1. Introduction
1. Les médias constituent un chaînon vital de la démocratie.
L’égalité entre les femmes et les hommes que défend le Conseil de
l’Europe est une exigence démocratique. Pourtant, force est de constater
qu’à la télévision, dans la presse écrite et les médias électroniques,
les femmes sont sous-représentées ou victimes de sexisme: décrites
ou perçues comme des personnes faibles, vulnérables, dépendantes,
confinées dans leur rôle de mères, d’épouses ou d’objets sexuels,
les femmes qui réussissent dans le monde professionnel sont en revanche
présentées comme carriéristes, arrivistes, avec des qualités «masculines».
2. L’Assemblée parlementaire avait, dans sa
Résolution 1557 (2007), dénoncé l’image des femmes dans la publicité
. Mais
les femmes sont aussi absentes, ou représentées de manière stéréotypée
dans les médias (radio, télévision, presse écrite et médias électroniques).
Ces représentations figent les rôles attribués traditionnellement
aux femmes et aux hommes et entravent l’égalité entre les femmes
et les hommes. Aussi ai-je proposé, avec d’autres collègues, de
travailler sur cette question et de réfléchir sur les moyens de combattre
les représentations sexistes dans les médias
. Ce rapport s’intéressera aux stéréotypes
sexistes que l’on rencontre dans tous les médias (télévision, radio,
internet) à l’exception de la publicité, qui a fait l’objet d’un
rapport spécifique de l’Assemblée en 2005
.
3. Les stéréotypes constituent «une opinion toute faite, réduisant
les singularités, association stable d’éléments (images, idées,
symboles, mots) formant une unité, une définition spéciale d’un
objet dénommé à un moment donné» (définition du
Petit Robert, 2006) qui nous aident
à appréhender le monde. Dans le même temps, les stéréotypes évoquent
aussi un cliché, une caricature, une généralisation, une image toute
faite et figée faisant référence à un groupe de personnes, «image
le plus souvent basée sur des renseignements faux, exagérés, incomplets
ou extrapolés à partir d’un élément caractéristique souvent lié
à une particularité physique ou mentale»
.
Les stéréotypes sexistes ont une visée discriminatoire et cherchent
à maintenir les femmes et les hommes dans des rôles traditionnels
conférés par la société et, plus spécifiquement, dans une position
inférieure pour ce qui concerne les femmes.
4. Lorsque l’on évoque la lutte contre les stéréotypes sexistes
dans les médias, la liberté d’expression des journalistes est souvent
mise en avant pour éviter toute action ou interaction avec les médias.
Et pourtant l’atteinte à la dignité des personnes, y compris celle
des femmes, par l’utilisation banalisée de stéréotypes sexistes
n’est pas anodine. Elle peut, notamment dans les nouveaux médias
comme internet, qui échappent aux mécanismes de régulation traditionnels,
aller jusqu’à l’incitation à la haine ou à la violence à l’égard
des femmes. La lutte contre les stéréotypes sexistes doit être considérée
comme une composante de la lutte contre les discriminations et de
la promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes – qui constituent
des valeurs fondamentales du Conseil de l’Europe. Le respect de
la dignité de la personne humaine, et corollairement la lutte contre
l’incitation à la haine ou à la violence (y compris fondée sur le
genre) et la répression des pratiques discriminatoires (y compris
envers les femmes), doit primer sur la liberté d’expression. De
plus, l’égalité entre les femmes et les hommes constitue une composante
essentielle de la liberté d’expression, comme le rappelait l’association
Article 19 à l’occasion de la célébration de la Journée internationale
de la femme en 2010
.
5. La commission sur l’égalité des chances pour les femmes et
les hommes m’a nommée rapporteuse le 5 décembre 2008. J’ai proposé
à la commission d’organiser une audition sur cette question, qui
s’est tenue le 24 mars 2009 à Paris, avec la participation de Luise
F. Pusch, linguiste et écrivain (Allemagne), Lavinia Mohr, secrétaire
générale adjointe et directrice des programmes de l’Association
mondiale pour la communication chrétienne (WACC) (Canada), Marie-Thérèse
Casman, maître de conférences à l’université de Liège (Belgique),
Brigitte Grésy, rapporteuse de la Commission de réflexion sur l’image
des femmes dans les médias (France), et Pamela Morinière, responsable
des programmes sur l’égalité des genres de la Fédération internationale/européenne
des journalistes
.
