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Rapport | Doc. 12421 | 19 octobre 2010

Promouvoir une politique de lutte contre l’addiction au jeu en ligne

(Ancienne) Commission des questions sociales, de la santé et de la famille

Rapporteur : M. Laurent BÉTEILLE, France, PPE/DC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 11667, Renvoi 3478 du 29 septembre 2008. 2010 - Commission permanente de novembre

Résumé

Alors que les nouvelles technologies de l’information et de la communication sont devenues omniprésentes dans tous les domaines de la société, le marché des jeux en ligne a également augmenté de manière considérable depuis quelques années. Cette augmentation est telle que de plus en plus de personnes font une utilisation excessive, voir pathologique de ces jeux. Un tel excès est encouragé par une offre croissante et non contrôlée de jeux illégaux qui cumulent les facteurs de risque pour développer une addiction au jeu, notamment parmi les populations vulnérables (personnes isolées, personnes à faible revenu ou jeunes).

L’Assemblée parlementaire devrait s’inquiéter de l’absence de prise de conscience du jeu pathologique en tant que problème social et de santé publique. Elle devrait appeler les Etats membres à encadrer, de manière claire et cohérente, l’ouverture continue des marchés de jeux en ligne aux niveaux européen et national et à développer des politiques engagées en matière de lutte contre l’addiction au jeu, comprenant des mesures légales, fiscales et sociales qui visent également à responsabiliser les opérateurs des sites de jeux.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			.
Projet de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 6
septembre 2010.

(open)
1. Le jeu en ligne, comprenant les jeux de hasard et les paris sur internet, a connu une croissance significative ces dernières années, à la fois au niveau de l’offre et de l’utilisation qui en est faite. Grâce à la facilité d’accès, l’attractivité de l’offre et une commercialisation proactive, le jeu en ligne comporte, pour les joueurs, un plus grand risque de développer une addiction que les jeux de hasard «classiques». L’addiction au jeu concerne souvent des groupes vulnérables (mineurs, personnes à faible revenu, personnes isolées, etc.) ou va de pair avec d’autres problématiques (addiction à des substances, endettement, négligence des enfants, etc.). Faute d’intervention à différents niveaux, l’addiction au jeu en ligne risque par ailleurs d’augmenter proportionnellement à l’utilisation croissante de l’internet.
2. L’Assemblée parlementaire est très préoccupée par les conséquences économiques et sociales considérables de l’addiction au jeu, aussi appelé jeu pathologique. Elle note avec inquiétude qu’une véritable prise de conscience à leur égard au niveau national et des réponses politiques ciblées se font attendre dans la plupart des Etats membres. La réglementation européenne et nationale relative à l’ouverture des marchés et à l’autorisation des offres est marquée par des lacunes et contradictions évidentes qui laissent trop d’ouverture aux sites de jeu illégaux pour se développer et qui font que ceux-ci continuent à être attractifs pour les joueurs. Le problème est renforcé par le fait que les jeux illégaux cumulent les facteurs de risque pour développer le jeu pathologique.
3. A la lumière de ces considérations, l’Assemblée invite les Etats membres du Conseil de l’Europe à prendre des mesures engagées à différents niveaux et dans les différents domaines concernés et, notamment:
3.1. à encadrer, au niveau national, l’ouverture des marchés des jeux en ligne par le biais d’une législation nationale rigoureuse et par la mise en place d’autorités de régulation pouvant assurer le suivi de sa mise en œuvre;
3.2. à requérir, pour ceux des Etats membres qui le sont aussi de l’Union européenne, qu’à ce niveau-là, la situation légale concernant les jeux en ligne soit clarifiée et communiquée clairement, et que les politiques nationales respectives soient accompagnées d’une politique européenne en la matière qui visé également à protéger les joueurs contre l’addiction au jeu en ligne et les pratiques criminelles;
3.3. à étudier les possibilités de dédier, au moins en partie, les recettes fiscales provenant de la taxation des jeux en ligne à des activités d’intérêt public et en particulier à la lutte contre l’addiction au jeu;
3.4. à étudier davantage le problème du jeu pathologique et ses conséquences sociales, notamment concernant les personnes les plus vulnérables et les phénomènes d’addiction associés;
3.5. à tenir compte de l’addiction au jeu en tant que problématiques sociales et de santé publique graves et à développer de véritables politiques en réponse au jeu pathologique, y compris des mesures de prévention, telles que le contrôle de la publicité et de l’incitation à la consommation de jeux, des programmes d’éducation-médias pour les jeunes, et des mesures d’accompagnement des joueurs;
3.6. à développer des services de prise en charge et d’accompagnement des personnes concernées par l’addiction au jeu, comparables à ceux existants pour la prise en charge des addictions à des substances;
3.7. à promouvoir une offre légale de jeux en ligne qui constitue une alternative attractive aux offres illégales comportant davantage de risque d’addiction;
3.8. à inciter les opérateurs de jeux à développer des sites de «jeu responsable»;
3.9. à lancer des campagnes nationales d’information sur le danger du jeu en ligne;
3.10. à coopérer aux niveaux européen et international afin d’harmoniser les démarches faites vis-à-vis des opérateurs de jeux illégaux et de bénéficier des meilleures pratiques respectives en la matière.

B. Exposé de motifs par M. Béteille, rapporteur

(open)

1. Introduction 

«Pour gagner, puis pour étonner, enfin pour espérer. Il n’a pas misé seulement de l’argent mais sa vie elle-même.»

