1. Introduction: du tiers-monde aux pays développés
1. Le microcrédit, instrument développé et popularisé
par le lauréat du prix Nobel de la Paix en 2006, Muhammad Yunus,
est en passe de se généraliser dans les Etats membres du Conseil
de l’Europe. Il s’agit d'un ensemble de produits financiers accessibles
à des personnes traditionnellement exclues du système bancaire classique.
Le microcrédit représente aujourd’hui 11,69 milliards de dollars
des Etats-Unis dans le monde, et près de 150 millions de personnes
en bénéficient.
2. L’instrument du microcrédit a, dans un premier temps, été
pensé pour favoriser le développement des pays du tiers-monde. Il
a changé la vie de millions de foyers en Asie du Sud, en Amérique
latine et en Afrique, tout en favorisant le développement économique
de leurs pays. La microfinance a, en effet, joué un rôle crucial dans
ces pays, en fournissant des services financiers aux personnes à
faible revenu qui n’ont pas accès au système bancaire traditionnel.
Loin d’être une panacée pour éradiquer la pauvreté, comme certains
l’affirment, elle a néanmoins permis à nombre de personnes démunies
dans le monde de créer des entreprises.
3. Les succès du microcrédit dans les pays en voie de développement
ont convaincu certains pays industrialisés des multiples avantages
de la microfinance. Dès lors, cet instrument est en passe de se développer
afin d’aider les ménages les plus pauvres. La France, l’Allemagne
et même les Etats-Unis testent le microcrédit, véritable chance
pour les plus démunis, à travers différentes mesures et politiques
publiques, ou par le biais d’entreprises parapubliques.
4. Dans l’Union européenne, les prêts inférieurs à 25 000 euros
relèvent du microcrédit. Ces prêts sont tout à fait adaptés aux
micro-entreprises employant moins de 10 personnes, qui représentent
91 % des entreprises européennes. 99 % des nouvelles entreprises
en Europe sont des micro-entreprises et un tiers d’entre elles sont
créées par des personnes sans emploi. Ces micro-entreprises sont
exclues des prêts bancaires traditionnels pour diverses raisons,
notamment le risque financier qu’elles représentent pour les organismes prêteurs.
5. En outre, la crise économique et financière que nos économies
traversent met en lumière certaines limites du système libéral tel
qu’il est actuellement pratiqué et pourrait donner une impulsion
nouvelle à la microfinance. Muhammad Yunus a d’ailleurs déclaré
en février 2010 que «cette crise [était] une chance pour redessiner
le système»
. Selon lui, il faudrait saisir
l’occasion pour «repenser les institutions financières, repenser
les agences de notation, [et] repenser les banques». Différents
changements doivent être envisagés afin d’offrir une chance aux
citoyens les plus affectés par la crise. La promotion de la microfinance
en Europe peut donc être considérée comme l’un des changements nécessaires
pour les sociétés européennes.
6. Il s'agit d'une démarche similaire à celle qui anime les débats
internationaux quant à la nécessité de prendre des mesures pour
réguler le monde de la finance et des banques afin d’éviter de réitérer,
une fois de plus, les mêmes erreurs.
2. Un moyen de pallier les inégalités socio-économiques
et d’améliorer la cohésion sociale
7. Le microcrédit est un outil essentiel pour lutter
contre la pauvreté, un investissement judicieux dans le capital
humain. L’idée de prêter de l’argent aux plus défavorisés afin de
les sortir de la misère économique dans laquelle ils vivent est
aujourd’hui de plus en plus acceptée mais les conditions d’obtention
de crédit sont souvent draconiennes et les taux de remboursement
des prêts restent exceptionnellement élevés. C’est pourquoi le rapporteur
juge utile de promouvoir le microcrédit comme une alternative de
financement pour les personnes en difficultés, pour qu’elles puissent
se voir offrir des opportunités de réussite sociale.
8. La crise économique actuelle a particulièrement touché les
populations fragiles comme les femmes, les ménages les plus pauvres,
les jeunes et les travailleurs indépendants. Les dispositifs de
microcrédit pourraient avoir un impact positif sur les politiques
de soutien aux membres les plus vulnérables de la société.
