1. La commission sur l’égalité des chances pour les
femmes et les hommes a été saisie par le Bureau pour préparer un
avis au rapport «Islam, islamisme et islamophobie» et m’a nommée
rapporteuse le 30 novembre 2009. Ce n’est pas la première fois que
l’Assemblée parlementaire, et en particulier la commission sur l’égalité des
chances pour les femmes et les hommes, travaille sur les aspects
concernant le genre dans l’islam. Cette question a notamment été
abordée dans les rapports de l’Assemblée «Intégration des femmes
immigrées en Europe»
, «Respect du principe d’égalité
des sexes en droit civil»
, «Agir pour combattre
les violations des droits de la personne humaine fondées sur le
sexe, y compris les enlèvements de femmes et de filles»
, «L’urgence à combattre les crimes
dits “d’honneur”»
et
«Femmes immigrées: un risque particulier de violence domestique»
.
2. Dans ce contexte, l’Assemblée a, à plusieurs reprises, souligné
qu’en matière de protection des droits fondamentaux des femmes,
aucune pratique culturelle ou religieuse ne saurait être invoquée
pour justifier de tels agissements. Comme le rappelle M. Jensen,
l’Assemblée parlementaire a également consacré un rapport au thème
«Femmes et religions en Europe», invitant notamment les Etats membres:
«7.6. à prendre position contre
toute doctrine religieuse antidémocratique ou non respectueuse des droits
de la personne humaine, et plus particulièrement ceux des femmes,
et refuser de permettre que de telles doctrines exercent une influence
sur les décisions politiques;
7.7. à encourager de manière active le respect des droits
des femmes, de leur égalité et de leur dignité dans tous les domaines
de la vie par le dialogue avec des représentants des différentes
religions, et œuvrer en vue de réaliser une entière égalité des
sexes dans la société.»
3. Par ailleurs, l’Assemblée a plaidé pour le renforcement de
la capacité des femmes, y compris dans le contexte du dialogue interreligieux
et interculturel, invitant le Conseil de l’Europe:
«5.1. à réunir toutes les parties
concernées par l’avancement des droits des femmes et leur contribution active
au dialogue interculturel et interreligieux en Europe (représentants
des gouvernements, des parlements, des autorités locales et régionales
et de la société civile, ainsi que responsables religieux);
5.2. à procéder à un inventaire des mesures envisageables
(meilleures pratiques et nouvelles initiatives) visant à renforcer
l’autonomie des femmes dans les sociétés modernes, y compris dans
le dialogue interculturel et interreligieux;» .
4. Je suis convaincue que la diversité culturelle est une chance
pour l’Europe, et un facteur de croissance économique et de productivité.
Malheureusement, aujourd’hui, de nombreux musulmans se sentent aliénés, discriminés
et stigmatisés en Europe. Je considère pour ma part que la clé des
problèmes soulevés dans le rapport de M. Jensen réside dans la défense
des valeurs fondamentales qui fondent le Conseil de l’Europe – à
savoir l’Etat de droit, la démocratie et les droits de l’homme,
dans lesquelles j’inclus l’égalité entre les femmes et les hommes,
et la liberté d’expression.
5. Dans les démocraties séculaires, les Etats ne doivent pas
avoir de pouvoir d’interprétation des religions, quelles qu’elles
soient, et ne doivent pas imposer une interprétation particulière
aux communautés de croyants. Etant donné que le droit d’interprétation
des textes musulmans et des traditions appartient aux experts instruits
au sein de la communauté musulmane, l’Assemblée doit appeler les
musulmans à interpréter leur religion de façon à promouvoir et protéger
les droits des femmes musulmanes. Les enseignements de l’islam ainsi
que ses pratiques, tels que démontrés par le Prophète de l’islam,
reconnaissent les droits de l’homme fondamentaux. Les communautés
musulmanes doivent être encouragées à établir des valeurs compatibles
avec la dignité humaine et les standards démocratiques en Europe.
