1. Définitions
1. Le premier problème auquel on est confronté, lorsqu’on
traite la question de la discrimination fondée sur l’orientation
sexuelle et sur l’identité de genre pour la commission sur l’égalité
des chances pour les femmes et les hommes, est une certaine confusion
au sujet des termes utilisés dans le débat: le «sexe» ou bien «l’orientation
sexuelle», le «genre» ou bien l’«identité de genre».
2. Il semble par conséquent utile de reproduire ici les définitions
utilisées par M. Gross
:
L’«orientation sexuelle» renvoie à la capacité de chacun
de ressentir à l’égard de personnes du sexe opposé, du même sexe
ou de plus d’un sexe, une profonde attirance émotionnelle, affective
et sexuelle, et d’entretenir avec ces personnes des relations intimes
et sexuelles. L’orientation sexuelle est une part profonde de l’identité
de chaque être humain; elle englobe l’hétérosexualité, la bisexualité
et l’homosexualité. Cette dernière est désormais dépénalisée dans
tous les Etats membres du Conseil de l’Europe.
L’«identité de genre» désigne l’expérience intime et personnelle
de son genre telle que profondément vécue par chacun, qu’elle corresponde
ou non au genre assigné à la naissance, y compris la conscience personnelle
du corps (qui peut également impliquer, si consentie librement,
une modification de l’apparence ou des fonctions corporelles par
des moyens médicaux, chirurgicaux ou autres) et d’autres expressions
du genre comme la façon de s’habiller, de parler et de se comporter.
3. Les définitions des termes «sexe» et «genre» ne sont pas uniformes.
Cependant, comme le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil
de l’Europe, Thomas Hammarberg, l’a souligné dans un document récent,
«il importe de bien distinguer la notion de “sexe” de celle de “genre”.
Alors que la notion de “sexe” renvoie essentiellement à la différence
biologique entre les femmes et les hommes, celle de “genre” intègre
les aspects sociaux de la différence des genres, sans se limiter
à l’élément biologique»
.
4. ILGA Europe, une association militante de LGBT, dans le document
qu’elle a présenté au Comité ad hoc du Conseil de l’Europe pour
prévenir et combattre la violence à l’égard des femmes et la violence
domestique (CAHVIO), chargé de rédiger la future convention du Conseil
de l’Europe en la matière, va même jusqu’à affirmer que: «L’homophobie
et la transphobie peuvent être considérées comme des expressions
exacerbées de discrimination fondée sur le genre. On a effectivement
dit de l’homophobie qu’elle était “l’arme du sexisme”, en ce sens
qu’elle a pour effet de dissuader et de sanctionner les expressions
et les comportements qui ne se conforment pas aux concepts patriarcaux
de genre et de rôles de genre, et par conséquent de les mettre à mal.»
5. Le sexisme et la discrimination sur la base de l’orientation
sexuelle et de l’identité de genre semblent ainsi avoir des racines
similaires et semblent être liés, bien que les concepts eux-mêmes
soient différents.
2. La discrimination sexuelle et la violence fondée
sur le genre à l’égard des femmes lesbiennes, bisexuelles et transgenres
6. Il n’est donc par surprenant que les femmes lesbiennes,
bisexuelles et transgenres («LBT») se heurtent à la violence fondée
sur le genre, à la fois en raison de leur genre et du fait que leur
orientation sexuelle ou leur identité de genre remet en cause les
concepts traditionnels de genre et de rôles de genre. D’ailleurs, comme
ILGA Europe l’a fait remarquer, il n’est pas toujours possible pour
les femmes LBT de faire la distinction, dans les expériences auxquelles
elles sont confrontées, entre la discrimination contre les lesbiennes
et la discrimination contre les femmes
.
7. En 2002, la rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la
violence contre les femmes a dit lors d’une allocution devant la
Commission des droits de l’homme des Nations Unies: «La violence
fondée sur le genre est également liée à la notion sociale de ce
que cela signifie d’être un homme ou une femme. Les personnes qui
s’écartent du comportement considéré comme “normal” sont la cible
de violences. La situation est encore plus critique lorsque y est
associée la discrimination sur la base de l’orientation sexuelle
ou du changement de l’identité de genre. La violence contre les
minorités sexuelles connaît une recrudescence et il est important
que nous relevions le défi de ce que l’on pourrait qualifier de
dernière frontière des droits humains.»
8. Il a été démontré que les femmes LBT sont particulièrement
affectées par diverses formes de violence fondée sur le genre, telles
que le viol, la violence sexuelle, le harcèlement et les mariages
forcés
.
Les Etats membres devraient par conséquent offrir une protection
adaptée au risque accru que courent les femmes LBT, et cela devrait
également être pris en compte au cours des négociations au sein
du CAHVIO.
