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Rapport | Doc. 12285 | 08 juin 2010

La recherche d’un équilibre entre le sauvetage des découvertes archéologiques et les projets d’aménagement

(Ancienne) Commission de la culture, de la science et de l'éducation

Rapporteur : M. Edward O'HARA, Royaume-Uni

Origine - Renvoi en commission: Doc. 11617 rév, Renvoi 3487 du 29 septembre 2008. 2010 - Commission permanente de novembre

Résumé

Les nouveaux projets d’aménagement entraînent souvent une confrontation entre, d’une part, ceux qui prétendent que le patrimoine culturel et naturel ne doit en aucun cas être sacrifié et, d’autre part, ceux qui soutiennent que rien ne doit entraver le développement économique, qui sert non seulement les intérêts privés mais aussi l’ensemble de la société.

En même temps, les idées selon lesquelles le développement économique devrait être responsable et non intrusif et qu’aucun progrès ne peut être accompli sans le respect du principe de responsabilité connaissent un succès croissant. Le grand public est aussi de plus en plus conscient de la nécessité de préserver le patrimoine local, national et mondial, et se préoccupe de plus en plus de la préservation de l’environnement et du besoin de «sauver notre planète» pour les générations futures.

Il est important que les acteurs internationaux s’appuient sur ce climat social favorable et encouragent l’intérêt porté à l’archéologie ainsi que les investissements dans ce domaine, en insistant sur le constat irréfutable que le patrimoine archéologique, comme l’environnement, est une ressource finie et non renouvelable.

Le Conseil de l’Europe a toujours reconnu la valeur du patrimoine culturel de tous les Etats membres. L’Assemblée parlementaire a toujours adopté une approche équilibrée dans ce domaine, ce qui implique que les intérêts du développement économique doivent être préservés, mais qu’il faut également trouver des moyens pour étudier et enregistrer les découvertes archéologiques, et sauvegarder celles qui sont considérées comme irremplaçables et uniques.

Ce rapport souligne l’importance de la mise en œuvre des instruments normatifs du Conseil de l’Europe dans le domaine du patrimoine culturel et examine quelques exemples pris sur le terrain de la confrontation entre les projets de développement à grande échelle et les découvertes archéologiques.

A. Projet de recommandation 
			(1) 
			Projet de recommandation
adopté à l’unanimité par la commission le 10 mai 2010.

(open)
1. Le patrimoine archéologique de toute l’Europe subit des pressions croissantes du fait des projets d’aménagement. Cela pose des défis considérables pour la gestion du patrimoine, mais peut offrir également des occasions importantes d’améliorer notre compréhension du passé.
2. Les projets miniers de Roşia Montană (Roumanie), les projets de construction d’un barrage à Allianoi (Turquie), les travaux de l’autoroute M3 jouxtant le site historique de Tara Hill (Irlande) ou les installations pour les jeux Olympiques, notamment à Marathon et à Markopoulo (Grèce), sont autant d’exemples récents de grands projets d’aménagement qui témoignent de l’antagonisme entre le développement et la nécessité de préserver le patrimoine culturel. S’y ajoutent de nombreux projets industriels sur des terres agricoles à travers l’Europe.
3. La difficulté d’évaluer à l’avance l’importance du patrimoine archéologique dans une situation particulière et de modifier des plans d’aménagement en conséquence est un problème économique et culturel. La question peut être aussi d’ordre politique. Il convient donc de trouver un juste équilibre entre la valeur culturelle et le gain économique ainsi que des méthodes viables de financement des projets archéologiques. Lorsque la préservation in situ n’est pas possible ou appropriée, d’autres moyens existent d’éviter la perte de vestiges archéologiques et de contribuer à notre connaissance du passé, tels que des fouilles, des relevés et des analyses, l’interprétation ainsi que des publications scientifiques. Parfois, la reconstitution des vestiges récupérés est possible sur un autre site.
4. Les intérêts locaux peuvent être plus vulnérables aux pressions diverses et devraient peut-être être pesés et protégés dans une perspective plus large. C’est précisément là que les autorités nationales et la communauté internationale, y compris les organisations non gouvernementales responsables, ont un rôle à jouer.
5. Si, d’un côté, des menaces pèsent sur l’existence du patrimoine archéologique, le grand public, quant à lui, est de plus en plus conscient de la nécessité de préserver le patrimoine local, national et mondial. Parallèlement, la préservation de l’environnement et le besoin de «sauver notre planète» pour les générations futures sont des préoccupations grandissantes. Les idées selon lesquelles le développement économique devrait être responsable et non intrusif et qu’aucun progrès ne peut être accompli sans devoir rendre des comptes connaissent un succès croissant. Il est important que les acteurs internationaux s’appuient sur ce climat social favorable et renforcent l’intérêt porté à l’archéologie et les investissements dans ce domaine, en insistant sur le constat irréfutable que le patrimoine archéologique, comme l’environnement, est une ressource finie et non renouvelable.
6. Le Conseil de l’Europe a toujours reconnu la valeur du patrimoine culturel de tous les Etats membres: l’article 1 de la Convention culturelle du Conseil de l’Europe (STE no 018) de 1954 stipule que «Chaque Partie contractante prendra les mesures propres à sauvegarder son apport au patrimoine culturel commun de l’Europe et à en encourager le développement».
7. La Convention européenne pour la protection du patrimoine archéologique (révisée) de 1992 (Convention de La Valette, STE no 143) est la référence européenne dans ce domaine. Elle fait de la conservation et de la mise en valeur du patrimoine archéologique l’un des objectifs des politiques d’aménagement du territoire et d’urbanisme. Elle vise en particulier les modalités de coopération entre les archéologues et les aménageurs et urbanistes afin d’assurer une conservation optimale du patrimoine archéologique.
8. La Convention pour la sauvegarde du patrimoine architectural de l’Europe de 1985 (Convention de Grenade, STE no 121) établit les principes d’une coordination européenne des politiques de conservation et recommande l’adoption d’une approche intégrée réconciliant la protection du patrimoine architectural avec les besoins liés aux activités culturelles, sociales et économiques contemporaines.
9. La Convention-cadre sur la valeur du patrimoine culturel pour la société de 2005 (Convention de Faro, STCE no 199) repose sur l’idée que la connaissance et l’usage du patrimoine font partie du droit du citoyen à participer à la vie culturelle telle qu’elle est définie dans la Déclaration universelle des droits de l’homme.
10. Les activités du Conseil de l’Europe dans le domaine du patrimoine culturel correspondent à plusieurs de ses orientations de politique générale telles que définies, en particulier, par les chefs d’Etat et de gouvernement au 3e Sommet de Varsovie (2005) et par la Convention de Faro. L’accent est donc placé sur les possibilités qu’offrent les projets patrimoniaux de favoriser le dialogue interculturel et de promouvoir la reconnaissance de la valeur du patrimoine culturel pour la société. Les liens entre le patrimoine naturel et culturel ont été resserrés et la coopération régionale est encouragée.
11. L’Assemblée parlementaire a apporté une contribution importante aux travaux du Conseil de l’Europe dans ce domaine. En 1978, par exemple, sa Recommandation 848 proposait un instrument juridiquement contraignant pour la protection du patrimoine culturel subaquatique. Bien que cette proposition n’ait pas été entièrement approuvée par le Comité des Ministres, certains de ses éléments ont néanmoins été inclus dans la Convention de La Valette.
12. Plus récemment, l’Assemblée a adopté plusieurs textes importants, notamment la Résolution 1285 (2002) sur l’exploitation du potentiel du tourisme en Europe, la Recommandation 1634 et la Résolution 1355 (2003) sur les mesures fiscales visant à encourager la conservation du patrimoine culturel, la Recommandation 1730 (2005) sur la gestion privée des biens culturels et la Recommandation 1851 et la Résolution 1638 (2008) sur les métiers artisanaux et le savoir-faire liés à la conservation du patrimoine culturel.
13. A la lumière de ce qui précède, l’Assemblée recommande au Comité des Ministres d’encourager les Etats membres:
13.1. à signer et à ratifier, s’ils ne l’ont pas déjà fait, la Convention de La Valette, la Convention de Faro et la Convention de Grenade;
13.2. à intégrer les dispositions de ces conventions dans leur législation, en particulier la Convention de La Valette, qui contient une description détaillée de toutes les étapes nécessaires d’une préservation du patrimoine réussie;
13.3. à exercer une vigilance extrême à l’égard des projets d’aménagement, comme l’indique la Convention de La Valette, et associer des aménageurs privés au financement de toutes les étapes de la recherche et de la préservation;
13.4. à partager les pratiques et les expériences de leurs procédures concernant l’archéologie préventive;
13.5. à établir des réseaux non seulement pour partager des connaissances et de l’expérience, mais aussi pour favoriser les échanges dans le domaine entre les acteurs multidisciplinaires de la conservation du patrimoine culturel;
13.6. à offrir des possibilités de formation suffisantes, y compris des archéologues, et également d’enseignement des métiers traditionnels afin que les travaux de préservation, de restauration et de reconstitution puissent être conduits d’une manière durable;
13.7. à prendre des mesures concrètes afin de sensibiliser le public à la valeur du patrimoine archéologique, en publiant des documents, en utilisant des technologies modernes pour présenter les résultats (visites virtuelles sur internet, etc.) et en organisant, dans la mesure du possible, un accès public aux sites présentant un intérêt particulier.
14. L’Assemblée invite aussi le Comité des Ministres à examiner plus en profondeur la question de l’archéologie de sauvetage et préventive en se fondant sur des études de cas et avec la participation d’archéologues, d’historiens de l’art et d’autres spécialistes pertinents, d’aménageurs, d’autorités locales et gouvernementales nationales et d’organisations non gouvernementales.
15. Enfin, l’Assemblée recommande que le Comité des Ministres:
15.1. encourage une approche intégrée du patrimoine culturel dans ses activités en tenant compte de l’interaction entre le patrimoine culturel et naturel (y compris le paysage) et des questions environnementales;
15.2. examine la manière dont le suivi de la Convention de La Valette pourrait être renforcé, en particulier en vue de donner une place plus importante à l’archéologie préventive dans les Etats membres où la destruction du patrimoine se poursuit en toute impunité et de contribuer ainsi à la préservation du patrimoine européen pour les générations futures;
15.3. veille à ce que des moyens appropriés soient affectés aux activités de suivi de la Convention de La Valette, en particulier la base de données unique du Réseau du patrimoine européen (HEREIN) qui permet d’organiser des activités conjointes et de partager les bonnes pratiques;
15.4. renforce encore la coopération avec l’Union européenne et l’UNESCO dans le domaine de la recherche archéologique et des projets archéologiques spécifiques dans les Etats membres;
15.5. encourage, en ce qui concerne l’Union européenne en particulier, la poursuite des initiatives conjointes visant à renforcer la protection du patrimoine archéologique et à faciliter les travaux conduits dans ce domaine.