9. Dans certaines régions du monde, la microfinance est utilisée
pour servir l’objectif d’une plus grande égalité entre les hommes
et les femmes. En Inde, par exemple, la BRWD (Base for Rural Women Development),
organisme créé par l’organisation non gouvernementale INDP (Intercultural
Network for Development and Peace) a permis aux femmes de prendre
une position dans la société en Inde. Cette initiative a eu des
répercussions remarquables en termes de dignité et d’indépendance
des femmes. Je tiens à rappeler ici que l’égalité entre les femmes
et les hommes fait partie des grands enjeux défendus par l’Assemblée parlementaire,
et que tout outil qui pourra aider à sa mise en œuvre doit être
par conséquent utilisé au sein des Etats membres
.
10. Ce même raisonnement peut ensuite s’appliquer à toute population
fragile, que ce soit des minorités nationales, des personnes handicapées
ou encore des jeunes qui sont de plus en plus touchés par le chômage.
Ici, le rapporteur souhaite insister sur la dimension sociale que
peut avoir le microcrédit, si son utilisation est ciblée sur des
populations qui connaissent des difficultés plus importantes.
11. L’utilisation de la microfinance dans ce cadre doit être envisagée
comme un complément des politiques sociales mises en place dans
les différents Etats membres du Conseil de l’Europe. Je tiens ici
à souligner que toute action gouvernementale peut être plus efficace
si elle est accompagnée par des initiatives de la société civile.
3. Un outil pouvant favoriser le développement régional
12. Depuis plusieurs années, le Congrès des pouvoirs
locaux et régionaux du Conseil de l’Europe demande à l’Assemblée
de «reprendre l’étude du développement régional des pays membres
dans le nouveau contexte paneuropéen»
.
Par conséquent, le rapporteur juge intéressant, dans le cadre de
ce rapport, de mettre en avant les avantages notables que pourrait
apporter le microcrédit quant à cette problématique.
13. Deux aspects doivent faire l’objet d’une analyse: d’une part,
la question des zones rurales enclavées et, d’autre part, la question
des disparités régionales au sein des Etats du Conseil de l’Europe.
En adoptant des politiques en faveur du développement régional,
que ce soit à petite ou moyenne échelle, les gouvernements européens
agissent pour plus de cohésion sociale sur leur territoire et favorisent
donc la stabilité sociopolitique de leur pays.
14. Tout d’abord, les politiques de désenclavement économique
des territoires ruraux pourraient être complétées par des dispositifs
de microfinance. En France, la région Poitou-Charentes a mis en
place le «microcrédit Poitou-Charentes» qui a permis à plus de 1 000
ménages de faire face à des difficultés financières et de retrouver
le chemin de l’emploi, grâce par exemple à l’acquisition d’une voiture
dans des zones rurales enclavées. En Allemagne, une nouvelle initiative
intitulée «Ich AG» (entreprise uninominale) véhicule l’idée selon
laquelle le travail indépendant est un choix de carrière viable
et intéressant. En France, la création de micro-entreprises est
désormais reconnue comme un moyen de réinsérer les personnes sans emploi,
qui bénéficient de certaines exonérations de charges sociales au
cours des trois premières années d’activité.
15. A mon avis, les gouvernements européens devraient soutenir
en priorité les institutions de microfinance qui tentent d’axer
leur activité en faveur du développement économique et social des
territoires en difficulté. En effet, une telle politique pourrait
avoir de multiples répercussions positives dont la baisse des disparités régionales
en Europe serait la plus importante. Ici, le cas de la Pologne et
des difficultés de cinq de ses régions (Varmie-Mazurie, Podlachie,
Lublin, Basses-Carpates et Sainte-Croix) semble être une bonne illustration
. Sa finalité est de «stimuler
la croissance économique et de surmonter la stagnation qui marginalise
les régions de Pologne orientale».
16. L’utilisation de la microfinance pour le développement régional
semble être tout à fait appropriée. En favorisant le développement
de nouvelles activités, le microcrédit pourrait permettre un plus
grand dynamisme économique, une amélioration des conditions de vie
des citoyens, et par voie de conséquence il pourrait atténuer les
conflits liés à des sentiments d’injustice entre régions d’un même
Etat.