6. Les stéréotypes sexistes ont été dénoncés dans de nombreuses
enceintes internationales
. Le Conseil de l’Europe a
consacré la 8e réunion de son «Réseau
informel sur l’approche intégrée de l’égalité entre les femmes et
les hommes» au thème de «L’approche intégrée de l’égalité entre
les femmes et les hommes dans les médias»
. Et l’un des ateliers de la prochaine
conférence ministérielle européenne sur l’égalité entre les femmes
et les hommes, qui se tiendra à Bakou (Azerbaïdjan) en mai 2010,
est consacré au sujet «Combattre les stéréotypes: le rôle de l’éducation
et des médias». Avec ce rapport, l’Assemblée entend contribuer aux travaux
du Conseil de l’Europe et faire valoir le point de vue des parlementaires
sur la question.
2. Des femmes invisibles,
ou sous-représentées dans les médias
7. Lors de l’audition organisée par la commission, tous
les intervenants ont mis en exergue la sous-représentation, voire
l’invisibilité des femmes dans les médias.
7.1. En 1995, 2000 et 2005, l’Association mondiale pour la
communication chrétienne a lancé le «Projet mondial de monitorage
des médias»
. Ainsi, le 16 février
2005, durant une journée, des centaines de bénévoles dans 76 pays
ont analysé près de 13 000 reportages diffusés à la télévision,
à la radio et dans la presse écrite (dont 9 451 en Europe). Ces
reportages portaient sur plus de 25 000 sujets (personnes interviewées
ou dont il est question dans l’article ou le reportage). Ils émanaient
de plus de 14 000 journalistes et présentateurs de radio et de télévision.
Les résultats présentés par Mme Mohr
sont édifiants:
- seulement 21 %
des sujets des nouvelles sont des femmes (contre 17 % en 1995).
Sur l’ensemble des personnes figurant dans les reportages, on compte
donc quatre hommes pour une femme;
- dans les nouvelles relatives à la politique et au gouvernement,
seulement 14 % des sujets sont des femmes;
- dans les informations sur l’économie et les entreprises,
elles ne sont que 20 %;
- les femmes engagées en politique sont, proportionnellement,
peu présentes dans les médias: au Portugal, les femmes représentent
25 % des députés et 2 % des personnalités politiques apparaissant
dans les informations; en Italie, elles sont 12 % au parlement et
2 % dans les nouvelles. En Suède, 46 % des parlementaires sont des
femmes, mais seulement 28 % des parlementaires qui apparaissent
dans les médias sont des femmes;
- dans la majorité écrasante des cas, les avis d’experts
entendus dans les nouvelles sont émis par des hommes, qui dominent
parmi les porte-parole (86 % d’hommes) et les experts (83 %);
- enfin, l’égalité/l’inégalité est un non-sujet: dans le
monde, 96 % des reportages n’attirent pas l’attention sur les questions
d’égalité ou d’inégalité qui pourraient avoir un lien avec le thème
dont ils traitent.
7.2. Ces tendances se retrouvent également dans le récent rapport
de la Commission de réflexion sur l’image des femmes dans les médias
présenté en France en 2008: les femmes apparaissent dans 37 % des
sujets traités à la télévision, contre 63 % pour les hommes; 17 %
des photos dans la presse hebdomadaire mixte représentent des femmes,
alors que 53 % des photos montrent des hommes
.
7.3. Les pays qui ont une participation plus importante de
femmes dans la vie publique ne sont pas épargnés par cette sous-représentation:
selon une étude réalisée parmi des télévisions publiques d’Europe
du Nord, seuls 32 % des participants sont des femmes. Les femmes
sont le plus souvent représentées dans des rôles avec un statut
social peu élevé: 47 % des «citoyens ordinaires» et 37 % des victimes
étaient des femmes, alors que la majorité des personnalités politiques
(72 %) et des experts (80 %) étaient des hommes
.
