«Aucun système de gouvernement ou d’administration
n’est à l’abri de la corruption exercée par ceux que l’abus de pouvoir
attire.»
1. Introduction
1. Le 2 octobre 2007, la commission des questions juridiques
et des droits de l’homme m’a nommé rapporteur pour préparer un rapport
relatif à la corruption judiciaire (
Doc. 11330).
2. Lors de sa réunion des 10 et 11 novembre 2008 à Moscou, la
commission a tenu une audition à ce sujet avec la participation
des experts suivants: M. Piercamillo Davigo, juge à la Cour suprême
de cassation (Rome), M. Dragos Kos, président du Groupe d’Etats
contre la corruption (GRECO), et Mme Elena A. Panfilova, directrice
générale, Centre pour la recherche et l’initiative anticorruption,
Transparency International (Moscou). Il sera fait référence à leurs
contributions à plusieurs reprises dans ce rapport.
3. Le Préambule de la Convention pénale sur la corruption (STE
no 173) dispose que «la corruption constitue une menace pour la
prééminence du droit, la démocratie et les droits de l’homme, sape
les principes de bonne administration, d’équité et de justice sociale,
fausse la concurrence, entrave le développement économique et met
en danger la stabilité des institutions démocratiques et les fondements
moraux de la société», et insiste sur le fait que «l’efficacité
de la lutte contre la corruption passe par une coopération internationale
pénale intensifiée, rapide et adaptée en matière pénale».
2. Terminologie
4. Comme en ont témoigné les experts invités devant
la commission, il n’existe pas, aujourd’hui, de définition universelle
du terme «corruption». Toutes les tentatives de s’accorder au niveau
international sur une définition ont échoué.
5. Si la Convention pénale sur la corruption ne donne effectivement
aucune définition de la corruption, la Convention civile sur la
corruption la définit cependant comme «le fait de solliciter, d’offrir,
de donner ou d’accepter, directement ou indirectement, une commission
illicite, ou un autre avantage indu ou la promesse d’un tel avantage
indu qui affecte l’exercice normal d’une fonction ou le comportement
requis du bénéficiaire de la commission illicite, ou de l’avantage
indu ou de la promesse d’un tel avantage indu» (article 2).
6. Transparency International (TI) définit la corruption comme
«l’abus d’une position publique en vue d’un intérêt privé». TI ajoute
qu’il peut aussi bien s’agir d’intérêts matériels ou financiers
que d’intérêts immatériels, comme la poursuite d’ambitions politiques
ou professionnelles. TI définit plus précisément la corruption judiciaire
comme «toute influence indue sur l’impartialité du processus judiciaire,
par tout acteur du système judiciaire».
7. Le rapporteur n’entend pas comprendre le terme « judiciaire »
en son sens le plus restreint, c’est-à-dire uniquement la magistrature.
Dans ce rapport, ce terme inclut tous les acteurs du processus de
justice (ce qui inclut notamment la police)
.
8. TI identifie deux types principaux de corruption judiciaire:
l’ingérence politique du pouvoir exécutif
ou législatif dans les procédures
judiciaires et le recours aux pots-de-vin.
9. Comme le fait remarquer TI, l’ingérence politique peut s’exprimer
par la manipulation des nominations judiciaires, des salaires et
des conditions d’emploi, mais également sous la forme de menaces
et d’intimidation des juges. TI cite notamment la Russie comme un
exemple de pays dans lequel le pouvoir politique a récemment accru
son influence sur le judiciaire.
3. Constat: la corruption visible n’est que la partie
émergée de l’iceberg
10. Dans son rapport mondial de 2007 sur la corruption,
consacré à la justice et la lutte contre la corruption, TI constate
que «la corruption fragilise la justice dans de nombreuses régions
du monde, refusant aux victimes et aux accusés le droit fondamental
à un procès juste et impartial»
.
De plus en plus d’éléments font apparaître une corruption généralisée
au sein de l’appareil judiciaire dans de nombreuses parties du monde.
Le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe fait
remarquer que «la croyance selon laquelle le système judiciaire
est corrompu et les tribunaux ont tendance à favoriser les personnes
qui ont de l’argent et des relations est très répandue» et, «pire
encore, certains signes laissent à penser que les soupçons des gens sont
parfois justifiés»
.
11. Une société démocratique ne saurait fonctionner alors que
son système judiciaire est gangrené par une corruption systémique,
qui bien souvent s’accompagne d’une corruption systémique de toute
l’administration. La corruption judiciaire porte atteinte à l’Etat
de droit, à la légitimité des pouvoirs publics, nuit à la société
dans son ensemble et représente un danger imminent pour le principe
fondateur de la démocratie qu’est l’égalité de traitement devant
la loi.
12. En effet, selon le Programme d’action contre la corruption
adopté par le Comité des Ministres en novembre 1996, «les professions
juridiques tiennent une place importante dans la lutte contre la
corruption. La confiance de l’opinion dans les fonctions publiques
exige ainsi – c’est capital – que les juges soient indépendants
et impartiaux, qu’ils ne soient d’aucune façon impliqués dans des
affaires de corruption et qu’ils n’apparaissent pas comme les défenseurs
d’intérêts catégoriels»
.
13. Un système judiciaire corrompu empêche, dans la pratique,
tout effort de lutte contre la corruption dans d’autres domaines,
et sert ainsi de terreau fertile à la criminalité organisée, voire
au terrorisme.
14. Dans certains Etats membres, le Groupe d’Etats contre la corruption
(GRECO) a constaté une faible confiance du public dans le judiciaire
assortie de la perception que la corruption judiciaire est largement répandue.
Dans ce contexte, le groupe a clairement dit que, entre autres,
la restauration de la confiance du public dans les juges et dans
le processus juridique dans son ensemble nécessite des réformes institutionnelles
déterminées et le renforcement de l’indépendance du judiciaire face
à toute influence abusive.
15. Le fait que les législations nationales prévoient généralement
des sanctions à l’encontre des acteurs du judiciaire qui, dans le
cadre de leurs fonctions, demandent ou reçoivent une rémunération
pour effectuer un acte particulier ne semble pas suffire à endiguer
cette dérive.
16. Comme l’a fait remarquer à juste titre M. Davigo, lors de
son intervention devant la commission en novembre 2008, il est extrêmement
difficile de sanctionner la corruption, avant tout parce qu’il est
difficile d’obtenir des informations sur son existence
.
17. Il a ajouté qu’il existe une inconnue de taille dans les statistiques
relatives à la corruption, à savoir la différence entre les infractions
commises et les infractions effectivement démasquées. Selon lui,
c’est principalement dû au fait que l’infraction de corruption n’a
pas de victime spécifique, n’est généralement pas perpétrée devant
témoins et n’est connue que de la personne corrompant et de la personne
corrompue (dont l’intérêt commun est manifestement de rester discrètes).
Il ajoute que la police est principalement organisée en vue de traiter
des infractions visibles.
18. Davigo a mis en évidence une caractéristique spécifique de
la corruption du judiciaire. En effet, elle apparaît notamment dans
les affaires juridiques complexes. Cela a pour conséquence que les
affaires de corruption du judiciaire sont traitées par des instances
judiciaires inférieures à celles impliquées dans les affaires concernées
(il a cité l’exemple d’un tribunal de première instance saisi d’une
affaire de corruption présumée dans le contexte d’un procès devant
la Cour de cassation).
19. Cette particularité génère certaines difficultés pour la personne
chargée de mener les poursuites. A titre d’exemple de difficultés
rencontrées, il a exposé le cas d’une allégation de corruption d’un
membre de la Cour de cassation italienne soupçonné d’être lié à
un groupe de type mafieux. La Cour de cassation a décidé qu’il serait
illégal de demander à un juge ayant participé à des délibérations
à huis clos de témoigner sur le processus de décision en question
concernant les avis et votes exprimés par des membres individuels
de la formation judiciaire
.
