1. Introduction
1. Au cours de l’Histoire, il y a toujours eu des cas
où les travaux pour de nouvelles constructions ont découvert des
vestiges de constructions précédentes. Nous avons tous pu voir clairement,
lors de la construction de certains bâtiments, plusieurs époques
de l’histoire du site.
2. Les pertes considérables infligées au patrimoine et les altérations
d’éléments d’identité culturelle observées au XXe siècle
ont été dues à un certain nombre de facteurs socio-économiques.
Au lendemain de la seconde guerre mondiale, les quartiers centraux
des villes européennes ont été reconstruits alors que la croissance
démographique entraînait le développement de l’agriculture intensive
ainsi que la construction accélérée de logements. Sont apparues
ainsi des banlieues, des villes nouvelles, etc. Parallèlement, des travaux
d’infrastructure ont été progressivement entrepris pour faire face
à la croissance des populations et de la prospérité. On a d’abord
construit des autoroutes, puis des pipelines pour la distribution
d’énergie et enfin des voies de chemin de fer à grande vitesse afin
que des distances plus importantes soient parcourues entre le domicile
et le travail. L’aménagement de sites vierges – des terrains non
soumis à des contraintes résultant d’une exploitation antérieure
– et d’anciennes friches industrielles impliquant l’utilisation
de bâtiments commerciaux et industriels sous-utilisés ou abandonnés
a soulevé de nombreuses questions liées à la vocation précédente
des terres.
3. Face à ce développement économique, on a assisté au cours
de ces dernières années à un intérêt croissant du public pour le
patrimoine culturel et une prise de conscience accrue de la valeur
de l’archéologie pour comprendre la civilisation moderne. Il faut
ajouter à cela les progrès des techniques de prospection accessibles
aux professionnels comme aux amateurs. Ce point a été étudié en
détail dans un précédent rapport de l’Assemblée parlementaire sur
le patrimoine culturel maritime et fluvial (
Doc. 8867), avec une référence particulière aux menaces que représentent,
pour le patrimoine subaquatique, des sauveteurs, des chasseurs de
trésors et des plongeurs qui échappent à tout contrôle.
4. L’Assemblée a toujours adopté une approche équilibrée dans
ce domaine, comme le montre la proposition de recommandation présentée
le 28 mai 2008 (
Doc.
11617 sur la recherche d’un équilibre entre le sauvetage des
découvertes archéologiques et les projets d’aménagement). Les intérêts
du développement économique doivent être préservés, mais il faut
également trouver des moyens pour étudier et enregistrer les découvertes
archéologiques et sauvegarder celles qui sont considérées comme
irremplaçables et uniques.
5. Cette proposition a été à l’origine d’une conférence qui s’est
tenue à Paris le 8 décembre 2008, à laquelle étaient représentées
diverses parties intéressées: archéologues et d’autres professionnels, aménageurs,
pouvoirs publics, ONG, et institutions européennes et internationales.
Une grande partie du présent rapport et du projet de recommandation
s’inspire des actes de cette conférence. Le rapporteur tient à remercier
en particulier M. Adrian Olivier, directeur de stratégie à English
Heritage (Commission pour les monuments historiques, Grande-Bretagne),
qui a contribué à la préparation du schéma de rapport.
2. Qu’est-ce
que l’«archéologie de sauvetage» aujourd’hui?
2.1. Définition
6. Au début du XXe siècle,
les découvertes archéologiques étaient le plus souvent accidentelles
et, à quelques exceptions près, la recherche archéologique était
le domaine des universitaires et des amateurs éclairés. L’idée d’«archéologie
de sauvetage» a été développée après la seconde guerre mondiale
à une période où les identités culturelles étaient fragiles: les
populations européennes avaient besoin de s’approprier leur passé
récent et lointain. Il s’agissait principalement de réponses réactives
et ad hoc, sans véritable organisation et alimentées par le bénévolat.
7. L’idée que des vestiges préexistants soient, sinon préservés in situ, au moins enregistrés et,
si possible, déplacés et étudiés est relativement récente. Le principe
moderne de la protection du patrimoine repose sur l’archéologie
dite «préventive», dont le but est de prévoir et d’éviter la destruction,
et non d’entreprendre des fouilles de sauvetage de sites archéologiques
comme cela se produit dans l’archéologie d’urgence déterminée par
les travaux d’aménagement. Cette idée, au départ source de conflits,
a donné lieu par la suite au développement progressif d’approches
plus proactives et à une reconnaissance de l’échelle des destructions passées
et de la nécessité de comprendre la nature et la portée de l’«environnement
historique».
8. En défendant les intérêts archéologiques, les défenseurs du
patrimoine ont accepté que des valeurs relatives soient fixées pour
les actions prioritaires de préservation afin de relever un défi
qui dépasse les moyens de l’Etat. Une «philosophie de la conservation»
a été élaborée, fondée sur la reconnaissance de la nature finie
des ressources archéologiques. La notion importante de préservation in situ comme objectif premier pour
les découvertes archéologiques va de pair avec la transmission de
la responsabilité financière aux aménageurs.
2.2. Conflits d’intérêt
entre les aménageurs et les archéologues – défis régionaux et solutions nationales
9. En général, tout nouveau projet d’aménagement entraîne
une confrontation entre, d’une part, ceux qui prétendent que le
patrimoine (culturel et naturel) ne doit en aucun cas être sacrifié
et, d’autre part, ceux qui soutiennent que rien ne doit entraver
le développement économique, qui sert non seulement les intérêts
privés mais aussi l’ensemble de la société. Les pouvoirs locaux
sont souvent pris entre deux feux, car ils ne veulent ni compromettre
les perspectives de développement économique de leur région, ni
dégrader le patrimoine et la valeur touristique possible des sites
locaux.
10. Deux aspects sont susceptibles de conduire à un conflit entre
les responsables locaux et les archéologues: la question des retards,
et donc la capacité d’agir, et le financement des coûts imputables
aux aménageurs conformément au principe «pollueur-payeur». Parfois,
ce sont seulement les ressources dégagées grâce à l’aménagement
économique du site qui permettent de financer l’enregistrement,
la récupération et la préservation du patrimoine.
