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Rapport | Doc. 12787 | 09 novembre 2011

La violence psychologique

Commission sur l'égalité des chances pour les femmes et les hommes

Rapporteure : Mme Elvira KOVÁCS, Serbie, PPE/DC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 12255, Renvoi 3687 du 21 juin 2010. 2011 - Commission permanente de novembre

Résumé

La violence psychologique dans le cadre d’une relation intime est une forme de violence répandue, qui touche principalement les femmes en tant que victimes et les enfants qui en sont témoins, mais aussi les hommes, quoique à une échelle moindre.

Les Etats membres du Conseil de l’Europe devraient adopter des dispositions afin d’ériger la violence psychologique en infraction pénale en tant que telle et lever les obstacles actuels à la mise en œuvre efficace des lois pertinentes, y compris la mauvaise compréhension du phénomène par les représentants chargés de faire appliquer et respecter la loi.

Il y a tout autant lieu d’améliorer la disponibilité et la qualité des mesures d’assistance aux victimes de violence ainsi que des structures de réhabilitation accessibles aux auteurs de violence.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 4 octobre
2011.

(open)
1. La violence psychologique dans le cadre d’une relation intime est une forme de violence répandue, qui touche principalement les femmes en tant que victimes et les enfants qui en sont témoins, mais aussi les hommes, quoiqu’à une échelle moindre. Elle peut prendre des formes très diverses – agressions verbales, menaces, harcèlement, isolement de la victime et tentative d’empêcher toute activité indépendante de sa part – et a pour conséquence d’asservir la victime.
2. L’Assemblée parlementaire est convaincue qu’il importe au plus haut point de combattre la violence psychologique, non seulement parce qu’elle constitue une forme de violence grave qui laisse des cicatrices profondes et durables chez les victimes, mais aussi parce que, si elle n’est pas enrayée, elle dégénère souvent en violence physique.
3. Ces dernières années, plusieurs Etats membres du Conseil de l’Europe ont introduit de nouvelles lois, ou renforcé les lois existantes, en matière de violence à l’égard des femmes et de violence domestique, y compris des dispositions sur la violence psychologique, qui est parfois définie comme une infraction en soi ou une circonstance aggravante à prendre en compte dans le cadre d’une action en justice.
4. L’Assemblée se félicite de cette évolution, ainsi que de l’intégration de dispositions spécifiques sur la violence psychologique dans la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (STCE n° 210). Par ailleurs, elle rappelle qu’une fois la convention entrée en vigueur, les Etats parties peuvent décider de l’appliquer à toutes les victimes de violence domestique, quel que soit leur sexe.
5. Cela étant dit, l’Assemblée pense qu’il convient de redoubler d’efforts pour sensibiliser l’opinion publique sur le phénomène de la violence psychologique, ses conséquences et les solutions possibles, en vue d’aider les victimes à surmonter leurs difficultés à obtenir une assistance et à saisir la justice et, sur un plan plus général, de provoquer un changement positif des mentalités dans la société en affirmant clairement que la violence ne saurait être tolérée même lorsqu’elle se déroule au sein d’un foyer.
6. En outre, il y a lieu de renforcer le cadre juridique applicable à la violence psychologique, notamment dans les Etats membres où elle n’est pas érigée en infraction, et de lever les obstacles actuels à la mise en œuvre efficace des lois pertinentes, y compris la mauvaise compréhension du phénomène de la violence psychologique et de ses répercussions sur les victimes par les représentants chargés de faire appliquer et respecter la loi.
7. Il y a tout autant lieu d’améliorer la disponibilité et la qualité des mesures d’assistance aux victimes de violence ainsi que des structures de réhabilitation accessibles aux auteurs de violence.
8. A la lumière de ce qui précède, l’Assemblée invite les Etats membres du Conseil de l’Europe:
8.1. en ce qui concerne la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique:
8.1.1. à signer et ratifier la convention dans les meilleurs délais;
8.1.2. à appliquer la convention à toutes les victimes de violence domestique, quel que soit leur sexe, ainsi que le permet l’article 2, paragraphe 2, relatif au champ d’application de la convention;
8.1.3. à s’abstenir de faire des réserves à la Convention, notamment à son article 33 relatif à la violence psychologique;
8.2. en ce qui concerne le cadre juridique national et sa mise en œuvre effective:
8.2.1. à envisager d’introduire la notion de violence psychologique dans le droit pénal national;
8.2.2. à veiller à ce qu’en toutes circonstances, les auteurs de violence psychologique soient sanctionnés de manière efficace, proportionnée et dissuasive;
8.2.3. à former la police à l’identification de la violence psychologique;
8.2.4. à dispenser une formation approfondie aux juges et aux procureurs sur la violence psychologique, y compris ses répercussions sur les victimes et leurs enfants, ses manifestations, les implications juridiques et la question de la preuve;
8.2.5. à veiller à ce que les professionnels de santé reçoivent une formation appropriée pour être en mesure d’identifier les signes de violence psychologique et de violence domestique;
8.3. en ce qui concerne la collecte de données et la recherche:
8.3.1. à contrôler la mise en œuvre de la législation sur la violence domestique et/ou sur la violence psychologique et recueillir régulièrement des données sur:
8.3.1.1. le nombre de cas signalés à la police;
8.3.1.2. le suivi dont ces cas font l’objet;
8.3.1.3. les raisons pour lesquelles certaines affaires ne sont pas suivies;
8.3.1.4. le résultat des décisions judiciaires;
8.3.2. à effectuer régulièrement des enquêtes sur la violence domestique au sein de la population, en vue de collecter des données sur:
8.3.2.1. le nombre de victimes ventilées par sexe;
8.3.2.2. le type de violence (psychologique ou physique) et ses manifestations;
8.3.2.3. la présence d’enfants dans le foyer concerné;
8.3.2.4. le nombre estimé de meurtres et de suicides dus à la violence domestique;
8.4. en ce qui concerne l’assistance aux victimes:
8.4.1. à mettre en place des lignes téléphoniques et des sites web en vue de fournir des conseils sur les mesures sociales et juridiques disponibles, qui soient accessibles de façon totalement confidentielle et gratuite;
8.4.2. à mettre en place des centres d’assistance, d’accueil et des refuges pour les victimes de violence domestique et leurs enfants;
8.4.3. à promouvoir des programmes en vue d’aider les victimes de violence psychologique et de violence domestique à poursuivre une éducation, une formation professionnelle ou à intégrer ou réintégrer le marché du travail;
8.4.4. à mettre en place des systèmes en vue de fournir une assistance et une représentation juridiques gratuites aux victimes de violence domestique, y compris de violence psychologique;
8.5. en ce qui concerne l’assistance aux auteurs de violence:
8.5.1. à mettre en place ou promouvoir la création de centres de réadaptation pour les auteurs de violence domestique, y compris de violence psychologique, et veiller à ce qu’un nombre suffisant de ces centres soient accessibles sur la base d’une demande individuelle ou d’une prescription médicale sans nécessité d’une ordonnance du tribunal;
8.5.2. à veiller à faire une large publicité en faveur des centres de réadaptation pour les auteurs de violence existants;
8.6. en ce qui concerne la sensibilisation:
8.6.1. à organiser des programmes d’éducation et de prévention sur la violence psychologique et domestique dans les écoles primaires et secondaires;
8.6.2. à mettre en œuvre des campagnes de sensibilisation d’envergure nationale sur la violence psychologique à l’intention du grand public.

