1. Introduction
1. L’essentiel de ce rapport porte sur la situation
en Haïti un an après le terrible séisme du 12 janvier 2010. Le peuple
haïtien et notamment les enfants ont plus que jamais besoin du soutien
de l’Europe puisqu’ils subissent toujours les conséquences durables
de la plus grande catastrophe qu’ait connu le pays depuis des siècles.
C’est quelques jours après le séisme en Haïti que j’ai suggéré à
l’Assemblée parlementaire de se pencher sur le thème de ce rapport
considérant que l’évaluation de la manière dont l’Europe, ainsi
que les Etats membres et les organisations non gouvernementales
européennes, intervenaient pour venir en aide au peuple haïtien
pouvait servir d’exemple à suivre ou à améliorer si une situation
comparable venait à se reproduire. L’exemple de l’Afghanistan a
été ajouté à un stade plus avancé du rapport, afin d’aborder aussi
la situation d’un pays en crise depuis des décennies. Même si le
contexte de conflit, voire même de guerre, rend la situation différente,
le sort des enfants est tout aussi dramatique et les préconisations
en ce qui concerne les interventions présentent de nombreuses similitudes.
Aussi la situation spécifique des enfants dans ce pays ne sera-t-elle
illustrée que par quelques informations sélectionnées (voir paragraphes
21 et 22).
2. Selon un rapport présenté par l’UNICEF en janvier 2011
, 220 000 personnes ont trouvé la
mort dans le séisme en Haïti et d’innombrables familles ont été
brisées, 750 000 enfants étant directement touchés. En janvier 2011,
plus de 600 000 personnes, dont 230 000 enfants, n’avaient toujours
pas de foyer et vivaient dans des camps où la santé, l’éducation
et la protection ne pouvaient pas être pleinement assurées, et où beaucoup
de personnes ne bénéficiaient pas de l'accès à l’eau potable et
aux installations sanitaires et d’hygiène les plus basiques. De
plus, vers la fin 2010 et jusqu’en 2011, leur situation s’était
encore aggravée par l’émergence du choléra en octobre 2010, par
l’ouragan Thomas en novembre 2010, et par les troubles politiques
liés à l'élection présidentielle en mars 2011.
3. Le séisme en Haïti a produit une situation très complexe:
une catastrophe naturelle a frappé et affaibli un pays qui se trouvait
déjà dans la misère et qui a dû affronter d’autres crises aussitôt
après. Assister un tel pays représente un défi particulier pour
la communauté internationale, non seulement en ce qui concerne les interventions
d’urgence, mais aussi pour aider le pays à se relever et à développer
de nouvelles infrastructures, activités économiques et perspectives.
Un an après la catastrophe naturelle survenue en Haïti, il était
donc important de prendre acte des succès et des lacunes de l’action
internationale en faveur du peuple haïtien, et notamment des enfants.
4. Les catastrophes naturelles et les crises politiques sont
des événements qui mettent en danger la vie et les bases existentielles
de la population dans le pays où elles se produisent. Les deux arrivent
très régulièrement comme nous pouvons le voir non seulement en Haïti,
mais aussi en Afrique de l’Est, dans le monde arabe, au Japon et
depuis bien plus longtemps en Afghanistan, pour n’en citer que quelques
exemples. Même si certains de ces pays sont des territoires lointains,
les Etats membres du Conseil de l’Europe sont appelés à les soutenir.
Ils doivent partager leur savoir-faire face aux situations de crise,
apporter un soutien matériel et assumer la responsabilité qui résulte
des nombreuses interdépendances économiques et sociales avec les
pays concernés.