11. Contre son gré, l’archéologie est donc engagée dans un débat
portant sur la concurrence entre des localités, ce dont elle n’est
pas responsable. Dans de nombreux cas, un autre site qui n’est pas
soumis à des restrictions archéologiques est disponible non loin
du site de fouilles et les pouvoirs locaux s’efforcent d’y attirer les
investisseurs en leur promettant qu’ils n’auront pas à subir de
retards dus aux contraintes archéologiques. En l’espèce, si des
solutions pratiques ne sont pas trouvées, l’archéologie peut être
considérée à tort comme responsable et des solutions draconiennes
peuvent être recommandées aux responsables politiques, fondées sur
l’idée que les restrictions doivent être levées si les fouilles
ne peuvent pas être terminées dans les délais fixés, et ce quelle
que soit la nature de ce qui se trouve dans le sous-sol.
2.3. Evolutions des
approches
Besoin de processus intégrés
et de transparence
12. Au cours des trente dernières années, le patrimoine
culturel, dont l’archéologie est un des piliers, est devenu de plus
en plus complexe, englobant désormais un nombre croissant de domaines
et d’intervenants. Fort de nouveaux concepts qui s’ajoutent aux
concepts existants, il ne se limite plus uniquement aux bâtiments et
aux sites mais comprend également les paysages, tout en faisant
référence à la diversité et à la caractérisation culturelles. Le
patrimoine culturel exige donc une approche de plus en plus intégrée comprenant
la planification physique, l’archéologie et l’environnement naturel
et historique, et les différentes manières de considérer les objets
et le matériel documentaire sont prises en considération. Enfin,
des efforts sont déployés pour incorporer les activités professionnelles
et le bénévolat dans un processus unique afin de renforcer notre
compréhension.
13. Une sensibilisation accrue et une meilleure compréhension
de la nature et de l’échelle de l’environnement historique, ainsi
que du rôle intégrateur qu’il peut jouer dans la société moderne,
ont conduit à un pragmatisme plus grand dans la prise de décisions.
Les fouilles archéologiques produisent certes des connaissances
et une compréhension nouvelles, mais elles supposent un processus
de destruction. Il faut donc qu’elles aboutissent, dans la mesure
du possible, aux résultats escomptés. Les décisions prises au nom du
patrimoine culturel doivent être expliquées ouvertement et publiquement,
dans l’intérêt de la génération actuelle et des générations futures.
Préserver le patrimoine culturel revient en définitive à définir
clairement sa signification et son importance, notamment dans le
cas d’une éventuelle intervention externe.
14. Ces approches, bien qu’elles se développent, ne sont pas encore
acceptées par tous les pays européens. Le monde complexe du XXIe siècle
se caractérise par des pressions multiples provenant de sources
aussi diverses que l’agriculture, le tourisme, l’environnement bâti,
les investissements économiques et les industries de la culture.
Les archéologues doivent relever de nouveaux défis et résoudre de
nouveaux problèmes. Les valeurs de la préservation doivent être
expliquées, défendues et rattachées à des valeurs économiques et
sociales. Le processus décisionnel, fondé sur la transparence et
le respect de valeurs, doit exprimer les responsabilités sociales
d’une société dans son ensemble et non de certains de ses éléments
(en l’espèce, les universitaires). Il est essentiel de démontrer
l’avantage coût/bénéfice et le bénéfice public des travaux archéologiques,
ainsi que les changements que cela induit en termes de responsabilités
sociales et éthiques. L’archéologie doit donner la preuve qu’elle
est capable non seulement d’enrichir le patrimoine de produits archéologiques
spécifiques, ce qui peut constituer une fin en soi, mais aussi de
produire des résultats sociaux positifs.
15. Notre environnement historique est une ressource partagée
qui n’est pas du seul ressort des professionnels. En clair, toute
la société peut contribuer au processus de conservation et de préservation.
La valeur des sites doit donc être comprise et le changement inhérent
à notre société dynamique doit être géré en s’appuyant sur des définitions
claires des nouvelles valeurs du patrimoine, qui comprennent des
valeurs fonctionnelles, pédagogiques, économiques, culturelles,
intrinsèques et historiques, c’est-à-dire des valeurs importantes
pour l’ensemble de la communauté. L’expert et l’Etat ne doivent
plus être les seuls «propriétaires» du patrimoine. D’autres intérêts,
plus larges, ainsi qu’une approche participative, doivent aussi
être pris en compte.
16. Aujourd’hui, le premier objectif de l’archéologue est de ne
pas fouiller: lorsque de grands projets d’aménagement sont lancés,
on veillera à ce qu’ils n’empiètent pas sur les sites archéologiques.
Des réserves archéologiques doivent être conservées pour l’avenir
et beaucoup de travaux de fouilles sont à mener. Rappelons, par
ailleurs, que l’archéologie est une discipline qui n’est pas uniquement
patrimoniale mais aussi scientifique. Mais les opérations doivent
être soigneusement choisies et les fouilles doivent donner lieu
à la publication d’enregistrements.
Exemples de cadres d’archéologie
préventive
17. La participation de partenaires privés à l’archéologie
d’Etat présente souvent deux aspects. Dans la plupart des pays,
l’échelle et le niveau de spécialisation des travaux à réaliser
peuvent conduire les aménageurs privés à faire appel à des sociétés
spécialisées habilitées à conduire des fouilles. En 2004, le Sénat
français a publié une étude comparative de sept pays présentant
des modèles de décision différents concernant les découvertes archéologiques
dans le contexte de projets d’aménagement. Cette étude fournit certaines
indications quant aux différences et aux similitudes entre les politiques
nationales
.
18. Tous les pays étudiés ont adopté le principe «pollueur-payeur»
selon lequel les aménageurs doivent être responsables, dans une
plus ou moins grande mesure, de la conduite et du financement de
la recherche archéologique préventive. Le système le plus perfectionné
est observé en France, où une taxe est automatiquement prélevée
sur tous les projets d’aménagement de plus de 3 000 m2 qui
auront un impact sur le sous-sol, à de rares exceptions près, comme
les projets de logements sociaux. Cette taxe est centralisée et sert
à payer le coût des diagnostics archéologiques.
19. Au Danemark, seuls les archéologues de musée (avec l’aide
d’étudiants en archéologie) sont autorisés à conduire des recherches.
Tous les autres pays étudiés autorisent des opérateurs privés à
fouiller, selon des modalités différentes. L’Italie, où l’Etat a
conservé un monopole sur la recherche, fait appel à la sous-traitance publique
tandis que les autres pays ont privatisé le marché.
