une nouvelle étude des Professeurs Jo Lovett et Liz Kelly de l’Université
Métropolitaine de Londres, qui porte sur les cas dénoncés de viol
dans 11 pays européens conclut que le schéma classique d’attrition
– c’est-à- dire un nombre croissant de cas signalés face à une baisse
du nombre de poursuites et de condamnations – est maintenant prédominant
en Europe quel que soit le système judiciaire (contradictoire ou
inquisitoire)
. Dans de nombreux systèmes judiciaires
(dont les systèmes européens), les victimes de violences sexuelles
sont censées opposer une résistance et prouver qu’elles ne sont
pas consentantes. Or de nombreuses femmes n’osent pas résister parce
que leur agresseur est plus grand et plus fort qu’elles, qu’il les
menace avec une arme ou emploie d’autres formes de violence, ou
encore (dans le cas du viol marital), parce qu’elles courent le
risque que leurs enfants soient témoins du viol ou soient eux‑mêmes
victimes de violences, etc.
11. En outre, les personnes travaillant sur le terrain, à savoir
les policiers, les médecins, les juristes et les travailleurs sociaux,
qui, de par leurs fonctions, sont amenées à être en contact avec
les victimes, ne répondent pas toujours de manière adéquate aux
besoins de ces dernières. Certains Etats membres imposent aux femmes
de porter plainte (et de s’exposer à ce que certaines ONG qualifient
de «deuxième agression» devant le tribunal). Dans le cas du viol
marital, il peut aussi y avoir un problème au niveau de la procédure.
Alors qu’en théorie, le droit n’établit généralement pas de distinction
entre un conjoint et toute autre personne, en pratique, lorsque
le tribunal est saisi de l’affaire, il s’avère difficile de prouver
que le viol a réellement eu lieu. La raison en est que, dans le
cadre du mariage, les relations sexuelles sont jugées, dans une
certaine mesure, naturelles et si la défense prétend qu’il y a eu
consentement, il est alors très difficile pour le Ministère public
de prouver le contraire, notamment si le violeur n’a pas fait usage
de la force physique.
3. Protection et assistance
des victimes
12. Il est ainsi évident que ce qu’il faut avant tout
c’est une protection adéquate des victimes de viols et d’agressions
sexuelles.
13. L’Angleterre et le pays de Galles ont créé un réseau de 38
«centres de crise pour le viol», qui offrent des services spécialisés,
complets et ne portant aucun jugement, aux victimes de viols et
d’autres violences sexuelles, qu’il s’agisse d’adultes ou d’enfants.
Certaines victimes doivent actuellement faire 200 km pour se rendre
dans un tel centre – trajet dont la durée risque d’augmenter encore,
car certains centres seraient menacés de fermeture par manque de
financement, ce qui a été vivement critiqué par la commission anglaise de
l’égalité et des droits de l’homme. Le 5 août 2009, il a été annoncé
que les centres devaient recevoir 1,6 million de livres du gouvernement,
somme qui contribuera en outre à développer un réseau de centres
de conseil pour les victimes d’agressions sexuelles
, ce qui est fort encourageant.
14. Comme il est mentionné plus haut, une grande partie des viols
n’est pas signalée à la police. Si les victimes étaient plus nombreuses
à pouvoir accéder au type de service fourni par les centres de crise
pour le viol en Angleterre et au pays de Galles (service qui est
assuré par des ONG dans de nombreux autres pays), le taux de signalement
pourrait augmenter. De plus, il devrait être possible de collecter
et de conserver les preuves (par exemple, dans les centres d’expertise
médicolégale) avant qu’une plainte ne soit déposée, puisque de nombreuses
victimes ont besoin de temps avant de se sentir prêtes à porter
plainte. Les questions telles que les éventuelles conséquences du
viol – grossesse
ou
maladies sexuellement transmissibles (y compris VIH/sida) – doivent
aussi être traitées dans le cadre de la protection et de l’assistance
des victimes.
