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Avis de commission | Doc. 12299 | 21 juin 2010

Les conséquences politiques de la crise économique

(Ancienne) Commission des questions économiques et du développement

Rapporteure : Mme Anna LILLIEHÖÖK, Suède

Origine - Renvoi en commission: Doc. 12066, Renvoi 3625 du 25 janvier 2010. Avis approuvé par la commission le 18 juin 2010. 2010 - Troisième partie de session

A. Conclusions de la commission

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La commission des questions économiques et du développement félicite le rapporteur, M. Zingeris, et la commission des questions politiques pour cet important rapport qu’elle soutient pleinement. La commission reste convaincue que l’ampleur et les conséquences politiques de la crise économique imposent des réponses économiques rapides, solides et qui préservent les droits économiques et sociaux des citoyens, face à tous les défis auxquels les 47 Etats membres du Conseil de l’Europe sont confrontés. Les réponses à cette crise ne sauraient être nationales, ni même européennes. Elles doivent être mondiales. La commission appelle, à ce titre, à un changement de paradigmes notamment dans la gestion aussi bien des flux financiers que des finances publiques et plaide pour des politiques plus fortes en vue de stimuler l’emploi. La commission des questions économiques et du développement salue la proposition de la commission des questions politiques d’organiser une audition jointe sur l’impact politique de la crise économique sur la société européenne.

B. Exposé des motifs, par Mme Lilliehöök, rapporteur

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1. Introduction

1. La crise financière et économique qui s’est déclenchée en 2007 aux Etats-Unis avant de se propager à l’ensemble de la planète, et notamment aux Etats membres du Conseil de l’Europe, est, depuis celle de 1929, l’événement économique le plus important de ces dernières décennies. La crise a entraîné une grave récession mondiale qui frappe de plein fouet les économies nationales et dont les effets se font ressentir sur les politiques économiques, monétaires mais également sociales avec la montée du chômage et les plans de rigueur annoncés. Plus graves encore sont les premiers signes de contestations politiques qui amènent à considérer les prochains mois avec la plus grande attention et à sensibiliser les gouvernements sur l’importance des solutions à adopter dans la gestion de la crise.
2. Le rapport de la commission des questions politiques a clairement souligné la progression de différents partis d’extrême droite lors d’élections récentes, comme le Jobbik hongrois qui compte 47 élus au Parlement hongrois. Ce succès est l’une des premières conséquences politiques de la crise économique, traduisant une fois de plus les réflexes électoraux d’une population durement frappée par les effets économiques d’une crise et qui voit dans les gouvernements en place les principaux responsables de cet état de fait.
3. D’un point de vue strictement économique – même si l’économie et la politique sont de plus en plus étroitement liées – les conséquences politiques de la crise découlent de la montée du chômage, du gel des salaires dans la fonction publique, d’une baisse du pouvoir d’achat et d’un certain pessimisme quant aux développements à venir. Des questions permanentes restent posées quant à la solvabilité des Etats malgré les différentes mesures prises au niveau européen ainsi qu’en ce qui concerne la capacité politique à long terme de créer des infrastructures en vue d’un développement équilibré et durable dans de nombreux pays. Comme les effets de la crise sur l’emploi peuvent entraîner un grave risque de troubles politiques, il faut renforcer la confiance publique dans le développement économique futur avec, en ligne de mire, plus d’emplois de meilleure qualité.