20. Le Royaume-Uni fournit le modèle le plus libéral, décrit en
détail à la Conférence sur l’archéologie de sauvetage organisée
à Paris en décembre 2008 par la sous-commission du patrimoine culturel
de la commission de la culture, de la science et de l’éducation.
Depuis le début des années 1990, les aménageurs britanniques prennent
en charge tous les coûts de la recherche archéologique, des enquêtes
initiales à l’archivage final en passant par tous les stades intermédiaires:
rapports pour déterminer la nature des ressources lors de l’étude
d’impact sur l’environnement, mesures d’atténuation, fouilles à
grande échelle, ainsi que toutes les étapes de la recherche et de
l’analyse, les publications universitaires et celles visant le grand public.
Les opérateurs du marché de l’archéologie britannique exécutent
des contrats dans le monde entier et génèrent près de 100 à 120 millions
de livres sterling par an. Ils emploient près de 4 000 archéologues
et comprennent environ 250 sociétés, dont la plupart comptent moins
de 11 employés conduisant principalement des projets de petite et
moyenne dimensions dans une zone localisée (une ville ou une zone
rurale).
21. La France a créé un institut national de recherche dans le
domaine de l’archéologie préventive: l’Institut national de recherches
archéologiques préventives (INRAP). Créé en 2002, cet institut compte
près de 2 000 agents qui se consacrent aux opérations de diagnostic
et de fouilles. Il s’agit donc du plus gros opérateur français,
mais d’autres opérateurs publics peuvent intervenir pour le diagnostic.
Par ailleurs, des opérateurs privés peuvent participer aux fouilles
aux côtés de l’INRAP et d’autres opérateurs publics. Il y a aujourd’hui
70 opérateurs agréés, dont les trois quarts sont des structures
publiques.
22. L’Institut archéologique allemand est un institut de recherches
fédéral placé sous la tutelle du ministère des Affaires étrangères.
L’institut travaille sur invitation dans le monde entier ou en coopération
avec des pays hôtes. Plus de 100 experts scientifiques œuvrent sur
le terrain et au sein d’instituts ayant des bibliothèques spécialisées
dans l’archéologie, notamment à Rome, Athènes, Istanbul, Madrid,
Le Caire, Damas, Sanaa, Amman, Téhéran, Pékin et Bagdad (l’institut
de Bagdad est provisoirement fermé). Des chercheurs étrangers et
des boursiers sont invités par l’institut, qui les aide à accéder
à la technologie et à prendre connaissance des recherches les plus
récentes.
23. L’examen de la situation dans certains pays de l’Europe de
l’Est et du Sud-Est indique qu’une attention particulière doit être
accordée à l’approche équilibrée prônée dans le présent rapport.
24. La Roumanie est un exemple de pays de l’ex-bloc socialiste
qui s’est engagé dans l’incorporation de l’acquis pertinent de l’Union
européenne dans sa législation nationale au moment même où elle
était confrontée aux crises et aux conflits déclenchés par le projet
Roşia Montană.
25. «L’ex-République yougoslave de Macédoine» est un exemple intéressant
d’un pays qui n’est pas encore membre de l’Union européenne mais
qui a pris des mesures pour réviser sa législation sur la protection
du patrimoine culturel. A la conférence de Paris, son représentant
a donné un aperçu des dangers posés par des contrôles inadéquats
concernant la nécropole importante de Stobi, qui a été découverte
lors de la planification d’une nouvelle autoroute en 1995
.
26. A la conférence, la représentation russe a présenté le pire
exemple de ce que peut être un cadre législatif, puisqu’il permet
à des investisseurs russes de poursuivre des travaux de construction
sans permis ou sans avoir à signaler aux autorités publiques que
des vestiges archéologiques ont été découverts. En conséquence,
d’après les statistiques stupéfiantes présentées, un pays comme
la Suisse compte plus de 500 000 monuments archéologiques identifiés,
contre près de 200 000 seulement dans la Fédération de Russie, dont
la taille est incommensurablement plus grande.
27. Tous les pays européens sont confrontés au même problème sous-jacent,
celui de la nécessité de disposer d’un réservoir de compétences
adéquates, que ce soit dans l’identification et la récupération
ou dans les métiers artisanaux de la restauration et de la reconstruction.
Il peut exister en effet une concurrence entre les secteurs public
et privé dans les pays où la profession/l’industrie archéologique
est développée. Mais les praticiens des pays où ces professions
sont développées peuvent également signer (par l’intermédiaire,
par exemple, du secteur privé, très performant au Royaume-Uni) des
contrats lucratifs dans des pays qui n’ont pas de réservoir de compétences
locales.
28. Un autre problème, en corrélation, est celui de la nécessité
de favoriser le développement professionnel et la création de services
d’appui, par exemple des installations spécialisées de stockage
et de publication. Il s’agit là d’un besoin important, comme en
témoignent les chiffres évoqués lors de la conférence de Paris (2008),
qui montrent que le marché du Royaume-Uni produit entre 100 et 120
millions d’exemplaires d’ouvrages par an.
3. Participation des
organisations internationales à l’archéologie de sauvetage
3.1. Conventions du
Conseil de l’Europe pour le patrimoine culturel
29. L’article 1 de la Convention culturelle du Conseil
de l’Europe (1954, STE no 18) stipule:
«Chaque Partie contractante prendra les mesures propres à sauvegarder
son apport au patrimoine culturel commun de l’Europe et à en encourager
le développement.» L’engagement du Conseil de l’Europe date donc
des premiers jours de son existence.
30. La Convention européenne pour la protection du patrimoine
archéologique (révisée) (Convention de La Valette, 1992, STE no 143)
met à jour la Convention
de Londres (1969, STE no 66). Le texte
révisé fait de la conservation et de la mise en valeur du patrimoine
archéologique l’un des objectifs des politiques d’aménagement du
territoire et d’urbanisme. Elle est concernée en particulier par
les arrangements de coopération entre les archéologues et les aménageurs
et urbanistes afin d’assurer une conservation optimale du patrimoine
archéologique (article 5).
31. La Convention de la Valette énonce les modalités d’une protection
du patrimoine responsable et durable, comme la gestion d’un inventaire
du patrimoine archéologique et le classement de monuments et de zones
protégés (article 2), la constitution de réserves archéologiques,
même sans vestiges apparents en surface ou sous les eaux, pour la
conservation de témoignages matériels à étudier par les générations
futures, ainsi que l’obligation pour l’inventeur de signaler aux
autorités compétentes la découverte fortuite d’éléments du patrimoine
archéologique et de les mettre à disposition pour examen.