5. A travers ce rapport, des lignes d’actions à suivre par les
Etats membres du Conseil de l’Europe seront proposées en vue d’aider
le mieux possible les enfants d’Haïti ou d’Afghanistan, mais aussi
à l’avenir tous les enfants de pays qui pourraient être frappés
par des catastrophes naturelles ou des situations de crise. Les propositions
faites sont basées sur des avis d’experts recueillis lors d’une
audition organisée par la commission des questions sociales, de
la santé et de la famille le 23 mars 2011 à Paris, et à laquelle
ont participé des représentants de l’Organisation des Nations Unies,
de l’UNICEF ainsi que des associations humanitaires Médecins du
monde et Action contre la faim
. Leurs contributions
orales ont été exploitées pour ce rapport, et je les remercie vivement
d’avoir partagé leur grande expertise avec notre commission. Les
divers documents écrits qu’ils ont également fournis, tel le rapport
sur la situation des droits de l’homme à Haïti soumis à l’Assemblée
générale des Nations Unies en juin 2011, ont permis d’enrichir l’état
des lieux. Enfin, ce rapport inclut des informations que j’ai recueillies
personnellement lors de mes deux missions en Haïti et en Afghanistan,
entreprises à mes propres frais en avril et juillet 2011 respectivement,
et pendant lesquelles j’ai eu l’occasion de rencontrer de nombreux
experts et familles touchées. Toutes les recommandations faites dans
le présent rapport se basent donc sur des informations recueillies
sur le terrain.
2. La situation
des enfants en Haïti et en Afghanistan, et les besoins d’action
2.1. Les dangers menaçant
les enfants d’Haïti
6. Déjà avant le séisme, Haïti a connu des problèmes
particuliers quant aux droits et à la protection des enfants: taux
de mortalité materno-infantile élevé, inégalité d’accès aux soins
de santé, vulnérabilité des enfants due à une malnutrition chronique,
agressions et violences sexuelles et existence de réseaux organisés de
traite des êtres humains et à l’exploitation domestique, ainsi que
50 000 enfants placés en institution. Le séisme a aggravé cette
situation et révélé la «crise silencieuse» de ce pays qui se trouve
parmi les plus pauvres de la planète, qui était moins que beaucoup
d’autres préparé à une telle catastrophe et qui a toujours eu des
mécanismes de protection de l’enfance particulièrement faibles.
7. Dans les situations de crise, quelle que soit leur origine,
les enfants sont toujours les membres les plus vulnérables des sociétés
concernées, notamment quand ils sont séparés de leur famille et
de leur environnement habituel. En Haïti, les enfants ont de ce
fait été fortement exposés à la violence qui règne dans les rues
ou les camps provisoires et à des activités criminelles qui existaient
déjà auparavant, mais qui ont été aggravées par le désordre public
provoqué par le séisme. En raison du grand nombre d’enfants isolés,
voire orphelins, et du fait des déplacements massifs de population
au sein du pays, les risques d’enlèvement pour trafic et exploitation,
d’adoption illégale ou de violence à l’égard des enfants ont persisté
très longtemps après la catastrophe et semblent toujours présents.
A cet égard, les services des Nations Unies sont toujours préoccupés
par des allégations de trafic d’enfants à la frontière avec la République
Dominicaine.
8. L’un des plus grands problèmes concernant la prise en charge
des enfants en Haïti demeure celui du grand nombre de structures
d’accueil illégales ou non déclarées. Souvent, les enfants y sont
placés par leur propre famille dans une intention louable de meilleure
prise en charge, mais ils courent ensuite le risque d’être exploités
à des fins commerciales ou de trafic. Une autre spécificité haïtienne
portant gravement atteinte aux droits de l’enfant est celle des
«restaveks» («reste avec» en créole). Cette pratique consiste généralement
à placer des enfants de familles pauvres des zones rurales dans
des familles citadines plus aisées dans l’espoir d’assurer à l’enfant
une vie plus décente. Cependant, en réalité, les enfants sont souvent
exploités pour un travail domestique très dur, ils ne sont pas scolarisés
et subissent violence physique ou sexuelle, isolement et sous-alimentation.
