1. Le rapporteur souhaite en premier lieu adresser ses
félicitations à Mme Brasseur, rapporteur de la commission des questions
politiques, qui a préparé un rapport fondé sur des éléments factuels
solides.
2. Bien que les questions sur lesquelles la commission des migrations,
des réfugiés et de la population émet cet avis puissent sembler
nouvelles, l’Assemblée parlementaire, à de nombreuses reprises,
s’est intéressée de manière approfondie aux problèmes associés aux
migrants roms en Europe.
3. Le discours politique n’a donc rien de nouveau. D’ailleurs,
depuis plusieurs années, les migrants roms sont souvent visés par
les politiques et les discours sécuritaires en Europe. Ces discours
résultent parfois en l’expulsion pure et simple de Roms installés
dans des Etats membres (le plus souvent dans des Etats membres de
l’Union européenne). C’est sur la question des expulsions et des
retours (plus ou moins volontaires), pour laquelle notre commission
est compétente, que se penchera cet avis. Le rapporteur se réfère
également au rapport de M. Pupovac relatif aux demandeurs d’asile
roms en Europe
.
Les conclusions de ce rapport, particulièrement pertinentes pour
cet avis, ne seront pas reprises ici mais méritent d’être prises
en compte.
4. Quelques statistiques permettront de se faire une idée du
phénomène.
5. On rapporte que, au premier semestre 2010, 1 625 Roumains
ont été expulsés depuis 18 pays européens vers la Roumanie. Durant
cette période, 581 Roumains auraient été expulsés de France, 350 d’Italie,
260 de Belgique, 121 du Danemark, 72 du Royaume-Uni et 62 d’Allemagne
.
Nous ne disposons pas de chiffres précis sur le nombre de Roms parmi
ces personnes, mais il est fort probable qu’ils soient largement majoritaires.
Plus précisément, selon le ministère français des Affaires étrangères
et européennes, en ce qui concerne les départs de France, du 28
juillet au 27 août 2010, 881 Roumains (83 % de départs dits «volontaires»)
et 98 Bulgares (100 % de départs dits «volontaires») ont été concernés.
Au total, depuis le début de l’année, 7 377 Roumains (85 % dits
«volontaires») et 951 Bulgares (82 % dits «volontaires») ont été concernés
. Le rapport de
la commission des questions politiques fait également état de cas
d’expulsions de Roms au Danemark, en Italie et en Suède. Dans ces
pays aussi, on observe qu’un discours sécuritaire, faisant l’amalgame
entre les Roms migrants et les criminels, s’est accru ces derniers
temps.
6. Notre commission a à cœur de rappeler régulièrement que les
migrants ont des droits, qui doivent être garantis, mais qu’ils
ont également des responsabilités qu’ils se doivent de remplir.
Dans ce contexte, le rapporteur souhaite souligner qu’on ne peut
nier que certains Roms se livrent à des activités criminelles, dans une
proportion sans doute comparable à celle observée en général dans
le reste de la population dans les milieux défavorisés. C’est un
problème auquel les gouvernements doivent remédier en punissant
les criminels. Pour autant, l’activité criminelle de certains membres
d’une communauté ne saurait servir de prétexte pour jeter l’opprobre
sur la communauté concernée dans son ensemble.
7. En ce qui concerne les développements récents en France
,
le Gouvernement français a allégué que les expulsions étaient simplement
une mesure d’ordre public visant à prévenir l’immigration illégale.
A plusieurs reprises, des assurances ont été données selon lesquelles
aucun groupe ethnique n’était visé en particulier.
8. Malgré ces assurances, une circulaire émanant du ministère
de l’Intérieur français datée du 5 août 2010 indiquait: «Le Président
de la République a fixé des objectifs précis, le 28 juillet dernier,
pour l’évacuation des campements illicites: 300 campements ou implantations
illicites devront avoir été évacués d’ici à trois mois, en priorité
ceux des Roms.» Cette déclaration est sans équivoque. Dès qu’elle
a été rendue publique, la France a cependant annulé et remplacé
cette circulaire par une nouvelle circulaire en date du 13 septembre
et ne comprenant pas d’élément discriminatoire.