Ce faisant, elle a donc empêché le tribunal en charge des poursuites
sur l’allégation de corruption d’entendre des témoignages essentiels.
4. Principaux instruments juridiques internationaux
pertinents
20. L’article 6 de la Convention européenne des droits
de l’homme garantit le droit à un procès équitable «par un tribunal
indépendant et impartial».
21. La Convention pénale sur la corruption (
STE
no 173) prévoit en son article 2 que «chaque Partie adopte les
mesures législatives et autres qui se révèlent nécessaires pour
ériger en infraction pénale, conformément à son droit interne, lorsque
l’acte a été commis intentionnellement, le fait de proposer, d’offrir
ou de donner, directement ou indirectement, tout avantage indu à
l’un de ses agents publics, pour lui-même ou pour quelqu’un d’autre,
afin qu’il accomplisse ou s’abstienne d’accomplir un acte dans l’exercice
de ses fonctions». Son article 3 prévoit une disposition similaire
pour les cas de corruption passive d’agents publics nationaux.
22. L’article 11 de la
Convention
des Nations Unies contre la corruption (CNUC) dispose que, «compte tenu de l’indépendance des
magistrats et de leur rôle crucial dans la lutte contre la corruption,
chaque Etat partie prend, conformément aux principes fondamentaux
de son système juridique, des mesures pour renforcer leur intégrité
et prévenir les possibilités de les corrompre, sans préjudice de
leur indépendance».
23. La
Résolution
(97) 24 du Comité des Ministres portant les 20 principes directeurs
pour la lutte contre la corruption définit deux principes qui sont
particulièrement pertinents dans la lutte contre la corruption du judiciaire.
Le principe directeur no 3 prévoit d’«assurer que les personnes
chargées de la prévention, des enquêtes, des poursuites et de la
sanction des infractions de corruption bénéficient de l’indépendance
et de l’autonomie nécessaires à l’exercice de leurs fonctions, soient
libres de toute influence incompatible avec leur statut et disposent
de moyens adéquats pour l’obtention de preuves; assurer la protection
des personnes qui aident les autorités à lutter contre la corruption
et sauvegarder le secret de l’instruction». Le principe directeur no 6
prévoit de «veiller à limiter toute immunité à l’égard des enquêtes,
des poursuites et des sanctions relatives aux infractions de corruption
à ce qui est nécessaire dans une société démocratique». Dans son premier
cycle d’évaluation (2000-2002), le GRECO a évalué les mesures prises
par les Etats membres pour mettre en œuvre ces principes.
24. Un modèle de code de conduite pour les agents publics figure
en annexe à la Recommandation no R (2000) 10 du Comité des Ministres
aux Etats membres sur les codes de conduite pour les agents publics.
Il y est cependant précisé à l’article 1 que «les dispositions du
présent code ne concernent pas les représentants publics élus, les
membres du gouvernement ni les personnes exerçant des fonctions
judiciaires». Il pourrait être opportun d’élaborer un modèle de
code de conduite à l’attention des acteurs du système judiciaire.
Dans ce contexte, il serait bon de se référer à l’Avis 3 du Conseil
consultatif des juges européens (CCJE) sur les principes et règles
régissant les impératifs professionnels applicables aux juges et
en particulier la déontologie, les comportements incompatibles et
l’impartialité
.
25. Par ailleurs, le Comité des Ministres a mandaté un groupe
de spécialistes sur le pouvoir judiciaire (CJ-S-JUD) afin d’«élaborer
une recommandation et un rapport explicatif modernisant entre autres
la Recommandation no R (94) 12 relative à l’indépendance, l’efficacité
et le rôle des juges, au niveau des tribunaux nationaux, à la lumière
des développements survenus depuis l’adoption de cette dernière
et renforçant et enrichissant la portée de cette recommandation»
.
Le rapporteur suggère que ce groupe de spécialistes prenne en compte
les conclusions de son rapport et celles du rapport préparé par
Sabine Leutheusser-Schnarrenberger relatif aux « allégations d’utilisation
abusive du système judiciaire répressif, motivée par des considérations
politiques, dans les Etats membres du Conseil de l’Europe » précité,
et fasse éventuellement une référence explicite au combat contre
la corruption des juges dans le rapport explicatif du projet de
recommandation révisée. Les travaux du CJ-S-JUD devraient aboutir
en décembre 2009.
26. Toutes les mesures recommandées dans le rapport visant à assurer
l’indépendance pleine et entière des tribunaux par rapport au pouvoir
politique valent aussi pour la lutte contre la corruption judiciaire:
les mécanismes pernicieux permettant d’influencer des procédures
judiciaires à des fins politiques peuvent aussi servir, et servent
peut-être même plus souvent, à des fins de corruption pure et simple.
27. Il pourrait également être intéressant d’examiner les questions
relatives à l’indépendance et au rôle des procureurs, y compris
celui des procureurs généraux. En effet, dans son rapport, Sabine
Leutheusser-Schnarrenberger note que, par exemple dans le système
anglais de justice pénale, «il existe une autre voie possible pour
exercer éventuellement une influence politique sur des affaires
particulières: le procureur général»
.
28. Il existe déjà la Recommandation Rec(2000)19
du
Comité des Ministres sur le rôle du ministère public dans le système
de justice pénale. Le Comité consultatif de procureurs européens
(CCPE), créé en juillet 2005 par le Comité des Ministres, est chargé
de rédiger des avis à l’attention du Comité européen pour les problèmes
criminels (CDPC) sur les difficultés liées à la mise en œuvre de
cette recommandation, de promouvoir la mise en œuvre de celle-ci
et de recueillir des informations sur le fonctionnement des services du
ministère public en Europe. Le rapporteur se demande si cette recommandation,
qui a bientôt 10 ans, est encore suffisamment à jour pour couvrir
les nombreuses réformes qui ont eu lieu dans les Etats membres.
En ce sens, le rapporteur encourage le CCPE à poursuivre son rôle
de gardien de la bonne application de la Recommandation Rec(2000)19,
notamment en ayant à l’esprit l’indépendance des procureurs et au
vu des réformes ayant eu lieu depuis l’adoption de la recommandation.
S’il le juge et quand il le jugera opportun, le rapporteur l’encourage
à réviser cette recommandation de façon analogue à la révision en
cours de la Recommandation no R (94) 12.
29. La recommandation dans le rapport précité de l’Assemblée
visant
à couper le «cordon ombilical» du droit des ministres de la justice
à donner des instructions concernant des affaires individuelles
serait aussi une mesure qui réduirait d’autant le risque d’un abus
de telles instructions à des fins de corruption.
30. Enfin, le rapporteur attire l’attention sur la
Charte
européenne sur le statut des juges qui,
quoique n’ayant qu’un caractère purement déclaratif, devrait être
une référence pour les Etats membres. Comme il est indiqué dans
son rapport explicatif, la charte «entend définir le statut des
juges par rapport à des objectifs qu’il s’agit d’atteindre: assurer
la compétence, l’indépendance et l’impartialité que toute personne
est en droit d’attendre des juridictions et de chacun et chacune
des juges». Une plus grande publicité devrait être accordée à ce
texte qui définit tous les principes autour du statut des juges,
notamment en matière de recrutement, nomination, déroulement de
la carrière (promotion), responsabilité, rémunération et cessation
des fonctions.
31. Une autre voie qui peut aider à combattre la corruption, y
compris dans le domaine judiciaire, peut être la protection des
« donneurs d’alerte »
(whistle-blowers). Une
protection efficace des personnes qui ont le courage de dénoncer
des actes de corruption contre des représailles de leurs employeurs
ou d’autres acteurs rendrait la corruption plus «risquée» pour les
acteurs, car plus susceptible d’être démasquée. Mon collègue Pieter
Omtzigt (Pays-Bas, PPE/DC) a préparé un rapport au sujet de la protection
des donneurs d’alerte, approuvé par la commission des questions
juridiques et des droits de l’homme en juin 2009
,
qui propose des mesures de protection concrètes aux niveaux national
et européen.