B. Exposé des motifs, par M. O’Hara, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. Au cours de l’Histoire, il y a toujours eu des cas où les travaux pour de nouvelles constructions ont découvert des vestiges de constructions précédentes. Nous avons tous pu voir clairement, lors de la construction de certains bâtiments, plusieurs époques de l’histoire du site.
2. Les pertes considérables infligées au patrimoine et les altérations d’éléments d’identité culturelle observées au XXe siècle ont été dues à un certain nombre de facteurs socio-économiques. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, les quartiers centraux des villes européennes ont été reconstruits alors que la croissance démographique entraînait le développement de l’agriculture intensive ainsi que la construction accélérée de logements. Sont apparues ainsi des banlieues, des villes nouvelles, etc. Parallèlement, des travaux d’infrastructure ont été progressivement entrepris pour faire face à la croissance des populations et de la prospérité. On a d’abord construit des autoroutes, puis des pipelines pour la distribution d’énergie et enfin des voies de chemin de fer à grande vitesse afin que des distances plus importantes soient parcourues entre le domicile et le travail. L’aménagement de sites vierges – des terrains non soumis à des contraintes résultant d’une exploitation antérieure – et d’anciennes friches industrielles impliquant l’utilisation de bâtiments commerciaux et industriels sous-utilisés ou abandonnés a soulevé de nombreuses questions liées à la vocation précédente des terres.
3. Face à ce développement économique, on a assisté au cours de ces dernières années à un intérêt croissant du public pour le patrimoine culturel et une prise de conscience accrue de la valeur de l’archéologie pour comprendre la civilisation moderne. Il faut ajouter à cela les progrès des techniques de prospection accessibles aux professionnels comme aux amateurs. Ce point a été étudié en détail dans un précédent rapport de l’Assemblée parlementaire sur le patrimoine culturel maritime et fluvial (Doc. 8867), avec une référence particulière aux menaces que représentent, pour le patrimoine subaquatique, des sauveteurs, des chasseurs de trésors et des plongeurs qui échappent à tout contrôle.
4. L’Assemblée a toujours adopté une approche équilibrée dans ce domaine, comme le montre la proposition de recommandation présentée le 28 mai 2008 (Doc. 11617 sur la recherche d’un équilibre entre le sauvetage des découvertes archéologiques et les projets d’aménagement). Les intérêts du développement économique doivent être préservés, mais il faut également trouver des moyens pour étudier et enregistrer les découvertes archéologiques et sauvegarder celles qui sont considérées comme irremplaçables et uniques.
5. Cette proposition a été à l’origine d’une conférence qui s’est tenue à Paris le 8 décembre 2008, à laquelle étaient représentées diverses parties intéressées: archéologues et d’autres professionnels, aménageurs, pouvoirs publics, ONG, et institutions européennes et internationales. Une grande partie du présent rapport et du projet de recommandation s’inspire des actes de cette conférence. Le rapporteur tient à remercier en particulier M. Adrian Olivier, directeur de stratégie à English Heritage (Commission pour les monuments historiques, Grande-Bretagne), qui a contribué à la préparation du schéma de rapport.

2. Qu’est-ce que l’«archéologie de sauvetage» aujourd’hui?

2.1. Définition

6. Au début du XXe siècle, les découvertes archéologiques étaient le plus souvent accidentelles et, à quelques exceptions près, la recherche archéologique était le domaine des universitaires et des amateurs éclairés. L’idée d’«archéologie de sauvetage» a été développée après la seconde guerre mondiale à une période où les identités culturelles étaient fragiles: les populations européennes avaient besoin de s’approprier leur passé récent et lointain. Il s’agissait principalement de réponses réactives et ad hoc, sans véritable organisation et alimentées par le bénévolat.
7. L’idée que des vestiges préexistants soient, sinon préservés in situ, au moins enregistrés et, si possible, déplacés et étudiés est relativement récente. Le principe moderne de la protection du patrimoine repose sur l’archéologie dite «préventive», dont le but est de prévoir et d’éviter la destruction, et non d’entreprendre des fouilles de sauvetage de sites archéologiques comme cela se produit dans l’archéologie d’urgence déterminée par les travaux d’aménagement. Cette idée, au départ source de conflits, a donné lieu par la suite au développement progressif d’approches plus proactives et à une reconnaissance de l’échelle des destructions passées et de la nécessité de comprendre la nature et la portée de l’«environnement historique».
8. En défendant les intérêts archéologiques, les défenseurs du patrimoine ont accepté que des valeurs relatives soient fixées pour les actions prioritaires de préservation afin de relever un défi qui dépasse les moyens de l’Etat. Une «philosophie de la conservation» a été élaborée, fondée sur la reconnaissance de la nature finie des ressources archéologiques. La notion importante de préservation in situ comme objectif premier pour les découvertes archéologiques va de pair avec la transmission de la responsabilité financière aux aménageurs.

