1. Introduction
1. La violence psychologique ne laisse pas forcément
des marques visibles sur le corps de la victime, mais laisse des
cicatrices profondes et durables qui sont très difficiles à faire
disparaître. Ainsi que l’a souligné le Premier ministre français,
François Fillon, dans une allocution relative à l’introduction du
délit de violence psychologique dans le Code pénal français, il
s’agit de situations qui «ne laissent pas de traces à l'œil nu,
mais qui mutilent l'être intérieur des victimes»
.
2. Ces dernières années, des progrès considérables ont été faits
en vue de reconnaître la violence à l’égard des femmes comme un
délit et une violation des droits humains. Plusieurs Etats membres
du Conseil de l’Europe ont introduit de nouvelles lois, ou renforcé
les lois existantes, en matière de violence à l’égard des femmes
et de violence domestique, tandis que l’engagement souscrit de longue
date par le Conseil de l’Europe dans ce domaine s’est traduit, en
mai 2011, par l’adoption de la Convention sur la prévention et la
lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique
(STCE no 210). La violence psychologique ne doit pas être oubliée
dans le contexte de ces changements importants. Au contraire, elle
doit être reconnue comme une forme de violence grave appelant des
mesures préventives et répressives appropriées.
3. Il y a deux raisons à cela: la
violence
psychologique non seulement cause des traumatismes profonds et durables
chez les victimes mais elle peut aussi constituer la première étape
d’un processus qui, s’il n’est pas enrayé, conduit à la violence
physique. Comme l’a récemment affirmé Mme Yael Mellul, avocate française spécialisée
dans la défense des victimes de violence domestique
,
«dans le contexte d’une relation intime, il n’existe aucune victime
de violence physique qui n’ait été auparavant victime de violence
psychologique». La violence psychologique ne conduit pas systématiquement
à la violence physique, mais la violence physique est toujours précédée
de violence psychologique.
4. La notion de violence psychologique retient de plus en plus
l’attention de l’opinion publique et apparaît progressivement dans
les législations nationales. En 2010, l’intégration du délit de
violence psychologique dans le Code pénal français a fait la une
des journaux pendant des semaines en France et à l’étranger.
5. Même si un certain nombre de médias et de commentateurs ont
jugé cette initiative discutable, l’intégration de la notion de
violence psychologique dans la législation nationale, bien que récente,
n’est pas exceptionnelle dans les Etats membres du Conseil de l'Europe
qui ont révisé leurs lois récemment.
6. Toutefois, il s’agit d’une forme de violence peu connue –
peu connue du grand public, des victimes elles-mêmes et des représentants
chargés de faire appliquer et respecter la loi, tels que la police
et la justice. Cet état de fait a forcément une incidence négative
sur la mise en œuvre de tout cadre législatif existant: même les
dispositions les plus progressistes sur la violence psychologique
risquent de rester lettre morte si les parties directement intéressées
ne connaissent pas le phénomène et/ou ne sont pas capables de le
reconnaître.
2. Ampleur
du problème
7. Trouver des estimations ou des statistiques pour
saisir l’ampleur du problème de la violence psychologique constitue
un défi. Aucun Etat membre du Conseil de l’Europe ne dispose de
statistiques sur les cas de violence psychologique; au mieux, on
dispose d’estimations non comparables, fondées sur une recherche
très sommaire ainsi que sur différentes méthodologies. En fait,
l’un des obstacles majeurs à la collecte des données, c’est que
les victimes de violence psychologique elles-mêmes ont rarement
conscience de faire l’objet d’une forme de violence.
8. La tentative la plus ambitieuse visant à dresser le tableau
du phénomène a eu lieu en France en 2000. A l’occasion de l’Enquête
nationale sur les violences envers les femmes en France (ENVFF)
, réalisée par téléphone, il n’a
pas été demandé directement aux participantes si elles étaient victimes
de violence, mais si elles avaient fait l’objet de certains traitements
psychologiques et physiques, qui ont été décrits avec exactitude de
manière à contourner le problème de l’absence de prise de conscience.
Il est ressorti de cette étude qu’une femme sur dix était victime
de violence psychologique dans le cadre d’une relation intime.
9. A ce jour, l’ENVFF est l’étude de ce genre la plus complète
jamais effectuée en France. Elle a toutefois fait l’objet de vives
critiques parce que seules des femmes avaient été interrogées, mais
également à cause de la façon dont les traitements ont été décrits,
choisis ou évalués; parmi les principales critiques figurait le caractère
arbitraire du choix des comportements qui constitueraient des violences
psychologiques.