Selon des estimations de l’UNICEF, 173 000 enfants haïtiens étaient
concernés en 2007, ce qui représentait plus de 8 % des enfants de
5 à 17 ans du pays. Pour éviter ce sort aux enfants, il est indispensable
d’aider l’Etat haïtien à mettre en place un véritable recensement
de la population, le principe de l’école obligatoire et un contrôle
plus efficace des structures de placement avec des règles strictes
ne laissant aucune marge à la corruption.
9. Au niveau de l’adoption internationale, il faut éviter que
les enfants d’Haïti soient emmenés hors de leur pays sans que les
familles d’accueil étrangères passent par une procédure légale complète
et transparente. L’adoption internationale n’est pas un geste humanitaire
et, comme stipulé par la Convention de La Haye, elle ne doit être
envisagée qu’en dernier ressort lorsque toutes les alternatives
à l’intérieur du pays ont été épuisées, et après constat par les
autorités compétentes de l’absence de parents ou de tuteur. Dans
le cas d'Haïti, il appartient notamment aux autorités haïtiennes,
avec le soutien de la Mission des Nations Unies pour la stabilisation
en Haïti (MINUSTAH) de mettre en place des mécanismes fermes à cet
égard.
10. Selon l’association Médecins du monde, qui est un organisme
autorisé et habilité pour l’adoption, l’adoption internationale
en Haïti a déjà connu des mécanismes «prédateurs» avant la crise
étant donné que la «demande» pour des enfants à adopter a toujours
largement dépassé «l’offre». Surtout la recherche de jeunes enfants
a toujours alimenté les circuits de corruption, encore plus après
le séisme. Ainsi, plus de 2 000 cas d’adoption traités de façon
accélérée avaient été constatés au 31 mai 2010, et des milliers
de tentatives de sorties via la République dominicaine ont pu être
empêchées. Certains pays européens, comme la France, ont décidé
d’arrêter les adoptions vers leur territoire (sauf pour des dossiers
traités juridiquement avant le séisme), malgré la pression forte
des familles adoptantes. Des évolutions législatives en la matière
visant à mieux protéger les enfants sont attendues en Haïti, mais
ne pourront pas avancer tant que l’Etat ne reviendra pas à un fonctionnement
normal.
11. Un des grands problèmes auxquels les enfants d’Haïti sont
également confrontés est celui de l’accès à l’éducation. Selon l’UNESCO,
seulement un enfant sur cinq avait accès à l’école publique avant
le séisme du 12 janvier 2010. Un large segment de la population
était ainsi privé d’éducation parce que les parents ne possédaient
pas les ressources financières nécessaires pour payer l’inscription.
Entre-temps, l’UNESCO s’est engagée à épauler le ministère haïtien
de l’Education nationale et de la Formation professionnelle pour
la mise en œuvre du plan recommandé par le Pacte national pour l’éducation.
Haïti veut entre autres offrir à tous les enfants de 6 à 12 ans
un enseignement gratuit et de qualité à compter de 2015
. Des efforts similaires sont fournis
par l’UNICEF qui espérait reconstruire 200 écoles semi-permanentes
à travers le pays d'ici à la fin de juin 2011
. Selon l’UNICEF, le rôle de l’éducation
ne doit d’ailleurs pas être sous-estimé: après une crise, l’accès
à l’école devrait être rétabli le plus rapidement possible pour
autant d’enfants que possible afin de leur procurer un sens de la
normalité et d’appartenance à une communauté qui les rassure.
12. Dans les situations de crise, telle que celle d'Haïti, les
enfants sont souvent exposés à une série de dangers qui commence
par la perte ou la séparation prolongée de l’adulte de référence
et se poursuit par des atteintes physiques et psychiques comme la
malnutrition, l’accès limité aux soins et à l’éducation, et l’exposition
à diverses formes de violences. Il est évident que plus l’enfant
est jeune lorsqu’il est soumis à ces conditions et plus les conséquences
sont dramatiques. Par ailleurs, un «paradoxe» peut être observé
en Haïti: alors que l’enfant est souvent considéré comme «roi» à
travers les propos officiels, la réalité est différente, et force
est de constater que l’enfant est non seulement très mal protégé
mais est parfois utilisé comme une ressource à travers différents
trafics. Beaucoup d’enfants ont déjà été victimes d’exploitation
avant le séisme de janvier 2010. La complexité d’une situation de
crise telle qu’en Haïti rend les enfants encore plus vulnérables
qu’en temps «normal».