2.2. Conflits d’intérêt entre les aménageurs et les archéologues – défis régionaux et solutions nationales

9. En général, tout nouveau projet d’aménagement entraîne une confrontation entre, d’une part, ceux qui prétendent que le patrimoine (culturel et naturel) ne doit en aucun cas être sacrifié et, d’autre part, ceux qui soutiennent que rien ne doit entraver le développement économique, qui sert non seulement les intérêts privés mais aussi l’ensemble de la société. Les pouvoirs locaux sont souvent pris entre deux feux, car ils ne veulent ni compromettre les perspectives de développement économique de leur région, ni dégrader le patrimoine et la valeur touristique possible des sites locaux.
10. Deux aspects sont susceptibles de conduire à un conflit entre les responsables locaux et les archéologues: la question des retards, et donc la capacité d’agir, et le financement des coûts imputables aux aménageurs conformément au principe «pollueur-payeur». Parfois, ce sont seulement les ressources dégagées grâce à l’aménagement économique du site qui permettent de financer l’enregistrement, la récupération et la préservation du patrimoine.
11. Contre son gré, l’archéologie est donc engagée dans un débat portant sur la concurrence entre des localités, ce dont elle n’est pas responsable. Dans de nombreux cas, un autre site qui n’est pas soumis à des restrictions archéologiques est disponible non loin du site de fouilles et les pouvoirs locaux s’efforcent d’y attirer les investisseurs en leur promettant qu’ils n’auront pas à subir de retards dus aux contraintes archéologiques. En l’espèce, si des solutions pratiques ne sont pas trouvées, l’archéologie peut être considérée à tort comme responsable et des solutions draconiennes peuvent être recommandées aux responsables politiques, fondées sur l’idée que les restrictions doivent être levées si les fouilles ne peuvent pas être terminées dans les délais fixés, et ce quelle que soit la nature de ce qui se trouve dans le sous-sol.

2.3. Evolutions des approches

Besoin de processus intégrés et de transparence

12. Au cours des trente dernières années, le patrimoine culturel, dont l’archéologie est un des piliers, est devenu de plus en plus complexe, englobant désormais un nombre croissant de domaines et d’intervenants. Fort de nouveaux concepts qui s’ajoutent aux concepts existants, il ne se limite plus uniquement aux bâtiments et aux sites mais comprend également les paysages, tout en faisant référence à la diversité et à la caractérisation culturelles. Le patrimoine culturel exige donc une approche de plus en plus intégrée comprenant la planification physique, l’archéologie et l’environnement naturel et historique, et les différentes manières de considérer les objets et le matériel documentaire sont prises en considération. Enfin, des efforts sont déployés pour incorporer les activités professionnelles et le bénévolat dans un processus unique afin de renforcer notre compréhension.
13. Une sensibilisation accrue et une meilleure compréhension de la nature et de l’échelle de l’environnement historique, ainsi que du rôle intégrateur qu’il peut jouer dans la société moderne, ont conduit à un pragmatisme plus grand dans la prise de décisions. Les fouilles archéologiques produisent certes des connaissances et une compréhension nouvelles, mais elles supposent un processus de destruction. Il faut donc qu’elles aboutissent, dans la mesure du possible, aux résultats escomptés. Les décisions prises au nom du patrimoine culturel doivent être expliquées ouvertement et publiquement, dans l’intérêt de la génération actuelle et des générations futures. Préserver le patrimoine culturel revient en définitive à définir clairement sa signification et son importance, notamment dans le cas d’une éventuelle intervention externe.
14. Ces approches, bien qu’elles se développent, ne sont pas encore acceptées par tous les pays européens. Le monde complexe du XXIe siècle se caractérise par des pressions multiples provenant de sources aussi diverses que l’agriculture, le tourisme, l’environnement bâti, les investissements économiques et les industries de la culture. Les archéologues doivent relever de nouveaux défis et résoudre de nouveaux problèmes. Les valeurs de la préservation doivent être expliquées, défendues et rattachées à des valeurs économiques et sociales. Le processus décisionnel, fondé sur la transparence et le respect de valeurs, doit exprimer les responsabilités sociales d’une société dans son ensemble et non de certains de ses éléments (en l’espèce, les universitaires). Il est essentiel de démontrer l’avantage coût/bénéfice et le bénéfice public des travaux archéologiques, ainsi que les changements que cela induit en termes de responsabilités sociales et éthiques. L’archéologie doit donner la preuve qu’elle est capable non seulement d’enrichir le patrimoine de produits archéologiques spécifiques, ce qui peut constituer une fin en soi, mais aussi de produire des résultats sociaux positifs.
15. Notre environnement historique est une ressource partagée qui n’est pas du seul ressort des professionnels. En clair, toute la société peut contribuer au processus de conservation et de préservation. La valeur des sites doit donc être comprise et le changement inhérent à notre société dynamique doit être géré en s’appuyant sur des définitions claires des nouvelles valeurs du patrimoine, qui comprennent des valeurs fonctionnelles, pédagogiques, économiques, culturelles, intrinsèques et historiques, c’est-à-dire des valeurs importantes pour l’ensemble de la communauté. L’expert et l’Etat ne doivent plus être les seuls «propriétaires» du patrimoine. D’autres intérêts, plus larges, ainsi qu’une approche participative, doivent aussi être pris en compte.
16. Aujourd’hui, le premier objectif de l’archéologue est de ne pas fouiller: lorsque de grands projets d’aménagement sont lancés, on veillera à ce qu’ils n’empiètent pas sur les sites archéologiques. Des réserves archéologiques doivent être conservées pour l’avenir et beaucoup de travaux de fouilles sont à mener. Rappelons, par ailleurs, que l’archéologie est une discipline qui n’est pas uniquement patrimoniale mais aussi scientifique. Mais les opérations doivent être soigneusement choisies et les fouilles doivent donner lieu à la publication d’enregistrements.