B. Exposé des motifs, par Mme Kovács, rapporteure

(open)

1. Introduction

1. La violence psychologique ne laisse pas forcément des marques visibles sur le corps de la victime, mais laisse des cicatrices profondes et durables qui sont très difficiles à faire disparaître. Ainsi que l’a souligné le Premier ministre français, François Fillon, dans une allocution relative à l’introduction du délit de violence psychologique dans le Code pénal français, il s’agit de situations qui «ne laissent pas de traces à l'œil nu, mais qui mutilent l'être intérieur des victimes» 
			(2) 
			Allocution prononcée
à Matignon le 25 novembre 2009, <a href='http://www.blog-fillon.com/article-f-fillon-contre-les-violences-faites-aux-femmes-40389190.html'>www.blog-fillon.com/article-f-fillon-contre-les-violences-faites-aux-femmes-40389190.html</a>..
2. Ces dernières années, des progrès considérables ont été faits en vue de reconnaître la violence à l’égard des femmes comme un délit et une violation des droits humains. Plusieurs Etats membres du Conseil de l’Europe ont introduit de nouvelles lois, ou renforcé les lois existantes, en matière de violence à l’égard des femmes et de violence domestique, tandis que l’engagement souscrit de longue date par le Conseil de l’Europe dans ce domaine s’est traduit, en mai 2011, par l’adoption de la Convention sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (STCE no 210). La violence psychologique ne doit pas être oubliée dans le contexte de ces changements importants. Au contraire, elle doit être reconnue comme une forme de violence grave appelant des mesures préventives et répressives appropriées.
3. Il y a deux raisons à cela: laviolence psychologique non seulement cause des traumatismes profonds et durables chez les victimes mais elle peut aussi constituer la première étape d’un processus qui, s’il n’est pas enrayé, conduit à la violence physique. Comme l’a récemment affirmé Mme Yael Mellul, avocate française spécialisée dans la défense des victimes de violence domestique 
			(3) 
			Audition sur la violence
psychologique, organisée par la commission sur l’égalité des chances
pour les femmes et les hommes, Paris, 8 juin 2011. , «dans le contexte d’une relation intime, il n’existe aucune victime de violence physique qui n’ait été auparavant victime de violence psychologique». La violence psychologique ne conduit pas systématiquement à la violence physique, mais la violence physique est toujours précédée de violence psychologique.
4. La notion de violence psychologique retient de plus en plus l’attention de l’opinion publique et apparaît progressivement dans les législations nationales. En 2010, l’intégration du délit de violence psychologique dans le Code pénal français a fait la une des journaux pendant des semaines en France et à l’étranger.
5. Même si un certain nombre de médias et de commentateurs ont jugé cette initiative discutable, l’intégration de la notion de violence psychologique dans la législation nationale, bien que récente, n’est pas exceptionnelle dans les Etats membres du Conseil de l'Europe qui ont révisé leurs lois récemment.
6. Toutefois, il s’agit d’une forme de violence peu connue – peu connue du grand public, des victimes elles-mêmes et des représentants chargés de faire appliquer et respecter la loi, tels que la police et la justice. Cet état de fait a forcément une incidence négative sur la mise en œuvre de tout cadre législatif existant: même les dispositions les plus progressistes sur la violence psychologique risquent de rester lettre morte si les parties directement intéressées ne connaissent pas le phénomène et/ou ne sont pas capables de le reconnaître.