2.2. Les facteurs aggravant
la situation ou augmentant sa complexité
13. Tout d’abord, la faible capacité du Gouvernement
haïtien et des autorités locales à répondre aux conséquences du
séisme a aggravé la situation. La plupart des ministères avaient
été détruits, beaucoup de fonctionnaires étaient morts ou dans l’incapacité
de travailler et, dans le «chaos» général, les services sociaux de
base ne pouvaient plus atteindre les populations en milieu rural.
Cela a contribué à aggraver considérablement la pauvreté chronique
et largement répandue parmi elles et réduit la base économique vitale (alors
confinée à la capitale). La coordination de situations d’urgence
doit par ailleurs se faire dans un contexte de neutralité et d’impartialité
maximales, et tenter de traiter toutes les populations qui ont besoin
d’aide, chose parfois rendue difficile par le renouvellement trop
fréquent du personnel humanitaire sur le terrain qui se contente
de reprendre ce que les autres ont laissé.
14. Le modèle de gestion de crises par «modules thématiques» sous
l’égide des Nations Unies (thematic cluster
approach, exemples: nutrition; santé; eau, assainissement
et hygiène; éducation; etc.) s’est montré efficace de manière générale.
Cependant, il a été difficile de réaliser clairement les objectifs
prévus au niveau de ces «modules» du fait de la multiplicité des
enjeux et de leur interaction – enjeux humanitaires mais aussi économiques
et géopolitiques – et en raison de la compétition entre les institutions,
du nombre d’acteurs humanitaires impliqués, et de la variété de
ces acteurs (Etats, privés, militaires, ONG, etc.). De plus, la complexité
de la situation a été aggravée par le fait que des coopérations
bilatérales se sont ajoutées au soutien multinational. Enfin, faute
de cadre institutionnel fiable, l’efficacité de l’intervention humanitaire
a pâti de la corruption et d’autres activités criminelles.
15. L’émergence du choléra au deuxième semestre 2010 a également
contribué à aggraver la situation humanitaire. Cependant, grâce
à l’intervention rapide des organisations internationales, la maladie
a pu être contrôlée assez rapidement. Au début 2011, l’épidémie
de choléra avait entamé une phase de déclin, mais elle ne semble
pas avoir été complètement éradiquée selon l’Organisation panaméricaine
de la santé (OPS).
16. En ce qui concerne les enfants, en particulier, on observe
souvent un phénomène de «baby boom» postcatastrophe neuf à dix mois
après un choc violent qui a provoqué la mort de nombreux enfants.
Selon certaines associations humanitaires, cela a également été
le cas en Haïti. En plus des situations matérielles déjà décrites,
l’état psychologique de beaucoup de mères ne leur permet pas de
bien s’occuper de leurs enfants ni d’accéder aux consultations ou
au soutien qui leur sont offerts, laissant les enfants dans une situation
encore plus vulnérable.
17. Face à des situations de crise, une grande difficulté réside
dans l’organisation de l’aide humanitaire dans la durée. Un an après
le séisme, un très grand nombre de personnes vivaient toujours dans
des conditions précaires, sous des bâches ou dans des tentes. Après
les réponses d’urgence visant à assurer les besoins primaires de
la population s’impose l’immense défi de la reconstruction des zones
sinistrées. Cependant, tant que les acteurs de terrain ne sauront
pas où logeront à terme les personnes déplacées, il leur sera impossible de
déployer les interventions visant à soutenir la relance et le développement
du pays. Dès février 2010, le nombre des personnes déplacées au
sein du pays était estimé à 467 000 dont la majorité sur la province
de l’Artibonite. Face à cette situation, une bonne coordination
entre les acteurs humanitaires internationaux et avec les autorités
nationales et locales était d’autant plus importante. De même, la
reconstruction de Port-au-Prince nécessite de mettre en place une
véritable politique urbaine se basant sur des données cadastrales fiables.
