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Avis de commission | Doc. 12305 | 22 juin 2010

L’islam, l’islamisme et l’islamophobie en Europe

Commission des questions juridiques et des droits de l'homme

Rapporteur : M. Rafael HUSEYNOV, Azerbaïdjan, ADLE

Origine - Renvoi en commission: Doc. 11558, Renvoi 3442 des 29 mai 2008 et 26 avril 2010. Commission saisie du rapport: commission de la culture, de la science et de l’éducation. Voir Doc. 12266. Avis approuvé par la commission le 21 juin 2010. 2010 - Troisième partie de session

A. Conclusions de la commission

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La commission des questions juridiques et des droits de l’homme a pris note du rapport «L’islam, l’islamisme et l’islamophobie» préparé par le rapporteur de la commission de la culture, de la science et de l’éducation, M. Mogens Jensen (Danemark, Groupe socialiste), et approuve dans l’ensemble le projet de résolution et le projet de recommandation proposés.

La commission souhaite néanmoins apporter plusieurs modifications visant à renforcer encore le projet de résolution et le projet de recommandation et à les orienter dans un sens plus équilibré.

B. Amendements proposés au projet de résolution et au projet de recommandation

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Dans le projet de résolution:

Amendement A (au projet de résolution)

Dans le projet de résolution, au paragraphe 3, remplacer la dernière phrase par le texte suivant:

«Ces deux libertés sont une condition indispensable à l’existence d’une société démocratique. Elles ne sont toutefois pas absolues et peuvent faire l’objet de limitations strictement encadrées. En outre, conformément à l’article 17 de la Convention, elles ne doivent pas être exercées de manière abusive pour supprimer ou restreindre excessivement l’un des droits et libertés énoncés par la Convention européenne des droits de l’homme (la Convention, STE no 5).»

Amendement B (au projet de résolution)

Dans le projet de résolution, au paragraphe 4, remplacer la dernière phrase par le texte suivant:

«Elle déplore toutefois les initiatives prises par un certain nombre d’Etats membres des Nations Unies qui ont abouti à l’adoption par le Conseil des droits de l’homme de résolutions portant sur la lutte contre la diffamation des religions, et notamment de l’islam, dans la mesure où cette orientation constitue une menace pour la liberté d’expression.»

Amendement C (au projet de résolution)

Dans le projet de résolution, au paragraphe 6, remplacer la quatrième phrase par le texte suivant:

«De manière compatible avec l’article 11 de la Convention, les Etats membres peuvent limiter les activités de ces organisations, sous réserve que ces limitations remplissent les conditions imposées par le paragraphe 2 de l’article 11.»

Amendement D (au projet de résolution)

Dans le projet de résolution, au paragraphe 10, in fine, rajouter la phrase suivante:

«Elle rappelle qu’il appartient aux Etats membres de sanctionner de tels discours politiques attisant la peur et la haine des musulmans et de l’islam, tout en se conformant aux prescriptions de la Convention, dont en particulier l’article 10, paragraphe 2.»

Amendement E (au projet de résolution)

Dans le projet de résolution, remplacer le paragraphe 11 par le texte suivant:

«Rappelant sa Résolution 1464 (2005) sur les femmes et la religion en Europe, l’Assemblée invite l’ensemble des communautés musulmanes à abandonner toute interprétation traditionnelle de l’islam qui nie l’égalité entre hommes et femmes et restreint les droits des femmes, à la fois au sein de la famille et dans la vie publique. Cette interprétation n’est pas compatible avec la dignité humaine et les normes démocratiques; les femmes sont égales en tout aux hommes et doivent être traitées en conséquence, sans exception. Il ne peut en effet y avoir de place au culturalisme et au relativisme dans la protection des droits de l’homme universels. La discrimination des femmes, même lorsqu’elle se fonde sur des traditions religieuses anachroniques, est contraire, notamment, aux articles 8, 9 et 14 de la Convention, à l’article 5 de son Protocole no 7, ainsi qu’à son Protocole no 12.»