3. La discrimination et la violence au sein de la
communauté LGBT
9. La communauté LGBT elle-même n’est pas à l’abri de
la discrimination et de la violence. Les relations avec un partenaire
du même sexe peuvent devenir violentes tout comme dans les relations
hétérosexuelles. La différence est principalement une différence
de concept: le Conseil de l’Europe est d’avis, par exemple, que la
violence contre les femmes (y compris la violence domestique) est
la conséquence extrême (mais logique) de l’inégalité entre les femmes
et les hommes. Ce concept est plus difficile à appliquer à la violence
qui se produit dans le cadre de relations avec un partenaire du
même sexe, lorsque aussi bien les auteurs que les victimes de la
violence sont du même sexe.
10. L’existence de la violence ne peut cependant pas être niée.
ILGA Europe, dans son document présenté au CAHVIO, a cité un projet
de recherche important mené dans ce domaine au Royaume-Uni en 2003,
dont les principales conclusions sont résumées ci-après:
- «Sur un échantillon de 1 911
femmes lesbiennes et bisexuelles, 22 % avaient subi des abus ou
des violences physiques, sexuelles ou mentales, exercés par un partenaire
régulier du même sexe, tandis que 19 % avaient subi des abus récurrents.
- Sur un échantillon de 1 391 hommes homosexuels et bisexuels,
29 % avaient subi des abus ou des violences physiques, sexuelles
ou mentales, exercés par un partenaire sexuel homme régulier, tandis que
24 % avaient subi des abus récurrents.
- Les différences entre les femmes et les hommes selon les
types d’abus étaient marginales. Aussi bien pour les femmes que
pour les hommes, la forme la plus courante des abus était des abus psychologiques
ou mentaux, tels que des “insultes, le fait de dénigrer ou de rabaisser
l’autre”. Pratiquement autant ont signalé être agressés physiquement
ou frappés.»
11. La conclusion qu’en tire ILGA Europe est que les victimes
de violence domestique dans des relations avec un partenaire du
même sexe (en particulier les femmes LBT) devraient être couvertes
par la future convention du Conseil de l’Europe pour combattre et
prévenir la violence à l’égard des femmes et la violence domestique
. Je
ne suis cependant pas certaine que cette commission – et l’Assemblée
– partage cette conclusion, dans la mesure où la commission et l’Assemblée
ont demandé au Comité des Ministres d’élaborer une convention consacrée
à la violence contre les femmes, y compris la violence domestique
(pour l’Assemblée, la violence domestique n’est qu’une forme de
violence faite aux femmes). La
Recommandation 1847 (2008) adoptée par l’Assemblée propose effectivement de limiter
la future convention du Conseil de l’Europe aux «formes les plus
sévères et les plus répandues de la violence à l’égard des femmes».
12. Une autre question épineuse est la discrimination sexuelle
au sein de la communauté LGBT. Par exemple, il y a eu des débats
pendant plusieurs années au sein de la communauté LGBT de Cologne (Allemagne)
sur l’organisation de la Marche des fiertés annuelle, «Christopher»,
qui, pour de nombreuses femmes LBT, est devenue trop sexualisée
et porte atteinte à la dignité des femmes (par exemple, en autorisant une
des plus grandes maisons closes européennes à participer, ainsi
que des adeptes hétérosexuels et homosexuels du «sadomasochisme»
qui font parader leurs «esclaves» sexuelles femmes)
. Certaines femmes
LBT ont réagi en lançant une «Marche des fiertés des femmes», mais
le débat est toujours aussi virulent.
13. Pour terminer, on ne sait pas très bien si les femmes LBT
peuvent attendre plus ou moins de solidarité que les hommes homosexuels
de la part de la communauté LGBT lorsque, par exemple, elles font
leur «coming out», se battent
pour leurs droits ou entrent en politique. En Allemagne, un homme
qui ne se cache pas d’être homosexuel est devenu récemment vice-chancelier
et ministre des Affaires étrangères; le pays a déjà plusieurs maires
hommes qui ont révélé leur homosexualité, mais aucune femme lesbienne
vivant son homosexualité au grand jour n’occupe de telles fonctions.
Il se pourrait donc bien que les lesbiennes subissent des discriminations
sexuelles, y compris dans leur propre communauté.
4. Conclusions
14. Je tiens à féliciter le rapporteur de la commission
des questions juridiques et des droits de l’homme, M. Gross, pour
son rapport exhaustif et d’excellente tenue. La seule chose qui
manque parfois dans ce rapport est une approche sensible aux différences
entre les genres. Je suis donc très heureuse d’avoir eu la possibilité de
souligner que la discrimination sur la base de l’orientation sexuelle
et de l’identité de genre peut être exacerbée en raison du sexe
et du genre, les femmes lesbiennes, bisexuelles et transgenres,
courant en particulier un risque accru de violence en raison des
structures patriarcales qui persistent dans la société. De surcroît,
il peut aussi y avoir des cas de discrimination sexuelle au sein
même de la communauté LGBT.
Commission saisie du rapport: commission
des questions juridiques et des droits de l’homme
Commission saisie pour avis: commission
sur l’égalité des chances pour les femmes et les hommes
Renvoi en commission: Décision
de l’Assemblée du 29 janvier 2010
Avis adopté par la commission le 26 mars 2010
Secrétariat de la commission: Mme Kleinsorge,
Mme Affholder, Mme Devaux