32. Le Conseil de l’Europe a d’ores et déjà mis en place un ensemble
normatif important pour lutter contre la corruption. Mais la simple
ratification des conventions pertinentes ne peut pas éradiquer la
corruption; il faut une réelle volonté politique, suivie d’actes
concrets en vue de la combattre.
5. Situation dans certains Etats membres
33. Selon le
Baromètre mondial
2009 de la corruption publié
par TI, la justice est considérée comme l’institution la plus corrompue
en Arménie, en Bulgarie, en Croatie, en Géorgie, au Kosovo
et dans «l’ex-République
yougoslave de Macédoine». Ces pays se distinguent donc de manière
particulièrement inquiétante de ceux, encore plus nombreux, dans
lesquels la corruption est généralement perçue comme un problème touchant
toutes les institutions publiques: comme c’est la justice qui est
chargée de poursuivre les corrompus et de protéger les «donneurs
d’alerte»
(whistle-blowers), c’est
très décourageant pour la population si la justice elle-même est
perçue comme étant encore plus corrompue que d’autres institutions.
34. Par ailleurs, un rapport préparé en 2008 dans le contexte
de l’Eurobaromètre relatif à l’attitude des Européens à l’égard
de la corruption
apporte des données intéressantes
sur la perception de la corruption dans les Etats membres de l’Union
européenne dans différents secteurs. Il est frappant de constater
que, en moyenne, 45 % des personnes sondées dans les 12 nouveaux
Etats membres de l’Union européenne pensent que donner ou recevoir
des pots-de-vin est une pratique étendue parmi les personnes qui
travaillent dans les services judiciaires et 52 % parmi les personnes
qui travaillent dans les services de police, alors que la moyenne
dans l’Union européenne des 15 est respectivement de 22 % et de
25 % pour les mêmes questions. A titre d’exemples, 65 % des Slovaques
et 60 % des Lettons interrogés pensent que ces pratiques existent dans
les services judiciaires, contre 8 % en Finlande, 12 % au Danemark
et 14 % au Royaume-Uni; 77 % des personnes interrogées en Estonie
et 98 % en Roumanie pensent que ces pratiques existent dans les
services de police, contre 7 % en Finlande et 16 % en Allemagne.
Ces chiffres sont relativisés par le fait que, en moyenne, seuls
8 % des personnes interrogées ont déclaré qu’on leur a demandé de
payer un pot-de-vin au cours des douze derniers mois.
35. Le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe
(ci-après «le commissaire») a constaté que «le climat politisé [a]
un effet négatif sur le fonctionnement de l’appareil judiciaire»
en Albanie. Il note en effet qu’«à cet égard, certains [lui] ont
signalé (…) que les pressions politiques empêchaient le fonctionnement efficace
et en toute indépendance de la justice»
. Les corapporteurs
de la commission de suivi de l’Assemblée se montrent préoccupés
par «la faiblesse du système judiciaire, qui est doté d’un personnel
mal payé et partiellement corrompu»
.
Le gouvernement a adopté une stratégie de lutte contre la corruption
pour 2007-2013. Il s’en est suivi une augmentation notable du nombre
de poursuites pour corruption à l’encontre des fonctionnaires de
moyen et haut rangs. Le commissaire constate cependant que la corruption
dans le système judiciaire reste très répandue et souligne que «des
études nationales et internationales font état d’un haut niveau
de perception de corruption du système judiciaire, ce qui entrave
gravement le fonctionnement de la justice et affaiblit la confiance
du public envers les institutions». Selon plusieurs observateurs
internationaux, beaucoup reste à faire dans ce domaine, les réformes
visant à renforcer le système judiciaire ayant pris du retard.
36. Concernant l’Arménie, le commissaire a constaté que «la justice
est encore loin d’être indépendante», en particulier en raison de
pressions et d’intimidation sur les membres de la magistrature,
«notamment de la part des autorités centrales et locales, ainsi
que des procureurs» qui exercent une influence «abusive»
. Si des mesures
ont été prises pour permettre le «bon exercice des fonctions d’un
juge», le commissaire insiste sur le fait que «beaucoup reste à
faire pour assurer la mise en œuvre appropriée des nouvelles dispositions
et améliorer la confiance du public envers le système judiciaire».
Le rôle décisif dans la sélection des juges attribué par la Constitution
révisée au Conseil de la justice, dont la majorité des membres sont
des juges élus par leurs pairs et non plus par le président, est
considéré par le commissaire comme une «avancée positive vers une
réelle indépendance de la magistrature». Le commissaire a encouragé
l’adoption de mesures visant à rendre le processus de sélection
des juges plus transparent et équitable, des augmentations de leurs rémunérations
(la modicité desquelles les rend vulnérables à la corruption), ainsi
que la mise en place de dispositifs en vue de la promotion et de
la formation des juges à la déontologie (notamment en s’appuyant
sur le Code de déontologie judiciaire entré en vigueur en décembre
2005).
37. Lors de sa visite en Azerbaïdjan, le commissaire a constaté
que dans ce pays «la corruption est perçue comme imprégnant la quasi-totalité
de la société», mais qu’«il semblerait que le cadre législatif visant
à garantir l’indépendance des juges soit en place»
.
Par ailleurs, afin de renforcer l’indépendance des juges et de les rendre
moins vulnérables à la corruption, leurs salaires ont été multipliés
par 25 entre 2000 et fin 2007. Le commissaire précise néanmoins
que «malgré toutes ces récentes améliorations – davantage de juges,
mieux sélectionnés et qualifiés, plus au fait des normes internationales
en matière de droits de l’homme –, l’indépendance réelle du système
judiciaire semble malheureusement loin d’être assurée, aussi bien
dans les esprits que dans les faits». «Le pouvoir judiciaire semble
être particulièrement exposé à la corruption et affecté par celle-ci.
En dépit des efforts déployés pour réformer le système judiciaire
(…), une grande partie de l’administration judiciaire semble être
influencée par des intérêts pécuniaires. A l’instar de nombreux
pays en transition rapide issus de l’ancien système soviétique,
la justice azerbaïdjanaise est marquée par la corruption et la dépendance
à l’égard du pouvoir exécutif.»
38. Les autorités ont adopté des mesures qui témoignent de leur
volonté de combattre la corruption (notamment en multipliant les
poursuites et les sanctions en cas de corruption), mais le commissaire
«tient à mettre en garde contre le risque de stratégies partisanes
dans la mise en cause de personnes, le moment choisi pour engager
des poursuites et la sévérité des sanctions»
. TI note effectivement
dans son rapport que, malgré des améliorations sur le plan législatif,
aucun changement radical n’est survenu et qu’il existe un décalage
entre la lettre de la loi et sa mise en œuvre.
39. Dans leur rapport, les corapporteurs de la commission de suivi
de l’Assemblée sur la Bosnie-Herzégovine notent que «la corruption
est omniprésente dans tout le pays»
.
Une restructuration de fond en comble du système des tribunaux du
pays a été recommandée dès 2002. Depuis, nombre de réformes ont
été entreprises mais le fonctionnement du système judiciaire fait
encore l’objet de critiques sévères.
40. A l’issue de sa visite en Bulgarie, le président de la commission
de suivi de l’Assemblée constate qu’il s’agit d’un pays «avec une
corruption endémique qui a atteint les rangs de l’administration
et du système judiciaire»
. L’affaire «Borilski» est considérée comme
un exemple édifiant de cette corruption. Dans cette affaire de meurtre
(d’un Bulgare en France), les meurtriers présumés ont été acquittés
malgré les preuves scientifiques accumulées par la police française
et transmises à la justice bulgare. L’un des deux accusés n’est autre
que le fils d’un ancien haut responsable du service des enquêtes
criminelles bulgare, par la suite devenu un avocat d’affaires très
influent
.