Exemples de cadres d’archéologie préventive

17. La participation de partenaires privés à l’archéologie d’Etat présente souvent deux aspects. Dans la plupart des pays, l’échelle et le niveau de spécialisation des travaux à réaliser peuvent conduire les aménageurs privés à faire appel à des sociétés spécialisées habilitées à conduire des fouilles. En 2004, le Sénat français a publié une étude comparative de sept pays présentant des modèles de décision différents concernant les découvertes archéologiques dans le contexte de projets d’aménagement. Cette étude fournit certaines indications quant aux différences et aux similitudes entre les politiques nationales 
			(2) 
			Les documents de travail du Sénat, série
«Législation comparée»: L’archéologie
preventive, no LC 138, octobre 2004.
Les modèles nationaux représentatifs des politiques de protection
du patrimoine concernaient le Danemark, l’Allemagne, l’Italie, les
Pays-Bas, la Suède, la communauté autonome de Cantabrie en Espagne
et le Royaume-Uni. .
18. Tous les pays étudiés ont adopté le principe «pollueur-payeur» selon lequel les aménageurs doivent être responsables, dans une plus ou moins grande mesure, de la conduite et du financement de la recherche archéologique préventive. Le système le plus perfectionné est observé en France, où une taxe est automatiquement prélevée sur tous les projets d’aménagement de plus de 3 000 m2 qui auront un impact sur le sous-sol, à de rares exceptions près, comme les projets de logements sociaux. Cette taxe est centralisée et sert à payer le coût des diagnostics archéologiques.
19. Au Danemark, seuls les archéologues de musée (avec l’aide d’étudiants en archéologie) sont autorisés à conduire des recherches. Tous les autres pays étudiés autorisent des opérateurs privés à fouiller, selon des modalités différentes. L’Italie, où l’Etat a conservé un monopole sur la recherche, fait appel à la sous-traitance publique tandis que les autres pays ont privatisé le marché.
20. Le Royaume-Uni fournit le modèle le plus libéral, décrit en détail à la Conférence sur l’archéologie de sauvetage organisée à Paris en décembre 2008 par la sous-commission du patrimoine culturel de la commission de la culture, de la science et de l’éducation. Depuis le début des années 1990, les aménageurs britanniques prennent en charge tous les coûts de la recherche archéologique, des enquêtes initiales à l’archivage final en passant par tous les stades intermédiaires: rapports pour déterminer la nature des ressources lors de l’étude d’impact sur l’environnement, mesures d’atténuation, fouilles à grande échelle, ainsi que toutes les étapes de la recherche et de l’analyse, les publications universitaires et celles visant le grand public. Les opérateurs du marché de l’archéologie britannique exécutent des contrats dans le monde entier et génèrent près de 100 à 120 millions de livres sterling par an. Ils emploient près de 4 000 archéologues et comprennent environ 250 sociétés, dont la plupart comptent moins de 11 employés conduisant principalement des projets de petite et moyenne dimensions dans une zone localisée (une ville ou une zone rurale).
21. La France a créé un institut national de recherche dans le domaine de l’archéologie préventive: l’Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP). Créé en 2002, cet institut compte près de 2 000 agents qui se consacrent aux opérations de diagnostic et de fouilles. Il s’agit donc du plus gros opérateur français, mais d’autres opérateurs publics peuvent intervenir pour le diagnostic. Par ailleurs, des opérateurs privés peuvent participer aux fouilles aux côtés de l’INRAP et d’autres opérateurs publics. Il y a aujourd’hui 70 opérateurs agréés, dont les trois quarts sont des structures publiques.
22. L’Institut archéologique allemand est un institut de recherches fédéral placé sous la tutelle du ministère des Affaires étrangères. L’institut travaille sur invitation dans le monde entier ou en coopération avec des pays hôtes. Plus de 100 experts scientifiques œuvrent sur le terrain et au sein d’instituts ayant des bibliothèques spécialisées dans l’archéologie, notamment à Rome, Athènes, Istanbul, Madrid, Le Caire, Damas, Sanaa, Amman, Téhéran, Pékin et Bagdad (l’institut de Bagdad est provisoirement fermé). Des chercheurs étrangers et des boursiers sont invités par l’institut, qui les aide à accéder à la technologie et à prendre connaissance des recherches les plus récentes.
23. L’examen de la situation dans certains pays de l’Europe de l’Est et du Sud-Est indique qu’une attention particulière doit être accordée à l’approche équilibrée prônée dans le présent rapport.
24. La Roumanie est un exemple de pays de l’ex-bloc socialiste qui s’est engagé dans l’incorporation de l’acquis pertinent de l’Union européenne dans sa législation nationale au moment même où elle était confrontée aux crises et aux conflits déclenchés par le projet Roşia Montană.
25. «L’ex-République yougoslave de Macédoine» est un exemple intéressant d’un pays qui n’est pas encore membre de l’Union européenne mais qui a pris des mesures pour réviser sa législation sur la protection du patrimoine culturel. A la conférence de Paris, son représentant a donné un aperçu des dangers posés par des contrôles inadéquats concernant la nécropole importante de Stobi, qui a été découverte lors de la planification d’une nouvelle autoroute en 1995 
			(3) 
			Le rapporteur a visité
le site de Stobi en octobre 2003 pendant une réunion de la sous-commission
du patrimoine culturel. .
26. A la conférence, la représentation russe a présenté le pire exemple de ce que peut être un cadre législatif, puisqu’il permet à des investisseurs russes de poursuivre des travaux de construction sans permis ou sans avoir à signaler aux autorités publiques que des vestiges archéologiques ont été découverts. En conséquence, d’après les statistiques stupéfiantes présentées, un pays comme la Suisse compte plus de 500 000 monuments archéologiques identifiés, contre près de 200 000 seulement dans la Fédération de Russie, dont la taille est incommensurablement plus grande.
27. Tous les pays européens sont confrontés au même problème sous-jacent, celui de la nécessité de disposer d’un réservoir de compétences adéquates, que ce soit dans l’identification et la récupération ou dans les métiers artisanaux de la restauration et de la reconstruction. Il peut exister en effet une concurrence entre les secteurs public et privé dans les pays où la profession/l’industrie archéologique est développée. Mais les praticiens des pays où ces professions sont développées peuvent également signer (par l’intermédiaire, par exemple, du secteur privé, très performant au Royaume-Uni) des contrats lucratifs dans des pays qui n’ont pas de réservoir de compétences locales.
28. Un autre problème, en corrélation, est celui de la nécessité de favoriser le développement professionnel et la création de services d’appui, par exemple des installations spécialisées de stockage et de publication. Il s’agit là d’un besoin important, comme en témoignent les chiffres évoqués lors de la conférence de Paris (2008), qui montrent que le marché du Royaume-Uni produit entre 100 et 120 millions d’exemplaires d’ouvrages par an.