17. Ce problème lié aux disparités régionales doit, selon le rapporteur,
être pris au sérieux. Les difficultés que rencontrent actuellement
des pays comme la Belgique ou l’Espagne sont des facteurs d’instabilité politique
et peuvent, au moins en partie, s’expliquer par des déséquilibres
économiques entre les régions.
18. Ainsi, je souhaite que les Etats du continent entament une
réflexion sur les perspectives de développement régional qu’offre
l’outil du microcrédit, afin de travailler ensemble pour une meilleure
cohésion entre les territoires et un développement économique plus
équilibré en Europe.
4. Un éventuel levier pour l’emploi
19. Par la création de multiples opportunités pour les
entreprises, la microfinance est également un nouvel instrument
de lutte contre le chômage. C’est l’une des raisons pour lesquelles
la Commission européenne s’est emparée du sujet et a souhaité mettre
en place un système européen de microfinancement. En déclarant que «l’instrument
de microfinancement […] permettra de créer de nouveaux emplois [et]
augmentera l’offre des microcrédits, les rendra plus accessibles
et fera ainsi sortir du chômage des populations vulnérables», László Andor,
commissaire européen chargé de l’emploi, des affaires sociales et
de l’inclusion, illustre clairement la volonté de la Commission
d’inscrire le microcrédit dans l’arsenal de la lutte contre le chômage.
20. Ce possible levier pour l’emploi doit être examiné sous plusieurs
angles. Le rapporteur envisage ici deux objectifs différents mais
complémentaires dans la lutte contre le chômage. En effet, la microfinance
doit être utilisée non seulement pour créer de nouveaux emplois,
mais surtout pour préserver ceux qui existent. Ce deuxième objectif
est particulièrement important dans le contexte économique actuel,
puisqu’avant de penser à la relance, encore faut-il essayer de limiter
les conséquences néfastes de la récession. Par ailleurs, il me semble
essentiel de faciliter la transition du chômage, ou de l’assistanat,
au travail indépendant.
21. D’une part, le microcrédit est un moyen de stimuler la création
de nouvelles entreprises qui, en peu de temps, permettra à la personne
concernée de générer elle-même son activité et son revenu. Cela
représente une alternative non négligeable à la recherche d’un emploi
salarié, notamment en période de ralentissement économique. D’autre
part, la microfinance peut donner la possibilité à des micro-entrepreneurs
de faire des investissements productifs qu’ils ne pourraient envisager
sans cet outil. Par conséquent, le recours à la microfinance pour
les petites et moyennes entreprises (PME) peut potentiellement ouvrir
la voie à un développement de leur activité, et donc à la création
de nouveaux emplois.
22. Pour ce qui est de préserver des emplois déjà existants, le
mécanisme est simple. En donnant la possibilité aux entreprises
d’avoir recours à la microfinance pour pallier des difficultés temporaires,
des emplois peuvent être préservés sans risquer la faillite. Par
conséquent, cette idée selon laquelle la microfinance pourrait permettre
une meilleure absorption par les PME des chocs externes ou internes
sur l’économie (voir supra),
est également liée à la préservation d’emplois menacés en période
de crise.
23. Ainsi, ma démarche s’inscrit-elle dans la direction de la
«Stratégie de Lisbonne» développée par l’Union européenne. Cette
stratégie, lancée pendant le Conseil européen de Lisbonne en mars
2000 et redéfinie à mi-parcours, consistait à prendre toutes les
mesures nécessaires pour qu’à l’horizon 2010 l’Union européenne soit
devenue «l’économie de la connaissance la plus compétitive et la
plus dynamique du monde d’ici à 2010, capable d’une croissance économique
durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative
de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale»
.
24. Je suis conscient que les objectifs contenus dans la stratégie
de Lisbonne sont loin d’être atteints, mais ils n’en sont pas moins
louables et pertinents. La crise économique et financière qui touche
en profondeur les économies européennes doit amener les gouvernements
à poser les fondations d’une croissance plus stable et plus durable,
pour un développement économique et social équilibré, de façon à
réduire le niveau de chômage en Europe.
5. Des opportunités pour les entreprises
25. D’une manière générale, l’utilisation de la microfinance
combinée à des facilités administratives peut stimuler le dynamisme
économique de jeunes chefs d’entreprises porteurs d’idées novatrices,
mais bien souvent dépourvus de moyens financiers. Le microcrédit
peut effectivement aider les individus à investir leurs compétences
et leurs capacités dans une entreprise.