Dostoïevski

1. Le développement considérable des jeux de hasard et des paris sur internet (ci-après appelés: «jeu en ligne») ainsi que l’usage croissant qui en est fait présentent de véritables enjeux en matière sociale et de santé publique. Ce n’est pas la simple existence de ces jeux qui pose problème, mais leur utilisation excessive par certains groupes de personnes sensibles, telles que les jeunes, les chômeurs ou les retraités. L’addiction au jeu en ligne telle qu’elle est entendue ici est une forme spécifique de l’addiction aux jeux de hasard et d’argent. Le rapporteur partira donc du phénomène de l’addiction au jeu plus généralement, en complétant ses propos par la dimension ajoutée par l’internet, pour arriver aux conséquences sociales du jeu excessif (aussi appelé «jeu problématique» ou «jeu pathologique», selon la gravité du problème) et aux réponses politiques qui pourraient y être apportées.
2. L’addiction au jeu en ligne n’est pas simplement un phénomène qui concerne l’individu et ses préférences de loisir, même si elle continue à être traitée ainsi dans de nombreux pays. Les premières études abordant les sérieuses implications sociales que peut avoir l’addiction au jeu viennent à peine de voir le jour. Le rapporteur est avant tout frappé par le manque de prise de conscience et par l’absence d’études nationales et européennes en la matière. Dans la plupart des Etats membres et au niveau international, l’addiction au jeu en ligne n’est même pas reconnue en tant que problème de santé. Ainsi, même pour une institution spécialisée telle que l’Organisation mondiale de la santé (OMS), elle ne figure pas dans la liste des thèmes de santé traités.
3. Le rapporteur souhaite attirer l’attention des Etats membres sur le phénomène croissant de l’addiction au jeu en ligne en tant que problème social et de santé publique. Il souligne que le phénomène traité par le présent rapport est celui des jeux de hasard en ligne, impliquant des gains financiers (en anglais: online gambling), et non les jeux sur internet et les jeux vidéo de manière générale (en anglais online games). Ces deux phénomènes peuvent être liés, mais présentent généralement des caractéristiques et des conséquences bien distinctes; les réponses à y apporter varient donc forcément. En tenant compte de cette distinction, le rapporteur souhaite démontrer l’importance de la définition de politiques nationales de prévention de l’addiction aux jeux de hasard en ligne, et de la mise en œuvre de dispositifs d’aide spécifique dépassant les mouvements associatifs d’entraide, type «joueurs anonymes». Selon lui, il convient d’assurer un suivi adapté des personnes concernées dans chaque pays, y compris par la mise en place de structures appropriées à l’image de celles consacrées à la lutte contre la toxicomanie ou l’alcoolisme.

2. L’addiction au jeu en ligne: un problème social et de santé publique?

2.1. Le concept du «jeu pathologique»

4. Partout en Europe, les jeux de hasard et d’argent se sont fortement développés depuis les années 1970. Au-delà du divertissement qu’apportent tous les jeux à leurs utilisateurs, ils peuvent, selon leur type, devenir préjudiciables, avoir un impact sérieux sur la situation financière et économique des personnes concernées et générer des dommages individuels, familiaux, sociaux et professionnels, voire prendre la dimension d’une véritable conduite addictive 
			(2) 
			. «Jeux de hasard et d’argent. Contextes
et addictions» (dossier de presse), Institut national de la santé
et de la recherche médicale (INSERM), Paris, 22 juillet 2008..
5. La notion de «jeu pathologique» en tant que «pratique inadaptée, persistante et répétée du jeu» est apparue dans la littérature scientifique vers la fin des années 1980. Le joueur excessif a tout d’abord été considéré comme présentant des troubles impulsifs, puis ces troubles ont été inclus progressivement dans la catégorie des «addictions sans substances». Les deux concepts largement reconnus sont: 1. celui du «joueur pathologique» dont l’état ou le comportement répond à certains critères d’un diagnostic clinique ou d’un questionnaire test (souvent l’outil de classification DSM-IV 
			(3) 
			. DSM-IV = la version 4 de cet outil publié
par l’Association américaine psychiatrique pour la première fois
en 1994.), notamment une incapacité à contrôler son comportement et la poursuite de ce comportement malgré ses conséquences négatives; et, 2. celui du «joueur problématique», non classé comme pathologique mais montrant des difficultés en lien avec son comportement de jeu.
6. En ce qui concerne les jeux en ligne plus particulièrement, la problématique de l’addiction au jeu est à distinguer de celle de la dépendance plus générale d’internet, aussi appelée «cyberdépendance» ou «cyberaddiction», même si les deux types d’addictions sont étroitement liés puisqu’un grand pourcentage des «cyberdépendants» seraient «accros» au jeu (environ 30 %, selon l’Organisme de représentation des différentes régies publicitaires interactives – European Interactive Advertising Association).