2. Ampleur du problème

7. Trouver des estimations ou des statistiques pour saisir l’ampleur du problème de la violence psychologique constitue un défi. Aucun Etat membre du Conseil de l’Europe ne dispose de statistiques sur les cas de violence psychologique; au mieux, on dispose d’estimations non comparables, fondées sur une recherche très sommaire ainsi que sur différentes méthodologies. En fait, l’un des obstacles majeurs à la collecte des données, c’est que les victimes de violence psychologique elles-mêmes ont rarement conscience de faire l’objet d’une forme de violence.
8. La tentative la plus ambitieuse visant à dresser le tableau du phénomène a eu lieu en France en 2000. A l’occasion de l’Enquête nationale sur les violences envers les femmes en France (ENVFF) 
			(4) 
			Enquête nationale sur
les violences envers les femmes en France, 
			(4) 
			<a href='http://www.eurowrc.org/01.eurowrc/06.eurowrc_fr/france/13france_ewrc.htm'>www.eurowrc.org/01.eurowrc/06.eurowrc_fr/france/13france_ewrc.htm</a>., réalisée par téléphone, il n’a pas été demandé directement aux participantes si elles étaient victimes de violence, mais si elles avaient fait l’objet de certains traitements psychologiques et physiques, qui ont été décrits avec exactitude de manière à contourner le problème de l’absence de prise de conscience. Il est ressorti de cette étude qu’une femme sur dix était victime de violence psychologique dans le cadre d’une relation intime.
9. A ce jour, l’ENVFF est l’étude de ce genre la plus complète jamais effectuée en France. Elle a toutefois fait l’objet de vives critiques parce que seules des femmes avaient été interrogées, mais également à cause de la façon dont les traitements ont été décrits, choisis ou évalués; parmi les principales critiques figurait le caractère arbitraire du choix des comportements qui constitueraient des violences psychologiques.
10. Même en l’absence de statistiques officielles, la recherche scientifique souligne régulièrement que 
			(5) 
			The National Center
of Victims of Crime, <a href='http://www.ncvc.org/'>www.ncvc.org</a>; Gouvernement du Canada, La violence psychologique –
un document de travail, 2008.:
  • les mauvais traitements psychologiques constituent en soi une forme de violence;
  • les mauvais traitements psychologiques sont une forme de violence courante et importante au regard de leur fréquence;
  • la majeure partie des victimes de mauvais traitements psychologiques dans le cadre d’une relation intime sont des femmes.
11. D’après des travaux de recherche réalisés aux Etats-Unis, certains facteurs spécifiques pourraient accroître le risque pour une femme de faire l’objet de violence psychologique 
			(6) 
			The National Center
of Victims of Crime, <a href='http://www.ncvc.org/'>www.ncvc.org</a>.:
  • les femmes qui occupent un emploi mais dont le partenaire est sans emploi ont au moins deux fois plus de chance de faire l’objet de mauvais traitements psychologiques de la part de leur partenaire;
  • le fait d’avoir un handicap physique augmente le risque de mauvais traitements psychologiques de 83 % pour une femme;
  • les femmes qui gagnent au moins 65 % du revenu de leur ménage ont plus de chance de faire l’objet de mauvais traitements psychologiques.
12. Le fait d’affirmer que la majeure partie des victimes de violence psychologique sont des femmes n’exclut pas, bien évidemment, que des hommes également peuvent être victimes de ce phénomène, même si le défaut de données et de travaux de recherche scientifique sur cette question ne permet pas d’avancer des estimations fiables 
			(7) 
			Hines D. et Malley-Morrison
K., Psychological effects of partner
abuse against men: a neglected research area, université
de Boston, Boston, 2001.. De plus, les victimes masculines de violence peuvent éprouver encore plus de difficultés que les femmes à en faire état aux autorités compétentes, en raison de la stigmatisation du fait d’être une victime masculine, du sentiment de ne pas être conforme au stéréotype de virilité et de la crainte de ne pas être cru.

3. Origine du rapport

13. Le présent rapport s’inspire d’une proposition de résolution («Les violences psychologiques: en tenir compte dans la lutte contre la violence faite aux femmes») présentée par Mme Greff et plusieurs de ses collègues (Doc. 12255). La proposition repose sur deux faits objectifs: la violence psychologique s’accompagne souvent d’autres formes de violence ou en constitue le préalable; ses victimes, en proie à des sentiments de peur et d’insécurité, n’en parlent pas et ne signalent rien aux autorités dans la plupart des cas.
14. Compte tenu de ce qui précède, les signataires de la proposition formulent les recommandations suivantes:
  • la violence psychologique doit être considérée comme une forme de violence faite aux femmes;
  • la violence psychologique doit être érigée en infraction même si elle est difficile à prouver, et figurer dans la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique.
15. Depuis que la proposition a été présentée, des résultats importants ont été enregistrés. La Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique a été adoptée et ouverte à la signature. Elle inclut la notion de violence psychologique que les Etats parties sont invités à criminaliser.
16. Bien que les objectifs principaux de la proposition aient été réalisés, il importe que l’Assemblée parlementaire mette en lumière ce fléau peu connu mais largement répandu. Un important moment de réflexion dans ce processus a été l’audition organisée le 8 juin 2011 à Paris par la commission sur l’égalité des chances pour les femmes et les hommes, qui a permis à ladite commission de tenir un échange de vues avec deux expertes dans ce domaine, Mme Yael Mellul, avocate 
			(8) 
			<a href='http://www.yaelmellul.fr/'>www.yaelmellul.fr/</a>., et le Dr Marie-France Hirigoyen, psychiatre et victimologue 
			(9) 
			<a href='http://www.mariefrance-hirigoyen.com/'>www.mariefrance-hirigoyen.com/</a>; 
			(9) 
			<a href='http://www.lepost.fr/article/2008/07/08/1221006_violences-conjugales-en-france-quelques-chiffres-qui-parlent.html'>www.lepost.fr/article/2008/07/08/1221006_violences-conjugales-en-france-quelques-chiffres-qui-parlent.html</a>..

4. Champ d’application du rapport

17. Dans le présent rapport, je traite de la question de la violence psychologique dans le cadre des relations familiales ou intimes. J’aborde des questions telles que la situation de la victime, la situation de l’auteur de la violence, les meilleures pratiques et les mesures pour les aider, le cadre juridique pertinent et ce que la convention du Conseil de l’Europe apporte de nouveau.
18. J’évoque la situation des enfants témoins de violence psychologique dans le contexte familial, mais je laisse le soin de présenter un examen approfondi de l’impact sur ces enfants et des mesures destinées à les aider à la commission des questions sociales, de la santé et de la famille, qui est saisie pour avis sur ce rapport.
19. Je ne traite pas de la violence psychologique et du harcèlement sur le lieu du travail, des brimades à l’école ou du recours à la violence psychologique dans le contexte de conflits armés, car j’estime que ces sujets mériteraient chacun qu’un rapport entier leur soit consacré et se situent au-delà du mandat d’un rapporteur de la commission sur l’égalité des chances pour les femmes et les hommes.
20. En accomplissant mon travail, j’ai tenu compte du rapport «Ordonnances de protection pour les victimes de violence domestique» 
			(10) 
			Doc. 12786, rapporteure: Mme Riitta Myller (Finlande, SOC)., préparé en parallèle par la commission sur l’égalité des chances pour les femmes et les hommes, que j’estime complémentaire.