2. Première phase: le surendettement des ménages

4. La crise économique a démarré avec la fameuse crise des subprimes, ces fameux prêts hypothécaires accordés par des banques et des institutions de crédit immobilier à des individus sans vérifier soigneusement la capacité de ces derniers à les rembourser. Ces créances toxiques ont ensuite été réinjectées, réinvesties dans d’autres institutions financières. Ce système s’est effondré lorsque ces créances n’ont plus été garanties, entraînant de ce fait la faillite de nombreuses institutions financières.
5. Cette crise n’a pas tardé à produire ses effets sur les populations en raison d’un resserrement du crédit. Consommation et investissement s’effondrant, les effets de cette première phase de la crise se sont fait sentir sur le marché de l’emploi (hausse du chômage) et dans le fonctionnement des services publics. Pour éviter un effondrement des banques, les pouvoirs publics ont alors renfloué les institutions financières, prélevant des sommes affectées à d’autres projets ou nationalisant certains établissements bancaires.
6. Cependant, les Etats se sont vite retrouvés confrontés à une dette publique en augmentation sans aucune possibilité d’augmenter leurs recettes. Plusieurs pays ont dû faire face à une spéculation boursière sur leurs dettes réputées sûres mais qui en réalité ne l’étaient pas. La découverte de cette situation a entraîné un abaissement de leur note par les agences de notation pour certains d’entre eux, en raison de leur faible capacité à rembourser les crédits achetés sur les marchés boursiers et nécessaires au financement de leur dette publique. Plusieurs pays avec un déficit budgétaire élevé par rapport à leur PIB se sont alors retrouvés face à une situation de surendettement.
7. La commission des questions économiques et du développement s’est très vite penchée sur cette question des conséquences politiques de la crise économique dans ses précédents rapports ou dans ceux qui sont en préparation, comme celui sur «Le surendettement des Etats: dangers pour la démocratie et les droits de l’homme» (rapporteur: Pieter Omtzigt, Pays-Bas, PPE/DC). En outre, son rapport 
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			Les conséquences de
la crise financière mondiale (rapporteur: Kimmo Sasi, Finlande,
PPE/DC), Doc. 11807, 27 janvier 2009., débattu lors de la session plénière de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, en janvier 2009, soulignait que «la nécessité de rappeler aux gouvernements que, malgré les difficultés financières, les droits de l’homme, les droits sociaux et les droits économiques des citoyens doivent être sauvegardés, si l’on veut éviter que les fondements mêmes de la démocratie soient sapés».

3. Deuxième phase: le surendettement des Etats

8. La crise économique est entrée, au tournant de l’année 2010, dans sa deuxième phase, celle beaucoup plus critique pour la stabilité démocratique des différents Etats membres du Conseil de l’Europe et aux conséquences politiques nettement plus inquiétantes: le surendettement des Etats.
9. Les proclamations du G20 visant à réguler la finance internationale sont restées lettre morte et de nombreuses banques et institutions financières, renflouées par l’argent public à des taux très bas, ont pensé que les choses allaient revenir comme avant. Mais c’était sans tenir compte du fait que la crise révélerait la mauvaise gestion et le déséquilibre des finances publiques, qui ont été dévoilés par les agences de notation. En conséquence, des pays comme la Grèce, l’Espagne ou le Portugal et ensuite le continent européen se sont trouvés plongés dans un état d’inquiétude qui, en de nombreux endroits, s’est transformé en colère publique.
10. Car, si la finance internationale est devenue un bouc émissaire tout désigné – quelquefois à juste titre – de la crise financière de 2008, les responsables politiques en charge des problèmes économiques ne peuvent plus masquer les déséquilibres et les piètres politiques économiques à long terme accumulées depuis plus de vingt ans. Les conséquences économiques actuelles ont révélé les dangers d’une gestion politique économique hasardeuse et à courte vue, dans laquelle les politiques fiscales inadéquates sont combinées à des dépenses excessives (par exemple en ce qui concerne les allocations sociales, les plans de retraite sous-financés, l’augmentation excessive du nombre de fonctionnaires et la gestion dispendieuse des collectivités publiques). Un manque d’attention, envers des politiques en faveur d’une croissance durable pour les emplois et l’économie, afin d’assurer le revenu privé et les revenus fiscaux, ont aggravé de tels déséquilibres. Cela montre l’importance d’une bonne gouvernance et d’infrastructures de base pour l’équilibre fiscal au niveau national, tels que les critères fixés par le «Pacte de stabilité et de croissance» de l’Union européenne. Comme le souligne le rapport de M. Sasi mentionné plus haut, des politiques macroéconomiques saines qui aident à résister aux crises économiques peuvent être un facteur important dans la façon dont le fonctionnement d’une démocratie est perçu.
11. Une grande partie des dirigeants politiques européens qui fustigeaient, bien souvent à des fins électoralistes, les «diktats» de l’Union européenne et de la Banque centrale européenne (BCE) à propos du Pacte de stabilité et de croissance (fixant à 3 % maximum du PIB le niveau du déficit public ou de la monnaie unique) restent, aujourd’hui, bien silencieux. Car dès lors que la sacro-sainte règle du Pacte de stabilité a été bafouée, les dépenses publiques se sont envolées dans de nombreux Etats alors même que la croissance économique, qui permet de compenser un endettement public, n’est pas encore au rendez-vous en raison de la récession provoquée par la crise des subprimes en 2008.
12. Ces politiques économiques ont conduit de nombreux Etats membres du Conseil de l’Europe dans une spirale infernale qui s’est caractérisée économiquement par une demande accrue d’aide de la part de la Commission européenne et surtout du Fonds monétaire international (Hongrie, Ukraine, Islande, Lettonie, Roumanie, Pologne, Bosnie-Herzégovine, Serbie et Grèce). En termes monétaires, la chute régulière de l’euro dans les pays utilisant cette monnaie – tombée le 19 mai 2010 sous la barre des 1,22 dollar des Etats-Unis – a entraîné une baisse inquiétante des places boursières et pénalise fortement les exportations. Pour les autres pays, l’effondrement de monnaies comme le forint hongrois ou la couronne islandaise a entraîné une dévaluation de la monnaie et une brusque montée du taux d’inflation. En Islande, ce dernier a grimpé jusqu’à près de 14 % en octobre 2008 et le pays a été obligé de contracter un prêt de 4 milliards d’euros auprès de la Fédération de Russie pour augmenter ses réserves de changes et stabiliser sa monnaie.
13. Outre les répercussions de ces problèmes monétaires sur le pouvoir d’achat des populations, ce surendettement des Etats a entraîné la mise en place rapide de politiques d’austérité ou de rigueur qui touchent des populations déjà frappées par des conditions économiques difficiles. Ainsi, dans certains pays comme l’Espagne, le chômage frôle les 20 %.