7.4. A l’échelle mondiale, des progrès ont certes été réalisés
depuis dix ans: la représentation des femmes a en effet doublé dans
les nouvelles «sérieuses», qui sont au centre de l’information,
passant de 7 % à 14 % dans le domaine de la politique et du gouvernement,
et de 10 à 20 % dans le domaine économique. Mais, à ce rythme, il
faudrait cinquante ans pour que les femmes occupent une place centrale
dans les informations sur la politique et le gouvernement et trente
ans dans les nouvelles économiques
.
3. Des femmes représentées en
tant que mères, objet sexuel – ou réduites à leur apparence physique
8. Lorsque les femmes sont présentes, les médias renvoient
souvent une image distordue de la réalité.
8.1. Mme Paseka, universitaire,
a mis en exergue les messages contradictoires que suscitent les articles
représentant des femmes et les photos illustrant le contenu de l’article.
L’illustration de Nataša Mičic, devenue présidente du Parlement
de la Serbie en 2001, est étonnante: alors qu’elle accède à des fonctions
politiques de premier ordre, elle est présentée sur les photos comme
la «Nicole Kidman de la Serbie», dans des postures lascives et suggestives
.
8.2. Ainsi, alors que les femmes françaises mesurent en moyenne
1,63 mètre pour 63 kg et ont 41 ans en moyenne, 85,75 % des femmes
dans la presse féminine sont jeunes, 92,75 % sont minces et 92,65 %
sont blanches
. Dans
la presse féminine, 50 % des femmes sont blondes – alors qu’elles
ne représentent que 10 % des femmes dans la société
. La
représentation des corps des femmes peut avoir un impact dramatique
sur les jeunes filles, confrontées aux désordres alimentaires comme l’anorexie
pour se conformer à ce qui est présenté dans les médias comme la
norme.
8.3. L’étude menée par l’université de Liège à la demande de
la Direction de l’égalité des chances de la communauté francophone
de Belgique démontre que les hommes sont présentés comme compétiteurs
ou idiots, rationnels, dotés d’un sens de l’humour, musclés, leur
corps est mis en valeur, ils sont souvent placés spatialement au-dessus
de la femme. Les femmes de leur côté axent leur discours sur l’apparence
ou l’état physique, elles sont présentées comme émotives, centrées
sur la famille, représentées dans des positions couchées, des postures
passives, lascives, et un corps morcelé (qui renvoie à une image
fétichisée de la femme) ou un corps mis en valeur de façon à évoquer la
sexualité
.
8.4. En matière de violence à l’égard des femmes, l’utilisation
d’un langage atténué, ou euphémique, aboutit aussi à distordre la
réalité et banaliser ce qui relève de la violation des droits de
la personne humaine. Ainsi, dans son essai «Wie
mann aus seiner Mördergrube ein Herz macht: Strategien männlicher
Imagepolitik» (Comment éviter de parler franchement:
les stratégies de la politique de l’image masculine) de 1989, Luise
Pusch a analysé le langage qu’emploient les journaux pour parler
de la violence à l’égard des femmes et a identifié trois niveaux
de solutions au problème du traitement de ce phénomène «délicat»:
l’ignorer, le nier ou le camoufler, à l’aide de trois techniques,
consistant à: 1. supprimer l’auteur en utilisant une construction
passive (exemple: «des enfants victimes d’abus sexuels»), 2. créer
la confusion par la fusion: la victime et l’auteur sont amalgamés
et ne peuvent plus être différenciés (exemples: on parlera de «violence
des jeunes» au lieu de «violence des jeunes hommes» de «violence
familiale» ou «violence domestique»); et, 3. par la banalisation
et la distorsion allant jusqu’à l’affirmation du contraire par le
recours à la méthode du spinning, une
technique affinée constamment par les spécialistes en communication (spin doctors). Pour Mme Pusch,
le terme «sexe» utilisé dans les articles allemands sur le viol
et les agressions sexuelles a ainsi une connotation excitante de
«plaisir» qui reflète l’expérience et la perspective des hommes,
alors qu’elle nie et oblitère l’expérience de la victime et masque
ou banalise la nature violente et souvent brutale des crimes.