2.2. Croissance des jeux de hasard et d’argent et prévalence de l’addiction au jeu

7. Les jeux de hasard et d’argent ont connu une forte croissance ces dernières années. Selon une étude de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) en France en 2005, la diversification de l’offre de jeux a stimulé les dépenses des Français, qui ont pratiquement doublé en vingt‑cinq ans: déjà en 2003, elles atteignaient 7,8 milliards d’euros, soit 130 euros par habitant, ce qui fait que la part de budget des ménages qui leur est consacrée est à peine inférieure à celle des livres (0,9 % contre 1 %). Les ménages les plus défavorisés jouent plus que le reste de la population et la croissance la plus forte se trouve dans le domaine des machines à sous et autres jeux instantanés, au détriment des paris sur les courses de chevaux et des loteries et lotos traditionnels. Néanmoins, les Français ne seraient pas, en Europe, les plus enclins à jouer, puisqu’ils se situaient, en 2005, légèrement en dessous de la moyenne, largement distancés par la Slovénie, l’Espagne, Malte et la Finlande 
			(4) 
			. «Quand
la dépendance entre en jeu», Solenne Durox, dans l’Express, 8 novembre
2006..
8. Dans la plupart des Etats membres, il n’existe pas de données précises quant à la prévalence du jeu pathologique, et encore moins du jeu en ligne. Cependant, dans la majorité des pays développés, le pourcentage de la population concernée par le jeu problématique et pathologique de manière générale est estimé de 1,5 à 3 %. Selon des enquêtes internationales, les Etats-Unis et l’Australie se trouveraient en tête avec 5 % de leur population qui serait concerné, et la Norvège en queue avec 0,2 %. Selon l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), la France se situerait dans la fourchette de 1 à 2 %, ce qui représenterait entre 400 000 et 800 000 personnes concernées. Selon l’INSEE, environ 500 000 Français tenteraient régulièrement leur chance sur internet, à travers 2 000 sites, pour la plupart illégaux pour le moment, en l’absence d’une déréglementation systématique du marché (voir le contexte légal plus bas).
9. Tous les jeux ne comportent pas le même risque d’addiction. Cependant, jusqu’à ce jour, il n’a pas encore été étudié de manière approfondie s’il existe des jeux plus susceptibles que d’autres de déclencher un comportement addictif. Plusieurs études montrent que plus le délai entre la mise et le gain attendu est court, plus la possibilité de répétition de la séquence de jeu est élevée, et plus le risque d’addiction est grand. Selon l’association SOS Joueurs en France, et en ce qui concerne les jeux de hasard de manière générale,ce seraient les machines à sous qui créent le plus d’accoutumance et qui concernent 62 % des appels à cette association venant au secours des joueurs pathologiques. L’impact d’un gros gain initial est par ailleurs un des facteurs classiques d’installation du jeu pathologique. En ce qui concerne plus particulièrement les jeux de hasard et d’argent sur internet, les facteurs de risque suivants – qui sont en même temps les stimulateurs pour les joueurs pathologiques – ont été identifiés 
			(5) 
			.
Tobias Hayer, Meinolf Bachmann et Gerhard Meyer: «Pathologisches
Spielverhalten bei Glücksspielen im Internet» (Comportement de jeu
pathologique dans le cadre de jeux de hasard en ligne), Wiener Zeitschrift
für Suchtforschung, Jg. 28 2005, Nr. 1/2, p. 29-41.:
  • la facilité d’accès au jeu à la maison ou sur le lieu de travail, ainsi que lorsqu’il s’agit de personnes vulnérables (mineurs, personnes dépendantes de drogues, etc.);
  • la fréquence des cycles de jeu;
  • l’interactivité, qui procure au joueur l’illusion de contrôler le jeu;
  • le mode de paiement virtuel, qui comporte un risque de perte de vue globale et de contrôle du côté du joueur;
  • l’anonymat, qui évite au joueur de s’exposer à d’autres et à un contrôle social;
  • la distraction trouvée dans le jeu;
  • l’élimination progressive de blocages par des approches très ludiques mettant le joueur en confiance;
  • la diversité de l’offre;
  • la commercialisation proactive y compris des promotions initiales, des cadeaux de bienvenue, etc.;
  • une offre très favorable pour les clients en termes de gains en raison des coûts d’investissement moindres pour les jeux en ligne.
10. Selon les experts, ces facteurs contribuent aux risques particuliers posés par les jeux de hasard en ligne. Cependant, la vulnérabilité des joueurs au jeu pathologique peut varier: de manière générale, un faible support social et un bas niveau socio-économique se trouvent corrélés avec la prévalence du jeu pathologique et du jeu problématique. A nouveau selon l’expérience de SOS Joueurs France, 70 % des personnes concernées seraient des hommes, même si de plus en plus de femmes font appel au dispositif d’aide associatif. Il semble par ailleurs que la précocité du contact avec le jeu semble un facteur de gravité du problème, comme pour les addictions à des substances psychoactives, ce qui signifierait que plus le contact avec le jeu est fait tôt, plus sévère pourrait être la pathologie par la suite. En ce qui concerne les jeux en ligne en particulier, une étude britannique a démontré un taux de prévalence du jeu pathologique de 42,7 % parmi les joueurs réguliers 
			(6) 
			. R. Wood et R. Williams,
«Problem gambling on the Internet: Characteristics, prevalence and
policy implication», contribution présentée à la Conférence «Discovery»,
Niagara Falls (Canada), 2005..
11. Selon différentes études, les jeunes ont toujours été parmi les clients des jeux de hasard en ligne: déjà en 2000, une étude britannique a démontré que 56 % d’un échantillon d’élèves âgés de 13 à 15 ans se sont servis d’internet pour jouer à la loterie nationale. D’après une étude allemande, 24 % des filles et des garçons ont reconnu acheter des entrées aux jeux en ligne toutes les semaines 
			(7) 
			.
L. Schmidt et H. Kähnert, Konsum von Glücksspielen bei Kindern und
Jugendlichen – Verbreitung und Prävention (Consommation de jeux
de hasard par les enfants et les jeunes – Prévalence et prévention),
université de Bielefeld (Allemagne), 2003.. Le rapporteur considère que les mineurs font partie des groupes particulièrement vulnérables et sont exposés au risque de développer une addiction. Il insiste donc sur l’importance de tenir compte de la situation particulière des enfants et des jeunes.