26. Le microcrédit peut non seulement soutenir la création de
nouvelles entreprises, mais il permet aussi de lutter contre le
chômage dans les industries ou les régions qui connaissent un déclin
économique. Ainsi, par le biais des dispositifs de microcrédit,
de nouvelles perspectives s’offrent aux personnes ayant acquis depuis peu
le statut de travailleurs indépendants.
27. Le financement des petites entreprises est souvent coûteux
et risqué pour les banques commerciales (faible montant des emprunts,
clients inexpérimentés, plans commerciaux inappropriés, etc.). Les
dispositifs de microfinance peuvent alors servir aux jeunes entreprises
d’outil de départ pour prendre leur essor et «faire leur entrée»
dans le monde des banques commerciales.
28. Il ne suffit pas d’accorder des prêts pour garantir le succès
d’un programme de microcrédit. Les entrepreneurs ont besoin d’autres
services pour prendre un bon départ: conseil, microassurance, etc.
Chacun des acteurs de ces programmes – de l’entrepreneur au contribuable
– a un intérêt commun: promouvoir des entreprises florissantes et
viables. La complexité de l'environnement des micro-entreprises
exige que des services d'aide au développement des entreprises soient
disponibles et que les créateurs d’entreprise possèdent tout un
éventail de compétences qui, souvent, leur fait défaut. Les former,
les accompagner ou les encadrer est essentiel pour améliorer leurs
chances de réussite.
29. Encourager la création de petites et moyennes entreprises
est au cœur de la problématique du microcrédit. Cependant, le rapporteur
considère que la microfinance ne doit pas être vue comme un simple outil
de financement. Il est nécessaire de prendre en compte sa dimension
sociale et les opportunités économiques qu’elle engendre, notamment
en termes de développement de micro-entreprises.
6. Une réponse possible à la crise
30. A l’heure d’une timide reprise économique, l’impact
du microcrédit en faveur de la création de petites et moyennes entreprises
– secteur économique qui conserve un fort potentiel – ne doit pas
être négligé. Que ce soit en termes de soutien à l’activité ou d’aide
à la création d’entreprise, le microcrédit est un outil qui peut s’avérer
efficace dans de nombreuses situations.
31. En effet, en période de crise économique, on assiste souvent
à un phénomène dit de «credit crunch» qui
se traduit par une augmentation des taux d’intérêt appliqués aux
prêts bancaires. Ce phénomène résulte directement d’une perte de
confiance conjoncturelle liée à la crise elle-même et peut mettre
les entreprises dans une situation délicate. Ainsi, le recours à
la microfinance dans ce contexte pourrait être un moyen d’atténuer
les conséquences de ces augmentations des coûts d’emprunt. Par conséquent,
les PME seraient moins pénalisées par la conjoncture économique
et pourraient envisager de continuer à investir, même de façon plus
restreinte, pour développer leur activité.
32. En outre, le microcrédit peut être un moyen d’éviter la faillite
pour une entreprise qui connaîtrait des difficultés temporaires.
Dans cette situation, le microcrédit pourrait, dans une certaine
mesure, agir comme un filet de sécurité face aux conséquences de
la crise économique et financière. S’il peut paraître un peu tard
pour agir dans ce sens en ce qui concerne la crise actuelle, le
rapporteur considère que le développement de dispositifs efficaces
ayant pour objectif d’aider les entreprises en difficulté peut être
instauré de manière préventive pour permettre une meilleure réactivité
en cas de choc externe ou interne qui affecterait l’activité économique.
7. La nécessité d’un soutien des organisations internationales
33. Au niveau international, la microfinance a peu à
peu fait son chemin depuis les premiers prêts octroyés par Mohammed
Yunus à un groupe de femmes bangladaises. Depuis, les Nations Unies
ont déclaré l’année 2005 «Année du microcrédit» et plusieurs initiatives
liées au microcrédit et à la microfinance voient le jour aussi bien
au niveau mondial qu’au niveau européen.
34. Le soutien au microcrédit que peuvent apporter les organisations
internationales peut et doit prendre différentes formes, en fonction
de leur mandat et domaine d’action. Ce rapporteur estime que certaines organisations
internationales peuvent aider les Etats par leur expertise et leurs
conseils, et que d’autres sont en position de leur apporter un soutien
financier et pratique.