15. Les victimes d’un viol ont besoin d’une protection et d’une
assistance qui aillent au‑delà des suites immédiates du crime. Selon
moi, les victimes devraient aussi avoir droit à réparation.
16. Protéger les victimes, c’est aussi travailler avec les auteurs,
une fois qu’ils ont été arrêtés, afin d’empêcher la récidive. Il
semble qu’en Allemagne un tiers des violeurs soient des adolescents
(de moins de 18 ans). On peut espérer qu’à cet âge les violeurs
soient encore rééducables.
4. Le viol et le système
de justice pénale
17. En Angleterre et au pays de Galles, la loi relative
aux infractions à caractère sexuel («Sexual Offences Act») est entrée
en vigueur le 1er mai 2004. Elle avait
pour finalité de renforcer et de moderniser la législation relative
aux infractions à caractère sexuel, tout en améliorant les mesures
préventives et la protection des personnes à l’égard des délinquants
sexuels. La loi a élargi la définition du viol et modifié les dispositions légales
relatives au consentement et à la croyance dans le consentement.
Une personne donne son consentement si elle accepte par choix et
si elle a la liberté et la capacité de faire ce choix. L’essence
de cette définition réside dans l’acceptation par choix
.
La loi n’exige pas que la victime ait résisté physiquement pour prouver
l’absence de consentement. C’est au jury qu’il incombe de trancher
la question de savoir si la victime était consentante, bien que
le parquet examine cette question très attentivement pendant toute
la durée de l’affaire.
18. En Allemagne, au contraire, le recours à la violence est une
condition indispensable à l’obtention d’une condamnation pour viol.
Le problème, c’est que les preuves matérielles (telles que les contusions)
font parfois défaut. En l’absence de preuves que la femme a lutté,
un procureur allemand ne peut intenter d’action judiciaire, même
si la victime est physiquement incapable de résister (parce que
son agresseur est plus grand, plus fort et plus lourd qu’elle).
De plus, seuls les témoignages prononcés au tribunal peuvent être
invoqués durant les procédures
.
19. Dans une multitude de pays, le nombre limité de plaintes s’explique
également par la crainte des victimes de voir leur vie privée exposée
au tribunal. La législation anglaise et galloise, ainsi que la législation allemande,
n’autorise les questions sur la vie sexuelle des victimes que dans
des circonstances assez particulières, ce qui réduit au minimum
le stress supplémentaire des victimes à l’audience.
20. Le nombre limité de signalements de viols et les faibles taux
de condamnations s’expliquent également par le fait que, dans de
nombreux pays, le viol (en particulier le viol marital) n’est pas
encore reconnu comme crime
ex officio.
Par exemple, en Slovénie, c’est la victime qui doit lancer la procédure,
déposer une plainte et engager des poursuites. Dans ces circonstances,
il est facile pour l’agresseur – en particulier s’il connaît bien la
victime – de faire pression pour qu’elle retire sa plainte, donc
d’empêcher les poursuites judiciaires. Même dans les pays comme
l’Allemagne qui ont institué les poursuites de plein droit dans
de tels cas, des pressions peuvent être exercées sur les victimes
pour qu’elles ne témoignent pas dans les affaires de viol marital, puisque
la législation allemande reconnaît le droit aux victimes mariées
et fiancées de refus de témoigner une fois au tribunal
.
21. Dans certains pays, le personnel judiciaire est en proie aux
mêmes stéréotypes fallacieux sur le viol que la population générale,
ce qui peut conduire à des verdicts injustes – voire, dans certains
cas, scandaleux –, qui protègent les violeurs au lieu de protéger
les victimes. Ainsi, par exemple, il a fallu plus d’une décennie
à la Cour de cassation italienne pour infirmer la jurisprudence
de 1999 selon laquelle une femme qui porte un jean serré ne peut
être violée puisque sa coopération est nécessaire pour retirer ce
vêtement
.