1. Les femmes, victimes de l’islamophobie
6. Il existe une grande diversité parmi les musulmans.
Il y a de multiples écoles de pensée, et les valeurs, les croyances
et les pratiques ne se sont pas développées dans une direction fixe
et unique. Si l’on prend en compte les cultures et les traditions
des communautés musulmanes, ainsi que la compréhension qu’ont les musulmans
de l’islam et l’accent qu’ils mettent sur les pratiques religieuses,
on y trouve une pluralité qui est un principe célébré dans les sociétés
démocratiques. Pour les femmes musulmanes, les manières de porter le
voile expriment l’interaction entre la religion, la culture et la
tradition. Depuis le début de l’islam, une majorité de femmes musulmanes
croient que le fait d’être voilées constitue une exigence de leur
religion. Cependant, le style et la manière de se voiler sont déterminés
par la culture, les traditions et les conditions géographiques. Les
styles variés, tels que le voile, la burqa ou
le niqab, doivent être perçus
comme offrant une diversité et une pluralité au sein de l’islam,
et les femmes musulmanes devraient être encouragées à faire leur
propre choix: porter le style qu’elles préfèrent ou bien ne pas
en porter du tout. Les Etats ne doivent pas imposer un code vestimentaire
à leurs citoyens(nes) et aux autres habitants de leur pays.
7. L’Assemblée a déjà établi que les femmes immigrées, y compris
les femmes musulmanes, sont victimes de discriminations multiples,
parce qu’elles sont femmes, étrangères ou d’origine étrangère, et
parce qu’elles peuvent, au sein de leur communauté, être victimes
de discriminations (qui limitent leurs possibilités d’intégration,
leur participation à la vie publique), voire de violences (tels
les crimes dits «d’honneur» ou les mutilations génitales féminines,
y compris celles perpétrées à l’étranger sur des victimes résidant habituellement
en Europe, qui ne relèvent en rien des préceptes de la religion
musulmane).
8. Les femmes musulmanes qui choisissent de se couvrir sont confrontées
à une humiliation supplémentaire et à des troubles psychologiques
quand elles sont le sujet de discussions politiques dans lesquelles
leur choix vestimentaire est dénigré. Elles deviennent les victimes
de préjudices qui émanent de la méconnaissance. Intimidées par les
projecteurs braqués sur elles contre leur volonté, ces femmes ont tendance
à s’exclure des activités sociales, et s’abstiennent de participer
à la vie de leur communauté. Ces stéréotypes négatifs diminuent
également la productivité des femmes voilées sur leur lieu du travail,
et affectent défavorablement leurs performances, en mettant des
limites à leurs carrières professionnelles. Par conséquent, ce n’est
pas la tenue en soi qui entrave leur vie professionnelle ou leur
inclusion sociale mais la «perception erronée» de ces tenues.
9. De plus, comme le souligne M. Jensen, «Les femmes elles-mêmes,
lorsqu’elles affichent clairement leur appartenance à l’islam en
portant le foulard, sont particulièrement confrontées à l’islamophobie»
(
Doc. 12266, paragraphe 42). Le «Collectif contre l’islamophobie
en France» a fait état de plusieurs agressions islamophobes visant
des femmes voilées; en dernière date: «Une femme musulmane de 29
ans a été attaquée en pleine rue à Bâle (Suisse) par une inconnue
qui l’a frappée à la nuque en l’insultant à propos de sa tenue vestimentaire.
La victime était habillée de noir et portait le voile islamique.»
.
Mais il y a des faits plus tragiques encore: en juillet 2009, à
Dresde (Allemagne), Marwa el-Sherbini, une Egyptienne (enceinte
au moment des faits) portant le voile, a fait l’objet d’attaques
verbales dans un jardin d’enfants de la part d’un chômeur originaire
de Russie qui l’a traitée de «terroriste» et de «traînée islamiste».
Puis, au moment de la comparution en appel de la condamnation de
l’auteur, il l’a poignardée de 18 coups de couteau, devant les yeux
de son fils de 3 ans
, un crime auquel les médias n’ont porté
que peu d’attention
.
