1. Introduction
1. Le présent rapport trouve son origine dans une proposition
de résolution que le rapporteur a présentée avec plusieurs de ses
collègues le 26 janvier 2011
.
Dans la proposition, qui fait suite à l'arrêt de la Cour européenne
des droits de l'homme dans l’affaire
M.S.S.
c. Belgique et Grèce, il est dit que «l’Assemblée devrait se
demander quelles mesures sont nécessaires pour s’assurer que les
responsabilités en matière d’asile sont équitablement réparties
en Europe et garantissent aux réfugiés et aux demandeurs d’asile
l’accès à une procédure d’asile efficace et à la protection internationale».
2. La proposition a été présentée avant que ne surviennent le
«printemps arabe» et, par suite, la forte augmentation du nombre
de réfugiés, de demandeurs d’asile et de migrants d'Afrique du Nord
cherchant à entrer en Europe. Le 9 mai 2011, des informations alarmantes
faisaient état de 61 personnes mortes de faim et de soif après avoir
dérivé pendant seize jours dans une embarcation en Méditerranée
au large des côtes d'Afrique du Nord. Ce drame témoigne de la gravité
des problèmes dont traite ce rapport.
3. Lors de sa rencontre à Bruxelles le 3 mai avec des représentants
d'Amnesty International, du Haut-Commissariat des Nations Unies
pour les réfugiés (HCR), de la Commission européenne, du Parlement européen
et du Conseil européen, le rapporteur a été informé que la lutte
contre le trafic illicite de migrants venus d'Afrique du Nord sur
fond de troubles politiques est rendue difficile notamment par le
fait que les réfugiés, les demandeurs d’asile et les migrants, après
avoir payé pour leur passage, étaient embarqués et livrés à eux-mêmes
alors que les trafiquants, eux, «quittaient le navire». C'est visiblement
ce qui s'est passé le 9 mai.
4. Ce rapport a pour objectif d'examiner le problème du partage
des responsabilités en Europe, non pas sous l’angle étroit des 27
pays de l'Union européenne – qui sont au centre des préoccupations
du Parlement européen, de la Commission européenne et du Conseil
européen –, mais au sens des 47 Etats membres du Conseil de l'Europe.
5. Une première remarque fondamentale s'impose: chaque Etat membre
du Conseil de l'Europe a pour premier devoir de remplir les obligations
internationales, juridiques et humanitaires qui lui incombent au
titre de la Convention de 1951 des Nations Unies relative au statut
des réfugiés («convention des réfugiés»).
6. Deuxième remarque, si un pays a des difficultés à faire face
à la charge administrative que représente la gestion des demandes
de protection internationale sur son territoire, il ne devrait pas
hésiter à demander l'aide d'autres pays. Il convient, du reste,
d'encourager les Etats à mettre en place, de leur propre chef, des accords
bilatéraux ou multilatéraux dans ce domaine. Par exemple, selon
des informations récentes, la Turquie serait parvenue à un arrangement
pour éviter un éventuel afflux important de réfugiés venant de Syrie
en offrant un refuge temporaire sur le territoire syrien jusqu'à
ce que la situation se stabilise.
7. Troisième point, il est nécessaire que les pays travaillent
main dans la main pour faire face à l'ampleur de la migration irrégulière
et du trafic illicite de migrants par des bandes criminelles. Ce
n'est pas le nombre de demandeurs d'asile qui pose un problème,
mais celui des migrants économiques, qui font grossir le nombre de
demandes à traiter.
8. Enfin, et c’est le quatrième point, il conviendrait d'encourager
tous les Etats membres du Conseil de l'Europe à accueillir des demandeurs
d'asile de bonne foi venant de pays européens ou extérieurs à l'Europe lorsque
ceux-ci ne peuvent gérer un nombre de demandes trop grand par rapport
à leur population et à leurs ressources. Mais cela n’est politiquement
possible que si les électeurs méfiants sont convaincus que le contrôle
de la migration irrégulière a été renforcé. Il existe aussi un argument
fort en faveur du partage de responsabilité s’agissant des personnes
qui ne peuvent être renvoyées vers leur pays d'origine en raison
des règles de non-refoulement.
9. Pour être en mesure de répartir équitablement les responsabilités
en matière d'asile, comme le suggère la proposition de résolution,
il est essentiel de disposer de données beaucoup plus détaillées
décrivant la situation réelle aux frontières extérieures de l'Europe.
2. Fondement
juridique du principe de solidarité et de partage des responsabilités
10. Au plan international, le paragraphe 4 de la convention
des réfugiés énonce la nécessité d'établir un partage des responsabilités
en matière d'asile: «Considérant qu'il peut résulter de l'octroi
du droit d'asile des charges exceptionnellement lourdes pour certains
pays et que la solution satisfaisante des problèmes dont l'Organisation
des Nations Unies a reconnu la portée et le caractère internationaux
ne saurait, dans cette hypothèse, être obtenue sans une solidarité
internationale».
11. Bien que cette disposition n'ait qu'un caractère déclaratoire,
et qu'en vertu du droit humanitaire international la responsabilité
de la protection et de l'assistance des réfugiés incombe prioritairement
au pays d'asile, de nombreux instruments de «droit mou» consacrent
clairement le principe de partage des responsabilités.
12. Peuvent être mentionnées dans ce sens des conclusions du Comité
exécutif du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés,
des résolutions de l'Assemblée générale des Nations Unies
. Ce principe a été également clairement
réaffirmé par l'Assemblée parlementaire, en dernier lieu en avril 2011
.
13. Pour les 27 Etats membres de l'Union européenne, l'article 80
du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) jette
le fondement juridique du principe de solidarité et de partage équitable
des responsabilités en matière de migration et d'asile. Il est libellé
comme suit:
«Les politiques de
l'Union visées au présent chapitre et leur mise en œuvre sont régies
par le principe de solidarité et de partage équitable de responsabilités
entre les Etats membres, y compris sur le plan financier. (…)»
14. L'article 80 du TFUE s'applique aux institutions et aux Etats
membres de l'Union européenne pour ce qui est de la politique des
frontières, de l'asile et de l'immigration. L'article 78 du TFUE
est également applicable, dans la mesure où il évoque des mesures
provisoires en cas de situation d'urgence, lorsqu'un Etat membre
doit faire face à l'afflux soudain de ressortissants de pays tiers.