9. Pour conclure ce constat, je note que les femmes sont soit
peu représentées, ou représentées de manière caricaturale et stéréotypée
(l’accent étant mis sur leurs qualités physiques, «féminines», «maternelles»,
voire sexuelles), soit elles sont quasi invisibles – et je voudrais
particulièrement souligner cet aspect qui, précisément, nous échappe
peut-être le plus. Car comme l’expliquait Mme Mohr,
«les femmes et leurs préoccupations, leurs opinions, leurs expériences,
leurs actions, leurs connaissances et leurs compétences sont pratiquement
absents du paysage médiatique. Leur invisibilité laisse entendre
qu’elles ne sont pas importantes. C’est peut-être la forme la plus
insidieuse et en même temps la plus grave de stéréotypes sexistes
diffusés par les médias d’information»
.
4. L’impact des stéréotypes sexistes:
une entrave à l’égalité entre les femmes et les hommes
10. La sous-représentation des femmes dans les médias
et les représentations stéréotypées confinent les femmes dans un
rôle passif et secondaire. Consciemment ou non, les médias perpétuent
un modèle de société fondée sur l’inégalité entre les femmes et
les hommes.
10.1. Cette vision de
la société est confortée par l’utilisation du langage qui, marqué
par le recours au «masculin générique» (pour désigner des fonctions,
des professions, et qui se veut une norme transcendant le genre
humain pour qualifier un groupe composé d’hommes et de femmes) n’est
pas neutre. Mme Pusch a consacré de nombreux
travaux au sexisme dans le langage et montré «que le "masculin générique"
n’est nullement neutre mais qu’il évoque surtout des images masculines
dans l’esprit des gens et ne permet pas à l’idée de femme d’émerger
d’emblée»
.
10.2. Cette représentation sexiste a une influence évidente
sur la formation de l’identité des filles et des jeunes femmes –
ainsi que des hommes. Elle influe leurs choix de vie et de carrière.
Les femmes sont ainsi amenées à se diriger vers des métiers réputés
«féminins» qui offrent des possibilités de carrière limitées alors
que les hommes sont orientés vers la recherche, les sciences, les
métiers techniques qui offrent de meilleures possibilités de carrière.
Petit à petit émerge le «sexisme ordinaire», fait de stéréotypes
et de représentations collectives qui, pour Brigitte Grésy, «se
traduisent par des mots, des gestes, des comportements ou des actes
qui excluent, marginalisent ou infériorisent les femmes»
.
10.3. Pour les femmes migrantes, confrontées à la double discrimination
en raison de leur sexe et de leur origine, l’impact des stéréotypes
sexistes est encore plus marquant et compromet leurs possibilités d’autonomisation
et d’émancipation au sein de leur communauté d’origine, mais aussi
dans la société d’accueil.
10.4. Plus grave encore, ce sexisme ordinaire pratiqué à outrance
et de manière répétée conduit aussi à banaliser la femme-objet,
les atteintes à la dignité humaine au nom du divertissement
qui peuvent conduire à banaliser
la violence (psychologique, physique) exercée contre les femmes.
Comme l’a souligné l’Assemblée dans sa
Recommandation 1882 (2009), «les contenus représentant des femmes et des jeunes
filles comme des objets ou limitant leur représentation à des stéréotypes
de genre avilissants peuvent conduire dans certains cas à pratiquer
une violence sexiste dans le monde virtuel et dans le monde réel,
y compris la (cyber)intimidation, le harcèlement et le viol, voire
à commettre des massacres dans des établissements scolaires»
. Je me réjouis que le Comité ad
hoc sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des
femmes et la violence domestique a reconnu que la lutte contre les
stéréotypes de genre est un instrument de promotion et de réalisation
pratique de l’égalité entre les femmes et les hommes dans lequel
devraient s’inscrire toutes les mesures visant à prévenir la violence à
l’égard des femmes
.
10.5. Enfin, les contraintes économiques parachèvent ce modèle:
même si le nombre de journalistes femmes est en augmentation, cela
ne suffit pas à changer la situation: en Russie par exemple, alors
que 80 % des journalistes sont des femmes, la plupart des patrons
de presse sont des hommes et imposent une vision sexuée de la réalité.