2.3. Conséquences sociales et de santé publique du jeu pathologique

12. Le jeu pathologique, y compris les jeux de hasard et d’argent de manière générale et le jeu en ligne plus spécifiquement, peut avoir des conséquences socio-économiques graves pour les joueurs:paupérisation accrue, surendettement, problèmes familiaux et divorce lié au jeu, suicide, coaddiction à des substances (tabac, alcool, drogues). Ces jeux entraîneraient davantage de problèmes sociaux chez les populations les plus démunies car le pourcentage de dépenses consacrées au jeu y est plus important, même si les montants absolus dépensés sont plus faibles. Même pour les jeux qui n’exigent pas de mises financières, des conséquences socio-économiques peuvent intervenir lorsque les jeux sont accessibles sur le lieu de travail du joueur et mettent en cause son engagement professionnel.
13. Une enquête menée au Canada, au sein d’une population de joueurs, révèle environ 25 à 30 % de pertes d’emploi et de faillites personnelles liées au jeu. En France, des données issues de l’association SOS Joueurs montrent que, parmi les joueurs confrontés au surendettement, 20 % d’entre eux ont commis des délits (abus de confiance, vol, contrefaçon de chèques, etc.). D’après les études réalisées dans quelques pays s’ajouteraient au coût social du jeu pathologique les coûts familiaux et les coûts intangibles, tels que la douleur des proches, les effets psychologiques d’une séparation, la négligence d’enfants par des parents dépendants, etc. Une étude menée en Australie chiffre d’ailleurs le coût social du jeu à environ 15 euros par habitant et par année, ce qui correspond environ au coût social estimé du cannabis en France 
			(8) 
			.
«Jeux de hasard et d’argent. Contextes et addictions» (dossier de
presse), Institut national de la santé et de la recherche médicale
(INSERM), Paris, 22 juillet 2008..
14. Selon les recherches récentes, les joueurs pathologiques ont par ailleurs de nettes tendances à des troubles associés (tabagisme, alcoolisme ou toxicomanie) qui peuvent se renforcer parallèlement à l’addiction au jeu. Ainsi, 60 % des joueurs pathologiques présentent une dépendance au tabac et près de 50 % une dépendance à l’alcool. Généralement, les autres addictions (drogues illicites) précèdent le début du jeu pathologique (surtout chez les hommes); les personnes présentant ce genre de troubles ont même un risque trois fois plus élevé que la population générale de développer un comportement de jeu pathologique. Par ailleurs, les joueurs pathologiques ayant des antécédents de dépendance aux drogues présentent généralement une addiction au jeu plus sévère. Les phénomènes du jeu pathologique et des troubles associés sont donc étroitement liés et peuvent se renforcer mutuellement.
15. S’il peut être considéré comme un problème de santé publique, le jeu pathologique a fondamentalement des causes et entraîne des conséquences qui se situent dans le domaine social. Le concept a ainsi fait l’objet de nombreux débats scientifiques, idéologiques, sur les conflits d’intérêts ou le lobbying. Cependant, dans de nombreux pays, le jeu excessif est toujours considéré comme une pathologie individuelle plutôt que comme un problème social, ce qui permet souvent à l’Etat de se désengager d’une partie de ses responsabilités. Une telle attitude néglige le coût social lié au jeu de hasard et d’argent, tel qu’il a été décrit plus haut.

2.4. L’addiction au jeu en ligne comme forme spécifique du jeu pathologique

16. De manière générale, le domaine des jeux continue son évolution vers une place de plus en plus importante prise par les jeux en ligne (y compris ceux sans gains financiers, qui ne sont pas approfondis ici). Les jeux vidéo se sont transformés avec le développement d’internet, donnant lieu à de nouvelles pratiques multijoueurs en réseau. En ce qui concerne la France, l’INSEE indique en 2006 que, parmi les jeunes utilisateurs d’internet (15 à 18 ans), plus de 30 % l’utilisent pour jouer. Une question qu’il reste à étudier est si les jeunes faisant usage des jeux sur internet (sans gains) de manière excessive sont également plus exposés aux jeux de hasard en ligne ou ont des chances accrues de développer des pathologies y relatives ultérieurement.
17. Selon certaines études, l’addiction au jeu concernerait plus particulièrement les joueurs en ligne. Aux facilités offertes par l’internet (anonymat, dématérialisation et disponibilité) s’ajoute en effet l’absence de réel encadrement par les opérateurs. Pour le Royaume-Uni, il semble, par exemple, que 74 % des parieurs en ligne seraient des joueurs compulsifs. Le milieu associatif français, très actif depuis les années 1990, est également en mesure de présenter des chiffres spécifiques sur le phénomène du jeu pathologique ou problématique en ligne: ainsi, les demandes d’aide à l’association SOS Joueurs par rapport au jeu en ligne auraient vu une forte augmentation ces dernières années, en partant de 4,9 % en 2005 pour arriver, en septembre 2009, à un total de 27,6 % 
			(9) 
			. Informations
présentées lors d’un échange de vues tenu le 14 septembre 2009 entre
la commission et l’experte Mme Armelle Achour, fondatrice et secrétaire
générale de l’association SOS Joueurs en France..