15. Dans ses conclusions sur la gestion des migrations en provenance
des pays du voisinage méridional, adoptées les 11 et 12 avril 2011
, le Conseil européen a clairement
réaffirmé «la nécessité d'une solidarité véritable et concrète avec
les Etats membres les plus directement concernés par les mouvements migratoires».
Mais la forme que doit prendre la coopération/solidarité n'a pas
été définie.
3. Responsabilité
collective en matière d'asile: un «bien public international»
16. Dans une perspective globale, le partage des responsabilités
ne bénéficie pas seulement aux pays qui connaissent un nombre d'arrivées
élevé du fait de leur situation géographique en Europe, mais aussi
aux autres
.
17. Dans ce cadre de soutien mutuel, les Etats membres qui ne
subissent pour l'heure aucune pression pourraient être assurés de
pouvoir bénéficier de l'assistance d'autres Etats membres à l'avenir,
si les circonstances venaient à changer et qu'ils devaient faire
face à un afflux important de réfugiés et de demandeurs d'asile.
Le partage des responsabilités peut finalement fermer certains itinéraires
de migration irrégulière en Europe, car il sera plus difficile pour
les trafiquants et les passeurs d'identifier et d'exploiter les failles
dans les contrôles frontaliers. Par conséquent, le partage des responsabilités
offre une façon de renforcer la stabilité collective aux frontières
de l'Europe.
18. Faute de partage des responsabilités, les pays qui n'ont pas
les moyens de faire face à la pression migratoire pourraient, dans
le pire des cas, tout simplement baisser les bras. Certains ne feraient
d’ailleurs déjà plus tout ce qui est en leur pouvoir pour empêcher
la migration transitoire de l'Europe du Sud vers le Nord. En outre,
nous savons que de nombreux migrants, demandeurs d'asile et réfugiés
du nord de l'Europe viennent du sud (voir, par exemple, l'arrivée
récente de Tunisiens en France en provenance d'Italie). Il existe
donc déjà un problème à résoudre au bénéfice de l'Europe prise dans
sa totalité.
19. La réforme de Schengen est à présent clairement sur la table
de discussion européenne, et notamment la possibilité de fermer
certaines frontières internes de l'Union européenne, fût-ce pour
une durée limitée. Il s'agirait du scénario le plus pessimiste tel
que le décrit une étude récente du Parlement européen. Une approche
coordonnée, fondée sur une coopération mutuelle, aurait pu éviter
les tensions actuelles entre la France et l'Italie.
20. Le partage des responsabilités en matière d'asile est également
défini comme un «bien public international»
qui permettrait de dénouer les situations
de crise de la façon la plus durable. L'accueil des demandeurs d'asile
devrait être perçu comme une responsabilité collective, et même
comme un «bien public international»
.
4. Chiffres clés
Demandes d'asile
|
Europe/Union européenne
|
Pays
de l'Europe du Sud
|
2010
|
269 900
/87 %
des pays de l'UE
|
33 600
|
2009-2010
|
> 6 %
|
> 33 %
|
2000-2010
|
> 50 %
|
Non
disponible
|
Part
des demandes d'asile dans le monde
|
Europe
|
2005
|
60 %
|
2009
|
45 %
|
Demandes d'asile
|
France
|
Allemagne
|
Suède
|
Royaume-Uni
|
Belgique
|
Grèce
|
Italie
|
Malte
|
2010
|
47 800
|
41 300
|
31 800
|
22 100
|
19 900
|
10 300
|
8 200
|
28
|
Evolution
depuis 2009
|
+ 13 %
|
+ 49 %
|
+ 32 %
|
> 28 %
|
> 16 %
|
> 36 %
|
> 53 %
|
> 94 %
|
21. Toute discussion concernant le partage des responsabilités
doit être fondée sur des données exactes reflétant la situation
réelle. Certes, le nombre de demandeurs d'asile dans l'un des 47
Etats du Conseil de l'Europe reste élevé, mais visiblement pas au
point que l’on puisse invoquer des défaillances dans le traitement des
demandes, comme cela avait été le cas dans l'affaire M.S.S. c. Belgique et Grèce. Les
chiffres les plus fiables concernant le nombre de demandeurs d'asile
entrés dans les 27 Etats de l'Union européenne et les deux pays
associés de l’Espace Schengen (Norvège et Islande) sont ceux publiés
par Frontex. Frontex, dont le nom vient de l'expression «frontières
extérieures», est une agence de l'Union européenne chargée de la sécurité
des frontières extérieures et officiellement mandatée pour gérer
la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des Etats
membres de l'Union européenne. Elle est opérationnelle depuis le
3 octobre 2005. Frontex réalise tous les ans une analyse de risque
à partir de données collectées dans les pays de l'Union.
22. Son dernier rapport d'analyse, publié le 11 mai 2011, montre
qu'en 2010, 104 049 personnes ont été repérées alors qu'elles traversaient
illégalement les frontières extérieures de l'Union. Ce chiffre est
quasiment identique à celui de 2009. Pourtant, le rapport souligne
que cette même année, les détections de franchissement illégal des
frontières entre la Grèce et la Turquie ont augmenté de 45 %, les
autorités grecques ayant signalé au total 47 706 cas de franchissement
illégal à la frontière terrestre avec la Turquie, soit presque la
moitié de tous les mouvements de ce type vers l'Union européenne.
Selon Frontex, il y a eu un déplacement des itinéraires principaux
utilisés par les passeurs. Le foyer de l'activité illégale est une
section de 12,5 kilomètres de frontière terrestre dans la région
du fleuve Evros, essentiellement autour de la ville grecque d’Orestiáda.