2. Le débat sur la burqa/le niqab en Europe: respecter
le choix éclairé des femmes
10. Le port de la
burqa a
récemment suscité de nombreux débats en Europe. Le Bureau de l’Assemblée ayant
demandé à la commission de la culture, de la science et de l’éducation
de prendre en compte la proposition de résolution intitulée «
Burqa – faut-il agir?» (
Doc. 12159) déposée par ma collègue Krista Kiuru (Finlande, SOC)
et d’autres collègues, j’ai proposé d’organiser un échange de vues
lors de la réunion de la commission qui s’est tenue à Paris le 27
mai 2010.
11. Précisons tout d’abord que la
burqa est
le vêtement traditionnel des tribus pachtounes en Afghanistan. Il
recouvre entièrement le corps et le visage, ne laissant qu’une grille
de tissu au niveau des yeux; le
niqab est une
étoffe complétée de voiles pour couvrir les cheveux et le visage
où ne subsiste qu’une fente pour les yeux; le hijab cache les cheveux,
les oreilles et le cou, ne laissant voir que l’ovale du visage;
le tchador est une grande pièce de tissu posée sur la tête, laissant
apparaître l’ovale du visage, tenue fermée à l’aide des mains
. Le nombre de femmes qui portent
la
burqa en Europe n’est pas
connu
. Ces tenues sont revêtues par des femmes
de manière volontaire – en particulier par des femmes nouvellement
converties à l’islam – ou, dans certains cas, sous la pression ou
la contrainte de membres de leur famille ou de leur communauté.
12. J’ai conscience que le port du voile intégral (
burqa ou
niqab)
en Europe ne laisse pas indifférent. S’agit-il d’un symbole d’oppression
des femmes? D’une atteinte à la dignité des femmes? Est-ce l’expression
de leur liberté de religion ou de conviction? Est-ce la manifestation
d’une affirmation identitaire – ou d’un repli communautaire? L’échange
de vues organisé par la commission a confirmé l’existence de points
de vue divergents qui existent en la matière. Je souhaiterais ici
évoquer les arguments principaux avancés lors de ces échanges, avant
de donner mon point de vue.
- Certains
perçoivent le port du voile ou du voile intégral comme étant l’exercice
de la liberté de religion et d’expression. Une interdiction du port
du voile ou du voile intégral constituerait une restriction de cette liberté.
Toute femme, qu’elle porte ou non le voile, a toutefois droit à
la protection de ses droits fondamentaux et doit pouvoir participer
à la vie économique et sociale, sans se voir interdire l’accès aux universités,
par exemple. Cette position était défendue par Mme Akbulut,
sociologue, pour qui une femme voilée est doublement discriminée,
en raison de son sexe et du port du voile .
- D’autres perçoivent le port du voile intégral comme une
rupture avec les valeurs les plus élémentaires sur lesquelles se
fondent les systèmes républicains français et autres, en premier
lieu, la dignité humaine, une rupture inacceptable du principe d’égalité
homme-femme et une régression. Le voile intégral représente «l’aspect
le plus voyant et le plus révulsif d’une offensive qui consiste
à imposer les lois de la charia dans nos sociétés et dans l’espace
public» pour reprendre les termes du député français André Gerin , qui ajoute que «le voile
intégral est un véritable cercueil ambulant dans lequel les femmes
sont tenues par une véritable muselière».
- Une position intermédiaire a été présentée par le Dr Jill
Marshall, maître de conférences au Queen Mary, université de Londres
(Royaume-Uni) pour qui l’égalité entre les sexes et le respect de
la liberté de choix des femmes ne sont pas incompatibles. Il faut,
en effet, respecter la liberté des femmes (adultes) à choisir leur
vie ou leur façon de se vêtir, en s’assurant que ces choix peuvent
se faire dans un environnement qui reconnaît le principe d’égalité
entre les femmes et les hommes, et que les femmes ont la capacité
d’opérer des choix autonomes. Ceci inclut, par exemple, leur accès
aux ressources matérielles et économiques (comme l’argent, le logement
adéquat), une éducation appropriée et des politiques d’emploi, un
accès égal et un traitement juste par les systèmes légaux et politiques.
