1. Introduction
1. La pollution de l'environnement et l'exposition permanente
des êtres humains à des métaux lourds toxiques tels que le mercure,
le cadmium ou le plomb sont de graves problèmes qui ne cessent de
prendre de l'ampleur dans le monde entier. L'exposition aux métaux
s'est fortement aggravée au cours des cinquante dernières années
avec l'augmentation exponentielle de l'utilisation de métaux lourds
dans les processus et produits industriels. Alors que cette exposition
aux métaux se fait généralement de manière latente et à petites doses
quotidiennes dans différents composants naturels, aliments ou matériaux
qui nous entourent, elle peut occasionnellement s’amplifier de manière
accidentelle: l’accident chimique survenu dans une usine de bauxite-aluminium
près du village hongrois de Kolontar le 4 octobre 2010, et au cours
duquel neuf personnes ont trouvé la mort immédiatement, en est un
exemple malheureux
.
2. De plus en plus de maladies, notamment des pathologies chroniques,
sont soupçonnées de, ou connues depuis un certain temps pour, trouver
leur origine dans les métaux lourds et d’autres substances chimiques
qui sont omniprésents dans notre entourage. Il est donc grand temps
que les métaux lourds soient reconnus comme un grave problème de
santé publique et que tous les moyens à la disposition des Etats membres
soient mis en œuvre pour prévenir et mieux guérir les pathologies
qui y sont liées.
3. La littérature scientifique internationale a accumulé une
masse considérable de preuves attestant de l'extrême toxicité des
métaux lourds pour les êtres humains. Certains des effets, tels
que l’impact du plomb sur la tension sanguine et donc sur les maladies
cardio-vasculaires, sont connus depuis plus de 120 ans déjà. De manière
générale, la toxicité du plomb est même connue depuis l'Antiquité.
Grâce à un travail de recherche renforcé dans ce domaine, l’influence
des métaux lourds, au moins en tant que cofacteur, peut être établie
pour de nombreuses pathologies.
4. Le but du présent rapport n’est pas de procéder à une analyse
scientifique détaillée en matière de risques sanitaires des métaux
lourds, de couvrir toutes les substances et toutes les pathologies
de manière exhaustive, ou de tirer des conclusions d’ordre scientifique
ou médical. Ce texte veut exposer la thématique dans les grandes
lignes dans un langage compréhensible pour les décideurs politiques
et le grand public, attirer leur attention sur l’urgence du problème
en portant un regard sur certains métaux et pathologies de manière
sélective, et inviter les Etats membres et leurs autorités à agir
ou à faciliter l’action d’autres parties impliquées au niveau national.
2. Les métaux lourds: un problème de santé
publique
5. La présence des métaux lourds dans notre environnement
direct et leur impact sur la santé humaine pourraient être tout
d’abord perçus comme un problème de santé individuel qui proviendrait
de la sensibilité accrue de certaines personnes. Cependant, l’aggravation,
depuis des années, des pathologies qui sont connues pour avoir un
lien avec la pollution de l’environnement d’un côté, couplée avec
des connaissances scientifiques et médicales de plus en plus pointues
de l’autre, devrait amener les Etats membres du Conseil de l’Europe
à reconnaître les métaux lourds comme un grave problème de santé
publique et à y apporter les bonnes réponses
.
6. Plusieurs pays ont déjà franchi cette étape de reconnaissance
du problème pour certains métaux: ainsi, l’usage des amalgames dentaires
a été restreint ou interdit en Allemagne, au Danemark, en Norvège,
en Russie et en Suède en ce qui concerne l’Europe, ainsi qu’au Japon
sur un plan international. D’autres pays devraient suivre leur exemple
et d’autres métaux lourds que le mercure dentaire devraient recevoir
la même attention scientifique et politique. La question des amalgames
dentaires servira d’ailleurs d’exemple par le biais duquel l’envergure
des risques sanitaires et les réponses politiques possibles seront
davantage examinés
.
7. La nécessité d’agir devient d’autant plus urgente face à la
situation économique actuelle où, parmi d’autres instances publiques,
les caisses d’assurance maladie sont également confrontées à des
problèmes de restrictions budgétaires. A l’avenir, un plus grand
nombre de problèmes de santé devraient être attaqués à la base pour
éviter l’alourdissement des frais de santé. Cela vaut notamment
pour les maladies chroniques, souvent liées aux effets environnementaux
et particulièrement coûteuses pour les systèmes de santé publique.