18. Une autre difficulté dans le cas d’Haïti est le déblocage
réel des fonds internationaux mis à disposition. Le 31 mars 2010
à New York, plus de 50 pays et organisations multilatérales ont
promis d’apporter une aide de 9,8 milliards de dollars pour la reconstruction
d'Haïti à moyen et long terme. Un an après le séisme, des projets
de reconstruction équivalant à une dépense de 3,1 milliards de dollars
seulement avaient été décidés dans le cadre de la Commission intérimaire
pour la reconstruction d’Haïti et seule la moitié de cette somme
a été effectivement déboursée.
2.3. Les leçons à retenir
19. En Haïti, l’UNICEF et d’autres organisations spécialisées,
telles que Médecins du monde et Action contre la faim qui ont été
consultées pour le présent rapport, ont accompli un excellent travail
de documentation, d’identification d’enfants isolés, de regroupement
familial, d’hébergement, de fourniture de soins et de protection.
De son côté, l’UNICEF a contribué à des activités dans quatre domaines:
eau, hygiène et assainissement; éducation; protection des enfants;
santé et nutrition. Ainsi, plus de 720 000 enfants ont pu être soutenus
pour leur réinsertion à l’école; sur 5 144 enfants séparés, 1 363
ont pu être réunifiés avec leurs familles tandis que d’autres étaient
placés dans des centres supervisés, et 1,9 million d’enfants ont
pu bénéficier de vaccins contre six maladies. Les interventions
que l’UNICEF a entreprises jusqu’en janvier 2011 ont été estimées
à 350 millions de dollars (mais avec un financement assuré seulement
à 85 %).
20. Dans le cadre d’une telle mobilisation de la communauté internationale
face à des situations de crise, les rapports d’experts permettent
de dégager les grandes lignes des défis qu’il faut affronter:
- des mécanismes de gouvernance
permettant de donner des réponses humanitaires cohérentes et efficaces;
- des actions décentralisées permettant d’atteindre les
plus pauvres et les plus vulnérables (enfants et mères) dans les
zones reculées;
- la plus grande flexibilité des organisations internationales
(UNICEF et autres) pour adapter rapidement les interventions à des
contextes nouveaux;
- un rétablissement rapide des capacités nationales de gestion;
- la conviction des partenaires nationaux qu’il ne s’agit
pas d’établir un «règne» des ONG internationales mais d’apporter
un réel soutien dans un esprit de confiance, avec l’implication
des autorités nationales en tant que «leader» ou au moins partie
prenante dans l’ensemble des actions;
- le rétablissement de la confiance et du dialogue au sein
des «communautés» qui représentent des ressources énormes mais qui,
dans un cas comme celui d’Haïti, doivent d’abord être rétablis après
avoir été affaiblis par trente ans de dictature;
- l’implication du secteur privé.
2.4. Un deuxième exemple:
l’Afghanistan
21. La situation des enfants en Afghanistan est aussi
dramatique que celle en Haïti selon les indicateurs principaux:
avec 45 % de la population en dessous de l’âge de 15 ans, la mortalité
infantile est de plus de 15 % et un enfant sur quatre n’atteint
pas l’âge de 5 ans. Alors que les droits de l’enfant ont été totalement
bafoués durant la période au pouvoir des talibans (jusqu’à 2001),
la situation des enfants reste instable en 2011 et se dégrade au
même rythme que la société se paupérise, même dans les grandes villes.
