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Avis de commission | Doc. 12640 | 16 juin 2011
Vivre ensemble dans l’Europe du XXIe siècle: suites à donner au rapport du Groupe d’éminentes personnalités du
Conseil de l’Europe
Commission sur l'égalité des chances pour les femmes et les hommes
A. Conclusions de la commission
(open)1. La commission sur l'égalité des chances pour les
femmes et les hommes salue le rapport présenté par le Groupe d'éminentes
personnalités du Conseil de l'Europe «Vivre ensemble – Conjuguer
diversité et liberté dans l'Europe du XXIe siècle», et souscrit
aux points de vue exprimés dans le rapport de la commission des questions
politiques.
2. Il est certain qu'en dépit de la montée des discours nationalistes
et xénophobes en politique, les citoyens européens auront des identités
de plus en plus plurielles. En effet, l'augmentation de la mobilité
et de la migration multiplie les identités et renforce la diversité
ethnique, culturelle et religieuse de l'Europe. La diversité ne
va pas seulement se maintenir, elle va aussi s'accroître.
3. Le rapport du Groupe d’éminentes personnalités devrait être
considéré comme un cadre qui orientera le travail du Conseil de
l'Europe pour les prochaines années. Lors de la mise en œuvre de
ses recommandations, le Comité des Ministres devrait soigneusement
prendre en compte les écarts entre les femmes et les hommes au sein
des «groupes minoritaires», en intégrant pleinement la dimension
d'égalité entre les sexes.
4. L'égalité entre les femmes et les hommes est un droit humain
qui ne peut pas être respecté si les politiques sont insensibles
aux questions d'égalité des sexes. Le Conseil de l'Europe devrait
concevoir des mesures spécifiques destinées à promouvoir la participation,
l'émancipation et l'égalité des femmes appartenant aux groupes mentionnés
dans le rapport « Vivre ensemble », afin de construire des sociétés européennes
réellement inclusives, fondées sur une compréhension et une acceptation
communes des droits humains et des droits des femmes.
B. Exposé des motifs, par Mme Kovács, rapporteure
(open)1. Introduction
1. Je me sens personnellement et directement concernée
par le rapport «Vivre ensemble» du Groupe d'éminentes personnalités.
Je suis une Européenne «à double identité», en l'occurrence une
citoyenne serbe d'origine ethnique hongroise, fermement attachée
à une identité européenne commune. Et je suis fière de cette double
identité.
2. Je soutiens le rapport du Groupe des éminentes personnalités
ainsi que le travail réalisé par la commission des questions politiques
et son rapporteur, M. Latchezar Toshev.
3. J'estime que le rapport «Vivre ensemble» mérite d'être salué
à plus d'un titre: il exprime et réitère plusieurs considérations
que l'Assemblée avait déjà émises dans ses résolutions et recommandations précédentes.
Il va donc exactement dans la direction que l'Assemblée souhaite
prendre; en outre, ce rapport est tourné vers l'avenir et s'attache
à proposer des actions et des recommandations. A nous désormais d'élaborer
des mesures pour qu'elles soient appliquées et de peser de tout
notre poids politique pour une mise en œuvre efficace.
4. En tant que rapporteure pour avis de la commission sur l'égalité
des chances pour les femmes et les hommes, je m'abstiendrai d'émettre
d'autres commentaires généraux sur le rapport «Vivre ensemble»,pour me concentrer sur les aspects
relatifs à l'égalité entre les femmes et les hommes et les droits
de la femme.
2. 2. La marginalisation des femmes des groupes minoritaires
5. Les femmes des groupes mentionnés dans le rapport
des personnalités éminentes représentent «une minorité à l'intérieur
d'une minorité». Elles sont touchées à plusieurs titres par la marginalisation
et l'exclusion:
- parce qu'elles appartiennent à un groupe qui est perçu comme «différent»;
- parce qu'elles sont des femmes, et donc désavantagées par l'inégalité qui existe de fait entre les hommes et les femmes dans la société;
- à cause de la mentalité patriarcale, courante dans les groupes minoritaires auxquels elles appartiennent, qui les cantonne dans un rôle stéréotypé et subordonné par rapport aux hommes.
6. Cette marginalisation multiforme n'est pas simplement théorique:
elle a des aspects très tangibles, qu’on pourrait même mesurer si
des statistiques étaient régulièrement recueillies. Comparées aux
autres femmes et aux hommes du même milieu, les femmes des groupes
minoritaires:
- ont un taux d'emploi inférieur;
- ont des salaires inférieurs et/ou des conditions de travail plus difficiles;
- ont un niveau d'éducation inférieur;
- ont un moindre degré de participation à la vie publique et politique;
- rencontrent de plus grands obstacles pour bénéficier de droits sociaux;
- ont de plus grandes difficultés à accéder à la justice;
- courent plus de risques d'être victimes de violence ou de traite, notamment à des fins d'exploitation sexuelle.
7. Je me réjouis de constater que le Groupe des éminentes personnalités
reconnaît les femmes immigrées en tant que groupe spécifique quand
il indique que «les femmes immigrées vivent comme une minorité».
Il est triste de savoir que les femmes immigrées sont particulièrement
vulnérables aux abus commis par des groupes criminels engagés dans
le trafic, la traite d’êtres humains et des formes modernes d’esclavage.
En outre, elles doivent faire face à des menaces supplémentaires
de marginalisation, de perte d’emploi et de privation de leurs droits
économiques et sociaux. Il y a également de nombreux cas de violences
à l’égard de femmes sans papiers et elles sont les premières victimes
du crime abominable que représente la traite des êtres humains.
8. La situation des femmes d'un groupe particulier mentionné
dans le rapport des personnalités éminentes m'aidera à mettre en
lumière l'ampleur du défi pour les femmes des minorités.
3. L'exemple des femmes roms
9. L'an dernier, en tant que rapporteure pour avis sur
la situation des Roms en Europe et les activités pertinentes du
Conseil de l'Europe ,
j'ai eu l'occasion d'étudier la situation des femmes roms.
10. Le rapport «Vivre ensemble» présente fort justement l'éducation
comme un des outils essentiels pour renforcer l'intégration et la
cohésion sociale. Malheureusement, l'accès à l'éducation est pratiquement
fermé aux femmes roms. Elles enregistrent des taux d'analphabétisme
supérieurs à ceux des hommes roms, et encore plus supérieurs à ceux
de la population non rom des deux sexes: moins de la moitié des
filles roms vont au-delà de l'enseignement primaire.
11. Cela s'explique en partie par les moindres attentes des familles
roms concernant l'achèvement de la scolarité pour les filles; et
en partie par les obligations familiales qui pèsent sur les filles
roms dès le plus jeune âge, comme les tâches ménagères ou la prise
en charge de leurs jeunes frères et sœurs. Les mariages d'enfants
forcés et les grossesses d'adolescentes, fréquents chez les filles
roms, constituent un élément qui réduit d'autant plus leurs chances
de suivre une scolarité normale et leur potentiel de pleine intégration sociétale.
12. 12. Les femmes roms sont aussi particulièrement marginalisées
dans le domaine de la santé. Etant donné leurs moindres possibilités
d'accéder au marché de l'emploi et leur faible degré d'éducation,
les femmes roms courent plus le risque d'être exclues de l'assurance
santé. Cet élément renforce leur réticence à solliciter un avis
médical, ce qui ne va pas sans répercussion sur leur santé, notamment
sur le plan de la santé génésique et maternelle ainsi que des soins
d'urgence.
13. La violence à l'égard des femmes, notamment domestique, constitue
un calvaire quotidien pour certaines femmes roms. Malgré cela, étant
donné que leur communauté obéit à la loi du silence, qu'elles ne connaissent
pas leurs droits et n'ont qu'un accès restreint à la justice, elles
dénoncent rarement ces pratiques aux autorités compétentes.
14. Du fait de leur niveau d'instruction limité et pour des raisons
culturelles, il est difficile pour les femmes roms d'exprimer leurs
opinions politiques et de participer activement au mouvement politique
rom.
15. L'exemple des femmes roms montre que le travail du Conseil
de l'Europe en faveur de l'inclusion ne pourra pas aboutir tant
que la dimension d'égalité entre les sexes ne sera pas prise en
compte: le Conseil de l'Europe devrait veiller à ce que ses activités
visant à promouvoir l'accès à l'éducation, la santé, la justice
et la participation politique des Roms profitent à la fois aux garçons
et aux hommes roms mais aussi aux filles
et aux femmes de cette communauté,car
les obstacles auxquels ces dernières se heurtent sont différents
–et plus importants.
4. Non au relativisme appliqué aux droits humains
16. Les droits humains sont universels. Ils ne se limitent
pas à une région, à une nationalité ou à une communauté. Les Etats
membres du Conseil de l'Europe sont tenus de prévenir l'émergence
sur leurs territoires de poches où les droits humains ne sont pas
considérés comme la règle, au nom de coutumes ou de règles religieuses,
culturelles ou traditionnelles.
17. Les principes directeurs énoncés dans le rapport des éminentes
personnalités l'affirment:
«L'égalité des droits entre les hommes et les femmes, proclamée dans le préambule de la Charte des Nations Unies, ne peut et ne doit être ni niée, ni ignorée, et moins qu'ailleurs dans une société démocratique. En aucun cas le respect de l'identité d'un groupe ou d'une conviction religieuse ne peut être invoqué pour justifier que les filles soient exclues de toute forme d'éducation ouverte aux garçons, ou que les femmes ne puissent avoir une interaction normale avec la société hors de leur foyer. »
18. Je ne peux qu'approuver cette déclaration, mais je pense que
la question devrait être abordée sous un angle bien plus large.