2.1. Les métaux dans l’environnement humain
8. Les métaux sont présents naturellement dans notre
environnement, surtout dans la croûte terrestre où ils contribuent
à l’équilibre de la planète. Cependant, par l’intervention humaine,
les métaux sont répartis, concentrés et modifiés chimiquement, ce
qui peut augmenter leur toxicité. Par le biais d’activités minières, industrielles
et agricoles, mais aussi de la chasse, et de nombreux produits de
consommation qui terminent comme déchets, l’air, l’eau, le sol,
les micro-organismes, les plantes, les animaux et, finalement, les
êtres humains sont pollués et intoxiqués par les métaux lourds
.
9. Ainsi, il est impossible d'échapper à une exposition permanente
aux métaux lourds et à d'autres produits toxiques qui sont omniprésents
dans notre vie quotidienne. Il est grand temps d’aborder la problématique
de manière plus systématique et engagée afin de s’assurer que, au
fur et à mesure, le contact humain avec les métaux lourds toxiques
est évité au maximum et les risques qu’ils présentent pour la santé
humaine sont éliminés.
10. La présence de métaux dans l’environnement est un fait bien
connu depuis des années. Une étude publiée par l’Assemblée nationale
et le Sénat français en 2001 démontre que de nombreux métaux utilisés dans
des procédés industriels arrivent dans l’environnement humain par
des émissions atmosphériques, aquatiques ainsi que par des rejets
solides, tels que par exemple l’arsenic, le cadmium, le chrome,
le cuivre, le manganèse, le mercure, le nickel, le sélénium ou le
zinc organique
. Une des sources importantes est également
le transport humain (transport terrestre et aérien, navigation par
voies fluviales et maritimes). Ces sources ne seront pas approfondies
davantage, car les phénomènes liés aux métaux pourraient donner
lieu à une étude spécifique pour chaque source d’émission et métal
ou font déjà l’objet de telles études spécifiques.
11. Outre leur présence naturelle dans l’écorce terrestre et leurs
utilisations industrielles, beaucoup de métaux sont présents dans
l’environnement humain plus directement, sans que cela soit forcément
connu par tous. Le tableau ci-dessous indique quelques sources de
métaux directement en contact avec l'être l’humain. Cet aperçu montre
qu’il serait une erreur de penser que certaines personnes ne seront
pas concernées par la problématique parce qu’elles n’ont pas d’amalgames
dentaires ou ne travaillent pas dans une entreprise travaillant
les métaux, étant donné que d’autres sources sont susceptibles de
les mettre en contact avec des métaux toxiques.
12. Présence de métaux dans l’environnement humain direct (liste
non exhaustive)
:
Aluminium
|
Canettes de boissons, médicaments (vaccins, pansements
gastriques, céramiques orthopédiques et dentaires, colles médicales),
cosmétiques, crème solaire, dentifrice, déodorants, casseroles,
papier aluminium utilisé en cuisine;
Chaîne alimentaire:
eau potable, légumes, additifs alimentaires (biscuits, produits
laitiers et autres produits sucrés)
|
Arsenic
|
Chaîne alimentaire: eau potable (dépôts minéraux
naturels), légumes, notamment laitues, fruits de mer
|
Cadmium
|
Produits céramiques en contact avec les denrées
alimentaires, cigarettes et fumées de cigarette, piles;
Chaîne
alimentaire: eau potable, légumes, fruits de mer, foies et reins
d'animaux
|
Mercure
|
Production de chlore, extraction d'or, piles,
appareils de mesure, amalgames dentaires, fumée de cigarette;
Chaîne
alimentaire: poissons (espadons, thons, raies et requins)
|
Nickel
|
Bijoux, pièces de monnaie;
Chaîne
alimentaire: eau potable, mollusques, chocolat, soja, noix, farine
d’avoine
|
Plomb
|
Batteries et accumulateurs, peintures anciennes
|
Zinc organique
|
Suppléments vitaminiques, écrans solaires, déodorants,
produits de pied d’athlètes, shampooings antipelliculaires
|
13. La problématique liée à certains métaux lourds est
prise en considération dans les agendas politiques, au moins dans
certaines régions du monde. L’activité minière destinée à extraire
le mercure est de plus en plus remplacée par le recyclage du mercure.
Ainsi la production primaire mondiale de l’ordre de 3 000 tonnes
par an (à partir du minerai cinabre) est actuellement doublée par
la production secondaire, à partir de la valorisation de déchets,
cela certainement pour des raisons économiques, mais aussi liées
à l’environnement (même si la principale source de pollution provient
des centrales thermiques au charbon)
. L’Union européenne
a présenté une ambitieuse stratégie sur le mercure en 2005, actuellement
révisée
, et de nombreux pays
semblent prêts à signer un futur traité international contraignant.