5. Définition de la violence psychologique

5.1. L’expérience subie par les victimes

21. La violence psychologique peut être définie comme «des paroles et des actes répétés visant à faire du mal ou à asservir la victime» 
			(11) 
			Dr
Hirigoyen, audition à Paris, 8 juin 2011..
22. La violence psychologique peut prendre des formes très diverses: agressions verbales, cris, menaces, harcèlement, intimidation, critiques constantes, humiliation, blâmes, injures, insultes, actions pour ridiculiser, imiter ou humilier publiquement la victime, isolement de la victime, tentative d’empêcher toute activité indépendante, souhait de voir la victime prendre part à des activités sexuelles qui ne lui sont pas agréables pour prouver son amour, utilisation des enfants pour prendre le contrôle en sapant l’autorité de l’autre parent ou menacer de partir avec les enfants ou de les abandonner, priver la victime de moyens de subsistance ou de son indépendance économique, menacer de tuer des êtres chers, y compris des animaux familiers, menacer de détruire des biens et menacer de faire interner la personne 
			(12) 
			Ibid., etc.
23. Le harcèlement est une des formes de manifestation de la violence psychologique les plus fréquentes. Il se traduit par différents comportements, tels que le fait de suivre ou d’observer de façon répétée l’autre personne, de lui demander des comptes sur tous les moments de la journée, de l’accuser d’entretenir une relation ou de contrôler en permanence ses activités 
			(13) 
			Ibid.. Le fait d’isoler l’autre personne en la confinant physiquement, en limitant ses contacts, en limitant ses libertés ou en la privant de moyens de déplacement pourrait être assimilé à des mauvais traitements psychologiques et physiques à la fois.
24. Il importe de faire la distinction entre violence psychologique et simples conflits au sein du couple. La violence psychologique intervient uniquement lorsque:
  • les deux parties ne se trouvent pas sur un pied d’égalité, étant entendu qu’on est en présence d’un agresseur et d’une victime qui n’est pas en mesure de se défendre;
  • ce genre de comportement se répète sur la durée.
25. Les insultes répétées, les menaces et l’isolement social font que les victimes perdent progressivement la notion de ce qui est acceptable. Si les femmes ne portent pas plainte pour violence psychologique auprès des autorités, c’est en raison de contraintes sociales et économiques ou par peur de représailles, mais également parce qu’elles s’y sont progressivement habituées et qu’elles se sentent coupables de provoquer cette violence. Par ailleurs, il se peut qu’elles craignent pour leur propre sécurité ou celle de leurs enfants et des personnes qu’elles aiment, pensant qu’elles pourraient leur être enlevés. Elles ne sont souvent pas bien informées de leurs droits en tant que victime, ont une faible estime d’elles-mêmes et s’imputent la responsabilité de ce qui est arrivé. L’isolement social et la crainte d’être expulsé pourraient constituer un facteur supplémentaire, qui explique pourquoi certaines victimes ne signalent pas ce type de violence 
			(14) 
			«Manuel sur les réponses
policières efficaces à la violence envers les femmes», UNODC, 2010, <a href='http://www.unodc.org/documents/justice-and-prison-reform/crimeprevention/Effective_police_responses_to_violence_against_women-French.pdf'>www.unodc.org/docu
ments/justice-and-prison-reform/crimeprevention/Effective_ police_responses_to_violence_against_
women-French.pdf</a>..
26. Comme l’a expliqué Mme Hirigoyen au cours de l’audition, tant l’auteur de la violence que la victime souffrent d’une «addiction» à la violence psychologique: l’auteur de la violence libère sa tension sur la victime en l’accusant d’être responsable de son comportement, ce qui lui permet de se sentir mieux, tandis que la victime est amenée à croire que le responsable, c’est elle, sans comprendre pourquoi, et à perdre confiance en son jugement et en elle-même. Ce processus d’«addiction» et de perte progressive de toute estime de soi explique pourquoi plus la violence est grave et plus elle se prolonge dans le temps, moins la victime sera susceptible de la dénoncer.
27. Le processus se renforce tout seul et peut conduire, pour l’agresseur, à une escalade de la violence – de la violence psychologique à la violence physique, des coups au meurtre – et, pour la victime, à la dépression et dans le pire des cas au suicide.

5.2. La définition juridique

28. En raison de la grande diversité des formes que peut prendre la violence psychologique, il est particulièrement difficile de la définir en termes juridiques.
29. Au cours de l’audition, Mme Mellul a souligné combien il importe de se doter d’une définition juridique détaillée et claire de la violence psychologique, en expliquant que cela aiderait les victimes à reconnaître la situation qu’elles vivent et à prendre conscience qu’elle équivaut à une infraction pénale.
30. Dans ce contexte, Mme Mellul a critiqué la définition extrêmement vague donnée par la loi française (section 222-14-3): «Les violences prévues par les dispositions de la présente section sont réprimées quel que soit leur nature, y compris s’il s’agit de violences psychologiques.» Elle a formulé la même critique en ce qui concerne la définition de la violence domestique figurant dans la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et de la violence domestique (voir ci-après).
31. D’autre part, ainsi que l’a souligné Mme Hirigoyen, la définition juridique de la violence psychologique ne devait pas être trop détaillée parce qu’elle doit couvrir un large éventail d’actes qui ont des retombées psychiatriques, physiques et psychosomatiques extrêmement diverses sur les victimes.
32. Les uns et les autres vivent la violence psychologique et expriment leurs souffrances de manières différentes. Une bonne définition juridique de la violence psychologique doit donc trouver un juste milieu entre un degré de précision suffisant pour que les victimes s’y reconnaissent et une souplesse suffisante pour couvrir des expériences individuelles aussi diverses.