Bien que l’Afghanistan ait ratifié la Convention relative aux droits
de l’enfant (CDE), la plupart des droits propres aux enfants ne
sont pas respectés, un état de fait encore aggravé dans les zones
exposées au conflit où des enfants sont souvent enrôlés de force
pour participer aux combats. Ainsi, des problèmes pour les enfants
persistent notamment en matière de sécurité, d’accès à l’éducation
et à la formation professionnelle, de santé (aussi à travers celle
des mères) ainsi que de pauvreté et de conditions de vie générales.
Parmi les risques spécifiques menaçant les enfants d’Afghanistan,
dont bon nombre sont livrés à eux-mêmes à un jeune âge, se trouvent
ceux liés à la vie dans la rue, aux accidents domestiques, mais
aussi des atteintes ciblées à leur intégrité telles que les abus sexuels
envers les garçons et le mariage forcé, qui peut souvent être qualifié
de viol domestique, pour les filles. L’accès à l’éducation reste
difficile, notamment pour les filles, même si des efforts énormes
ont permis de scolariser environ 7 millions d’enfants à la rentrée
2011 (en laissant jusqu’à 4,5 millions d'enfants non scolarisés).
22. Les réponses internationales données à ces problématiques
rencontrent des difficultés similaires, mais plus importantes encore,
qu’en Haïti. Malgré la bonne volonté politique à la fois du Gouvernement
afghan mais aussi de toutes les structures intervenant dans le pays,
l’assistance internationale manque de cohérence et de transparence.
Notamment le manque de lisibilité et de coordination d’une politique
européenne est très préoccupant: certains pays ayant des relations
privilégiées avec l’Afghanistan depuis de nombreuses années (tels
que l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni ou la Turquie), mènent
leurs propres actions, alors que pratiquement tous les pays du continent
européen sont intervenus dans la coalition militaire et les actions
de reconstruction. Une coordination entre différents acteurs s’impose
également: certaines agences telles que l’UNICEF ont l’expertise,
mais manquent souvent de moyens d’intervention, alors que d’autres
structures étatiques ou non gouvernementales peuvent avoir les ressources,
mais n’ont pas l’expertise et ne coordonnent pas leurs actions,
ce qui les rend inefficaces par moments. De plus, depuis 2006 et
en raison de problèmes de sécurité, beaucoup d’ONG se sont désengagées
d’Afghanistan.
3. Actions requises
de la part de la communauté internationale
23. A la lumière des situations étudiées pour le présent
rapport, il devient évident que, pour une protection efficace des
enfants dans le cadre de situations de crise, les actions suivantes
s’imposent:
- la reconnaissance
de l’enfance comme un facteur de vulnérabilité particulière afin
d’assurer des réponses adaptées et différenciées selon les tranches
d’âge: moins de 5 ans, âge scolaire, préadolescents, adolescents;
- la garantie de l’accès à une alimentation adaptée et à
une eau de qualité, de conditions d’hygiène et d’assainissement
correctes, de la prise en charge en matière de santé et de santé
mentale, de la protection contre différentes formes d’abus et de
violence, ainsi que d’une scolarisation continue;
- la mise en place de services particuliers pour les femmes
qui viennent d’accoucher et qui allaitent tels que proposés par
l’association Action contre la faim (distribution de lait artificiel
et de compléments alimentaires hautement protéinés, tentes spéciales
pour les mamans et les bébés, etc.).
24. Selon les experts auditionnés dans le cadre du présent rapport,
l’action internationale future en Haïti et dans d’autres régions
concernées par des crises devrait viser à mieux protéger les enfants
par le biais des mesures suivantes:
- au niveau des normes internationales, la ratification
de la Convention de La Haye sur la protection des enfants et la
coopération en matière d’adoption internationale et la mise en œuvre
rigoureuse des recommandations figurant dans le rapport de la rapporteure
spéciale des Nations Unies sur les formes contemporaines d’esclavage;
- un soutien dans le cadre de réformes législatives et judiciaires
visant la mise en place de mécanismes efficaces pour lutter contre
tous les risques auxquels les enfants sont exposés déjà en temps
«normal», mais plus encore en situation de crise: enlèvement, trafic,
violence et violence sexuelle, placement dans des structures d’accueil
illégales ou non surveillées, adoption internationale abusive ainsi
que la pratique haïtienne du «restavek»;
- un soutien stable à l’UNICEF et d’autres organisations
spécialisées dans leur intervention, entre autres en assurant le
respect des promesses financières annoncées.