14. Néanmoins, certaines voies industrielles prises récemment
encore semblent plutôt contre-productives par rapport à l’élimination
du mercure: un secteur fortement consommateur de mercure est celui
des ampoules à basse consommation dites «écologiques» qui peuvent
contenir de 3 à 5 mg de mercure. Par ailleurs, la décision d’interdire
l’exploitation du mercure au sein de l’Union européenne (à partir
du 15 mars 2011), a entraîné la reprise de son exploitation artisanale
et clandestine en Chine, Russie, Mongolie et d’autres pays. En dehors
de la baisse substantielle de ses propres émissions, l’Europe doit
prendre ses responsabilités face à une pollution mondiale qui ne
baisse pas
.
15. Un autre métal par rapport auquel des mesures radicales ont
été prises depuis des années est le plomb: encore utilisé très largement
dans l’industrie, l’imprimerie et les peintures pendant la première
moitié du XXe siècle, beaucoup d’utilisations industrielles ont
ensuite été supprimées, y compris les carburants automobiles (où
le plomb est prohibé presque mondialement aujourd’hui). Il reste
en revanche encore présent dans les batteries et accumulateurs,
les produits industriels en plomb et l’industrie chimique, sans
parler des bâtiments dans les grandes agglomérations où les peintures
anciennes sont encore bien présentes (voir la section 2.3 ci-dessous).
2.2. Pourquoi les effets des métaux lourds sont-ils
sous-estimés ou non suffisamment pris en compte?
16. Les métaux lourds, comme d’autres substances toxiques,
apparaissent rarement dans des doses suffisamment fortes pour déclencher
des maladies immédiates. Ils sont consommés à faible dose, mais
de manière continue, et s’accumulent dans différents organes du
corps humain où ils deviennent des «bombes à retardement». Par ailleurs,
selon certains experts, le corps humain sain peut gérer des faibles
doses de métaux lourds et les éliminer sans développer des réactions
particulières. Il est certain que les personnes ne réagissent pas
de la même manière à une exposition aux métaux lourds, en fonction
de leurs prédispositions génétiques et leur état de santé. Ainsi,
le lien entre cause et effets est souvent difficile à établir.
17. Certaines substances n’auront pas d’effet à elles seules,
mais réagissent l’une avec l’autre, et ce sont les combinaisons
de métaux lourds et d’autres produits chimiques qui deviennent des
«cocktails» dangereux dont les effets combinés sont encore peu étudiés
et connus aujourd’hui. De la même manière, il est difficile d’analyser
l’interaction, dans le corps humain, des métaux lourds et des bactéries
buccales ou intestinales. En conséquence, l’ampleur des effets directs
ou indirects des métaux lourds est difficile à évaluer et des réponses scientifiques
et médicales ciblées manquent aujourd’hui.
18. Parfois, des idées préconçues basées sur un manque de connaissances
scientifiques peuvent persister; un exemple concerne les substances
toxiques de manière plus générale: le formaldéhyde, souvent craint comme
substance nocive pour l’environnement et la santé, ne figure qu’au
rang 244 des substances dangereuses, alors que l’arsenic, le plomb
et le mercure se trouvent aux trois premiers rangs, et le cadmium au
septième. Malgré ces hiérarchies scientifiquement établies sur la
base d’indicateurs combinés
,
les métaux lourds et d’autres substances sont difficiles à mesurer
et à identifier chez l’individu. Leurs traces peuvent apparaître
dans le sang ou l’urine, mais ils s’accumulent généralement dans
d’autres organes du corps humain où ils peuvent générer des maladies
sérieuses, souvent de caractère chronique.
19. Enfin, les informations scientifiques qui peuvent exister
par rapport aux métaux lourds ne sont pas reconnues par tout le
corps médical et ne sont en tout cas pas mises en pratique systématiquement
dans la médecine actuelle. Ainsi, les connaissances du personnel
médical dans beaucoup d’Etats membres en matière de métaux lourds
et leurs effets prouvés ou soupçonnés sur la santé sont encore très
limités aujourd’hui. Ce contexte ne facilite pas non plus les contre-mesures
à prendre face aux risques sanitaires des métaux lourds. Finalement,
et sans vouloir approfondir cet aspect ici, des intérêts économiques
puissants contribuent certainement au fait que les métaux lourds
continuent à être utilisés dans beaucoup de contextes, parfois faute
d’alternatives, parfois pour éviter des coûts d’investissement conséquents
(liés à des changements des procédés industriels en place).
2.3. Risques sanitaires des métaux: connaissances actuelles
en la matière et premières réponses politiques
2.3.1. Aperçu général des effets sanitaires des métaux
20. Une exposition permanente à des petites doses de
métaux lourds peut déclencher de nombreuses réactions chez l’être
humain. Parmi les premières se trouvent les maladies cardio-vasculaires,
telles que l’artériosclérose ou la thrombose, comme une étude récente
de la Corée du Sud a encore une fois pu le démontrer en ce qui concerne
le mercure
.
