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Rapport | Doc. 12613 | 12 mai 2011

Les risques sanitaires des métaux lourds

Commission des questions sociales, de la santé et de la famille

Rapporteur : M. Jean HUSS, Luxembourg, SOC

Origine - Renvoi en commission: Doc.12234, Renvoi 3681 du 21 mai 2010. 2011 - Commission permanente de mai

Résumé

Grâce à de nombreuses recherches scientifiques, l’exposition permanente et à petites doses de l’être humain à des métaux lourds tels que le cadmium, le mercure ou le plomb est de plus en plus reconnue comme l’un des cofacteurs de certaines maladies neurologiques, cardio-vasculaires et auto-immunes. Face au droit de chaque personne à un environnement sain, les stratégies de santé préventives visant à réduire l'exposition humaine aux métaux lourds devraient figurer parmi les priorités politiques de tous les pays. Cela semble d’autant plus urgent face aux dépenses élevées de santé, provoquées par des maladies chroniques causées entre autres par de telles substances nocives.

Les Etats membres du Conseil de l’Europe sont appelés à mettre en pratique les résultats des recherches les plus récentes et à restreindre, dans la mesure du possible, l’usage de métaux lourds dans l’agriculture, l’industrie ainsi que le secteur médical afin de limiter leur bioaccumulation continue dans la nature, la chaîne alimentaire et, enfin, le corps humain. Par ailleurs, le droit à un environnement sain devrait être renforcé à travers les instruments existants du Conseil de l’Europe tels que la Charte sociale européenne révisée, mais aussi par le biais d’autres traités internationaux dont certains sont en cours d’élaboration.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 11 avril
2011.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire se sent concernée par le fait que les Etats membres du Conseil de l’Europe, dans le cadre de leurs politiques de santé, ne portent pas davantage d’attention aux risques sanitaires des métaux, alors que ceux-ci sont scientifiquement établis dans beaucoup de cas. Ainsi, il est de plus en plus évident que l’exposition permanente et à petites doses de l’être humain à des substances telles que l’aluminium, le cadmium, le mercure ou le plomb serait un des co-facteurs de certaines maladies neurologiques, cardio-vasculaires et auto-immunes.
2. Face au droit de chaque personne à un environnement sain, les stratégies de santé préventives visant à réduire l'exposition humaine à de telles substances nocives devraient figurer parmi les priorités politiques. Cela semble d’autant plus urgent face aux coûts réels élevés de l’utilisation des métaux lourds, fortement soupçonnés de contribuer à des maladies chroniques qui pèsent lourd sur les budgets publics des caisses d’assurance maladie.
3. Au-delà de la nécessité d’une action politique et législative immédiate suivant le principe de précaution, les recherches scientifiques sur les métaux lourds dans toute leur complexité devraient se poursuivre. Cela permettra d’établir le lien causal entre la présence de métaux lourds dans l’environnement humain et certaines pathologies humaines, d’apporter davantage de réponses appropriées à ces dernières et de proposer des procédés industriels et des approches thérapeutiques à la hauteur des meilleures et plus actuelles connaissances scientifiques.
4. Afin de soutenir les politiques nationales, le droit à un environnement sain de chaque personne devrait être mieux ancré et renforcé dans les normes internationales, y compris les standards du Conseil de l’Europe. L’Assemblée a déjà lancé des appels en ce sens à plusieurs reprises, par exemple en adoptant sa Recommandation 1885 (2009) sur l’élaboration d’un protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme relatif au droit à un environnement sain, mais sans qu’à ce jour une suite concrète ne soit donnée par le Comité des Ministres.
5. Toute action concernant les métaux lourds s’inscrit dans un contexte international où les dangers de ces substances pour la santé humaine et l’environnement sont de plus en plus reconnus. Ainsi, l’Union européenne est en train de réexaminer sa stratégie communautaire sur le mercure jusqu’à fin 2011, et des négociations sont en cours dans le cadre du Programme des Nations Unies pour l’Environnement en vue d’élaborer un instrument international contraignant sur le mercure pour 2013. Les Etats membres du Conseil de l’Europe devraient prendre part activement aux négociations en cours tout en devenant les précurseurs d’une évolution vers des politiques sanitaires et environnementales innovantes.
6. L’Assemblée constate que les connaissances scientifiques et médicales sur les métaux lourds ont atteint un niveau tel qu’il n’est plus justifié de retarder des actions concrètes visant à réduire ou à éliminer leur présence dans l’environnement humain et, ainsi, d’atténuer leurs conséquences sanitaires. Elle appelle donc tous les Etats membres à soutenir une approche politique innovante à la problématique, et à prendre les mesures globales suivantes:
6.1. définir les métaux lourds et les risques sanitaires qu’ils entraînent comme des priorités des politiques sanitaires et environnementales, tout en suivant le principe de précaution tel que soutenu par la Recommandation 1787 (2007) sur le principe de précaution et la gestion responsable des risques; ceci devrait se faire en mettant l’accent sur l’élimination la plus large possible des métaux lourds de l’environnement humain, sur la prévention de la bioaccumulation de telles substances dans la nature, la chaine alimentaire et, enfin, le corps humain, sur la prévention et le soin des maladies chroniques générées par celles-ci ainsi que sur la protection particulière des personnes les plus vulnérables;
6.2. promouvoir, au sein de l’Union européenne et dans d’autres contextes internationaux, l’établissement de règles plus strictes concernant la production, l’utilisation et l’importation de produits contenant des métaux lourds, y compris des limites spécifiques d’exposition aux métaux lourds, notamment pour les personnes les plus vulnérables, établis en collaboration avec l’Organisation mondiale de la Santé;
6.3. organiser et faciliter des échanges de connaissances et de bonnes pratiques entre les autorités nationales spécialisées pour compléter leurs données respectives en la matière et s’inspirer des mesures politiques efficaces prises ailleurs;
7. L’Assemblée appelle instamment tous les Etats membres à prendre les mesures de prévention suivantes en ce qui concerne les métaux lourds les plus toxiques tels que le mercure:
7.1. interdire ou restreindre, lorsque cela est possible et approprié, l’utilisation des métaux lourds par l’industrie, l’agriculture et le secteur médical, et en ce qui concerne ce dernier notamment par la restriction voire l’interdiction des amalgames comme matériaux d’obturation dentaire;
7.2. promouvoir une information largement diffusée sur les effets sanitaires des métaux lourds, pour permettre à tous les professionnels et consommateurs de faire des choix éclairés sans attendre des mesures politiques plus radicales (choix de méthodes de traitements médicaux, de produits de consommation et alimentaires, de moyens de transport, etc.);
7.3. promouvoir les recherches scientifiques et technologiques dans le but de substituer, à long terme, les métaux lourds dans tous les procédés industriels et agricoles ainsi que tous les traitements médicaux, tout en mettant en place des réglementations strictes pour prévenir les conflits d’intérêts des experts impliqués tel qu'évoqué par la Recommandation 1908 (2010) de l'Assemblée sur le lobbying dans une société démocratique (code européen de bonne conduite en matière de lobbying), notamment en soutenant la recherche médicale en la matière;
7.4. là où les métaux lourds ne peuvent pas être substitués immédiatement, réduire au maximum leur arrivée et bio-accumulation dans l’environnement naturel et humain, entre autres en obligeant tous les utilisateurs et émetteurs de métaux lourds, y compris les cabinets dentaires, à installer des équipements anti-pollution et de filtrage efficaces.
8. Au niveau des normes internationales et européennes, il faut continuer à promouvoir le droit à la santé et le droit à un environnement sain en tant que droits humains fondamentaux. A cet égard, l’Assemblée fait appel aux Etats membres pour continuer à promouvoir, au sein du Conseil de l’Europe, l’idée d’un protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme relatif au droit à un environnement sain tel que proposé par sa Recommandation 1885 (2009). Par ailleurs, elle considère que 2011 – année du 50e et du 15e anniversaire respectivement de la Charte sociale européenne et de la Charte sociale européenne révisée – serait un moment propice pour introduire le droit à un environnement sain dans la Charte sociale européenne révisée, par exemple sous l'article 11 relatif au droit à la protection de la santé.

