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Rapport | Doc. 12193 | 01 avril 2010

La piraterie – un crime qui défie les démocraties

Commission des questions politiques et de la démocratie

Rapporteure : Mme Birgen KELEŞ, Turquie, SOC

Résumé

Au cours des dernières années, la piraterie a pris une importance sans précédent et elle est devenue quasiment endémique dans certaines zones maritimes, menaçant gravement la sécurité de la navigation commerciale et celle des équipages et des passagers.

Même si la dissuasion militaire a fait chuter le taux d’attaques réussies au large des côtes de la Somalie, zone la plus sensible de la planète, elle ne peut pas fournir une solution à long terme au problème, car les causes profondes de la piraterie se trouvent à terre. Une approche globale est nécessaire pour traiter les causes de l’instabilité, de l’absence de gouvernance et de la pauvreté en Somalie et dans d’autres pays qui engendrent de la piraterie, ainsi que pour assurer les poursuites effectives des pirates présumés, dans le respect des normes des droits de l’homme.

A. Projet de résolution

(open)
1. L’Assemblée parlementaire s’inquiète du retour en force de la piraterie, devenue désormais endémique dans certaines zones maritimes qui engendre des pertes économiques de plusieurs milliards de dollars chaque année, de grandes souffrances humaines, des personnes étant kidnappées, blessées, traumatisées, voire tuées, et qui pourrait servir au financement de groupes extrémistes ou terroristes. Ce phénomène est directement lié à l’incapacité des Etats côtiers à exercer leurs pouvoirs de police à l’intérieur ou aux abords de leurs eaux territoriales, en raison de l’absence de bonne gouvernance.
2. Depuis 2009, la mer au large des côtes somaliennes est devenue la zone la plus sensible de la planète, les activités de piraterie s’étendant des eaux territoriales somaliennes au golfe d’Aden, au Kenya, à Madagascar, aux Seychelles et à la Tanzanie et les pirates faisant usage d’armes et de technologies de plus en plus sophistiquées.
3. Jusqu’à présent, le cadre de lutte contre la piraterie mettait principalement l’accent sur la dissuasion militaire: 45 pays ont envoyé des navires de guerre au large des côtes somaliennes aux fins d’escorter les navires de commerce battant leur pavillon ou pour lesquels ils ont un intérêt particulier, en raison de la nationalité de l’équipage ou de la nature du chargement à bord.
4. Les Etats ont commencé à coopérer et mis en place des systèmes de sécurité collectifs, dans le but de dissuader, de se défendre et d’enrayer les actes de piraterie commis contre des navires, quels que soient leurs pavillons. Dans ce contexte, l’Assemblée salue les efforts entrepris par l’OTAN et l’Union européenne depuis 2008 qui, grâce à de nombreuses opérations militaires successives, ont permis de distribuer en toute sécurité des milliers de tonnes d’aide humanitaire à la population civile somalienne, de déjouer des dizaines d’attaques de pirates et de porter assistance aux victimes.
5. La dissuasion militaire a fait chuter le taux d’attaques réussies au large des côtes somaliennes, d’un sur trois en 2006 à un sur six en 2009. Dans un même temps, la capacité des navires de commerce à éviter ou échapper par eux-mêmes aux attaques de piraterie a énormément augmenté, leur permettant ainsi d’être de moins en moins dépendants de sociétés de sécurité privées.
6. L’Assemblée est cependant convaincue que la dissuasion militaire ne peut pas fournir une solution à long terme au problème de la piraterie, dont les causes profondes se trouvent à terre. Une approche globale est nécessaire pour traiter les causes de la pauvreté, de l’instabilité et de l’absence de gouvernance en Somalie et dans d’autres pays qui engendrent de la piraterie.
7. La pratique de certains Etats membres du Conseil de l’Europe consistant à remettre en liberté les pirates présumés est source de préoccupation. Une approche globale de la piraterie suppose de garantir une répression efficace, en tant que partie intégrante de tout effort de dissuasion crédible et moyen de faire preuve d’une volonté politique ferme de faire respecter la prééminence du droit.
8. L’Assemblée reconnaît qu’un certain nombre d’obstacles entravent la poursuite effective des pirates présumés, le principal étant que la majorité des attaques a lieu dans les eaux territoriales d’un Etat. Dans un tel cas, au titre du droit international, l’Etat riverain porte à lui seul la responsabilité d’arrêter et de poursuivre les auteurs de piraterie. En effet, le principe de juridiction universelle ne s’applique pas, à l’exception de la Somalie en vertu de la Résolution 1851 (2008) du Conseil de sécurité des Nations Unies.
9. En outre, certains Etats membres du Conseil de l’Europe sont réticents à engager des poursuites, au motif que leur législation nationale est obsolète, floue ou inadaptée à la piraterie telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui. Par ailleurs, s’agissant des opérations internationales ou lorsque plusieurs pays sont impliqués, aucune règle claire ne précise l’Etat qui doit engager les poursuites et dans quel ordre de préséance.
10. L’Assemblée note que l’Union européenne a conclu des accords avec les gouvernements du Kenya et des Seychelles, concernant le transfert et les poursuites à l’encontre de personnes soupçonnées d’avoir commis des actes de piraterie en haute mer et appréhendées par la force navale placée sous la direction de l’Union européenne (EUNAVFOR); les Pays-Bas, le Royaume-Uni et les Etats-Unis ont fait de même. L’Assemblée regrette que ces arrangements ne semblent pas appropriés pour faire face à l’ampleur et à l’échelle du problème.
11. Tout en reconnaissant que le transfert de pirates présumés vers un pays tiers n’est pas en soi illégal, et que la proximité géographique avec le théâtre des attaques est un élément important susceptible de faciliter les investigations ultérieures, la collecte de preuves et l’audition des témoins, l’Assemblée rappelle que les Etats membres du Conseil de l’Europe doivent garantir le respect de l’ensemble des engagements souscrits au titre de la Convention européenne des droits de l’homme et d’autres instruments pertinents relatifs aux droits de l’homme. Elle rappelle par ailleurs qu’ils pourraient être tenus responsables de violation de la Convention, en cas notamment de transfert de personnes vers un pays où elles pourraient être victimes de torture ou de traitements inhumains ou dégradants, ou ne pas bénéficier d’un procès équitable.
12. L’Assemblée rappelle également que les Etats membres du Conseil de l’Europe ont pour obligation de respecter la Convention européenne des droits de l’homme dans l’exercice d’une juridiction extraterritoriale: ils doivent de ce fait se conformer aux dispositions pertinentes de la Convention lors de l’arrestation, de la détention à bord ou du transfert de pirates présumés indépendamment du lieu où ils sont pratiqués.
13. Bien que le manque de transparence prévale dans la plupart des affaires de piraterie, notamment dans celles où des personnes sont retenues en otage pendant de longues périodes, il y a tout lieu de penser que la majorité d’entre elles se soldent par le versement d’une rançon. Les Etats membres du Conseil de l’Europe devraient adopter des politiques et législations claires régissant cette question afin de ne pas encourager tout nouvel acte de piraterie et le recours au paiement de rançons pour financer les groupes extrémistes ou terroristes.
14. A la lumière de ces considérations, l’Assemblée, s’agissant de la dissuasion militaire:
14.1. encourage les Etats membres du Conseil de l’Europe à mettre en place une escorte navale des navires amenés à traverser des zones présentant un risque de piraterie;
14.2. demande à l’OTAN, à l’Union européenne et aux pays concernés de renouveler et d’intensifier leurs opérations de lutte contre la piraterie au large des côtes somaliennes.
15. S’agissant des poursuites, l’Assemblée appelle les Etats membres du Conseil de l’Europe:
15.1. à moderniser et développer un cadre juridique interne commun et plus pertinent afin d’ériger en infraction pénale l’acte de piraterie quel que soit le lieu où il est commis et d’assurer les poursuites dans les Etats membres du Conseil de l’Europe, ou mettre en place la législation appropriée si elle n’existe pas;
15.2. à introduire des dispositions juridiques aux fins d’autoriser l’arrestation, le transfert et l’engagement de poursuites à l’encontre de pirates présumés appréhendés dans les eaux territoriales somaliennes ou sur le territoire somalien, conformément à la Résolution 1851 (2008) du Conseil de sécurité des Nations Unies;
15.3. à établir des règles relatives au traitement, à bord de leurs navires militaires, de pirates présumés, garantissant le respect plein et entier de la Convention européenne des droits de l’homme et d’autres instruments internationaux pertinents relatifs aux droits de l’homme;
15.4. à renforcer la coopération internationale et convenir de directives claires quant à la manière d’identifier l’Etat responsable des poursuites de pirates présumés;
15.5. à rechercher des moyens appropriés d’adapter le cadre juridique international en vigueur aux besoins actuels en matière de surveillance maritime.
16. L’Assemblée appelle les Etats membres du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne:
16.1. à conclure des accords avec des pays tiers quant au transfert et à l’engagement de poursuites à l’encontre de pirates présumés et veiller à ce que ces accords soient pleinement conformes à la Convention européenne des droits de l’homme et aux autres instruments internationaux pertinents relatifs aux droits de l’homme;
16.2. à surveiller étroitement le traitement accordé aux pirates présumés après leur transfert vers un pays tiers, en ce qui concerne notamment les conditions de détention, l’accès à un procès équitable, l’absence de toute pratique de la torture et de traitement inhumain ou dégradant ou encore de la peine capitale.
17. Enfin, s’agissant de l’élaboration d’un cadre global de lutte contre la piraterie, l’Assemblée appelle les Etats membres du Conseil de l’Europe:
17.1. à soutenir les efforts du Gouvernement fédéral de transition de la Somalie et ceux de la communauté internationale, en particulier des Nations Unies et de l’Union européenne, aux fins de rétablir la paix et la stabilité en Somalie;
17.2. à renforcer l’aide apportée à la Somalie, directement ou par l’intermédiaire du Programme alimentaire mondial, du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et d’autres organisations des droits de l’homme ou humanitaires;
17.3. à mettre en place des politiques et une législation claires contre le paiement de rançons et garantir leur respect tant par les acteurs privés que les autorités de l’Etat;
17.4. à améliorer la coopération internationale aux fins d’identifier les réseaux criminels basés en Somalie ou ailleurs qui orchestrent les attaques de pirates et veiller à ce qu’ils soient traduits en justice;
17.5. à mener des enquêtes afin de vérifier si les versements de rançons servent à financer des groupes extrémistes ou terroristes et, dans l’affirmative, prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre un terme à cette pratique et éviter les récidives.