6. Incrimination de la violence psychologique

33. Au moins 28 Etats membres ont adopté des dispositions pénales pour soit sanctionner la violence psychologique proprement dite, soit en faire une circonstance aggravante dans le contexte de la violence domestique 
			(15) 
			Albanie,
Arménie, Azerbaïdjan, Belgique, Bosnie-Herzégovine, Bulgarie, Croatie,
Chypre, Danemark, France, Géorgie, Islande, Irlande, Italie, Luxembourg,
Malte, Moldova, Monténégro, Pologne, Portugal, Roumanie, Saint-Marin, Serbie,
République slovaque, Slovénie, Espagne, Suède et Ukraine.. Cela étant, la définition de la violence domestique demeure très différente d’un Etat membre à l’autre, en particulier en ce qui concerne l’intensité du lien qui doit exister entre la victime et l’auteur des violences pour qu’une procédure pénale soit engagée.
34. La Suède compte au nombre des pays dont l’approche est la plus ambitieuse et protectrice. Elle sanctionne les infractions commises par une personne entretenant ou ayant entretenu une relation étroite avec une autre personne, sans autre condition et sans préciser le sexe. Par ailleurs, le cas d’un homme marié ou ayant été marié, ou ayant cohabité avec une femme dans des conditions comparables à celles d’un mariage est spécifiquement mentionné 
			(16) 
			Chapitre 4, article
4.a, du Code pénal..
35. L'Espagne incrimine le comportement violent du conjoint actuel ou précédent, ou des hommes avec lesquels la femme a ou a eu des relations affectives analogues, avec ou sans cohabitation 
			(17) 
			Article 1er de la loi
organique 1/2004 du 28 décembre 2004 relative aux mesures de protection
intégrale contre la violence de genre.. La Pologne érige en infraction la violence psychologique non seulement lorsqu'elle est le fait d'un membre de la famille proche mais aussi lorsqu'elle est le fait de personnes proches de la victime ou dont cette dernière dépend, de manière permanente ou temporaire 
			(18) 
			Article 207 du Code
pénal..
36. Quelques Etats membres ont érigé en infraction l'incitation au suicide: ainsi, conformément à l'article 110 du Code pénal arménien sur l'incitation au suicide:
«1. Le fait d'inciter une personne à se suicider ou à faire une tentative de suicide, par imprudence ou par négligence, au moyen d'une menace, d'un traitement cruel ou d'une atteinte systématique à sa dignité, est puni d'une peine d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à trois ans.
2. Le même acte commis en relation avec une personne dépendant financièrement ou de quelque autre façon de l'auteur de l'acte est puni d'une peine d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à cinq ans.»
37. Les sanctions infligées aux auteurs de violence psychologique varient aussi considérablement. En France, la violence psychologique peut être punie d'une peine d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à trois ans et d'une amende pouvant aller jusqu'à 75 000 euros 
			(19) 
			BBC News, Psychological violence a criminal offence in
France, 30 juin 2010, <a href='http://www.bbc.co.uk/news/10459906'>www.bbc.co.uk/news/10459906</a>.. En Suède, la peine d'emprisonnement varie entre six mois et six ans 
			(20) 
			Législation dans les
Etats membres du Conseil de l’Europe concernant la violence à l’égard
des femmes, 
			(20) 
			<a href='http://www.huiselijkgeweld.nl/doc/beleid/legislation in the member states vol 2 italy to uk.pdf'>www.huiselijkgeweld.nl/doc/beleid/legislation%20in%20the%20member%20states%20vol%202%20italy%20to%20uk.pdf</a>.. Au Portugal, les mauvais traitements psychologiques peuvent être punis d'une peine d'emprisonnement comprise entre un et cinq ans 
			(21) 
			Article
152 du Code pénal..
38. Le fait que l’introduction de la notion de violence psychologique dans la législation nationale des Etats membres soit récente rend impossible pour le moment une évaluation complète de sa mise en œuvre.
39. Toutefois, l’audition organisée à Paris a permis d’identifier certaines des principales tendances qui se dégagent de la mise en œuvre de la législation française. De l’avis des intervenants, davantage d’efforts doivent être déployés en vue d’aider les policiers – qui parfois hésitent à recueillir les plaintes ou affichent une attitude de rejet – à comprendre et à identifier ce phénomène.
40. Ce manque de compréhension de la part des autorités ajoute à la frustration et à la souffrance de cette minorité de victimes (10 % en France) qui trouvent le courage et la force d’appeler les autorités à l’aide, outre le fait qu’il introduit un filtre au niveau de l’enregistrement des plaintes.
41. Cependant, selon Mme Mellul et Mme Hirigoyen, le principal obstacle à une mise en œuvre efficace trouve son origine dans le système judiciaire: ce serait un euphémisme de dire que, depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle législation, le nombre de décisions judiciaires reconnaissant l’existence de la violence psychologique est négligeable. La difficulté à fournir des preuves suffisantes pour étayer les allégations joue certainement beaucoup; de plus, les juges ne reçoivent pas une formation appropriée sur le traitement des affaires de violence à l’égard des femmes et de violence domestique en général, et en particulier de la violence psychologique.

7. Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (Convention d’Istanbul)

42. Lors de la conférence ministérielle tenue le 11 mai 2011 à Istanbul, la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique a été ouverte à la signature. A la date du 28 septembre 2011, elle a été signée par les pays suivants: Allemagne, Autriche, Finlande, France, Grèce, Islande, Luxembourg, Monténégro, Norvège, Portugal, République slovaque, Slovénie, Espagne, Suède, «l’ex-République yougoslave de Macédoine» et Turquie.
43. Cette convention, qui est vivement soutenue par l’Assemblée, est un instrument juridique innovant et un succès politique. Il s’agit du premier instrument international contraignant au monde à définir des mesures complètes propres à prévenir la violence à l’encontre des femmes, à protéger les victimes, à poursuivre les auteurs de violence et à mettre en place un cadre global de politiques d’assistance.
44. Il convient d’observer que la convention s’applique à toutes les formes de violence à l’égard des femmes et que les parties sont encouragées à l’appliquer à toutes les victimes de violence domestique, indépendamment de leur sexe 
			(22) 
			Article 2,
paragraphe 2..

7.1. Notion de violence psychologique

45. La notion de violence psychologique figure dans les articles suivants de la Convention d’Istanbul:
«Article 3 – Définitions
Aux fins de la présente convention:
a. le terme "violence à l’égard des femmes" doit être compris comme une violation des droits de l’homme et une forme de discrimination à l’égard des femmes, et désigne tous les actes de violence fondés sur le genre qui entraînent, ou sont susceptibles d’entraîner, pour les femmes, des dommages ou souffrances de nature physique, sexuelle, psychologique ou économique, y compris la menace de se livrer à de tels actes, la contrainte ou la privation arbitraire de liberté, que ce soit dans la vie publique ou privée;
Article 33 – Violence psychologique
Les Parties prennent les mesures législatives ou autres nécessaires pour ériger en infraction pénale le fait, lorsqu’il est commis intentionnellement, de porter gravement atteinte à l’intégrité psychologique d’une personne par la contrainte ou les menaces.
Article 46 – Circonstances aggravantes
Les Parties prennent les mesures législatives ou autres nécessaires afin que les circonstances suivantes, pour autant qu’elles ne relèvent pas déjà des éléments constitutifs de l’infraction, puissent, conformément aux dispositions pertinentes de leur droit interne, être prises en compte en tant que circonstances aggravantes lors de la détermination des peines relatives aux infractions établies conformément à la présente convention:
a. l’infraction a été commise à l’encontre d’un ancien ou actuel conjoint ou partenaire, conformément au droit interne, par un membre de la famille, une personne cohabitant avec la victime ou une personne ayant abusé de son autorité;
b. l’infraction, ou les infractions apparentées, ont été commises de manière répétée;
c. l’infraction a été commise à l’encontre d’une personne rendue vulnérable du fait de circonstances particulières;
(…)
h. l’infraction a entraîné de graves dommages physiques ou psychologiques pour la victime;
(…)»
46. En ce qui concerne la notion de violence psychologique énoncée à l'article 33, le rapport explicatif (paragraphes 177 à 179) est libellé comme suit:
«177. Les rédacteurs sont convenus d'appliquer une sanction pénale en cas de conduite intentionnelle qui porte gravement atteinte à l'intégrité psychologique d'une autre personne par la contrainte ou la menace. L'interprétation du terme "intentionnellement" est laissée à l'appréciation du droit interne, mais l'exigence d'une conduite intentionnelle porte sur tous les éléments de l'infraction.
178. L'étendue de l'infraction est limitée au comportement intentionnel qui, par des moyens et méthodes diverses, porte gravement atteinte et porte préjudice à l'intégrité psychologique d'une personne. La convention ne définit pas ce qui constitue une atteinte grave. Pour qu'un comportement relève de cette disposition, il doit être fait usage de la contrainte ou de menaces.
179. Cette disposition fait référence à un comportement et non à un événement ponctuel. Elle vise à saisir la nature pénale d'un comportement violent qui se produit dans le temps – à l'intérieur ou à l'extérieur de la famille. La violence psychologique précède ou accompagne souvent la violence physique et sexuelle dans les relations intimes (violence domestique).»