3. Participation des organisations internationales à l’archéologie de sauvetage

3.1. Conventions du Conseil de l’Europe pour le patrimoine culturel

29. L’article 1 de la Convention culturelle du Conseil de l’Europe (1954, STE no 18) stipule: «Chaque Partie contractante prendra les mesures propres à sauvegarder son apport au patrimoine culturel commun de l’Europe et à en encourager le développement.» L’engagement du Conseil de l’Europe date donc des premiers jours de son existence.
30. La Convention européenne pour la protection du patrimoine archéologique (révisée) (Convention de La Valette, 1992, STE no 143) 
			(4) 
			Au 1er avril
2010, la Convention de a Valette comptait 38 ratifications (y compris
le Saint-Siège). A ce jour, les Etats qui ne l’avaient pas ratifiée
étaient l’Autriche, la Belgique, la Bosnie-Herzégovine, l’Islande,
l’Italie, le Luxembourg, le Monténégro, la Fédération de Russie,
Saint-Marin et l’Espagne. met à jour la Convention de Londres (1969, STE no 66). Le texte révisé fait de la conservation et de la mise en valeur du patrimoine archéologique l’un des objectifs des politiques d’aménagement du territoire et d’urbanisme. Elle est concernée en particulier par les arrangements de coopération entre les archéologues et les aménageurs et urbanistes afin d’assurer une conservation optimale du patrimoine archéologique (article 5).
31. La Convention de la Valette énonce les modalités d’une protection du patrimoine responsable et durable, comme la gestion d’un inventaire du patrimoine archéologique et le classement de monuments et de zones protégés (article 2), la constitution de réserves archéologiques, même sans vestiges apparents en surface ou sous les eaux, pour la conservation de témoignages matériels à étudier par les générations futures, ainsi que l’obligation pour l’inventeur de signaler aux autorités compétentes la découverte fortuite d’éléments du patrimoine archéologique et de les mettre à disposition pour examen.
32. La convention donne également des indications concernant le financement des fouilles, des travaux de recherche et de la publication complète des résultats. Elle porte aussi sur l’accès du public, en particulier aux sites archéologiques, et sur les actions éducatives à conduire pour sensibiliser davantage le public à la valeur du patrimoine archéologique. Elle constitue un cadre institutionnel pour la coopération paneuropéenne en matière de patrimoine archéologique, favorisant l’échange systématique d’expériences et d’experts entre les parties.
33. L’article 6 de la convention exige que des mesures soient prises pour que, lors de grands travaux d’aménagement publics ou privés, soit prévue la prise en charge complète, par des fonds provenant de manière appropriée du secteur public ou du secteur privé, des coûts de toute opération archéologique nécessaire liée à ces travaux. Des dispositions devraient être prises pour que figurent dans le budget, au même titre que les études d’impact imposées par les préoccupations d’environnement et d’aménagement du territoire, les études et les prospections archéologiques préalables, les documents scientifiques de synthèse, de même que les communications et les publications complètes des découvertes.
34. Un autre texte connexe, la Convention pour la sauvegarde du patrimoine architectural de l’Europe (Convention de Grenade, 1985, STE no 121), encourage le renforcement et la promotion de politiques pour la conservation et la mise en valeur du patrimoine européen en insistant sur la nécessité d’une solidarité européenne concernant la conservation du patrimoine. Dans ses articles 17, 18 et 19, la convention établit les principes d’une coordination européenne des politiques de conservation, y compris des échanges d’information, des échanges européens de spécialistes, des consultations concernant la portée des politiques à mettre en œuvre et «une assistance technique mutuelle s’exprimant dans un échange d’expériences et d’experts en matière de conservation du patrimoine architectural». Elle indique qu’une approche intégrée est nécessaire pour réconcilier la protection du patrimoine architectural avec les besoins actuels des activités culturelles, sociales et économiques. Cette convention comptait 40 ratifications au 1er avril 2010.
35. La Convention-cadre du Conseil de l’Europe sur la valeur du patrimoine culturel pour la société (Convention de Faro, 2005, STCE no 199) entrera en vigueur lorsque 10 pays l’auront ratifiée (ils sont huit à l’heure actuelle). Dans cette convention-cadre, on passe de la question «Comment et avec quelle procédure peut-on préserver le patrimoine?» à la question «Pourquoi lui donner davantage de valeur et pour qui?» Elle repose sur l’idée que la connaissance et l’usage du patrimoine font partie du droit du citoyen à participer à la vie culturelle telle qu’elle est définie dans la Déclaration universelle des droits de l’homme.
36. Le texte présente le patrimoine comme une ressource pour le développement humain, le renforcement de la diversité culturelle et la promotion du dialogue interculturel, et comme une partie d’un modèle de développement économique fondé sur les principes d’un usage durable des ressources. A cet égard, il s’inscrit dans le champ des priorités du Conseil de l’Europe telles que définies au 3e Sommet des chefs d’Etat et de gouvernement qui s’est tenu à Varsovie en mai 2005.

3.2. Priorités des activités du Conseil de l’Europe

37. Les priorités actuelles des activités du Conseil de l’Europe dans le domaine du patrimoine culturel reposent sur plusieurs de ses orientations de politique générale telles que définies, en particulier, par le 3e Sommet et la Convention-cadre de Faro. En conséquence, l’accent est mis sur les possibilités offertes par les projets patrimoniaux pour renforcer le dialogue interculturel et faire mieux connaître la valeur du patrimoine culturel pour la société. Les liens entre le patrimoine culturel et le patrimoine naturel ont été resserrés et la coopération régionale est encouragée.
38. En 2008, le Comité directeur du patrimoine culturel est devenu le Comité directeur du patrimoine culturel et du paysage (CDPATEP). L’une de ses fonctions principales est d’assurer le suivi des conventions de La Valette et de Grenade, dans l’esprit de la Convention-cadre de Faro. Le Réseau européen du patrimoine (HEREIN), créé par le CDPATEP, fournit d’abondantes ressources d’informations en ligne sur les sites et les projets ainsi qu’un réseau de correspondants nationaux. Les Parties contractantes sont invitées à participer aux activités du réseau et à indiquer comment elles mettent en œuvre les recommandations. Un projet européen d’archéologie préventive (EPAC) lancé dans le cadre de HEREIN, à la suite d’une conférence initiale en 2004 à Vilnius, n’a pas reçu le soutien financier nécessaire pour être poursuivi.
39. Les mécanismes de suivi et d’évaluation de l’impact des différentes conventions et déclarations sur la pratique réelle exigent d’être perfectionnés et consolidés. De l’avis général, elles fonctionnent et ont été très utiles, mais il est actuellement impossible de le prouver. La phase 3 du projet HEREIN est en cours de mise à jour, ce qui devrait résoudre ce problème et déboucher sur l’élaboration d’indicateurs simples mais utiles du patrimoine culturel et de l’environnement historique.

3.3. Autres organisations internationales

UNESCO

40. L’UNESCO dispose en la matière d’un éventail très complet d’instruments normatifs internationaux: la Convention de 1972 sur la protection du patrimoine culturel et naturel, la Convention de 2001 sur la protection du patrimoine sous-marin, la Convention de 2003 sur la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel et la Convention de 2005 sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles.
41. Le Comité du patrimoine mondial et son secrétariat, ainsi que le Centre du patrimoine mondial de l’UNESCO, sont préoccupés par de nombreux projets d’infrastructure ayant des répercussions sur la valeur universelle exceptionnelle des biens et sur leur intégrité, sachant que les projets d’aménagement représentent le pourcentage le plus élevé de menaces pour le patrimoine mondial. Mais le dialogue s’instaure dans ce domaine, comme en témoignent les concertations avec des industriels de l’extraction minière, qui se sont engagés à ne pas conduire de travaux d’extraction dans des sites du patrimoine mondial. L’«engagement de non-exploitation dans les sites du patrimoine mondial», de 2003, est un exemple de réussite d’une approche proactive.
42. Les 185 Etats parties à la Convention de 1972 peuvent soumettre des propositions d’inscription de sites sur la liste du patrimoine mondial. Plus de 800 sites sont aujourd’hui inscrits. L’UNESCO encourage les Etats parties à proposer des candidatures, mais il ne peut pas obliger les gouvernements à nommer des sites ou à les inclure sur la liste indicative nationale.

Union européenne

43. Les participants à la Conférence de 2008 sur l’archéologie préventive ont exprimé l’avis que les instruments élaborés par le Conseil de l’Europe sous la forme de conventions devraient être transposés au sein de l’Union européenne, en particulier la Convention de La Valette. L’acquis du Conseil de l’Europe devrait donc également être pris en compte lors de l’utilisation des fonds communautaires structurels par les différents Etats membres. Les participants ont également signalé que de nombreux intervenants ne savaient même pas que ces mécanismes existaient. Il a été rappelé que les collaborateurs internationaux chargés de projets patrimoniaux sont tenus d’informer les divers acteurs que les différents mécanismes existants peuvent souvent être appliqués, y compris pour des projets ayant un impact sur le patrimoine archéologique (par exemple dans le cas de Roşia Montană, décrit ci-après).
44. Les fonds de la Communauté européenne sont utilisés au niveau régional ou, dans le cas de structures de gouvernance décentralisées, comme en Allemagne, à l’échelon des Länder. Toutefois, des principes communs mériteraient d’être élaborés pour encourager les Etats membres à prendre des décisions sur la base des modalités d’utilisation commune de ces fonds. Des principes conformes à la Convention d’Aarhus et à la Directive 2003/4/CE de l’Union européenne, qui imposent la mise en place de consultations publiques avec les communautés et les organisations de la société civile lorsque des projets d’aménagement sont susceptibles d’avoir un impact sur l’environnement et la qualité de la vie, pourraient être transposés pour s’appliquer à ceux qui ont un impact sur le patrimoine culturel.
45. Le Conseil de l’Europe et la Commission européenne organisent conjointement chaque année les «Journées européennes du patrimoine», une initiative lancée par le Conseil de l’Europe en 1991. Au cours de ces journées, de nouveaux éléments du patrimoine sont présentés et de nombreux sites et monuments sont ouverts au public, certains étant habituellement fermés. Les événements culturels mettent en valeur des techniques et des traditions locales, des réalisations architecturales et des travaux artistiques, mais l’objectif premier reste néanmoins de créer une harmonie entre les citoyens, malgré les différences culturelles et linguistiques. Les journées du patrimoine ne sont pas spécifiquement liées à l’archéologie mais elles jouent un rôle déterminant en ce qu’elles démontrent la valeur de la protection du patrimoine et les avantages potentiels qui pourraient en découler pour les villes et les régions.