B. Exposé des motifs, par Mme Keleş, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. On avait cru la piraterie maritime largement disparue dans les temps modernes, ou pour le moins tombée à des niveaux n’exigeant pas que l’on y prête énormément d’attention. Or, contrairement à cette idée reçue, la piraterie a atteint au cours des dernières années une importance sans précédent et elle est devenue quasiment endémique dans certaines zones maritimes, menaçant gravement la sécurité de la navigation commerciale et celle des équipages et des passagers.
2. Dans le monde entier, la perte économique causée par la piraterie s’élève à plus de 16 milliards de dollars des Etats-Unis par an 
			(1) 
			Joshua Haberkornhalm, White Paper on Managing the Risks of Maritime
Piracy, 2004.. En outre, des milliers de personnes sont prises en otage et des centaines de marins sont blessés, traumatisés ou tués.
3. Mais il existe d’autres risques potentiels:
  • les pirates peuvent causer – intentionnellement ou non – des catastrophes environnementales, par exemple lorsqu’ils attaquent des navires transportant du pétrole, des produits chimiques dangereux ou des explosifs – ce qui est de plus en plus fréquent;
  • le prix de certaines marchandises – comme le pétrole et les produits manufacturés – pourrait augmenter, en raison de la hausse des primes d’assurance versées pour passer par certaines zones sensibles;
  • les profits tirés de la piraterie peuvent être utilisés pour financer des groupes terroristes ou – compte tenu du succès de la piraterie – des terroristes peuvent décider de tirer profit de la vulnérabilité du transport maritime et utiliser des techniques de piraterie pour le prendre pour cible.
4. Il n’est donc pas surprenant que, au cours des dernières années, les gouvernements, les organisations internationales et d’autres acteurs aient prêté une attention grandissante à la piraterie en vue d’établir un cadre utile de lutte contre ce phénomène.
5. Parmi les assemblées parlementaires internationales, le Parlement européen a été la première instance à s’attaquer à la question, en adoptant en 2008 une résolution de grande ampleur sur la piraterie en mer 
			(2) 
			Résolution
du Parlement européen sur les actes de piraterie en mer, 23 octobre
2008, B6‑0537/2008.. Depuis lors, la piraterie a constamment figuré à l’ordre du jour des commissions et des groupes politiques du Parlement européen, qui ont organisé diverses auditions et pris d’autres initiatives en la matière. En juin 2009, l’Assemblée interparlementaire européenne de sécurité et de défense a adopté la Recommandation no 840 sur le rôle de l’Union européenne dans la lutte contre la piraterie, un texte qui met l’accent sur les efforts en matière de dissuasion militaire tout en suggérant plusieurs mesures pour renforcer les poursuites pénales 
			(3) 
			Document A/2037, 4
juin 2009.. En novembre 2009, l’Assemblée parlementaire de l’OTAN a adopté la Résolution 375 en tant que réponse globale et coordonnée à la piraterie au large des côtes de la Somalie 
			(4) 
			Voir le site <a href='http://www.nato-pa.int/default.asp?SHORTCUT=1949'>www.nato-pa.int/default.asp?SHORTCUT=1949.</a>.
6. Au cours de l’année 2009, trois propositions de recommandations ont été soumises par des membres de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. L’une par moi-même, sur la piraterie et les prises d’otages en haute mer 
			(5) 
			Doc. 11803.; une autre, soumise par M. Wodarg 
			(6) 
			Doc. 11837., s’intéresse aux défis que pose la lutte contre la piraterie aux démocraties, notamment l’action des sociétés privées à vocation sécuritaire; et la troisième, soumise par M. Kosachev, concerne la nécessité de prendre des mesures juridiques internationales supplémentaires pour lutter contre la piraterie en mer 
			(7) 
			Doc. 11947.. Les deux premières ont été fusionnées et renvoyées à la commission des questions politiques, où j’ai été élue rapporteur; la troisième a été soumise à la commission des questions juridiques et des droits de l’homme (rapporteur: M. Holovaty).
7. Afin de ne pas reproduire les travaux effectués par d’autres tout en cherchant les synergies possibles, j’ai essayé d’aborder la question de la piraterie de telle sorte que le Conseil de l’Europe puisse avoir une valeur ajoutée. Je mets donc l’accent dans le présent rapport sur la prééminence du droit et les aspects politiques en me fondant, entre autres, sur l’audition consacrée à la piraterie des temps modernes organisée par la commission des questions politiques le 17 novembre 2009 à Bruxelles. Je ne m’appesantirai pas sur les questions purement juridiques, qui seront traitées dans le rapport de M. Holovaty.

2. Vue d’ensemble du phénomène

2.1. Définitions

8. Conformément à la Convention des Nations Unies de 1982 sur le droit de la mer 
			(8) 
			Article
101., qui a été ratifiée par 160 Etats à l’exception importante des Etats-Unis d’Amérique, la piraterie est définie comme étant:
«a. tout acte illicite de violence ou de détention ou toute déprédation commis par l’équipage ou des passagers d’un navire ou d’un aéronef privé, agissant à des fins privées, et dirigé:
i. contre un autre navire ou aéronef, ou contre des personnes ou des biens à leur bord, en haute mer,
ii. contre un navire ou aéronef, des personnes ou des biens, dans un lieu ne relevant de la juridiction d’aucun Etat,
b. tout acte de participation volontaire à l’utilisation d’un navire ou d’un aéronef, lorsque son auteur a connaissance de faits dont il découle que ce navire ou aéronef est un navire ou aéronef pirate,
c. tout acte ayant pour but d’inciter à commettre les actes définis aux lettres a ou b, ou commis dans l’intention de les faciliter».
9. La définition juridique de la piraterie est plus restrictive que la notion de piraterie employée dans le langage courant, puisqu’elle ne fait référence qu’à des actes commis en haute mer (la possibilité d’autres lieux ne relevant de la juridiction d’aucun Etat n’étant que théorique). Par contre, les attaques perpétrées dans les eaux territoriales d’un pays donné sont considérées sur le plan juridique comme des vols à main armée en mer.
10. Cependant, dans le présent rapport, j’emploierai le terme piraterie dans son sens commun, et je préciserai où les actes sont commis afin d’établir une distinction. Il est important de noter que 80 % des attaques de piraterie signalées se produisent à l’intérieur des eaux territoriales 
			(9) 
			Munich
Re, Piracy – Threat at sea,
p. 17. .

2.2. Un phénomène de plus en plus fréquent 
			(10) 
			Source: 2009 annual piracy report, publié
par le Piracy Reporting Centre du BMI de la Chambre de commerce internationale.

11. La base de données statistiques et cartographiques la plus importante sur la piraterie en mer est gérée par une organisation commerciale privée, le Bureau maritime international (BMI) de la Chambre de commerce internationale, qui publie également des rapports périodiques par le biais de son Piracy Reporting Centre (BMI-PRC). La tendance observée montre une recrudescence considérable, quantitative et qualitative, du phénomène:
  • en 2009, 406 attaques ou tentatives d’attaques ont eu lieu dans le monde. A titre de comparaison, il y a eu 293 attaques en 2008, 263 en 2007 et 239 en 2006;
  • ces attaques sont devenues de plus en plus sophistiquées et dangereuses pour la sécurité des personnes: sur les 406 attaques ou tentatives d’attaques commises en 2009, les pirates sont montés à bord de 153 navires, ils en ont détourné 49, tandis que 120 navires ont essuyé des tirs; 1 052 membres d’équipage ont été pris en otage, 68 ont été blessés lors des divers incidents et 8 ont été tués.
12. Tous les types de navires sont pris pour cible: pas seulement les vraquiers, les porte-conteneurs et les pétroliers mais aussi les navires de pêche, les bateaux de plaisance et les navires transportant des passagers.
13. Ces chiffres, pour alarmants qu’ils soient, ne reflètent cependant pas toute l’ampleur du phénomène, car selon le BMl de nombreuses attaques perpétrées contre les navires de commerce – probablement 50 % 
			(11) 
			Munich Re, op. cit., p. 17. – ne sont pas signalées. La lenteur et la lourdeur des enquêtes – auxquelles peuvent être associées les autorités de l’Etat côtier – dissuadent souvent les compagnies maritimes de les signaler, ainsi que la peur de perdre des clients.

2.3. Principales zones sensibles

14. La piraterie est un phénomène mondial dont la fréquence est directement liée à l’incapacité des Etats côtiers à exercer leurs pouvoirs de police dans leurs eaux, à cause d’un manque de bonne gouvernance. Les principales zones sensibles sont les eaux territoriales de l’Asie du Sud-Est – notamment le détroit de Malacca –, l’Afrique de l’Ouest, l’océan Indien et le golfe d’Aden, l’Amérique du Sud et les îles des Caraïbes.

3. Le cas de la Somalie

3.1. L’ampleur du problème

15. Au cours de l’année passée, il y a eu une augmentation considérable des actes de piraterie et des vols à main armée en mer au large des côtes somaliennes, les pirates ayant élargi leur champ d’opération des eaux territoriales somaliennes au golfe d’Aden, au Kenya, à Madagascar, aux Seychelles et à la Tanzanie 
			(12) 
			Voir la section ci-après
consacrée à cette question..
16. On pense que les pirates utilisent des «bateaux mères» qui peuvent les conduire en haute mer, d’où ils lancent des embarcations plus petites pour attaquer et détourner les navires de passage.
17. Sur les 406 attaques ou tentatives d’attaques commises en 2009, 217 l’ont été au large des côtes somaliennes. En tout, 47 navires ont été détournés, 867 membres d’équipage ont été pris en otage et 4 ont été tués. En 2008, le nombre d’attaques ou de tentatives d’attaques recensées dans cette région était de 111. Il était de 31 en 2007 et de 10 en 2006 
			(13) 
			Présentation
de M. Howlett, directeur de division au Bureau maritime international
de la Chambre de commerce internationale, à l’occasion de l’audition
sur la piraterie moderne qui s’est tenue le 17 novembre 2009 à Bruxelles..
18. En 2009, la zone des attaques au large de la Somalie a significativement changé. Alors que, en 2008, ces attaques étaient essentiellement commises dans le golfe d’Aden, en 2009 elles l’ont été davantage au large des villages côtiers de Eyl et Garaad dans le Puntland, au nord-est de la Somalie, et des villages côtiers d’Hobyo et d’Harardhere au centre de la Somalie 
			(14) 
			Raymond
Gilpin, United States Institute of Peace, «Counting the Costs of
Somali Piracy», 22 juin 2009.. Depuis octobre 2009, une activité plus intense a été observée dans l’océan Indien, avec le signalement de 33 incidents, dont 13 détournements de bateaux.
19. Le phénomène en augmentation de la piraterie au large des côtes somaliennes est inquiétant, compte tenu:
  • de l’importance de cet espace maritime pour le commerce maritime (un tiers du fret mondial transite par le golfe d’Aden);
  • du fait que, contrairement à d’autres régions du monde, les pirates somaliens ont montré qu’ils étaient capables de s’emparer de très gros navires et de prendre et retenir en otage leur équipage, y compris pendant de longues périodes, en vue d’obtenir une rançon;
  • du fait que la piraterie désorganise l’acheminement de nourriture et d’autres formes d’aide humanitaire dont la population somalienne est fortement tributaire.

3.2. La réponse du Conseil de sécurité des Nations Unies

20. La gravité de la situation a conduit le Conseil de sécurité des Nations Unies, agissant en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations Unies (menaces à la paix et à la sécurité internationales), à adopter cinq résolutions sur la piraterie au large des côtes somaliennes au cours d’une période de six mois seulement 
			(15) 
			Résolutions 1814, 1816,
1838, 1846 et 1851 (2008)..
21. Dans ces textes, le Conseil de sécurité des Nations Unies:
  • prie les organisations régionales et internationales qui en ont les moyens de participer activement à la lutte contre la piraterie et les vols à main armée, en particulier en déployant des navires de guerre ou des avions militaires;
  • invite tous les Etats et organisations régionales qui luttent contre la piraterie au large des côtes somaliennes à conclure des accords spéciaux avec les pays disposés à mettre en détention des pirates pour embarquer des agents des services de lutte contre la criminalité de ces pays en vue de faciliter les enquêtes et les poursuites;
  • encourage la mise en place d’un mécanisme international de coopération et d’un centre d’échange d’informations;
  • décide que, d’ici à la fin 2009, les Etats et les organisations régionales qui coopèrent pour lutter contre la piraterie et les vols à main armée au large des côtes somaliennes sont autorisés à prendre toutes les mesures nécessaires et appropriées aux fins de réprimer ces actes de piraterie et vols à main armée en mer, sur le territoire somalien, dans le respect du droit international humanitaire et des droits de l’homme 
			(16) 
			Résolution 1851 (2008), paragraphe 6..
22. Cette dernière décision du Conseil de sécurité des Nations Unies doit être considérée dans le contexte d’une demande particulière adressée au Secrétaire général des Nations Unies par le Gouvernement fédéral de transition de Somalie (GFT), qui demandait l’aide de la communauté internationale pour lutter contre la piraterie 
			(17) 
			Lettres des 1er septembre
et 9 décembre 2008 signées par le Président de la Somalie..

3.3. Les causes profondes de la piraterie en Somalie

23. Pour comprendre pourquoi la piraterie a pris racine en Somalie, il convient de garder à l’esprit les conditions politiques et socio-économiques du pays.
24. Lorsque le régime de Barre a été destitué au début des années 1990, la Somalie a plongé dans une guerre civile marquée par des luttes claniques et un banditisme d’autant plus endémiques que ce pays est privé d’un gouvernement central capable d’exercer sa souveraineté sur l’ensemble de son territoire. A l’heure actuelle, le gouvernement fédéral de transition (GFT) – qui est reconnu par la communauté internationale – est présent à Mogadiscio mais ne contrôle que quelques districts de la capitale. Il est engagé dans une guerre contre des groupes islamistes extrémistes liés à Al-Qaida, comme al-Shabaab et Hizbul-Islam qui sont maîtres du sud du pays. Les seules régions qui jouissent d’un calme relatif sont le Somaliland et le Puntland, deux régions qui ont déclaré leur indépendance (qui n’est pas reconnue par la communauté internationale) et sont toutes deux engagées dans la lutte contre des groupes islamistes.
25. Dans cette situation, des seigneurs de la guerre locaux ont constitué leurs propres unités de gardes-côtes qui ont commencé à réclamer des taxes et des amendes aux bateaux qu’ils parvenaient à arraisonner. Ces agissements se sont rapidement transformés en piraterie 
			(18) 
			Raymond
Gilpin, United States Institute of Peace, «Counting the Costs of
Somali Piracy», 22 juin 2009.. Parallèlement, profitant de l’effondrement de l’appareil d’Etat, des chalutiers d’autres pays ont commencé à pêcher dans les eaux somaliennes sans rencontrer d’obstacles, menaçant les moyens de subsistance des pêcheurs locaux qui n’ont pas eu d’autre solution que de se tourner vers la piraterie pour assurer leur propre survie.
26. La piraterie est, par conséquent, une activité très lucrative pour les seigneurs de la guerre locaux et la principale source de revenu pour les gens ordinaires. Il n’est pas inhabituel pour les villageois d’aider les pirates à garder les navires détournés et les équipages pris en otage une fois qu’ils sont ramenés sur le rivage, dans l’espoir de recevoir une partie de la rançon. Selon certains rapports, même la diaspora somalienne appuie les pirates locaux, en les aidant à se procurer des équipements sophistiqués, en jouant le rôle d’intermédiaires, etc. 
			(19) 
			Associated Press, «Somali
piracy backed by international netwok», <a href='http://www.msnbc.msn.com/id/28158455/page/2/'>www.msnbc.msn.com/id/28158455/page/2/</a>, 10 décembre 2008..
27. La population de Somalie approche les 10 millions d’habitants, avec une espérance de vie de moins de 50 ans, la moyenne d’âge étant de 17 ans. Le pays manque des structures de soins et de protection sociale les plus élémentaires; la famine et des sécheresses chroniques condamnent les gens à vivre avec moins de 2 dollars des Etats-Unis par jour 
			(20) 
			Source:
Banque mondiale.. Plus de 1 300 000 personnes sont dans une situation de déplacement interne 
			(21) 
			Centre de surveillance
des déplacements internes, <a href='http://www.internal-displacement.org/'>www.internal-displacement.org/.</a>. La violence et les violations des droits de l’homme sont quotidiennes. Dans les régions qu’ils contrôlent, les groupes islamistes ont imposé l’interprétation stricte de la loi de la charia 
			(22) 
			BBC
News, «Somali Justice – Islamist Style», 20 mai 2009. Cependant,
la loi de la charia s’applique aussi dans les régions de la Somalie
soumises au contrôle du gouvernement fédéral de transition, bien
que le Président se soit engagé à ne pas en imposer une interprétation
stricte (Al Jazeera, Somalia votes to
implement Sharia, 19 avril 2009). ; la situation des femmes dans ces régions est un sujet de grande préoccupation.
28. Les Somaliens sont fortement tributaires de l’aide alimentaire et humanitaire extérieure. Cependant, cette assistance est entravée en mer par la piraterie, et sur terre par des attaques, des enlèvements et des menaces de groupes armés à l’encontre des travailleurs humanitaires, une situation qui a souvent conduit à la fermeture temporaire des bureaux du Programme alimentaire mondial (PAM) et à la suspension des services humanitaires.
29. En novembre 2009, al-Shabaab a posé «11 conditions» aux ONG humanitaires et agences des Nations Unies travaillant dans les zones sous son contrôle, dont: l’arrêt de toute ingérence dans l’islam, le retrait du personnel féminin et le versement d’une taxe de 20 000 dollars tous les six mois. Fin février 2010, al-Shabaab a interdit l’ensemble des activités du Programme alimentaire mondial.

3.4. Le rôle de la communauté internationale

30. Après l’échec d’une quinzaine de processus de paix, une nouvelle tentative pour aboutir à un accord de paix négocié en Somalie est en cours depuis mai 2008: le processus de paix de Djibouti. Cette initiative menée par les Nations Unies bénéficie du soutien des principaux acteurs extérieurs de la région et au-delà, dont l’Ethiopie, la Ligue des Etats arabes et les Etats-Unis. Ce processus est cependant confronté à des défis importants, notamment:
  • comment répondre aux préoccupations sécuritaires des autres pays de la région, comme l’Ethiopie;
  • comment impliquer tous les acteurs importants dans la crise somalienne, y compris les groupes islamistes, la société civile, le milieu des affaires, les conseils locaux et la diaspora somalienne;
  • comment surmonter les clivages et les désaccords entre les parties actuellement impliquées dans le processus lui-même.
31. Certains observateurs soulignent les limites du processus de Djibouti:
  • jusqu’à présent, il avait pour objectif de trouver une solution à la situation dans le sud et le centre de la Somalie, régions où le conflit fait rage depuis deux décennies. Or, cette approche ne prend pas en compte les situations du Somaliland et du Puntland, qui sont d’une certaine manière les résultantes de la crise somalienne;
  • il néglige la question de la justice; depuis le début de la guerre civile, parallèlement à l’effondrement de l’Etat, les Somaliens ont été victimes de graves violations des droits de l’homme, notamment de meurtres, de viols et d’actes de tortures, sans que rien ne soit fait pour déférer les auteurs devant la justice, d’où l’instauration d’une culture de l’impunité.
32. Pour l’heure, la seule présence internationale en Somalie est la Mission d’observation militaire de l’Union africaine (AMISOM), qui conduit une opération de maintien de la paix afin de stabiliser la situation et de créer un environnement plus sûr en vue de préparer le déploiement ultérieur des forces des Nations Unies.
33. Au plan politique, un rôle particulier est joué par le Groupe de contact international sur la Somalie, un groupe informel créé à l’initiative des Etats-Unis pour promouvoir la paix et la réconciliation et auquel participent l’Italie, la Norvège, la Suède, le Royaume-Uni, la Tanzanie, la Commission européenne et la présidence du Conseil de l’Union européenne. Quarante-cinq Etats et sept organisations internationales, y compris l’Organisation maritime internationale et l’Union européenne, travaillent ensemble au sein d’un Groupe de contact sur la lutte contre la piraterie au large des côtes somaliennes afin d’élaborer et de mettre en œuvre des mesures de lutte contre la piraterie.
34. L’Union européenne (UE) s’est progressivement impliquée davantage: la Conférence internationale sur la Somalie, à l’appui des institutions de sécurité somaliennes, organisée à Bruxelles le 23 avril 2009, a représenté une contribution importante en vue de la création de forces de sécurité et d’une force de police civile somaliennes; en juillet 2009, le Conseil de l’Union européenne a décidé de renforcer l’engagement de l’Union européenne afin de promouvoir la paix et le développement en Somalie. A cette fin, il a examiné les possibilités offertes à l’UE de contribuer aux efforts internationaux, y compris dans le domaine de la sécurité. Le 17 novembre 2009, le Conseil de l’Union européenne a approuvé un concept de gestion de crise concernant une éventuelle mission de politique européenne de sécurité et de défense (PESD) visant à contribuer à la formation des forces de sécurité du Gouvernement fédéral de transition somalien, et a demandé que des travaux de planification complémentaires soient menés.
35. En 2009, l’aide globale de l’Union européenne à la Somalie s’élevait à 180 millions d’euros, la plupart des projets étant axés sur l’aide humanitaire et le renforcement de la prééminence du droit, en particulier la police et la justice. Le document de Stratégie commune pour la Somalie 2008-2013 prévoit une enveloppe globale de 215,8 millions d’euros pour les trois principaux secteurs de la coopération: la gouvernance, l’éducation et le développement rural. La question de la sécurité des routes maritimes fait aussi partie du Programme indicatif 2009-2011 de la Commission européenne.

4. Un choix politique: donner la priorité à la dissuasion

36. La réponse au problème de la piraterie a été principalement militaire jusqu’à ce jour: plusieurs flottes, telles celles de la Turquie, de la France, de la Russie, du Royaume-Uni, de la Chine, de l’Inde et des Etats-Unis – cette liste comprend 45 pays –, ont envoyé des navires de guerre dans des zones sensibles aux fins d’escorter les navires de commerce portant leur pavillon ou pour lesquels ils ont un intérêt particulier, en raison de la nationalité de l’équipage ou de la nature du chargement à bord.
37. Dans certains cas, au large des côtes somaliennes et/ou dans le golfe d’Aden, par exemple, des Etats ont engagé une coopération et mis en place des systèmes de sécurité collectifs, dans le but de dissuader, de se défendre et d’enrayer les actes de piraterie commis contre des navires, quels que soient leurs pavillons. C’est le cas, en particulier, de l’OTAN, de l’Union européenne et d’une coalition d’Etats.

4.1. L’OTAN 
			(23) 
			Présentation de Mme Alexia
Mikhos, Section politique de gestion des crises, Division des opérations,
OTAN, audition sur la piraterie moderne, 17 novembre 2009.

38. Depuis 2008, l’OTAN a conduit plusieurs opérations successives dans cette région:
  • la mission Allied Provider (12 octobre-12 décembre 2008), qui a, en plus des actions de dissuasion, escorté avec succès huit convois transportant 30 000 tonnes d’aide humanitaire du Programme alimentaire mondial vers la Somalie, et fait échec à six attaques de pirates;
  • l’opération Allied Protector (mars-août 2009), qui a permis à 43 navires d’être escortés, dont sept navires affrétés par le Programme alimentaire mondial. Les unités de l’OTAN ont répondu à 46 appels d’urgence, repoussé des attaques de pirates ou prêté assistance aux victimes;
  • l’opération Ocean Shield, qui est toujours en cours. Les navires de l’OTAN patrouillent au large de la Corne de l’Afrique, le long du couloir de navigation recommandé par la communauté internationale, et procèdent à l’accompagnement 
			(24) 
			Selon le concept d’«accompagnement»,
les navires de commerce sont accompagnés par un bâtiment militaire pendant
un court trajet en mer puis par un autre bâtiment militaire qui
prend le relais, au lieu d’être escortés par un seul bâtiment jusqu’à
leur destination. (à distinguer de l’escorte) des convois humanitaires et d’autres navires. Jusqu’à la mi-novembre 2009, l’OTAN a assuré l’accompagnement de 38 navires et repoussé 22 attaques de pirates.

4.2. L’Union européenne 
			(25) 
			Présentation du commandant
David Lintern, opération UE Navfor Atalante, officier de liaison
avec l’Union européenne, audition
sur la piraterie moderne, 17 novembre 2009.

39. L’opération dénommée UE NAVFOR Somalie – Atalante (depuis décembre 2008) est la première opération navale de l’Union européenne jamais réalisée. Son mandat consiste:
  • à protéger des navires affrétés par le Programme alimentaire mondial;
  • à protéger des navires vulnérables qui naviguent dans le golfe d’Aden et au large des côtes de la Somalie;
  • à employer les mesures nécessaires, y compris l’usage de la force, pour dissuader, prévenir et intervenir afin de mettre fin aux actes de piraterie et aux vols à main armée qui pourraient être commis dans les zones où les forces sont présentes.
40. L’opération Atalante couvre une zone comprenant le sud de la mer Rouge, le golfe d’Aden et une partie de l’océan Indien, dont les Seychelles, soit une superficie comparable à celle de la Méditerranée.
41. Prévue pour une période initiale de douze mois, l’opération a été prolongée jusqu’en décembre 2010. Pendant cette période, jusqu’à 12 navires de l’Union européenne pourront intervenir à tout moment. Actuellement, huit Etats membres de l’Union européenne apportent une contribution opérationnelle permanente à l’opération: la Belgique, la France, l’Allemagne, la Grèce, l’Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas et l’Espagne.
42. Depuis le début de l’opération, 50 navires affrétés par le PAM ont été escortés, ce qui a permis de fournir plus de 267 000 tonnes de denrées alimentaires à la Somalie.
43. Récemment, lors de leur réunion informelle du 24 février 2010 à Palma de Majorque, les ministres de la Défense de l’Union européenne sont convenus que, à partir de fin mars 2010, le champ de l’opération Atalante serait élargi pour inclure le blocage des trois principaux ports somaliens où sont basés les pirates, afin de les empêcher de lancer des attaques et de neutraliser les «bateaux mères».

4.3. Coalition d’Etats

44. Les Etats-Unis et une coalition d’Etats ont envoyé la task force CTF151, une opération multinationale qui a pour mission de dissuader, de démanteler et d’éradiquer la piraterie au large des côtes de Somalie afin de protéger la sécurité maritime globale et de garantir la liberté de navigation dans l’intérêt de tous les pays.

4.4. Résultats

45. La dissuasion militaire, bien qu’elle ne soit pas suffisante pour résoudre le problème posé par la piraterie, a néanmoins permis très concrètement de réduire celle-ci:
  • en 2006 une attaque de pirates sur trois était couronnée de succès; en 2009, ce ratio est passé à une attaque sur six;
  • depuis 2008, aucune tentative d’attaque perpétrée contre un navire affrété par le PAM n’a réussi;
  • la capacité des navires de commerce d’éviter les attaques de pirates ou de leur échapper a énormément augmenté, grâce également à l’exploitation des informations, des renseignements et du savoir-faire accumulés lors des opérations militaires actives dans les zones à risques. On estime que 70 % des attaques de pirates sont repoussées par les navires de commerce eux-mêmes.
46. On notera cependant que pendant les attaques, les actes commis sont de plus en plus violents, car les pirates ouvrent le feu sans distinction pour intimider l’équipage et utilisent des armes plus dangereuses.

5. L’implication des sociétés privées de sécurité (SPS)

47. En vue de renforcer la sécurité de la navigation commerciale, les compagnies maritimes ont commencé à faire appel à des sociétés privées de sécurité (SPS) pour garantir la protection des navires traversant les zones dangereuses. Il s’agit d’un marché nouveau et potentiellement très lucratif pour ces sociétés, qui réduisent leurs activités en Irak en raison de l’amélioration de la situation sécuritaire dans ce pays et du retrait par les Etats-Unis de l’immunité les soustrayant aux poursuites.
48. Les activités de sécurité menées le long des côtes de la Somalie et dans le golfe d’Aden sont pour l’essentiel le fait de sociétés britanniques, mais des entreprises américaines occupent une part croissante de ce marché. Toutes les SPS ne dotent pas leur personnel d’armes létales: certaines recourent plutôt à des tactiques qui peuvent être aussi simples que de graisser ou électrifier les bastingages, mettre en place des barbelés le long des francs-bords ou installer des lances à incendie à haute pression dirigées vers les zones vulnérables du bateau; parfois aussi, ils sont équipés d’armes de haute technologie qui étourdissent, désorientent ou émettent des sons insupportables.
49. Les compagnies d’assurances contribuent au succès des SPS maritimes: en raison des actes de piraterie, les primes d’assurance des navires traversant le golfe d’Aden ont été multipliées par dix, mais certaines compagnies sont prêtes à les réduire de 40 % si les bateaux disposent de leur propre personnel de sécurité.
50. Le recours à des SPS a été sévèrement critiqué par les organisations internationales pertinentes et les experts, car il pourrait donner lieu à une course aux armements en mer, les pirates et les équipages ayant recours à des armes de plus en plus puissantes.
51. Le fait que des navires civils transportent des armes ou des escortes armées soulève en outre des questions juridiques compliquées, qui deviendraient de plus en plus complexes si une personne était blessée ou tuée. La plupart des Etats battant pavillon n’autorisent pas que des armes soient transportées à bord de leurs navires de commerce; les navires de commerce ont normalement droit à un passage inoffensif à travers les eaux territoriales d’un Etat côtier, mais à condition qu’ils ne soient pas armés et ne représentent aucune menace. En outre, le droit de l’Etat côtier peut très bien interdire la détention ou l’utilisation d’armes non autorisées dans ses eaux territoriales.
52. Comme l’a indiqué le Bureau maritime international de la Chambre de commerce internationale, «il y a peu à gagner et beaucoup à perdre d’avoir une sécurité privée armée à bord de quelques navires» transitant dans ces zones à haut risque 
			(26) 
			Bureau
maritime international de la Chambre de commerce internationale, Piracy and Armed Robbery Against Ships Report,
Rapport annuel 2008, p. 40..

6. Arrestation et poursuites: défis juridiques et politiques

53. Dans le droit international coutumier, la piraterie est un crime si grave qu’il relève de la juridiction universelle: tout pays peut appréhender des pirates en haute mer – dès lors qu’aucun autre Etat n’exerce sa juridiction exclusive – et les poursuivre en vertu de sa législation 
			(27) 
			Mitsue
Inazumi, Universal Jurisdiction in Modern
International Law, «Expansion of National Jurisdiction
for Prosecuting Serious Crimes under International Law»..
54. Les règles du droit international, qui sont apparues pour répondre à la nécessité d’éradiquer la piraterie aux XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles, devraient toujours être applicables aujourd’hui. Or, il est très rare que les pirates d’aujourd’hui soient traduits en justice: dans la plupart des cas, alors même qu’ils auraient pu être arrêtés, ils sont laissés libres. Bien que la totalité des experts reconnaisse que «le droit en matière de piraterie est clair à 100 % 
			(28) 
			Kenneth Randall, doyen
de la faculté de droit de l’université de l’Alabama, cité par Alex
Calvo dans Somali Piracy,International Customary Law and the Dispatch
of Japan’s MSDF.», les Etats répugnent à appliquer le principe de juridiction universelle, en raison de considérations pratiques, juridiques et politiques.

6.1. Les eaux territoriales: le principal théâtre des attaques de piraterie

55. La première considération factuelle est que la majorité des attaques de pirates ont lieu dans les eaux territoriales. Dans cette partie de la mer, que la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer a étendue à 12 milles nautiques de la côte en 1982, le principe de compétence universelle ne s’applique pas.
56. Dans ses eaux territoriales, un Etat a la responsabilité exclusive d’appréhender et de poursuivre les pirates en vertu de sa législation. C’est cependant un vœu pieux, sachant que la piraterie en mer se concentre dans des pays qui ne sont pas en mesure ou désireux d’affronter le problème.
57. Cependant, comme cela a été mentionné précédemment, une telle limitation consacrée dans le droit international a été suspendue temporairement dans le cas de la Somalie, sur la base de la Résolution 1851 (2008) adoptée par le Conseil de sécurité des Nations Unies accordant aux Etats le droit de poursuite sur le territoire somalien et à la suite d’une demande spécifique des autorités somaliennes.

6.2. Difficultés dans l’identification des pirates avant les attaques

58. Même dans les eaux internationales, les Etats sont très prudents en ce qui concerne l’arrestation car il n’est pas facile d’identifier les pirates avant qu’ils attaquent: lorsque ces derniers s’aperçoivent de l’arrivée d’un escorteur, ils jettent à l’eau leurs armes, leurs échelles d’abordage et même leurs téléphones satellites. A terre, ils n’ont aucune difficulté à se rééquiper et à repartir en mer. Les rançons, qui se montent souvent à plusieurs millions de dollars, suffisent à payer sans problème un nouvel équipement.
59. La difficulté d’une telle identification est très bien illustrée par l’affaire d’un navire militaire indien qui, en novembre 2008, pensant couler un bateau de pirates dans le golfe d’Aden, a coulé à la place un chalutier thaïlandais qui avait été capturé par les pirates, tuant 15 membres d’équipage innocents 
			(29) 
			Fox News: «Official:
Destroyed Pirate ’Mother’ Ship Actually Thai Boat», 26 novembre
2008..

6.3. Les droits des pirates présumés arrêtés

60. Par ailleurs, la loi a évolué depuis le temps des boucaniers: alors qu’il y a des siècles les pirates capturés étaient normalement exécutés sur place et sans jugement, la question légitime se pose de nos jours de savoir quels droits doivent être accordés aux pirates présumés pendant qu’ils sont en détention sur le navire, et sur quel fondement juridique ils doivent être placés en détention? Un certain nombre de points de droit doivent donc être précisés. Les pirates devraient-ils bénéficier d’une aide juridique? D’un interprète? Peuvent-ils engager une procédure de demande d’asile? En outre, s’agissant d’opérations militaires multilatérales telles que celles placées sous le commandement de l’OTAN et de l’Union européenne, il n’y a souvent pas de directives relatives à la détention de civils à bord, y compris s’agissant de l’arrestation de criminels potentiels.

6.4. Absence de droit interne érigeant la piraterie en tant qu’infraction pénale ou caractère obsolète du droit interne

61. Le droit interne est souvent silencieux au sujet de ces problèmes, précisément parce que la piraterie a été considérée comme quelque chose appartenant à l’histoire, et pratiquement aucun pays n’a de législation pénale moderne en matière de piraterie ou de vol en mer.
62. Le Comité maritime international (CMI), une organisation non gouvernementale internationale créée dans le but de contribuer à l’unification du droit de la mer, a tenté de répondre à ce défi en élaborant, en 2001, des lignes directrices pouvant être utilisées par les Etats pour adapter leur droit interne. Ce travail a été révisé par la suite en coopération avec l’Organisation maritime internationale (OMI) pour donner lieu, en 2007, à une proposition intitulée «Acte criminels maritimes, projet de lignes directrices pour la législation nationale». Ces lignes directrices portent sur toutes les formes de violence en mer, afin de s’assurer qu’elles feront l’objet de poursuites et de sanctions par un ou plusieurs Etats.

6.5. Difficultés dans l’identification de la juridiction pertinente

63. Certaines affaires peuvent être extrêmement complexes: par exemple, «un navire battant pavillon panaméen transporte une cargaison en provenance du Japon. Le cargo est assuré en Allemagne, l’équipage vient des Philippines et des Pays-Bas. Des pirates indonésiens sont montés à bord du navire en haute mer: quelle loi s’applique?» 
			(30) 
			Munich Re, op. cit., p. 24.
64. Les pirates échappent aux poursuites en raison de ce genre de complexités et d’ambiguïtés du droit.

6.6. Absence de volonté d’entreprendre des poursuites

65. Il est clair qu’un certain nombre d’Etats ne souhaitent pas voir des centaines de pirates purger une peine d’emprisonnement dans leurs prisons et être jugés dans leurs tribunaux.
66. L’alternative à l’arrestation des pirates présumés et à leur extradition vers leur pays de nationalité, qui serait possible en vertu du droit international, n’est pas une solution viable: premièrement, l’extradition doit être demandée par le pays de la nationalité du pirate et, deuxièmement, de tels pays d’origine sont souvent peu respectueux des droits de l’homme et appliquent parfois encore la peine de mort (l’extradition soulèverait par conséquent plusieurs questions au regard de la Convention européenne des droits de l’homme et d’autres instruments des droits de l’homme).
67. En ce qui concerne des pays comme la Somalie, afin de maintenir au minimum le nombre de demandes d’asile, certains Etats peuvent être réticents à l’idée de ramener des pirates pour les juger, de crainte qu’ils ne fassent une demande d’asile ou n’invoquent la situation dans le pays pour expliquer que leur retour est impossible.

6.7. Poursuite par un Etat directement concerné

68. Cela dit, quelques pays se sont montrés récemment plus déterminés à poursuivre les pirates.
69. A titre d’exemple, à plusieurs reprises, la France a procédé à l’arrestation de pirates somaliens et les a ramenés en France, où ils attendent actuellement d’être jugés. Ainsi:
  • en avril 2008, des commandos français ont capturé six pirates sur le territoire somalien (à la suite de l’autorisation de poursuite accordée par la dernière Résolution sur la situation en Somalie, relative à la piraterie, adoptée par le Conseil de sécurité des Nations Unies), qui étaient responsables de la capture du voilier de plaisance de luxe Le Ponant, au large des côtes somaliennes;
  • en septembre 2008, une unité de commando d’élite d’hommes-grenouilles a arraisonné le voilier Amel Super Maramu, libéré les otages – M. et Mme Delanne – et capturé six pirates;
  • en mai 2009, les nageurs de combat du commando Hubert ont arraisonné le Tanit, un bateau de plaisance pris en otage par des pirates somaliens. Le skipper a été tué au cours de l’opération. Six pirates ont été capturés.
70. En avril 2009, le procès d’un pirate somalien impliqué dans le détournement du Maersk Alabama s’est ouvert à New York. Il est accusé de «crime de piraterie, tel que défini par le droit des nations», une disposition intégrée dans le Code pénal des Etats-Unis en 1819. La dernière fois qu’un individu a été jugé coupable de piraterie sur cette base, il a été condamné à mort par pendaison.
71. En mai 2009, cinq pirates somaliens ont été jugés aux Pays-Bas pour avoir tenté de détourner le Samanyolu, un navire battant pavillon néerlandais. Après cette tentative ratée, ils avaient été secourus en mer par un navire danois, puis extradés du Danemark aux Pays-Bas.
72. Ce procès a donné lieu à de nombreuses controverses: premièrement, parce que, selon certains communiqués de presse, les pirates n’avaient montré aucune crainte de sanctions, déclarant même qu’ils souhaitaient rester dans une prison néerlandaise, où ils seraient davantage en sécurité et mieux traités qu’en Somalie 
			(31) 
			«Pays-Bas: des pirates
somaliens à la barre», dans Libération, 29
mai 2009.; deuxièmement, c’était la première fois que cet article du Code pénal était appliqué; et, troisièmement, en raison du caractère arbitraire de la justice contre la piraterie: alors que ces cinq pirates étaient dans l’attente de leur jugement, neuf autres avaient été libérés un mois plus tôt par un navire néerlandais, alors même qu’ils avaient été surpris en train d’attaquer un navire yéménite.
73. En novembre 2009, pour la première fois, un procureur espagnol a inculpé deux Somaliens soupçonnés de piraterie, capturés dans le cadre de l’attaque du chalutier Alakrana et de ses 33 membres d’équipage. Ils ont été accusés de détention illégale, d’association de malfaiteurs et de vol à main armée. Plus tôt cette même année, un tribunal espagnol a remis un groupe de pirates somaliens aux autorités kenyanes, après avoir tenté de les ramener en Espagne.

6.8. Poursuites par un Etat tiers

74. En dépit de ces exemples, au moins s’agissant de la Somalie, le principal moyen choisi pour engager des poursuites en cas d’actes de piraterie semble être la conclusion d’accords bilatéraux avec des Etats tiers qui acceptent d’exercer leur compétence. De tels accords ont été conclus par l’Union européenne avec le Kenya (mars 2009 
			(32) 
			Voir
le site <a href='http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2009:079:0049:0059:FR:PDF'>http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2009:079:0049:0059:FR:PDF.</a>) et avec les Seychelles (novembre 2009 
			(33) 
			Voir le site <a href='http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2009:315:0037:0043:FR:PDF'>http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2009:315:0037:0043:FR:PDF.</a>) afin de garantir le transfert, le placement en détention et les poursuites des pirates appréhendés en haute mer par l’EUNAVFOR, et entre le Kenya et, respectivement, le Royaume-Uni, les Pays-Bas et les Etats-Unis.
75. Lors de la réunion informelle des ministres de la Défense de l’Union européenne à Palma de Majorque (24-25 février 2010), il a été convenu d’améliorer l’application des accords existants avec le Kenya et les Seychelles, et de conclure des accords similaires avec d’autres pays de la région, notamment la Tanzanie, Maurice et l’Afrique du Sud.
76. Lorsque l’accord avec le Kenya a été conclu, certains commentateurs ont laissé entendre qu’il devrait être considéré comme une mesure de dissuasion, compte tenu du manque de respect des droits de l’homme au Kenya, de l’inefficacité et du manque d’indépendance de son système judiciaire, de ses conditions pénitentiaires et des cas de torture et de mauvais traitements en détention qui y ont été signalés 
			(34) 
			Daniele Archibugi et
Marina Chiarugi, «Piracy challenges global governance», dans Open democracy, 9 avril 2009, p. 6.
S’agissant la situation des droits de l’homme au Kenya, voir le
dernier rapport sur les droits de l’homme du ministère des Affaires
étrangères des Etats-Unis, à l’adresse suivante: <a href='http://www.state.gov/g/drl/rls/hrrpt/2007/100487.htm'>www.state.gov/g/drl/rls/hrrpt/2007/100487.htm</a>..
77. En date de novembre 2009, au total, 74 pirates présumés ont été remis au Kenya dans le cadre de l’accord signé avec l’Union européenne 
			(35) 
			Présentation
du commandant David Lintern, opération UE Navfor Atalante, officier
de liaison avec l’Union européenne, audition
sur la piraterie moderne, 17 novembre 2009.. Les procès sont en cours.
78. La décision politique, non seulement de certains Etats européens mais de l’Union européenne, de livrer les personnes qui sont sous leur garde à un pays où le fonctionnement de la justice et la protection des droits de l’homme est discutable soulève des questions d’ordre politique essentielles et peut-être aussi des questions juridiques au regard de la Convention européenne des droits de l’homme.

7. La rançon

79. Bien que la conclusion des affaires de piraterie soit marquée par un manque de transparence, il semble que dans la plupart des cas des rançons soient versées pour assurer la libération des bateaux et des équipages. En moyenne, en Somalie, les rançons vont de 1 à 3 millions de dollars des Etats-Unis. Dans les faits, une nouvelle économie fleurit partout dans le monde, avec des sociétés de sécurité, des avocats et des négociateurs spécialisés engrangeant des profits du fait de leur participation au dénouement d’affaires de piraterie. Londres semble être devenu la plaque tournante pour des sociétés qui aident les propriétaires de bateaux à résoudre les aspects juridiques du versement des rançons et engagent des entreprises de sécurité privées pour négocier avec les pirates et assurer le paiement des rançons.
80. Par ailleurs, on ne sait trop ce qu’il advient de l’argent de la rançon: comme toutes les transactions se font en espèces, il est quasiment impossible d’en suivre la trace. Il semble cependant que les pirates récoltent des dizaines de milliers de dollars plutôt que des millions de dollars, car la piraterie est devenue une mini-économie qui emploie des centaines de personnes dont chacune touche une part de la rançon. Les experts en renseignements maritimes indiquent ne pas disposer de preuve concrète d’un blanchiment de l’argent et, selon eux, le partage des sommes ainsi récoltées n’attire probablement pas les grands réseaux criminels.
81. Certains analystes évoquent le reversement par les pirates de près de 50 % des sommes récoltées aux milices islamistes d’al-Shabab dans les zones contrôlées par ces dernières. Aucune preuve ne vient cependant étayer cette affirmation et al-Shabab a toujours pris position contre la piraterie. Des rapports concordants laissent entrevoir que des responsables de la région séparatiste du Puntland – le cœur de la piraterie somalienne – touchent une partie du butin. Il semble que les membres du groupe de pirates d’Harardhere soient liés au trafic d’armes du Yémen vers les villes somaliennes d’Harardhere et Hobyo, qui sont de longue date deux des principaux points d’entrée des cargaisons d’armes destinées aux groupes armés en Somalie et en Ethiopie.
82. Certains gouvernements européens disposent de politiques et/ou de législations explicites interdisant le paiement de rançons. D’autres pays, dont le Royaume-Uni, n’ont pas de règle spécifique pour cette question mais les autorités conseillent de ne pas régler de rançon. Comme l’a exprimé la chancelière allemande Angela Merkel après le versement d’une rançon de 2,7 millions d’euros pour la libération du cargo Hansa Stanger et de son équipage, le principal argument contre le versement des rançons est qu’il encourage de nouveaux actes de piraterie.
83. La question de savoir s’il faut ou non verser une rançon devient particulièrement controversée dans le cas des bateaux de plaisance privés. Par exemple, dans l’affaire du Ponant, la capture des pirates s’est produite uniquement après le versement d’une rançon qui se serait élevée à 2 millions de dollars des Etats-Unis et la libération de l’équipage. Les six pirates qui sont actuellement dans l’attente de leur procès en France ont été pris en possession de seulement 200 000 dollars, ce qui indique que certains pirates ont réussi à s’évader avec le reste de l’argent.