B. Exposé des motifs, par M. Huss, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. La pollution de l'environnement et l'exposition permanente des êtres humains à des métaux lourds toxiques tels que le mercure, le cadmium ou le plomb sont de graves problèmes qui ne cessent de prendre de l'ampleur dans le monde entier. L'exposition aux métaux s'est fortement aggravée au cours des cinquante dernières années avec l'augmentation exponentielle de l'utilisation de métaux lourds dans les processus et produits industriels. Alors que cette exposition aux métaux se fait généralement de manière latente et à petites doses quotidiennes dans différents composants naturels, aliments ou matériaux qui nous entourent, elle peut occasionnellement s’amplifier de manière accidentelle: l’accident chimique survenu dans une usine de bauxite-aluminium près du village hongrois de Kolontar le 4 octobre 2010, et au cours duquel neuf personnes ont trouvé la mort immédiatement, en est un exemple malheureux 
			(2) 
			«Hungarian toxic spill plant
'to reopen by Friday'», BBC News,
13 octobre 2010, <a href='http://www.bbc.co.uk/news/world-europe-11535832'>www.bbc.co.uk/news/world-europe-11535832</a>..
2. De plus en plus de maladies, notamment des pathologies chroniques, sont soupçonnées de, ou connues depuis un certain temps pour, trouver leur origine dans les métaux lourds et d’autres substances chimiques qui sont omniprésents dans notre entourage. Il est donc grand temps que les métaux lourds soient reconnus comme un grave problème de santé publique et que tous les moyens à la disposition des Etats membres soient mis en œuvre pour prévenir et mieux guérir les pathologies qui y sont liées.
3. La littérature scientifique internationale a accumulé une masse considérable de preuves attestant de l'extrême toxicité des métaux lourds pour les êtres humains. Certains des effets, tels que l’impact du plomb sur la tension sanguine et donc sur les maladies cardio-vasculaires, sont connus depuis plus de 120 ans déjà. De manière générale, la toxicité du plomb est même connue depuis l'Antiquité. Grâce à un travail de recherche renforcé dans ce domaine, l’influence des métaux lourds, au moins en tant que cofacteur, peut être établie pour de nombreuses pathologies.
4. Le but du présent rapport n’est pas de procéder à une analyse scientifique détaillée en matière de risques sanitaires des métaux lourds, de couvrir toutes les substances et toutes les pathologies de manière exhaustive, ou de tirer des conclusions d’ordre scientifique ou médical. Ce texte veut exposer la thématique dans les grandes lignes dans un langage compréhensible pour les décideurs politiques et le grand public, attirer leur attention sur l’urgence du problème en portant un regard sur certains métaux et pathologies de manière sélective, et inviter les Etats membres et leurs autorités à agir ou à faciliter l’action d’autres parties impliquées au niveau national.

2. Les métaux lourds: un problème de santé publique

5. La présence des métaux lourds dans notre environnement direct et leur impact sur la santé humaine pourraient être tout d’abord perçus comme un problème de santé individuel qui proviendrait de la sensibilité accrue de certaines personnes. Cependant, l’aggravation, depuis des années, des pathologies qui sont connues pour avoir un lien avec la pollution de l’environnement d’un côté, couplée avec des connaissances scientifiques et médicales de plus en plus pointues de l’autre, devrait amener les Etats membres du Conseil de l’Europe à reconnaître les métaux lourds comme un grave problème de santé publique et à y apporter les bonnes réponses 
			(3) 
			De
nombreuses informations de cet exposé (sauf indication contraire)
proviennent d’une présentation du  Dr Peter Jennrich, médecin généraliste
et conseiller médical du Conseil international de toxicologie clinique
métallique (International Board of Clinical Metal Toxicology – IBCMT),
faite lors de la réunion de la commission des questions sociales,
de la santé et de la famille, à Paris, le 15 novembre 2010..
6. Plusieurs pays ont déjà franchi cette étape de reconnaissance du problème pour certains métaux: ainsi, l’usage des amalgames dentaires a été restreint ou interdit en Allemagne, au Danemark, en Norvège, en Russie et en Suède en ce qui concerne l’Europe, ainsi qu’au Japon sur un plan international. D’autres pays devraient suivre leur exemple et d’autres métaux lourds que le mercure dentaire devraient recevoir la même attention scientifique et politique. La question des amalgames dentaires servira d’ailleurs d’exemple par le biais duquel l’envergure des risques sanitaires et les réponses politiques possibles seront davantage examinés 
			(4) 
			Seront également prises en compte
les informations recueillies lors de l’audition d’experts tenue
lors de la réunion de la sous-commission de la santé de l’Assemblée
à Paris le 23 mars 2011..
7. La nécessité d’agir devient d’autant plus urgente face à la situation économique actuelle où, parmi d’autres instances publiques, les caisses d’assurance maladie sont également confrontées à des problèmes de restrictions budgétaires. A l’avenir, un plus grand nombre de problèmes de santé devraient être attaqués à la base pour éviter l’alourdissement des frais de santé. Cela vaut notamment pour les maladies chroniques, souvent liées aux effets environnementaux et particulièrement coûteuses pour les systèmes de santé publique.