A la seule lecture des données publiées par Frontex, il apparaît
qu’en 2010 la Grèce a manifestement été confrontée à un nombre nettement
plus important de migrants en situation irrégulière que d’autres
pays. Au vu de la situation actuelle, il se pourrait bien qu’en
2011 le foyer se déplace de nouveau en Italie, déjà confrontée en
2008 à un pic de 31 300 ressortissants étrangers débarqués clandestinement
à Lampedusa.
23. On peut reprocher à l'étude Frontex de dresser un tableau
incomplet de la situation. Ainsi, selon les chiffres d'Eurostat,
les 27 Etats membres de l'Union européenne ont enregistré 235 900
demandes d'asile en 2010, dont 47 800 en France, 41 300 en Allemagne,
31 800 en Suède, 22 100 au Royaume-Uni et 19 900 en Belgique. Il
semble en fait qu'un très grand nombre des demandeurs d'asile sont
certainement entrés à une frontière extérieure de l'Union européenne
sans être repérés et ont rejoint le pays où ils ont déposé leur demande.
Cette analyse est corroborée par le fait que le nombre effectif
de demandes d'asile enregistrées en Grèce a diminué de 36 % en 2010,
malgré une augmentation de 45 % du nombre d’entrées clandestines recensées.
24. Autre sujet de préoccupation, selon l'analyse de risque de
Frontex, les flux de migrants en situation irrégulière traversant
les frontières extérieures devraient augmenter cette année. Ce phénomène
s'explique «par l'augmentation de la mobilité dans le monde ainsi
que par l'éventuelle mise en place de procédures de libéralisation
des visas pour les pays d'Europe orientale partenaires de l'Union
et de nouveaux accords régissant le trafic local le long des frontières
orientales». Frontex cite également les changements importants qui
pourraient toucher les frontières extérieures de l'Union européenne
et de l'Espace Schengen: éventuelle entrée de la Roumanie et de
la Bulgarie dans Schengen et possible adhésion de la Croatie à l'Union européenne.
5. Variété et manque
de coordination des outils de gestion en matière d'asile en Europe
5.1. Au plan national
25. En bonne logique, et conformément à son droit souverain
d'exercer le contrôle de ses frontières et de prendre des mesures
pour prévenir toute entrée clandestine sur son territoire, chaque
pays a sa propre approche de la politique à adopter pour défendre
ses intérêts.
26. L'Italie, par exemple, avait signé un accord de coopération
avec la Libye. En vertu de cet accord, aujourd'hui suspendu pour
des raisons évidentes, l'Italie avait rapatrié en Libye toutes les
personnes secourues dans les eaux internationales. Bien que cette
solution individuelle se soit avérée efficace pour contenir les
arrivées de migrants en situation irrégulière en Italie, elle a
suscité certaines inquiétudes concernant le déni d'accès à la protection
internationale et le traitement des personnes renvoyées en Libye. L'Italie
a également signé un accord avec la Tunisie ces dernières semaines,
mais le rapporteur n'en connaît pas le texte précis.
27. Plusieurs autres pays ont conclu des accords bilatéraux avec
des Etats tiers, comme l'Espagne avec la Mauritanie. Selon cet accord
bilatéral, la flotte espagnole est autorisée à patrouiller dans
les eaux territoriales de la Mauritanie
. Dans
le cadre d'opérations conjointes Frontex menées au large des côtes
mauritaniennes, des navires espagnols interceptent des navires sans
pavillon et les reconduisent en Mauritanie.
28. Malte a un programme de réinstallation avec les Etats-Unis
qui a permis jusqu'à présent de transférer 500 personnes. Un projet
de relocalisation pilote a été élaboré à l'échelle européenne, et
cette bonne pratique pourrait être étendue.
29. Ces diverses solutions montrent comment les différents pays
réagissent. Mais qu'est-il advenu des authentiques réfugiés qui
ont été joints aux personnes automatiquement renvoyées en Libye
dans le cadre de l'accord avec l'Italie ? Le HCR craint qu'en vertu
de cet accord, des personnes nécessitant une protection internationale
n'aient été empêchées de gagner l'Europe. Un représentant du HCR
a indiqué au rapporteur que le HCR a reconnu 11 000 réfugiés en
Libye, dont certains arrivent aujourd'hui à Malte et en Italie.
5.2. Distribution et
répartition des responsabilités au sein de l'Union européenne
30. A la suite de l'Accord de Schengen de 1985 sur la
suppression des frontières intérieures
,
l'Union européenne a mis en place certaines règles de distribution
des responsabilités entre ses Etats membres.
31. Ces règles sont connues sous le nom de «Convention de Dublin»
, qui est ensuite devenue le Règlement
Dublin II
. Mais l'Europe,
qui recherchait au départ un système coordonné efficace, se retrouve dotée
d'un système dont la mise en œuvre a entraîné des violations de
la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés.
32. Alors que l'intention était d'établir un partage plus équitable
des responsabilités entre les pays européens, le système de Dublin
a placé une charge disproportionnée sur des pays tels que la Grèce,
Malte, l'Italie, l'Espagne et Chypre situés aux frontières extérieures
de l'Union européenne
.
33. Dans son arrêt
M.S.S. c. Belgique
et Grèce ,
la Cour européenne des droits de l'homme a estimé que la Belgique
(pour avoir renvoyé un demandeur d'asile en Grèce) et la Grèce (en
raison des lamentables conditions de vie et de rétention des demandeurs
d'asile en Grèce) avaient enfreint, entre autres, les dispositions
intangibles de l'article 3 de la Convention européenne des droits
de l'homme. D'autres affaires similaires sont actuellement en instance
devant la Cour.
34. Il est clair qu'un dispositif plaçant simplement la responsabilité
sur le premier Etat d'arrivée ne peut pas constituer une solution
complète. Il était fondé sur l'hypothèse selon laquelle tous les
pays de l'Union européenne étaient sûrs et pouvaient gérer seuls
le problème. Ce n'était pas le cas. De plus, les chances pour une
personne de voir sa demande d'asile aboutir sont très variables
d’un pays à l’autre.