32. La convention donne également des indications concernant le
financement des fouilles, des travaux de recherche et de la publication
complète des résultats. Elle porte aussi sur l’accès du public,
en particulier aux sites archéologiques, et sur les actions éducatives
à conduire pour sensibiliser davantage le public à la valeur du
patrimoine archéologique. Elle constitue un cadre institutionnel
pour la coopération paneuropéenne en matière de patrimoine archéologique,
favorisant l’échange systématique d’expériences et d’experts entre
les parties.
33. L’article 6 de la convention exige que des mesures soient
prises pour que, lors de grands travaux d’aménagement publics ou
privés, soit prévue la prise en charge complète, par des fonds provenant
de manière appropriée du secteur public ou du secteur privé, des
coûts de toute opération archéologique nécessaire liée à ces travaux.
Des dispositions devraient être prises pour que figurent dans le
budget, au même titre que les études d’impact imposées par les préoccupations
d’environnement et d’aménagement du territoire, les études et les
prospections archéologiques préalables, les documents scientifiques
de synthèse, de même que les communications et les publications
complètes des découvertes.
34. Un autre texte connexe, la Convention pour la sauvegarde du
patrimoine architectural de l’Europe (Convention de Grenade, 1985,
STE no 121), encourage le renforcement
et la promotion de politiques pour la conservation et la mise en
valeur du patrimoine européen en insistant sur la nécessité d’une
solidarité européenne concernant la conservation du patrimoine.
Dans ses articles 17, 18 et 19, la convention établit les principes
d’une coordination européenne des politiques de conservation, y
compris des échanges d’information, des échanges européens de spécialistes,
des consultations concernant la portée des politiques à mettre en
œuvre et «une assistance technique mutuelle s’exprimant dans un
échange d’expériences et d’experts en matière de conservation du
patrimoine architectural». Elle indique qu’une approche intégrée
est nécessaire pour réconcilier la protection du patrimoine architectural
avec les besoins actuels des activités culturelles, sociales et
économiques. Cette convention comptait 40 ratifications au 1er avril
2010.
35. La Convention-cadre du Conseil de l’Europe sur la valeur du
patrimoine culturel pour la société (Convention de Faro, 2005, STCE
no 199) entrera en vigueur lorsque 10
pays l’auront ratifiée (ils sont huit à l’heure actuelle). Dans
cette convention-cadre, on passe de la question «Comment et avec
quelle procédure peut-on préserver le patrimoine?» à la question
«Pourquoi lui donner davantage de valeur et pour qui?» Elle repose
sur l’idée que la connaissance et l’usage du patrimoine font partie
du droit du citoyen à participer à la vie culturelle telle qu’elle
est définie dans la Déclaration universelle des droits de l’homme.
36. Le texte présente le patrimoine comme une ressource pour le
développement humain, le renforcement de la diversité culturelle
et la promotion du dialogue interculturel, et comme une partie d’un
modèle de développement économique fondé sur les principes d’un
usage durable des ressources. A cet égard, il s’inscrit dans le
champ des priorités du Conseil de l’Europe telles que définies au
3e Sommet des chefs d’Etat et de gouvernement
qui s’est tenu à Varsovie en mai 2005.
3.2. Priorités des activités
du Conseil de l’Europe
37. Les priorités actuelles des activités du Conseil
de l’Europe dans le domaine du patrimoine culturel reposent sur
plusieurs de ses orientations de politique générale telles que définies,
en particulier, par le 3e Sommet et la
Convention-cadre de Faro. En conséquence, l’accent est mis sur les
possibilités offertes par les projets patrimoniaux pour renforcer
le dialogue interculturel et faire mieux connaître la valeur du
patrimoine culturel pour la société. Les liens entre le patrimoine
culturel et le patrimoine naturel ont été resserrés et la coopération
régionale est encouragée.
38. En 2008, le Comité directeur du patrimoine culturel est devenu
le Comité directeur du patrimoine culturel et du paysage (CDPATEP).
L’une de ses fonctions principales est d’assurer le suivi des conventions
de La Valette et de Grenade, dans l’esprit de la Convention-cadre
de Faro. Le Réseau européen du patrimoine (HEREIN), créé par le
CDPATEP, fournit d’abondantes ressources d’informations en ligne
sur les sites et les projets ainsi qu’un réseau de correspondants
nationaux. Les Parties contractantes sont invitées à participer aux
activités du réseau et à indiquer comment elles mettent en œuvre
les recommandations. Un projet européen d’archéologie préventive
(EPAC) lancé dans le cadre de HEREIN, à la suite d’une conférence
initiale en 2004 à Vilnius, n’a pas reçu le soutien financier nécessaire
pour être poursuivi.
39. Les mécanismes de suivi et d’évaluation de l’impact des différentes
conventions et déclarations sur la pratique réelle exigent d’être
perfectionnés et consolidés. De l’avis général, elles fonctionnent
et ont été très utiles, mais il est actuellement impossible de le
prouver. La phase 3 du projet HEREIN est en cours de mise à jour,
ce qui devrait résoudre ce problème et déboucher sur l’élaboration
d’indicateurs simples mais utiles du patrimoine culturel et de l’environnement
historique.
3.3. Autres organisations
internationales
UNESCO
40. L’UNESCO dispose en la matière d’un éventail très
complet d’instruments normatifs internationaux: la Convention de
1972 sur la protection du patrimoine culturel et naturel, la Convention
de 2001 sur la protection du patrimoine sous-marin, la Convention
de 2003 sur la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel et la Convention
de 2005 sur la protection et la promotion de la diversité des expressions
culturelles.
41. Le Comité du patrimoine mondial et son secrétariat, ainsi
que le Centre du patrimoine mondial de l’UNESCO, sont préoccupés
par de nombreux projets d’infrastructure ayant des répercussions
sur la valeur universelle exceptionnelle des biens et sur leur intégrité,
sachant que les projets d’aménagement représentent le pourcentage
le plus élevé de menaces pour le patrimoine mondial. Mais le dialogue
s’instaure dans ce domaine, comme en témoignent les concertations
avec des industriels de l’extraction minière, qui se sont engagés
à ne pas conduire de travaux d’extraction dans des sites du patrimoine
mondial. L’«engagement de non-exploitation dans les sites du patrimoine
mondial», de 2003, est un exemple de réussite d’une approche proactive.