L’arrêt «Cristiano» en question a révélé les points de vue inquiétants
des juges sur les femmes, le sexe et le viol, qui se préoccupent
davantage de la crédibilité des déclarations de la victime – et
de ses vêtements – que des faits de l’affaire. Pis encore, la Cour
a déclaré qu’il aurait mieux valu pour la victime qu’elle souffre
de blessures physiques (cela inclut-il la mort?) plutôt que de se
soumettre au viol
. Selon la chercheuse Rachel A. Van Cleave,
la déclaration de la Cour «qu’aucune blessure ne pouvait être plus
douloureuse qu’un rapport sexuel non désiré révèle clairement l’importance
tenace de l’honneur»
.
Cette priorité donnée à l’honneur plutôt qu’au mal fait à la victime
est typique des mentalités patriarcales, qui peuvent aussi conduire
aux crimes dit d’«honneur» – où les victimes de viol sont de surcroît
punies par leurs proches pour avoir soi-disant souillé l’honneur
de la famille
.
22. Ce type d’attitude au sein du personnel judiciaire peut même
aller jusqu’à décider que le viol d’une jeune fille constitue une
infraction moins grave si cette dernière est déjà active sexuellement
.
Un directeur du parquet d’Angleterre et du pays de Galles a déclaré
au
Guardian que la «promiscuité»
des jeunes femmes et la consommation excessive d’alcool contribuaient
aux faibles taux de condamnation pour viol
; tandis que l’un des avocats les
plus chevronnés d’Ecosse a fait remarquer que dans les affaires
d’agression sexuelle, les tribunaux ne pouvaient plus partir du
principe qu’une fille de moins de 16 ans est «vulnérable», et que
les avocats de la défense devraient pouvoir faire référence, dans
certains procès, à la façon dont la victime supposée était habillée
.
23. L’étude précitée sur l’attrition concernant les cas dénoncés
de viol dans 11 pays européens a aussi démontré que le manquement
au stade de l’enquête d’interroger la victime et/ou le suspect,
ainsi que le nombre important de retraits de plainte de la part
de la victime ont entraîné des taux de condamnation bas, tandis
que des taux de condamnation plus élevés ont été notés quand les
procureurs prennent le contrôle de l’enquête et décident de la poursuite
ou non de la procédure
.
24. Malheureusement, la législation relative au viol reste inchangée
dans de nombreux autres Etats membres du Conseil de l’Europe, ce
qui ne fait rien pour changer les attitudes de ce type. Pour être
réellement efficace, il importe que la législation protège mieux
les victimes et, au minimum, qu’elle:
a. érige le viol (y compris le viol martial) en crime ex officio;
b. définisse le consentement comme acceptation par choix
si la personne concernée a la liberté et la capacité de faire ce
choix;
c. n’exige pas que la victime ait résisté physiquement à
l’agresseur;
d. rende le procureur seul compétent de la clôture de la
procédure, et donne à la victime un droit de recours contre une
telle décision;
e. permette à la victime d’être partie au procès;
f. protège la vie privée des victimes, en particulier au
tribunal;
g. autorise l’utilisation des preuves rassemblées lors des
procédures antérieures au procès lorsque la victime use de son droit
de refus de témoigner une fois au tribunal;
h. accorde aux victimes le droit d’avoir des conseils et
une aide juridique tout au long de la procédure.
5. «Le viol marital»
– une infraction grave
25. Le viol marital est une infraction grave et doit
être considéré comme telle dans les systèmes judiciaires nationaux.
26. Pendant très longtemps, le viol marital n’a pas été reconnu
comme une infraction dans la plupart des pays. Le mariage donnait
des droits conjugaux à l’époux et imposait des devoirs conjugaux
à l’épouse. Il s’ensuivait, par conséquent, qu’une femme ne pouvait
pas légalement refuser d’avoir des rapports sexuels et s’il y avait
consentement, il n’y avait pas viol. La législation sur le viol
s’est donc souvent accompagnée d’une «exemption liée au mariage».