10. Même en l’absence de statistiques officielles, la recherche
scientifique souligne régulièrement que
:
- les mauvais traitements psychologiques
constituent en soi une forme de violence;
- les mauvais traitements psychologiques sont une forme
de violence courante et importante au regard de leur fréquence;
- la majeure partie des victimes de mauvais traitements
psychologiques dans le cadre d’une relation intime sont des femmes.
11. D’après des travaux de recherche réalisés aux Etats-Unis,
certains facteurs spécifiques pourraient accroître le risque pour
une femme de faire l’objet de violence psychologique
:
- les
femmes qui occupent un emploi mais dont le partenaire est sans emploi
ont au moins deux fois plus de chance de faire l’objet de mauvais
traitements psychologiques de la part de leur partenaire;
- le fait d’avoir un handicap physique augmente le risque
de mauvais traitements psychologiques de 83 % pour une femme;
- les femmes qui gagnent au moins 65 % du revenu de leur
ménage ont plus de chance de faire l’objet de mauvais traitements
psychologiques.
12. Le fait d’affirmer que la majeure partie des victimes de violence
psychologique sont des femmes n’exclut pas, bien évidemment, que
des hommes également peuvent être victimes de ce phénomène, même
si le défaut de données et de travaux de recherche scientifique
sur cette question ne permet pas d’avancer des estimations fiables
. De plus, les victimes
masculines de violence peuvent éprouver encore plus de difficultés que
les femmes à en faire état aux autorités compétentes, en raison
de la stigmatisation du fait d’être une victime masculine, du sentiment
de ne pas être conforme au stéréotype de virilité et de la crainte
de ne pas être cru.
3. Origine du rapport
13. Le présent rapport s’inspire d’une proposition de
résolution («Les violences psychologiques: en tenir compte dans
la lutte contre la violence faite aux femmes») présentée par Mme Greff
et plusieurs de ses collègues (
Doc. 12255). La proposition repose sur deux faits objectifs: la
violence psychologique s’accompagne souvent d’autres formes de violence
ou en constitue le préalable; ses victimes, en proie à des sentiments
de peur et d’insécurité, n’en parlent pas et ne signalent rien aux
autorités dans la plupart des cas.
14. Compte tenu de ce qui précède, les signataires de la proposition
formulent les recommandations suivantes:
- la violence psychologique doit être considérée comme une
forme de violence faite aux femmes;
- la violence psychologique doit être érigée en infraction
même si elle est difficile à prouver, et figurer dans la Convention
du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence
à l’égard des femmes et la violence domestique.
15. Depuis que la proposition a été présentée, des résultats importants
ont été enregistrés. La Convention du Conseil de l’Europe sur la
prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et
la violence domestique a été adoptée et ouverte à la signature.
Elle inclut la notion de violence psychologique que les Etats parties
sont invités à criminaliser.
16. Bien que les objectifs principaux de la proposition aient
été réalisés, il importe que l’Assemblée parlementaire mette en
lumière ce fléau peu connu mais largement répandu. Un important
moment de réflexion dans ce processus a été l’audition organisée
le 8 juin 2011 à Paris par la commission sur l’égalité des chances pour
les femmes et les hommes, qui a permis à ladite commission de tenir
un échange de vues avec deux expertes dans ce domaine, Mme Yael
Mellul, avocate
, et le Dr Marie-France Hirigoyen,
psychiatre et victimologue
.
4. Champ d’application
du rapport
17. Dans le présent rapport, je traite de la question
de la violence psychologique dans le cadre des relations familiales
ou intimes. J’aborde des questions telles que la situation de la
victime, la situation de l’auteur de la violence, les meilleures
pratiques et les mesures pour les aider, le cadre juridique pertinent
et ce que la convention du Conseil de l’Europe apporte de nouveau.
18. J’évoque la situation des enfants témoins de violence psychologique
dans le contexte familial, mais je laisse le soin de présenter un
examen approfondi de l’impact sur ces enfants et des mesures destinées
à les aider à la commission des questions sociales, de la santé
et de la famille, qui est saisie pour avis sur ce rapport.
19. Je ne traite pas de la violence psychologique et du harcèlement
sur le lieu du travail, des brimades à l’école ou du recours à la
violence psychologique dans le contexte de conflits armés, car j’estime
que ces sujets mériteraient chacun qu’un rapport entier leur soit
consacré et se situent au-delà du mandat d’un rapporteur de la commission
sur l’égalité des chances pour les femmes et les hommes.
20. En accomplissant mon travail, j’ai tenu compte du rapport
«Ordonnances de protection pour les victimes de violence domestique»
,
préparé en parallèle par la commission sur l’égalité des chances
pour les femmes et les hommes, que j’estime complémentaire.