3. Le jeu pathologique dans un contexte européen économique et légal plus large

18. En dehors des risques qu’ils comportent pour leurs utilisateurs excessifs, les jeux de hasard et d’argent représentent, avec les activités périphériques associées, un pôle économique important qui crée un grand nombre d’emplois, participant ainsi au développement de nombreux secteurs culturels, économiques et commerciaux dans divers pays. Le jeu contribue par ailleurs d’une manière non négligeable aux finances de l’Etat et des collectivités, et redistribue des dividendes aux milliers de joueurs gagnants ainsi qu’à différents organismes, structures, associations. Ainsi, dans beaucoup de pays européens, les jeux et les paris en ligne constituent de loin la source la plus importante de revenus pour les organisations sportives. En 2009, le Parlement européen a donc recommandé aux gouvernements de protéger les compétitions sportives contre leur utilisation commerciale non autorisée et d’assurer des rentrées d’argent licite à tous les niveaux du sport professionnel et amateur 
			(10) 
			. Parlement
européen, «Jeux d’argent en ligne: la réglementation des jeux de
hasard devrait rester une compétence des Etats membres», communiqué
de presse du 10 mars 2009 relatif au rapport par Christel Schaldemose
(PES, DK).. Dans ce contexte, il semble utile de souligner le double rôle joué par l’Etat, à la fois promoteur du jeu et protecteur des citoyens.
19. Les jeux en ligne étaient estimés représenter environ 5 % du marché total des jeux d’argent dans l’Union européenne en 2009 
			(11) 
			.
Parlement européen, ibid. (version française).. Des études récentes montrent que le secteur des jeux en ligne est aujourd’hui largement contrôlé par des groupes criminels dont l’action est facilitée par des marchés largement incontrôlés 
			(12) 
			.
«Cybercriminalité des jeux en ligne», Livre Blanc du CERT-LEXSI,
juillet 2006.. En 2005, les estimations portaient sur environ 2 500 sites internet proposant des jeux de hasard représentant un chiffre d’affaires de 12 milliards de dollars des Etats-Unis. A l’époque, il était par ailleurs estimé que le chiffre d’affaires serait doublé en 2010. Rien qu’en France, on estime que le chiffre d’affaires des jeux en ligne pourrait atteindre plus de 2 milliards d’euros à l’horizon 2015 
			(13) 
			. «Les jeux en ligne entre
libéralisation et régulation», <a href='http://www.latribune.fr/'>www.latribune.fr</a> (31
mars 2010).. Les opérateurs des sites internet ont souvent leur siège dans des pays où les jeux de hasard en ligne sont autorisés et bienvenus comme source de revenus sous forme de recettes fiscales. Ainsi, une grande partie des offres de casinos en ligne est localisée aux Caraïbes où le premier casino en ligne a été ouvert en 1995 
			(14) 
			. Tobias Hayer, Meinolf Bachmann
et Gerhard Meyer,  op. cit.. En 2010, on estime généralement qu’il existe environ 15 000 sites illégaux au niveau mondial 
			(15) 
			. «Les jeux en ligne entre libéralisation
et régulation», <a href='http://www.latribune.fr/'>www.latribune.fr</a> (31
mars 2010)..
20. Le rapporteur avait initialement prévu d’étudier le lien entre le jeu en ligne et la cybercriminalité, à laquelle les joueurs pathologiques semblent être particulièrement exposés. Toutefois, les preuves empiriques pour un tel lien direct manquent à ce jour. Au contraire, dans la pratique, on semble plus souvent observer des joueurs pathologiques développant des pratiques criminelles (pour financer leur jeu) que des joueurs victimes de pratiques criminelles sur internet. En raison de ce manque de preuves, le rapporteur a décidé d’écarter l’aspect de la cybercriminalité de son rapport et de changer le titre en conséquence, en mettant l’accent sur le problème du jeu pathologique en ligne en tant que problème social et de santé publique. Cependant, les implications légales et économiques du problème doivent être prises en compte, étant donné que les jeux illégaux sont généralement considérés comme comportant plus de facteurs de risque pour développer des addictions que l’offre légale.
21. Malgré l’importance économique du secteur et le besoin évident d’une régulation plus rigoureuse, une grande partie des Etats membres n’ont pas encore pris une position claire par le biais de leur législation, ce qui fait que celle-ci est loin d’être harmonisée à l’échelle européenne. Selon la catégorie de jeux (loteries, casinos en ligne, paris sportifs et hippiques), différentes approches sont pratiquées par divers pays: 1. interdiction totale de certains jeux (Etats-Unis); 2. maintien de monopoles existants (Danemark, Finlande, Allemagne, Suède ou Pays-Bas); 3. «ouverture maîtrisée» du marché par l’attribution de licences par une autorité de régulation et selon un cahier des charges rigoureux (France, Italie); et, 4. déréglementation complète du secteur (Autriche, Irlande, Malte, Royaume-Uni [Gibraltar]). En dehors de ces grandes tendances, des approches différenciées selon la catégorie de jeu peuvent être observées dans plusieurs pays. Ainsi, fin 2009, la Belgique a donné le feu vert à une législation qui pourrait mener à une «nationalisation» des activités de poker en ligne 
			(16) 
			. «La Belgique se dirige vers une “nationalisation”
du poker en ligne», Casino en Ligne, 6 janvier 2010.. La Norvège, au début de 2010, a adopté une loi qui stipule que les paiements relatifs au jeu à distance, sans licence norvégienne, seront qualifiés «d’implication accessoire dans le jeu illégal». La Finlande, quant à elle, est en train de renforcer les monopoles étatiques en leur permettant de proposer des jeux de casino, du poker et du bingo 