35. Certaines organisations internationales pourraient donc intervenir
pour un meilleur fonctionnement et une compréhension accrue des
risques inhérents à la promotion du microcrédit. Chacun sait que
les politiques visant à réduire les coûts et les barrières d’accès
au crédit, mises en place dans de nombreux pays au cours des dernières
années pour maintenir ou augmenter les niveaux de consommation fragilisés
par les inégalités de revenus
, ont eu pour conséquence une forte augmentation
de l’endettement privé et public qui aujourd’hui fragilise la stabilité
démocratique des Etats
.
On ne peut donc se lancer dans une vaste aventure de promotion d’un
mécanisme de crédit sans chercher à réduire au minimum les risques
de perte de contrôle.
36. Le rapporteur insiste donc sur l’importance de la dimension
de conseil de certaines organisations internationales. Il considère
que leur expertise en termes d’analyse économique et de politiques
publiques devrait être mise à profit par les gouvernements dans
leur démarche de promotion de la microfinance. L’Organisation de
coopération et de développement économiques (OCDE) ou encore les
institutions de Bretton Woods peuvent, chacune dans son cadre de
référence, permettre une action plus efficace et raisonnée des gouvernements.
37. D’autres organisations internationales, lorsqu’elles en ont
les moyens juridiques et/ou financiers, doivent aussi apporter leur
soutien aux initiatives de promotion de la microfinance. Ainsi,
sous l’égide de l’Union européenne, plusieurs projets ont vu le
jour qui peuvent servir d’exemple quant aux modalités d’intervention pratique
des organisations internationales dans le domaine de la microfinance:
37.1. Le Parlement européen atout d’abord mis en place l’instrument
de microfinancement «Progress»en
décembre 2009. Faisant suite à l’adoption d’un rapport sur le microcrédit,
cet instrument prévoit d’accorder des prêts allant jusqu’à 25 000
euros aux citoyens européens qui souhaitent développer leur micro-entreprise.
37.2. Ensuite, placé sous la houlette de la Banque européenne
d’investissement (BEI) et de la Commission européenne, le projet
JASMINE
vise à développer le microcrédit
pour favoriser la croissance et la création d’emplois en Europe.
Cette initiative a en outre pour objectif de mobiliser des capitaux
pour les fournisseurs de microcrédits et de mettre en place, à l’échelle
européenne, un nouveau dispositif doté d’un personnel capable d’apporter
une expertise et d’accompagner le développement des institutions
de microfinance non bancaires.
37.3. Pour finir, le projet JEREMIE
, initiative du
Fonds européen d’investissement (FEI) et de la BEI, vise à prendre
en compte les défaillances du marché pour améliorer l’accès au financement
pour les micro-, petites et moyennes entreprises. Cet instrument
présente d'ailleurs des avantages considérables pour permettre une
réduction des taux d’intérêt liés au microcrédit. En effet, l’objectif
du projet JEREMIE est de regrouper plusieurs missions complémentaires
en offrant des fonds propres, des garanties, des prêts et/ou encore
des crédits d’assistance technique.
38. Toutefois, ce rapporteur s’inquiète de la prolifération de
nouveaux dispositifs qui risquent d’engendrer des difficultés. Il
considère en effet que le système gagnerait à être unifié pour plus
de clarté et d’efficacité.
39. Aussi, les organisations de type «banque de développement»,
comme la Banque européenne pour la reconstruction et le développement
(BERD) ou encore la Banque de développement du Conseil de l’Europe, peuvent
aussi jouer un rôle important dans le développement de la microfinance.
Cette activité semble être tout à fait en accord avec les objectifs
que ces organisations poursuivent, et l’Assemblée pourrait les encourager
à aller dans ce sens, notamment par le biais des recommandations
et résolutions qu’elle adopte périodiquement sur leurs activités.