41. Selon la Commission européenne, la corruption a atteint une
telle échelle dans ce pays qu’elle influence et dénature le processus
politique et démocratique. On rapporte que seulement 20 % de la
population bulgare aurait confiance dans le judiciaire, lequel est
perçu comme corrompu et inefficace (contre 48 % en moyenne dans
les pays de l’Union européenne)
.
On rapporte qu’en 2007, avant l’adhésion à l’Union européenne, des efforts
avaient été entrepris pour endiguer la corruption, par exemple dans
l’administration fiscale ou au sein de la police en charge de la
circulation, mais qu’au contraire le gouvernement aurait toléré
une augmentation graduelle de la corruption, notamment dans le judiciaire
.
A la suite de l’adhésion à l’Union européenne, un travail en étroite
coopération a été instauré entre la Commission européenne, les Etats
membres et la Bulgarie, notamment en vue de renforcer le système
judiciaire et de lutter contre la corruption
. Dans ce contexte, la Commission
européenne a bloqué en novembre 2008 l’accès de la Bulgarie à près
de 500 millions d’euros de financement européen pour sa négligence
à lutter contre la corruption et le crime organisé. Le président
de la commission de suivi de l’Assemblée note que la réforme du
judiciaire a entraîné de nombreux changements de «pure forme»
qui ont donné aux réformes
«une orientation indésirable». L’indépendance du judiciaire n’est
pas encore assurée, notamment en raison du fait que le ministre
de la Justice préside le Conseil judiciaire supérieur et y dispose
d’un droit d’initiative
.
Dans sa note, le président de la commission de suivi sous-entend également
qu’au sein du Conseil judiciaire supérieur, juges, procureurs et
magistrats instructeurs s’immiscent dans des activités qui ne les
concernent pas. Il relève également que la nouvelle période probatoire
de cinq ans imposée aux nouveaux juges est «un obstacle de taille
à l’indépendance de la justice». Il conclut enfin avoir été «surpris
d’apprendre que [les juges] sont formés uniquement après leur nomination
et qu’il n’existe aucun système d’évaluation de leurs compétences.
(…) cela, ajouté à l’idée répandue de corruption, engendre (…) de
la méfiance à l’égard du système judiciaire». Par ailleurs, les
avocats, les juges, procureurs et magistrats instructeurs sont tous
représentés au sein du Conseil judiciaire supérieur. Les procureurs
membres de ce Conseil participent aussi aux votes pour les nominations
et les promotions des juges.
42. Pour répondre à ces problèmes graves, la Bulgarie a adopté
deux stratégies nationales contre la corruption et deux stratégies
additionnelles (adoptées en 2004 et en 2009) pour combattre la corruption
du judiciaire. Mais ces mesures sont réputées plus déclaratives
qu’effectives
.
En 2008, une nouvelle agence a été créée pour enquêter sur le crime
organisé et sur la corruption de haut niveau (Agence étatique pour
la sécurité nationale). Une section spécialisée sur les cas de corruption
de haut niveau a été mise en place au sein du bureau du procureur
général. Enfin, une inspection nouvellement créée au sein du Conseil
judiciaire suprême surveille les affaires criminelles de haut profil
et analyse les raisons des délais des procédures devant les tribunaux.
Ces nouveautés semblent indiquer que les autorités bulgares ont
désormais pris conscience de la nécessité de mettre un terme à la
corruption de haut niveau, y compris au sein du judiciaire, et que
la volonté politique nécessaire existerait. Cependant, seuls des
résultats concrets – à ce jour inexistants – prouveront que c’est
le cas. Il conviendrait, par exemple, que des poursuites menant
à des condamnations pénales soient engagées à l’encontre des juges
ou procureurs sur lesquels pèsent des allégations graves de corruption. Début
2009, selon Freedom House, les problèmes de corruption persistent
. Le rapporteur suggère que la commission
de suivi de l’Assemblée surveille de près l’évolution en la matière,
éventuellement en y consacrant une note thématique spécifique.
43. Concernant la Croatie, TI constate que le système judiciaire
manque de transparence et que des cas de corruption existent. L’état
du judiciaire dans ce pays est considéré par la Commission européenne
comme l’un des obstacles les plus importants à l’adhésion à l’Union
européenne. Selon des études d’opinion, le judiciaire est considéré
par la population en Croatie comme l’un des secteurs les plus corrompus
du pays. A ce jour, très peu de membres du judiciaire ont été condamnés
pour corruption
.
44. Bien que reconnaissant avoir des difficultés à évaluer la
corruption du judiciaire en République tchèque(faute de données précises), TI
considère que le système judiciaire de ce pays n’est pas suffisamment indépendant,
pas suffisamment cohérent, ni suffisamment efficace. TI note également
que le système judiciaire est largement susceptible de subir des
interférences du pouvoir politique.
45. Les corapporteurs de la commission de suivi de l’Assemblée
sur la Géorgie ont récemment noté que «les autorités ont lancé un
vaste ensemble de réformes du système et du pouvoir judiciaire,
dans le but de renforcer l’indépendance du judiciaire». Ils ont
signalé leur intention «de fournir [ultérieurement] une analyse détaillée
de ces réformes»
. Le rapporteur les encourage à analyser
dans ce contexte spécifiquement la question de la corruption du
judiciaire et note avec intérêt que, dans leur rapport précédent,
les corapporteurs avaient indiqué que des progrès significatifs
avaient été accomplis «dans la transformation d’une bureaucratie judiciaire
corrompue en un appareil judiciaire européen moderne», et que la
réforme du judiciaire en Géorgie «a progressé plus rapidement et
avec des objectifs plus clairs que dans de nombreuses autres sociétés
en mutation d’Europe centrale et orientale»
.
En effet, depuis 2004, plusieurs mesures ont été entreprises en Géorgie
pour s’attaquer aux sources de la corruption du judiciaire, notamment
via une augmentation substantielle de la rémunération des juges,
le renforcement des contrôles sur les pots-de-vin (plusieurs juges ont
été démis de leurs fonctions pour en avoir accepté). Cependant,
si la pratique des pots-de-vin a diminué, selon TI le judiciaire
subit toujours l’influence de l’exécutif. L’actuelle réforme du
judiciaire offre l’opportunité d’en renforcer l’indépendance.
46. Malgré la négation quasi systématique de l’existence d’une
quelconque corruption du judiciaire au sein de leurs tribunaux par
les pays d’Europe de l’Ouest, ces pays ne sont pas immunes à ce
phénomène. Dans ces pays également, la transparence du système judiciaire
au sens large devrait être renforcée. En Allemagne, l’affaire «Pirate-Bay»
illustre le cas d’une allégation de corruption en raison de la partialité
du juge. En l’espèce, alors qu’il s’agit d’une affaire sur les droits
d’auteur, le juge en charge de l’affaire est un membre actif de plusieurs
associations et fondations prônant le renforcement des droits d’auteur
(et même membre du directoire de l’une d’entre elles). Dans cette
affaire, dans laquelle des millions d’euros de dommages et intérêts étaient
en jeu, la peine de prison ferme prononcée à l’encontre des accusés
a surpris tous les observateurs du procès. Les juges doivent avoir
le droit de participer aux activités de la société, et notamment
aux activités syndicales, mais il faut garantir que les processus
de décision ne sont pas biaisés.
47. L’absence, dans la plupart des Länder en Allemagne, d’une
structure d’autogestion de la justice à l’instar des conseils supérieurs
de la magistrature qui existent dans presque tous les pays européens,
ainsi que la possibilité pour les ministres de la Justice dans la
plupart des Länder et au niveau fédéral de donner des instructions
à des procureurs concernant des affaires individuelles ont donné
lieu à des propositions de réforme dans le rapport de Mme Leutheusser-Schnarrenberger
précité, que le rapporteur soutient pleinement: l’Allemagne devrait
donner le bon exemple et mettre en place des structures participatives
qui protègent le judiciaire au mieux contre toute ingérence politique
qui peut, comme on l’a vu dans d’autres pays, aussi servir comme
porte d’entrée pour la corruption.