13. L’échange de vues organisé en commission a permis de présenter
d’autres points de vue et expériences nationales. Ainsi M. Wille
(Belgique, ADLE) a présenté les derniers développements législatifs
en Belgique
. M. Olsson (Suède, PPE/DC) a pour
sa part donné un aperçu de la situation en Suède, où il n’existe
pas de législation interdisant le port du voile intégral. Dans le
même temps, il s’est interrogé pour savoir si, dans une Europe multiculturelle,
une femme qui porte le voile intégral est libre de le faire.
14. L’échange de vues organisé et la discussion qui s’en est suivie
en commission ont montré que les préoccupations que soulève le port
du voile intégral étaient souvent partagées, mais que les conclusions
quant aux moyens à mettre en œuvre pour y remédier sont contradictoires.
Je soutiens pour ma part la position du Commissaire aux droits de
l’homme, M. Thomas Hammarberg, pour qui l’interdiction de la
burqa ne ferait qu’aggraver l’exclusion
de ces femmes
, et celle du Dr Jill
Marshall, soulignant la nécessité de créer les conditions qui permettront
aux femmes de prendre une décision éclairée de porter ou non le
voile ou le voile intégral, et que dans ce cas, leur choix devra
être respecté, au nom de la liberté d’expression. J’estime, en effet,
que le respect de la femme passe par le respect de ses choix éclairés.
Il est inacceptable que des hommes politiques en Iran imposent le
port du vêtement religieux aux femmes, tout comme il me semblerait inacceptable
que des hommes qui siègent dans les parlements d’Europe leur interdisent
de le porter.
15. Je tiens à ajouter que la punition des femmes par le biais
d’interdictions, de pénalités/amendes, de propos méprisants ne sert
pas la libération de femmes que nous pensons être contraintes par
les hommes. Nous ajoutons au fait qu’elles subissent déjà des contraintes,
et nous les confinons encore davantage dans leurs propres cercles
fermés en les éloignant de la société plus élargie. Faciliter leur
implication en s’adaptant à leurs besoins leur offrira des possibilités
d’intégration dans la société.
16. J’insisterais sur les questions d’éducation des filles et
des garçons en proposant notamment de promouvoir une éducation aux
droits de la personne tenant compte du principe d’égalité entre
les femmes et les hommes, à tous les niveaux du système d’éducation
. Il est en effet essentiel
de changer les stéréotypes, toujours très répandus dans la société
d’aujourd’hui, qui entravent le développement personnel des filles
et compromettent leur réussite dans la vie.
17. Je veux ici préciser que je suis opposée à toute forme d’oppression
ou de violence, et je condamne le port du voile, de surcroît le
port du voile intégral, qui serait imposé aux femmes par un membre
de sa famille ou de sa communauté. J’estime que les actes qui relèvent
de la contrainte, de l’oppression, de la séquestration sont inadmissibles
et doivent être réprimés par le droit. Il appartient dans ce cas
aux Etats membres d’assurer à ces femmes victimes toute la protection
qui leur est due, quelle que soit leur origine, leur religion ou
leur statut. Cet aspect doit être couvert dans le droit pénal des
Etats, ainsi que dans la future convention du Conseil de l’Europe
sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes
et la violence domestique (CAHVIO), suivant la position adoptée
par la commission sur l’égalité des chances pour les femmes et les hommes
les 30 novembre 2009 et 27 janvier 2010
.
18. En conclusion, tout comme la commission de la culture, de
la science et de l’éducation, je ne pense pas qu’une interdiction
générale du port du voile intégral contribuerait à améliorer le
sort des femmes qui le portent, de leur plein gré ou sous la contrainte.
Le problème demeure toutefois complexe et mérite d’être approfondi. Ainsi,
je proposerai d’initier une proposition de résolution «Femmes en
islam en Europe», qui permettrait d’aborder de manière détaillée
la place des femmes musulmanes en Europe, leurs opportunités, les
défis qui les attendent, les discriminations qu’elles subissent,
et la position que les Etats membres devraient aborder sur la question
de l’interdiction du port du voile et du voile intégral. Ce travail
devrait, je l’espère, permettre d’encourager les Etats à mettre
un terme aux débats qui se focalisent sur la burqa, exacerbent
les tensions entre les communautés et en aucun cas ne servent la
promotion du statut et de la place des femmes musulmanes en Europe.