40. Pour ce qui est de la BERD, dans le cadre d’un échange de
vues avec la commission des questions économiques et du développement
au siège de la Banque, à Londres, le 21 janvier 2011, M. Henry Russell, directeur
de la BERD pour le financement des petites entreprises, a décrit
les programmes de la banque en faveur des PME et les formules de
microcrédit, qui ont un impact important dans la lutte contre la
pauvreté et dopent la création d'emplois. En 2010, le montant moyen
des sous-prêts était de 3 700 euros, et l'encours du portefeuille
de financement aux petites entreprises atteignait les 804 millions
d’euros (le volume annuel avoisinait 180 millions d’euros, et 214
millions d’euros ont été décaissés). La BERD soutient depuis très longtemps
les petites et micro-entreprises ainsi que les PME, car elles contribuent
de manière essentielle à sa mission, qui est de promouvoir l’économie
de marché.
41. La BERD soutient les programmes d’aide aux petites et micro-entreprises
par le biais d’intermédiaires financiers. Ces programmes permettant
à de petites entreprises d’accéder au système financier classique,
ce qui est souvent difficile dans les pays d’opération de la banque.
Non seulement la BERD travaille avec les banques existantes, mais
elle apporte également son aide pour la création de banques de microfinancement et
d’institutions de microfinancement non bancaires. La pérennité des
activités des petites et micro-entreprises est assurée en renforçant
leurs structures administratives et en les formant quant aux procédures
appropriées en matière de prêt.
42. Les programmes de prêt de la BERD permettent aux créateurs
d’entreprise et aux sociétés d’accéder à un financement qui ferait
autrement défaut. En règle générale, la BERD met des fonds à disposition
d’une banque locale (qui peut être un établissement de microfinancement
créé dans le cadre du programme), qui prête à son tour ces fonds
à de petites entreprises. (Pour la Banque, une micro-entreprise
a besoin de 6 800 euros maximum; une petite entreprise, de 68 000
euros maximum.) Pour veiller à ce que les fonds soient utilisés
de manière efficiente et parviennent aux «bons» destinataires, la
BERD sollicite le concours financier de donateurs afin d’instaurer
une coopération technique. Les fonds ainsi levés permettent d’envoyer
auprès de certaines banques des conseillers spécialisés qui forment
le personnel et mettent en place des procédures de prêt rapides
pour les clients des petites entreprises.
43. A ce jour, la BERD a lancé des programmes de prêt aux petites
et micro-entreprises dans 19 pays (pour la plupart des pays qui
entament tout juste un processus de transition vers une économie
de marché, le dernier en date étant la Mongolie). C’est souvent
dans les régions les plus isolées, où les entreprises n’ont pas
ou peu d’accès à un financement, que ces programmes portent le mieux
leurs fruits. La BERD entend, parmi ses objectifs prioritaires,
couvrir un large territoire régional, y compris sur le plan de la
formation et de la motivation des personnels. Néanmoins, les leçons
apprises de la crise – tandis que les créances douteuses atteignaient un
maximum dans la microfinance – ont révélé l'importance de la gouvernance
des entreprises, d'une analyse approfondie des risques et d'un financement
en devises locales pour les petits emprunteurs.
44. Répondant aux questions des membres, M. Russell a expliqué
que les activités de la BERD en faveur des petites entreprises de
certains pays étaient limitées en raison de la difficulté de trouver
de bons partenaires locaux. En Azerbaïdjan, la BERD a choisi de
créer une banque en partant de zéro, contribuant ainsi au transfert de
compétences et à la construction des institutions du pays. Les pertes
supportées par la BERD dans les activités de microfinance ont confirmé
l'élévation du niveau de risque, ce qui justifie également la hausse
des taux d'intérêt perçus sur les microcrédits.
45. En ce qui concerne la CEB, son objectif principal de promotion
de la cohésion sociale l’a conduite à financer différents organismes
de microfinance. En 2009, elle a par exemple approuvé un nouveau
programme de 23 millions d’euros avec la MicroBank (Banque sociale
de «la Caixa») pour promouvoir de nouvelles créations d’emplois
et apporter un soutien spécifique à des groupes vulnérables en Espagne
.
46. L’objectif des projets financés par la CEB est en général
l’insertion sociale de populations en difficulté. Ces projets visent
des populations ciblées et les microcrédits envisagés sont censés
leur permettre soit de devenir travailleur indépendant, soit de
développer une micro-entreprise déjà existante, ou encore de surmonter
des difficultés temporaires
.