Organisations non gouvernementales internationales

46. L’Association européenne des archéologues a été fondée en 1994. Elle réunit à titre individuel tous les professionnels de l’archéologie en Europe. L’association compte actuellement plus de 1 000 membres qui sont issus d’une quarantaine de pays. Elle anime et participe à de nombreux projets internationaux et décerne annuellement un prix européen du patrimoine. L’association tient un congrès annuel, publie une revue intitulée European Journal of Archaeology et décerne tous les deux ans le prix européen du Patrimoine archéologique à des personnes ou des institutions méritantes. Elle rassemble les archéologues en adoptant des bonnes pratiques qui peuvent être mises en œuvre dans l’ensemble de la communauté archéologique.
47. Le Code de bonnes pratiques de l’Association européenne des archéologues rappelle que l’archéologie consiste en l’étude et l’interprétation du patrimoine au bénéfice de la société dans son ensemble. Les archéologues sont «les interprètes et les garants du patrimoine au nom de leurs compatriotes». Une telle conception montre que les archéologues ont un rôle à jouer qui dépasse les seuls intérêts de la communauté scientifique ou d’autres groupes, et que pèse sur eux une certaine responsabilité au nom du collectif. L’association a rédigé un ensemble de «principes de conduite pour les archéologues engagés dans des travaux archéologiques sous contrat».
48. L’ICOMOS, le Conseil international des monuments et des sites, est une organisation internationale non gouvernementale (OING) créée en 1964 à la suite de la signature de la Charte internationale sur la protection et la restauration des monuments et des sites (la Charte de Venise). Son comité scientifique, le Comité international pour la gestion du patrimoine archéologique (ICAHM), a été fondé en 1990. Ses membres – plus de 8 000 personnes provenant de plus de 100 pays – sont des urbanistes, des archéologues, des restaurateurs, des historiens de l’art et des gestionnaires du patrimoine. Sa mission consiste à rassembler des spécialistes de la protection et de la conservation, à mettre en valeur le patrimoine, à fournir un forum de discussions et un réseau international de partage des informations et enfin à élaborer des programmes d’information.
49. L’ICOMOS fournit des avis à l’UNESCO, notamment sur la gestion et l’identification des sites inscrits au patrimoine mondial. Il existe 115 comités nationaux regroupant chacun des associations, des entreprises et des personnes privées qui œuvrent à l’échelle nationale pour promouvoir les objectifs plus généraux de l’ICOMOS. Cette OING compte une quinzaine de comités scientifiques internationaux composés d’experts dans des spécialités de pointe telles que l’architecture de terre, les constructions en bois, les peintures murales, ou sur des aspects plus généraux. Un comité vient récemment d’être créé sur l’interprétation des sites archéologiques.
50. Europa Nostra, fondée en 1963, représente près de 250 organisations non gouvernementales, 150 organisations affiliées et 1 500 membres de plus de 50 pays qui sont pleinement déterminés à sauvegarder le patrimoine et les paysages européens. Elle propose un vaste réseau pour dialoguer et débattre, et mène des campagnes d’envergure pour contrer les menaces qui pèsent sur les bâtiments patrimoniaux, les sites et les paysages vulnérables. Elle fait constamment pression sur les pays européens pour qu’ils adoptent des politiques durables et des normes rigoureuses en matière de patrimoine.

4. Exemples d’archéologie de sauvetage/préventive

51. Les exemples qui suivent sont représentatifs des nombreux et divers défis posés à la protection du patrimoine lorsqu’elle doit faire face à des travaux publics d’envergure ou à des projets d’aménagement potentiellement très rentables. Ils ont été retenus avant tout parce qu’ils ont fait l’objet de présentations orales ou écrites récentes à la commission de la culture, de la science et de l’éducation.

4.1. Mines d’or à Roşia Montană (Roumanie) 
			(5) 
			Le
site a fait l’objet d’une visite d’étude par le rapporteur du 11
au 15 juillet 2004 (voir Doc.
10384 de l’Assemblée, rapport d’information sur Roşia Montană
présenté le 21 décembre 2004 par le rapporteur général sur le patrimoine culturel).

52. Sur le site de Roşia Montană, en Roumanie, l’étude, la récupération ou la préservation du patrimoine minier ancien ont été initialement financées par la société qui souhaitait extraire de nouveau de l’or en utilisant des méthodes d’exploitation modernes. Ce projet est un nouvel exemple de conflit entre des valeurs socioculturelles et économiques. Il montre également que des réalisations archéologiques ne sont parfois possibles que si elles sont financées par l’entreprise commerciale qui leur est associée.
53. Le programme avait pour but d’établir un cadre pour de nouvelles approches de l’archéologie préventive en Roumanie et de tester des normes européennes de méthodologie. Il était également prévu de prendre en compte les changements de la législation roumaine concernant la protection du patrimoine archéologique, les mines et la protection de l’environnement, et de conduire les premières études sur l’impact environnemental des recherches archéologiques. Ce programme posait les jalons d’une nouvelle approche moderne des recherches archéologiques préventives en Roumanie puisqu’on exigeait pour la première fois d’un projet de développement industriel qu’il respecte la procédure de quitus archéologique pour les sites contenant des vestiges. Il a également débouché sur le premier plan de gestion du patrimoine archéologique national. Les fonds, collectés auprès de la compagnie minière, en application du principe pollueur-payeur établi par la Convention de la Valette, ont permis la construction d’un musée moderne sur l’histoire de la mine à Roşia Montană et dans les régions voisines. Une série d’ouvrages consacrés aux résultats des recherches dans cette zone ont également été publiés.
54. La gestion archéologique s’est aussi concentrée sur une autre dimension stratégique: l’enregistrement de toutes les données dans le respect des meilleures normes et pratiques. Ont été ainsi créés une base de données, un système d’information géographique (GIS) et des archives de photos numériques, incluant des images aériennes et satellitaires.
55. L’accent a été mis sur la diffusion des résultats de la recherche selon une stratégie de communication en trois volets: communication avec le public aux niveaux local, national et européen, avec l’aide des médias; communication professionnelle avec les musées et les sociétés savantes nationales et internationales, y compris l’organisation d’expositions et l’élaboration d’un calendrier coordonné des publications; et communication avec l’investisseur afin de s’assurer que le plan minier préserve des éléments rares ou importants pour les recherches futures. Grâce aux découvertes résultant de l’étude des nombreux vestiges, une politique responsable a été élaborée conjointement avec la société minière en ce qui concerne le patrimoine du site exploité.
56. Malgré les premières expériences très positives acquises lors de ce projet minier, celui-ci a été violemment remis en question dès son lancement par une partie de l’opinion publique et par des ONG. Il est aujourd’hui bloqué, principalement pour des questions d’impact environnemental (stockage de boues cyanurées) et social (déplacement de populations, projet considéré comme non durable), mais aussi à cause de la perte d’une partie des vestiges archéologiques étudiés et présents dans le périmètre des mines à ciel ouvert du projet.