5. Définition de la
violence psychologique
5.1. L’expérience subie
par les victimes
21. La violence psychologique peut être définie comme
«des paroles et des actes répétés visant à faire du mal ou à asservir
la victime»
.
22. La violence psychologique peut prendre des formes très diverses:
agressions verbales, cris, menaces, harcèlement, intimidation, critiques
constantes, humiliation, blâmes, injures, insultes, actions pour
ridiculiser, imiter ou humilier publiquement la victime, isolement
de la victime, tentative d’empêcher toute activité indépendante,
souhait de voir la victime prendre part à des activités sexuelles
qui ne lui sont pas agréables pour prouver son amour, utilisation
des enfants pour prendre le contrôle en sapant l’autorité de l’autre
parent ou menacer de partir avec les enfants ou de les abandonner,
priver la victime de moyens de subsistance ou de son indépendance
économique, menacer de tuer des êtres chers, y compris des animaux
familiers, menacer de détruire des biens et menacer de faire interner
la personne
, etc.
23. Le harcèlement est une des formes de manifestation de la violence
psychologique les plus fréquentes. Il se traduit par différents
comportements, tels que le fait de suivre ou d’observer de façon
répétée l’autre personne, de lui demander des comptes sur tous les
moments de la journée, de l’accuser d’entretenir une relation ou
de contrôler en permanence ses activités
.
Le fait d’isoler l’autre personne en la confinant physiquement,
en limitant ses contacts, en limitant ses libertés ou en la privant
de moyens de déplacement pourrait être assimilé à des mauvais traitements
psychologiques et physiques à la fois.
24. Il importe de faire la distinction entre violence psychologique
et simples conflits au sein du couple. La violence psychologique
intervient uniquement lorsque:
- les
deux parties ne se trouvent pas sur un pied d’égalité, étant entendu
qu’on est en présence d’un agresseur et d’une victime qui n’est
pas en mesure de se défendre;
- ce genre de comportement se répète sur la durée.
25. Les insultes répétées, les menaces et l’isolement social font
que les victimes perdent progressivement la notion de ce qui est
acceptable. Si les femmes ne portent pas plainte pour violence psychologique
auprès des autorités, c’est en raison de contraintes sociales et
économiques ou par peur de représailles, mais également parce qu’elles
s’y sont progressivement habituées et qu’elles se sentent coupables
de provoquer cette violence. Par ailleurs, il se peut qu’elles craignent
pour leur propre sécurité ou celle de leurs enfants et des personnes
qu’elles aiment, pensant qu’elles pourraient leur être enlevés.
Elles ne sont souvent pas bien informées de leurs droits en tant
que victime, ont une faible estime d’elles-mêmes et s’imputent la responsabilité
de ce qui est arrivé. L’isolement social et la crainte d’être expulsé
pourraient constituer un facteur supplémentaire, qui explique pourquoi
certaines victimes ne signalent pas ce type de violence
.
26. Comme l’a expliqué Mme Hirigoyen au cours de l’audition, tant
l’auteur de la violence que la victime souffrent d’une «addiction»
à la violence psychologique: l’auteur de la violence libère sa tension
sur la victime en l’accusant d’être responsable de son comportement,
ce qui lui permet de se sentir mieux, tandis que la victime est
amenée à croire que le responsable, c’est elle, sans comprendre
pourquoi, et à perdre confiance en son jugement et en elle-même.
Ce processus d’«addiction» et de perte progressive de toute estime
de soi explique pourquoi plus la violence est grave et plus elle
se prolonge dans le temps, moins la victime sera susceptible de
la dénoncer.
27. Le processus se renforce tout seul et peut conduire, pour
l’agresseur, à une escalade de la violence – de la violence psychologique
à la violence physique, des coups au meurtre – et, pour la victime,
à la dépression et dans le pire des cas au suicide.
5.2. La définition juridique
28. En raison de la grande diversité des formes que peut
prendre la violence psychologique, il est particulièrement difficile
de la définir en termes juridiques.
29. Au cours de l’audition, Mme Mellul a souligné combien il importe
de se doter d’une définition juridique détaillée et claire de la
violence psychologique, en expliquant que cela aiderait les victimes
à reconnaître la situation qu’elles vivent et à prendre conscience
qu’elle équivaut à une infraction pénale.
30. Dans ce contexte, Mme Mellul a critiqué la définition extrêmement
vague donnée par la loi française (section 222-14-3): «Les violences
prévues par les dispositions de la présente section sont réprimées
quel que soit leur nature, y compris s’il s’agit de violences psychologiques.»
Elle a formulé la même critique en ce qui concerne la définition
de la violence domestique figurant dans la Convention du Conseil
de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard
des femmes et de la violence domestique (voir ci-après).
31. D’autre part, ainsi que l’a souligné Mme Hirigoyen, la définition
juridique de la violence psychologique ne devait pas être trop détaillée
parce qu’elle doit couvrir un large éventail d’actes qui ont des
retombées psychiatriques, physiques et psychosomatiques extrêmement
diverses sur les victimes.
32. Les uns et les autres vivent la violence psychologique et
expriment leurs souffrances de manières différentes. Une bonne définition
juridique de la violence psychologique doit donc trouver un juste
milieu entre un degré de précision suffisant pour que les victimes
s’y reconnaissent et une souplesse suffisante pour couvrir des expériences
individuelles aussi diverses.
6. Incrimination de
la violence psychologique
33. Au moins 28 Etats membres ont adopté des dispositions
pénales pour soit sanctionner la violence psychologique proprement
dite, soit en faire une circonstance aggravante dans le contexte
de la violence domestique
.
Cela étant, la définition de la violence domestique demeure très
différente d’un Etat membre à l’autre, en particulier en ce qui
concerne l’intensité du lien qui doit exister entre la victime et
l’auteur des violences pour qu’une procédure pénale soit engagée.
34. La Suède compte au nombre des pays dont l’approche est la
plus ambitieuse et protectrice. Elle sanctionne les infractions
commises par une personne entretenant ou ayant entretenu une relation
étroite avec une autre personne, sans autre condition et sans préciser
le sexe. Par ailleurs, le cas d’un homme marié ou ayant été marié,
ou ayant cohabité avec une femme dans des conditions comparables
à celles d’un mariage est spécifiquement mentionné
.
35. L'Espagne incrimine le comportement violent du conjoint actuel
ou précédent, ou des hommes avec lesquels la femme a ou a eu des
relations affectives analogues, avec ou sans cohabitation
. La Pologne
érige en infraction la violence psychologique non seulement lorsqu'elle
est le fait d'un membre de la famille proche mais aussi lorsqu'elle
est le fait de personnes proches de la victime ou dont cette dernière
dépend, de manière permanente ou temporaire
.
36. Quelques Etats membres ont érigé en infraction l'incitation
au suicide: ainsi, conformément à l'article 110 du Code pénal arménien
sur l'incitation au suicide:
«1.
Le fait d'inciter une personne à se suicider ou à faire une tentative
de suicide, par imprudence ou par négligence, au moyen d'une menace,
d'un traitement cruel ou d'une atteinte systématique à sa dignité, est
puni d'une peine d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à trois ans.
2. Le même acte commis en relation avec une personne dépendant
financièrement ou de quelque autre façon de l'auteur de l'acte est
puni d'une peine d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à cinq ans.»
37. Les sanctions infligées aux auteurs de violence psychologique
varient aussi considérablement. En France, la violence psychologique
peut être punie d'une peine d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à trois ans
et d'une amende pouvant aller jusqu'à 75 000 euros
. En Suède, la peine d'emprisonnement
varie entre six mois et six ans
. Au Portugal, les mauvais traitements
psychologiques peuvent être punis d'une peine d'emprisonnement comprise
entre un et cinq ans
.
38. Le fait que l’introduction de la notion de violence psychologique
dans la législation nationale des Etats membres soit récente rend
impossible pour le moment une évaluation complète de sa mise en
œuvre.
39. Toutefois, l’audition organisée à Paris a permis d’identifier
certaines des principales tendances qui se dégagent de la mise en
œuvre de la législation française. De l’avis des intervenants, davantage
d’efforts doivent être déployés en vue d’aider les policiers – qui
parfois hésitent à recueillir les plaintes ou affichent une attitude
de rejet – à comprendre et à identifier ce phénomène.
40. Ce manque de compréhension de la part des autorités ajoute
à la frustration et à la souffrance de cette minorité de victimes
(10 % en France) qui trouvent le courage et la force d’appeler les
autorités à l’aide, outre le fait qu’il introduit un filtre au niveau
de l’enregistrement des plaintes.
41. Cependant, selon Mme Mellul et Mme Hirigoyen, le principal
obstacle à une mise en œuvre efficace trouve son origine dans le
système judiciaire: ce serait un euphémisme de dire que, depuis
l’entrée en vigueur de la nouvelle législation, le nombre de décisions
judiciaires reconnaissant l’existence de la violence psychologique
est négligeable. La difficulté à fournir des preuves suffisantes
pour étayer les allégations joue certainement beaucoup; de plus,
les juges ne reçoivent pas une formation appropriée sur le traitement
des affaires de violence à l’égard des femmes et de violence domestique
en général, et en particulier de la violence psychologique.