8. Mettre en place des mesures complémentaires pour
pallier les limites du microcrédit
47. La question de l’efficience de la microfinance soulève
des débats importants entre les économistes. Il est en effet difficile
d’évaluer réellement l’impact de la microfinance sur le développement
économique. La question de la pertinence de politiques ciblées sur
des populations fragiles a également été soulevée par certains.
Ainsi, ces deux dernières années, le Maroc, la Bosnie-Herzégovine,
le Nicaragua et le Pakistan ont tous été touchés par des crises
liées au remboursement de microprêts. Le Groupe consultatif pour
l’assistance aux plus défavorisés, créé à l’initiative de la Banque
mondiale afin d’améliorer l’accès des personnes défavorisées aux
services financiers, impute ces bouleversements à l’attention insuffisante
prêtée à la capacité de remboursement des emprunteurs
.
48. Le rapporteur précise qu’il ne faut en aucun cas considérer
le microcrédit comme une solution miracle à tous les problèmes que
connaissent les économies et les sociétés européennes. Il peut certes
être un outil favorisant le développement et la cohésion sociale,
mais il doit être considéré comme une partie d’un ensemble plus
large et plus complexe de mesures, ce d’autant plus qu’il ne faut
pas oublier que le microcrédit a ses limites: si le mouvement en
faveur de la microfinance a permis d’améliorer l’accès au crédit,
la vision «romantique» du pauvre qui serait un créateur d’entreprise
potentiel plein de créativité fait abstraction des causes structurelles
de la pauvreté dans les différents pays.
49. Le rapporteur tient à souligner l’importance de la dimension
de conseil dans la mise en place des dispositifs de microcrédit,
surtout dans le cadre du soutien à la création de micro-entreprises.
Il est en effet souhaitable que les personnes ou entreprises qui
désirent bénéficier de la microfinance aient accès à des conseillers
capables d’évaluer leur situation et leurs projets afin de les diriger
vers des solutions raisonnable et productives. Il semble en effet
incontournable de poser la question d’un système d’assurance et
de soutien en lien avec l’octroi d’un microcrédit.
50. La microfinance doit être envisagée de façon équilibrée pour
qu’elle puisse réellement jouer un rôle moteur pour le développement
de micro-, petites et moyennes entreprises. Le développement d’une «compétence
de conseil» doit permettre d’orienter les potentiels bénéficiaires
de la microfinance et d’assurer la pérennité et l’efficacité de
leurs projets économiques. On devrait éviter l'octroi inconsidéré
de microcrédits, qui n’auraient pour effet à moyen et long termes
que de détériorer la situation financière des intéressés. Les microcrédits
sont en effet des instruments extrêmement coûteux et risqués. Afin
de couvrir les risques, les intermédiaires proposent souvent les
prêts à des taux d’intérêt élevés, que les petites entreprises ne
sont parfois pas en mesure de supporter. En conséquence, je considère
qu’il ne peut y avoir de dispositifs de microcrédit adéquats, utiles
et durables sans un soutien public (de l’Etat).
51. La question de la gestion des risques et de la réglementation
de ces produits financiers doit également être soulevée. Les Etats
européens ne doivent pas négliger mais au contraire prendre en compte
l’expérience de ces dernières années et se prévaloir contre d’éventuels
risques de bulles spéculatives. Certains craignent en effet de voir
les événements qui ont conduit à la crise des subprimes se
reproduire. Selon votre rapporteur, il faut se préserver des dérives
potentielles de la microfinance qui pourrait permettre à certains
de s’enrichir sur le dos des pauvres.
52. En ce qui concerne les garanties au microcrédit, différentes
expériences ont été menées. Au Bangladesh, des garanties collectives
ou conjointes ont été mises en place. Ce modèle de caution solidaire
a été développé car il semblait adapté au public pauvre auquel se
destinait la microfinance. Deux raisons principales expliquent cette
démarche:
- «le système s’appuie
sur la pression sociale (ou la menace crédible d’une sanction sociale)
qui peut efficacement se substituer aux garanties matérielles»;
- le prêteur supporte ainsi moins de coûts car le groupe,
en se créant, passe par une étape de sélection interpersonnelle
et que la surveillance des uns et des autres est également transférée
au groupe .