			(17) 
			. «Norway online gambling payments
ban signed into law» (Verouillage de paiements relatifs aux jeux
en ligne inscrit dans la législation), E-Gaming Review, 19 février
2010, <a href='http://www.egrmagazine.com/'>www.egrmagazine.com</a>..
22. Le manque de cohérence au niveau européen est favorisé par certains vides juridiques et des positions divergentes prises par différents organes de l’Union européenne: les jeux d’argent et de hasard sur internet ne relèvent pas de la Directive Services de l’Union. Leur ouverture à la concurrence découle donc de l’achèvement du marché intérieur qui se fonde sur le principe de la libre prestation de services 
			(18) 
			. La France ouvre à la concurrence les
jeux d’argent et de hasard sur internet, <a href='http://www.touteleurope.fr/'>www.touteleurope.fr</a> (7
avril 2010).. La Directive sur le commerce électronique adoptée en 2000 ne s’appliquant pas aux jeux de hasard (loteries et paris), certains pays, comme la France, en ont profité pendant des années pour maintenir leur situation de monopole. Mais la Cour de justice européenne a comblé ce vide par un arrêt rendu le 6 novembre 2003, l’arrêt Gambelli. Elle a en effet considéré que les monopoles étatiques sur les jeux en ligne constituaient une restriction à la libre prestation de services. Des procédures d’infraction contre le principe de «libre prestation de services» ont par la suite été engagées contre une dizaine d’Etats, dont la France 
			(19) 
			.
Décision en faveur de l’opérateur historique, la Santa Casa de Misericordia
de Lisboa, aux dépens de la société Bwin créée à Gibraltar (source:
«Jeux d’argent en ligne: la Cour européenne justifie le monopole
des Etats», article paru dans Le Monde, le 9 septembre 2009). et l’Allemagne 
			(20) 
			. «Libre circulation des services: la
Commission enquête sur des entraves à la fourniture de services
de jeux d’argent en Allemagne», communiqué de presse RAPID du 31
mars 2008, <a href='http://www.europa.eu/rapid'>www.europa.eu/rapid</a>.. Durant la phase de finalisation du présent rapport, la Cour de justice européenne a abattu les monopoles de jeu dans les domaines des loteries et des casinos en Allemagne et en Autriche respectivement. Dans son jugement sur le cas autrichien, la Cour a notamment considéré comme contraire au droit communautaire la réglementation, actuellement prévue par la loi autrichienne sur les jeux de hasard, selon laquelle l’Autriche réserve l’exploitation des jeux de hasard dans les établissements de jeu exclusivement aux opérateurs ayant leur siège en Autriche. En ce qui concerne l’Allemagne, la Cour a concédé qu’un monopole dans le domaine des jeux pouvait être justifié si l’objectif de restreindre l’addiction au jeu et la criminalité liée au jeu illégal était poursuivi de manière «cohérente et systématique» 
			(21) 
			.
«Glücksspiel muss in Österreich neu organisiert werden» (Nouvelle
organisation des jeux de hasard requise en Autriche), Der Standard,
9 septembre 2010, et « EuGH kippt deutsches Glücksspielmonopol »
(CJUE abat le monopole des jeux en Allemagne), <a href='http://www.derstandard.at/'>www.derstandard.at</a>; <a href='http://curia.europa.eu/'>http://curia.europa.eu</a>.. Elle a cependant jugé non justifié le monopole allemand étant donné que les sociétés de loto des Länder allemands visaient notamment à maximiser leurs profits par le biais de campagnes de publicité intensives. Ces deux exemples illustrent une nouvelle fois la complexité du sujet traité dans ce rapport. En effet, les décisions sur les monopoles de jeu se prennent parfois au cas par cas.
23. Très récemment, par contre, la Cour de justice de l’Union européenne vient de justifier le monopole des Etats par rapport à des affaires concernant le Portugal et les Pays-Bas 
			(22) 
			.
«EU online gambling limits backed», BBC News, 3 juin 2010, http://news.bbc.co.uk.. Au Portugal, par exemple, l’opérateur de loterie Santa Casa a multiplié ses recours afin de dénoncer un accord entre la société Bwin et la Ligue de football professionnel portugaise au nom de la défense de son monopole exclusif sur les paris sportifs et autres loteries. Contre l’avis de Bwin et des opérateurs de jeux en ligne, les magistrats européens ont estimé que la législation portugaise constitue bel et bien une restriction à la libre circulation des services mais que celle-ci est justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général, comme la lutte contre la criminalité, et précisent que, compte tenu de l’importance des sommes impliquées, ces jeux comportent des risques élevés de délits et de fraudes. En fait, cet exemple démontre que les Etats membres sont autorisés à restreindre l’offre de jeux dans l’intérêt public, par exemple pour éviter la dépendance au jeu ou le crime organisé, mais que de telles restrictions doivent être appropriées et cohérentes avec le comportement de l’Etat en ce domaine 
			(23) 
			. «L’Italie se conforme à la volonté
de la Commission européenne», Casino en Ligne, 6 mai 2010, <a href='http://www.casino-euro.fr/'>www.casino-euro.fr</a>..
24. Parmi les approches les plus appropriées du point de vue de la prévention des addictions, celle d’un marché rigoureusement réglementé et limité est fortement recommandée par les experts dans ce domaine, tel l’Office central pour les questions d’addiction en Allemagne (Deutsche Hauptstelle für Suchtfragen e.V.), afin d’atteindre un équilibre entre la satisfaction de la demande, d’un côté, et la protection des joueurs, de l’autre 