25. De manière générale, et indépendamment de la situation spécifique
des enfants, les principes suivants devraient être respectés afin
d’assurer la plus grande efficacité de l’aide apportée à moyen terme:
- un soutien des acteurs nationaux
non seulement dans les réponses les plus urgentes à la crise, mais aussi
en ce qui concerne le rétablissement des services de base indispensables,
la restauration des infrastructures principales et la création de
solutions génératrices de revenus ainsi que le renforcement de l’Etat
haïtien et la sortie de l’instabilité politique chronique;
- la garantie d’interventions de haute qualité et pérennes,
suivies d’un désengagement de manière progressive;
- le respect des droits de l’homme dans les interventions
des organisations internationales elles-mêmes afin de garantir leur
crédibilité à long terme.
4. Conclusions
et recommandations
26. L’action future requise des Etats membres du Conseil
de l’Europe concerne seulement dans une moindre mesure des activités
législatives. Elle est surtout d’ordre politique et doit viser une
plus forte coordination internationale face à des catastrophes naturelles
et des situations de crise politique. C’est seulement par des actions
cohérentes et ciblées de la communauté internationale qu’un soutien
efficace peut être apporté aux enfants dans les situations de crise.
Les exemples d’Haïti et de l’Afghanistan, et notamment les informations
recueillies lors de l’audition d’experts et des missions entreprises
par moi-même en tant que rapporteure, soutiennent cet argument.
27. Face aux situations de crise, les enfants sont confrontés
à de nombreux dangers. Dans des pays comme Haïti, les lois et les
mécanismes destinés à assurer leur protection pleine et entière
manquent souvent. Dans une telle situation, les Etats membres du
Conseil de l’Europe doivent d’abord intervenir d’urgence tout en appliquant
leurs propres standards élevés en matière de démocratie et de droits
de la personne humaine dans le cadre de l’aide immédiate fournie.
Cela concerne, par exemple, les règles à respecter en matière d’adoption internationale,
de transparence des flux financiers ou de surveillance des actions
du personnel humanitaire. A moyen terme, l’Europe a également la
responsabilité d’apporter son soutien au renforcement de l’Etat
de droit et de la législation dans les pays concernés.
28. Concernant des domaines particuliers, les Etats membres du
Conseil de l’Europe peuvent également être appelés à renforcer leurs
propres législation ou mécanismes légaux, par exemple dans le domaine
des adoptions internationales: à défaut de procédures sécurisées
sur place, certains pays européens, comme l’Allemagne, l’Autriche
ou la France, ont suspendu l’accueil d’enfants d’Haïti par la voie
de l’adoption internationale pendant un certain temps.
29. Les deux exemples, Haïti et Afghanistan, montrent encore une
fois que les standards les plus élevés en matière de protection
de l’enfance sont loin d’être respectés dans tous les pays. Il appartient
aussi aux Etats membres du Conseil de l’Europe de les promouvoir
partout où ils en ont la possibilité, tout en respectant le contexte
social et culturel d’un pays donné.
30. De manière générale, la protection des enfants contre les
menaces à leur intégrité (enlèvement, trafic, violences physiques
et sexuelles, exploitation pour travail domestique, etc.) doit être
une priorité de l’action nationale et internationale. Les besoins
spécifiques des enfants et leur droit à une protection particulière
ne doivent pas être «oubliés» dans la multitude d’autres problèmes
à aborder en même temps mais être au contraire une constante permanente
de chaque action humanitaire entreprise.