Amendement F (au projet de résolution)

Dans le projet de résolution, remplacer le paragraphe 12 par le texte suivant:

«A cet égard, le port du voile par les femmes, et surtout le port du voile intégral sous la forme de la burqa ou du niqab, est souvent perçu comme un symbole de soumission des femmes aux hommes, qui restreint le rôle des femmes au sein de la société, limite leur vie professionnelle et entrave leurs activités sociales et économiques. Ni le port du voile intégral par les femmes, ni même celui du foulard ne sont admis comme une obligation religieuse de l’islam par tous les musulmans, mais nombre d’entre eux voient ces pratiques comme une tradition sociale et culturelle. L’Assemblée estime en tout état de cause que toute contrainte imposée aux femmes, par leur communauté ou leur famille, qui vise à ce qu’elles portent une tenue vestimentaire particulière, au nom d’une tradition sociale ou culturelle, devrait être considérée comme une violence physique et/ou morale, qui appelle de la part de l’Etat l’adoption de mesures propres à prévenir et à réprimer ce type de coercition.»

Amendement G (au projet de résolution)

Dans le projet de résolution, au paragraphe 15, remplacer les deux premières phrases par le texte suivant:

«Les mutilations génitales féminines pratiquées sous prétexte de respecter des coutumes islamiques ou autres portent atteinte au droit à l’intégrité physique et morale de toute personne, et surtout des enfants, garanti par l’article 8 de la Convention; elles constituent de plus des traitements inhumains et dégradants au titre de son article 3.»

Dans le projet de recommandation:

Amendement H (au projet de recommandation)

Dans le projet de recommandation, remplacer le paragraphe 3.13 par le texte suivant:

«d’inviter les Etats membres à ne pas adopter une interdiction générale du port du voile intégral ou d’autres tenues religieuses ou particulières, mais à protéger les femmes contre toute violence physique et psychologique ainsi que leur laisser le libre choix de porter ou non une tenue religieuse ou particulière, et de veiller à ce que les femmes musulmanes aient les mêmes possibilités de prendre part à la vie publique et d’exercer des activités éducatives et professionnelles; les restrictions légales imposées à cette liberté peuvent être justifiées lorsqu’elles s’avèrent nécessaires dans une société démocratique, notamment pour des raisons de sécurité ou lorsque les fonctions publiques ou professionnelles d’une personne lui imposent de faire preuve de neutralité religieuse ou de montrer son visage».

Amendement I (au projet de recommandation)

Dans le projet de recommandation, après le paragraphe 3.13, ajouter un nouveau paragraphe ainsi rédigé:

«de redoubler d’efforts afin qu’une convention sur la lutte contre la violence faite aux femmes, y compris la violence domestique, voie le jour le plus rapidement possible.»

C. Exposé des motifs, par M. Huseynov, rapporteur

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1. Je félicite M. Mogens Jensen pour son rapport sur l’islam, l’islamisme et l’islamophobie. Avant de détailler les motifs des différents amendements proposés aux projets de résolution et de recommandation, je souhaiterais mettre en lumière certaines caractéristiques fondamentales de l’islam. La particularité de cette religion réside dans le mot «modestie», ce qui inclut les notions de justice et de tolérance qui constituent le noyau dur des valeurs du Conseil de l’Europe. A cet égard, il doit être constaté que l’islam partage avec les autres religions monothéistes qui lui précèdent des valeurs morales communes, et qu’il reconnaît les aspects positifs de chacune d’entre elles, transmettant ainsi un message de réconciliation, de paix et de tolérance. Il n’y a aucun signe de violence dans l’islam qui est, en fait, une religion profondément humaniste, promouvant la solidarité entre les êtres humains et l’inestimable valeur de la vie humaine. En ce qui concerne les femmes, leur place dans la famille et l’attitude de la société envers elles, il doit être souligné que les femmes ont toujours été hautement considérées et que toute forme de discrimination à leur encontre doit être rejetée. Le port du niqab ou de la burqa devrait donc être perçu comme une coutume et non comme une prescription religieuse; la coercition pas plus que l’interdiction de porter ce vêtement n’est acceptable. Par ailleurs, une des principales caractéristiques de l’islam est sa grande capacité non seulement à préserver ses traditions, mais surtout à se moderniser et à s’adapter aux évolutions progressives de la vie. Le Coran, dans lequel rien ne pourrait servir de fondement pour contrevenir aux droits de l’homme, devrait être pris en tout état de cause comme une source fiable de référence. Au verset 53 de la surate 39 (intitulée «Az-Zumar») du Coran, un des livres les plus sages, Allah enjoint the prophète Mohamed de délivrer à ceux qui ont pêché le message suivant: «Ne perdez pas espoir!» Je considère que ce message pourrait constituer un leitmotiv pour approfondir le dialogue interreligieux et la compréhension mutuelle.
2. Je tiens à proposer plusieurs amendements, tant sur la forme que sur le fond, aux projets de résolution et de recommandation pour les orienter dans un sens qui me paraît plus équilibré.