7. Convention du Conseil
de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard
des femmes et la violence domestique (Convention d’Istanbul)
42. Lors de la conférence ministérielle tenue le 11 mai
2011 à Istanbul, la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention
et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence
domestique a été ouverte à la signature. A la date du 28 septembre
2011, elle a été signée par les pays suivants: Allemagne, Autriche, Finlande,
France, Grèce, Islande, Luxembourg, Monténégro, Norvège, Portugal,
République slovaque, Slovénie, Espagne, Suède, «l’ex-République
yougoslave de Macédoine» et Turquie.
43. Cette convention, qui est vivement soutenue par l’Assemblée,
est un instrument juridique innovant et un succès politique. Il
s’agit du premier instrument international contraignant au monde
à définir des mesures complètes propres à prévenir la violence à
l’encontre des femmes, à protéger les victimes, à poursuivre les auteurs
de violence et à mettre en place un cadre global de politiques d’assistance.
44. Il convient d’observer que la convention s’applique à toutes
les formes de violence à l’égard des femmes et que les parties sont
encouragées à l’appliquer à toutes les victimes de violence domestique, indépendamment
de leur sexe
.
7.1. Notion de violence
psychologique
45. La notion de violence psychologique figure dans les
articles suivants de la Convention d’Istanbul:
«Article 3 – Définitions
Aux fins de la présente convention:
a. le terme "violence
à l’égard des femmes" doit être compris comme une violation des
droits de l’homme et une forme de discrimination à l’égard des femmes,
et désigne tous les actes de violence fondés sur le genre qui entraînent,
ou sont susceptibles d’entraîner, pour les femmes, des dommages ou
souffrances de nature physique, sexuelle, psychologique ou économique,
y compris la menace de se livrer à de tels actes, la contrainte
ou la privation arbitraire de liberté, que ce soit dans la vie publique ou
privée;
Article 33 – Violence psychologique
Les Parties prennent les mesures législatives ou autres
nécessaires pour ériger en infraction pénale le fait, lorsqu’il
est commis intentionnellement, de porter gravement atteinte à l’intégrité
psychologique d’une personne par la contrainte ou les menaces.
Article 46 – Circonstances aggravantes
Les Parties prennent les mesures législatives ou autres
nécessaires afin que les circonstances suivantes, pour autant qu’elles
ne relèvent pas déjà des éléments constitutifs de l’infraction,
puissent, conformément aux dispositions pertinentes de leur droit
interne, être prises en compte en tant que circonstances aggravantes
lors de la détermination des peines relatives aux infractions établies conformément
à la présente convention:
a. l’infraction
a été commise à l’encontre d’un ancien ou actuel conjoint ou partenaire,
conformément au droit interne, par un membre de la famille, une
personne cohabitant avec la victime ou une personne ayant abusé
de son autorité;
b. l’infraction,
ou les infractions apparentées, ont été commises de manière répétée;
c. l’infraction
a été commise à l’encontre d’une personne rendue vulnérable du fait
de circonstances particulières;
(…)
h. l’infraction
a entraîné de graves dommages physiques ou psychologiques pour la
victime;
(…)»
46. En ce qui concerne la notion de violence psychologique énoncée
à l'article 33, le rapport explicatif (paragraphes 177 à 179) est
libellé comme suit:
«177. Les
rédacteurs sont convenus d'appliquer une sanction pénale en cas
de conduite intentionnelle qui porte gravement atteinte à l'intégrité
psychologique d'une autre personne par la contrainte ou la menace.
L'interprétation du terme "intentionnellement" est laissée à l'appréciation
du droit interne, mais l'exigence d'une conduite intentionnelle
porte sur tous les éléments de l'infraction.
178. L'étendue de l'infraction est limitée au comportement
intentionnel qui, par des moyens et méthodes diverses, porte gravement
atteinte et porte préjudice à l'intégrité psychologique d'une personne.
La convention ne définit pas ce qui constitue une atteinte grave.
Pour qu'un comportement relève de cette disposition, il doit être
fait usage de la contrainte ou de menaces.
179. Cette disposition fait référence à un comportement
et non à un événement ponctuel. Elle vise à saisir la nature pénale
d'un comportement violent qui se produit dans le temps – à l'intérieur
ou à l'extérieur de la famille. La violence psychologique précède
ou accompagne souvent la violence physique et sexuelle dans les
relations intimes (violence domestique).»
7.2. Incrimination de
la violence psychologique
47. La Convention d’Istanbul demande aux Etats parties
d'ériger en infraction la violence psychologique. Même s’il s’agit
là d’un pas très important vers la reconnaissance de la violence
psychologique en tant que forme de violence grave, il est dommage
que l'article 33 soit l'une des dispositions pouvant faire l'objet
de réserves de la part des Etats parties.
48. Les raisons sont indiquées dans le rapport explicatif:
«Il est important de souligner
que conformément à l’article 78, paragraphe 3, de cette convention,
tout Etat ou l’Union européenne peuvent préciser qu’il se réserve
le droit de prévoir des sanctions non pénales, au lieu de sanctions
pénales, relativement à la violence psychologique. L’intention des rédacteurs
était de préserver le principe d’incrimination de la violence psychologique
dans la convention, tout en restant flexible lorsque le système
juridique d’une Partie prévoit uniquement des sanctions non pénales
concernant ces comportements. Néanmoins, les sanctions doivent être
efficaces, proportionnées et dissuasives, sans égard au caractère
pénal ou non des sanctions prévues par les Parties» (paragraphe
181).
49. L’Assemblée aurait préféré que l’on donne moins de latitude
aux Etats parties dans ce domaine. Dans son
Avis 280 (2011), qui portait sur ce qui était à l’époque le projet de
convention, elle en appelait au Comité des Ministres pour qu’il
modifie l’article 78 de sorte à exclure la possibilité pour les
Etats parties de faire des réserves sur une disposition d’une telle
importance. Malheureusement, cette modification n’a pas été adoptée.
50. Bien que la Convention d’Istanbul représente une base juridique
de référence importante, d’un point de vue politique il serait tout
à fait justifié que l’Assemblée invite les Etats membres à adopter
des mesures basées sur des normes plus avancées en matière de protection
des victimes de violence. Je crois, par conséquent, que l’Assemblée
devrait inviter les Parties à s’abstenir de telles réserves et à
mettre en place des sanctions pénales efficaces, proportionnées
et dissuasives contre la violence psychologique.
8. Conséquences pour
les victimes et leurs familles
51. Les effets de la violence psychologique sont durables
et difficiles à surmonter. Ils incluent la dépression, les accès
de panique, les troubles du sommeil et l’anxiété
.
52. Des chercheurs ont établi que les victimes de mauvais traitements
psychologiques dans le contexte d’une relation intime sont davantage
susceptibles de connaître une mauvaise santé physique, des troubles émotionnels
et/ou mentaux, de piètres résultats professionnels ou scolaires,
une probabilité supérieure de consommer de la drogue et de l’alcool
et, enfin, des idées suicidaires et/ou des tentatives de suicide
.
53. Même les femmes qui parviennent à s’échapper de relations
caractérisées par des mauvais traitements sont souvent dans l’incapacité
de se reconstruire. Leurs chances de devenir indépendantes, de trouver
un travail, de trouver leur place dans une nouvelle relation ou
dans la société sont souvent amoindries à jamais.
54. La recherche scientifique a montré que le seul fait d’être
témoins de violence psychologique a de graves conséquences sur les
enfants, dont le développement physique, émotionnel et social est
ainsi fortement perturbé
.
Un pourcentage élevé d’enfants vivant dans une famille où des manifestations
de violence psychologique ont cours entre les parents font eux-mêmes
l’objet de mauvais traitements. Près des trois quarts des enfants
considérés «à risque» par les services sociaux vivent dans un foyer
où un de leurs parents ou une des personnes ayant leur garde fait
subir des mauvais traitements à l’autre
.
55. De plus, en raison d’un phénomène d’identification, les enfants
qui sont témoins de violence ont tendance à la reproduire une fois
adultes, soit en tant qu’auteurs soit en tant que victimes. La violence domestique
peut donc être considérée comme étant à l’origine d’autres formes
de violence.
9. Assistance aux
victimes
56. Les effets des mauvais traitements psychologiques
peuvent être dévastateurs et durables pour les victimes. Il est
indispensable de mettre en œuvre des ensembles de mesures spécifiques
pour contrer ces effets.
57. Dans un certain nombre de résolutions et recommandations,
l’Assemblée parlementaire a décrit les mesures d’assistance que
les Etats membres devraient prendre en faveur des victimes de violence domestique,
y compris la mise en place de refuges pour les victimes de violence
domestique et leurs enfants, la promotion de programmes de soutien
et la fourniture de conseils spécialisés.
58. Les ordonnances de protection (notamment concernant l’éloignement
de l’auteur de violence du domicile commun) ainsi que l’accès à
un refuge, la protection des victimes et des témoins et les lois
réprimant la traque et le harcèlement sont également essentiels
pour soustraire les victimes à la poursuite de la violence, à condition
que ces mesures soient mises en œuvre en temps opportun et soient
accompagnées de sanctions dissuasives en cas de manquements
.