2.1. Les métaux dans l’environnement humain

8. Les métaux sont présents naturellement dans notre environnement, surtout dans la croûte terrestre où ils contribuent à l’équilibre de la planète. Cependant, par l’intervention humaine, les métaux sont répartis, concentrés et modifiés chimiquement, ce qui peut augmenter leur toxicité. Par le biais d’activités minières, industrielles et agricoles, mais aussi de la chasse, et de nombreux produits de consommation qui terminent comme déchets, l’air, l’eau, le sol, les micro-organismes, les plantes, les animaux et, finalement, les êtres humains sont pollués et intoxiqués par les métaux lourds 
			(5) 
			Peter
Jennrich, Schwermetalle – Ursache für
Zivilisationskrankheiten (Les métaux lourds – cause de
maladies de civilisation), Editions Co’med, Hochheim, 2007..
9. Ainsi, il est impossible d'échapper à une exposition permanente aux métaux lourds et à d'autres produits toxiques qui sont omniprésents dans notre vie quotidienne. Il est grand temps d’aborder la problématique de manière plus systématique et engagée afin de s’assurer que, au fur et à mesure, le contact humain avec les métaux lourds toxiques est évité au maximum et les risques qu’ils présentent pour la santé humaine sont éliminés.
10. La présence de métaux dans l’environnement est un fait bien connu depuis des années. Une étude publiée par l’Assemblée nationale et le Sénat français en 2001 démontre que de nombreux métaux utilisés dans des procédés industriels arrivent dans l’environnement humain par des émissions atmosphériques, aquatiques ainsi que par des rejets solides, tels que par exemple l’arsenic, le cadmium, le chrome, le cuivre, le manganèse, le mercure, le nickel, le sélénium ou le zinc organique 
			(6) 
			Office parlementaire d’évaluation
des choix scientifiques et technologiques, rapport sur les effets
des métaux lourds sur l’environnement et la santé, M. Gérard Miquel,
sénateur, document no 2979 de l’Assemblée nationale et no 261 du Sénat,
avril 2001. . Une des sources importantes est également le transport humain (transport terrestre et aérien, navigation par voies fluviales et maritimes). Ces sources ne seront pas approfondies davantage, car les phénomènes liés aux métaux pourraient donner lieu à une étude spécifique pour chaque source d’émission et métal ou font déjà l’objet de telles études spécifiques.
11. Outre leur présence naturelle dans l’écorce terrestre et leurs utilisations industrielles, beaucoup de métaux sont présents dans l’environnement humain plus directement, sans que cela soit forcément connu par tous. Le tableau ci-dessous indique quelques sources de métaux directement en contact avec l'être l’humain. Cet aperçu montre qu’il serait une erreur de penser que certaines personnes ne seront pas concernées par la problématique parce qu’elles n’ont pas d’amalgames dentaires ou ne travaillent pas dans une entreprise travaillant les métaux, étant donné que d’autres sources sont susceptibles de les mettre en contact avec des métaux toxiques.
12. Présence de métaux dans l’environnement humain direct (liste non exhaustive) 
			(7) 
			Sources diverses, presse quotidienne
et scientifique.:

Aluminium

Canettes de boissons, médicaments (vaccins, pansements gastriques, céramiques orthopédiques et dentaires, colles médicales), cosmétiques, crème solaire, dentifrice, déodorants, casseroles, papier aluminium utilisé en cuisine;

Chaîne alimentaire: eau potable, légumes, additifs alimentaires (biscuits, produits laitiers et autres produits sucrés) 
			(8) 
			«L’aluminium
empoisonne notre vie quotidienne», Le
Monde, 15 septembre 2010; Virginie Belle, Quand l’aluminium nous empoisonne,
Editions Max Milo, 2010.

Arsenic

Chaîne alimentaire: eau potable (dépôts minéraux naturels), légumes, notamment laitues, fruits de mer 
			(9) 
			INERIS
(Institut national de l'environnement industriel et des risques)
– Fiche de données toxicologiques et environnementales des substances
chimiques: Arsenic et ses dérivés inorganiques, version n° 4 – 2010.

Cadmium

Produits céramiques en contact avec les denrées alimentaires, cigarettes et fumées de cigarette, piles;

Chaîne alimentaire: eau potable, légumes, fruits de mer, foies et reins d'animaux

Mercure

Production de chlore, extraction d'or, piles, appareils de mesure, amalgames dentaires, fumée de cigarette;

Chaîne alimentaire: poissons (espadons, thons, raies et requins)

Nickel

Bijoux, pièces de monnaie;

Chaîne alimentaire: eau potable, mollusques, chocolat, soja, noix, farine d’avoine

Plomb

Batteries et accumulateurs, peintures anciennes

Zinc organique

Suppléments vitaminiques, écrans solaires, déodorants, produits de pied d’athlètes, shampooings antipelliculaires 
			(10) 
			United
States Public Health Service, Agency for Toxic Substances and Disease
Registry: Toxicological Profile for Zinc, 2006.

13. La problématique liée à certains métaux lourds est prise en considération dans les agendas politiques, au moins dans certaines régions du monde. L’activité minière destinée à extraire le mercure est de plus en plus remplacée par le recyclage du mercure. Ainsi la production primaire mondiale de l’ordre de 3 000 tonnes par an (à partir du minerai cinabre) est actuellement doublée par la production secondaire, à partir de la valorisation de déchets, cela certainement pour des raisons économiques, mais aussi liées à l’environnement (même si la principale source de pollution provient des centrales thermiques au charbon) 
			(11) 
			Voir note 7 supra. . L’Union européenne a présenté une ambitieuse stratégie sur le mercure en 2005, actuellement révisée 
			(12) 
			Commission des Communautés européennes:
Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen,
COM(2005) 20 final; Stratégie communautaire sur le mercure, SEC(2005)101,
Bruxelles, 28 janvier 2005., et de nombreux pays semblent prêts à signer un futur traité international contraignant.
14. Néanmoins, certaines voies industrielles prises récemment encore semblent plutôt contre-productives par rapport à l’élimination du mercure: un secteur fortement consommateur de mercure est celui des ampoules à basse consommation dites «écologiques» qui peuvent contenir de 3 à 5 mg de mercure. Par ailleurs, la décision d’interdire l’exploitation du mercure au sein de l’Union européenne (à partir du 15 mars 2011), a entraîné la reprise de son exploitation artisanale et clandestine en Chine, Russie, Mongolie et d’autres pays. En dehors de la baisse substantielle de ses propres émissions, l’Europe doit prendre ses responsabilités face à une pollution mondiale qui ne baisse pas 
			(13) 
			André Picot et Marie Grosman, «Mercure
– l’Union européenne progresse, la Chine régresse», Préventique Sécurité,  no 109, janvier-février
2010..
15. Un autre métal par rapport auquel des mesures radicales ont été prises depuis des années est le plomb: encore utilisé très largement dans l’industrie, l’imprimerie et les peintures pendant la première moitié du XXe siècle, beaucoup d’utilisations industrielles ont ensuite été supprimées, y compris les carburants automobiles (où le plomb est prohibé presque mondialement aujourd’hui). Il reste en revanche encore présent dans les batteries et accumulateurs, les produits industriels en plomb et l’industrie chimique, sans parler des bâtiments dans les grandes agglomérations où les peintures anciennes sont encore bien présentes (voir la section 2.3 ci-dessous).