8. Remarques finales et recommandations

84. La réponse à la piraterie des démocraties européennes et autres a été jusqu’ici principalement militaire et axée sur la dissuasion. La réponse militaire a été, dans une certaine mesure, une réussite, et a contribué à réduire le taux d’attaques réussies. Elle ne peut pas cependant fournir une solution à long terme au problème, car les causes profondes de la piraterie se trouvent à terre. Une approche globale est nécessaire pour traiter les causes de la pauvreté, de l’instabilité et de l’absence de gouvernance dans les pays où le phénomène est endémique, comme la Somalie.
85. En outre, une répression efficace doit être considérée comme faisant partie intégrante de tout effort de dissuasion crédible. Afin de traiter le phénomène de la piraterie, les Etats doivent donc:
  • moderniser le cadre juridique interne pertinent ou le mettre en place s’il n’existe pas;
  • introduire des règles claires afin d’identifier l’Etat responsable à des fins de poursuites, par exemple par la signature d’un accord international;
  • veiller à ce que la lutte contre la piraterie soit menée dans le plein respect des droits de l’homme et de la prééminence du droit.
86. Le communiqué adopté lors du Sommet du G8 à L’Aquila, appelant à un renforcement du système judiciaire criminel pour poursuivre les pirates présumés, est un développement positif et un signe que les pays d’Europe ont réalisé l’urgence du problème.
87. Le rôle que le Conseil de l’Europe, en tant qu’organisation paneuropéenne définissant des normes, pourrait jouer pour parvenir à ces objectifs mérite une réflexion plus approfondie. Par exemple, le Conseil de l’Europe pourrait:
  • proposer des lignes directrices en matière de législation pouvant être utilisées par les Etats membres et s’inspirant de celles recommandées par le Comité maritime international (CMI);
  • dans le cadre de ses activités dans le domaine du droit pénal international, élaborer une convention-cadre relative à la prévention et à l’éradication de la piraterie et des vols en mer, notamment des directives claires quant à la manière d’identifier l’Etat responsable des poursuites;
  • mener une étude approfondie sur la pratique récente des Etats membres s’agissant des poursuites engagées contre les individus soupçonnés de piraterie et élaborer des lignes directrices quant à la manière de garantir que les affaires dont les tribunaux seront saisis sont compatibles avec les obligations des Etats membres au regard de la Convention européenne des droits de l’homme et d’autres instruments du Conseil de l’Europe, notamment au moment de l’arrestation et du transfert aux autorités du pays qui sera chargé des poursuites.
88. Il est toutefois évident qu’aucune réponse juridique n’est possible sans une volonté politique claire de lutter contre le phénomène de la piraterie. A cet effet, les membres de l’Assemblée parlementaire devraient faire pleinement usage du double mandat qui est le leur ainsi que des conclusions de ce rapport, afin de suivre attentivement leur gouvernement quant à la manière dont sont traitées les affaires de piraterie, en particulier s’agissant:
  • des accords bilatéraux signés avec des pays tiers aux fins d’engager des poursuites à l’encontre des pirates, afin d’éviter le risque que des individus se trouvant sous la garde d’autorités européennes soient remis à des pays ne pouvant garantir un procès équitable ou la protection des normes en matière de droits de l’homme, ou ne respectant pas d’autres obligations internationales;
  • de la politique ou de la pratique autorisant les pirates à circuler librement, et de leurs conséquences sur la crédibilité et l’efficacité des mesures de lutte contre la piraterie;
  • de la question du paiement d’une rançon, par l’Etat ou par des acteurs privés;
  • de la nécessité de réguler (ou d’interdire expressément) le recours à des entreprises de sécurité privées à bord des navires de commerce.

Commission chargée du rapport: commission des questions politiques

Renvoi en commission: Doc. 11803 et Doc. 11837, Renvoi 3531 du 29 mai 2009

Projet de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 18 mars 2010

Membres de la commission: M. Björn von Sydow (Président), M. Dariusz Lipiński (Vice-Président), M. Konstantin Kosachev (Vice-Président) (remplaçant: M. Alexander Pochinok), M. Michael Aastrup Jensen (Vice-Président), M. Francis Agius, M. Alexandre Babakov (remplaçant: M. Sergey Markov), M. Viorel Badea, M. Denis Badré, Mme Theodora Bakoyannis (remplaçant: M. Miltiadis Varvitsiotis), M. Andris Bērzinš, M. Erol Cebeci, M. Lorenzo Cesa, M. Titus Corlătean, Mme Anna Čurdová, M. Hendrik Daems, M. Pol van den Driessche, Mme Josette Durrieu, M. Frank Fahey (remplaçant: M. Patrick Breen), M. Piero Fassino (remplaçant: M. Andrea Rigoni), M. György Frunda, M. Jean-Charles Gardetto, M. Marco Gatti, M. Andreas Gross, M. Michael Hancock, M. Davit Harutyunyan, M. Norbert Haupert, M. Joachim Hörster, Mme Sinikka Hurskainen, M. Tadeusz Iwiński, M. Bakir Izetbegović, M. Miloš Jevtić, Mme Birgen Keleş, M. Victor Kolesnikov, M. Jean-Pierre Kucheida, Mme Darja Lavtižar-Bebler, M. Göran Lindblad, M. Marian Lupu, M. Gennaro Malgieri, M. Dick Marty, M. Frano Matušić, M. Silver Meikar (remplaçant: M. Andres Herkel), M. Dragoljub Mićunović, M. Jean-Claude Mignon, M. Aydin Mirzazada, M. Juan Moscoso del Prado Hernández, Mme Lilja Mósesdóttir, M. João Bosco Mota Amaral, Mme Olga Nachtmannová, M. Gebhard Negele, Mme Miroslava Němcová, M. Zsolt Németh, M. Fritz Neugebauer (remplaçant: M. Franz Eduard Kühnel), M. Aleksandar Nikoloski, M. Maciej Orzechowski, M. Johannes Pflug, M. Ivan Popescu, M. Christos Pourgourides, M. John Prescott (remplaçant: M. John Austin), M. Gabino Puche, M. Lluís Maria de Puig, M. Amadeu Rossell Tarradellas, M. Ilir Rusmali, M. Predrag Sekulić, M. Samad Seyidov, M. Leonid Slutsky, M. Petro Symonenko, M. Zoltán Szabó (remplaçant: M. Mátyás Eörsi), M. Mehmet Tekelioğlu, M. Han Ten Broeke, M. Zhivko Todorov, Lord Tomlinson, M. Latchezar Toshev, M. Petré Tsiskarishvili, M. Mihai Tudose, M. Ilyas Umakhanov, M. José Vera Jardim, M. Luigi Vitali, M. Konstantinos Vrettos, Mme Katrin Werner, Mme Karin S. Woldseth, M. David Wilshire, Mme Gisela Wurm, M. Emanuelis Zingeris

Ex officio: Mme Anne Brasseur, M. Tiny Kox, M. Luca Volontè

N.B. Les noms des membres ayant participé à la réunion sont indiqués en gras

Secrétariat de la commission: Mme Chatzivassiliou, M. Ary, M. Chevtchenko, Mme Sirtori-Milner