48. Sur une note positive, le rapporteur remarque que, contrairement
à la plupart des Etats d’Europe de l’Ouest, l’Allemagne n’a pas
eu peur de briser le tabou, et le Bundeskriminalamt (BKA) a mené
en 2000 une étude substantielle évaluant le niveau de corruption
dans la police, la justice et les douanes
. Il s’agit d’un exemple à suivre;
le rapporteur encourage tous les Etats membres à mener une étude
de ce type.
49. En Italie, il existe des scandales politico-judiciaires (qualifiés
de «guerre des toges» par la presse) impliquant de lourdes suspicions
de corruption de certains juges en vue de protéger entrepreneurs
et politiques. Lors de l’audition devant la commission en novembre
2008 à Moscou, l’un des experts invités, M. Davigo, a précisé que
la justice italienne a été très sévère avec la corruption au sein
du judiciaire. Il a ajouté qu’il est pourtant problématique que,
bien que l’article 319 du Code pénal punisse la corruption du judiciaire, le
délit de trafic d’influence n’existe pas en Italie. Si les cas de
corruption du judiciaire sont certes très rares en Italie, ils sont
cependant très graves. Il a cité succinctement un exemple impliquant
un homme politique (ancien ministre), qui avait invoqué ses obligations
de parlementaire pour ne pas apparaître au procès. Après avoir obtenu
de nombreux renvois, il avait finalement été condamné. Cette affaire
avait engendré un conflit entre autorités judiciaires et politiques,
le Sénat italien ayant, en 2001, critiqué les juges pour leur décision.
50. Une affaire récente a également fait largement polémique.
Elle implique le déplacement vers une autre juridiction du procureur
de Catanzaro, Luigi di Magistris, à la demande de ses supérieurs
et du ministre de la Justice de l’époque, Clemente Mastella. Le
juge di Magistris a porté plainte contre ce déplacement et les juges ayant
eu à traiter de sa requête ont soupçonné que son déplacement ait
eu pour but de nuire à sa réputation et de l’écarter d’une enquête
dont il fallait gêner le développement (le juge di Magistris avait
notamment mis en évidence dans son enquête des liens entre des entrepreneurs
locaux, des politiques de gauche comme de droite, des juges, ainsi
que l’ex-ministre de la Justice lui-même).
51. En Italie, certaines interventions politiques pour empêcher
des poursuites par des lois «sur mesure» sont à peine masquées.
En 2006, le parquet de Milan réclame un procès contre Silvio Berlusconi,
ainsi que contre son avocat David Mills, pour corruption en actes
judiciaires (notamment du fait de faux témoignages présumés de l’avocat).
Le 23 juillet 2008, une loi est votée qui accorde l’immunité judiciaire
au Président du Conseil dans l’exercice de ses fonctions. David
Mills, quant à lui, a été condamné à quatre ans et demi de prison
pour avoir fourni «un faux témoignage afin de concéder à Silvio
Berlusconi et à [son] groupe Fininvest l’impunité ou, au moins,
de conserver les profits considérables réalisés» (selon un tribunal
de Milan). Dans ce contexte, le rapport préparé en 2004 par notre
collègue Sabine Leutheusser-Schnarrenberger sur la loi italienne
sur la suspicion légitime est également pertinent
.
Dans ce rapport, elle constatait en effet que cette loi avait pour
effet de ralentir indûment certains procès, de faire peser la défiance
des justiciables sur l’ensemble des magistrats, et était donc contraire
au principe de l’égalité de tous devant la loi.
52. La commission de suivi de l’Assemblée a également exprimé
son inquiétude quant à la corruption du judiciaire en Moldova (il
a notamment été allégué que certains juges accorderaient des faveurs
politiques contre de l’argent) et a recommandé de «garantir l’indépendance
de l’appareil judiciaire et [de] renforcer l’efficacité et le professionnalisme
des juges»
. Les corapporteurs de la commission de
suivi remarquent que quelques affaires notoires «pourraient facilement
être interprétées comme une instrumentalisation politique de la
justice». Il existe actuellement un Plan d’action 2007-2009 de mise
en œuvre de la stratégie nationale de lutte contre la corruption
en Moldova.
53. Lors de sa visite au Monténégro en 2008, le commissaire a
relevé que «la corruption est un problème intersectoriel qui touche
tous les domaines de la vie publique et est le principal obstacle
à une mise en œuvre effective des normes en matière de droits de
l’homme»
. Il constate même
que «le sentiment général est que la corruption noyaute la vie politique,
le système judiciaire et l’administration publique au Monténégro»
. Une loi sur la prévention des
conflits d’intérêts – visant à limiter les fonctions incompatibles
ou multiples en demandant aux fonctionnaires de déclarer leurs revenus,
fonctions et primes – a certes été adoptée, mais semble peu ou mal
appliquée. Le commissaire note toutefois que des changements importants
dans la structure judiciaire, avec notamment le transfert du parlement
au Haut Conseil judiciaire du pouvoir de désigner et de démettre
les juges, ont été introduits par la nouvelle Constitution. Il considère
que, «en retirant au parlement le pouvoir de nommer et de démettre
les juges pour en investir le Haut Conseil judiciaire réformé, la
nouvelle Constitution a en partie résolu le problème du manque d’indépendance
du pouvoir judiciaire ressenti par le grand public. Seule exception
à cette règle: le président de la Cour suprême reste élu par le parlement».
Cependant, certaines inquiétudes ont été soulevées quant à la composition
du Haut Conseil judiciaire, laquelle ne garantirait pas sa totale
indépendance et autonomie, ni ne le mettrait à l’abri des influences
politiques
.
54. Il existe en Roumanie des problèmes similaires à ceux rencontrés
en Bulgarie et le même mécanisme de suivi des progrès effectués
a été mis en place par la Commission européenne après l’adhésion
. La confiance du public dans le
judiciaire a encore
décliné
ces dernières années
.
On rapporte que le Conseil supérieur de la magistrature agirait
comme un syndicat cherchant à contourner les exigences de transparence
.
Depuis la seconde moitié de 2008, des efforts ont été entrepris
pour renforcer la transparence de la justice, mais ils se sont limités
à un niveau technique (publication de la jurisprudence). Afin de
renforcer l’indépendance de la justice, les procédures de recrutement
et de promotion des juges et personnels du système judiciaire ont
été rendues plus transparentes.
55. Le rapporteur constate avec beaucoup d’inquiétude que, bien
que la loi l’interdise, il est fréquent que des juges, voire des
jurys entiers, soient remplacés sans raison apparente
.
Cela remet en question l’attribution aléatoire des affaires soumises
aux tribunaux et laisse penser que ces derniers sont soumis à certaines
influences
.
56. Il est indispensable non seulement que les outils visant à
combattre la corruption existent, mais aussi et surtout que la volonté
politique de le faire soit réelle et déterminée. Il faut que cette
volonté politique soit affirmée et suivie d’actes. Dans ce contexte,
il est intéressant de remarquer qu’une ancienne ministre de la Justice,
Mme Monica Macovei, a quitté ses fonctions en partie en raison de
la chute de la coalition au pouvoir, mais aussi en raison de son
opposition très vive à toute corruption
.
57. Concernant la Russie, le rapporteur note que les corapporteurs
de la commission de suivi envisagent «de faire de la lutte contre
la corruption (…) un des thèmes majeurs» de leur prochaine visite
.
C’est une excellente idée. TI considère d’ailleurs que la Russie
est un exemple de pays dans lequel le pouvoir politique a récemment
accru son influence sur le judiciaire
.