6. Les enjeux en matière
d'asile en Europe
6.1. Grèce – Effondrement
du régime d'asile
35. Il est difficile de déterminer dans quelle mesure
des pays tels que l'Italie, Malte et la Grèce devraient pouvoir
prendre eux-mêmes des responsabilités, et les avis divergent.
36. Durant l'audition de la commission sur le programme de Stockholm,
Mme Cecilia Wikström, députée au Parlement européen et rapporteuse
sur le système de Dublin pour la Commission des libertés civiles,
de la justice et des affaires intérieures du Parlement européen,
a expliqué que dans la période qui a suivi les guerres des Balkans,
la Suède avait dû répondre à 82 000 demandes d'asile en un an, et
que la tâche n'était pas insurmontable. Elle a affirmé clairement
que de nombreux Etats, dont la Suède, étaient prêts à aider des
pays comme la Grèce à assurer les charges liées au nombre de demandes
d'asile. Mais elle a également convié ces Etats à demander de l'aide,
en des termes très simples: «Prenez la peine de nous appeler!».
37. Néanmoins, la situation passée de la Suède n'est pas la même
que la situation actuelle de la Grèce. Dans le premier cas, la Suède
devait faire face à des personnes de profils similaires et présentant
des besoins de protection similaires. Aujourd'hui, beaucoup de demandeurs
d'asile refusent de fournir quelque renseignement qu’il soit, ce
qui complique singulièrement la procédure de détermination de l'asile.
De plus, la Grèce est en plein marasme économique.
38. Comme énoncé ci-dessus, la Cour européenne des droits de l'homme
a condamné les conditions de vie et de rétention des réfugiés et
des demandeurs d'asile en Grèce, qui sont dénoncées depuis longtemps, comme
contrevenant à l'article 3 de la Convention européenne des droits
de l'homme. Elle a également condamné les défaillances structurelles
importantes de la procédure d'asile en Grèce.
39. La Grèce, qui subit des afflux de réfugiés et de demandeurs
d'asile (mais aussi de migrants en situation irrégulière) en raison
de sa position géographique, peine énormément à gérer les demandes
d'asile. En vertu du Règlement de Dublin II, d'autres Etats membres
de l'Union européenne ont renvoyé sur son territoire des demandeurs
d'asile qui étaient entrés par cette voie dans l'Union européenne.
Depuis l'arrêt M.S.S., de nombreux pays de l'Union ont suspendu
le retour des demandeurs d'asile en Grèce.
40. Cela n'a toutefois pas suffi à venir à bout des problèmes.
La Grèce n'a toujours pas répondu aux 50 000 demandes d'asile qui
se sont accumulées et doit réformer d'urgence sa procédure d'asile
pour garantir son équité et son efficacité. Si la réforme du régime
d'asile grec, présentée en 2010, a reçu un accueil positif du HCR,
elle est restée à l'état de projet malgré la volonté politique affichée
de la mettre en œuvre. De solides arguments semblent plaider en
faveur d'un renflouement financier de la Grèce subordonné à la réforme
de son régime d'asile.
41. Les Etats européens devraient également songer à répartir
entre eux une partie des demandes d'asile en souffrance en Grèce.
Cela ne serait que justice pour les demandeurs d'asile en attente
d'une décision et cela soutiendrait aussi la Grèce dans ses efforts
de réforme. Ce nouveau départ accélérerait également la capacité
de la Grèce de s'acquitter pleinement de ses obligations européennes
et internationales.
6.2. Malte – Une pression
disproportionnée sur un tout petit pays
42. Du fait de sa position géographique, Malte est l'un
des principaux points d'entrée dans l'Union européenne pour les
arrivées par bateau, qu'il s'agisse de réfugiés, de demandeurs d'asile
ou de migrants en situation irrégulière. La gestion de ces arrivées
représente un immense défi pour le pays. Avec ses 400 000 habitants,
Malte présente l'une des plus fortes densités de population au monde
(plus de 1 250 habitants au kilomètre carré) et n'offre qu'un espace
limité pour accueillir des personnes supplémentaires. De plus, ses
eaux territoriales sont très étendues, ce qui alourdit la pression
et la responsabilité pour des ressources nationales déjà insuffisantes.
Compte tenu de son insularité, les personnes qui entrent dans son
territoire ne peuvent pas aisément gagner le nord de l'Europe et
donc les autres pays. Ceux qui arrivent à Malte restent jusqu'à
ce qu'une autre solution se présente. Il n'existe pas de «soupape officielle
de sûreté» comme l'option choisie par l'Italie qui laisse les arrivants
s'évaporer dans la nature.
43. Il convient donc de régler certains problèmes eu égard à Malte
et à la nécessité de solidarité et de partage de responsabilités.
S'il est clair que Malte continue de prendre des mesures pour améliorer
sa politique de détention et ses conditions de détention et d'accueil,
le Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe explique
que des progrès restent à faire
. Si le flux de ces migrants maritimes
se poursuit au rythme actuel, il est probable que de graves problèmes
humanitaires surgiront, de même que la situation se compliquera
pour les autorités maltaises comme pour le grand public. Tous les
Etats membres du Conseil de l'Europe doivent réfléchir aux actions
possibles pour favoriser le partage des responsabilités avec Malte
si les événements prenaient une telle tournure. En fait, le Comité
des Ministres devrait déjà planifier des interventions d'urgence
pour le cas où la situation viendrait à se détériorer.
6.3. Situation exceptionnelle
– Les pays du sud de l'Europe soumis à un afflux important de réfugiés
et de demandeurs d'asile fuyant les conflits en Libye
44. Compte tenu des bouleversements actuels qui secouent
l'Afrique du Nord, il est clair que les chiffres mentionnés plus
haut (voir le point 4) changeront considérablement en 2011.
45. D'après les estimations les plus récentes, plus de 750 000 personnes
ont fui les violences en Libye et trouvé refuge principalement en
Egypte (260 000) et en Tunisie (360 000)
.