2.2. Pourquoi les effets des métaux lourds sont-ils sous-estimés ou non suffisamment pris en compte?

16. Les métaux lourds, comme d’autres substances toxiques, apparaissent rarement dans des doses suffisamment fortes pour déclencher des maladies immédiates. Ils sont consommés à faible dose, mais de manière continue, et s’accumulent dans différents organes du corps humain où ils deviennent des «bombes à retardement». Par ailleurs, selon certains experts, le corps humain sain peut gérer des faibles doses de métaux lourds et les éliminer sans développer des réactions particulières. Il est certain que les personnes ne réagissent pas de la même manière à une exposition aux métaux lourds, en fonction de leurs prédispositions génétiques et leur état de santé. Ainsi, le lien entre cause et effets est souvent difficile à établir.
17. Certaines substances n’auront pas d’effet à elles seules, mais réagissent l’une avec l’autre, et ce sont les combinaisons de métaux lourds et d’autres produits chimiques qui deviennent des «cocktails» dangereux dont les effets combinés sont encore peu étudiés et connus aujourd’hui. De la même manière, il est difficile d’analyser l’interaction, dans le corps humain, des métaux lourds et des bactéries buccales ou intestinales. En conséquence, l’ampleur des effets directs ou indirects des métaux lourds est difficile à évaluer et des réponses scientifiques et médicales ciblées manquent aujourd’hui.
18. Parfois, des idées préconçues basées sur un manque de connaissances scientifiques peuvent persister; un exemple concerne les substances toxiques de manière plus générale: le formaldéhyde, souvent craint comme substance nocive pour l’environnement et la santé, ne figure qu’au rang 244 des substances dangereuses, alors que l’arsenic, le plomb et le mercure se trouvent aux trois premiers rangs, et le cadmium au septième. Malgré ces hiérarchies scientifiquement établies sur la base d’indicateurs combinés 
			(14) 
			D’après la liste prioritaire
de substances dangereuses – basée sur une combinaison de la fréquence
des substances, de leur toxicité et de leur potentiel d’exposition
à l’être humain ( de l’Agency for Toxic Substances and Disease Registry (ATSDR),
basée à Atlanta (Géorgie/Etats-Unis): l’ATSDR est un organisme public
fédéral de l'US Department of Health and Human Services qui fournit
des informations scientifiques destinées à prévenir des expositions
dangereuses, et des maladies liées aux substances toxiques. <a href='http://www.atsdr.cdc.gov/'>www.atsdr.cdc.gov</a>., les métaux lourds et d’autres substances sont difficiles à mesurer et à identifier chez l’individu. Leurs traces peuvent apparaître dans le sang ou l’urine, mais ils s’accumulent généralement dans d’autres organes du corps humain où ils peuvent générer des maladies sérieuses, souvent de caractère chronique.
19. Enfin, les informations scientifiques qui peuvent exister par rapport aux métaux lourds ne sont pas reconnues par tout le corps médical et ne sont en tout cas pas mises en pratique systématiquement dans la médecine actuelle. Ainsi, les connaissances du personnel médical dans beaucoup d’Etats membres en matière de métaux lourds et leurs effets prouvés ou soupçonnés sur la santé sont encore très limités aujourd’hui. Ce contexte ne facilite pas non plus les contre-mesures à prendre face aux risques sanitaires des métaux lourds. Finalement, et sans vouloir approfondir cet aspect ici, des intérêts économiques puissants contribuent certainement au fait que les métaux lourds continuent à être utilisés dans beaucoup de contextes, parfois faute d’alternatives, parfois pour éviter des coûts d’investissement conséquents (liés à des changements des procédés industriels en place).

2.3. Risques sanitaires des métaux: connaissances actuelles en la matière et premières réponses politiques

2.3.1. Aperçu général des effets sanitaires des métaux

20. Une exposition permanente à des petites doses de métaux lourds peut déclencher de nombreuses réactions chez l’être humain. Parmi les premières se trouvent les maladies cardio-vasculaires, telles que l’artériosclérose ou la thrombose, comme une étude récente de la Corée du Sud a encore une fois pu le démontrer en ce qui concerne le mercure 
			(15) 
			Kyung-Min Lim et al., faculté de pharmacie,
université nationale de Séoul, Corée, «Low-Level Mercury Can Enhance Procoagulant
Activity of Erythrocytes: A New Contributing Factor for Mercury-Related
Thrombotic Disease», Environmental Health
Perspectives, juillet 2010, <a href='http://ehp03.niehs.nih.gov/'>http://ehp03.niehs.nih.gov</a>. . Il a également été prouvé, par de nombreuses recherches et expériences, que les métaux lourds peuvent contribuer à des pathologies immunologiques telles que la sclérose en plaques ou d’autres défauts du système immunitaire (inflammations chroniques, effets immunosuppressifs, allergies). Ils ont aussi tendance à perturber les systèmes reproducteur et endocrinien (comprenant tous les organes/glandes possédant une fonction de sécrétion d’hormones) et avoir des effets cytotoxiques (effets destructeurs sur les cellules). Des effets neurotoxiques surviennent directement quand les métaux lourds franchissent la barrière encéphalique, provoquant des atteintes du système nerveux central telles que les maladies de Parkinson et d'Alzheimer et, chez le fœtus, un dérèglement du développement cérébral.
21. Une maladie qui, en français, est même nommée d’après un métal lourd, en raison du lien qu’elle présente avec lui, est le saturnisme, correspondant à une intoxication aiguë ou chronique par le plomb (la planète Saturne étant le symbole du plomb en alchimie). A la différence de la plupart des métaux, le plomb n'a aucun rôle connu dans l'organisme humain et il est connu pour être toxique au niveau cellulaire quelle que soit sa concentration. Le jeune enfant est plus exposé à l’intoxication que l’adulte en raison de son comportement spécifique (tout porter à la bouche), sa plus grande sensibilité et le développement en cours de son organisme où le plomb peut provoquer des retards irréversibles; il en est de même avec le fœtus et l'embryon qui, en cas d’intoxication de la mère, sont intoxiqués à travers le placenta. En France, par exemple, un certain nombre d’enfants étaient encore ces dernières années intoxiqués par le plomb, qui se trouve dans les peintures anciennes (notamment les immeubles construits avant 1949): 213 nouveaux cas de saturnisme ont été détectés en 2007, dont 116 chez des enfants de moins de 6 ans. 70 % des cas se trouvaient en région Ile-de-France, et 70% d’entre eux étaient effectivement liés aux peintures anciennes 
			(16) 
			Administrations sanitaires
et sociales de l’Etat (DRASS et DDASS) en Ile-de-France: «Lutte
contre le saturnisme infantile en Ile-de-France», résultats de l’enquête
2006-2007, <a href='http://ile-de-france.sante.gouv.fr/'>http://ile-de-france.sante.gouv.fr</a>.. Aujourd’hui, malgré l'interdiction du plomb dans les peintures et de l'essence dans de nombreux pays, des cas graves de saturnisme (ou d’autres pathologies liées au plomb) persistent dans la plupart des grandes villes et régions industrielles.
22. Comme évoqué plus haut, les risques sanitaires des métaux lourds dépendent aussi de la sensibilité de chaque personne: ainsi les prédispositions génétiques, l’âge et l’état général de santé entrent en ligne de compte pour les effets que les métaux lourds peuvent avoir sur un patient, et ces derniers deviennent des cofacteurs pour le développement de certaines pathologies. Cela peut mener à des interprétations diverses sur la toxicité des métaux lourds qui peuvent avoir des effets dévastateurs chez les uns et aucun effet mesurable chez les autres. Le tableau suivant donne des exemples de pathologies organiques neurologiques et physiques qui peuvent être causées, entre autres, par la co-influence de métaux potentiellement toxiques.
23. Effets soupçonnés ou prouvés de métaux sur la santé humaine (liste non exhaustive):