9. Il est important de souligner que le déplacement de Roms d’Europe
de l’Est vers l’Europe de l’Ouest est le résultat de conditions
de vie particulièrement précaires, voire parfois purement scandaleuses,
auxquelles les Roms sont confrontés dans leurs pays d’origine
.
Le rapporteur se félicite que la France (et d’autres pays européens)
ait pour objectif de travailler avec les Etats concernés et les
institutions européennes à l’intégration sociale des Roms dans les
pays dont ils sont les citoyens. Les Etats devraient d’ailleurs
faire un usage plus extensif et plus efficace du Fonds social européen
pour l’intégration des Roms ainsi que des «prêts–projets» octroyés
par la Banque de développement du Conseil de l’Europe
.
Récemment, l’Assemblée – choquée par ce qu’elle a qualifié de bilan
«honteux si l’on considère la quantité de papier – et d’argent –
consacrée à améliorer la situation des Roms à tous les niveaux»
– a adopté dans sa
Résolution
1740 (2010) des recommandations fermes à l’attention
de ses Etats membres en vue d’améliorer la situation des Roms en Europe.
10. Pourtant, selon le rapporteur, il serait par trop simpliste
de réduire la «question rom» à une question d’immigration et, de
surcroît, de sécurité publique.
11. Pour ce qui est de la question rom, les chiffres
parlent d’eux-mêmes:
sur une population rom estimée à 400 000 personnes en France, seules
10 000 à 12 000 sont des Roms migrants (originaires à 80 % de Roumanie).
Les migrants représentent donc une partie infime – pas même 1 %!
– de la population rom de France. En Grèce et en Espagne, les ordres
de grandeur sont proches de ceux observés en France, avec respectivement
environ 10 000 Roms migrants pour une population rom estimée entre
250 000 et 300 000 personnes, et 30 000 Roms migrants pour une population
rom estimée entre 650 000 et 800 000 personnes. En Italie, les estimations
sont plus équilibrées avec une population rom atteignant entre 120 000
et 170 000 personnes, dont 70 000 migrants (ou enfants de migrants).
12. La dimension criminelle de la question est aussi souvent exagérée.
Personne ne prétend qu’aucun Rom n’est criminel. Nous l’avons déjà
évoqué plus haut
,
comme dans le reste de la population, certains Roms exercent des
activités criminelles qui doivent être traitées et sanctionnées.
Mais, comme dans le reste de la population migrante, dans l’immense
majorité des cas, les migrations roms sont familiales et sont exemptes d’activité
criminelle. On peut légitimement s’interroger sur le bien-fondé
de l’action menée par le Gouvernement français, qui a réagi à des
troubles à l’ordre public provoqués par des Roms de nationalité française
en expulsant des Roms étrangers. On le sait, les migrants – qui
plus est roms – se retrouvent souvent, à leurs dépens, dans la peau
du bouc émissaire.
13. Le rapporteur n’entend pas remettre en cause le droit qu’a
un Etat d’expulser de son territoire des étrangers s’y trouvant
en situation irrégulière. Cependant, il est important de rappeler
aux Etats membres leurs obligations en la matière (sans pour autant
entrer dans le détail des dispositions pertinentes de l’Union européenne
en matière de libre circulation, lesquelles compliquent encore la
question).
14. Plusieurs dispositions de la Convention européenne des droits
de l’homme («la Convention») sont pertinentes en la matière. Conformément
à l’article 5 de la Convention, toute mesure d’expulsion doit être conforme
aux principes généraux de la Convention et donc exempte d’arbitraire.
L’article 4 du Protocole no 4 interdit, quant à lui, les expulsions
collectives d’étrangers
.
15. Or, comme l’a fait remarquer Viviane Reding, commissaire européenne
à la justice, aux droits fondamentaux et à la citoyenneté, il a
été choquant d’observer en France une situation qui donne l’impression que
des personnes sont renvoyées d’un pays (membre de l’Union européenne)
pour la simple raison qu’elles appartiennent à une certaine minorité
ethnique
.
C’est aussi, notamment, contraire aux dispositions de la Convention,
laquelle – rappelons-le – lie les Etats membres avec force obligatoire.