En 2006, la suppression de cette exemption était chose faite dans
douze pays
. Le viol entre époux a été, en
effet, reconnu par la loi en 1989 en Autriche, en 1991 au Royaume-Uni,
en 1991 également en Suisse (mais seulement depuis 2003 au niveau
fédéral), en 1992 aux Pays‑Bas, en 1997 en Allemagne et en 2006
en France
.
27. Il me semble que plus aucun Etat membre du Conseil de l’Europe
n’applique «l’exemption liée au mariage». En fait, la différence
réside plutôt, apparemment, dans l’existence ou non d’une infraction «spécifique»
de «viol marital». Certains Etats membres du Conseil de l’Europe
appliquent la législation «normale» sur le viol.
28. Le Conseil de l’Europe a déjà adopté une position de principe
claire sur cette question. L’annexe à la
Recommandation
Rec (2002) 5 du Comité des Ministres sur la protection des femmes
contre la violence contient les recommandations suivantes adressées
aux Etats membres:
«35. prévoir
dans la législation nationale les mesures et sanctions appropriées
permettant d’agir rapidement et efficacement contre les auteurs
de violences ainsi que de réparer les torts causés aux femmes victimes
de violences. En particulier, les législations nationales devraient:
– incriminer les actes de violence sexuelle et le viol
entre époux, partenaires habituels ou occasionnels, ou cohabitants;
– incriminer tout acte de caractère sexuel commis sur
une personne non consentante, même si elle ne montre pas de signes
de résistance;
– incriminer tout acte de pénétration sexuelle, quelle
qu’en soit la nature et quels que soient les moyens utilisés, commis
sur une personne non consentante;
…
38. assurer la possibilité d’ester en justice à toutes
les victimes de violences ainsi que, le cas échéant, aux organisations
publiques ou privées de défense des victimes, dotées de la personnalité
juridique, soit conjointement avec les victimes, soit à leur place;
39. prévoir qu’une action pénale puisse être engagée sur
requête du ministère public;
40. encourager le ministère public à considérer la violence
à l’égard des femmes et des enfants comme un facteur aggravant ou
décisif lorsqu’il décide de l’éventualité d’engager les poursuites
dans l’intérêt public;»
29. Le rapport explicatif de la recommandation indique clairement
que:
«77. Si la définition du
viol et des violences sexuelles relève entièrement des législations
nationales, il convient de noter que la recommandation préconise
clairement l’incrimination du viol entre époux ou partenaires.
78. La plupart des législations nationales prévoient que
l’acte n’est punissable que s’il est accompli sans le consentement
de la personne à l’égard de qui il est accompli. Cette appréciation
relève en principe du juge. Toutefois, les rédacteurs ont tenu à
souligner que le fait qu’une personne n’oppose pas de résistance
physique ne signifie pas forcément qu’elle est consentante: la peur
ou la menace peuvent neutraliser toute velléité de résistance physique
sans toutefois que l’on puisse parler de consentement valable. L’usage
de la force ne doit pas être mesuré uniquement par le degré de résistance
opposé par la victime».
30. Il est manifestement dans l’intérêt des victimes, à mon sens,
que le «viol marital» constitue une infraction pénale distincte
dans la législation nationale et que le ministère public engage
de plein droit des poursuites dans de tels cas. L’application de
ces deux mesures aurait probablement pour effet d’amener plus facilement les
victimes à se faire connaître et à signaler ces infractions car
elles auraient le sentiment que leur souffrance est prise au sérieux.
A vrai dire, ce serait peut‑être même une bonne idée de considérer
comme circonstance aggravante le fait pour le viol de se produire
dans le cadre du mariage ou entre concubins ou ex‑concubins, car
l’abus de confiance inhérent à cette situation peut aggraver les
répercussions psychologiques pour la victime.
6. Prévention du viol
31. J’estime complètement inadmissible que les femmes
aient encore peur du viol dans les Etats membres du Conseil de l’Europe.
Ainsi que le fait remarquer à juste titre le réseau anglais de centres
de crise pour le viol, la menace de violence est une intrusion complète
dans l’espace individuel des femmes et elle transforme une activité
anodine et/ou potentiellement agréable (par exemple, une promenade
au parc, une soirée tranquille à la maison, un long voyage en train)
en expérience potentiellement perturbante, dérangeante et souvent
menaçante
. Par conséquent, il y a encore des
progrès à faire dans nos Etats membres en ce qui concerne la protection
des femmes contre le viol.
32. Cela dit, la manière choisie récemment par le Gouvernement
italien pour améliorer la protection des femmes contre le viol est,
à mon avis, illusoire. Fin février 2009, à la suite d’une vague
de viols imputés à des étrangers, le Gouvernement de l’Italie s’est
dépêché d’adopter un décret (promulgué par le Sénat italien en avril
2009) qui vise à protéger les femmes contre le viol, notamment en
créant des patrouilles de rue composées de citoyens, patrouilles
dans lesquelles des bénévoles retraités de la police et de l’armée
sont censés jouer un rôle prépondérant (il appartient aux maires
de décider comment, où et quand avoir recours à ces bénévoles)
. J’estime que cette mesure, qui
n’a guère de chances d’être efficace, légitime jusqu’à un certain
point l’autodéfense et la xénophobie.
33. Je serais plutôt favorable à une approche différente ayant
un double objectif: premièrement, donner aux femmes les moyens de
ne pas être victimes, en renforçant leur confiance en elles et leur
capacité à se défendre elles-mêmes et, deuxièmement, en apprenant
aux hommes à respecter les femmes – et leur décision de dire non.
7. Conclusions
et recommandations
34. En conclusion, j’estime qu’une stratégie globale
est nécessaire pour lutter plus efficacement contre le viol, y compris
le viol marital, dans les Etats membres du Conseil de l’Europe.
Cette stratégie devrait comprendre des mesures pour, plus fondamentalement,
empêcher le viol, en donnant aux jeunes filles et aux femmes les
moyens de ne pas être victimes et en apprenant aux garçons et aux
hommes à respecter les femmes, ainsi que pour faire évoluer les
attitudes à l’égard du viol dans l’ensemble de la société, éventuellement
par le biais d’une campagne du Conseil de l’Europe et de campagnes
de sensibilisation nationales concomitantes.
35. Cette stratégie devrait assurer la protection des victimes
de viols et l’assistance à leur apporter. Les établissements de
premier plan, comme par exemple les centres de crise pour le viol
en Angleterre et au pays de Galles qui proposent des services complets,
spécialisés et ne portent pas de jugement, pourraient servir de modèle
aux autres Etats membres.
36. Il faut également revoir la manière dont fonctionne le système
de justice pénale dans de nombreux pays en ce qui concerne le viol.
Les victimes de viols devraient avoir le droit d’être prises au
sérieux et d’être traitées avec dignité et respect à chaque étape
de la procédure, du dépôt d’une plainte (pour laquelle une femme fonctionnaire
de police devrait être disponible) jusqu’au procès, en passant par
les examens de médecine légale. Il ne devrait pas être nécessaire
de prouver que la victime a résisté physiquement au violeur pour
établir qu’il n’y a pas eu de consentement: de nombreux violeurs
ont les moyens de s’assurer qu’une victime ne lutte pas (notamment
des armes, des drogues, des menaces concernant les enfants de la
victime, etc.). Le passé de la victime en ce qui concerne ses relations
ne devrait jouer aucun rôle au procès (il ne trouverait pas sa place
au procès si la victime avait été volée, pourquoi donc y trouverait-il
sa place si elle a été violée?); sa façon de s’habiller non plus,
bien entendu. Il faut faire comprendre clairement, au pouvoir judiciaire
aussi, que n’importe quelle femme peut se faire violer mais qu’aucune
femme ne mérite d’être violée, et que le consentement est nécessaire
à un rapport sexuel chaque fois, quelle que soit la relation de
la victime avec le violeur. C’est alors seulement que l’on pourra
espérer que les viols seront plus nombreux à être dénoncés aux autorités,
et que les violeurs seront plus nombreux à être véritablement reconnus
coupables de leurs crimes.