Métal

Maladies organiques 
			(17) 
			Sources
diverses: presse quotidienne et scientifique.

Effets neurologiques et psychiatriques 
			(18) 
			Peter Jennrich, «Schwermetalle
( Ursache von Zivilisationskrankheiten und ihre erfolgreiche Behandlung»
 (Les métaux lourds – Cause de maladies de civilisation et leur
traitement efficace), Fachmagazin Co’Med, 03/06 (sources diverses: presse
quotidienne et scientifique).

Aluminium

Douleurs articulaires, décalcification des os, anémie 
			(19) 
			«L’aluminium
empoisonne notre vie quotidienne», Le
Monde, 15 septembre 2010; Virginie Belle, Quand l’aluminium nous empoisonne,
Editions Max Milo, 2010.

Démence, Alzheimer, Parkinson, Encéphalopathie avec des perturbations de mémoire, de concentration et de mobilité

Arsenic

Diabète de type 2 
			(20) 
			Ana Navas-Acien et al., «Arsenic Exposure and Prevalence
of Type 2 Diabetes in US Adults», novembre 2010, <a href='http://www.jama.com/'>www.jama.com</a>.

Atteintes au système nerveux, menant à des faiblesses, surdité, paresthésies, psychoses organiques avec somnolence, troubles, stupeur, délires, schizophrénie

Cadmium

Lésions rénales et pulmonaires, fragilisation des os, anémies, augmentation du risque de cancer en cas d’inhalation 
			(21) 
			Réseau
d’innovation et santé environnementale des Premières nations, Cadmium
– fiche d’information, 2008, Canada, <a href='http://www.fnehin.ca/site.php/fr/'>www.fnehin.ca/site.php/fr/</a>.

Aucune référence trouvée à ce stade

Mercure

Lésions du cerveau, maladies auto-immunes (arthrite rhumatique, lupus, sclérose en plaques) 
			(22) 
			Jennifer
F. Nyland, «Mercury linked to immune changes seen in autoimmune
disease» (résumé d'une étude de 2010 de Gardner, Nyland, Silva,
Ventura, de Souza et Silbergeld), avril 2010, <a href='http://www.environmentalhealthnews.org/'>www.environmentalhealthnews.org</a>., maladies cardio-vasculaires (hypertension et autres), cancer du foie 
			(23) 
			Boffetta
et al., «Mortality from cardiovascular diseases and exposure to
inorganic mercury», Occup Environ Med,
2001, <a href='http://www.oem.bmj.com/'>www.oem.bmj.com</a>.

Diminution de l’intelligence, troubles de la parole, agitation, agressivité, troubles visuels et auditifs, polyneuropathie, myasthénie grave, Alzheimer

Nickel

Allergies, dermatites, eczémas 
			(24) 
			Ministère
de l’Environnement de l’Ontario, Feuille info: Le nickel dans l’environnement,
avril 2011.

Maux de tête, vertiges, manque de sommeil

Plomb

Effets hématologiques et cardio-vasculaires (hypertension) 
			(25) 
			Royaume
du Maroc, ministère de l’Aménagement du territoire, de l’Eau et
de l’Environnement, «Evaluation mondiale du plomb et du cadmium»,
2006., atteintes rénales 
			(26) 
			GDS/Sous-direction
de la gestion des risques des milieux, «Les effets du plomb sur
la santé», Paris, 2002.

Dépressions allant jusqu’au suicide, manque d’attention, atteinte à l’intelligence visuelle et aux fonctions motrices, troubles de mémoire, difficultés d’apprentissage, états de fatigue, agitation, agressivité, psychoses, hallucinations, polyneuropathie périphérique, encéphalopathie, saturnisme

Zinc organique

Crampes d’estomacs, nausées, vomissements, anémie, dommages au pancréas

Œdème cérébral avec nausées, vomissements, vertiges, troubles visuels, crampes, manque de mémoire, fatigue, manque d’intérêt, maux de têtes, troubles de sommeil