Outre les migrants ne nécessitant pas de protection internationale,
un certain nombre de réfugiés (par exemple des Somaliens, des Erythréens ou
des Soudanais) ont quitté la Libye. Certains d'entre eux ont réussi
à gagner Malte ou l'Italie. Parmi eux, certains avaient déjà obtenu
le statut de réfugié depuis plusieurs années mais n'avaient pas
pu quitter le territoire libyen.
46. Au 10 mai 2011, environ 34 500 personnes (23 000 Tunisiens
et 11 000 non-Tunisiens) étaient arrivées par bateau à Lampedusa.
Des personnes en provenance de la Libye avaient également gagné
Malte (au début de mai 2011, plus de 1 100 personnes, principalement
d'origine subsaharanienne (Somalie et Erythrée)) et l'Italie (surtout
Lampedusa)
.
47. Pour ce qui est des personnes arrivées plus tôt cette année
à Lampedusa, la majorité d'entre elles ne venaient pas de Tunisie
et n'avaient pas l'intention de déposer une demande d'asile. Depuis,
l'Italie a conclu un accord avec la Tunisie et les arrivées de migrants
économiques tunisiens se sont quasiment interrompues. A présent,
les personnes qui fuient la Libye arrivent avec des besoins de protection
internationale plus impérieux. Or, ils débarqueront probablement
à Malte et en Italie. Le 7 et le 8 mai 2011, deux navires en provenance
de la Libye sont arrivés à Lampedusa avec 1 300 personnes à bord,
la plupart originaires d'Afrique subsaharienne et d'Asie du Sud-Est.
48. 4Si, selon toute probabilité, ces arrivées se poursuivaient,
la pression se renforcera, ainsi que la nécessité pour les Etats
européens de faire preuve de solidarité entre eux.
7. Echecs passés des
initiatives de partage des responsabilités
49. Par le passé, certaines tentatives d'améliorer le
partage des responsabilités pour les réfugiés en Europe ont échoué
.
50. La Directive du Conseil sur l'octroi d'une protection temporaire
en cas d'afflux important
, bien que constituant un bon outil
de solidarité et de partage de responsabilités, n'a pas été invoquée
une seule fois depuis son adoption en 2001. Toutefois, dans le cas
d'un afflux important de personnes nécessitant une protection internationale
à la suite des événements survenus en Afrique du Nord, la Commission
européenne vient de se déclarer prête à proposer de recourir au
mécanisme prévu dans le cadre de cette directive si les conditions
requises sont réunies
.
51. L'article 9 de la Convention de Dublin énonce que «tout Etat
membre peut, alors même qu'il n'est pas responsable, en application
des critères définis par la présente convention, examiner pour des
raisons humanitaires, fondées notamment sur des motifs familiaux
ou culturels, une demande d'asile, à la requête d'un autre Etat
membre et à condition que le demandeur d'asile le souhaite». L'article
3, paragraphe 2, autorise également les Etats membres à examiner
une demande d'asile même si cet examen n'est pas de leur ressort, conformément
aux critères définis par la Convention de Dublin. Ces dispositions
existantes afférentes à la «clause humanitaire» et à la «clause
de souveraineté», qui permettent à un Etat membre de gérer une demande
d'asile quand bien même il n'est pas le premier Etat européen dans
lequel le demandeur d'asile est entré, montrent que la convention
est plus flexible que certains de ses détracteurs ne l'admettent.
Le problème est que cette flexibilité n'a pas été exploitée comme
elle aurait pu l'être, par exemple dans l'affaire M.S.S.
8. Les outils de partage
des responsabilités
52. Dans un communiqué conjoint publié le 19 avril 2011,
Chypre, la Grèce, l'Italie, Malte et l'Espagne ont une fois de plus
appelé l'Europe a faire preuve de davantage de solidarité et de
partage des responsabilités, en insistant sur le fait qu'une «éventuelle
prolongation des (…) arrivées d'immigrés en situation irrégulière
et de demandeurs d'asile dans les Etats membres riverains de la
Méditerranée n'est pas gérable sans un soutien et une solidarité
concrets et substantiels du reste des Etats membres de l'Union européenne»
.
53. 53. Pour répondre à ce genre d'appels, l'Union européenne
dispose d'un éventail d'instruments financiers et opérationnels
qui pourraient être mis en œuvre d'une manière plus généralisée
et efficace, mais aussi à plus long terme.
8.1. Réinstallation
et relocalisation
54. La réinstallation des réfugiés consiste à les déplacer
d'un pays où ils ont demandé l'asile vers un autre, qui accepte
de les accueillir avec le statut de réfugié et de les laisser s'installer
sur son territoire. Comme le déclare le HCR, «La réinstallation
est l’expression concrète d’une volonté de protéger les réfugiés
et de défendre les droits de l’homme. Elle constitue aussi une manifestation
pratique de partage des responsabilités au niveau international»
.
55. Avec près de 1 900 places en 2010, la Suède a mis en œuvre
le plus grand programme de réinstallation d'Europe, suivie par la
Norvège (1 100), pour un total d'environ 6 000 pour l'ensemble de
l'Europe en 2010
. Si l'on compare ce chiffre aux 50 000
des Etats-Unis, aux 7 000 du Canada et aux 6 000 de l'Australie,
l'Europe peut difficilement affirmer qu'elle a épuisé ses possibilités.
56. Face à la perspective d'une augmentation des flux de réfugiés
nécessitant une protection internationale en provenance de la Libye,
la Commission européenne a proposé un soutien financier destiné
à faciliter leur réinstallation. La Commission européenne a également
encouragé les Etats membres de l'Union à proposer des places de
réinstallation «dans un esprit de partage des responsabilités».
Enfin, la Commission européenne a souligné l'importance pour le
Parlement et le Conseil européens de parvenir rapidement à un accord
sur l'adoption de la proposition de la Commission relative à la
mise en place d'un programme commun de réinstallation
.