4.2. Sites olympiques de Marathon et Markopoulo (Grèce)

57. Les équipes de construction préparant les jeux Olympiques de 2004 à Athènes ont mis au jour de nombreux bâtiments et objets anciens. Malgré les efforts de longue haleine exigés pour préserver ces antiquités, les archéologues craignaient la perte et la destruction du patrimoine à cause des délais très serrés pour la réalisation des travaux.
58. Le centre d’aviron et de canoë-kayak construit à Schinias, à une trentaine de kilomètres au nord-est d’Athènes, était au cœur de la polémique. Selon de nombreux historiens, ce terrain en bord de mer est le site où une force expéditionnaire perse, débarquée en 490 avant Jésus-Christ, s’était engagée dans une bataille avec une armée athénienne sur la plaine adjacente de Marathon, bataille considérée comme une des plus importantes de l’histoire grecque. Le ministre grec de la Culture déclara que le site pouvait être construit en se fondant sur des études géophysiques montrant qu’il s’agissait d’un lagon à l’époque de la bataille. Malgré de fortes objections de la part d’historiens et d’archéologues du monde entier, les travaux se poursuivirent jusqu’à ce qu’un village de l’âge du bronze (datant d’environ 4 500 ans) soit mis au jour. Le gouvernement ordonna le déplacement de deux des trois maisons découvertes et les travaux de construction du centre reprirent. Le rapporteur n’a pas connaissance de preuves enregistrées de découvertes qui indiqueraient que les travaux ont empiété sur le site de la bataille.
59. Les travaux de construction du site olympique permirent de découvrir des milliers d’autres structures et objets qui seraient restés sans cela dans le sous-sol. La construction du bâtiment du centre équestre de Markopoulo mit au jour les vestiges d’un temple dédié à Aphrodite. Ce site est intéressant car il a permis aux archéologues et aux constructeurs de coopérer, probablement à cause de la nature ouverte du site équestre.
60. Les archéologues ont fait plus de 30 000 découvertes pendant l’extension du réseau métropolitain d’Athènes et les travaux d’infrastructure associés aux jeux Olympiques. Ces découvertes ont pu être montrées dans le métro, près des guichets de vente des billets, parfois à proximité de l’endroit où elles avaient été trouvées, voire représentées dans les strates où elles avaient été découvertes.
61. Un aqueduc datant de la période d’Hadrien a été trouvé au milieu du village olympique. Les organisateurs décidèrent d’en faire l’élément visuel central du village au lieu de le détruire ou de le reconstruire.
62. Ces diverses excavations ont eu une incidence sur le calendrier des travaux de construction et laissé craindre que l’histoire de la Grèce ne fasse obstacle au progrès du pays. En l’occurrence, cette crainte s’est révélée infondée.

4.3. Projets de construction d’un barrage à Allianoi (Turquie) 
			(6) 
			Voir Doc. 9301 de l’Assemblée intitulé «Aspects culturels du projet
relatif au barrage d’Ilisu, Turquie», rapport d’information présenté
en janvier 2002 par Mme Štěpová, rapporteur
général pour le patrimoine culturel).

63. Dans les années 1990, pendant une enquête de routine effectuée en vue de la construction du barrage de Yortanli, des thermes romains ainsi qu’un asklepieion (centre de traitement médical) datant du IIe siècle avant Jésus-Christ ont été découverts dans un état de conservation remarquable. Ces thermes devaient être inondés lors de la phase finale de la construction du barrage, été 2007.
64. Europa Nostra et ICOMOS sont intervenus à maintes reprises en faveur de la conservation de ce site remarquable, notamment en apportant leur concours aux nombreuses campagnes locales. Les actions concertées des défenseurs locaux du site et de la communauté archéologique internationale ont permis de repousser l’inondation prévue du site.
65. Lors de l’achèvement de la construction du barrage, le puissant lobby des agriculteurs en faveur de l’eau d’irrigation profita de la sécheresse ayant sévi récemment dans la région pour accentuer sa pression sur le gouvernement et le contraindre à mettre le barrage en service.
66. A la suite des élections de 2007 en Turquie, les ministères et le parlement connurent un important remaniement. Le nouveau Président, M. Abdullah Gül, et le nouveau ministre de la Culture, M. Ertugrul Günay, furent saisis de cette question par Europe Nostra, qui leur demanda que le site soit fouillé et documenté en priorité et que des mesures appropriées de conservation soient prises ensuite. Parallèlement, les acteurs locaux organisèrent de nombreuses manifestations sous la bannière de l’«Initiative Allianoi».
67. La date de mise en service du barrage fut constamment repoussée et, en 2008, les vestiges du site furent recouverts par une couche d’argile «protectrice». Selon une opinion largement répandue parmi les experts, cette technique ne permettra pas de protéger les vestiges si le barrage est rempli.
68. Compte tenu de l’urgence de la situation et de la longueur des procédures juridiques nationales, l’«Initiative Allianoi» saisit la Cour européenne des droits de l’homme, en février 2008. Il s’agit de la première affaire portée devant la Cour concernant la préservation du patrimoine culturel. En juillet 2008, la Cour décida de s’en saisir.

4.4. Découverte du port byzantin de Constantinople (Turquie) 
			(7) 
			La commission de la
culture, de la science et de l’éducation a visité les fouilles en
mai 2010.

69. En 2004, pendant les travaux de construction d’un nouveau tunnel de métro très attendu, percé sous le détroit du Bosphore entre les rives stambouliotes de l’Europe et de l’Asie, les archéologues ont découvert le port byzantin de Théodose considéré comme disparu. Le port avait été construit à la fin du IVe siècle par l’empereur Théodose Ier lorsque Istanbul (Constantinople) était la capitale de l’Empire romain d’Orient. Des fouilles effectuées dans le district de Yenikapi près d’Istanbul ont exhumé plus de 30 navires byzantins datant du VIIe au XIe siècle, des rondins de bois millénaires provenant de jetées et d’appontements, ainsi que des vestiges d’un peuplement humain préhistorique.
70. Les fouilles ont permis de mettre au jour les premiers exemples de construction navale utilisant des techniques consistant à mettre en place l’ossature d’un bateau afin de construire sa coque. Il s’agit d’un progrès technique révolutionnaire permettant d’assurer une communication d’autant plus rapide des nouvelles idées en matière de construction navale qu’elles pouvaient être transmises sur papier. Ce changement, considéré comme le début de l’ingénierie, est d’une importance fondamentale pour notre connaissance et notre compréhension de l’histoire du monde.
71. Malgré les pressions énormes exercées pour que le tunnel soit achevé afin d’atténuer les graves problèmes de circulation d’Istanbul, les autorités turques décidèrent que l’archéologie serait prioritaire et retardèrent les plans de développement de près de quatre ans, ce qui représenta un coût considérable pour l’ensemble du projet. Au départ, la gare ferroviaire devait être construite sur le site, mais lorsque les vestiges ont été trouvés, les autorités décidèrent que l’emplacement de la gare serait modifié afin de laisser intacts les monuments historiques.
72. Les archéologues turcs sont en contact avec des musées navals au Danemark, en Suède, en Allemagne, aux Pays-Bas, en Espagne et au Royaume-Uni pour étudier la possibilité de créer un nouveau musée local. Les décisions n’ont pas encore été prises en ce qui concerne les navires et les objets qui seront placés dans le musée et l’emplacement de celui-ci. Lorsque les travaux de fouilles seront achevés, la documentation, la conservation et la reconstruction des navires continueront. Il est proposé d’incorporer certains vestiges nautiques dans des espaces d’exposition situés dans le complexe ferroviaire regroupant le train et le métro.