Les femmes continuent à être représentées comme des femmes au foyer.
Les sujets sur l’égalité des femmes et des hommes sont censurés
.
5. Combattre les stéréotypes sexistes
dans les médias: pistes d’action
11. En premier lieu, il faut donc favoriser la prise
de conscience et mettre en lumière l’invisibilité ou la sous-représentation
des femmes dans les médias. Cela s’obtiendra par un effort de décryptage
des médias et la mise en place d’indicateurs qui permettent de formuler
des recommandations et de suivre les progrès réalisés. Cette prise
de conscience peut être stimulée par l’existence de groupes de réflexion
et d’action
(think tanks) qui
peuvent se révéler particulièrement efficaces pour influencer les
décideurs politiques et les acteurs économiques
.
12. Les Etats membres peuvent également jouer un rôle pour inciter
les acteurs concernés (pouvoirs publics, instances de contrôle et
de régulation, pouvoir économique, associations et ONG) à promouvoir
non seulement la diversité, un sujet porteur actuellement, mais
aussi l’égalité entre les femmes et les hommes.
5.1. Formation, sensibilisation,
éducation
13. La sensibilisation du grand public est indispensable,
mais c’est avant tout dès le plus jeune âge et dans les écoles qu’il
faut instaurer une éducation aux médias pour former la jeunesse
au décryptage des images et des messages
: les études ont montré que le volume,
les conditions et le contenu de la consommation télévisuelle des
jeunes, l’estime de soi des jeunes, la valorisation des qualités
de «l’autre», mais aussi le capital culturel des parents ou les
représentations sexuées
sont
autant de facteurs qui rendent les jeunes réceptifs aux messages
stéréotypés. A cet égard, le Parlement européen a mis en exergue
l’impact des stéréotypes sexistes sur les enfants qui constituent
«un groupe particulièrement exposé, dès lors qu’ils font confiance
non seulement aux symboles de l’autorité mais aussi aux héros des
contes, des émissions télévisées, des livres illustrés, y compris
des manuels scolaires, des jeux télévisés, des publicités pour jouets,
etc.»
.
13.1. Les efforts consentis par les
écoles de journalisme ou les fédérations professionnelles doivent être
soutenus et renforcés. La formation des journalistes pour une sensibilisation
accrue aux questions de genre est en effet indispensable. Plusieurs
outils ont été développés:
13.1.1. Le
kit «portraying politics» développé par la Fédération européenne/internationale
des journalistes (FIJ) permet de sensibiliser les journalistes sur
la place de la femme en politique, en abordant les thématiques de
l’invisibilité des femmes dans l’information, le positionnement
des femmes sur les sujets dits «soft», le thème de la conciliation
de leur vie privée et professionnelle, la gestion des émotions en
politique ou le rôle du journaliste et les choix qu’il opère pour
retenir des images, des lieux, des musiques.
13.1.2. Le kit «screening gender» disponible auprès de l’Union
européenne de radiotélévision
met l’accent sur les bonnes et mauvaises
pratiques en matière de télévision.
13.1.3. Il faut saluer l’adoption, en novembre 2008 par la FIJ,
d’une résolution sur la violence à l’égard des femmes qui est un
sujet peu couvert, ou mal couvert, par les médias. L’accent a été mis
sur la manière adéquate d’utiliser des termes appropriés et précis
(ne pas confondre traite et prostitution par exemple), de donner
des informations sur le contexte, de parler des agresseurs, d’interviewer
les femmes agressées (et de préserver leur anonymat), d’utiliser
des sources fiables et de donner des numéros d’appels d’urgence
.
13.1.4. Enfin, signalons la publication en juillet 2009 du guide
Rétablir l’équilibre – Egalité des genres dans
le journalisme coproduit par l’UNESCO, la Fédération
internationale des journalistes et la Confédération des syndicats
et des employés suédois (LO-CTO). Ce guide est un outil pratique
qui traite de la situation des femmes journalistes dans les médias,
des stéréotypes, des femmes journalistes dans les associations et
les syndicats, et rappelle les actions de la FIJ en matière de harcèlement
moral et d’égalité des genres.