Il a également été prouvé, par de nombreuses recherches et expériences,
que les métaux lourds peuvent contribuer à des pathologies immunologiques
telles que la sclérose en plaques ou d’autres défauts du système
immunitaire (inflammations chroniques, effets immunosuppressifs,
allergies). Ils ont aussi tendance à perturber les systèmes reproducteur
et endocrinien (comprenant tous les organes/glandes possédant une
fonction de sécrétion d’hormones) et avoir des effets cytotoxiques
(effets destructeurs sur les cellules). Des effets neurotoxiques
surviennent directement quand les métaux lourds franchissent la
barrière encéphalique, provoquant des atteintes du système nerveux
central telles que les maladies de Parkinson et d'Alzheimer et,
chez le fœtus, un dérèglement du développement cérébral.
21. Une maladie qui, en français, est même nommée d’après un métal
lourd, en raison du lien qu’elle présente avec lui, est le saturnisme,
correspondant à une intoxication aiguë ou chronique par le plomb
(la planète Saturne étant le symbole du plomb en alchimie). A la
différence de la plupart des métaux, le plomb n'a aucun rôle connu
dans l'organisme humain et il est connu pour être toxique au niveau
cellulaire quelle que soit sa concentration. Le jeune enfant est
plus exposé à l’intoxication que l’adulte en raison de son comportement spécifique
(tout porter à la bouche), sa plus grande sensibilité et le développement
en cours de son organisme où le plomb peut provoquer des retards
irréversibles; il en est de même avec le fœtus et l'embryon qui,
en cas d’intoxication de la mère, sont intoxiqués à travers le placenta.
En France, par exemple, un certain nombre d’enfants étaient encore
ces dernières années intoxiqués par le plomb, qui se trouve dans
les peintures anciennes (notamment les immeubles construits avant
1949): 213 nouveaux cas de saturnisme ont été détectés en 2007,
dont 116 chez des enfants de moins de 6 ans. 70 % des cas se trouvaient
en région Ile-de-France, et 70% d’entre eux étaient effectivement
liés aux peintures anciennes
.
Aujourd’hui, malgré l'interdiction du plomb dans les peintures et
de l'essence dans de nombreux pays, des cas graves de saturnisme
(ou d’autres pathologies liées au plomb) persistent dans la plupart
des grandes villes et régions industrielles.
22. Comme évoqué plus haut, les risques sanitaires des métaux
lourds dépendent aussi de la sensibilité de chaque personne: ainsi
les prédispositions génétiques, l’âge et l’état général de santé
entrent en ligne de compte pour les effets que les métaux lourds
peuvent avoir sur un patient, et ces derniers deviennent des cofacteurs
pour le développement de certaines pathologies. Cela peut mener
à des interprétations diverses sur la toxicité des métaux lourds
qui peuvent avoir des effets dévastateurs chez les uns et aucun
effet mesurable chez les autres. Le tableau suivant donne des exemples
de pathologies organiques neurologiques et physiques qui peuvent
être causées, entre autres, par la co-influence de métaux potentiellement
toxiques.
23. Effets soupçonnés ou prouvés de métaux sur la santé humaine
(liste non exhaustive):
Métal
|
Maladies organiques
|
Effets neurologiques
et psychiatriques
|
Aluminium
|
Douleurs articulaires, décalcification des os, anémie
|
Démence, Alzheimer, Parkinson, Encéphalopathie avec
des perturbations de mémoire, de concentration et de mobilité
|
Arsenic
|
Diabète de type 2
|
Atteintes au système nerveux, menant à des faiblesses,
surdité, paresthésies, psychoses organiques avec somnolence, troubles,
stupeur, délires, schizophrénie
|
Cadmium
|
Lésions rénales et pulmonaires, fragilisation
des os, anémies, augmentation du risque de cancer en cas d’inhalation
|
Aucune référence trouvée à ce stade
|
Mercure
|
Lésions du cerveau, maladies auto-immunes (arthrite
rhumatique, lupus, sclérose en plaques) , maladies
cardio-vasculaires (hypertension et autres), cancer du foie
|
Diminution de l’intelligence, troubles de la parole, agitation,
agressivité, troubles visuels et auditifs, polyneuropathie, myasthénie
grave, Alzheimer
|
Nickel
|
Allergies, dermatites, eczémas
|
Maux de tête, vertiges, manque de sommeil
|
Plomb
|
Effets hématologiques et cardio-vasculaires (hypertension) , atteintes rénales
|
Dépressions allant jusqu’au suicide, manque d’attention,
atteinte à l’intelligence visuelle et aux fonctions motrices, troubles
de mémoire, difficultés d’apprentissage, états de fatigue, agitation, agressivité,
psychoses, hallucinations, polyneuropathie périphérique, encéphalopathie, saturnisme
|
Zinc organique
|
Crampes d’estomacs, nausées, vomissements, anémie,
dommages au pancréas
|
Œdème cérébral avec nausées, vomissements, vertiges,
troubles visuels, crampes, manque de mémoire, fatigue, manque d’intérêt,
maux de têtes, troubles de sommeil
|
24. Il convient de préciser que toutes les informations
données ci-dessus concernant les sources et les effets éventuels
des métaux sur la santé ne sont pas présentées de manière systématique,
étant donné que la causalité entre l’exposition à un métal et la
survenue de certaines pathologies est extrêmement délicate à établir.