7.2. Incrimination de la violence psychologique

47. La Convention d’Istanbul demande aux Etats parties d'ériger en infraction la violence psychologique. Même s’il s’agit là d’un pas très important vers la reconnaissance de la violence psychologique en tant que forme de violence grave, il est dommage que l'article 33 soit l'une des dispositions pouvant faire l'objet de réserves de la part des Etats parties.
48. Les raisons sont indiquées dans le rapport explicatif:
«Il est important de souligner que conformément à l’article 78, paragraphe 3, de cette convention, tout Etat ou l’Union européenne peuvent préciser qu’il se réserve le droit de prévoir des sanctions non pénales, au lieu de sanctions pénales, relativement à la violence psychologique. L’intention des rédacteurs était de préserver le principe d’incrimination de la violence psychologique dans la convention, tout en restant flexible lorsque le système juridique d’une Partie prévoit uniquement des sanctions non pénales concernant ces comportements. Néanmoins, les sanctions doivent être efficaces, proportionnées et dissuasives, sans égard au caractère pénal ou non des sanctions prévues par les Parties» (paragraphe 181).
49. L’Assemblée aurait préféré que l’on donne moins de latitude aux Etats parties dans ce domaine. Dans son Avis 280 (2011), qui portait sur ce qui était à l’époque le projet de convention, elle en appelait au Comité des Ministres pour qu’il modifie l’article 78 de sorte à exclure la possibilité pour les Etats parties de faire des réserves sur une disposition d’une telle importance. Malheureusement, cette modification n’a pas été adoptée.
50. Bien que la Convention d’Istanbul représente une base juridique de référence importante, d’un point de vue politique il serait tout à fait justifié que l’Assemblée invite les Etats membres à adopter des mesures basées sur des normes plus avancées en matière de protection des victimes de violence. Je crois, par conséquent, que l’Assemblée devrait inviter les Parties à s’abstenir de telles réserves et à mettre en place des sanctions pénales efficaces, proportionnées et dissuasives contre la violence psychologique.

8. Conséquences pour les victimes et leurs familles

51. Les effets de la violence psychologique sont durables et difficiles à surmonter. Ils incluent la dépression, les accès de panique, les troubles du sommeil et l’anxiété 
			(23) 
			Leserman, J. et al., «Selected Symptoms Associated
with Physical and Sexual Abuse History Among Female Patients with
Gastrointestinal Disorders: The Impact on Subsequent Health Care
Visits», Psychological Medicine,
28, 1998, p. 417-425, <a href='http://www.ncadv.org/files/PsychologicalAbuse.pdf'>www.ncadv.org/files/PsychologicalAbuse.pdf</a>..
52. Des chercheurs ont établi que les victimes de mauvais traitements psychologiques dans le contexte d’une relation intime sont davantage susceptibles de connaître une mauvaise santé physique, des troubles émotionnels et/ou mentaux, de piètres résultats professionnels ou scolaires, une probabilité supérieure de consommer de la drogue et de l’alcool et, enfin, des idées suicidaires et/ou des tentatives de suicide 
			(24) 
			Straight, E.S. et al., «The Impact of Partner Psychological
Abuse on Health Behaviors and Health Status in College Women», Journal of Interpersonal Violence,
2003, 18(9), p. 1035-1054, <a href='http://www.ncadv.org/files/PsychologicalAbuse.pdf'>www.ncadv.org/files/PsychologicalAbuse.pdf</a>..
53. Même les femmes qui parviennent à s’échapper de relations caractérisées par des mauvais traitements sont souvent dans l’incapacité de se reconstruire. Leurs chances de devenir indépendantes, de trouver un travail, de trouver leur place dans une nouvelle relation ou dans la société sont souvent amoindries à jamais.
54. La recherche scientifique a montré que le seul fait d’être témoins de violence psychologique a de graves conséquences sur les enfants, dont le développement physique, émotionnel et social est ainsi fortement perturbé 
			(25) 
			UNICEF, Derrière les portes closes: L'impact de la
violence domestique sur les enfants, 
			(25) 
			<a href='www.oned.gouv.fr/documents/impact-violence-domest-enfants-unicef2006.pdf'>www.oned.gouv.fr/documents/impact-violence-domest-enfants-unicef2006.pdf</a>.. Un pourcentage élevé d’enfants vivant dans une famille où des manifestations de violence psychologique ont cours entre les parents font eux-mêmes l’objet de mauvais traitements. Près des trois quarts des enfants considérés «à risque» par les services sociaux vivent dans un foyer où un de leurs parents ou une des personnes ayant leur garde fait subir des mauvais traitements à l’autre 
			(26) 
			«Nearly three quarters
of children considered 'at risk' by Social Services are living in
households where one of their parents/carers is abusing the other», 
			(26) 
			<a href='http://www.womensaid.org.uk/domestic-violence-survivors-handbook.asp?section=000100010008000100310003'>www.womensaid.org.uk/domestic-violence-survivors-handbook.asp?section=000100010008000100310003</a>..
55. De plus, en raison d’un phénomène d’identification, les enfants qui sont témoins de violence ont tendance à la reproduire une fois adultes, soit en tant qu’auteurs soit en tant que victimes. La violence domestique peut donc être considérée comme étant à l’origine d’autres formes de violence.