59. Par ailleurs, des exemples de bonnes pratiques provenant de
certains Etats membres pourraient inspirer des initiatives semblables:
- la
création de bureaux spécialisés pour les victimes de violence:
la ville de Bruxelles a mis en place un service spécial appelé le
«Bureau d’assistance policière aux victimes» qui accueille les victimes,
leurs proches et les témoins de violence physique ou psychologique
tout en conseillant et en assistant les policiers dans leur travail .
Le personnel est composé de trois psychologues et de trois criminologues qui
informent, forment et sensibilisent la police bruxelloise à propos
de la question de la violence domestique et de l’existence de services
de soutien aux victimes. Par ailleurs, le bureau offre un soutien psychologique
aux victimes, leur apporte une aide pour les démarches administratives
et les dirige vers d’autres spécialistes ou professionnels. Il rencontre
également les victimes qui, après avoir demandé l’aide de la police,
décident de retirer leur plainte en leur expliquant les risques
liés à ce choix;
- la fourniture d’une assistance
juridique gratuite aux victimes de violence: depuis mars
2011, aux Pays-Bas, les victimes de violence domestique, dont les
agresseurs ont été placés sous le coup d’une ordonnance restrictive
temporaire délivrée ex officio, reçoivent
une assistance juridique gratuite de la part d’une organisation
appelée «Soutien aux victimes – Pays-Bas» .
Cette décision a été prise pour remédier au fait que l’agresseur
avait droit à une aide juridique en vue de faire lever l’ordonnance restrictive,
alors que la victime – qui n’est pas partie à la procédure judiciaire
– n’y avait pas droit. Le soutien offert par «Soutien aux victimes
– Pays-Bas» porte sur l’assistance juridique, telle que la fourniture
d’informations à propos des procédures judiciaires et l’assistance
aux victimes au sein du tribunal;
- accroître la sécurité du domicile:au Royaume-Uni, où les victimes
de violence domestique ont la possibilité de faire expulser du logement
l’auteur de la violence par le biais d’une «ordonnance d’occupation»,
il existe également la possibilité de faire appliquer le projet
«domicile sûr» .
Cette possibilité permet à une victime qui souhaite continuer d’occuper
le foyer familial d’en améliorer la sécurité par le biais d’adaptations,
et cela gratuitement;
- l’organisation de campagnes
de sensibilisation: une campagne d’information sur la
violence psychologique et verbale a été lancée en France en juin
2009. Le court-métrage intitulé La Voix,
réalisé par Jacques Audiard, a dénoncé ce type de violence: «des
violences qui peuvent s'entendre mais qu'on ne voit pas» . La campagne dans les médias a été
combinée avec le lancement d'un site internet qui apporte des repères
et des réponses aux victimes ;
- la préparation d’un plan de
sécurité: l’appui fourni par des organisations non gouvernementales
et des organismes de l’Etat pour la préparation d’un plan de sécurité
représente une autre bonne pratique. Des conseils concrets sur les
documents à prendre avant de partir, comment se protéger après le
départ, les lieux à éviter et comment conserver la trace de tous
les incidents se sont avérés utiles pour les victimes de violence
psychologique .
10. Assistance aux
auteurs de violence
60. Malgré la prise de conscience croissante du caractère
crucial de la prévention pour l’éradication de la violence domestique,
les centres d’assistance et de réhabilitation pour les auteurs de
violence restent rares. Et pourtant, nombreux sont ceux qui ont
conscience d’avoir un problème de maîtrise de leur colère et souhaitent
changer.
61. Plusieurs sites internet d’organisations non gouvernementales
luttant contre la violence, telles que Everyman Project et Respect,
présentent des stratégies d'autoassistance aux auteurs de violence
– par exemple sortir du lieu, parler à des amis, demander conseil,
éviter les situations à risque et savoir reconnaître sa propre sonnette
d’alarme
. Ce type d’assistance représente
un premier outil accessible aux auteurs de violence qui souhaitent
enrayer le cycle de violence
.
62. La Ligne de conseils pour hommes au Royaume-Uni vise à fournir
un soutien, des conseils ainsi que des informations aux victimes
masculines de violence domestique ainsi qu’aux professionnels, à
la famille et aux amis qui se préoccupent d’elles ou aux collègues
qui travaillent avec elles
.
63. Les statistiques de contrôle portant sur les personnes qui
ont appelé la Ligne de conseils pour hommes durant la période 2008-2009
font apparaître que ces dernières peuvent être divisées en trois
groupes: dans de nombreux cas, l’interlocuteur a confirmé, en décrivant
les incidents récents ou en donnant d’autres informations sur la
relation, qu’il était victime de violence domestique; dans d’autres
cas, il a décrit des incidents et des modèles de comportement faisant
apparaître qu’il était à la fois auteur et victime de violence domestique.