Ainsi, il n’y a pas de distinction entre les effets sanitaires des
métaux provenant de sources industrielles et ceux où le contact
humain est plus direct. La présentation des différentes sources,
voies d’exposition et effets sanitaires est faite sans classification
formelle dans le but d’illustrer la complexité, la gravité et l’envergure
du phénomène. Ne sont pas non plus approfondis les effets sanitaires
du manque de certaines substances telles que le zinc qui doit surtout
être consommé de manière suffisante par les femmes enceintes et
les jeunes hommes.
25. Les effets potentiels des métaux lourds, déjà effrayants chez
l’adulte, sont plus graves encore chez les enfants: exposé à des
doses comparables de toxines, l'organisme d'un fœtus, d'un bébé
ou d'un enfant réagit forcément davantage que celui d'un adulte.
Au cours des premiers mois et des premières années de sa vie, les
organes d'un enfant se développent rapidement, ce qui l'expose davantage
aux troubles fonctionnels. Le système nerveux poursuit son développement
tout au long de la croissance des enfants, et ces derniers sont donc
particulièrement sensibles aux composés chimiques toxiques présents
dans leur environnement personnel, dans la nourriture et dans l'eau
.
Les métaux lourds peuvent également atteindre le fœtus par le biais
d’une exposition prolongée des femmes enceintes à la fumée de cigarette
qui contient du cadmium. Dans le cadre du projet de recherche intégré
PHIME de l’Union européenne (6e programme-cadre), il a par ailleurs été
constaté que le niveau d’exposition au plomb à partir duquel il
pourrait y avoir un effet sur l’intelligence des enfants serait
beaucoup plus bas que celui qui était estimé jusqu'à présent. Les
chercheurs européens associés au projet PHIME en concluent que les
efforts pour éliminer les sources de pollution au plomb doivent se
poursuivre sans relâche. Des revendications similaires sont formulées
pour d’autres métaux lourds: lors d’un colloque international tenu
à l’Agence européenne pour l’environnement à Copenhague le 10 février
2011, les experts PHIME ont présenté les résultats essentiels de
leurs travaux de cinq ans sous le titre «Effects of exposure to
metals: no margin of safety in Europe» (traduction française non
officielle: Effets de l'exposition aux métaux: aucune marge de sécurité
en Europe)
.
26. Les professionnels scientifiques et médicaux font actuellement
face à de nombreux défis auxquels toutes les réponses sont loin
d’être trouvées: comment identifier et mesurer les métaux lourds
dans le corps humain à un stade préliminaire et donc bien avant
que les effets négatifs puissent se matérialiser; comment identifier
leur présence dans des organes vitaux où ils causent le plus de
dégâts; quelles sont les quantités à partir desquelles un traitement
médical devrait être déclenché; quelle approche thérapeutique faudrait-il suivre (attaquer
le problème à la source si possible, détoxifier par des méthodes
innovantes même si elles ne sont pas validées par tous les professionnels,
etc.)? Il est essentiel que les recherches scientifiques dans le domaine
puissent se poursuivre et soient politiquement soutenues par tous
les Etats membres dans le cadre de leurs politiques de santé publique,
tout en reconnaissant pleinement l’influence des métaux lourds comme un
problème de santé publique.
2.3.2. Nous sommes tous concernés: le débat controversé
sur les amalgames dentaires
27. C’est notamment autour des amalgames dentaires, qui
sont composés de mercure jusqu’à 50 %, que le débat reste controversé.
Dans la plupart des pays en Europe et dans le monde, les amalgames
continuent à être utilisés comme matériau d’obturation dentaire.
Cependant, certains pays européens comme l’Allemagne, l’Autriche
ou la Russie ont restreint l’utilisation des amalgames, alors que
le Danemark, la Norvège et la Suède l’ont même interdit en 2008-2009
.
Le débat est actuellement mené de manière très vive en France, sans
doute le plus gros consommateur d’amalgames européen
, raison pour laquelle
les arguments avancés dans ce pays serviront d’exemple. Ainsi, les
représentants français des différentes positions contre et en faveur
d’une utilisation continue des amalgames dentaires ont été présents
lors d’un débat «controversé» sur ce thème qui s’est tenu le 23
mars à Paris au sein de la sous-commission de la santé.
28. Marie Grosman, professeure agrégée en sciences de la vie,
conseillère de l’association «Non au mercure dentaire» et membre
du Réseau environnement santé (RES), intervenant au nom de l’Association toxicologie-chimie
(ATC), a exigé que l’utilisation du mercure dans les soins dentaires
soit abandonnée dans les meilleurs délais possibles pour des raisons
environnementales et sanitaires. Selon elle et les chercheurs avec
qui elle collabore, il est avéré que les amalgames constituent la
première source d’exposition au mercure pour les pays développés,
y compris des embryons, des fœtus (via le placenta
)
et des enfants (via l’allaitement). L’exposition au mercure dentaire
peut avoir de graves conséquences sur la santé des patients et des
professionnels dentaires, et l’exposition précoce (grossesse, allaitement)
à de faibles doses de mercure augmente le risque de diminution du
quotient d’intelligence (QI) chez les enfants.
29. Selon l’Organisation mondiale de la santé en 2005, certaines
études auraient révélé qu’il n'existerait pas de seuil en dessous
duquel il ne se produirait pas d'effets indésirables du mercure
.
A travers diverses études scientifiques, des effets génotoxiques,
neurotoxiques, immunotoxiques, reprotoxiques, embryotoxiques et perturbateurs
endocriniens lui ont été attribués, et il a été prouvé que le mercure
se retrouve, par bioaccumulation, dans différents organes du corps
humain (sang, cortex cérébral, hypophyse, thyroïde). Plus récemment,
il semble de plus en plus évident que le mercure pourrait être l’une
des multiples causes de la maladie d’Alzheimer. Ainsi, la réponse
fortement conseillée des chercheurs serait d’agir selon le principe
de précaution et d’abandonner immédiatement l’utilisation du mercure
au lieu d’attendre des preuves irréfutables en la matière
.
30. En France, les experts critiques exigent par ailleurs que
tous les matériaux dentaires soient soumis à des tests de toxicité.
Ils partent du principe que le mercure serait d’emblée exclu de
par ses effets toxiques avérés. Ils appellent à une information
complète auprès des patients qui devraient d’abord donner leur consentement
avant de recevoir des obturations dentaires en amalgame. Ils rappellent
enfin le coût réel élevé de l’utilisation des amalgames qui, par
leurs conséquences sur la santé des patients et des professionnels, pèse
lourd sur les systèmes de santé. Selon des études européennes, entre
60 et 90 tonnes de mercure issues des cabinets contamineraient ainsi
chaque année l’atmosphère, les eaux de surface et les sols d’Europe
. Enfin, les experts français critiquent
l’attitude incohérente des autorités françaises en la matière: alors
qu’elles s’opposent officiellement à l’arrêt du mercure dentaire
dans l’Union européenne, le Plan national santé-environnement (2009-2013)
cible le mercure comme une des substances les plus préoccupantes
dont il faut réduire de 30 % les rejets et l’exposition de la population
d’ici à 2013.
31. Face à cette critique fervente du mercure, l’Association dentaire
française (ADF) reste, depuis des années, sur une position plus
nuancée par rapport à la question: selon elle, l’amalgame dentaire,
utilisé depuis 150 ans environ, reste le matériau d’obturation présentant
le risque le plus faible, et aucun fait pathologique grave n’aurait
été constaté ou scientifiquement prouvé à ce jour
.
Le professeur Michel Goldberg, chercheur à l’INSERM et représentant
de l'ADF, défend la position prise par l’Agence française de sécurité
sanitaire des produits de santé (AFSSAPS), confirmé par les travaux
européens de la commission SCENIHR (Scientific Committee on Emerging
and Newly Identified Health Risks
– voir
infra), dont il faisait partie dans
les deux cas: selon les conclusions de l’AFSSAPS, «l’amalgame reste
le matériau le mieux adapté pour la restauration des dents permanentes
postérieures en cas de prévalence carieuse élevée et de lésions
multiples et étendues, notamment chez l’enfant, l’adolescent et
l’adulte jeune»
.
32. L’AFSSAPS souligne par ailleurs que les matériaux alternatifs
à l’amalgame restent plus complexes et plus coûteux à mettre en
œuvre avec une longévité moindre. Pour certains des nouveaux matériaux synthétiques
d’obturation dentaire, des effets sanitaires non désirables auraient
aussi été identifiés
. Par ailleurs, des études américaines
auraient démontré que les amalgames dentaires n’auraient aucun effet
sur le développement cérébral d’enfants porteurs (au-delà de 7 ans
d’âge)
.
Néanmoins, le professeur Michel Goldberg rappelle que «les 40 000
dentistes français en utilisent de moins en moins pour deux raisons:
les remous autour du mercure les ont incités à adopter le principe
de précaution, et pour des raisons esthétiques»
.
Enfin, même selon les experts moins critiques envers le mercure,
la pose et dépose d’amalgames dentaires serait fortement déconseillée
pour les femmes enceintes, alors que le mercure transmis par le
lait maternel se trouverait à un niveau tellement faible qu’aucun
effet adverse n’a pu être mis en évidence.
33. Au-delà des stratégies et discussions nationales, le futur
du mercure fait actuellement l’objet de débats menés aux niveaux
européen et mondial. La Commission européenne est en train d’entreprendre
la révision de sa stratégie communautaire sur le mercure. Dans ses
conclusions communiquées à la 3075e réunion du Conseil environnement
à Bruxelles le 14 mars 2011, le Conseil de l’Union européenne rappelle
l’importance de réduire les émissions de mercure et définit comme
but d’abandonner l’utilisation du mercure dans tous les produits.
En revanche, quant à l’utilisation du mercure dans les soins dentaires,
le Conseil fixe à la Commission l’objectif relativement modeste
de considérer, si nécessaire, le besoin éventuel de mesures destinées
à réduire l’impact environnemental du mercure dans les amalgames
dentaires, sur la base de recherches précédentes dont les résultats
sont attendus pour la fin 2011. Avec un tel objectif, le Conseil
semble rester fidèle aux conclusions tirées par la commission SCENIHR,
mandaté par la Commission européenne qui, seulement en 2008, a conclu
que «l’amalgame dentaire est un matériau d’obturation efficace et
peut être considéré comme un matériau de choix pour nombre de restaurations
(…). La conclusion est qu’il n’existe pas de risques d’effets systémiques
néfastes»
.
34. Le rapporteur se félicite du débat actif au niveau de l’Union
européenne, mais considère que face aux preuves scientifiques avérées,
les Etats membres de l’Union européenne et de la Grande Europe représentée par
le Conseil de l’Europe devraient soumettre la question des amalgames
dentaires à un regard plus critique et saisir cette unique chance
pour lutter contre le fléau des effets sanitaires du mercure. L’Europe
devrait par ailleurs se positionner comme précurseur concernant
l’élimination du mercure et leader dans les négociations en cours
dans le cadre du Programme des Nations Unies pour l’environnement
(PNUE) en vue de l’élaboration d’un instrument contraignant concernant
le mercure pour 2013. Un tel positionnement a été récemment exigé par
la délégation suédoise auprès de l’Union européenne, qui considère
qu’une lutte efficace des effets néfastes du mercure passe tout
d’abord par une harmonisation et une cohésion européenne en la matière,
un argument que le rapporteur souhaiterait fortement soutenir
.
Enfin, un développement tout récent et susceptible de changer le
débat mondial sur les amalgames est l’annonce du Gouvernement des
Etats-Unis, dans le cadre des négociations susmentionnées, qu’il
supportera la diminution progressive
(phase
down) de l’utilisation des amalgames dentaires, avec
le but d’abandonner complètement, à long terme, leur emploi
(phase out) .
35. Pour compléter le contexte de ce débat, il est important de
soulever que les alliages employés en dentisterie semblent également
jouer un rôle dans la genèse d’un autre problème: l’électrosensibilité.
Ce phénomène serait, apparemment, dû à la présence simultanée du
mercure avec différents autres métaux en bouche (nickel, cobalt,
chrome, or, etc.) – combinaison qui crée des courants électriques
(galvaniques) mesurables, créateurs de champs électromagnétiques
perturbateurs. Les personnes porteuses d'amalgames seraient ainsi
plus sujettes aux perturbations électromagnétiques de l'environnement,
car les métaux en bouche agiraient comme corps de résonance
.
Sans vouloir approfondir cette question ici, il est fait référence au
rapport «Le danger potentiel des champs électromagnétiques et leur
effet sur l’environnement»
préparé par
votre rapporteur dans le cadre de la commission de l’environnement,
de l’agriculture et des questions territoriales, qui devrait également
être débattu par la Commission permanente en mai 2011.