La mise en œuvre des peines dans les affaires relevant du droit
civil et en matière d’impôts est également soumise à une forte influence
du politique. Le rapporteur se réfère au rapport préparé par Sabine
Leutheusser-Schnarrenberger sur les circonstances entourant l’arrestation
et l’inculpation de hauts dirigeants de loukos
et à la
Résolution 1418 (2005) adoptée sur la base de ce rapport. Dans cette résolution,
l’Assemblée déclare que les poursuites engagées contre Mikhail Khodorkovski
et deux autres anciens dirigeants de Ioukos vont au-delà de la simple
poursuite de la justice. Elles visent notamment «l’affaiblissement
d’un adversaire politique déclaré, l’intimidation d’autres personnes riches
et la reprise du contrôle d’actifs économiques stratégiques» et
qui ont été «arbitrairement pris pour cibles» par les autorités
russes. L’affaire Ioukos est aussi un exemple pour la proximité
entre les motifs «politiques» et la corruption
strictu sensu: ce sont notamment
les circonstances de la vente aux enchères et de la revente de Yougansneftegaz,
principale filiale de production de Ioukos, décrites dans le rapport
précité qui laissent planer un doute à cet égard. Le rapporteur
note d’ailleurs avec autant d’inquiétude que Mme Leutheusser-Schnarrenberger
«le fait que deux hommes soient à nouveau jugés pour des faits qui
semblent être pour l’essentiel les mêmes que ceux pour lesquels
ils ont été condamnés en 2005»
. Il semblerait que le nouveau procès
n’ait été initié que pour empêcher la libération des anciens dirigeants
de Ioukos, dont les peines initiales viendront bientôt à échéance.
58. Dans l’affaire
Koudechkina contre
Russie , la Cour européenne des droits
de l’homme a constaté que la révocation de la magistrature de la
requérante pour avoir critiqué publiquement de hauts magistrats
était constitutive d’une violation de la Convention européenne des
droits de l’homme. En l’occurrence, la requérante avait accusé publiquement
des hauts magistrats d’exercer des pressions sur elle au sujet d’une
affaire pénale importante concernant une affaire de corruption à
grande échelle mettant en cause un enquêteur de police pour abus
de pouvoir. Dans ses déclarations, elle laissa par ailleurs entendre
que ce n’était pas la première fois que les tribunaux russes étaient
utilisés à des fins de manipulation commerciale, politique ou personnelle. La
Cour note dans ce contexte que la sanction en question, à savoir
la révocation de la requérante, est de nature à avoir un «effet
inhibiteur» sur les juges souhaitant participer au débat public
sur l’efficacité des organes judiciaires.
59. Dans son nouveau rapport, Mme Leutheusser-Schnarrenberger
atteste de fortes pressions exercées sur les juges en vue d’obtenir
des condamnations
. L’affaire
du juge V. P. Savelyuk semble montrer que la lutte contre la corruption
judiciaire elle-même peut donner lieu à des violations de l’indépendance
des juges. Cet exemple montre qu’une sensibilité particulière et
le respect pointilleux des droits de la défense sont nécessaires
dans les poursuites à l’encontre de juges accusés de corruption.
La condamnation, à grand fracas, mais selon une procédure douteuse,
d’un juge qui pourrait très bien être innocent n’est pas de nature
à résoudre le problème de la corruption judiciaire, ni même à rassurer
le public de manière durable.
60. L’affaire HSBC/Hermitage, présentée en détail dans le rapport
précité
,
fournit une illustration impressionnante des conséquences dramatiques,
même pour d’importants investisseurs étrangers, de la collusion
présumée de différents représentants des forces de l’ordre, des
autorités fiscales et de différents tribunaux qui aurait donné lieu
aussi à de fortes pressions contre des avocats
.
De telles affaires démontrent l’importance primordiale d’une justice
propre et efficace, apte à protéger les victimes de machinations criminelles
et à poursuivre leurs auteurs, et non l’inverse.
61. Dans son rapport de 2009 sur la Serbie, le commissaire constate
que «les procédures de nomination des juges et procureurs doivent
être plus transparentes et libres de toute influence politique,
afin de commencer à rétablir la confiance du public dans le pouvoir
judiciaire et le ministère public»
. La
Commission de Venise avait d’ores et déjà dénoncé «un risque majeur
de politisation» du judiciaire en raison du rôle du parlement dans
l’élection des juges
.
Une loi sur l’Agence de lutte contre la corruption a été adoptée
en octobre 2008, reste à voir si cette agence sera dotée des ressources
humaines et financières adéquates.
62. Eu égard à «l’ex-République yougoslave de Macédoine», le commissaire
a constaté lors de sa visite en 2008 que «les parties prenantes
tant nationales qu’internationales ont souvent décrit le pouvoir
judiciaire du pays comme étant faible et inefficace; de plus, il
est largement perçu comme étant entaché de corruption et comme étant
soumis à l’influence des politiques»
.
Le commissaire précise que «pour remédier aux faiblesses du judiciaire,
le gouvernement a adopté, en 2004, une stratégie et un plan d’action
en vue de le réformer, l’objectif étant d’en renforcer l’indépendance
et l’efficacité». Un certain nombre de réformes ont suivi (clarification
des procédures disciplinaires, formation et nomination des juges,
etc.). Ces réformes sont qualifiées de «progrès substantiels»
par
le président de la commission de suivi de l’Assemblée et de «démarches
importantes» par le commissaire, qui relève cependant que «le niveau
de confiance de l’opinion dans le judiciaire reste très faible».
63. Le président de la commission de suivi de l’Assemblée a soulevé
certaines interrogations quant à l’indépendance du judiciaire en
Turquie. Il remarque en effet que le Conseil supérieur de la magistrature
«ne peut pas initier des poursuites contre un juge ou un procureur
sans l’aval du ministre de la Justice»
. Sur cette base,
le risque existe que si des intérêts politiques sont en jeu, aucune
poursuite ne puisse être engagée. Par ailleurs, une récente étude
menée par la TESEV
conclut que le judiciaire n’est pas
objectif et tranche souvent en faveur de l’Etat. TI note que la
méfiance des citoyens envers le système judiciaire s’est accrue
ces dernières années. L’immunité protège les juges de façon disproportionnée
puisqu’elle les protège même dans des cas de pots-de-vin perçus
et qu’elle n’est quasiment jamais levée. TI dénonce également le
recours fréquent à des rapports d’experts privés, lesquels sont
susceptibles de recevoir des pots-de-vin de l’une ou l’autre des
parties au procès. Les décisions des juges sont souvent basées sur
les rapports de ces experts. Mais depuis quelques années, des efforts
ont été entrepris en vue de combattre la corruption dans le judiciaire.
Des juges et des procureurs ont été emprisonnés ou démis de leurs
fonctions pour avoir accepté des pots-de-vin. TI suggère que la
composition du Conseil supérieur de la magistrature soit modifiée,
notamment en supprimant les sièges du ministre de la Justice et
de son sous-secrétaire. Cela permettrait de réduire substantiellement
l’influence du gouvernement dans les procédures de nomination et
de promotion des magistrats.
64. Dans leur dernière note d’information, les corapporteurs de
la commission de suivi sur l’Ukraine se sont inquiétés de projets
remettant en cause l’indépendance de la justice, notamment en ce
qui concerne l’intention du ministre de la Justice de placer l’administration
judiciaire et l’Ecole de la magistrature sous son autorité
. Sous
cette autorité, les juges seraient naturellement plus sensibles
à d’éventuelles pressions de la part du gouvernement. Dans cette
même note, les corapporteurs poursuivent en précisant que «la majorité
de la population est convaincue que l’appareil judiciaire est l’institution
la plus corrompue d’Ukraine» (selon l’étude de 2007 de Transparency
International).
65. L’Agence sur le crime organisé sérieux (Serious Organised
Crime Agency), instituée au Royaume-Uni, a constaté que le crime
organisé a recours à la corruption pour ses activités et que, à
plusieurs reprises, des officiers de police chargés de l’application
de la loi ont été corrompus et ont agi de concert avec des criminels
. Le système judiciaire a fait l’objet
ces dernières années d’une importante réforme en vue d’en garantir formellement
l’indépendance vis-à-vis de l’exécutif, notamment via la réforme
des procédures de nomination dans toutes les juridictions du pays.