4.5. Construction de l’autoroute M3 traversant la vallée de Tara (Irlande)

73. La colline de Tara, près de la rivière Boyne, est un ensemble archéologique qui se situe entre Navan et Dunshaughlin dans le comté de Meath, province de Leinster, en Irlande. Du point de vue historique, ce site a de multiples significations pour l’Irlande. On y trouve de nombreux monuments anciens et, selon la tradition, la colline était le lieu où siégeaient les rois d’Irlande. Pendant longtemps, quiconque osait allumer un feu à proximité était puni de mort. Une tombe, peut-être celle du roi Lóegaire, considéré comme le dernier roi païen d’Irlande, a été trouvée près de la colline. Pendant la rébellion de 1798, les Irlandais Unis formèrent un camp sur la colline où ils furent attaqués et battus par des troupes britanniques le 26 mai et la pierre sacrée Lia Fáil fut déplacée pour marquer le lieu où se trouvaient les tombes des 400 rebelles morts sur cette colline ce jour-là. En 1843, Daniel O’Connell, membre du Parlement irlandais, organisa une manifestation politique pacifique sur la colline de Tara en faveur de l’abrogation de la loi de l’Union. Cette manifestation rassembla plus de 750 000 personnes, ce qui montre l’importance historique de la colline de Tara.
74. La nouvelle autoroute M3 en construction passe dans la vallée de Tara-Skryne, comme la route N3 précédente. Les opposants au projet considéraient que le programme de découverte lancé en 1992 montrait que la colline de Tara n’était que le site central d’un ensemble plus vaste. Une autre route, située à près de 6 km à l’ouest de la colline de Tara, leur semblait une solution de remplacement plus directe, moins coûteuse et moins destructrice. Le dimanche 23 septembre 2007, plus de 1 500 personnes se rassemblèrent sur la colline de Tara pour prendre part à une sculpture humaine représentant une harpe et formant les mots «Sauver la vallée de Tara». Les manifestants invitaient les autorités à éloigner le tracé de l’autoroute M3 de la vallée de Tara.
75. La colline de Tara a été inscrite sur la liste de 2008 des 100 sites les plus menacés dans le monde par le Fonds mondial pour les monuments. La vallée Tara Skryne, l’une des régions d’Irlande les plus riches du point de vue archéologique, a été officiellement désignée «zone de conservation du paysage» et l’Irlande a proposé à la fin de 2009 que la colline de Tara soit inscrite sur la liste du Patrimoine mondial de l’UNESCO. Une nouvelle loi sur les monuments nationaux pourrait interdire tout aménagement routier dans les zones archéologiques riches.

4.6. Travaux hydroélectriques dans le bassin de la rivière Angara en Sibérie (Russie)

76. Les participants russes à la Conférence de Paris en 2008 ont fait état d’une situation critique dans la région de Krasnoïarsk, en Sibérie. Au moment de la publication du présent rapport, sa conclusion n’était pas connue.
77. Dans les années 1970, les autorités soviétiques décidèrent de bâtir une centrale hydroélectrique dans le bassin de la rivière Angara. Des centaines de sites archéologiques devaient être submergés sans travaux de sauvetage préalables. Ce projet fut heureusement abandonné, avant d’être repris en 2000 par une société de production d’aluminium qui prévoyait d’inonder, à partir de 2010 et jusqu’en 2012, un territoire encore bien plus grand.
78. Or, 163 sites archéologiques sont répertoriés dans la région de Krasnoïarsk et 42 dans la région d’Irkoutsk. Situés près des rives de l’Angara, ils seraient donc submergés par ce projet. Pour la seule région d’Irkoutsk, les fouilles coûteraient à elles seules 5 milliards de roubles. Les travaux de construction commencèrent avant toute expertise archéologique. En 2008, l’Académie des sciences de la Fédération de Russie a réussi à mobiliser 152 millions de roubles pour les fouilles archéologiques dans la région de Krasnoïarsk, qui permettraient de sauver environ 80 % des vestiges.
79. Au moment de la conférence, la date de l’inondation approchait sans qu’aucun financement n’ait été trouvé, ni pour les fouilles ni pour sauvegarder et protéger les berges, et l’investisseur refusait de financer les fouilles le long de la rivière car, aux termes de la loi russe, après sa construction, le barrage sera propriété de l’Etat.

5. Conclusions

80. La destruction de vestiges archéologiques due aux travaux d’aménagement s’est poursuivie et accélérée depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Le patrimoine archéologique de toute l’Europe subit des pressions croissantes du fait de ces travaux, ce qui pose des défis considérables pour la gestion du patrimoine dans tous les pays, mais offre également des occasions importantes d’améliorer notre compréhension du passé et d’apporter une contribution aux valeurs de la société. Le patrimoine archéologique est une ressource finie et non renouvelable, et sa préservation in situ doit toujours être le premier objectif des projets concernant des vestiges archéologiques importants menacés par un aménagement. Lorsque la préservation n’est ni possible ni appropriée, il faut compenser la perte des vestiges archéologiques par des fouilles scientifiques, des analyses et la publication des résultats à l’intention du public, et contribuer ainsi à notre connaissance et notre compréhension du passé.
81. Les problèmes communs à tous les Etats membres sont abordés avec des succès divers et un degré d’intérêt inégal, bien que la sensibilisation du public à la valeur du patrimoine culturel, y compris les vestiges archéologiques, soit en progression. L’incapacité à démontrer cette valeur de manière pertinente peut conduire à l’abandon de projets n’ayant aucune «valeur ajoutée économique» immédiate et à une concurrence entre les régions. Par ailleurs, la menace d’une délocalisation des projets d’aménagement peut dissuader les autorités locales d’appuyer des projets de protection du patrimoine. Le dialogue est un élément clé de l’aménagement de l’espace et la législation en matière archéologique joue un rôle déterminant. Le fait d’admettre que les valeurs archéologiques doivent faire partie intégrante de ces processus atténue les effets destructeurs des fouilles. Il est impératif que les archéologues et les aménageurs se concertent et coopèrent le plus rapidement et le plus ouvertement possible dans le but de réduire les risques tant du point de vue de l’aménagement que du point de vue archéologique.
82. Une protection efficace du patrimoine archéologique passe également par une formation adaptée des archéologues, y compris une formation pratique et une formation professionnelle continue, des structures et des possibilités de carrière, et de meilleurs échanges.
83. La plupart de ces défis pourraient être relevés grâce à une meilleure mise en œuvre par les Parties contractantes de la Convention de La Valette sur la protection du patrimoine archéologique, en particulier lorsque les Etats membres auront ratifié la convention. La publication et la diffusion d’informations et de bonnes pratiques pourraient être facilitées par le renforcement du projet HEREIN.
84. En outre, la question de l’archéologie préventive exige d’être examinée sur la base d’études de cas et d’expériences comparatives, avec la participation de toutes les parties intéressées, y compris les archéologues, les historiens de l’art et d’autres spécialistes pertinents, les aménageurs, les ONG, ainsi que les autorités locales et nationales. De cette manière, on peut attirer l’attention sur les réels problèmes qui existent, et proposer des solutions de haut niveau.
85. A l’avenir, si les efforts visant à protéger les sites et les monuments continuent de s’accentuer, la gestion et le traitement des données scientifiques, le stockage des objets et des résultats des fouilles deviendront d’une complexité sans précédent. L’accès du public aux découvertes et aux archives, notamment dans les Etats où un grand nombre de fouilles archéologiques ont eu lieu, doit être assuré.
86. Enfin, il sera crucial de s’adapter aux nouveaux développements et changements dans ce domaine, notamment ceux qui résultent de phénomènes naturels comme le changement climatique.