Amendement A

Le rapporteur estime utile de rappeler que les articles 9 et 10 de la Convention européenne des droits de l’homme (la Convention) ne sont pas absolus, et nécessaire de citer expressément l’article 17 de la Convention qui peut constituer une arme efficace pour soustraire à la protection de l’article 10 des propos racistes, antisémites ou islamophobes 
			(1) 
			Voir Garaudy c. France, Requête no 65831/01,
24 juin 2003, et Norwood c. Royaume-Uni (déc.),
Requête no 23131/03, 16 novembre 2004. .

Amendement B

Cet amendement vise à préciser que seuls quelques pays membres des Nations Unies ont pris ces initiatives (et non l’ensemble des Etats membres comme le laisse entendre le projet), qui ont en fait abouti à l’adoption de résolutions 
			(2) 
			Voir la dernière résolution
en date (A/HRC/13/71), adoptée le 25 mars 2010.. Le rapporteur estime que la référence à «l’application de principes théocratiques» n’est pas claire et prête à confusion, et qu’il est plus pertinent de dire que le concept de diffamation des religions est, en soi, une menace pour la liberté d’expression.

Amendement C

Le rapporteur estime que le rappel du respect du deuxième paragraphe de l’article 11 est ici utile et suffisant, dans la mesure où la Cour a déjà traité des affaires qui apparaissent dans ce contexte pertinentes 
			(3) 
			Voir, mutatis mutandis, Parti nationaliste basque
– Organisation régionale d’Iparralde c. France, Requête
no 71251/01, arrêt du 7 juin 2007; Herri Batasuna et Batasuna c. Espagne, Requête
no 25803/04, arrêt du 30 juin 2009 et Refah Partisi c. Turquie, Grande
Chambre, Requête no 41340/98, arrêt du
13 février 2003..

Amendement D

Le rapporteur estime qu’une référence à l’article 10, paragraphe 2 de la Convention est ici utile. Il se réfère en particulier à une très récente décision d’irrecevabilité de la Cour 
			(4) 
			Le
Pen c. France, Requête no 18788/09,
20 avril 2010., qui illustre parfaitement les possibilités juridiques et légales pour les Etats membres de sanctionner de tels discours de haine.

Amendement E

Le rapporteur estime nécessaire de faire apparaître le rejet, par l’Assemblée, de tout élément de relativisme et de culturalisme dans la protection des droits de l’homme universels. Il y a lieu en outre de ne pas lister exhaustivement des dispositions de la Convention et de ses protocoles, dans la mesure où bien d’autres peuvent trouver à s’appliquer (articles 2 et 3 en ce qui concerne en particulier les crimes d’honneur).

Amendement F

Le rapporteur est d’avis que l’élément de contrainte est un élément clé du problème, et considère que l’Assemblée devrait appréhender le débat sous l’angle des violences domestiques, avec en toile de fond les obligations positives des Etats membres. Il se réfère aux travaux du Conseil de l’Europe pour une convention contre la violence faite aux femmes. Il tient de plus à dissiper la confusion qu’entretient le paragraphe 12 lorsqu’il affirme que le port du voile ou de la burqa «n’est pas une obligation religieuse», tout en soulignant plus loin qu’aucune femme ne devrait être contrainte de porter «une tenue religieuse».

Amendement G

Le rapporteur précise en effet qu’il s’agit des mutilations génitales féminines, qui constituent en soi un traitement contraire à l’article 3 (voir Collins et Akaziebie c. Suède, Requête no 23944/05, 8 mars 2007).

Amendement H

Le rapporteur renvoie à cet égard à sa note explicative sous l’amendement F, in fine.

Amendement I

La contrainte de porter le voile ou la burqa devant être considérée comme une violence faite aux femmes, le rapporteur considère qu’il y a lieu, dès lors, d’inviter le Comité des Ministres à accélérer le processus d’élaboration et d’adoption de la Convention sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique.