Imprimer
Autres documents liés

Rapport | Doc. 12556 | 28 mars 2011

Le surendettement des Etats: un danger pour la démocratie et les droits de l’homme

Commission des questions économiques et du développement

Rapporteur : M. Pieter OMTZIGT, Pays-Bas, PPE/DC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 12177, Renvoi 3671 du 26 avril 2010. 2011 - Deuxième partie de session

Résumé

La dette publique des Etats européens, qui a augmenté de manière dramatique en quelques années, continue de se creuser au risque de devenir insupportable. Dans la plupart des pays européens occidentaux, la dette souveraine a dépassé le plafond fixé par le Pacte de stabilité et de croissance (établi à 60 % du PIB) et pénalise lourdement les perspectives de développement. Les fondements mêmes des structures économiques européennes sont menacés et la qualité de vie des Européens s’érode rapidement.

Le rapport souligne la nécessité de réparer le système de gouvernance économique et politique qui n’a pas su prendre la juste mesure des risques et agir de manière responsable dans les années de prospérité. Les graves difficultés auxquelles sont confrontés les Etats du noyau dur de l’intégration européenne devraient déclencher une action plus concertée en matière de gouvernance politique et économique. Les Etats doivent exercer pleinement leur rôle de régulateurs clés et de garants de la primauté de droit qui sous-tend la démocratie, les droits fondamentaux et un fonctionnement sain de l’économie de marché.

Le rapport exprime la préoccupation que suscitent les dysfonctionnements des gouvernements en ce qui concerne la situation de la dette publique, déplorant des lacunes en matière de transparence et de prise de responsabilité. Il prône une interaction plus étroite et un échange d’informations plus intense entre les parlements nationaux, les gouvernements et les institutions de Bretton Woods, en particulier lorsque ces dernières sont sollicitées pour apporter leur assistance. Enfin, il invite les gouvernements des Etats membres à élaborer des stratégies graduées pour une stabilisation, puis une réduction, de la dette publique, tout en veillant, dans le même temps, à une répartition équitable des effets des mesures d’austérité sur toute la population, en épargnant aux groupes vulnérables le poids des ajustements.

A. Projet de recommandation 
			(1) 
			Projet
de recommandation adopté par la commission le 16 mars 2011.

(open)
1. Il ne peut y avoir de bonne gouvernance sans une saine gouvernance économique. Dans leur souci de rapprocher les nations européennes, plusieurs Etats ont défini les règles du Pacte de stabilité et de croissance, et misé sur le projet de l’euro. Néanmoins, la récente décennie, en particulier ces dernières années, a révélé une inquiétante incapacité de nombreux gouvernements européens à appliquer des politiques réglementaires prudentes et à maintenir la dette publique dans des limites raisonnables comme le pacte le prévoit. Un dangereux cercle vicieux de surendettement et d’importants déficits budgétaires, conjugués à une croissance économique anémique, menace aujourd’hui les fondements mêmes des structures européennes et la qualité de vie des citoyens européens.
2. La grande entreprise européenne est née de tragédies humaines et les crises lui ont permis d’évoluer. Les problèmes que rencontrent aujourd’hui les Etats qui forment le noyau dur de l’intégration européenne devraient leur donner l’élan pour agir de manière plus concertée en termes de gouvernance politique et économique. Il est absolument nécessaire de réparer le système économique qui n’a pas su prendre la juste mesure des risques et agir de manière responsable dans les années de prospérité. Certes, une grande part du pouvoir est passée aux mains des marchés financiers mondiaux et du secteur privé, mais l’Etat demeure le principal régulateur et garant de la primauté du droit qui sous-tend la démocratie, les droits fondamentaux et le bon fonctionnement de l’économie de marché.
3. L’Assemblée parlementaire craint que le courtermisme des décisions politiques nationales ait érodé la confiance du public dans les institutions de l’Etat, alimenté des spéculations sur la viabilité du modèle européen de protection sociale et suscité des tensions entre les secteurs public et privé. Les services financiers ont étendu excessivement leur emprise au détriment d’autres secteurs économiques, ce qui a engendré des déséquilibres macroéconomiques et des bulles financières. Si le renflouement de certaines banques se justifiait par la nécessité de préserver la stabilité économique, reste que dans l’ensemble, il n’est pas équitable de transférer la charge des pertes du secteur privé sur les Etats et, au bout du compte, sur tous leurs contribuables. Il faut remédier à cette distorsion du marché et à ce dysfonctionnement de la gouvernance, afin de prévenir des crises similaires à l’avenir.
4. L’Assemblée se félicite qu’une interdépendance économique internationale accrue ait conduit à resserrer la coopération multilatérale, par le biais du G20, pour améliorer la régulation du secteur financier, renforcer la surveillance des agences de notation et endiguer la fraude fiscale. Elle salue la création du Fonds européen de stabilité financière, en mai 2010 en tant que mesure temporaire et du Comité européen du risque systémique, opérationnels depuis janvier 2011, ainsi que de trois autorités de surveillance financière au niveau européen pour les secteurs de la banque, de l’assurance et de la bourse. Les pouvoirs de supervision de ces autorités devraient contribuer à détecter et à corriger les déséquilibres macroéconomiques dès leur apparition et permettre de mieux structurer les activités des agences de notation enregistrées dans l’Union européenne.
5. En outre, l’Assemblée prend note de l’intention de la Commission européenne de proposer, dès l’été 2011, un cadre législatif complet permettant de gérer les banques en difficulté (trop grandes, complexes et interdépendantes pour qu’on les laisse faire faillite) et de les restructurer ou de résoudre leurs problèmes sans faire peser la charge sur les contribuables. De même, l’Assemblée estime que les possibilités envisagées pour une restructuration partielle du surendettement public ne doivent pas être un tabou et qu’il convient d’envisager des mécanismes d’encadrement pour une bonne restructuration.
6. L’Assemblée est consciente que certains Etats membres du Conseil de l’Europe ont usé de pratiques douteuses pour minimiser l’importance de leur déficit public à court terme. Ces pratiques, généralement peu transparentes, peuvent avoir des conséquences graves sur l’endettement public futur et à long terme des Etats. En particulier, les produits dérivés peuvent servir à gérer la dette publique mais aussi, s’ils sont utilisés à mauvais escient, à mieux la dissimuler.Etant donné que les emprunteurs souverains divulguent extrêmement rarement leurs activités liées aux produits dérivés, la surveillance exercée par les «actionnaires de l’Etat» (c’est-à-dire les contribuables) ne peut qu’être, au mieux, faible.Ce manque de communication permet aux gouvernements de s’exonérer davantage de leurs responsabilités en matière de dette publique et limite la transparence des statistiques nationales.
7. C’est pourquoi l’Assemblée souligne l’importance de la transparence dans une démocratie et dans l’économie de marché. Sans transparence, la démocratie demeure incomplète car seule une population dûment informée peut voter de manière éclairée et, par là même, exercer ses droits politiques en toute connaissance de cause. Dans cette perspective, l’Assemblée rappelle la valeur des médias comme gardiens de la démocratie, puisqu’ils permettent aux citoyens de réagir à des dérives potentielles du pouvoir politique ou à des malversations économiques. Comme la gestion des finances publiques exige une transparence irréprochable et que le principe du consentement à l’impôt est considéré comme l’un des garants de la démocratie, les gouvernements doivent faire la preuve de leurs bonnes intentions et assurer la totale transparence des comptes de l’Etat si l’on veut une démocratie solide.
8. A cet égard, il est extrêmement préoccupant que les Etats membres aient été forcés de garantir entre eux leur dette souveraine, comme cela a été le cas par exemple pour l’Islande et la Grèce. La dette, jusque-là étatique, est de ce fait devenue interétatique. Cela n’est acceptable que dans des circonstances réellement exceptionnelles et devrait constituer une mesure d’urgence tout à fait temporaire. En effet, la dette et les garanties interétatiques augmentent le risque systémique en Europe car la défaillance d’un Etat peut entraîner une réaction en chaîne de restructuration de la dette, de budgets de crise, d’augmentation de l’offre de monnaie et de grandes souffrances pour les citoyens européens.
9. Le risque des garanties souveraines et autres ne devrait pas être noyé dans les comptes, car ces garanties peuvent réellement mettre à mal les finances publiques. La crise irlandaise comme la crise islandaise ont été la conséquence directe de garanties insoutenables. Ces garanties devraient donc être signalées totalement et spécifiquement aux parlements des Etats membres. Les pays qui garantissent de la dette souveraine et autre devraient publier ces garanties sous une forme cohérente sur le plan international. Cela concerne également les systèmes de garanties de dépôts et les prêts et garanties accordés au secteur financier. La comptabilisation de certains éléments en hors-bilan a été l’un des problèmes qui ont fini par déclencher la crise, et il faudrait éviter de recourir à ce type de pratique dans les comptes publics. Par conséquent l’Assemblée invite également l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et Eurostat à élaborer, au plus tard six mois après l’adoption de cette recommandation, des lignes directrices méthodologiques destinées aux Etats sur une publication plus transparente des garanties souveraines.
10. L’influence des marchés financiers sur la gouvernance de l’Etat, sur l’intérêt public, sur la conduite publique des politiques économiques et sur les institutions démocratiques européennes est alarmante. L’Assemblée estime qu’il est nécessaire de poursuivre les discussions sur ce point au sein du Conseil de l’Europe, notamment par le biais du Forum pour l’avenir de la démocratie, et dans les parlements nationaux des Etats membres. Elle souligne la nécessité de renforcer l’interaction et les échanges d’information entre les parlements nationaux, les gouvernements et les institutions de Bretton Woods, en particulier lorsque celles-ci sont appelées à l’aide.
11. L’Assemblée recommande que le Comité des Ministres demande aux gouvernements des Etats membres:
11.1. d’assurer toute la transparence et la responsabilité en matière de garanties souveraines, et de préparer des mesures pour une réduction graduelle de ces garanties;
11.2. de contenir l’érosion du niveau de vie et des droits socio-économiques des citoyens en s’efforçant de répartir les effets des mesures d’austérité équitablement dans la population et d’épargner aux groupes vulnérables le poids des ajustements;
11.3. de faire preuve de réalisme dans l’élaboration de stratégies progressives visant à stabiliser puis à réduire la dette publique, et ce en consolidant de manière permanente les budgets et, en parallèle, en mettant en place des mesures structurelles, en incitant fortement les secteurs de croissance à se développer, en améliorant l’administration fiscale et en renforçant la corrélation entre le niveau des prestations sociales et les revenus de l’Etat;
11.4. de se montrer plus vigilants sur l’intégrité des économistes dont les conseils aux décideurs sont tout aussi indispensables que, parfois, discutables – voire manipulateurs. L’Assemblée est convaincue qu’il est possible de renforcer l’éthique et la responsabilité de cette profession, par exemple en chargeant des organes compétents d’élaborer un code d’éthique mondial ou, tout au moins, européen, qui inclut des mesures disciplinaires.

B. Exposé des motifs, par M. Omtzigt, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. De nombreux observateurs, responsables politiques et citoyens pensaient que la crise économique et financière était derrière nous, qu’elle commençait à s’estomper et que la reprise s’annonçait. Il n’en est rien. Les problèmes rencontrés par la Grèce, l’Irlande, le Portugal et l’Espagne, les préoccupations concernant la gestion de la dette publique en Belgique et en Italie, et les mesures de rigueur annoncées en France, au Royaume-Uni et dans beaucoup d’autres pays, tout ramène les citoyens à la terrible réalité: le pire est peut-être encore à venir et les difficultés économiques ne font que commencer. De la crise des subprimes à celle du système économique international, l’on est passé du surendettement des ménages et du secteur privé à celui des Etats.
2. Dans ce qu’il convient d’appeler aujourd’hui une récession mondiale, de nombreux Etats européens ont abordé l’année 2010 dans une position délicate. Leur dette publique 
			(2) 
			Responsabilités
gouvernementales vis-à-vis des créanciers nationaux et étrangers. a atteint des niveaux sans précédent et continue d’enfler (voir le tableau figurant à l’annexe). En 2010, la dette publique devait atteindre environ 131 % du PIB en Italie, 129 % en Grèce, 125 % en Islande, 105 % en Irlande, 103 % en Belgique, 93 % au Portugal, 92 % en France, 81 % au Royaume-Uni et 80 % en Allemagne 
			(3) 
			OCDE, Perspectives économiques, novembre
2010.. La situation de la dette dans les Etats de l’Europe centrale et orientale est bien meilleure, sauf pour la Hongrie. Au-delà de l’Europe, l’inquiétude des investisseurs se focalise sur les Etats-Unis – qui ont reçu des avertissements répétés concernant la possible détérioration de leur notation de crédit si la dette nationale (environ 96 % du PIB en 2010) continuait de grossir – et le Japon – considéré par certains analystes comme une bombe à retardement prête à exploser d’une minute à l’autre («a debt time bomb that is waiting to explode») 
			(4) 
			Citation
d’un article concernant l’incidence de la crise européenne sur les
Etats-Unis et le Japon («Europe’s crisis weighs on U.S. and Japan», International Herald Tribune, 27 janvier
2011). du fait de sa dette souveraine atteignant 198 % du PIB en 2010. Le niveau d’endettement jugé supportable (ou non pénalisant pour le développement) par bon nombre d’économistes se situe entre 60 % et 70 % du PIB.
3. Aujourd’hui, certaines économies risquent de s’effondrer et, en raison d’un surendettement conséquent, doivent opérer des choix politiques, économiques et sociaux douloureux qui affectent des millions d’Européens et menacent leurs droits fondamentaux. Avec l’érosion de la solvabilité des Etats, la crainte de voir le pouvoir passer des Etats-nations vers des marchés financiers mondiaux pose de graves défis à la démocratie et aux perspectives de développement. Cette pénible réalité est le deuxième grand choc économique de l’histoire moderne après la Grande Dépression des années 1930, aux conséquences d’une portée vaste et profonde dans toute la société.
4. Aussi ce rapport s’intéresse-t-il aux principaux enjeux politiques auxquels se trouvent confrontés de nombreux gouvernements européens étant donné l’état précaire des finances publiques. Il vient plus ou moins compléter les rapports de l’Assemblée sur les conséquences politiques de la crise économique et sur les institutions économiques mondiales face aux défis de la crise financière 
			(5) 
			Respectivement Doc. 12282 élaboré
par la commission des questions politiques (rapporteur: M. Emanuelis
Zingeris, Lituanie, Groupe du Parti populaire européen) et Doc. 11944 de la
commission des questions économiques et du développement (rapporteur:
M. Kimmo Sasi, Finlande, Parti populaire européen).. J’apprécie les contributions, fort utiles, à ce rapport faites par les participants à l’audition qu’a tenue la commission des questions économiques et du développement le 29 novembre 2010 
			(6) 
			M. Frédéric Bonnevay,
économiste, expert-associé chez Anthea Partners et à l’institut
Montaigne; M. Gustavo Piga, professeur d’économie à l’université
de Rome Tor Vergata; M. Gilles Noblet, directeur général adjoint
pour les relations internationales et européennes à la Banque centrale
européenne; et M. Emmanuel van der Mensbrugghe, directeur des Bureaux
européens du FMI, ont pris part à l’audition. à Paris.

2. Une situation financière des Etats membres de plus en plus préoccupante, aggravée en période de crise économique

5. L’actuelle crise économique, qui fait suite à la crise financière, a révélé au grand jour des situations inquiétantes pour de nombreux Etats. Cette deuxième phase traduit un peu plus les échecs des politiques menées jusque-là et des modèles économiques suivis depuis quarante ans, en particulier celui qui tend à penser que le marché peut, seul, réguler l’économie mondiale.
6. En Europe, les difficultés relatives aux finances publiques ne datent pas d’hier. Avec la persistance des déficits, l’endettement rampant constitue un problème – et un défi – depuis des décennies. Si la dette du secteur privé a progressé en flèche plus récemment, c’est en raison d’un effet de levier excessif des banques et d’un crédit bon marché, résultat de politiques monétaires publiques et d’une régulation trop laxistes. En outre, la période 2009-2010 a connu de substantiels transferts de dette du privé au public – avec injections massives de liquidités des banques centrales vers les marchés financiers pour soutenir le prix des actifs et pour dégeler les canaux de crédit –, sans parler de programmes de relance des économies nationales s’élevant environ à 2 % du PIB dans la majorité des pays occidentaux. Dans ce rapport, je souhaite exposer les principales raisons pour lesquelles les finances publiques européennes semblent peiner à trouver un juste milieu.
7. L’importance et la récurrence des déficits publics s’expliquent, en partie, par les difficultés que connaissent la plupart des systèmes sociaux européens. Avec le vieillissement de la population et la baisse de la natalité, la volonté de réformer les systèmes de retraite et de soins de santé est depuis plusieurs années au cœur des débats dans de nombreux pays européens. De plus, la montée du chômage à travers l’Europe s’est doublée d’une augmentation des indemnisations de chômage et d’une baisse des recettes fiscales. Le financement des systèmes sociaux par répartition a ainsi une forte incidence sur les budgets de l’Etat et, ce faisant, sur les niveaux d’endettement actuels et futurs des pays concernés.
8. Ce que l’on peut aujourd’hui appeler la crise de l’Etat providence conditionne les possibilités des Etats européens de mettre en œuvre ou non certaines politiques. Il semblerait, en effet, que les Etats n’aient aujourd’hui plus les moyens de tenir «les promesses en matière de santé et de retraite faites à la génération vieillissante du baby-boom». Je considère, de fait, qu’il va falloir désormais faire preuve de réalisme afin de réformer l’Etat providence et de le rendre viable à long terme. L’on ne parle pas ici de la suppression de l’Etat, car ce serait faire fi des leçons de la crise. J’estime, en effet, qu’il est temps de rétablir l’Etat dans sa position de régulateur et de délimiter de «nouvelles frontières entre l’Etat et le secteur privé» 
			(7) 
			Pour les deux citations, voir
Anatole Kaletsky, «L’Etat n’a plus les moyens de faire du social», Courrier International, septembre
2010.. Le fait est que «seuls les pouvoirs publics peuvent répondre, à l’échelle voulue, aux problèmes que pose la concurrence mondialisée» et que, par conséquent, il serait imprudent de supprimer tous les obstacles au libre fonctionnement du marché. Au vrai, le secteur privé ne peut adopter le recul nécessaire pour permettre à la société dans son ensemble de fonctionner parfaitement.
9. Pour certains Etats, l’on peut incriminer les faibles performances économiques, insuffisantes pour satisfaire aux besoins de la société. Le rapport met ici en avant ce problème: la tendance de nombreux Etats européens à vivre au-dessus de leurs moyens. Cette tendance se traduit par des «finances publiques structurellement déficitaires [pour des pays comme la Grèce, qui] depuis son adhésion à l’euro, en 2001, [n’a] affiché qu’un seul déficit inférieur à 3 % du PIB» 
			(8) 
			«Peur
sur les PIIGS», site du journal Les Echos,
article actualisé le 15 juillet 2010.. Cette situation est relativement courante dans les pays occidentaux qui, malgré le ralentissement de leurs économies depuis plusieurs dizaines d’années, continuent d’accroître le rythme des dépenses. Sans parler des dépenses militaires de certains pays, autre point qui mérite davantage de contrôle public.
10. Je tiens à souligner ici que le recours au déficit public ne conduit pas forcément à des situations de surendettement. Le taux de croissance du PIB de chaque Etat est une variable à prendre en compte pour analyser l’impact des déficits budgétaires. Aussi le budget des Etats est-il censé évoluer en corrélation avec le niveau d’activité économique. D’une manière générale, même les prévisions de faibles niveaux de croissance peuvent être à l’origine d’une frilosité des investisseurs. «Certains analystes estiment en effet que le niveau d’endettement actuel dans la zone euro ne peut être résorbé par la croissance attendue, trop molle» 
			(9) 
			Claire
Gatinois et Marie de Vergès, «L’Union monétaire en danger, l’euro
attaqué», Le Monde, 6 février
2010., ce qui explique la fuite des capitaux vers des placements plus sûrs.
11. En outre, la situation budgétaire a toujours tendance à empirer en période de crise par le mécanisme naturel de stabilisateurs économiques. Ainsi, le ralentissement de l’activité économique entraîne une diminution des recettes fiscales et une augmentation des dépenses, notamment en matière de protection sociale. En Finlande, par exemple, «sous l’action vigoureuse des stabilisateurs automatiques et des mesures de relance, la situation budgétaire s’est dégradée plus rapidement que dans tout autre pays de l’OCDE» 
			(10) 
			«Etude économique
de la Finlande», L’observateur de l’OCDE,
avril 2010., et ce malgré une situation économique plutôt favorable avant la crise.
12. Tous les facteurs de déséquilibre budgétaire précédemment évoqués conduisent directement à la dégradation des situations financières des Etats par le simple jeu des intérêts qui s’ajoutent tous les ans aux dettes contractées. Les Etats n’ont que rarement le réflexe d’équilibrer le budget en période de croissance pour se préparer à affronter des crises économiques comme celle que l’Europe subit actuellement. A ce sujet, M. Valdis Dombrovskis, Premier ministre de Lettonie, déplore le fait que son pays n’ait pas profité des années précédant la crise pendant lesquelles la croissance du PIB dépassait 10 % par an 
			(11) 
			Entretien avec M. Valdis Dombrovski,
Premier ministre letton, Le Monde diplomatique,
septembre 2009..
13. Aujourd’hui, les prévisions quant aux déficits et aux dettes publiques sont alarmantes. En effet, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) prévoit que la dette brute des administrations publiques en 2011 sera de 97 % du PIB pour la France, 104 % pour la Belgique, 113 % pour l’Irlande, 133 % pour l’Italie et 137 % pour la Grèce 
			(12) 
			Perspectives économiques de l’OCDE,
tableau de l’annexe mis à jour en décembre 2010.. La crise économique n’étant pas terminée, il faut raison garder et essayer de prendre les décisions politiques qui s’imposent, en gardant à l’esprit les effets, à court et long termes, non seulement de l’endettement public, mais également des politiques de restrictions budgétaires mises en place pour assainir les finances publiques.

3. Le surendettement des Etats: des responsabilités partagées entre agences de notation et Etats

3.1. La responsabilité des agences de notation

14. «Les agences de notation, qui sont au nombre de trois, Standard & Poor’s, Moody’s et Fitch, sont des institutions américaines qui notent des Etats, des entreprises, des collectivités ou des opérations financières, afin de donner aux investisseurs une vision synthétique du risque de solvabilité des acteurs économiques.» 
			(13) 
			Guillaume
Errard, «Barnier pour une agence de notation européenne», Le Figaro, 30 avril 2010. Elles attribuent ainsi une note financière aux entreprises mais également aux pays.
15. Les notes financières servent de référence aux investisseurs qui achètent des actions ou des obligations étatiques. Par conséquent, les agences de notation tiennent entre leurs mains les destins financiers de nations entières et de leurs millions de citoyens. Ainsi, lorsque, le 29 avril 2010, la note de l’Espagne a baissé – de AAA (meilleure note) à AA –, ce qui n’était qu’une possibilité – la menace de faillite économique est devenue une quasi-réalité.
16. Sans être la cause de la hausse de la dette publique, les agences de notation portent néanmoins une lourde responsabilité dans l’aggravation des conditions économiques de certains Etats européens et dans ce regain de spéculation qui s’est emparé des salles de marchés au cours de ces derniers mois. Ainsi, la détérioration de la note attribuée à la dette souveraine d’un pays entraîne une hausse des taux d’intérêt que ce pays devra payer pour sa dette. Ce sont donc les Etats connaissant le plus de difficultés économiques qui doivent payer des taux d’intérêt plus élevés pour financer leur dette et qui, donc, se retrouvent dans des situations encore plus difficiles. Ce cercle vicieux entraîne de fait une aggravation de la situation financière des Etats qui sont déjà en difficulté, puisqu’ils sont contraints de payer, en quelque sorte, une prime de risque. Il est, certes, économiquement cohérent qu’il y ait corrélation entre le risque et le taux d’intérêt, mais la spéculation entraîne des situations qui ne sont pas toujours justifiées par un risque tangible de défaut de paiement.
17. Déjà dénoncées dans le rapport en cours d’élaboration de notre collègue Viktor Pleskachevskiy («L’économie souterraine: une menace pour la démocratie, le développement et l’Etat de droit») pour leur notation positive d’établissements privés (assureurs) ou de banques qui possédaient des actifs toxiques, les agences de notation sont aujourd’hui pointées du doigt, à juste titre, pour leurs appréciations alarmistes de la santé économique de plusieurs pays européens, appréciations qui se transforment en prophéties autoréalisatrices.
18. Je tiens ici à soulever la question du statut et de l’indépendance de ces agences. L’on a vu, en effet, le Sénat américain se plonger dans ces questions au lendemain de la crise des subprimes, sans que la communauté internationale ne prenne de mesures en conséquence. Or, le risque de conflit d’intérêts lié au fait que ces agences sont rémunérées par les émetteurs de titres à noter est, à mon avis, l’un des points importants sur lequel il faut s’interroger.
19. Toutefois, il n’est pas possible de prôner la suppression de ces agences, «qui devraient, en théorie, être un facteur de stabilité des places boursières». Dans l’absolu, ces agences permettent de sécuriser les investissements des personnes privées, sans quoi le niveau d’investissement serait insuffisant pour financer le fonctionnement de l’économie. La question que je souhaite soulever ici est celle de la concentration du marché des agences de notation qui peut rapidement aboutir à des abus de pouvoir. A l’évidence, la situation d’oligopole dans laquelle elles évoluent leur donne la possibilité d’user de leur position d’éclaireur à des fins lucratives. Le lien entre spéculation et notation ne peut pas être clairement établi, mais «la coïncidence fréquente des dégradations et des accès de fièvre spéculative a de quoi laisser perplexe» 
			(14) 
			Pour les deux citations: Philippe Bruneau
et Frédéric Bonnevay, «Le jeu dangereux des agences de notation», Le Figaro, 18 mai 2010..
20. De ce point de vue, rappelons la résolution prise par les responsables du G20, lors du Sommet de Séoul de novembre 2010, de renforcer la régulation et la supervision des agences de notation de crédit, ainsi que les efforts pour réduire la dépendance des diverses parties prenantes (y compris les acteurs normatifs, les participants du marché, les superviseurs et les banques centrales) envers ces notations externes du crédit.

3.2. La responsabilité des Etats

21. Les Etats européens ont prêté aux banques nationales à des taux défiant toute concurrence, qui ont permis aux banques d’accorder plus de crédits et, ensuite, d’augmenter considérablement leurs bénéfices. Mais lorsqu’il a fallu prêter à des Etats et, par conséquent, à leurs citoyens, pour sauver des systèmes publics, des services de santé ou pour éviter une réduction des pensions, les taux ont été nettement plus élevés. Comment, dès lors, «le secteur financier pourrait [-il] assurer une contribution juste et substantielle au financement des charges liées aux interventions que les gouvernements ont mises en œuvre pour remettre en état le système bancaire» 
			(15) 
			Déclaration
de Pittsburg, G20, septembre 2009.?
22. Il n’est pas possible d’ignorer la différence intrinsèque entre un acteur économique et un Etat: le premier cherche à rentabiliser son activité et à maximiser son profit, alors que le second se doit d’avoir une approche couvrant tous ses citoyens. En conséquence, la négociation a posteriori qui se fonderait sur le sauvetage des banques opéré par les Etats n’avait que peu de chances d’aboutir à une participation du système financier.
23. Reste que les Etats auraient pu bénéficier du sauvetage des banques, sans pour autant mettre à mal leurs propres finances. En effet, la situation budgétaire était déjà alarmante pour de nombreux Etats, et il me semble que cet état de fait aurait dû les inciter à exiger des taux d’intérêt plus avantageux.
24. En outre, comme le constate Henri Sterdyniak 
			(16) 
			Directeur
du Département économie de la mondialisation à l’Observatoire français
des conjonctures économiques (OFCE).,«si les notations sont aussi regardées, c’est parce que les Etats ont été incapables de réguler les marchés financiers et d’interdire la spéculation». C’est pourquoi, face à la rapide dégradation de la notation des finances publiques sur les marchés financiers de certains pays européens baptisés «PIIGS» (Portugal, Italie, Irlande, Grèce et Espagne), la spéculation s’est poursuivie, aggravant encore les difficultés économiques qui plongeaient, à court et moyen termes, de nombreux citoyens dans une misère économique et sociale considérable.
25. Il est déplorable que les grandes déclarations faites lors du G20 de Pittsburg, en septembre 2009, sur le renforcement du système international de régulation financière n’aient pas vraiment été suivies d’actions concrètes et efficaces pour contrôler les marchés financiers, réguler leur activité et réellement limiter la spéculation.

3.3. Faiblesses structurelles de la zone euro

26. En ce qui concerne la zone euro, il faut noter qu’en plus d’un manque de convergence persistant des économies nationales et de l’absence de coordination efficace des politiques économiques entre les Etats, la crise grecque a révélé, sinon un manque de solidarité, tout au moins un manque de réactivité. La situation nécessitait une réponse rapide. Or, certains responsables politiques, craignant de mécontenter leurs opinions publiques à la veille d’échéances électorales, ont préféré tergiverser plutôt que de venir en aide à la Grèce. S’agissant plus précisément de l’Allemagne, je tiens à préciser qu’en matière de politique économique, la tradition de ce pays en fait l’un des plus vertueux de la zone euro pour lutter contre l’inflation et préserver l’équilibre budgétaire. Cela n’étant pas suffisant pour endiguer les tendances inflationnistes et les dépenses inconsidérées de ses voisins, il est compréhensible que l’Allemagne se soit montrée plus hésitante.
27. La crise des dettes souveraines européennes a commencé avec les craintes quant à la capacité de la Grèce à rembourser sa dette. Elle s’est ensuite propagée à d’autres pays de la zone euro, notamment l’Irlande et le Portugal, d’où la dépréciation de l’euro par rapport au dollar et la panique sur les marchés financiers. Bien que le plan d’aide élaboré en mai 2010 par l’Union européenne avec le concours du Fonds monétaire international ait, d’abord, reçu un accueil favorable auprès des marchés financiers, il n’a pas permis une réelle stabilisation de la situation. C’est pour cette raison que les institutions de l’Union européenne ont cherché à mettre en place un système d’intervention – pour prévenir le risque de défaut de paiement d’un Etat –, et ce avec la possibilité d’engager les finances d’autres Etats.
28. Cependant, le seul lancement du Fonds européen de stabilité financière (FESF) doté de 440 milliards d’euros (dont environ 250 milliards d’euros sont disponibles en forme de crédit) ne suffira pas à conjurer cette crise des dettes souveraines. En menaçant la viabilité de la monnaie commune, la crise a mis les Etats face à une réalité: l’impossibilité de poursuivre l’intégration sans concéder à l’Union des pouvoirs de contrôle budgétaire ou de coordination. A noter une récente décision d’Eurostat: les fonds récoltés dans le cadre du FESF doivent être enregistrés comme dette publique brute des Etats participant à une opération de soutien, proportionnellement à leur part de la garantie offerte 
			(17) 
			Communiqué de
presse Eurostat 13/2011 du 27 janvier 2011.. Cette décision apportera non seulement une plus grande transparence des comptes publics, mais fera apparaître des niveaux supérieurs de dette publique dans toute la zone euro.
29. Certains économistes préconisent l’émission par les pays de la zone euro d’une euro-obligation (eurobond), c’est-à-dire d’un instrument d’endettement commun pour les membres de l’Union monétaire européenne (UME). Cette euro-obligation serait censée assurer la coordination fiscale dans ces pays et en partie les protéger contre les incertitudes du marché des capitaux. Cette approche exigerait de la part des pays participants plusieurs actions: définir un plan budgétaire ajustable et un cadre d’endettement à long terme, créer une agence d’endettement commun (chargée d’émettre les euro-obligations), convenir d’un calendrier de remboursement pour chaque pays participant, sélectionner des projets d’investissement transfrontaliers (visant à réduire les asymétries de l’UME) et, enfin, progressivement remplacer tout le stock existant de la dette souveraine par des euro-obligations afin de minimiser l’aléa moral 
			(18) 
			L’«aléa moral» désigne
une tendance à prendre des risques inconsidérément et sans en assumer
pleinement la responsabilité, en laissant les autres partenaires
partager la responsabilité des conséquences.. Je suis opposé à cette idée car, dans ces pays, les collectivités locales elles-mêmes ne mutualisent pas leur dette: chacune est responsable de sa propre dette. Une euro-obligation impliquerait une intégration fiscale et économique considérable, bien plus vaste que celle que prévoient actuellement les traités de l’Union européenne.

4. La nécessité de renforcer la légitimité démocratique des organismes extérieurs qui influencent la conduite des politiques publiques

4.1. L’influence croissante des marchés financiers menace l’autonomie du pouvoir politique

30. L’omniprésence et la pression des marchés financiers dans la conduite publique des politiques économiques est un signe symptomatique de l’épuisement de nos modèles économiques. Ce signe constitue à la fois une dérive inquiétante de l’absence de marge de manœuvre des gouvernements dans l’élaboration et la conduite de leurs politiques économiques, et il traduit aussi une extrême dépendance des économies européennes vis-à-vis d’une finance internationale non régulée et peu soucieuse de l’intérêt général.
31. La conférence de presse convoquée dans l’urgence par José Luis Rodríguez Zapatero, Premier ministre du Gouvernement espagnol, le 4 mai 2010, pour démentir une aide du FMI à l’Espagne de 280 milliards d’euros annoncée par les marchés, traduit cette vulnérabilité des Etats face à la spéculation. La frilosité dont ont fait preuve les Etats de la zone euro pour intervenir et «sauver» la Grèce peut également être interprétée dans ce sens.
32. Pour mettre un terme aux jeux dangereux de la finance mondiale, la plupart des observateurs ont fondé de nombreux espoirs sur les grandes déclarations issues des réunions du G20 qui appelaient à une plus grande régulation financière, en particulier lors de la réunion de Londres en septembre 2009. Mais force est de constater que ces grandes déclarations sont restées lettre morte.

4.2. Les transferts de pouvoir vers certaines organisations internationales: le cas du FMI

33. L’influence du Fonds monétaire international sur la conduite des politiques publiques n’est pas à démontrer. Mais qu’en est-il de la légitimité de cette influence, qui va de la simple recommandation à la décision sans appel? Ce «partage du pouvoir» est peut-être discutable du simple fait que le FMI, en sa qualité de prêteur en dernier ressort, se trouve toujours en position de demander des contreparties pouvant avoir des conséquences néfastes sur l’ensemble de la population.
34. Mes craintes à propos du FMI résultent d’échanges sur le sujet au sein de la commission des questions économiques et du développement, en présence de Mme Sonia Escudero, Secrétaire générale du Parlement latino-américain et sénatrice argentine. Ces échanges, en partie fondés sur l’expérience de la crise argentine de 2001-2002, ont conduit les membres de notre commission à s’interroger sur «ce qu’il reste de la démocratie lorsque les parlements délèguent leurs pouvoirs au FMI».
35. S’agissant des injonctions du FMI aux Etats européens, les exemples sont légion et illustrent clairement le problème du transfert de pouvoir vers cette organisation sans justification ni responsabilité légitimes suffisantes, situation qui constitue un danger pour les démocraties. En mai 2010, le FMI a demandé à l’Espagne de «faire mieux et faire plus vite pour flexibiliser son marché du travail, consolider son secteur bancaire et juguler le dérapage des finances publiques» 
			(19) 
			Cécile Chambraud, «L’urgence contraint
les Etats à des plans d’économies draconiens», Le Monde, 26 mai 2010.. Interrogeons-nous ici sur la marge de manœuvre laissée au Gouvernement espagnol, représentant du peuple espagnol, pour élaborer une politique adaptée à sa situation nationale spécifique.
36. La commission des questions économiques et du développement a déjà soulevé cette question de la légitimité dans ses précédents travaux. M. Kimmo Sasi s’était interrogé, en 2009, sur l’opportunité de multiplier les interactions entre le FMI et les parlements nationaux 
			(20) 
			Les
institutions économiques mondiales face aux défis de la crise financière,
rapporteur: M. Kimmo Sasi, 8 juin 2009 (Doc. 11944).. Le FMI connaît actuellement des changements et il faut se réjouir des réformes accomplies ces dernières années pour renforcer la légitimité du fonds, notamment par une meilleure répartition des quotas palliant la sous-représentation de certains pays, par un rééquilibrage de son bureau exécutif et par une plus grande ouverture au dialogue avec les parlements nationaux.
37. Il est vrai que l’on ne peut se passer d’une institution telle que le FMI, qui reste le prêteur en dernier ressort et qui «traite avec des pays à qui personne ne veut prêter» 
			(21) 
			M.
Valdis Dombrovski, Premier ministre letton, «Le FMI ne cesse de
nous dire que l’absolue priorité est la réduction du déficit», Le Monde diplomatique, septembre
2009.2. Le FMI se retrouve donc, de fait, en situation de monopole, ce qui explique peut-être pourquoi les conditions imposées aux Etats sont parfois aussi rigoureuses. Beaucoup de pays se tournent vers l’aide du FMI lorsqu’ils se trouvent confrontés à d’énormes déséquilibres financiers après avoir retardé des réajustements, à telle enseigne que la nécessité d’une austérité fiscale n’a jamais été plus criante. Sans l’aide du FMI, ces pays devraient faire face à des ajustements autrement plus importants et douloureux 
			(22) 
			Dans les cas de la
Grèce et de l’Irlande, le soutien apporté par le FMI est exceptionnel
et gigantesque. Le FMI étant une institution basée sur les quotas,
le volume normal de son aide équivaut à deux fois le quota associé
au pays. Or, l’assistance fournie par le FMI à la Grèce s’élève
à 31 fois le quota normal et, à l’Irlande, à 23 fois; ce qui dépasse
de beaucoup la politique de financement ordinaire du FMI.. Toutefois, il me semble que les structures décisionnelles du FMI méritent réflexion, afin de voir dans quelle mesure il est possible de mieux prendre en compte la volonté des citoyens.
38. Depuis plusieurs années, le FMI cherche à faire preuve de plus «de transparence dans ces activités, à se faire mieux connaître et à être à l’écoute de tous ceux dont la vie est touchée par son action» 
			(23) 
			FMI, Département des relations extérieures,
«Le FMI et les parlementaires», août 2010.. A cette fin, il multiplie depuis 2004 ses relations avec des parlementaires des Etats membres, pour permettre une meilleure compréhension de ses actions. La situation peut encore être améliorée, me semble-t-il, ne serait-ce qu’en renforçant les interactions et les échanges d’information entre les parlements nationaux, les gouvernements et le FMI dès lors que son aide est sollicitée. Par conséquent, l’Assemblée doit encourager le FMI à continuer dans cette voie.
39. En outre, le rapport de M. Kimmo Sasi précisait que l’interaction du FMI avec les parlementaires devait inclure une «supervision régulière des activités des institutions de Bretton Woods par l’Assemblée, conformément au mandat de la commission des questions économiques et du développement». J’estime que cette remarque est toujours d’actualité et que les parlementaires doivent poursuivre les initiatives dans ce sens.
40. Malgré tout ce qui précède, il n’existe actuellement aucune alternative crédible au FMI. Les problèmes de la Grèce, par exemple, viennent clairement de ce que ses responsables politiques ont échoué lamentablement à maintenir un budget et un déficit viables. De même, les responsables politiques irlandais n’ont visiblement pas tiré la sonnette d’alarme lorsque le gouvernement a donné des garanties étendues au secteur financier. Pour toutes ces raisons, il n’y a pas d’alternative à l’intervention du FMI. Celui-ci doit lui-même avoir pleinement conscience de sa position de force.

5. Les dangers pour la démocratie

5.1. Les droits socio-économiques et civils des citoyens sont menacés

41. Les politiques de rigueur appliquées en réponse à la crise du surendettement des Etats risquent de détériorer encore les conditions de vie difficiles des citoyens, déjà pénalisés par la récession. Pour assainir les finances publiques, les Etats pourraient envisager trois options: augmenter les ressources publiques (revenus), réduire les dépenses ou essayer de combiner les deux actions. Dans l’un ou l’autre cas, les mesures prises risquent de pénaliser beaucoup de citoyens.
42. Pour augmenter les ressources de l’Etat, les possibilités sont multiples et plus ou moins complexes. Reste que pour atteindre cet objectif, les Etats choisissent généralement d’augmenter les impôts et les taxes. Il est, par conséquent, difficile de généraliser l’impact de ce type de mesures puisque, en fait, tout dépend de l’impôt en lui-même et du public qu’il concerne. Néanmoins, l’on peut distinguer les impôts qui touchent les particuliers de ceux qui s’adressent aux entreprises. Augmenter la fiscalité des entreprises ne semble pas recommandable en période de crise car, effet non négligeable, cela ne ferait qu’handicaper davantage une activité économique déjà en difficulté, tout en pénalisant l’emploi. Autrement dit, pour éviter des mesures dont la conséquence directe serait de retarder la relance économique, les Etats seraient plus enclins à augmenter la fiscalité des personnes. De nombreux gouvernements ont choisi d’élever le niveau de l’imposition directe via la taxe sur la valeur ajoutée, qui touche tous les acteurs économiques.
43. Pour diminuer les dépenses publiques, les choix sont tout aussi restreints. La plupart du temps, l’on assiste à des coupes budgétaires dans la fonction publique et à une baisse des salaires (dévaluation interne) 
			(24) 
			La méthode de la dévaluation
interne a été choisie et semble avoir fonctionné dans les Etats
baltes.5, à une diminution des prestations sociales ou, encore, au gel de certains grands investissements publics liés, par exemple, à la modernisation des infrastructures. A mon avis, ce genre de politique est inadapté en période de forte récession. En effet, ces choix conduiraient d’abord à détériorer les conditions de vie des citoyens, tout en nuisant à la reprise économique.
44. Quant aux risques que comportent ces deux alternatives pour la sauvegarde des droits civils et des droits socio-économiques, ils sont divers. En l’espèce, il faut faire une distinction entre les effets directs et les effets qui pourraient se manifester un peu plus tard. Côté effets immédiats, j’estime que si elles retardent la reprise économique, ces politiques iront à l’encontre, par exemple, du droit de gagner sa vie, car elles auront une incidence négative sur l’emploi. Par ricochet, s’agissant des populations fragiles, ces choix politiques peuvent nuire au droit de vivre dans des conditions décentes, d’une part en raison d’une éventuelle baisse de revenu et, d’autre part, à cause d’une détérioration des infrastructures et des services publics (hôpitaux, prisons, etc.).
45. La question du gel des dépenses publiques, dès lors qu’il s’agit d’annuler des dépenses d’investissement, est une question délicate. Les situations où les Etats tentent de rationaliser leurs dépenses se justifient pleinement, et cet axe devrait être préféré à l’annulation de dépenses d’investissement. Je pense, en effet, que le manque à gagner pouvant résulter ultérieurement de l’abandon de projets de modernisation est sous-estimé par les Etats européens. Dans cette optique, l’OCDE «préconise des sorties de crise progressives et coordonnées qui privilégient la réduction des déficits, sans négliger les réformes structurelles, indispensables à la croissance future» 
			(25) 
			Anne Cheyvialle, «Sortie de crise: l’OCDE
insiste sur la réduction des déficits», Le
Figaro, 11 mars 2010.6 et à une meilleure qualité de vie.
46. Le surendettement des Etats peut avoir des conséquences politiques néfastes pour la stabilité démocratique d’un pays. En Argentine, la récession économique de 2001, d’une ampleur sans précédent, entraîna une fuite des capitaux, discrédita la classe politique et provoqua un chaos économique et politique. Face aux mesures d’austérité préconisées par le FMI, notamment le gel des dépôts bancaires, des émeutes populaires provoquèrent la mort de 35 personnes les 19 et 20 décembre 2001.
47. Il est inquiétant de voir des situations semblables apparaître dans différents pays européens avec les risques encourus pour la stabilité démocratique de l’Europe. En Islande, après la faillite du pays, des émeutes ont éclaté à Reykjavík en janvier 2009, qui n’avaient pas eu leurs pareilles depuis 1949 à la suite de l’adhésion de l’Islande à l’OTAN. Plus récemment, en Grèce, l’une des grèves générales qui a suivi l’annonce des mesures d’austérité a entraîné, le 6 mai 2010 à Athènes, la mort de trois personnes dans une agence bancaire incendiée. Les exemples de ce type ne manquent pas et il est clair que la vague de plans d’austérité qui a parcouru l’Europe a provoqué son lot de manifestations, de revendications et d’émeutes aux issues parfois tragiques (voir Doc. 12282 sur les conséquences politiques de la crise économique).

5.2. La démocratie en danger par manque de transparence

48. Lors de la crise grecque, la falsification des comptes publics est apparue au grand jour. Il semblerait que, depuis des années, la Grèce camoufle l’état de son budget public pour éviter des sanctions de l’Union européenne dans le cadre de la procédure des déficits excessifs et du Pacte de stabilité et de croissance.
49. Le problème suivant doit être souligné: les malversations dénoncées sur la scène européenne et internationale ne datent pas d’hier et ont même fait l’objet d’une étude du Conseil des relations étrangères (Council on Foreign Relations, Etats-Unis) et de l’Association internationale du marché des valeurs mobilières (International Securities Market Association, ISMA) en 2001. Mais pourquoi ces pratiques des Etats demeurent-elles inchangées? Il semble que les Etats usent de ce procédé depuis une dizaine d’années sans aucun scrupule éthique quant à la transparence des finances publiques ou l’impact considérable de ces opérations sur la dette publique.
50. A l’époque, Gustavo Piga, docteur en économie, a publié un ouvrage dans le cadre de cette enquête, intitulé Dérivés financiers et gestion de la dette publique 
			(26) 
			Gustavo
Piga, «Dérivés financiers et gestion de la dette publique», International
Securities Market Association (ISMA), Zurich, 2001., mettant à jour les pratiques douteuses qui permettent aux Etats de minimiser l’importance de leur déficit public à court terme. Ces pratiques, qui se caractérisent par leur manque de transparence, ont des conséquences graves sur l’endettement futur et à long terme des Etats. Ainsi, les produits dérivés financiers peuvent non seulement constituer un outil très utile pour gérer la dette publique, mais aussi, s’ils sont utilisés à mauvais escient, pour mieux la dissimuler.
51. Certains gouvernements ont utilisé les transactions par le biais des instruments dérivés pour assurer leur entrée dans l’Union monétaire européenne en différant à plus tard la dette publique en augmentation. Une fois admis dans l’UME, ils ont poursuivi ce genre de stratégies de façade pour éviter des sanctions pénalisant l’excès de déficit public et le ratio dette/PIB.Etant donné que les emprunteurs souverains divulguent rarement les activités liées aux produits dérivés, la surveillance exercée par les «actionnaires de l’Etat» (c’est-à-dire les contribuables) ne peut être, au mieux, que faible.Ce manque de communication permet aux gouvernements de s’exonérer davantage de leurs responsabilités en matière de dette publique et réduit la transparence des statistiques nationales. En définitive, les marchés financiers proposent aux gouvernements les «astuces» des instruments dérivés et ne se privent pas ensuite de les malmener dès que la situation de la dette publique s’emballe.
52. J’insiste sur l’importance de la transparence dans une démocratie. Sans transparence, la démocratie reste incomplète car seule une population dûment informée peut voter de manière éclairée. A cet égard, le rapporteur rappelle la valeur des médias comme gardiens de la démocratie, puisqu’ils permettent aux citoyens de réagir à des dérives potentielles du pouvoir politique.
53. Dans la situation décrite ci-dessus, le manque de transparence concerne la gestion des finances publiques, domaine qui, par essence, nécessite une transparence irréprochable. C’est pourquoi le principe du consentement à l’impôt, affirmé pour la première fois dans l’habeas corpus, est depuis lors considéré comme l’un des garants de la démocratie. Par conséquent, qu’il s’agisse de lever des impôts ou de trouver des financements, j’estime que les Etats doivent faire la preuve de bonnes intentions pour sauvegarder la démocratie.
54. En outre, eu égard aux conséquences sociales de l’endettement public, les citoyens doivent être correctement informés des stratégies de financement de l’Etat. Ainsi, ils disposeraient de toutes les informations nécessaires pour se forger une opinion personnelle et citoyenne et, par là même, pourraient exercer leurs droits politiques en toute connaissance de cause. Sans cela, j’estime que nos démocraties ne seront jamais complètes: le manque de transparence implique une domination des élites sur le peuple, ce qui est incompatible avec la mission de représentation conférée par leur élection. Sans parler de mandats impératifs, seules l’éthique politique et les valeurs démocratiques sont en jeu.
55. Je le sais, le manque de transparence dans la gestion des finances publiques n’est pas seul à l’origine du désintérêt grandissant des citoyens pour la politique. Toutefois, il me semble que si les citoyens étaient davantage pris en considération dans ces questions, peut-être seraient-ils plus enclins à s’investir dans les affaires publiques.

6. Dette interétatique et risque systémique

56. Les pays ont transformé la dette étatique en dette interétatique à une échelle sans précédent, tout d’abord au moyen de mesures d’urgence temporaires et ensuite d’une manière plus permanente. L’Islande est devenue débitrice auprès du Royaume-Uni et des Pays-Bas lors de l’effondrement d’Icesave. Par la suite, les pays de l’Union européenne et le FMI ont fait au mieux en accordant des prêts d’urgence à la Grèce alors que les marchés se refusaient à prêter à ce pays.
57. Les banques centrales européennes se sont elles aussi jointes à ce mouvement, en achetant des obligations de pays en difficulté. Les acteurs des marchés privés, tels que les institutions financières affaiblies, ont ainsi été en mesure de se délester de leurs actifs à risque, la Banque centrale européenne ayant fixé un plancher au prix des obligations et plafonné les intérêts à verser. Les gouvernements européens sont soumis à une extrême pression de la part de l’opinion publique pour ne pas aider davantage les banques en difficulté, or c’est bien ce qu’ils font malgré tout par cette voie indirecte, à une échelle considérable. On peut s’interroger sur l’efficacité de cette pratique.
58. Le Premier Protocole à la Convention européenne des droits de l’homme limite strictement la saisie d’actifs par l’Etat. On se demande maintenant clairement pourquoi il ne limite pas la saisie de la dette par les Etats. Si la saisie d’un bien individuel peut constituer une violation du droit d’un citoyen, la saisie de dette peut violer les droits de tous les contribuables.
59. Dans la situation actuelle, le pays débiteur peut se retrouver en position de force lors de négociations. Il sait que s’il refuse de payer, son gouvernement peut gagner en popularité auprès de ses citoyens et nuire à celle du gouvernement du pays créditeur. Bien que l’Islande ne soit pas le meilleur exemple à cet égard, les négociations de l’accord sur Icesave le montrent aussi: à chaque étape de la négociation, l’Islande est en mesure de négocier une réduction des intérêts dus. Les intérêts que des pays comme la Grèce et l’Irlande paient sur leur dette connaîtront des évolutions similaires.
60. Le comportement du secteur financier a aussi une influence ici. Les banques offrent de nouveau des bonus (comme à ING) et elles menacent de nouveau de quitter leur pays d’origine (dans le cas du Royaume-Uni). C’est consternant. Elles ont reçu un soutien direct des Etats. Elles en reçoivent maintenant un soutien indirect, puisque les Etats et la BCE reprennent leurs actifs toxiques. Il est hautement souhaitable que le secteur bancaire lui-même fasse preuve de modération.
61. Je m’inquiète de l’aggravation du risque systémique dû à la mutualisation de la dette des Etats. Si l’un d’eux est incapable ou refuse de rembourser sa dette, tous les autres Etats de l’Union européenne devront en prendre une part, et leurs citoyens vont alors s’apercevoir, à leur grand dam, qu’en même temps que leurs impôts augmentent, ils doivent aussi payer pour d’autres, et en particulier pour des pays qui se sont conduits de manière irresponsable. Cette situation pourrait entraîner un large mouvement de rejet de la coopération entre Etats européens et mettre en danger le projet européen.

7. La voie à suivre – Conclusion

62. Première suggestion, prendre la même direction que le G20 de septembre 2009 concernant la régulation financière, en réfléchissant à un moyen de «renforcer le système international de régulation financière» 
			(27) 
			Déclaration de Pittsburg,
G20 septembre 2009.. Aux fins de cette réflexion, je tiens à souligner l’importance d’un contrôle de la spéculation financière sur les dettes souveraines. Dans cette perspective, il est indispensable de limiter le pouvoir des agences de notation en ce qui concerne les actifs étatiques. Les gouvernements sont également invités à prendre des mesures pour améliorer la transparence des politiques de gestion des finances publiques, et ce en renforçant la fiabilité des statistiques en matière de finances publiques afin d’éviter les suspicions des investisseurs et de regagner la confiance des citoyens. Il faut rétablir la fiabilité et la transparence des informations relatives aux finances publiques, car le problème auquel les Etats sont confrontés concerne d’abord et avant tout les citoyens. Cette mesure aurait aussi pour effet de priver les agences de notation de leur pouvoir.
63. En outre, il est nécessaire de davantage réglementer l’utilisation de produits dérivés pour éviter des manipulations indésirables telles que celle dénoncée par Gustavo Piga pour l’Italie, et reproduite par la Grèce avec Goldman Sachs 
			(28) 
			Louise Story, Landon
Thomas Jr. et Nelson D. Schwartz, «Comment Wall Street a aidé la
Grèce à tricher», The New York Times,
publié dans Courrier international,
no 1007, février 2010.. Pour une meilleure réglementation, il serait possible de concevoir un dispositif international permettant de standardiser les contrats de swap à l’échelle européenne et, par là même, de mieux contrôler les risques encourus par les Etats. Dans tous les cas, les citoyens et les investisseurs devraient être pleinement informés des positions sur les produits dérivés.
64. Je sais qu’à court terme il n’existe pas de solution miracle pour réduire l’endettement des Etats, surtout dans le contexte actuel. La question prioritaire est donc celle-ci: comment réagir à cette crise économique sans sacrifier les droits de l’homme? Cette question, l’Assemblée parlementaire n’est pas la seule institution à se la poser. Ainsi, au sein des Nations Unies, s’est tenue le 1er mars 2010 une table ronde de haut niveau concernant l’incidence des crises économiques et financières sur la réalisation des droits de l’homme. L’une des principales conclusions est de considérer les droits de l’homme comme «la référence éthique» 
			(29) 
			Irene Khan, ancienne
secrétaire générale d’Amnesty International. ou la «boussole morale» pour guider les politiques publiques, même les politiques de rigueur.
65. Dans un rapport élaboré conjointement 
			(30) 
			Aldo
Caliari, Sally-Anne Way, Natalie Raaber, Anne Schoenstein, Radhika
Balakrishan et Nicholas Lusiani, Bringing Human
Rights to Bear in Times of Crisis (Maintenir les droits
de l’homme en période de crise), mars 2001., plusieurs organisations de la société civile apportent quelques réponses utiles à notre réflexion. En premier lieu, les Etats ne peuvent utiliser la crise pour justifier des manquements aux droits de l’homme ou une attitude plus laxiste quant à leur protection. Le rapport propose d’élaborer des instruments de politique fiscale pour éviter une détérioration des droits et une aggravation des besoins de financement concernant l’éducation, le logement ou la santé, en particulier pour les segments vulnérables de la population. Il est dit qu’«un train de mesures de relance de l’économie garantissant un accès égal à ces droits pour tous pourrait favoriser l’emploi et les programmes générateurs de revenus» 
			(31) 
			The United Nations Non-Governmental
Liaison Service, «Réagir à la crise économique sans sacrifier les
droits de l’homme», 8 juin 2010.. Ainsi, les Etats doivent veiller à ne pas prendre de mesures pouvant pénaliser les personnes les plus vulnérables de la société (enfants, femmes ou personnes âgées, par exemple).
66. Est rappelé ici que le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies traite la problématique des droits de l’homme avec plus d’ouverture que ne le fait le Conseil de l’Europe, puisque les participants de la table ronde de haut niveau susmentionnée ont également abordé la question des droits économiques et sociaux. De fait, en situation de crise économique et au terme d’une réflexion sur les conséquences du surendettement des Etats, la protection de ces droits passe manifestement au premier plan.
67. J’insiste sur la nécessité d’assainir les finances publiques pour éviter des conséquences encore plus graves pour les générations futures, mais j’estime que les Etats européens ne doivent pas prendre de mesures radicales sans en avoir, au préalable, analysé les effets à court et à long terme. Les intérêts ici en jeu sont trop graves pour risquer des répercussions négatives sur le long terme. C’est pourquoi l’assainissement des finances doit être un processus dûment réfléchi, propre à préserver les droits fondamentaux – civils, économiques et sociaux – des citoyens européens.
68. Avec l’effritement de la solvabilité et des finances de nombreux Etats européens, les défis à relever par les économies de la zone euro sont particulièrement redoutables. La promesse de l’euro – une plus grande stabilité et une prospérité commune – a tourné à la confusion («euro-mess») en l’absence de gouvernance économique crédible ou, tout au moins, de coordination des politiques. La montagne de dettes, à laquelle de nombreuses économies européennes doivent faire face, ne fondra pas sans action concertée et méthodique. Dans l’immédiat, plusieurs actions s’imposent: tout au moins empêcher la dette publique de s’enfler, concevoir des stratégies crédibles pour réduire la dette à moyen et à long terme et, enfin, restaurer la confiance dans le système économique par une correction des échecs passés en matière de gouvernance et de régulation.
69. La création du Fonds européen de stabilité financière, en mai 2010, est une initiative bienvenue qui a contribué à apaiser les marchés financiers pour quelque temps. En outre, les gardiens nouvellement créés – le Comité européen du risque systémique et les trois autorités de surveillance, au niveau européen, pour les secteurs de la banque, de l’assurance et des valeurs mobilières – sont opérationnels depuis janvier 2011. Ils disposent de pouvoirs de supervision qui devraient contribuer à détecter et à corriger les déséquilibres macroéconomiques dès leur apparition. L’Autorité européenne des marchés financiers (European Securities and Market Authority) s’est également vu confier la surveillance des activités menées par les agences de notation du crédit enregistrées dans l’Union européenne. De surcroît, l’Assemblée note l’intention de la Commission européenne de proposer, dès l’été 2011, un cadre législatif complet permettant de gérer les banques en difficulté (trop grandes, complexes et interdépendantes pour pouvoir faire faillite) de manière à les restructurer ou à les aider sans faire peser la charge sur les contribuables 
			(32) 
			Communiqué
de presse IP/11/10 du 6 janvier 2011..
70. En complément à ces mesures de gouvernance européenne, je pense qu’il serait bon d’examiner les possibilités de désescalade progressive des problèmes de dette souveraine, notamment en envisageant une restructuration partielle précoce des responsabilités des Etats(pour partager le poids de l’endettement public avec des investisseurs privés et préserver les perspectives de croissance), un assouplissement monétaire, une consolidation fiscale continue alliée à des réformes structurelles et une impulsion soutenue des secteurs de croissance. Enfin, les Etats devraient être extrêmement attentifs aux questions d’aléa moral liées à la garantie mutuelle des dettes. En cas de défaillance de l’un deux, ils auront un lourd tribut à payer en termes économiques et politiques.
71. Les banques elles-mêmes devront faire davantage cas du soutien public dont elles bénéficient. Elles ne sont plus des institutions du secteur privé comme elles l’étaient autrefois et elles peuvent maintenant se délester de leurs pertes sur le secteur public. Par conséquent, elles doivent être tenues de rendre des comptes et faire preuve de modération. Des saisies sur les prêts défaillants se produiront aussi en Europe et seront du plus mauvais effet lorsqu’elles s’accompagneront de comportements inexplicables et inexcusables de la part des directeurs de banque dont les emplois et les établissements auront souvent été sauvés par l’ensemble de la population.
72. Enfin, il faut que les gouvernements des Etats membres du Conseil de l’Europe se montrent plus vigilants quant à l’intégrité des économistes dont les conseils aux décideurs sont tout aussi indispensables que, parfois, discutables – voire manipulateurs. Certes, l’économie n’est pas une science exacte mais l’éthique et la responsabilité de cette profession pourraient être renforcées – par exemple en élaborant un code de conduite mondial.
73. Ce rapport arrive donc à un moment crucial, lorsque se prennent de grandes décisions économiques qui détermineront pour les années à venir la santé et la croissance des nations du continent européen, ainsi que l’évolution de nos sociétés, nos conditions de vie et le respect des droits fondamentaux des citoyens européens. Les décisions qu’ont aujourd’hui à prendre nos gouvernements auront une incidence irréversible sur la construction de l’Europe du XXIe siècle et sur la qualité de vie des générations futures.