57. La relocalisation, un mécanisme de solidarité entre les Etats
européens, est une autre option ouverte à ces pays pour apporter
leur soutien aux Etats membres confrontés à une pression spécifique
ou disproportionnée
.
58. En 2008, des projets pilotes sur la relocalisation des réfugiés
arrivés à Malte ont été lancés pour contribuer à soulager la situation
disproportionnée et exceptionnelle à laquelle Malte était confrontée
.
Ce projet pilote de l'Union européenne vise à offrir des possibilités
de relocalisation dans d'autres pays aux personnes qui ont obtenu
l'asile à Malte. La France, l'Allemagne, le Luxembourg, la Hongrie,
la Pologne, le Portugal, la Slovénie, la Slovaquie, la Roumanie
et le Royaume-Uni participent au projet. Il est considéré comme
un exemple de bonnes pratiques en matière de partage des responsabilités
européennes, et a été salué par le HCR
.
Dans ses conclusions sur la gestion de l'immigration en provenance
du voisinage méridional, adoptées les 11 et 12 avril 2011, le Conseil
européen a salué l'intention de la Commission européenne d'étendre
le projet pilote existant
.
59. Le 12 mai 2011, à la suite de la Conférence des donateurs
sur la relocalisation et la réinstallation, organisée par la commissaire
Malmström en marge du Conseil justice
et
affaires intérieures, il a été annoncé qu'au moins 10 Etats membres
de l'Union et plusieurs Etats non membres avaient accepté de relocaliser
323 demandeurs d'asile qui se trouvent actuellement à Malte
.
8.2. Opérations de Frontex
60. Répondant à une demande officielle des autorités
italiennes, Frontex a déployé l'opération conjointe EPN Hermes Extension
2011 pour les aider à gérer les afflux importants par la mer sur
l'île de Lampedusa. Frontex signale qu'en plus de l'aéronef et des
deux navires qu'elle finance et coordonne déjà, un avion hollandais
et un portugais sont arrivés respectivement à Pantelleria et en
Sardaigne pour aider l'Italie à renforcer ses activités de contrôle
des frontières
. La Commission européenne y voit
un «signal clair de la solidarité» entre les Etats membres
. Le 26 mars 2011, la zone
d'activité de l'opération commune Poséidon
, qui couvre les îles grecques
en mer Egée, a également été élargie à la Crète.
61. Dans ses conclusions sur la gestion des migrations en provenance
du voisinage méridional, adoptées les 11 et 12 avril 2011, le Conseil
européen a invité Frontex à accélérer les négociations avec les
pays du voisinage méridional de l'Union, et notamment la Tunisie,
afin de conclure des accords de travail et d'organiser des patrouilles
conjointes
. Pour renforcer les compétences
de cette agence, il a également décidé d'accélérer les négociations
sur une modification de Frontex afin de parvenir à un accord dès
juin 2011.
62. Le mode de fonctionnement de Frontex est critiqué par de nombreux
observateurs, notamment parce qu'il n'est pas assorti des garanties
appropriées en matière de droits de l'homme
. Ces questions sont examinées dans
un rapport préparé par M. Arcadio Díaz Tejera au nom de la commission
des migrations, des réfugiés et de la population
.
En février 2010, la Commission européenne a proposé de modifier
le cadre juridique de cette agence
. Cette proposition
est actuellement examinée par le Parlement européen en vue d'être
approuvée d'urgence par le Conseil européen. Certains affirment
que la réforme est nécessaire pour consolider la légalité des opérations
de Frontex ainsi que ses obligations en matière de droits de l'homme,
mais les Etats membres de l'Union européenne voient également dans
cette réforme une occasion de renforcer les pouvoirs de l'agence.
63. Le rapporteur aimerait souligner qu'indépendamment de la direction
qu'elle prendra, la réforme devra entre autres consolider et clarifier
l'obligation légale de Frontex de veiller à l'identification des
demandeurs d'asile dans le cadre de ses opérations et de les présenter
devant les autorités compétentes.
8.3. Le Bureau européen
d’appui en matière d’asile
64. Le Bureau européen d’appui en matière d’asile (BEA) – qui vient d'être créé et
qui recrute encore ses agents – se trouve dès le départ confronté
à un défi.
65. En effet, le BEA doit appuyer les Etats membres dans leurs
efforts pour mettre en œuvre une politique d'asile plus cohérente
et plus équitable, par exemple en aidant à identifier des bonnes
pratiques, en organisant des formations au niveau européen et en
améliorant l'accès à des informations exactes sur les pays d'origine. Il
fournira également une assistance opérationnelle et technique aux
Etats membres confrontés à des «pressions particulières» (c’est-à-dire
qui enregistrent un nombre important de demandes d'asile), par le déploiement
d'équipes d'appui «asile» composées d'experts, les aidant ainsi
à faire face aux pressions qu'ils subissent.
66. Le 1er avril 2011, la commissaire européenne aux affaires
intérieures, Cecilia Malmström, a annoncé la signature du Plan opérationnel
pour le déploiement en Grèce, par le BEA, d'une équipe européenne
d'appui «asile». Celle-ci réunit des experts de plusieurs Etats
membres. L'action du BEA en Grèce vise à aider ce pays à mettre
en place un régime d'asile pleinement opérationnel dès 2012.
67. Le BEA est également appelé à jouer un rôle important dans
les éventuels programmes intracommunautaires pour intensifier la
relocalisation. Le BEA pourrait assurer la gestion administrative
du processus en procédant à une évaluation annuelle des besoins
en relocalisation dans l'Union et en centralisant les demandes.
8.4. Financement
68. La Commission européenne a mis en place quatre fonds
consacrés aux migrations: le Fonds pour les frontières extérieures
(1 820 millions d’euros pour la période 2007-2013), le Fonds pour
le retour (676 millions d’euros pour la période 2008-2013), le Fonds
européen pour les réfugiés (628 millions d’euros pour la période 2008-2013)
et le Fonds d'intégration (825 millions d’euros pour la période
2007-2013)
. Parallèlement aux fonds ordinaires, 25
millions d’euros d'aide d'urgence peuvent être rapidement mobilisés
dans le cadre du Fonds pour les frontières extérieures et du Fonds
européen pour les réfugiés.