En prenant en compte l’article 14 (et l’article 1 du Protocole no 12),
le fait qu’un groupe d’étrangers fasse l’objet d’une expulsion collective
sur la base de son appartenance à une minorité équivaut à une discrimination
et est donc en violation avec la Convention également à ce titre.
16. Or, plusieurs observateurs internationaux ont évoqué l’hypothèse
selon laquelle la France aurait effectivement procédé à des expulsions
collectives. Le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (Haut-Commissariat
des Nations Unies pour les droits de l’homme) a noté que «des informations
font état de ce que des Roms ont été renvoyés de manière collective
dans leurs pays d’origine, sans que n’ait été obtenu le consentement
libre, entier et éclairé de tous les individus concernés»
.
On note à cet égard que le Comité européen des Droits sociaux du
Conseil de l’Europe s’est déjà prononcé en la matière et a constaté
– dans une affaire qui ne concerne pas la France – une violation
de l’article 19 de la Charte sociale européenne révisée (STE no 163)
du fait d’expulsions collectives
de facto de
migrants appartenant aux communautés roms et aux Gens du voyage
. Il
existe une réelle possibilité qu’une réclamation de ce type soit
déposée à l’encontre de la France dans un avenir proche.
17. Par ailleurs, l’article 1 du Protocole no 7 à la Convention
prévoit que des garanties procédurales doivent être respectées en
cas d’expulsion d’étrangers. La nécessité d’expulser une personne
pour des raisons d’ordre public ou de sécurité nationale doit être
établie au cas par cas et la décision d’expulsion doit être conforme
à la loi.
18. La décision du tribunal administratif de Lille, en date du
27 août 2010, mérite d’être mentionnée ici. Le tribunal a en effet
annulé quatre arrêtés de reconduite à la frontière pris par la préfecture
à l’égard de Roms qui avaient été évacués quelques jours auparavant
d’un terrain situé dans la région. Le tribunal a considéré que l’occupation
illégale d’un terrain communal ou privé «ne suffit pas à caractériser
l’existence d’une menace à l’ordre public» (motif qui aurait légalement
pu justifier la reconduite à la frontière).
19. Enfin, il convient de souligner que les expulsions de Roms
migrants se révèlent peu efficaces puisqu’on rapporte que les deux
tiers des personnes expulsées seraient d’ores et déjà revenues dans
le pays duquel elles ont été expulsées. Dans son rapport relatif
aux demandeurs d’asile roms en Europe, M. Pupovac constate également
qu’entre 70 et 75 % des Roms rapatriés au Kosovo
repartent après leur retour
. Force est
de constater que des fonds publics sont ainsi utilisés pour inciter
au retour, retour qui se révèle assez provisoire. Les enjeux dépassent
largement une simple question de gestion des flux migratoires.
20. Rappelons dans ce contexte que l’Assemblée a récemment adopté
des recommandations présentées par notre commission en matière de
programmes de retours volontaires des migrants en situation irrégulière
. La
Résolution 1742 (2010) insiste
notamment sur la nécessité de veiller à ce que ces retours soient effectivement
volontaires et à ce qu’ils s’accompagnent d’une aide à la réintégration.
Cette résolution est également pertinente lorsqu’il s’agit du retour
de Roms.
21. En conclusion, le rapporteur soutient pleinement la position
exprimée par Viviane Reding, selon laquelle il ne fait aucun doute
que ceux qui violent la loi doivent en subir les conséquences, mais
qu’il est tout aussi clair qu’aucun individu ne devrait être expulsé
pour la seule et unique raison qu’il ou elle est rom.
22. Cet avis – dans le cadre d’un débat selon la procédure d’urgence
– n’a pas eu pour ambition d’être exhaustif, mais les quelques éléments
essentiels que le rapporteur a soulignés ici démontrent la nécessité
de se pencher sur la question de manière plus approfondie. Le rapporteur
souhaite que la commission des migrations, des réfugiés et de la
population soit saisie pour préparer un rapport en bonne et due
forme sur la situation des migrants roms en Europe et sur les vagues
d’expulsion récemment observées dans les Etats membres. Ce rapport
aborderait la question de la circulation et des migrations des Roms
en Europe, ainsi que les politiques et la pratique en matière de
retour des Roms.