Dans d’autres encore, l’homme a révisé la présentation initiale
qu’il avait faite de lui-même en tant que victime et, dans certains
cas, il a demandé ou accepté des propositions sur la manière dont
il pouvait lutter contre l’usage qu'il fait de la violence dans
sa relation.
64. Malgré ces appels à l’aide, les auteurs de violence ne sont
pas nombreux à prendre l’initiative de s’adresser à un centre de
réadaptation. Ces centres sont en principe fréquentés par les auteurs
de formes très graves de violence ayant souvent un casier judiciaire,
qui sont orientés vers le centre de réadaptation sur injonction
d’un tribunal. Comme l’a indiqué Mme Hirigoyen, bon nombre d’hommes
instruits issus de classes sociales aisées ou moyennes, aussi désireux
soient-ils de surmonter leur problème, ne sont guère disposés à se
rendre dans ces centres, également en raison de la stigmatisation
sociale dont ces lieux font l’objet et parce qu’ils estiment ne
pas appartenir à la même classe que les autres patients.
65. A mon avis, il y a lieu de lancer des campagnes d’information
en direction du grand public, afin d’inciter les auteurs de violence
à solliciter une assistance spécialisée. En outre, sur le modèle
du Québec, les Etats membres devraient mettre en place des centres
dans lesquels les auteurs de violence peuvent se rendre de leur
propre chef et en toute confidentialité. Ces centres devraient adopter
une approche personnalisée et offrir des conseils individuels, un
soutien de groupe ou une formation sur la manière de gérer sa propre
colère conformément aux besoins spécifiques de chacun.
66. En effet, les programmes d’appui ciblés sur les auteurs de
violence peuvent donner des résultats. Une étude réalisée en 2010
sur l’efficacité de tels programmes au Royaume-Uni a révélé que
la plupart des hommes qui suivent un programme bien établi s’inscrivant
dans le cadre d’une réponse communautaire coordonnée à la violence
domestique cessent de recourir à la violence. De plus, les femmes
dont le partenaire ou l’ex-partenaire suit un tel programme se sentent
davantage en sécurité
.
11. Conclusions
et recommandations
67. Dans le passé, j’ai été moi-même victime de violence
psychologique dans le contexte d’une relation intime. Cette expérience
m’a traumatisée mais j’ai eu la chance de refaire ma vie. De nombreuses
femmes ne sont pas aussi chanceuses que moi. Certaines restent prisonnières
d’une relation marquée par les mauvais traitements; leurs enfants,
dans certains cas, font aussi l’objet de mauvais traitements et,
dans tous les cas, répéteront à l’âge adulte les comportements dont
ils ont été témoins à la maison. Pour d’autres femmes, le degré
de la violence dont elles font l’objet va crescendo et franchit
la frontière entre la violence psychologique et la violence physique.
68. La violence psychologique dans le cadre d’une relation intime
est un phénomène qui touche les femmes de manière disproportionnée.
Il s’agit d’une forme de violence fondée sur le sexe, d’une discrimination
et d’un déni de l'égalité de chances: dans certains cas, ses victimes
n’auront pas la chance de se reconstruire et de trouver un emploi,
un autre partenaire ou un autre foyer et, dans d’autres cas, elles
n’auront tout simplement même pas la chance d’y survivre.
69. A mon sens, il importe que l’Assemblée parlementaire œuvre
pour le droit de ces femmes d’avoir une seconde chance. Les Etats
européens devraient introduire les mesures les plus ambitieuses,
au besoin en allant au-delà des normes établies par la Convention
du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence
à l’égard des femmes et la violence domestique, afin d’encourager
les victimes à solliciter de l’aide; les Etats devraient adopter
un cadre juridique efficace pour punir la violence psychologique,
de préférence au plan pénal, et l’appliquer dans la pratique; ils
devraient mettre en place des programmes d’assistance aux victimes
de violence, y compris les enfants, et développer le réseau des
structures de réhabilitation pour les auteurs de violence.
70. Pour conclure ce rapport, je citerai quelques phrases de Mme
Hirigoyen, que j’ai trouvées particulièrement sages: «La violence
psychologique n’est pas un problème féminin. La violence psychologique est
un problème auquel participent à la fois les femmes et les hommes,
soit en tant que victimes soit en tant qu’auteurs. Ce serait une
erreur, qui plus est contre-productive, de décrire les hommes uniquement
comme les auteurs de violence et les femmes uniquement comme des
victimes. La seule façon de lutter contre la violence psychologique
et contre la violence domestique est de travailler à la fois avec
les femmes et les hommes.»