69. Le Fonds européen pour les réfugiés pourrait constituer l'une
des principales sources de financement de la relocalisation au sein
de l'Union européenne. Il faudrait alors une augmentation correspondante
des moyens de ce fonds pour couvrir les frais de traitement des
dossiers des demandeurs d'asile relocalisés.
70. Un des points faibles des différents fonds de l'Union européenne
est qu'ils ne permettent pas de financer des infrastructures, et
donc la construction de structures adéquates d'accueil. Il s'agit
d'une lacune à laquelle l'Union européenne devrait remédier. Cette
absence de financement affecte spécialement les petits pays comme
Malte.
71. Il convient de mentionner dans ce contexte que la Banque de
développement du Conseil de l'Europe pourrait financer des infrastructures,
mais sur la base de prêts; cette possibilité mérite un examen plus approfondi.
9. L'avenir: des solutions
équitables pour les Etats membres comme pour les demandeurs d'asile
9.1. Moyens pratiques
d'améliorer la solidarité et le partage des responsabilités en Europe
72. La relocalisation de bénéficiaires d'une protection
internationale ou de demandeurs d'asile, l'harmonisation de politiques
et l'assistance technique et financière pourraient contribuer à
équilibrer une charge qui est aujourd'hui inégalement répartie entre
les Etats d'Europe.
73. La coopération, envisagée comme un moyen d'accroître la solidarité,
peut revêtir de nombreuses formes. Les pays doivent s'entraider:
- en apportant une assistance
dans les contrôles aux frontières, dans l'interception d'embarcations
et dans le sauvetage des personnes en détresse;
- en facilitant l'accueil;
- en participant au filtrage des personnes nécessitant éventuellement
une protection internationale;
- en collaborant dans la détermination de l'asile et dans
la mise en place de procédures équitables et efficaces d'examen
des demandes d'asile;
- en facilitant les retours (tant pour les immigrés en situation
irrégulière que pour les demandeurs d'asile déboutés);
- en acceptant la réinstallation et la relocalisation (avant
ou après la détermination de l'asile);
- en s'attaquant aux causes profondes.
74. Il faut s'appuyer sur des modes d'assistance très divers.
Des opérations comme celles de Frontex font appel à du matériel
(bateaux, avions, hélicoptères) et du personnel. En matière d'accueil,
il faut financer non seulement l'accueil d'urgence, mais aussi l'organisation
correspondante. Pour le filtrage, l'assistance d'experts, y compris
des juristes et des interprètes, pourrait être assurée. Il en va
de même pour les procédures de détermination de l'asile, mais une
assistance plus structurelle peut également s'avérer nécessaire
pour traiter les demandes d'asile en général (comme dans le cas
de la Grèce). Parfois, il faut aussi prévoir de l'aide pour les
retours (négocier les retours et assurer le rapatriement effectif
des personnes). Enfin, une assistance peut être nécessaire pour
la réinstallation des personnes.
75. Le système de Dublin doit être modifié. La Commission européenne
a déposé en 2008 une proposition en ce sens
qui visait, notamment, «à répondre
aux situations dans lesquelles les capacités d’accueil et les régimes
d’asile des Etats membres sont soumis à une pression particulière
et où le niveau de protection des demandeurs d’une protection internationale
est insuffisant». L'une des questions les plus litigieuses est la proposition
visant à instaurer un mécanisme qui permettrait aux Etats membres
de suspendre les transferts quand un pays fait face à une pression
spécifique
. Le Parlement
européen est globalement favorable à cette proposition, mais le
Conseil européen semble très sceptique. Il est urgent que le Parlement
européen et le Conseil européen parviennent à un accord.
76. Une possibilité de suspendre les transferts en cas de circonstances
exceptionnelles, quand le système est surchargé, améliorerait en
effet la crédibilité du système de Dublin dans son ensemble. Compte
tenu de l'arrêt M.S.S., cette
proposition permettrait d'éviter que d'autres Etats membres soient
condamnés par la Cour pour avoir fait une application automatique
du système de Dublin. A défaut, les pays les plus exposés de la frontière
méridionale de l'Europe continueront d'estimer que Dublin n'offre
pas une solution équitable.
9.2. Nécessité de faire
preuve de détermination dans les efforts pour garantir la protection
des droits de l'homme des réfugiés et des demandeurs d'asile dans
les pays d'arrivée et de séjour
77. Comme le déclarait à juste titre le Commissaire aux
droits de l'homme, la solidarité ne suffit pas, «la solidarité européenne
doit aller de pair avec de vigoureux efforts au niveau national»
.
78. Tout d'abord, les pays où des problèmes ont été clairement
identifiés doivent assumer leur partie du travail pour améliorer
la situation au plan national. De graves dysfonctionnements ont
été constatés dans les conditions de rétention en Europe, et tout
récemment en Grèce, à la fois dans l'arrêt
M.S.S. et
dans une déclaration publique du Comité européen pour la prévention
de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants
(CPT) sur ce pays
. A cet égard, le
Commissaire aux droits de l'homme a récemment publié un rapport
mettant en cause l'attitude de Malte dans ce domaine
.
79. Un recours excessif à la rétention existe encore dans plusieurs
Etats membres, et les conditions de détention restent globalement
problématiques. Des mesures doivent être prises pour améliorer cette
situation ainsi que les procédures et les recours destinés à protéger
les droits des réfugiés et des demandeurs d'asile en Europe
.
80. Si les problèmes ne sont pas résolus au plan national, les
efforts pour stimuler la solidarité en Europe resteront vains. Tous
les pays d'Europe devraient soutenir les réformes entreprises dans
les pays les plus concernés par les arrivées.