42. Les 185 Etats parties à la Convention de 1972 peuvent soumettre
des propositions d’inscription de sites sur la liste du patrimoine
mondial. Plus de 800 sites sont aujourd’hui inscrits. L’UNESCO encourage
les Etats parties à proposer des candidatures, mais il ne peut pas
obliger les gouvernements à nommer des sites ou à les inclure sur
la liste indicative nationale.
Union européenne
43. Les participants à la Conférence de 2008 sur l’archéologie
préventive ont exprimé l’avis que les instruments élaborés par le
Conseil de l’Europe sous la forme de conventions devraient être
transposés au sein de l’Union européenne, en particulier la Convention
de La Valette. L’acquis du Conseil de l’Europe devrait donc également
être pris en compte lors de l’utilisation des fonds communautaires
structurels par les différents Etats membres. Les participants ont
également signalé que de nombreux intervenants ne savaient même
pas que ces mécanismes existaient. Il a été rappelé que les collaborateurs
internationaux chargés de projets patrimoniaux sont tenus d’informer
les divers acteurs que les différents mécanismes existants peuvent
souvent être appliqués, y compris pour des projets ayant un impact
sur le patrimoine archéologique (par exemple dans le cas de Roşia
Montană, décrit ci-après).
44. Les fonds de la Communauté européenne sont utilisés au niveau
régional ou, dans le cas de structures de gouvernance décentralisées,
comme en Allemagne, à l’échelon des Länder. Toutefois, des principes communs
mériteraient d’être élaborés pour encourager les Etats membres à
prendre des décisions sur la base des modalités d’utilisation commune
de ces fonds. Des principes conformes à la Convention d’Aarhus et
à la Directive 2003/4/CE de l’Union européenne, qui imposent la
mise en place de consultations publiques avec les communautés et
les organisations de la société civile lorsque des projets d’aménagement
sont susceptibles d’avoir un impact sur l’environnement et la qualité
de la vie, pourraient être transposés pour s’appliquer à ceux qui
ont un impact sur le patrimoine culturel.
45. Le Conseil de l’Europe et la Commission européenne organisent
conjointement chaque année les «Journées européennes du patrimoine»,
une initiative lancée par le Conseil de l’Europe en 1991. Au cours
de ces journées, de nouveaux éléments du patrimoine sont présentés
et de nombreux sites et monuments sont ouverts au public, certains
étant habituellement fermés. Les événements culturels mettent en
valeur des techniques et des traditions locales, des réalisations
architecturales et des travaux artistiques, mais l’objectif premier
reste néanmoins de créer une harmonie entre les citoyens, malgré
les différences culturelles et linguistiques. Les journées du patrimoine
ne sont pas spécifiquement liées à l’archéologie mais elles jouent
un rôle déterminant en ce qu’elles démontrent la valeur de la protection
du patrimoine et les avantages potentiels qui pourraient en découler
pour les villes et les régions.
Organisations non gouvernementales
internationales
46. L’Association européenne des archéologues a été fondée
en 1994. Elle réunit à titre individuel tous les professionnels
de l’archéologie en Europe. L’association compte actuellement plus
de 1 000 membres qui sont issus d’une quarantaine de pays. Elle
anime et participe à de nombreux projets internationaux et décerne annuellement
un prix européen du patrimoine. L’association tient un congrès annuel,
publie une revue intitulée European Journal
of Archaeology et décerne tous les deux ans le prix européen
du Patrimoine archéologique à des personnes ou des institutions
méritantes. Elle rassemble les archéologues en adoptant des bonnes pratiques
qui peuvent être mises en œuvre dans l’ensemble de la communauté
archéologique.
47. Le Code de bonnes pratiques de l’Association européenne des
archéologues rappelle que l’archéologie consiste en l’étude et l’interprétation
du patrimoine au bénéfice de la société dans son ensemble. Les archéologues
sont «les interprètes et les garants du patrimoine au nom de leurs
compatriotes». Une telle conception montre que les archéologues
ont un rôle à jouer qui dépasse les seuls intérêts de la communauté scientifique
ou d’autres groupes, et que pèse sur eux une certaine responsabilité
au nom du collectif. L’association a rédigé un ensemble de «principes
de conduite pour les archéologues engagés dans des travaux archéologiques
sous contrat».
48. L’ICOMOS, le Conseil international des monuments et des sites,
est une organisation internationale non gouvernementale (OING) créée
en 1964 à la suite de la signature de la Charte internationale sur
la protection et la restauration des monuments et des sites (la
Charte de Venise). Son comité scientifique, le Comité international
pour la gestion du patrimoine archéologique (ICAHM), a été fondé
en 1990. Ses membres – plus de 8 000 personnes provenant de plus
de 100 pays – sont des urbanistes, des archéologues, des restaurateurs,
des historiens de l’art et des gestionnaires du patrimoine. Sa mission
consiste à rassembler des spécialistes de la protection et de la
conservation, à mettre en valeur le patrimoine, à fournir un forum
de discussions et un réseau international de partage des informations
et enfin à élaborer des programmes d’information.
49. L’ICOMOS fournit des avis à l’UNESCO, notamment sur la gestion
et l’identification des sites inscrits au patrimoine mondial. Il
existe 115 comités nationaux regroupant chacun des associations,
des entreprises et des personnes privées qui œuvrent à l’échelle
nationale pour promouvoir les objectifs plus généraux de l’ICOMOS.
Cette OING compte une quinzaine de comités scientifiques internationaux
composés d’experts dans des spécialités de pointe telles que l’architecture
de terre, les constructions en bois, les peintures murales, ou sur
des aspects plus généraux. Un comité vient récemment d’être créé
sur l’interprétation des sites archéologiques.
50. Europa Nostra, fondée en 1963, représente près de 250 organisations
non gouvernementales, 150 organisations affiliées et 1 500 membres
de plus de 50 pays qui sont pleinement déterminés à sauvegarder
le patrimoine et les paysages européens. Elle propose un vaste réseau
pour dialoguer et débattre, et mène des campagnes d’envergure pour
contrer les menaces qui pèsent sur les bâtiments patrimoniaux, les
sites et les paysages vulnérables. Elle fait constamment pression
sur les pays européens pour qu’ils adoptent des politiques durables
et des normes rigoureuses en matière de patrimoine.
4. Exemples d’archéologie
de sauvetage/préventive
51. Les exemples qui suivent sont représentatifs des
nombreux et divers défis posés à la protection du patrimoine lorsqu’elle
doit faire face à des travaux publics d’envergure ou à des projets
d’aménagement potentiellement très rentables. Ils ont été retenus
avant tout parce qu’ils ont fait l’objet de présentations orales ou
écrites récentes à la commission de la culture, de la science et
de l’éducation.
4.1. Mines d’or à Roşia
Montană (Roumanie)
52. Sur le site de Roşia Montană, en Roumanie, l’étude,
la récupération ou la préservation du patrimoine minier ancien ont
été initialement financées par la société qui souhaitait extraire
de nouveau de l’or en utilisant des méthodes d’exploitation modernes.
Ce projet est un nouvel exemple de conflit entre des valeurs socioculturelles
et économiques. Il montre également que des réalisations archéologiques
ne sont parfois possibles que si elles sont financées par l’entreprise
commerciale qui leur est associée.
53. Le programme avait pour but d’établir un cadre pour de nouvelles
approches de l’archéologie préventive en Roumanie et de tester des
normes européennes de méthodologie. Il était également prévu de
prendre en compte les changements de la législation roumaine concernant
la protection du patrimoine archéologique, les mines et la protection
de l’environnement, et de conduire les premières études sur l’impact
environnemental des recherches archéologiques. Ce programme posait
les jalons d’une nouvelle approche moderne des recherches archéologiques
préventives en Roumanie puisqu’on exigeait pour la première fois
d’un projet de développement industriel qu’il respecte la procédure
de quitus archéologique pour
les sites contenant des vestiges. Il a également débouché sur le
premier plan de gestion du patrimoine archéologique national. Les fonds,
collectés auprès de la compagnie minière, en application du principe
pollueur-payeur établi par la Convention de la Valette, ont permis
la construction d’un musée moderne sur l’histoire de la mine à Roşia Montană
et dans les régions voisines. Une série d’ouvrages consacrés aux
résultats des recherches dans cette zone ont également été publiés.
54. La gestion archéologique s’est aussi concentrée sur une autre
dimension stratégique: l’enregistrement de toutes les données dans
le respect des meilleures normes et pratiques. Ont été ainsi créés
une base de données, un système d’information géographique (GIS)
et des archives de photos numériques, incluant des images aériennes
et satellitaires.
55. L’accent a été mis sur la diffusion des résultats de la recherche
selon une stratégie de communication en trois volets: communication
avec le public aux niveaux local, national et européen, avec l’aide
des médias; communication professionnelle avec les musées et les
sociétés savantes nationales et internationales, y compris l’organisation
d’expositions et l’élaboration d’un calendrier coordonné des publications;
et communication avec l’investisseur afin de s’assurer que le plan
minier préserve des éléments rares ou importants pour les recherches
futures. Grâce aux découvertes résultant de l’étude des nombreux
vestiges, une politique responsable a été élaborée conjointement
avec la société minière en ce qui concerne le patrimoine du site
exploité.
56. Malgré les premières expériences très positives acquises lors
de ce projet minier, celui-ci a été violemment remis en question
dès son lancement par une partie de l’opinion publique et par des
ONG. Il est aujourd’hui bloqué, principalement pour des questions
d’impact environnemental (stockage de boues cyanurées) et social
(déplacement de populations, projet considéré comme non durable),
mais aussi à cause de la perte d’une partie des vestiges archéologiques
étudiés et présents dans le périmètre des mines à ciel ouvert du
projet.
4.2. Sites olympiques
de Marathon et Markopoulo (Grèce)
57. Les équipes de construction préparant les jeux Olympiques
de 2004 à Athènes ont mis au jour de nombreux bâtiments et objets
anciens. Malgré les efforts de longue haleine exigés pour préserver
ces antiquités, les archéologues craignaient la perte et la destruction
du patrimoine à cause des délais très serrés pour la réalisation
des travaux.
58. Le centre d’aviron et de canoë-kayak construit à Schinias,
à une trentaine de kilomètres au nord-est d’Athènes, était au cœur
de la polémique. Selon de nombreux historiens, ce terrain en bord
de mer est le site où une force expéditionnaire perse, débarquée
en 490 avant Jésus-Christ, s’était engagée dans une bataille avec
une armée athénienne sur la plaine adjacente de Marathon, bataille
considérée comme une des plus importantes de l’histoire grecque.
Le ministre grec de la Culture déclara que le site pouvait être
construit en se fondant sur des études géophysiques montrant qu’il
s’agissait d’un lagon à l’époque de la bataille. Malgré de fortes
objections de la part d’historiens et d’archéologues du monde entier,
les travaux se poursuivirent jusqu’à ce qu’un village de l’âge du
bronze (datant d’environ 4 500 ans) soit mis au jour. Le gouvernement
ordonna le déplacement de deux des trois maisons découvertes et
les travaux de construction du centre reprirent. Le rapporteur n’a
pas connaissance de preuves enregistrées de découvertes qui indiqueraient
que les travaux ont empiété sur le site de la bataille.
59. Les travaux de construction du site olympique permirent de
découvrir des milliers d’autres structures et objets qui seraient
restés sans cela dans le sous-sol. La construction du bâtiment du
centre équestre de Markopoulo mit au jour les vestiges d’un temple
dédié à Aphrodite. Ce site est intéressant car il a permis aux archéologues
et aux constructeurs de coopérer, probablement à cause de la nature
ouverte du site équestre.
60. Les archéologues ont fait plus de 30 000 découvertes pendant
l’extension du réseau métropolitain d’Athènes et les travaux d’infrastructure
associés aux jeux Olympiques. Ces découvertes ont pu être montrées dans
le métro, près des guichets de vente des billets, parfois à proximité
de l’endroit où elles avaient été trouvées, voire représentées dans
les strates où elles avaient été découvertes.
61. Un aqueduc datant de la période d’Hadrien a été trouvé au
milieu du village olympique. Les organisateurs décidèrent d’en faire
l’élément visuel central du village au lieu de le détruire ou de
le reconstruire.
62. Ces diverses excavations ont eu une incidence sur le calendrier
des travaux de construction et laissé craindre que l’histoire de
la Grèce ne fasse obstacle au progrès du pays. En l’occurrence,
cette crainte s’est révélée infondée.
4.3. Projets de construction
d’un barrage à Allianoi (Turquie)
63. Dans les années 1990, pendant une enquête de routine
effectuée en vue de la construction du barrage de Yortanli, des
thermes romains ainsi qu’un asklepieion (centre
de traitement médical) datant du IIe siècle avant
Jésus-Christ ont été découverts dans un état de conservation remarquable.
Ces thermes devaient être inondés lors de la phase finale de la
construction du barrage, été 2007.
64. Europa Nostra et ICOMOS sont intervenus à maintes reprises
en faveur de la conservation de ce site remarquable, notamment en
apportant leur concours aux nombreuses campagnes locales. Les actions concertées
des défenseurs locaux du site et de la communauté archéologique
internationale ont permis de repousser l’inondation prévue du site.
65. Lors de l’achèvement de la construction du barrage, le puissant
lobby des agriculteurs en faveur de l’eau d’irrigation profita de
la sécheresse ayant sévi récemment dans la région pour accentuer
sa pression sur le gouvernement et le contraindre à mettre le barrage
en service.
66. A la suite des élections de 2007 en Turquie, les ministères
et le parlement connurent un important remaniement. Le nouveau Président,
M. Abdullah Gül, et le nouveau ministre de la Culture, M. Ertugrul
Günay, furent saisis de cette question par Europe Nostra, qui leur
demanda que le site soit fouillé et documenté en priorité et que
des mesures appropriées de conservation soient prises ensuite. Parallèlement,
les acteurs locaux organisèrent de nombreuses manifestations sous
la bannière de l’«Initiative Allianoi».
67. La date de mise en service du barrage fut constamment repoussée
et, en 2008, les vestiges du site furent recouverts par une couche
d’argile «protectrice». Selon une opinion largement répandue parmi
les experts, cette technique ne permettra pas de protéger les vestiges
si le barrage est rempli.
68. Compte tenu de l’urgence de la situation et de la longueur
des procédures juridiques nationales, l’«Initiative Allianoi» saisit
la Cour européenne des droits de l’homme, en février 2008. Il s’agit
de la première affaire portée devant la Cour concernant la préservation
du patrimoine culturel. En juillet 2008, la Cour décida de s’en
saisir.
4.4. Découverte du port
byzantin de Constantinople (Turquie)
69. En 2004, pendant les travaux de construction d’un
nouveau tunnel de métro très attendu, percé sous le détroit du Bosphore
entre les rives stambouliotes de l’Europe et de l’Asie, les archéologues
ont découvert le port byzantin de Théodose considéré comme disparu.
Le port avait été construit à la fin du IVe siècle
par l’empereur Théodose Ier lorsque Istanbul
(Constantinople) était la capitale de l’Empire romain d’Orient.
Des fouilles effectuées dans le district de Yenikapi près d’Istanbul
ont exhumé plus de 30 navires byzantins datant du VIIe au
XIe siècle, des rondins de bois millénaires
provenant de jetées et d’appontements, ainsi que des vestiges d’un
peuplement humain préhistorique.
70. Les fouilles ont permis de mettre au jour les premiers exemples
de construction navale utilisant des techniques consistant à mettre
en place l’ossature d’un bateau afin de construire sa coque. Il
s’agit d’un progrès technique révolutionnaire permettant d’assurer
une communication d’autant plus rapide des nouvelles idées en matière
de construction navale qu’elles pouvaient être transmises sur papier.
Ce changement, considéré comme le début de l’ingénierie, est d’une
importance fondamentale pour notre connaissance et notre compréhension
de l’histoire du monde.
71. Malgré les pressions énormes exercées pour que le tunnel soit
achevé afin d’atténuer les graves problèmes de circulation d’Istanbul,
les autorités turques décidèrent que l’archéologie serait prioritaire
et retardèrent les plans de développement de près de quatre ans,
ce qui représenta un coût considérable pour l’ensemble du projet.
Au départ, la gare ferroviaire devait être construite sur le site,
mais lorsque les vestiges ont été trouvés, les autorités décidèrent
que l’emplacement de la gare serait modifié afin de laisser intacts
les monuments historiques.
72. Les archéologues turcs sont en contact avec des musées navals
au Danemark, en Suède, en Allemagne, aux Pays-Bas, en Espagne et
au Royaume-Uni pour étudier la possibilité de créer un nouveau musée
local. Les décisions n’ont pas encore été prises en ce qui concerne
les navires et les objets qui seront placés dans le musée et l’emplacement
de celui-ci. Lorsque les travaux de fouilles seront achevés, la documentation,
la conservation et la reconstruction des navires continueront. Il
est proposé d’incorporer certains vestiges nautiques dans des espaces
d’exposition situés dans le complexe ferroviaire regroupant le train
et le métro.
4.5. Construction de
l’autoroute M3 traversant la vallée de Tara (Irlande)
73. La colline de Tara, près de la rivière Boyne, est
un ensemble archéologique qui se situe entre Navan et Dunshaughlin
dans le comté de Meath, province de Leinster, en Irlande. Du point
de vue historique, ce site a de multiples significations pour l’Irlande.
On y trouve de nombreux monuments anciens et, selon la tradition,
la colline était le lieu où siégeaient les rois d’Irlande. Pendant
longtemps, quiconque osait allumer un feu à proximité était puni
de mort. Une tombe, peut-être celle du roi Lóegaire, considéré comme
le dernier roi païen d’Irlande, a été trouvée près de la colline.
Pendant la rébellion de 1798, les Irlandais Unis formèrent un camp sur
la colline où ils furent attaqués et battus par des troupes britanniques
le 26 mai et la pierre sacrée Lia Fáil fut déplacée pour marquer
le lieu où se trouvaient les tombes des 400 rebelles morts sur cette
colline ce jour-là. En 1843, Daniel O’Connell, membre du Parlement
irlandais, organisa une manifestation politique pacifique sur la
colline de Tara en faveur de l’abrogation de la loi de l’Union.
Cette manifestation rassembla plus de 750 000 personnes, ce qui
montre l’importance historique de la colline de Tara.
74. La nouvelle autoroute M3 en construction passe dans la vallée
de Tara-Skryne, comme la route N3 précédente. Les opposants au projet
considéraient que le programme de découverte lancé en 1992 montrait que
la colline de Tara n’était que le site central d’un ensemble plus
vaste. Une autre route, située à près de 6 km à l’ouest de la colline
de Tara, leur semblait une solution de remplacement plus directe,
moins coûteuse et moins destructrice. Le dimanche 23 septembre 2007,
plus de 1 500 personnes se rassemblèrent sur la colline de Tara
pour prendre part à une sculpture humaine représentant une harpe
et formant les mots «Sauver la vallée de Tara». Les manifestants
invitaient les autorités à éloigner le tracé de l’autoroute M3 de
la vallée de Tara.
75. La colline de Tara a été inscrite sur la liste de 2008 des
100 sites les plus menacés dans le monde par le Fonds mondial pour
les monuments. La vallée Tara Skryne, l’une des régions d’Irlande
les plus riches du point de vue archéologique, a été officiellement
désignée «zone de conservation du paysage» et l’Irlande a proposé
à la fin de 2009 que la colline de Tara soit inscrite sur la liste
du Patrimoine mondial de l’UNESCO. Une nouvelle loi sur les monuments
nationaux pourrait interdire tout aménagement routier dans les zones archéologiques
riches.
4.6. Travaux hydroélectriques
dans le bassin de la rivière Angara en Sibérie (Russie)
76. Les participants russes à la Conférence de Paris
en 2008 ont fait état d’une situation critique dans la région de
Krasnoïarsk, en Sibérie. Au moment de la publication du présent
rapport, sa conclusion n’était pas connue.
77. Dans les années 1970, les autorités soviétiques décidèrent
de bâtir une centrale hydroélectrique dans le bassin de la rivière
Angara. Des centaines de sites archéologiques devaient être submergés
sans travaux de sauvetage préalables. Ce projet fut heureusement
abandonné, avant d’être repris en 2000 par une société de production
d’aluminium qui prévoyait d’inonder, à partir de 2010 et jusqu’en
2012, un territoire encore bien plus grand.
78. Or, 163 sites archéologiques sont répertoriés dans la région
de Krasnoïarsk et 42 dans la région d’Irkoutsk. Situés près des
rives de l’Angara, ils seraient donc submergés par ce projet. Pour
la seule région d’Irkoutsk, les fouilles coûteraient à elles seules
5 milliards de roubles. Les travaux de construction commencèrent
avant toute expertise archéologique. En 2008, l’Académie des sciences
de la Fédération de Russie a réussi à mobiliser 152 millions de
roubles pour les fouilles archéologiques dans la région de Krasnoïarsk,
qui permettraient de sauver environ 80 % des vestiges.
79. Au moment de la conférence, la date de l’inondation approchait
sans qu’aucun financement n’ait été trouvé, ni pour les fouilles
ni pour sauvegarder et protéger les berges, et l’investisseur refusait
de financer les fouilles le long de la rivière car, aux termes de
la loi russe, après sa construction, le barrage sera propriété de l’Etat.
5. Conclusions
80. La destruction de vestiges archéologiques due aux
travaux d’aménagement s’est poursuivie et accélérée depuis la fin
de la seconde guerre mondiale. Le patrimoine archéologique de toute
l’Europe subit des pressions croissantes du fait de ces travaux,
ce qui pose des défis considérables pour la gestion du patrimoine
dans tous les pays, mais offre également des occasions importantes
d’améliorer notre compréhension du passé et d’apporter une contribution
aux valeurs de la société. Le patrimoine archéologique est une ressource
finie et non renouvelable, et sa préservation in
situ doit toujours être le premier objectif des projets
concernant des vestiges archéologiques importants menacés par un
aménagement. Lorsque la préservation n’est ni possible ni appropriée,
il faut compenser la perte des vestiges archéologiques par des fouilles
scientifiques, des analyses et la publication des résultats à l’intention
du public, et contribuer ainsi à notre connaissance et notre compréhension
du passé.
81. Les problèmes communs à tous les Etats membres sont abordés
avec des succès divers et un degré d’intérêt inégal, bien que la
sensibilisation du public à la valeur du patrimoine culturel, y
compris les vestiges archéologiques, soit en progression. L’incapacité
à démontrer cette valeur de manière pertinente peut conduire à l’abandon
de projets n’ayant aucune «valeur ajoutée économique» immédiate
et à une concurrence entre les régions. Par ailleurs, la menace
d’une délocalisation des projets d’aménagement peut dissuader les
autorités locales d’appuyer des projets de protection du patrimoine.
Le dialogue est un élément clé de l’aménagement de l’espace et la
législation en matière archéologique joue un rôle déterminant. Le
fait d’admettre que les valeurs archéologiques doivent faire partie
intégrante de ces processus atténue les effets destructeurs des fouilles.
Il est impératif que les archéologues et les aménageurs se concertent
et coopèrent le plus rapidement et le plus ouvertement possible
dans le but de réduire les risques tant du point de vue de l’aménagement
que du point de vue archéologique.
82. Une protection efficace du patrimoine archéologique passe
également par une formation adaptée des archéologues, y compris
une formation pratique et une formation professionnelle continue,
des structures et des possibilités de carrière, et de meilleurs
échanges.
83. La plupart de ces défis pourraient être relevés grâce à une
meilleure mise en œuvre par les Parties contractantes de la Convention
de La Valette sur la protection du patrimoine archéologique, en
particulier lorsque les Etats membres auront ratifié la convention.
La publication et la diffusion d’informations et de bonnes pratiques
pourraient être facilitées par le renforcement du projet HEREIN.
84. En outre, la question de l’archéologie préventive exige d’être
examinée sur la base d’études de cas et d’expériences comparatives,
avec la participation de toutes les parties intéressées, y compris
les archéologues, les historiens de l’art et d’autres spécialistes
pertinents, les aménageurs, les ONG, ainsi que les autorités locales
et nationales. De cette manière, on peut attirer l’attention sur
les réels problèmes qui existent, et proposer des solutions de haut
niveau.
85. A l’avenir, si les efforts visant à protéger les sites et
les monuments continuent de s’accentuer, la gestion et le traitement
des données scientifiques, le stockage des objets et des résultats
des fouilles deviendront d’une complexité sans précédent. L’accès
du public aux découvertes et aux archives, notamment dans les Etats
où un grand nombre de fouilles archéologiques ont eu lieu, doit
être assuré.
86. Enfin, il sera crucial de s’adapter aux nouveaux développements
et changements dans ce domaine, notamment ceux qui résultent de
phénomènes naturels comme le changement climatique.