			(24) 
			. «Prävention
der Glücksspielsucht» (prévention de l’addiction au jeu), Memorandum
der Deutschen Hauptstelle für Suchtfragen (DHS), Hamm, mars 2007.. Cette voie est actuellement suivie par la France, où l’Autorité de régulation des jeux en ligne a été instituée par l’adoption de la loi sur l’ouverture à la concurrence des jeux en ligne d’argent et de hasard le 6 avril 2010. L’une des missions principales de l’autorité sera de veiller au respect d’un cahier des charges très strict qui règle, entre autres, le type de paris autorisés, qui soumet les opérateurs à une condition de territorialité afin que certaines données soient accessibles, ou qui protège les mineurs de la publicité. De plus, l’autorité pourra prendre des mesures légales pour bloquer les sites illégaux ainsi qu’engager des poursuites pénales 
			(25) 
			.
«Les jeux en ligne entre libéralisation et régulation», <a href='http://www.latribune.fr/'>www.latribune.fr</a> (31
mars 2010)..
25. Dans son approche d’une «ouverture maîtrisée», la France s’est, entre autres, inspirée de l’approche suivie par l’Italie précédemment, où une agence indépendante du ministère de l’Economie (Amministrazione autonoma dei monopoli di Stato – AAMS) a été mise en place depuis une réforme en 2006 
			(26) 
			. Ibid.. Cependant, tout récemment, l’Italie a dû procéder à une révision de la législation afin de se mettre en conformité avec les règlements communautaires, selon lesquels des restrictions disproportionnées sur les opérateurs avaient été constatées. Le Royaume-Uni, de loin le plus grand marché de jeux en ligne en Europe, dispose d’une Commission du jeu (Gambling Commission), mais doit encore renforcer sa réglementation relative aux opérateurs de jeu étrangers qui sont souvent à l’origine des sites illégaux 
			(27) 
			. «Online betting faces regulation
overhaul» (Les paris en ligne face à la révision de la réglementation), <a href='http://www.guardian.co.uk/'>www.guardian.co.uk</a>,
7 janvier 2010..
26. Par rapport à la lutte contre l’addiction au jeu, l’efficacité de certaines restrictions reste à vérifier par un suivi approprié. Il semble, par exemple, que la loi française présente quelques failles non négligeables et ne facilite pas vraiment la lutte contre les sites illégaux – dont le nombre actuel est estimé entre 5 000 et 6 000 pour un marché de 4 milliards d’euros. Comme l’ont soulevé certains fournisseurs d’accès à l’internet, les moyens de contourner les blocages d’accès à des sites illégaux restent nombreux. Par ailleurs, l’intérêt des joueurs pour les sites illégaux reste très vif en raison des gains nettement supérieurs à ceux des sites légaux: la loi adoptée plafonne le taux de retour aux joueurs – soit la partie des mises qui peut être redistribuée – entre 80 et 85 %, contre 96 % à l’étranger 
			(28) 
			«  Jeux d’argent en ligne: les
failles de la loi « , Le Point, 6 avril 2010, www.lepoint.fr..
27. La fiscalité constitue une préoccupation particulière des pouvoirs publics en matière de jeux en ligne. Une étude comparative internationale montre que divers pays se servent de modèles de taxation bien différents pour les différents secteurs des jeux de hasard, y compris de véritables systèmes de taxation et des systèmes de redevances. Ensuite, les taux appliqués varient énormément d’un pays à l’autre 
			(29) 
			. «Etude comparative internationale
du domaine des jeux de hasard», Institut suisse de droit comparé,
université de Lausanne, 31 juillet 2009.. Ainsi, la France est l’un des rares pays qui taxe le montant total parié et non pas les recettes engrangées par les sociétés de jeux, ce qui mène à un niveau d’imposition relativement élevé. La fiscalité française est donc moins favorable, ce qui n’incite pas les joueurs à s’intéresser au marché légal. Par exemple, l’impôt sur les paris sportifs s’élève à 8,8 % en France contre 3,8 % en Italie. L’étude internationale souligne en même temps l’importance d’une taxation des opérateurs au sein du pays pour le financement d’activités d’utilité publique. Le rapporteur considère qu’à l’avenir tous les Etats membres concernés devraient étudier dans quelle mesure les recettes provenant de la taxation pourraient constituer une ressource pour financer la prévention de l’addiction au jeu et la lutte contre les pratiques illégales.
28. Malgré le net renforcement des phénomènes ces dernières années et l'engagement des pouvoirs publics dans une perspective légale et fiscale, le jeu pathologique ainsi que l’addiction au jeu en ligne ont été très peu étudiés en tant que phénomènes sociaux au niveau européen ou national jusqu’à ce jour. Les Etats membres ne font que commencer à prendre conscience du problème et de ses conséquences sociales. Ainsi, demandée depuis longtemps par le milieu associatif et des experts scientifiques, une grande étude a enfin été lancée en France par la Direction générale de la santé (DGS) dans le cadre du Plan de prise en charge et de prévention des addictions (2007-2011) du ministère de la Santé, qui a sollicité l’INSERM 
			(30) 
			.
Les résultats de cette étude ont été fort utiles pour préparer le
présent rapport.. Le rapporteur salue cette nouvelle approche à dimension sociale du problème et espère qu’elle sera suivie par un grand nombre de pays dans les années à venir.