9. Assistance aux victimes

56. Les effets des mauvais traitements psychologiques peuvent être dévastateurs et durables pour les victimes. Il est indispensable de mettre en œuvre des ensembles de mesures spécifiques pour contrer ces effets.
57. Dans un certain nombre de résolutions et recommandations, l’Assemblée parlementaire a décrit les mesures d’assistance que les Etats membres devraient prendre en faveur des victimes de violence domestique, y compris la mise en place de refuges pour les victimes de violence domestique et leurs enfants, la promotion de programmes de soutien et la fourniture de conseils spécialisés.
58. Les ordonnances de protection (notamment concernant l’éloignement de l’auteur de violence du domicile commun) ainsi que l’accès à un refuge, la protection des victimes et des témoins et les lois réprimant la traque et le harcèlement sont également essentiels pour soustraire les victimes à la poursuite de la violence, à condition que ces mesures soient mises en œuvre en temps opportun et soient accompagnées de sanctions dissuasives en cas de manquements 
			(27) 
			Manuel sur les réponses
policières efficaces à la violence envers les femmes, UNODC, 2010,
p. 49..
59. Par ailleurs, des exemples de bonnes pratiques provenant de certains Etats membres pourraient inspirer des initiatives semblables:
  • la création de bureaux spécialisés pour les victimes de violence: la ville de Bruxelles a mis en place un service spécial appelé le «Bureau d’assistance policière aux victimes» qui accueille les victimes, leurs proches et les témoins de violence physique ou psychologique tout en conseillant et en assistant les policiers dans leur travail 
			(28) 
			<a href='www.brussels.be/artdet.cfm/4795/The-Office-for-Police-Assistance-to-Victims'>www.brussels.be/artdet.cfm/4795/The-Office-for-Police-Assistance-to-Victims</a>. . Le personnel est composé de trois psychologues et de trois criminologues qui informent, forment et sensibilisent la police bruxelloise à propos de la question de la violence domestique et de l’existence de services de soutien aux victimes. Par ailleurs, le bureau offre un soutien psychologique aux victimes, leur apporte une aide pour les démarches administratives et les dirige vers d’autres spécialistes ou professionnels. Il rencontre également les victimes qui, après avoir demandé l’aide de la police, décident de retirer leur plainte en leur expliquant les risques liés à ce choix;
  • la fourniture d’une assistance juridique gratuite aux victimes de violence: depuis mars 2011, aux Pays-Bas, les victimes de violence domestique, dont les agresseurs ont été placés sous le coup d’une ordonnance restrictive temporaire délivrée ex officio, reçoivent une assistance juridique gratuite de la part d’une organisation appelée «Soutien aux victimes – Pays-Bas» 
			(29) 
			<a href='www.loc.gov/lawweb/servlet/lloc_news?disp1_l205402571_Netherlands'>www.loc.gov/lawweb/servlet/lloc_news?disp1_l205402571_Netherlands</a>.. Cette décision a été prise pour remédier au fait que l’agresseur avait droit à une aide juridique en vue de faire lever l’ordonnance restrictive, alors que la victime – qui n’est pas partie à la procédure judiciaire – n’y avait pas droit. Le soutien offert par «Soutien aux victimes – Pays-Bas» porte sur l’assistance juridique, telle que la fourniture d’informations à propos des procédures judiciaires et l’assistance aux victimes au sein du tribunal;
  • accroître la sécurité du domicile:au Royaume-Uni, où les victimes de violence domestique ont la possibilité de faire expulser du logement l’auteur de la violence par le biais d’une «ordonnance d’occupation», il existe également la possibilité de faire appliquer le projet «domicile sûr» 
			(30) 
			<a href='www.camden.gov.uk/large/ccm/content/press/2004/july/safehome-scheme-launched.en'>www.camden.gov.uk/large/ccm/content/press/2004/july/safehome-scheme-launched.en</a>.. Cette possibilité permet à une victime qui souhaite continuer d’occuper le foyer familial d’en améliorer la sécurité par le biais d’adaptations, et cela gratuitement;
  • l’organisation de campagnes de sensibilisation: une campagne d’information sur la violence psychologique et verbale a été lancée en France en juin 2009. Le court-métrage intitulé La Voix, réalisé par Jacques Audiard, a dénoncé ce type de violence: «des violences qui peuvent s'entendre mais qu'on ne voit pas» 
			(31) 
			<a href='http://www.gouvernement.fr/gouvernement/violences-conjugales-denoncer-les-violences-verbales-et-psychologiques'>www.gouvernement.fr/gouvernement/violences-conjugales-denoncer-les-violences-verbales-et-psychologiques</a>.. La campagne dans les médias a été combinée avec le lancement d'un site internet qui apporte des repères et des réponses aux victimes 
			(32) 
			www.<a href='http://www.stop-violences-femmes.gouv.fr/'>stop-violences-femmes.gouv.fr</a>.;
  • la préparation d’un plan de sécurité: l’appui fourni par des organisations non gouvernementales et des organismes de l’Etat pour la préparation d’un plan de sécurité représente une autre bonne pratique. Des conseils concrets sur les documents à prendre avant de partir, comment se protéger après le départ, les lieux à éviter et comment conserver la trace de tous les incidents se sont avérés utiles pour les victimes de violence psychologique 
			(33) 
			<a href='http://www.womensaid.org.uk/domestic-violence-survivors-handbook.asp?section=000100010008000100310005&sectionTitle=Making+a+safety+plan'>www.womensaid.org.uk/domestic-violence-survivors-handbook.asp?section=000100010008000100310005&section Title=Making+a+safety+plan</a>..