En effet, selon notre collègue Sabine Leutheusser-Schnarrenberger,
«la création en 2006 de la Commission des nominations judiciaires
(Judicial Appointments Commission) (…) renforce encore le principe
de l’indépendance du judiciaire à l’égard de toute influence politique».
Par contre, le rôle de l’avocat général (Attorney General), qui
a donné lieu à des débats controversés, notamment à l’occasion des
affaires
British Aerospace (BAE) and
«cash for honours» , reste encore à clarifier.
6. Mesures à prendre pour lutter efficacement contre
la corruption judiciaire
6.1. La prévention
66. En premier lieu, le rapporteur insiste sur la mise
en place de mesures visant à prévenir la corruption des membres
du judiciaire, notamment dans les Etats membres dans lesquels ce
phénomène reste marginal. Il est en effet plus facile de prévenir
l’apparition de la corruption judiciaire que de la guérir une fois
que le système est gangréné.
67. Le développement de codes d’éthique pour les acteurs du système
judiciaire, ainsi que des mécanismes pour assurer leur mise en œuvre
permettraient de développer cet aspect préventif. Comme l’indique
le CCJE dans son Avis 3 (précité), «la confiance et le respect portés
à la magistrature sont les garanties de l’efficacité du système
juridictionnel: la conduite du juge dans son activité professionnelle
est logiquement perçue par les justiciables comme un facteur essentiel
de crédibilité de la justice». Cet avis devrait servir de référence
dans la rédaction de codes d’éthique.
6.2. La nécessité de collecter des informations fiables
68. Il est également indispensable de mieux définir les
contours de la corruption du judiciaire afin de mieux lutter contre
ce phénomène. Le rapporteur estime qu’il serait nécessaire d’obtenir
des informations fiables par le biais de statistiques détaillées.
69. Il existe, certes, un nombre important de sources statistiques,
notamment celles collectées tous les ans par Transparency International
dans son Baromètre mondial de la corruption.
Cependant elles restent assez générales, ne mesurent que l’impression,
le ressenti des personnes interrogées, et n’ont pas un caractère officiel.
70. Il serait utile de collecter des informations chiffrées sur
les poursuites et les condamnations des acteurs du judiciaire dans
les Etats membres du Conseil de l’Europe. Mises en corrélation avec
les statistiques ressenties, elles donneraient une idée de l’énergie
(ou de l’absence d’énergie) avec laquelle les Etats membres s’attaquent
à la racine du problème. Il faut donc qu’il soit clair d’emblée
que ce sont justement les pays qui ont fait les plus grands progrès
en termes de transparence qui auront les statistiques les plus «négatives».
Leur évaluation politique doit tenir compte de cet aspect pour ne
pas pénaliser justement les pays qui font les plus grands efforts
de lutte contre la corruption judiciaire.
71. Le rapporteur se demande si une instance existante au sein
du Conseil de l’Europe pourrait préparer une étude en ce sens. Pour
garantir l’utilité d’une telle étude, elle devrait être mise à jour
sur une base biennale. De telles informations seraient certainement
utiles aux travaux du GRECO, lequel, dans le cadre de ses évaluations
du premier et du deuxième cycles, attache une importance particulière
à l’indépendance du judiciaire vis-à-vis du pouvoir politique et
d’autres sources d’influence.
72. Dans ce contexte, le rapporteur observe avec une certaine
inquiétude une initiative en cours au niveau de la Commission européenne.
A la suite de la décision du Conseil européen de 2008 relative à
la conclusion, au nom de la Communauté européenne, de la Convention
des Nations Unies contre la corruption (2008/801/CE), la Communication
de la Commission au Parlement européen et au Conseil du 10 juin
2009 concernant le Programme de Stockholm préconise «une évaluation
périodique des efforts menés par l’Union et par les Etats membres»
pour lutter contre la corruption. Le rapporteur estime qu’une telle
initiative, si elle était soutenue par les Etats membres de l’Union
européenne, conduirait inévitablement à une duplication du travail
du Groupe d’Etats contre la corruption (GRECO).
73. Le rapporteur invite le Comité des Ministres à encourager
une coopération plus étroite entre le GRECO et les institutions
pertinentes de l’Union européenne, y compris par le biais d’une
«participation de la Communauté européenne» au GRECO, telle que
prévue par le statut du GRECO, afin d’éviter des duplications et
de promouvoir des synergies.
74. Parmi les mesures de prévention devrait aussi figurer une
protection efficace des «donneurs d’alerte» (whistle-blowers), qui
constituent un facteur de risque et donc de dissuasion pour tous
les corrompus. Notre collègue Pieter Omtzigt (Pays-Bas, PPE/DC)
a fait des propositions en ce sens, que le rapporteur soutient pleinement.
6.3. Les poursuites
75. Selon le rapport préparé en 2008 dans le contexte
de l’Eurobaromètre relatif à l’attitude des européens à l’égard
de la corruption
, la majorité des citoyens
de l’Union européenne ne considère pas qu’il existe suffisamment
de poursuites judiciaires couronnées de succès dans leur pays pour
dissuader les gens de donner ou de recevoir des pots-de-vin (58 %).
En Finlande, 49 % des personnes interrogées pensent qu’il y en a
suffisamment, alors qu’en Slovénie, seuls 17 % partagent cet avis.
76. Comme l’a indiqué le GRECO dans certains de ses rapports,
«la justice doit non seulement être – mais aussi être perçue comme
étant – correctement exercée, afin de changer l’opinion de la population»
, notamment dans les pays dans lesquels
la population ne fait pas confiance au système judiciaire.
6.4. Propositions concrètes
77. Le GRECO a ainsi mis en évidence plusieurs domaines
ayant une influence importante sur l’indépendance et donc sur l’éventuelle
corruption du judiciaire:
- les
procédures de sélection et de nomination des juges;
- les systèmes de promotion ou d’évaluation des juges;
- les conditions de travail déficientes (entre autres, rémunération
insuffisante );
- les procédures de sélection et de nomination des procureurs;
- les systèmes de promotion ou d’évaluation des procureurs; et
- les procédures de révocation des procureurs.
78. Le rapport de TI met en évidence quatre problèmes récurrents
dans les pays étudiés: 1. la nomination des membres du judiciaire;
2. les mandats et les conditions de travail et salariales; 3. la
responsabilité et les mesures disciplinaires; et 4. la transparence.
79. TI constate d’ailleurs que ces éléments n’ont pas été suffisamment
pris en compte dans les diverses réformes judiciaires de ces deux
dernières décennies, qui se sont largement concentrées sur les aspects administratifs
des tribunaux.
80. Lors de l’audition devant la Commission, le président du GRECO,
M. Drago Kos, a présenté les moyens suivants à mettre en place afin
de lutter efficacement contre la corruption du judiciaire:
- les membres du judiciaire doivent
recevoir une rémunération appropriée par rapport à leur travail
en vue de minimiser les risques de tentations d’obtenir des revenus
supplémentaires;
- les procédures de recrutement, de promotion et de révocation
des juges et des procureurs doivent être claires, transparentes,
apolitiques et non partisanes – à cet égard la Charte
européenne sur le statut des juges prévoit l’intervention d’une instance indépendante du
pouvoir exécutif et du pouvoir législatif pour toute décision affectant
la sélection, le recrutement, la nomination, le déroulement de la
carrière ou la cessation de fonctions d’un ou d’une juge;
- le mandat des juges et procureurs doit être suffisamment
long et pas lié à une évaluation externe de leur travail;
- l’indépendance absolue du travail des juges et des procureurs
de toute interférence indue doit être garantie;
- des mécanismes de contrôle impartiaux doivent être mis
en place afin d’assurer la gestion adéquate des tribunaux et des
services du parquet;
- des mécanismes précis et objectifs de responsabilité des
juges et des procureurs doivent être développés, sans interférence
indue à l’encontre de leur indépendance et de leur impartialité,
tout en assurant la protection des plaignants contre les représailles
et en prévoyant des sanctions efficaces;
- des standards professionnels et éthiques pour les juges
et les procureurs doivent être développés et accompagnés de mécanismes
de suivi efficaces;
- les immunités du judiciaire ne devraient pas représenter
des obstacles excessifs à des poursuites effectives de membres corrompus du
judiciaire;
- les autorités judiciaires doivent avoir des ressources
humaines et matérielles suffisantes;
- un certain degré de spécialisation du judiciaire est requis;
- il est indispensable de former le judiciaire spécifiquement
sur les questions de corruption et d’éthique;
- les autorités judiciaires doivent avoir un accès aisé
à l’expertise dont elles ont besoin;
- les juges et les procureurs devraient toujours être conscients
de l’importance de leur rôle dans une société moderne.