24. Il convient de préciser que toutes les informations données ci-dessus concernant les sources et les effets éventuels des métaux sur la santé ne sont pas présentées de manière systématique, étant donné que la causalité entre l’exposition à un métal et la survenue de certaines pathologies est extrêmement délicate à établir. Ainsi, il n’y a pas de distinction entre les effets sanitaires des métaux provenant de sources industrielles et ceux où le contact humain est plus direct. La présentation des différentes sources, voies d’exposition et effets sanitaires est faite sans classification formelle dans le but d’illustrer la complexité, la gravité et l’envergure du phénomène. Ne sont pas non plus approfondis les effets sanitaires du manque de certaines substances telles que le zinc qui doit surtout être consommé de manière suffisante par les femmes enceintes et les jeunes hommes.
25. Les effets potentiels des métaux lourds, déjà effrayants chez l’adulte, sont plus graves encore chez les enfants: exposé à des doses comparables de toxines, l'organisme d'un fœtus, d'un bébé ou d'un enfant réagit forcément davantage que celui d'un adulte. Au cours des premiers mois et des premières années de sa vie, les organes d'un enfant se développent rapidement, ce qui l'expose davantage aux troubles fonctionnels. Le système nerveux poursuit son développement tout au long de la croissance des enfants, et ces derniers sont donc particulièrement sensibles aux composés chimiques toxiques présents dans leur environnement personnel, dans la nourriture et dans l'eau 
			(27) 
			Voir
note 14 supra.. Les métaux lourds peuvent également atteindre le fœtus par le biais d’une exposition prolongée des femmes enceintes à la fumée de cigarette qui contient du cadmium. Dans le cadre du projet de recherche intégré PHIME de l’Union européenne (6e programme-cadre), il a par ailleurs été constaté que le niveau d’exposition au plomb à partir duquel il pourrait y avoir un effet sur l’intelligence des enfants serait beaucoup plus bas que celui qui était estimé jusqu'à présent. Les chercheurs européens associés au projet PHIME en concluent que les efforts pour éliminer les sources de pollution au plomb doivent se poursuivre sans relâche. Des revendications similaires sont formulées pour d’autres métaux lourds: lors d’un colloque international tenu à l’Agence européenne pour l’environnement à Copenhague le 10 février 2011, les experts PHIME ont présenté les résultats essentiels de leurs travaux de cinq ans sous le titre «Effects of exposure to metals: no margin of safety in Europe» (traduction française non officielle: Effets de l'exposition aux métaux: aucune marge de sécurité en Europe) 
			(28) 
			PHIME (Public Health Impact of long-term,
low-level Mixed Element Exposure in susceptible population strata),
FP6 research project: Effects of exposure to metals: no margin of
safety in Europe, conclusions du colloque, <a href='http://www.phime.org/'>www.phime.org</a>. .
26. Les professionnels scientifiques et médicaux font actuellement face à de nombreux défis auxquels toutes les réponses sont loin d’être trouvées: comment identifier et mesurer les métaux lourds dans le corps humain à un stade préliminaire et donc bien avant que les effets négatifs puissent se matérialiser; comment identifier leur présence dans des organes vitaux où ils causent le plus de dégâts; quelles sont les quantités à partir desquelles un traitement médical devrait être déclenché; quelle approche thérapeutique faudrait-il suivre (attaquer le problème à la source si possible, détoxifier par des méthodes innovantes même si elles ne sont pas validées par tous les professionnels, etc.)? Il est essentiel que les recherches scientifiques dans le domaine puissent se poursuivre et soient politiquement soutenues par tous les Etats membres dans le cadre de leurs politiques de santé publique, tout en reconnaissant pleinement l’influence des métaux lourds comme un problème de santé publique.