3. Conclusions – recommandations
36. La prise de conscience et les réactions des responsables
politiques par rapport à des phénomènes relativement nouveaux en
matière de santé publique sont souvent trop tardives, trop lentes
et insuffisantes. Face aux métaux lourds dont la toxicité est de
plus en plus mise en évidence, les politiques sanitaires devraient suivre,
à tous les niveaux, le principe de précaution et supprimer ces substances
de toutes les utilisations possibles avant de mener des recherches
plus pointues. Ainsi, les mesures prises pour protéger la vie et
la santé de tous les citoyens européens contre les effets des métaux
lourds devraient explicitement tenir compte du droit de chaque personne
à un environnement sain.
37. Les connaissances scientifiques et médicales sur les métaux
lourds ont certainement atteint un niveau tel qu’il n’est plus justifié
de nos jours de retarder toute action concrète visant à réduire
ou éliminer leurs risques et leurs conséquences sanitaires. Certaines
problématiques déjà bien recherchées appellent à une action rapide,
telle que celle des amalgames dentaires qui ont déjà été interdits
par plusieurs pays européens entre-temps. C’est aussi un des domaines
qui illustrent bien dans quelle mesure nous sommes tous concernés,
étant donné qu’une grande partie de la population mondiale est porteuse
de tels produits. Ainsi, rien que pour la France, par exemple, l’Agence
française de sécurité sanitaire des produits de santé estime dans
un rapport en 2005 qu’environ 14 millions d’amalgames étaient réalisés
chaque année, et que la plupart des Français de plus de 30 ans en
ont
.
38. Face aux arguments contradictoires avancés par différents
chercheurs et même si une action immédiate est recommandée dans
certains domaines, comme pour le mercure dentaire, le rapporteur
conclut, en revanche, que les recherches devront se poursuivre.
Elles doivent être intensifiées concernant des aspects spécifiques,
tels que les interactions de substances diverses ou leurs réactions
dans et avec le corps humain, et doivent se poursuivre et se renforcer
pour mieux connaître les effets sur l’environnement et la santé humaine,
et pour identifier les réponses appropriées et employer des moyens
efficaces. Très liées au problème des métaux lourds, les recherches
devraient également être renforcées concernant les nanoparticules
de métaux (contenant souvent du zinc, de l’argent ou du titane)
dont certains effets sur la santé humaine commencent à être identifiés
.
39. Les stratégies préventives de santé visant à réduire l'exposition
humaine aux métaux lourds et à mieux prendre en compte l’influence
de ces derniers dans toute approche thérapeutique devraient figurer
parmi les priorités politiques des Etats membres du Conseil de l'Europe.
Pour soutenir de telles stratégies de santé innovantes, l’Assemblée
devrait recommander aux Etats membres de prendre les mesures suivantes:
- définir les métaux lourds et
les risques sanitaires qu’ils entraînent comme des priorités de
santé publique au niveau national, tout en mettant l’accent sur
la prévention de maladies chroniques générées par de telles substances
et en renforçant le principe de précaution, en abandonnant dans
les meilleurs délais possibles certaines utilisations des métaux
lourds;
- interdire ou restreindre l’utilisation des métaux lourds
les plus toxiques (à l’instar de la suppression du plomb de l’essence)
dans les secteurs de l’agriculture et de l’industrie, notamment
en ce qui concerne la production des produits alimentaires et des
biens de consommation qui amènent les métaux lourds dans l’environnement
direct de chaque être humain;
- soutenir la recherche médicale, y compris une veille scientifique
systématique et complète en la matière afin de consolider les connaissances
des effets déjà identifiés, par exemple sur les maladies chroniques, et
les compléter par des connaissances sur des phénomènes encore peu
recherchés (effets combinés de substances, facteurs contribuant
à la vulnérabilité de personnes, etc.), ainsi que sur les approches thérapeutiques
à suivre (nouvelles méthodes de détoxification, etc.);
- collaborer avec des organisations internationales, telles
que l’Organisation mondiale de la santé, en vue d’une harmonisation
des politiques et standards internationaux en la matière, et promouvoir
une telle évolution au sein de l’Union européenne en ce qui concerne
les Etats membres qui en font partie;
- promouvoir une information largement diffusée concernant
les effets sanitaires des métaux lourds, pour permettre, dorénavant,
à tous les professionnels et consommateurs, de faire des choix éclairés
sans attendre des mesures politiques plus radicales (choix de méthodes
de traitements médicaux, de produits de consommation et alimentaires,
de moyens de transport, etc.).
40. Enfin, les Etats membres du Conseil de l’Europe devraient
faire en sorte que l’Europe devienne précurseur en matière de politique
de santé innovatrice et d’harmonisation des réponses politiques
au problème des risques sanitaires des métaux lourds, et leader
des négociations internationales visant à la préparation d’un instrument
international contraignant sous l’égide du Programme des Nations
Unies pour l’environnement.