81. Pour être efficace la lutte contre la corruption doit comporter
des enquêtes, des poursuites et, in fine, des
condamnations. Car s’il y a des criminels, ils doivent être punis
selon la loi.
82. En ce sens, la Charte européenne sur le statut des juges consacre
le «droit au recours» du juge. Tout juge estimant ses droits ou
son indépendance (ou celle de la justice) menacés doit pouvoir saisir
une instance indépendante.
83. Les traditions jouent également un rôle important. Dans une
culture dans laquelle la corruption n’est pas du tout acceptée,
il est plus difficile d’avoir un comportement déviant. Un tel comportement
est aussi plus risqué, et donc moins fréquent, quand les «donneurs
d’alerte» (whistle-blowers) sont
dûment respectés et protégés.
84. Il est nécessaire d’avoir des forces de police spécialisées,
des juges d’instruction, des experts, tous ayant reçu la formation
adéquate et disposant de ressources suffisantes afin d’assurer que
des enquêtes efficaces sont menées.
85. Or, si les lois existent pour poursuivre les criminels, encore
faut-il que la volonté politique de les poursuivre existe. En matière
de corruption, a fortiori de corruption du judiciaire, c’est la
volonté politique au plus haut niveau qui est indispensable.
7. Conclusions
86. Il est d’une importance capitale que le phénomène
de la corruption du judiciaire – terreau fertile de l’impunité
–
soit éradiqué.
87. La clé réside dans une réelle volonté politique. Trêve de
plans d’action vides de sens et autres promesses déclaratives, la
corruption du judiciaire et la corruption politique se nourrissent
et se renforcent mutuellement. Dès lors que le système judiciaire
est corrompu, il est improbable que les politiques usant de menaces
ou de pots-de-vin pour échapper à la justice soient jamais condamnés.
Un tel système exclut de facto les
candidats honnêtes qui pourraient vouloir s’attaquer aux racines
profondes du problème. Dès lors que l’on est fier de sa profession
et de ses hauts standards, la tentation de fraude s’affaiblit.
88. Il faut voir la réalité en face, les rapports sont accablants:
la corruption judiciaire est profondément ancrée dans plusieurs
Etats membres du Conseil de l’Europe et ce, avec l’aval d’acteurs
de premier plan des organes exécutifs de ces Etats (qui en profitent).
89. Le Conseil de l’Europe peut – et doit – jouer un rôle en exerçant
un contrôle accru de ce phénomène dans ses Etats membres, et l’Assemblée
parlementaire en particulier doit exercer la pression politique nécessaire
sur les organes politiques des pays concernés. L’Assemblée devrait
accroître ses activités de surveillance en la matière car, par définition,
les cas de corruption connus ne sont que la partie émergée de l’iceberg.
90. Il faut également ne pas fermer les yeux sur la corruption
du judiciaire dans les pays membres qui ne se sentent pas concernés
par ce phénomène a priori. La corruption peut prendre des formes
très variées, très pernicieuses, mais aussi apparemment très inoffensives
et quotidiennes. Le rapporteur encourage tous les Etats membres
du Conseil de l’Europe à faire preuve d’autocritique et à dépasser
un tabou en entreprenant une large étude de la corruption dans leur
propre système judiciaire.
91. Enfin, lorsque le système judiciaire est corrompu, c’est tout
le système démocratique qui est gangréné. Comme le conclut Transparency
International dans son rapport, «il est difficile d’exagérer les
conséquences négatives d’un système judiciaire corrompu» tant sa
capacité d’érosion sur tout un Etat est phénoménale.
***
Commission chargée du rapport: commission
des questions juridiques et des droits de l’homme
Renvoi en commission: Doc. 11330, Renvoi
3368 du 1er octobre 2007
Projet de résolution et projet
de recommandation adoptés à l’unanimité par la commission
le 11 septembre 2009
Membres de la commission:
Mme Herta Däubler-Gmelin (Présidente),
M. Christos Pourgourides,
M. Pietro Marcenaro, M. Rafael
Huseynov (Vice-Présidents), M. José Luis Arnaut,
Mme Meritxell Batet Lamaña, Mme Marie-Louise Bemelmans-Videc,
Mme Anna Benaki-Psarouda, M. Petru Călian, M. Erol Aslan Cebeci (remplaçant:
M. Mevlüt Çavuşoğlu), Mme
Ingrida Circene, Mme Ann Clwyd, Mme Alma Čolo, M. Joe Costello,
Mme Lydie Err, M. Renato Farina,
M. Valeriy Fedorov, M.Joseph Fenech Adami, Mme Mirjana
Ferić-Vac, M. György Frunda,
M. Jean-Charles Gardetto,
M. József Gedei, Mme Svetlana Goryacheva, Mme Carina Hägg, M. Holger
Haibach, Mme Gultakin Hajibayli, M. Serhiy Holovaty,
M. Johannes Hübner, M. Michel Hunault, Mme Fatme Ilyaz, M. Kastriot
Islami, M. Željko Ivanji, Mme Iglica Ivanova, Mme Kateřina Jacques,
M. András Kelemen, Mme Kateřina Konečná, M. Franz Eduard Kühnel, Mme Darja Lavtižar-Bebler,
Mme Sabine Leutheusser-Schnarrenberger, M. Aleksei Lotman, M. Humfrey
Malins, M. Andrija Mandić, M. Alberto Martins, M. Dick Marty, Mme Ermira Mehmeti, M. Morten
Messerschmidt, M. Akaki Minashvili,
M. Philippe Monfils, M. AlejandroMuñoz
Alonso, M. Felix Müri,
M. Philippe Nachbar, M. Adrian Năstase,
Mme Steinunn Valdís Óskarsdóttir, Mme Elsa Papadimitriou, M. Valery
Parfenov, M. Peter Pelegrini, Mme Maria Postoico, Mme Marietta de Pourbaix-Lundin, M. Valeriy
Pysarenko (remplaçant: M. Hryhoriy Omelchenko),
M. Janusz Rachoń, Mme Marie-Line
Reynaud, M. François Rochebloine, M. Paul Rowen,
M. Armen Rustamyan, M. Kimmo Sasi, M. Fiorenzo Stolfi, M. Christoph
Strässer, Lord John Tomlinson, M. Joan Torres Puig, M. Tuğrul Türkeş, Mme Özlem Türköne, M. Viktor Tykhonov (remplaçant:
M. Ivan Popescu), M. Øyvind Vaksdal, M. Giuseppe Valentino,
M. Hugo Vandenberghe, M.
Egidijus Vareikis, M. Luigi Vitali,
M. Klaas de Vries,Mme Nataša Vučković,M.
Dmitry Vyatkin, Mme Renate
Wohlwend, M. Jordi Xuclà i Costa
N.B. Les noms des membres ayant participé à la réunion sont
indiqués en gras
Secrétariat de la commission: M.
Drzemczewski, M. Schirmer, Mlle Szklanna, Mlle Heurtin