13.2. D’autres mesures incitatives peuvent être mises en place,
comme l’attribution de prix visant à récompenser des bonnes pratiques
journalistiques (comme cela est pratiqué par le magazine féministe allemand
Emma). Ces prix permettent d’attirer l’attention des journalistes
sur la nécessité d’inclure une perspective de genre dans les sujets
traités.
13.3. Parce qu’elles sont sous-représentées sur les plateaux
de télévision, parce qu’elles se sentent mises en minorité lorsqu’elles
sont en sous-nombre, les rares femmes invitées hésitent à répondre favorablement
aux sollicitations. Les études montrent que les membres d’un groupe
sous-représenté se sentent à l’aise lorsqu’ils constituent au moins
30 % du panel
. Lors de l’audition organisée
à Paris, plusieurs mécanismes ont été évoqués pour faciliter l’identification
et l’invitation d’expertes femmes dans les débats ou les journaux
médiatisés, notamment la mise en place de listes d’expertes et de consultantes,
suivant l’exemple de la Belgique
.
5.2. Le cadre juridique – Des dispositifs
à renforcer?
14. La Convention sur l’élimination de toutes les formes
de discrimination envers les femmes (CEDEF/CEDAW) – à laquelle tous
les Etats membres du Conseil de l’Europe sont parties – appelle,
dans son article 5, à l’adoption de mesures appropriées «afin de
modifier les schémas sociaux et culturels de conduite des hommes
et des femmes afin de parvenir à l’élimination des préjugés et des
pratiques culturelles et autres qui sont fondées sur l’idée de l’infériorité
ou de la supériorité de l’un ou l’autre sexe ou sur des rôles stéréotypés de
femmes et d’hommes».
15. Il faut noter que l’Espagne a ancré la lutte contre les stéréotypes
sexistes dans sa législation: la loi organique pour l’égalité effective
entre les femmes et les hommes de 2007 consacre un titre aux moyens
de communication. Elle souligne la responsabilité des médias publics
dans la transmission d’une image égalitaire, plurielle et non stéréotypée
des femmes et des hommes dans la société, et la promotion du principe
d’égalité entre les femmes et les hommes. Elle invite la RTVE et
l’agence EFE à refléter de manière adéquate la présence des femmes
dans les différents secteurs de la vie sociale, d’utiliser un langage
non sexiste, d’adopter des codes de conduite visant à promouvoir
l’égalité et de collaborer avec les campagnes institutionnelles
visant à favoriser l’égalité entre les femmes et les hommes et l’éradication
de la violence à l’égard des femmes. Les médias privés sont invités
à éviter toute forme de discrimination et la publicité comportant
une conduite discriminatoire au sens de la loi sera considérée comme
illicite
.
16. Une attention particulière doit être portée aux nouveaux médias
électroniques, qui échappent souvent à tout mécanisme de régulation.
Ces médias, d’une part, représentent un champ nouveau d’expression
pour les femmes qui se sont emparées de l’espace virtuel
, y voient la possibilité de développer
un journalisme différent
. Cependant, il faut craindre que la
concentration et le contrôle des médias accentuent les contraintes
professionnelles et renforcent la commercialisation et la sexualisation
du contenu du journalisme
. La resexualisation et l’hypersexualisation
des femmes et des jeunes filles (qui font de leur attractivité sexuelle une
définition de leur personne) que l’on peut observer aujourd’hui
dans les médias, en particulier sur internet, laissent penser que
le sexisme y devient hélas encore plus présent
.
17. L’adoption de codes de bonne conduite ou de codes éthiques
impliquant tous les acteurs du secteur des médias peut contribuer
à la sensibilisation des professionnels à l’impact des stéréotypes
sexistes dans la société, en particulier auprès des jeunes, et doit
inclure une dimension genre. Quelques exemples peuvent être cités:
17.1. En Allemagne, le Code de la
presse précise (chapitre 12) que personne ne peut être discriminé en
raison de son sexe, d’un handicap ou de son appartenance à un groupe
ethnique, religieux, social ou national. Les plaintes peuvent être
adressées au Conseil de la presse (Presserat)
.