10. Les solutions à
long terme ne s'arrêtent pas aux frontières de l'Europe
81. La solidarité ne devrait pas s'arrêter aux frontières
de l'Europe. Alors qu'environ 12 000 réfugiés et demandeurs d'asile
sont arrivés en Europe à la suite des événements en Afrique du Nord,
750 000 personnes ont quitté la Libye, la plupart pour l'Egypte
ou la Tunisie. La plupart sont des travailleurs migrants, dont beaucoup
sont rentrés dans leur pays d'origine, mais des milliers d'entre
eux ont besoin d'une protection internationale parce qu'ils proviennent
de pays comme l'Erythrée et la Somalie, et sont dans l'impossibilité
de retourner chez eux. Les
chiffres parlent d'eux-mêmes, et démontrent clairement que la responsabilité
qui incombe aux pays voisins en Afrique est nettement plus lourde
que celle assumée par l'Europe. D'après le HCR, l'Egypte et la Tunisie
font le maximum pour accueillir ces personnes.
82. L'Europe devrait consentir un effort supplémentaire pour partager
les responsabilités avec les pays situés au-delà de ses frontières.
Il est certes compréhensible que de nombreux pays d'Europe estiment
qu'ils enregistrent assez d'arrivées spontanées, mais ils pourraient
démontrer leur solidarité envers l'Afrique en envisageant la réinstallation
d'au moins un petit nombre de réfugiés afin d'envoyer un signal
politique attestant que l'Europe est disposée à coopérer avec ses
voisins de la rive sud de la Méditerranée, pour le plus grand bien
de toutes les parties concernées. Les pays d'Europe devraient prioritairement
envisager la réinstallation des réfugiés qui présentent des besoins
médicaux particuliers, et notamment ceux qui ont survécu à la torture ou
à des traumatismes et ceux qui ont besoin de soins de santé spécifiques,
non disponibles dans le pays où ils ont trouvé refuge. Le 1er mars
2011, le HCR a publié une «proposition de programme de réinstallation
dans le contexte de la situation d'urgence relative à la crise en
Libye». Ce faisant, le HCR a exprimé l'espoir que les pays soient
en mesure d'offrir d'autres places de réinstallation outre celles
prévues par leur quota annuel pour 2011.
83. A long terme, l'Europe sera appelée à faire preuve d'une solidarité
croissante envers les pays en transition politique et économique
du sud de la Méditerranée et du reste de l'Afrique.
84. Le Conseil européen a récemment donné son accord de principe
à «Un partenariat pour la démocratie et une prospérité partagée
avec le sud de la Méditerranée», qui propose une nouvelle approche
en vue d'un partenariat à long terme pour les migrations, la mobilité
et la sécurité. Ce faisant, l'Europe devrait permettre aux pays
d'Afrique de développer leurs systèmes d'asile et leurs capacités
en matière de surveillance des frontières .
11. Conclusions
du rapporteur
85. Le premier devoir de tout pays européen doit être
d’assurer la sécurité à ses frontières. Il semble qu’à cet égard
certains Etats manquent à leurs obligations en transférant la charge
de l'immigration clandestine à d'autres pays. C'est tout particulièrement
le cas au sein de l'Espace Schengen et c'est, à n’en pas douter,
en prenant conscience de ce phénomène que la France et d'autres
pays de cet espace ont récemment demandé le rétablissement de leur
police des frontières.
86. Le deuxième devoir de tout pays devrait être de mettre en
place un système administratif qui facilite une gestion équitable
et efficace des demandes d'asile, l'objectif étant d’identifier,
dès le début du processus, les demandes de bonne foi pour éviter
la saturation du système et permettre la prise en charge de ceux
qui ont vraiment besoin d’une aide humanitaire. La Grèce ayant reconnu
qu'elle avait des difficultés à atteindre cet objectif, d'autres
pays se sont montrés disposés à lui venir en aide, ce qui est une
bonne chose.
87. Le troisième devoir de tout pays est de dissuader les trafiquants
par des mécanismes efficaces de dépistage, d'arrestation et de sanction.
Il semble que les Etats manquent à leurs obligations dans ce domaine, ce
qui, selon le tout dernier rapport d’Europol, est une source de
préoccupation importante pour la sécurité en Europe.
88. L'affaire M.S.S. concerne l'application du Règlement Dublin II.
Ce règlement a été élaboré et adopté par les pays signataires pour
éviter que les demandeurs d'asile ne recherchent le «tribunal du
mieux-disant». Or c'est justement ce qui semble se passer aujourd'hui,
en raison de l'incapacité des pays à éloigner vers la Grèce les
demandeurs d'asile enregistrés initialement dans ce pays.
89. La recherche du «tribunal du mieux-disant» est à craindre
lorsqu'il existe divers systèmes juridiques et judiciaires. De toute
évidence, le Règlement Dublin II a été défendu parce qu’il paraît
raisonnable que toutes les demandes d'asile soient traitées conformément
à la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés et que,
par voie de conséquence, la course au mieux-disant n’a plus lieu
d’être. Les critiques émises à l'encontre de ce règlement sont donc
en partie injustifiées. Ce qui importe, c'est de s'assurer que les
personnes qui sont éloignées vers un autre pays en application de
ce règlement sont traitées dignement. Dès lors que tous les requérants
peuvent bénéficier d'un conseil satisfaisant, d'un avocat et de
la garantie d'une procédure régulière, il ne devrait pas être nécessaire
d'harmoniser les décisions rendues. Cela supposerait du reste une
ingérence notable de l'Union européenne dans le droit souverain
de chaque Etat à interpréter le droit international dans ses propres
juridictions. Des statistiques, telles celles du HCR selon lesquelles
l'Allemagne a reconnu 63 % des demandeurs d'asile irakiens en 2009
alors que les Pays-Bas n’ont accordé la protection qu'à 27 % des demandeurs,
ne sauraient résumer de façon fiable l'ensemble de la problématique.
Il se pourrait, par exemple, que l'Allemagne attire une proportion
plus élevée de demandeurs d'asile authentiques. Pour cette raison,
le rapporteur n’est pas convaincu que la mise en place d'un quota
fixe en matière d'acceptation de demandeurs d'asile de telle ou
telle catégorie soit une option acceptable.