53. Cependant, cela implique un niveau élevé de taux d’intérêt.
Le problème soulevé ici est simple: comment faire en sorte que les
microcrédits, qui sont par principe des opérations financières risquées,
ne soient pas assujettis à des primes de risque qui pèsent sur les
taux d’intérêt?
54. A cet égard, il est impératif de proposer de nouvelles formules
d'intermédiation financière afin de réduire le coût des prêts et
d'accroître l'efficacité des services consultatifs qui accompagnent
le microcrédit. Une autre question reste ouverte: les établissements
de microcrédit peuvent-ils accepter des dépôts et proposer d'autres services
bancaires classiques à la population?
55. Au cours de la réunion de la commission à Londres, des membres
ont soutenu la proposition de votre rapporteur selon laquelle les
grandes banques qui accordent des lignes de microcrédit à des partenaires
plus petits devraient imposer certaines conditions pour les microfinancements
octroyés à partir de leurs fonds, et notamment en matière de taux
d'intérêt. Les établissements de microcrédit pourraient progressivement proposer
un éventail plus large de services à la population, répondant ainsi
aux besoins réels de leurs clients.
56. Par ailleurs, des modalités et des structures bien définies
sont la clé du bon fonctionnement et de l'utilité des établissements
de microcrédit pour la société. Il faudrait consentir des efforts
pour faire baisser les taux d'intérêt pratiqués par les établissements
de microcrédit. Les Etats pourraient aussi envisager de subventionner
certains microfinancements qui semblent grandement contribuer à
promouvoir les priorités nationales de développement. En d’autres
termes, le «rôle social» des micro-entreprises est particulièrement pertinent
et mérite une attention accrue de la part des décideurs politiques.
9. Remarques finales
57. Aujourd’hui, le microcrédit représente certainement
une partie de la solution pour réformer notre système économique
mondial. Changer de vision économique, apporter des solutions innovantes
notamment dans le domaine de l’économie solidaire, tels sont les
grands enjeux et défis de ce rapport consacré au microcrédit.
58. Je suis convaincu qu’il est temps de considérer le microcrédit
comme un outil de promotion des progrès socio-économiques de nos
sociétés (notamment dans les domaines de l'emploi et de la cohésion
socio-économique). La microfinance doit également être mieux réglementée,
sans toutefois se focaliser sur la limitation des taux d’intérêt
ou des bénéfices. Il faudrait plutôt s’attacher à modifier les règles
afin d’aider les établissements de microfinancement à mieux sélectionner
les emprunteurs, et, partant, à baisser les coûts.
59. Je souhaite recommander à la CEB de continuer à promouvoir
les institutions de microfinance comme elle le fait actuellement.
La CEB doit poursuivre son action de soutien des organismes qui,
par le biais du microcrédit, favorisent le développement et la cohésion
sociale.
60. Je pense qu’il faudrait développer des actions coordonnées
entre secteur privé, institutions nationales et organisations internationales
pour s’assurer de la cohérence des mesures mises en place. Il convient
ici de noter que les récents accords que la CEB a conclus avec d’autres
organisations internationales, avec des banques nationales ou encore
des fonds privés, vont dans ce sens.
61. Les Etats membres du Conseil de l’Europe doivent mettre en
place des programmes de promotion du microcrédit en cohérence avec
les problèmes nationaux qui leur sont propres. Ils devraient essayer,
autant que faire se peut, d’utiliser la microfinance comme outil
complémentaire dans des dispositifs d’intervention plus larges.
62. A mon avis, les éventuels avantages du microcrédit devraient
être évalués de façon cohérente entre tous les niveaux de décision
pour permettre une maximisation de son efficacité. Le Congrès des
pouvoirs locaux et régionaux pourrait également prendre part à cette
initiative de promotion du microcrédit et s’interroger sur les possibilités
que peut offrir la microfinance à l’échelon local – comme il le
souligne dans sa Résolution 263 (2008) et sa Recommandation 244
(2008) sur la consommation responsable et finance solidaire, ainsi
que dans sa Résolution 294 (2009) sur le surendettement des ménages:
la responsabilité des régions. Le Congrès y invite les collectivités
territoriales à promouvoir la solidarité envers les plus vulnérables
– y compris les personnes exclues du système bancaire traditionnel
– notamment en développant les microfinancements, et le microcrédit
en général, par le biais de partenariats avec des professionnels.