17.2. Le Conseil de l’audiovisuel de Malte a édité des «orientations
sur l’égalité entre les femmes et les hommes et la représentation
des femmes et des hommes dans les médias de télévision et de radiodiffusion»
visant
à aider les producteurs à «développer une image positive des femmes
et les hommes et à éliminer la discrimination systématique». Ces
recommandations détaillées sont un exemple particulièrement intéressant.
17.3. En France, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA),
autorité administrative indépendante dotée de pouvoirs de sanction,
veille à ce que les programmes de radio et de télévision ne contiennent «aucune
incitation à la haine ou à la violence pour des raisons (…) de sexe»
et «au respect de la dignité de la personne dans les programmes
mis à la disposition du public»
.
18. La directive «Télévision sans frontière» révisée de l’Union
européenne autorise les Etats de l’Union européenne, dans le domaine
des services de médias audiovisuels à la demande, à prendre des
mesures dérogatoires lorsqu’elles s’avèrent nécessaires pour «l’ordre
public, en particulier la prévention et les enquêtes et poursuites
en matière d’infractions pénales, notamment (…) la lutte contre
l’incitation à la haine fondée sur la race, le sexe, la religion
ou la nationalité et contre les atteintes à la dignité de la personne
humaine». De plus, «les Etats membres veillent, par des mesures
appropriées, à ce que les services de médias audiovisuels fournis
par les fournisseurs relevant de leur compétence ne contiennent
aucune incitation à la haine fondée sur la race, le sexe, la religion
ou la nationalité» et à ce que les communications commerciales audiovisuelles fournies
par les fournisseurs de services de médias relevant de leur compétence
«ne comportent pas de discrimination fondée sur le sexe, l’origine
raciale ou ethnique, la nationalité, la religion ou les convictions,
un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle, ni ne promeuvent une
telle discrimination»
.
19. La lutte contre les stéréotypes sexistes doit être renforcée
par un dispositif juridique qui en réprime effectivement les formes
les plus graves. A titre d’exemple, la loi française du 29 juillet
1881 (telle que modifiée en 2004
) sur la liberté de
la presse réprime les propos sexistes tenus par voie de presse,
de publicité, de communication au public par voie électronique,
ou par tout autre moyen de publication, de la même façon qu’elle
réprimait déjà, par exemple, les propos racistes
. Pour l’ensemble de ces délits, est désormais
prévue la possibilité pour les associations ayant pour objet «de
combattre les violences ou les discriminations fondées sur le sexe
ou d’assister les victimes de ces discriminations» d’exercer les
droits reconnus à la partie civile, sous réserve de l’accord des
victimes (article 48-5). La loi prévoit en outre la possibilité
pour le ministère public de poursuivre d’office, notamment en cas
de diffamation ou d’injure sexiste (article 48)
.
20. Il faut se féliciter que ce type de loi permette de renforcer
l’arsenal juridique pour que les atteintes à la dignité et à l’intégrité
des femmes (qui sanctionnent ainsi les insultes sexistes, la diffusion
d’images dégradantes ou l’incitation à la haine sexiste). Je considère
aussi que l’éducation et les médias jouent un rôle fondamental pour
combattre les stéréotypes sexistes. Cependant, compte tenu de la
nature subtile des stéréotypes sexistes, qui perpétuent des attitudes
et des opinions jugées comme «la norme», les dispositions juridiques
visant à sanctionner la discrimination ne sont pas toujours opérantes.