Naturellement, le droit à l'éducation est fondamental, car il est
la clé de l'émancipation économique, de la participation politique
et, finalement, de la pleine intégration dans la société. Il est
également essentiel de prévenir l'isolement des femmes adultes.
Privées de toute relation en dehors de leur foyer, les femmes appartenant
à des minorités ont peu de chance de se sentir partie intégrante
de l'ensemble de la société.
19. Il conviendrait toutefois d'énoncer clairement que les femmes
comme les hommes devraient pouvoir jouir de l'intégralité des droits
dont tout être humain dispose.
20. En outre, j'estime qu'il est dangereux de faire une distinction
entre ce qui se passe dans les foyers et ce qui se passe à l'extérieur.
21. Les femmes devraient bénéficier des droits humains de façon
uniforme dans le foyer où elles vivent, dans la communauté à laquelle
elles appartiennent et dans la société dans son ensemble. Les femmes
ne devraient plus être battues, violées (y compris par leur mari),
soumises à des mariages d'enfants, et elles devraient pouvoir épouser
la personne de leur choix, travailler à l'extérieur du domicile,
s'habiller comme elles veulent et rejeter les traditions culturelles
et le mode de vie spécifique de leur communauté.
22. Il s'agit là de droits humains, et ils n'ont rien de privé.
Le fait que des femmes appartenant à certains groupes minoritaires
soient privées de la jouissance de ces droits au nom de la tradition
nous concerne tous et requiert une prévention et une réaction adéquates
de la part des pouvoirs publics.
5. Femmes issues des minorités comme relais entre leur communauté et la société
23. J'ai été très intéressée de découvrir dans le rapport
des éminentes personnalités le cas de Famile Arsan, avocate néerlandaise
d'origine turque et de religion musulmane, citée comme modèle de parcours.
24. Il est absolument nécessaire d'explorer plus avant la capacité
des femmes des groupes minoritaires d'assurer le relais entre leur
communauté et la société. Compte tenu de leur rôle dans l'éducation
et l'instruction des enfants, ces femmes peuvent préparer les nouvelles
générations à gérer et à concilier leurs multiples identités.
25. Le Conseil de l'Europe devrait donc s'appuyer davantage sur
la capacité des femmes des minorités à renforcer la cohésion sociétale
en vue de mettre ses politiques en œuvre.
26. Toutefois, pour que ces femmes puissent accomplir cette tâche
de rapprochement, il ne suffit pas de veiller à ce qu'elles aient
«accès à l'éducation» et à «rompre leur isolement» de la société,
pour reprendre les termes du rapport «Vivre ensemble». Il faut aussi
adopter des mesures positives les ciblant spécifiquement pour qu'elles
puissent surmonter les nombreuses barrières culturelles, religieuses
et traditionnelles qui les empêchent d'atteindre un statut égal
à celui des hommes dans leur communauté et dans la société.
27. Je me réjouis également qu’on reconnaisse l’importance des
autorités compétentes à tous les niveaux. Ces autorités devraient
identifier des groupes souffrant de désavantages économiques et
sociaux particuliers et faire des efforts dans l’octroi des ressources
afin de leur permettre de dépasser ces désavantages et de bénéficier
des mêmes opportunités que le reste de la population. Je suis d’accord
sur le fait qu’au sein de ces groupes une attention particulière
soit portée aux enfants et aux jeunes, mais je suis d’avis que nous
devrions y ajouter les femmes.
28. Pour finir, le choix des éminentes personnalités, qui ont
désigné Famile Arsan comme modèle de parcours, m'a également rappelé
que trop souvent, lorsqu'on jette un éclairage sur la situation
des femmes, en particulier les femmes des minorités, on les considère
uniquement comme des victimes. Nous devons continuer d'exprimer
nos inquiétudes, mais également songer à faire connaître au public
des exemples de réussites: il existe aussi des femmes des minorités
qui se battent pour leurs droits, leur égalité et leur émancipation.
Et parfois elles réussissent, sans pour autant renoncer à leurs
identités plurielles.
6. Conclusions de la rapporteure
29. Aujourd'hui en Europe, des femmes de groupes minoritaires
subissent de multiples discriminations, ce qui constitue non seulement
une violation des droits humains mais entrave également leur pleine
intégration dans la société. De plus, leur statut subordonné dans
leur communauté et leur accès limité à l'éducation les privent de
jouer un rôle de relais et d'aider les nouvelles générations à concilier
leurs multiples identités nationales, ethniques, religieuses et
culturelles.
30. Je pense que l'Assemblée parlementaire devrait soutenir le
rapport présenté par le Groupe d'éminentes personnalités, de même
qu'émettre des suggestions précises en vue de sa mise en œuvre.