10. Assistance aux auteurs de violence

60. Malgré la prise de conscience croissante du caractère crucial de la prévention pour l’éradication de la violence domestique, les centres d’assistance et de réhabilitation pour les auteurs de violence restent rares. Et pourtant, nombreux sont ceux qui ont conscience d’avoir un problème de maîtrise de leur colère et souhaitent changer.
61. Plusieurs sites internet d’organisations non gouvernementales luttant contre la violence, telles que Everyman Project et Respect, présentent des stratégies d'autoassistance aux auteurs de violence – par exemple sortir du lieu, parler à des amis, demander conseil, éviter les situations à risque et savoir reconnaître sa propre sonnette d’alarme 
			(34) 
			<a href='http://www.everymanproject.co.uk/cont6.html'>www.everymanproject.co.uk/cont6.html</a>.. Ce type d’assistance représente un premier outil accessible aux auteurs de violence qui souhaitent enrayer le cycle de violence 
			(35) 
			<a href='http://www.respect.uk.net/'>www.respect.uk.net</a>..
62. La Ligne de conseils pour hommes au Royaume-Uni vise à fournir un soutien, des conseils ainsi que des informations aux victimes masculines de violence domestique ainsi qu’aux professionnels, à la famille et aux amis qui se préoccupent d’elles ou aux collègues qui travaillent avec elles 
			(36) 
			<a href='www.mensadviceline.org.uk/mens_advice.php'>www.mensadviceline.org.uk/mens_advice.php</a>..
63. Les statistiques de contrôle portant sur les personnes qui ont appelé la Ligne de conseils pour hommes durant la période 2008-2009 font apparaître que ces dernières peuvent être divisées en trois groupes: dans de nombreux cas, l’interlocuteur a confirmé, en décrivant les incidents récents ou en donnant d’autres informations sur la relation, qu’il était victime de violence domestique; dans d’autres cas, il a décrit des incidents et des modèles de comportement faisant apparaître qu’il était à la fois auteur et victime de violence domestique. Dans d’autres encore, l’homme a révisé la présentation initiale qu’il avait faite de lui-même en tant que victime et, dans certains cas, il a demandé ou accepté des propositions sur la manière dont il pouvait lutter contre l’usage qu'il fait de la violence dans sa relation.
64. Malgré ces appels à l’aide, les auteurs de violence ne sont pas nombreux à prendre l’initiative de s’adresser à un centre de réadaptation. Ces centres sont en principe fréquentés par les auteurs de formes très graves de violence ayant souvent un casier judiciaire, qui sont orientés vers le centre de réadaptation sur injonction d’un tribunal. Comme l’a indiqué Mme Hirigoyen, bon nombre d’hommes instruits issus de classes sociales aisées ou moyennes, aussi désireux soient-ils de surmonter leur problème, ne sont guère disposés à se rendre dans ces centres, également en raison de la stigmatisation sociale dont ces lieux font l’objet et parce qu’ils estiment ne pas appartenir à la même classe que les autres patients.
65. A mon avis, il y a lieu de lancer des campagnes d’information en direction du grand public, afin d’inciter les auteurs de violence à solliciter une assistance spécialisée. En outre, sur le modèle du Québec, les Etats membres devraient mettre en place des centres dans lesquels les auteurs de violence peuvent se rendre de leur propre chef et en toute confidentialité. Ces centres devraient adopter une approche personnalisée et offrir des conseils individuels, un soutien de groupe ou une formation sur la manière de gérer sa propre colère conformément aux besoins spécifiques de chacun.
66. En effet, les programmes d’appui ciblés sur les auteurs de violence peuvent donner des résultats. Une étude réalisée en 2010 sur l’efficacité de tels programmes au Royaume-Uni a révélé que la plupart des hommes qui suivent un programme bien établi s’inscrivant dans le cadre d’une réponse communautaire coordonnée à la violence domestique cessent de recourir à la violence. De plus, les femmes dont le partenaire ou l’ex-partenaire suit un tel programme se sentent davantage en sécurité 
			(37) 
			Voir <a href='http://www.respect.uk.net/data/files/resources/respect_briefing_paper_on_the_evidence_of_effects_of_perpetrator_programmes_on_women_revised_18th_march_10.pdf'>www.respect.uk.net/data/files/resources/respect_briefing_paper_on _the_evidence_of_effects_of_perpetrator_programmes_on_women_revised_18th_march_10.pdf</a>..

11. Conclusions et recommandations

67. Dans le passé, j’ai été moi-même victime de violence psychologique dans le contexte d’une relation intime. Cette expérience m’a traumatisée mais j’ai eu la chance de refaire ma vie. De nombreuses femmes ne sont pas aussi chanceuses que moi. Certaines restent prisonnières d’une relation marquée par les mauvais traitements; leurs enfants, dans certains cas, font aussi l’objet de mauvais traitements et, dans tous les cas, répéteront à l’âge adulte les comportements dont ils ont été témoins à la maison. Pour d’autres femmes, le degré de la violence dont elles font l’objet va crescendo et franchit la frontière entre la violence psychologique et la violence physique.
68. La violence psychologique dans le cadre d’une relation intime est un phénomène qui touche les femmes de manière disproportionnée. Il s’agit d’une forme de violence fondée sur le sexe, d’une discrimination et d’un déni de l'égalité de chances: dans certains cas, ses victimes n’auront pas la chance de se reconstruire et de trouver un emploi, un autre partenaire ou un autre foyer et, dans d’autres cas, elles n’auront tout simplement même pas la chance d’y survivre.
69. A mon sens, il importe que l’Assemblée parlementaire œuvre pour le droit de ces femmes d’avoir une seconde chance. Les Etats européens devraient introduire les mesures les plus ambitieuses, au besoin en allant au-delà des normes établies par la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, afin d’encourager les victimes à solliciter de l’aide; les Etats devraient adopter un cadre juridique efficace pour punir la violence psychologique, de préférence au plan pénal, et l’appliquer dans la pratique; ils devraient mettre en place des programmes d’assistance aux victimes de violence, y compris les enfants, et développer le réseau des structures de réhabilitation pour les auteurs de violence.
70. Pour conclure ce rapport, je citerai quelques phrases de Mme Hirigoyen, que j’ai trouvées particulièrement sages: «La violence psychologique n’est pas un problème féminin. La violence psychologique est un problème auquel participent à la fois les femmes et les hommes, soit en tant que victimes soit en tant qu’auteurs. Ce serait une erreur, qui plus est contre-productive, de décrire les hommes uniquement comme les auteurs de violence et les femmes uniquement comme des victimes. La seule façon de lutter contre la violence psychologique et contre la violence domestique est de travailler à la fois avec les femmes et les hommes.»