Il incomberait aussi aux Etats membres, en vertu de leurs obligations
positives, d’agir pour garantir le droit à l’égalité entre les sexes opposable
devant une juridiction. Cette avancée devrait aussi se traduire
dans le système de la protection des droits fondamentaux garantis
par la Convention européenne des droits de l’homme, raison pour
laquelle, dans sa
Recommandation
1798 (2007) sur le respect du principe d’égalité des sexes en droit
civil, l’Assemblée a invité le Comité des Ministres à élaborer un
nouveau protocole à la Convention européenne des droits de l’homme
inscrivant l’égalité entre femme et homme comme un droit fondamental
de la personne humaine. Car je partage pleinement les propos de
Thorbjørn Jagland, Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, qui,
à l’occasion du 100e anniversaire de
la célébration de la Journée internationale de la femme, déclarait
le 8 mars 2010: «Nous devons passer la vitesse supérieure, grâce
à de nouvelles politiques et à de nouvelles stratégies. En dépit
de nos nobles idéaux, il manque aux démocraties européennes un pilier,
et ce pilier est une véritable égalité entre les sexes.»
6. Conclusions
21. Améliorer la visibilité et la représentation des
femmes dans les médias est une exigence démocratique. A cet effet,
les Etats membres du Conseil de l’Europe devraient soutenir des
mesures énergiques pour combattre les stéréotypes sexistes manifestes,
mais aussi la sous-représentation des femmes qui constitue une manifestation
cachée et subtile du stéréotype de la femme invisible, passive,
confinée dans un rôle traditionnel de mère ou réduite à l’état d’objet.
Cette représentation des femmes dans les médias est en décalage
avec l’évolution de la société, la place que les femmes occupent
réellement dans la société ou leurs aspirations.
22. A l’heure où les femmes investissent le champ politique, les
médias semblent être à la traîne. Comme l’a souligné l’experte Susan
Balducci (université d’Exeter) lors de la conférence du Parlement
européen du 2 mars 2010 consacrée aux femmes et aux élections européennes,
les femmes représentaient 35 % des candidats aux élections européennes
de 2009 et 34 % des élu(e)s. Néanmoins, elles n’ont bénéficié que
de 19 % de la couverture médiatique, ce qui peut expliquer le manque
d’intérêt des femmes pour la politique européenne, et l’image moins
positive qu’elles ont de l’Union européenne que leurs homologues
masculins
. Alors que les électeurs et les électrices
sont prêt(e)s à voter pour des femmes, la scène médiatique leur
reste toujours peu accessible.
23. Comme le souligne Claudine Lienard, langage, médias, publicité
mais aussi, sous une apparence plus légère, humour sont producteurs
et transmetteurs de stéréotypes sexistes qui renforcent la caricaturisation
des rôles féminin et masculin
.
Les stéréotypes sexistes (explicites ou implicites) véhiculés par
les médias ont un impact sur l’attribution des rôles et fonctions,
les orientations scolaires et professionnelles, l’aménagement et l’animation
et l’espace, l’offre d’objets et de services ou encore la participation
citoyenne. Les stéréotypes sexistes sont ainsi des «outils de discriminations
sexistes». Prendre conscience de ces stéréotypes, les repérer et
les décoder dans le choix des mots, des thèmes, des images – mais
aussi de l’invisibilité des femmes qui induit une discrimination
«en creux»
– permettra de transformer les stéréotypes
sexistes et les utiliser comme outils de lutte contre les discriminations
hommes/femmes
.
Pour ce faire, l’Assemblée pourrait recommander les pistes suivantes:
- reconnaître que les stéréotypes
sexistes qui confinent les femmes dans des rôles traditionnels,
ou l’invisibilité des femmes dans les médias, qui constitue une
discrimination «en creux», représentent une entrave à la promotion
et à la réalisation effective de l’égalité entre les femmes et les
hommes;
- déconstruire les stéréotypes implique un effort de formation
et d’éducation, dès le plus jeune âge, pour repérer et décrypter
les images stéréotypées et pour inclure l’égalité entre les femmes
et les hommes dans les cursus scolaires;
- lutter contre les stéréotypes sexistes qui produisent
de la discrimination fondée sur le genre par un arsenal juridique
approprié;
- impliquer les acteurs du paysage médiatique pour inclure,
dans les mécanismes de coordination, de régulation ou d’autorégulation,
une perspective de genre, une sensibilisation à l’identification
et à l’élimination des stéréotypes sexistes dans les médias et un
«monitorage» des médias;
- inclure des quotas et des mesures positives pour garantir
une meilleure participation des femmes, à la fois d’un point de
vue quantitatif et qualitatif, dans les médias publics.