4. Conclusions – Recommandations

29. Le jeu en ligne, comprenant les jeux de hasard et les paris sur internet, a vu une croissance significative ces dernières années, au niveau à la fois de l’offre et de l’utilisation qui en est faite. De nombreux facteurs mènent à un risque accru de développer des addictions au jeu en ligne. Ces addictions au jeu concernent également des groupes vulnérables (mineurs, personnes à faibles revenus, personnes isolées, etc.) ou vont de pair avec d’autres problématiques (addictions à des substances, endettement, négligence des enfants, etc.) et demandent donc une attention particulière des Etats membres par le biais de politiques sociales. Faute d’intervention à différents niveaux, l’addiction au jeu risque par ailleurs d’augmenter proportionnellement à l’utilisation de l’internet dans nos sociétés.
30. Les conséquences économiques et sociales de l’addiction au jeu – aussi appelé jeu pathologique – sont considérables. Cependant, une véritable prise de conscience à son égard et en particulier à sa dimension sociale se fait attendre dans la plupart des Etats membres. La réglementation européenne et nationale relative à l’ouverture des marchés et à l’autorisation des offres est marquée par des lacunes et des contradictions évidentes – laissant encore trop d’ouverture aux sites de jeu illégaux – qui permettent que ceux-ci continuent d’être attrayants pour les joueurs. Le problème est renforcé par le fait que certains des jeux illégaux cumulent les facteurs de risque pour développer le jeu pathologique.
31. Les enjeux représentés par le jeu en ligne et notamment le jeu pathologique ne peuvent pas être isolés de l’ensemble des questions légales, économiques, politiques et sociales soulevées par les jeux de hasard et d’argent. La recherche d’une cohérence des politiques publiques doit donc conjuguer les différents domaines et niveaux d’intervention ainsi que des démarches individuelles et collectives. Finalement, il s’agit également de responsabiliser les opérateurs des sites de jeu en ligne, notamment ceux ayant passé le stade d’une autorisation officielle de leur offre. Le niveau de connaissance des conséquences diverses du jeu pathologique est largement suffisant pour développer des contre-mesures à l’égard du jeu excessif, telles que des limitations au temps de jeu ou des codes éthiques à souscrire par les opérateurs qui souhaitent proposer un «jeu responsable».
32. La situation légale actuelle des jeux de hasard en ligne manque de clarté, voire semble marquée par des contradictions récurrentes. Le rapporteur considère donc que des efforts doivent être poursuivis en vue de consolider davantage la situation légale des jeux en ligne au niveau national ainsi que de progresser en vue d’une harmonisation à l’échelle européenne. A l’instar de son propre pays, la France, il recommande notamment «l’ouverture maîtrisée» des marchés du jeu au niveau national et considère que l’Assemblée parlementaire devrait encourager les Etats membres à mettre en place des autorités de régulation des jeux en ligne telles que l’Autorité de régulation des jeux en ligne, instituée en France en 2010. Selon les experts, cette approche semble la plus appropriée pour s’occuper de certaines des conséquences sociales du jeu pathologique et pour trouver le meilleur équilibre entre la satisfaction de la demande et la protection des joueurs contre l’addiction et les pratiques criminelles.
33. Le premier obstacle à toute action publique ciblée et coordonnée reste, néanmoins, le manque de données complètes par rapport aux problèmes du jeu pathologique et du jeu problématique. En dehors de la prévalence générale de ces phénomènes, parmi les aspects à étudier davantage, – notamment pour clairement orienter les politiques sociales à cet égard –, figure entre autres le moment du changement dans le comportement d’un joueur qui va d’une activité ludique vers un comportement compulsif, les types de personnes les plus vulnérables à l’addiction (catégories socio-économiques, sexe, âge, etc.), le contexte social favorable à des situations d’addiction ainsi que les phénomènes des addictions associées (à diverses substances).
34. Pour identifier les niveaux d’intervention possibles à l’égard du jeu pathologique en ligne, les autorités nationales en charge devraient, dans un premier temps, s’inspirer des plans d’action existants pour la prévention et la prise en charge des addictions (à des substances), puis, allant plus loin dans cette direction, le phénomène relativement nouveau de l’addiction au jeu pourrait être pris en compte parmi les autres types d’addictions dans le cadre des dispositifs existants. Des mesures plus concrètes pourraient alors être mises en place aux niveaux de la prise en charge hospitalière ou ambulatoire, de la formation du personnel médical, de l’accompagnement des personnes ayant une conduite addictive (par les dispositifs publics ou associatifs) ainsi qu’au niveau de la mobilisation de la communauté scientifique autour de l’addiction au jeu en ligne en tant que nouveau domaine de recherche 
			(31) 
			. La prise
en charge et la prévention des addictions, plan 2007-2011 du ministère
de la Santé et des Solidarités..
35. Selon le milieu associatif, parmi les mesures les plus urgentes à mettre en place se trouveraient des numéros de téléphone «verts» (gratuits) ou hotlines pour les personnes concernées, l’introduction de la mention du danger de la trajectoire «typique» du joueur (trois phases de gain, perte et désespoir selon la «théorie de Custer» 
			(32) 
			. Voir
Marc Valleur et Christian Bucher (psychiatre addictologue au Centre
médical Marmottan, Paris), «Le jeu pathologique» (1re édition PUF,
«Que sais-je», 1997), paru dans la revue Toxibase, no 3, 1999.) et du danger du «premier gain» sur tous les sites de jeux en ligne, ainsi que l’intervention au niveau des circuits bancaires et des emprunts faits par les joueurs. Généralement, les experts du domaine considèrent que, en parallèle des interventions auprès des opérateurs ou des joueurs individuels, des mesures plus globales doivent être prises, à commencer par des campagnes nationales d’information sur le danger du jeu en ligne et une coopération internationale renforcée pour que les pays puissent bénéficier de leurs meilleures pratiques respectives en la matière.