4. Politiques d’austérité et heurts politiques

14. De nombreuses manifestations contre ces politiques de rigueur ont eu lieu. Des milliers de personnes ont manifesté contre le «capitalisme» le 16 mai 2010, à Madrid. En Grèce, plusieurs jours de grèves et de manifestations ont conduit à des heurts avec les forces de l’ordre à Athènes où, le 6 mai 2010, trois personnes ont trouvé la mort dans une agence bancaire incendiée par des manifestants en colère.
15. Les différentes mesures prises par certains gouvernements (Irlande, Portugal, Grèce, Espagne, Hongrie, Roumanie, Grande-Bretagne, Italie, etc.) confrontés à cette crise sont un gel, voire une baisse des salaires des fonctionnaires jusqu’en 2013. Le niveau des pensions des retraités est également gelé, l’âge légal de départ à la retraite est relevé et certaines allocations ou aides à la petite enfance sont supprimées. La hausse des impôts directs et indirects (TVA) se généralise et les coupes budgétaires affectent également les domaines de la coopération internationale, les administrations locales ou le remboursement des médicaments.
16. Cependant, certains économistes doutent fortement de la pertinence de ces mesures d’austérité car ils considèrent que ces mêmes mesures pourraient causer des conséquences sociales irréparables entraînant, de ce fait, de graves problèmes politiques; et cela d’autant plus qu’ils auraient un effet économique inverse puisque la croissance économique ne serait plus stimulée et que les dettes subsisteraient. La faillite ne serait que retardée et interviendrait dans un climat social et politique extrêmement tendu.
17. Enfin, selon l’économiste américain Nouriel Roubini, «ce qui se passe en Grèce n’est que la pointe d’un iceberg de problèmes de dettes et de déficits publics, dans beaucoup de pays développés» 
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			3. Le Monde, 19 mai 2010.. Roubini estime qu’une crise mondiale des dettes publiques est possible. On imagine alors les conséquences politiques d’une telle crise.
18. L’exemple de l’Argentine en 2001 est à prendre très au sérieux. En effet, cet exemple n’est pas sans rappeler ce qui se passe économiquement en Grèce. La dette publique s’étant aggravée (chute du PIB de près de 15 %), le Gouvernement argentin prit – sur les conseils du FMI – des mesures drastiques comme les réductions des dépenses sociales et des salaires de fonctionnaires et le blocage des comptes des épargnants entraînant de violentes manifestations à Buenos Aires. Les 19 et 20 décembre 2001, l’état de siège fut proclamé après une répression qui provoqua la mort de 35 personnes et conduisit le Président Fernando de la Rua à quitter en urgence son palais présidentiel puis à se démettre de ses fonctions.

5. Conclusion

19. Il y a toujours, à court, moyen et long termes, des conséquences politiques aux crises économiques. La crise économique de 1929 a été l’un des facteurs – mais non le seul – de la prise du pouvoir, bien souvent légalement, par des mouvements extrémistes et d’une réorientation des économies européennes vers la préparation d’une guerre qui allait dévaster notre continent et le monde entier.
20. A l’heure où les choix que prendront les différents gouvernements pour juguler cette crise économique se révéleront déterminants, les gouvernements des Etats membres du Conseil de l’Europe doivent tirer tous ensemble les leçons d’un passé pas si lointain pour ne pas réitérer les tragiques erreurs d’une époque où une crise économique a entraîné de terribles conséquences politiques et humaines.