2.3.2. Nous sommes tous concernés: le débat controversé sur les amalgames dentaires

27. C’est notamment autour des amalgames dentaires, qui sont composés de mercure jusqu’à 50 %, que le débat reste controversé. Dans la plupart des pays en Europe et dans le monde, les amalgames continuent à être utilisés comme matériau d’obturation dentaire. Cependant, certains pays européens comme l’Allemagne, l’Autriche ou la Russie ont restreint l’utilisation des amalgames, alors que le Danemark, la Norvège et la Suède l’ont même interdit en 2008-2009 
			(29) 
			«Questions
sur l’innocuité des amalgames dentaires», Le
Monde, 18 janvier 2011, <a href='http://www.lemonde.fr/'>www.lemonde.fr</a>. . Le débat est actuellement mené de manière très vive en France, sans doute le plus gros consommateur d’amalgames européen 
			(30) 
			70 %
des molaires et prémolaires seraient obturés par de l’amalgame,
y compris chez les enfants, selon l’Agence française de sécurité
sanitaire des produits de santé (AFSSAPS): «Le mercure des amalgames
dentaires», octobre 2005., raison pour laquelle les arguments avancés dans ce pays serviront d’exemple. Ainsi, les représentants français des différentes positions contre et en faveur d’une utilisation continue des amalgames dentaires ont été présents lors d’un débat «controversé» sur ce thème qui s’est tenu le 23 mars à Paris au sein de la sous-commission de la santé.
28. Marie Grosman, professeure agrégée en sciences de la vie, conseillère de l’association «Non au mercure dentaire» et membre du Réseau environnement santé (RES), intervenant au nom de l’Association toxicologie-chimie (ATC), a exigé que l’utilisation du mercure dans les soins dentaires soit abandonnée dans les meilleurs délais possibles pour des raisons environnementales et sanitaires. Selon elle et les chercheurs avec qui elle collabore, il est avéré que les amalgames constituent la première source d’exposition au mercure pour les pays développés, y compris des embryons, des fœtus (via le placenta 
			(31) 
			Voir
note 17 supra. ) et des enfants (via l’allaitement). L’exposition au mercure dentaire peut avoir de graves conséquences sur la santé des patients et des professionnels dentaires, et l’exposition précoce (grossesse, allaitement) à de faibles doses de mercure augmente le risque de diminution du quotient d’intelligence (QI) chez les enfants.
29. Selon l’Organisation mondiale de la santé en 2005, certaines études auraient révélé qu’il n'existerait pas de seuil en dessous duquel il ne se produirait pas d'effets indésirables du mercure 
			(32) 
			Organisation
mondiale de la santé: «Mercure et soins de santé», document d’orientation
stratégique WHO/SDE/WSH/05.08, Genève, 2005.. A travers diverses études scientifiques, des effets génotoxiques, neurotoxiques, immunotoxiques, reprotoxiques, embryotoxiques et perturbateurs endocriniens lui ont été attribués, et il a été prouvé que le mercure se retrouve, par bioaccumulation, dans différents organes du corps humain (sang, cortex cérébral, hypophyse, thyroïde). Plus récemment, il semble de plus en plus évident que le mercure pourrait être l’une des multiples causes de la maladie d’Alzheimer. Ainsi, la réponse fortement conseillée des chercheurs serait d’agir selon le principe de précaution et d’abandonner immédiatement l’utilisation du mercure au lieu d’attendre des preuves irréfutables en la matière 
			(33) 
			Viadrina
European University et Samueli Institute, «Research Shows Mercury
to be a Potential Cause for Alzheimer’s Disease», communication
on a systematic review, 10 novembre 2010..
30. En France, les experts critiques exigent par ailleurs que tous les matériaux dentaires soient soumis à des tests de toxicité. Ils partent du principe que le mercure serait d’emblée exclu de par ses effets toxiques avérés. Ils appellent à une information complète auprès des patients qui devraient d’abord donner leur consentement avant de recevoir des obturations dentaires en amalgame. Ils rappellent enfin le coût réel élevé de l’utilisation des amalgames qui, par leurs conséquences sur la santé des patients et des professionnels, pèse lourd sur les systèmes de santé. Selon des études européennes, entre 60 et 90 tonnes de mercure issues des cabinets contamineraient ainsi chaque année l’atmosphère, les eaux de surface et les sols d’Europe 
			(34) 
			P.
Maxon, Mercury in Dental Use: Environmental
Implications for the European Union, European Environmental Bureau,
2007.. Enfin, les experts français critiquent l’attitude incohérente des autorités françaises en la matière: alors qu’elles s’opposent officiellement à l’arrêt du mercure dentaire dans l’Union européenne, le Plan national santé-environnement (2009-2013) cible le mercure comme une des substances les plus préoccupantes dont il faut réduire de 30 % les rejets et l’exposition de la population d’ici à 2013.
31. Face à cette critique fervente du mercure, l’Association dentaire française (ADF) reste, depuis des années, sur une position plus nuancée par rapport à la question: selon elle, l’amalgame dentaire, utilisé depuis 150 ans environ, reste le matériau d’obturation présentant le risque le plus faible, et aucun fait pathologique grave n’aurait été constaté ou scientifiquement prouvé à ce jour 
			(35) 
			Association
dentaire française (ADF), «Les amalgames dentaires: répondre à nos
patients», exposé sur la base d’un avis du Conseil supérieur d’hygiène
publique, 19 mai 1998, <a href='http://www.adf.asso.fr/'>www.adf.asso.fr</a>. . Le professeur Michel Goldberg, chercheur à l’INSERM et représentant de l'ADF, défend la position prise par l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS), confirmé par les travaux européens de la commission SCENIHR (Scientific Committee on Emerging and Newly Identified Health Risksvoir infra), dont il faisait partie dans les deux cas: selon les conclusions de l’AFSSAPS, «l’amalgame reste le matériau le mieux adapté pour la restauration des dents permanentes postérieures en cas de prévalence carieuse élevée et de lésions multiples et étendues, notamment chez l’enfant, l’adolescent et l’adulte jeune» 
			(36) 
			Agence française de sécurité sanitaire
des produits de santé (AFSSAPS), «Le mercure des amalgames dentaires», octobre
2005..
32. L’AFSSAPS souligne par ailleurs que les matériaux alternatifs à l’amalgame restent plus complexes et plus coûteux à mettre en œuvre avec une longévité moindre. Pour certains des nouveaux matériaux synthétiques d’obturation dentaire, des effets sanitaires non désirables auraient aussi été identifiés 
			(37) 
			Dr Karlheinz Graf, «Zahnärztliche
Werkstoffe unter umweltmedizinischen Aspekten», Ärztezeitschrift für Naturheilverfahren,
46, 4, 2005.. Par ailleurs, des études américaines auraient démontré que les amalgames dentaires n’auraient aucun effet sur le développement cérébral d’enfants porteurs (au-delà de 7 ans d’âge) 
			(38) 
			American Dental Association (ADA), «Amalgam
fillings don’t affect children’s brain development», communiqué
de presse, janvier 2008, <a href='http://www.ada.org/'>www.ada.org</a>.. Néanmoins, le professeur Michel Goldberg rappelle que «les 40 000 dentistes français en utilisent de moins en moins pour deux raisons: les remous autour du mercure les ont incités à adopter le principe de précaution, et pour des raisons esthétiques» 
			(39) 
			Voir
note 17 supra. . Enfin, même selon les experts moins critiques envers le mercure, la pose et dépose d’amalgames dentaires serait fortement déconseillée pour les femmes enceintes, alors que le mercure transmis par le lait maternel se trouverait à un niveau tellement faible qu’aucun effet adverse n’a pu être mis en évidence.
33. Au-delà des stratégies et discussions nationales, le futur du mercure fait actuellement l’objet de débats menés aux niveaux européen et mondial. La Commission européenne est en train d’entreprendre la révision de sa stratégie communautaire sur le mercure. Dans ses conclusions communiquées à la 3075e réunion du Conseil environnement à Bruxelles le 14 mars 2011, le Conseil de l’Union européenne rappelle l’importance de réduire les émissions de mercure et définit comme but d’abandonner l’utilisation du mercure dans tous les produits. En revanche, quant à l’utilisation du mercure dans les soins dentaires, le Conseil fixe à la Commission l’objectif relativement modeste de considérer, si nécessaire, le besoin éventuel de mesures destinées à réduire l’impact environnemental du mercure dans les amalgames dentaires, sur la base de recherches précédentes dont les résultats sont attendus pour la fin 2011. Avec un tel objectif, le Conseil semble rester fidèle aux conclusions tirées par la commission SCENIHR, mandaté par la Commission européenne qui, seulement en 2008, a conclu que «l’amalgame dentaire est un matériau d’obturation efficace et peut être considéré comme un matériau de choix pour nombre de restaurations (…). La conclusion est qu’il n’existe pas de risques d’effets systémiques néfastes» 
			(40) 
			SCENIHR, «The safety of dental amalgam
and alternative dental restoration materials for patients and users», Commission
européenne, Direction générale de la santé et des consommateurs,
mai 2008..
34. Le rapporteur se félicite du débat actif au niveau de l’Union européenne, mais considère que face aux preuves scientifiques avérées, les Etats membres de l’Union européenne et de la Grande Europe représentée par le Conseil de l’Europe devraient soumettre la question des amalgames dentaires à un regard plus critique et saisir cette unique chance pour lutter contre le fléau des effets sanitaires du mercure. L’Europe devrait par ailleurs se positionner comme précurseur concernant l’élimination du mercure et leader dans les négociations en cours dans le cadre du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) en vue de l’élaboration d’un instrument contraignant concernant le mercure pour 2013. Un tel positionnement a été récemment exigé par la délégation suédoise auprès de l’Union européenne, qui considère qu’une lutte efficace des effets néfastes du mercure passe tout d’abord par une harmonisation et une cohésion européenne en la matière, un argument que le rapporteur souhaiterait fortement soutenir 
			(41) 
			Conseil
de l'Union européenne, «Review of the Community’s Strategy concerning
Mercury – Annex», Information from the Swedish delegation.. Enfin, un développement tout récent et susceptible de changer le débat mondial sur les amalgames est l’annonce du Gouvernement des Etats-Unis, dans le cadre des négociations susmentionnées, qu’il supportera la diminution progressive (phase down) de l’utilisation des amalgames dentaires, avec le but d’abandonner complètement, à long terme, leur emploi (phase out) 
			(42) 
			Consumers
for Dental Choice, World Alliance for Mercury-Free Dentistry, 5
avril 2011, «US Government Calls for the Phase-Out of Amalgam!», 
			(42) 
			<a href='http://www.unep.org/hazardoussubstances/Portals/9/Mercury/Documents/INC3/United States.pdf'>www.unep.org/hazardoussubstances/Portals/9/Mercury/Documents/INC3/United%20States.pdf</a>..
35. Pour compléter le contexte de ce débat, il est important de soulever que les alliages employés en dentisterie semblent également jouer un rôle dans la genèse d’un autre problème: l’électrosensibilité. Ce phénomène serait, apparemment, dû à la présence simultanée du mercure avec différents autres métaux en bouche (nickel, cobalt, chrome, or, etc.) – combinaison qui crée des courants électriques (galvaniques) mesurables, créateurs de champs électromagnétiques perturbateurs. Les personnes porteuses d'amalgames seraient ainsi plus sujettes aux perturbations électromagnétiques de l'environnement, car les métaux en bouche agiraient comme corps de résonance 
			(43) 
			<a href='http://www.electrosensible.org/b2/index.php/ehs/presentation_ehs'>www.electrosensible.org/b2/index.php/ehs/presentation_ehs</a>; 
			(43) 
			FEB
– The Swedish Association for the ElectroHyperSensitive: <a href='http://www.org.feb.nu/index_int.htm'>www.org.feb.nu/index_int.htm</a>. . Sans vouloir approfondir cette question ici, il est fait référence au rapport «Le danger potentiel des champs électromagnétiques et leur effet sur l’environnement» 
			(44) 
			Voir le Doc. 12608 de l'Assemblée. préparé par votre rapporteur dans le cadre de la commission de l’environnement, de l’agriculture et des questions territoriales, qui devrait également être débattu par la Commission permanente en mai 2011.