Annexe – Dette publique et déficit public d’une sélection de pays

(open)

Pays

Dette publique, en % du PIB

Déficit/excédent public, en % du PIB

2007

2008

2009

2010*

2007

2008

2009

2010*

Autriche

59,3

62,3

67,5

76

> 0,4

> 0,5

> 3,5

> 4,4

Belgique

84,2

89,6

96,2

103

> 0,3

> 1,3

> 6,0

> 4,9

Bulgarie

17,2

13,7

14,7

 

1,1

1,7

> 4,7

 

République tchèque

29,0

30,0

35,3

49

> 0,7

> 2,7

> 5,8

> 5,2

Chypre

58,3

48,3

58,0

 

3,4

0,9

> 6,0

 

Danemark

27,4

34,2

41,4

54

4,8

3,4

> 2,7

> 4,6

Estonie

3,7

4,6

7,2

 

2,5

> 2,8

> 1,7

> 1,5**

Allemagne

64,9

66,3

73,4

80

0,3

0,1

> 3,0

> 4,0

Grèce

105,0

110,3

126,8

129

> 6,4

> 9,4

> 15,4

> 8,3

Finlande

35,2

34,1

43,8

58

5,2

4,2

> 2,5

> 3,3

France

63,8

67,5

78,1

92

> 2,7

> 3,3

> 7,5

> 7,4

Hongrie

66,1

72,3

78,4

89

> 5,0

> 3,7

> 4,4

> 4,2

Irlande

25,0

44,3

65,5

105

0

> 7,3

> 14,4

> 32,3

Italie

103,6

106,3

116,0

131

> 1,5

> 2,7

> 5,3

> 5,0

Lettonie

9,0

19,7

36,7

 

> 0,3

> 4,2

> 10,2

> 8,0**

Lituanie

16,9

15,6

29,5

 

> 1,0

> 3,3

> 9,2

> 7,2**

Luxembourg

6,7

13,6

14,5

21

3,7

3,0

> 0,7

> 2,2

Malte

61,7

63,1

68,6

 

> 2,3

> 4,8

> 3,8

 

Pays-Bas

45,3

58,2

60,8

75

0,2

0,6

> 5,4

> 5,8

Pologne

45,0

47,1

50,9

64

> 1,9

> 3,7

> 7,2

> 7,9

Portugal

62,7

65,3

76,1

93

> 2,8

> 2,9

> 9,3

> 7,3

Roumanie

12,6

13,4

23,9

 

> 2,6

> 5,7

> 8,6

> 6,8**

Slovénie

23,4

22,5

35,4

 

0

> 1,8

> 5,8

> 5,7**

République slovaque

29,6

27,8

35,4

47

> 1,8

> 2,1

> 7,9

> 8,1

Espagne

36,1

39,8

53,2

72

1,9

> 4,2

> 11,1

> 9,2

Suède

40,0

38,2

41,9

51

3,6

2,2

> 0,9

> 1,2

Royaume-Uni

44,5

52,1

68,2

81

> 2,7

> 5,0

> 11,4

> 9,6

UE-27

58,8

61,8

74,0

91,6

> 0,9

> 2,3

> 6,8

> 6,3

Croatie

32,9

28,9

35,3

 

> 2,5

> 1,4

> 4,1

> 4,7**

Islande

29,1

57,4

125

5,4

> 13,5

> 9,1

> 6,3

Fédération de Russie**

7,2

6,5

8,5

 

6,0

4,9

> 6,2

> 5,3

Suisse*

46,5

44,3

42,2

42,1

1,7

2,3

1,2

> 0,7

Turquie

39,4

39,5

45,4

 

> 1,0

> 2,2

> 6,7

> 4,1**

Les chiffres en gras indiquent des niveaux d’endettement public supérieurs à 60 % du PIB.

Source: Eurostat; *données de l’OCDE, sauf indication contraire (la définition de la dette publique brute n’est pas la même selon l’OCDE et selon Maastricht, cette dernière étant utilisée par UE/Eurostat); **données de la BERD.