37. Par conséquent, je préconiserais que l’Assemblée fasse plusieurs
recommandations aux Etats membres, comme indiqué dans les avant-projets
de résolution et de recommandation, et j’espère recevoir votre soutien
inconditionnel.
***
Commission chargée du rapport: commission
sur l’égalité des chances pour les femmes et les hommes
Renvoi en commission:
Doc 11324 rev, renvoi 3366 du 01.10.07.
Projet de résolution et projet
de recommandation adoptés à l’unanimité par la commission
le 8 septembre 2009.
Membres de la commission:
Mme Pernille Frahm (Présidente),
M. José Mendes Bota (1ère
Vice-Président), Mme Ingrīda Circene (2ème Vice-Présidente), Mme Anna
Čurdová (3ème Vice-Présidente), Mme Sonja Ablinger, M. Francis Agius,
M. Florin Serghei Anghel (remplaçante: Mme Maria Stavrositu), Mme Magdalina Anikashvili,
M. John Austin, M. Lokman
Ayva, Mme Marieluise Beck, Mme Déborah Bergamini; Mme Oksana Bilozir
(remplaçante: Mme Olha Herasym’yuk),
Mme Rosa Delia Blanco Terán (remplaçante: Mme Luz Elena Sanín Naranjo), Mme Olena Bondarenko, M. Pedrag Bošković,
M. Han Ten Broeke, Mme Anna Maria Carloni, M. James Clappison, Mme Diana Çuli, Mme Lydie Err, Mme Catherine Fautrier, Mme Mirjana Ferić-Vac, Mme Sónia Fertuzinhos,
Mme Doris Frommelt, Mme Alena Gajdůšková,
M. Giuseppe Galati, Mme Gisèle Gautier,
M. Ioannis Giannellis-Theodosiadis, Mme Claude Greff, M. Attila Gruber, Mme Carina Hägg, Mme Fatme Ilyaz, Mme Francine
John-Calame, Mme Nataša Jovanoviċ, Mme Birgen Keleş, Mme Krista Kiuru, Mme Elvira Kovács, Mme Angela
Leahu, M. Terry Leyden, Mme Mirjana Malić,Mme Assunta Meloni, Mme Nursuna Memecan, Mme Danguté Mikutiené,
M. Burkhardt Müller-Sönksen, Mme Hermine Naghdalyan, Mme Yuliya
Novikova (remplaçant: M. Ivan Popescu),
M. Mark Oaten (remplaçante: Baronne Gale),
M. Kent Olsson (remplaçante: Mme Marietta de
Pourbaix-Lundin), Mme Steinunn Valdis Óskarsdóttir, Mme Antigoni
Papadopoulos, M. Jaroslav Paška, Mme Mª del Carmen Quintanilla Barba, M. Frédéric
Reiss, Mme Mailis Reps, Mme Maria Pilar Riba Font, Mme Andreja Rihter, M. Nicolae
Robu, Mme Jadwiga Rotnicka, Mme Marlene Rupprecht,
Mme Klára Sándor, Mme Miet
Smet, Mme Albertina Soliani, Mme Darinka Stantcheva, Mme Tineke
Strik, M. Michał Stuligrosz, Mme Doris Stump, M. Mihal
Tudose, Mme Tatiana Volozhinskaya, M. Marek Wikiński,
M. Paul Wille (remplaçant: M. Gerolf Annemans),
Mme Betty Williams, M. Gert
Winkelmeier, Mme Karin S. Woldseth, Mme Gisela Wurm, M. Andrej Zernovski, M. Vladimir Zhidkikh, Mme Anna Roudoula Zissi.
N.B. Les noms des membres qui ont pris part à la réunion sont
imprimés en gras.
Secrétariat de la commission: Mme Kleinsorge, Mme Affholder,
Mme Devaux.