3. Conclusions – recommandations

36. La prise de conscience et les réactions des responsables politiques par rapport à des phénomènes relativement nouveaux en matière de santé publique sont souvent trop tardives, trop lentes et insuffisantes. Face aux métaux lourds dont la toxicité est de plus en plus mise en évidence, les politiques sanitaires devraient suivre, à tous les niveaux, le principe de précaution et supprimer ces substances de toutes les utilisations possibles avant de mener des recherches plus pointues. Ainsi, les mesures prises pour protéger la vie et la santé de tous les citoyens européens contre les effets des métaux lourds devraient explicitement tenir compte du droit de chaque personne à un environnement sain.
37. Les connaissances scientifiques et médicales sur les métaux lourds ont certainement atteint un niveau tel qu’il n’est plus justifié de nos jours de retarder toute action concrète visant à réduire ou éliminer leurs risques et leurs conséquences sanitaires. Certaines problématiques déjà bien recherchées appellent à une action rapide, telle que celle des amalgames dentaires qui ont déjà été interdits par plusieurs pays européens entre-temps. C’est aussi un des domaines qui illustrent bien dans quelle mesure nous sommes tous concernés, étant donné qu’une grande partie de la population mondiale est porteuse de tels produits. Ainsi, rien que pour la France, par exemple, l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé estime dans un rapport en 2005 qu’environ 14 millions d’amalgames étaient réalisés chaque année, et que la plupart des Français de plus de 30 ans en ont 
			(45) 
			Voir la note 17 supra..
38. Face aux arguments contradictoires avancés par différents chercheurs et même si une action immédiate est recommandée dans certains domaines, comme pour le mercure dentaire, le rapporteur conclut, en revanche, que les recherches devront se poursuivre. Elles doivent être intensifiées concernant des aspects spécifiques, tels que les interactions de substances diverses ou leurs réactions dans et avec le corps humain, et doivent se poursuivre et se renforcer pour mieux connaître les effets sur l’environnement et la santé humaine, et pour identifier les réponses appropriées et employer des moyens efficaces. Très liées au problème des métaux lourds, les recherches devraient également être renforcées concernant les nanoparticules de métaux (contenant souvent du zinc, de l’argent ou du titane) dont certains effets sur la santé humaine commencent à être identifiés 
			(46) 
			«Les
nanoparticules sont dangereuses pour la santé», annonce faite en
2008 sur le portail <a href='http://www.futura-sciences.com/'>www.futura-sciences.com</a> à
la suite d’une conférence de presse de l'Observatoire des micro
et nanotechnologies (OMNT) à Paris, 
			(46) 
			<a href='http://www.omnt.fr/index.php/fr/'>www.omnt.fr/index.php/fr/</a>. 
			(46) 
			.
39. Les stratégies préventives de santé visant à réduire l'exposition humaine aux métaux lourds et à mieux prendre en compte l’influence de ces derniers dans toute approche thérapeutique devraient figurer parmi les priorités politiques des Etats membres du Conseil de l'Europe. Pour soutenir de telles stratégies de santé innovantes, l’Assemblée devrait recommander aux Etats membres de prendre les mesures suivantes:
  • définir les métaux lourds et les risques sanitaires qu’ils entraînent comme des priorités de santé publique au niveau national, tout en mettant l’accent sur la prévention de maladies chroniques générées par de telles substances et en renforçant le principe de précaution, en abandonnant dans les meilleurs délais possibles certaines utilisations des métaux lourds;
  • interdire ou restreindre l’utilisation des métaux lourds les plus toxiques (à l’instar de la suppression du plomb de l’essence) dans les secteurs de l’agriculture et de l’industrie, notamment en ce qui concerne la production des produits alimentaires et des biens de consommation qui amènent les métaux lourds dans l’environnement direct de chaque être humain;
  • soutenir la recherche médicale, y compris une veille scientifique systématique et complète en la matière afin de consolider les connaissances des effets déjà identifiés, par exemple sur les maladies chroniques, et les compléter par des connaissances sur des phénomènes encore peu recherchés (effets combinés de substances, facteurs contribuant à la vulnérabilité de personnes, etc.), ainsi que sur les approches thérapeutiques à suivre (nouvelles méthodes de détoxification, etc.);
  • collaborer avec des organisations internationales, telles que l’Organisation mondiale de la santé, en vue d’une harmonisation des politiques et standards internationaux en la matière, et promouvoir une telle évolution au sein de l’Union européenne en ce qui concerne les Etats membres qui en font partie;
  • promouvoir une information largement diffusée concernant les effets sanitaires des métaux lourds, pour permettre, dorénavant, à tous les professionnels et consommateurs, de faire des choix éclairés sans attendre des mesures politiques plus radicales (choix de méthodes de traitements médicaux, de produits de consommation et alimentaires, de moyens de transport, etc.). 
40. Enfin, les Etats membres du Conseil de l’Europe devraient faire en sorte que l’Europe devienne précurseur en matière de politique de santé innovatrice et d’harmonisation des réponses politiques au problème des risques sanitaires des métaux lourds, et leader des négociations internationales visant à la préparation d’un instrument international contraignant sous l’égide du Programme des Nations Unies pour l’environnement.