«Un aspect des immenses
et admirables couleurs et mystères de la vie est que des groupes
d'individus diffèrent les uns des autres: dans leurs coutumes, leurs
traditions, leur foi, la couleur de leur peau et leur façon de s'habiller,
etc. Cette "altérité" des différentes communautés peut évidemment
être acceptée avec compréhension et tolérance comme quelque chose
qui enrichit la vie: elle peut être honorée et respectée, on peut
même s'en réjouir.»
Vaclav Havel, Président de la République tchèque
1. Le rapporteur s'associe à la commission des questions
politiques pour déclarer que le rapport du Groupe d’éminentes personnalités
du Conseil de l'Europe vient à point nommé. Il n'est pas trop tard
pour que l'Europe traite la question du «vivre ensemble» de manière
à créer des ponts au lieu d'avoir à réparer des ponts par la suite,
ce qui constitue une réelle menace.
2. Une réforme du Conseil de l'Europe est en cours. Les nombreuses
idées proposées dans le rapport du Groupe d’éminentes personnalités
peuvent servir de base au Conseil de l'Europe pour mettre à profit
son savoir-faire, sa diversité et ses points forts afin de traiter
plusieurs des problèmes soulevés.
3. Le rapporteur se limitera à un petit nombre de points essentiels
qui intéressent particulièrement la commission des migrations, des
réfugiés et de la population. Ce sont les questions pour lesquelles
le rapporteur pense que le Conseil de l'Europe et son Assemblée
parlementaire peuvent apporter une valeur ajoutée aux activités
déjà menées en Europe, et où tous deux peuvent avoir un impact significatif.
La crise de leadership
4. La crise de leadership a été désignée par le Groupe
d’éminentes personnalités et par la commission des questions politiques
comme un problème qu'il est nécessaire de surmonter. Il est essentiel
que l'Assemblée, en sa qualité de «conscience de l'Europe», montre
la voie à suivre et que le Comité des Ministres parvienne, tout
en tenant compte des positions nationales, à élaborer des stratégies
favorisant le bien-être des personnes qui vivent dans les 47 Etats
membres du Conseil de l'Europe.
Les Européens «avec un trait
d'union»
5. Que signifie être un Européen «avec un trait d'union»?
Pour le rapporteur, il faut accorder de l'importance aux liens qui
unissent, et non aux différences qui séparent. La notion d'Européens
«avec un trait d'union» offre un point de départ positif à la création
de ponts. Elle mérite d'être explorée, et le rapporteur estime que
la commission des migrations, des réfugiés et de la population,
et l’Assemblée dans son ensemble, devraient garder cette notion
à l'esprit dans leurs travaux. Elle pourrait même faire l'objet
d'un futur rapport.
Les exclus – la communauté invisible
de l'Europe
6. Le rapporteur se félicite que le Groupe d’éminentes
personnalités ait abordé ce point et considère que les préoccupations
déjà exprimées par l'Assemblée méritent une attention supplémentaire;
voir, par exemple, la Résolution 1509 (2006) relative aux droits
fondamentaux des migrants irréguliers et la Résolution 1568 (2007)
sur les programmes de régularisation des migrants en situation irrégulière.
7. Rappelons que la question relève à la fois des droits de l'homme
et de la primauté du droit. Le rapporteur comprend parfaitement
les difficultés politiques que pose l'immigration clandestine, tant
du point de vue des droits des migrants en situation irrégulière
que de celui de leur rapatriement. Ce sont d'ailleurs elles qui
rendent nécessaire un «leadership» en la matière. Toutefois, si
une organisation comme le Conseil de l'Europe, qui jouit d'une grande
réputation dans le domaine des droits de l'homme, ne veut ou ne
peut pas réaliser des progrès sur cette question, force est de se
demander qui pourrait bien le faire. L'Assemblée devrait être disposée
à poursuivre son travail et à encourager le Comité des Ministres
à opter pour une approche transversale pour tenter de résoudre au
moins une partie des problèmes de droits de l'homme les plus difficiles et
les plus importants auxquels se heurtent les migrants en situation
irrégulière et leurs enfants.
Participation démocratique
8. Le rapporteur est entièrement favorable aux appels
à un renforcement des travaux réalisés par le Conseil de l'Europe.
Ce travail s'appuie sur le solide fondement posé par deux conventions
que davantage d'Etats membres devraient ratifier et qui mériteraient
d'être mieux connues. Il s'agit de la Convention européenne sur
la nationalité (STE n° 166) et de la Convention sur la participation
des étrangers à la vie publique au niveau local (STE n° 144). Le
rapporteur rappelle que l'Assemblée avait mis l'accent sur la question
de la participation démocratique des migrants lors de son débat
de 2008 sur l'état de la démocratie en Europe. Le rapporteur soutient
sans réserve l'idée de lancer une campagne de l’Assemblée afin d'obtenir davantage
de signatures et de ratifications des deux instruments du Conseil
de l'Europe mentionnés ci-dessus. Une telle campagne devrait toutefois
s'accompagner d'initiatives parallèles, soutenues par le Comité
des Ministres.
Sensibilisation
9. Le rapport du Groupe d’éminentes personnalités rappelle
maintes fois la nécessité de veiller à une sensibilisation aux différents
problèmes soulignés dans le rapport. Il demande par exemple de sensibiliser
au fait que la diversité est une réalité durable, que l'intolérance
croissante est un problème qu'il faut absolument traiter, que les
préjugés contre les Roms ne peuvent pas continuer, que les attitudes
populaires envers les immigrés sont généralement basées sur des
visions déformées, etc.
10. Le Conseil de l'Europe a également accumulé une grande expérience
à travers des campagnes comme «Tous différents – tous égaux» ou
«Dosta!». Le rapporteur convient qu'il faut s'appuyer sur cette
expérience en mobilisant non seulement les jeunes par le biais du
Centre européen de la jeunesse, mais aussi les collectivités locales
par l'intermédiaire du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux,
les parlementaires dans le cadre de l'Assemblée, les représentants
des gouvernements grâce aux comités directeurs et autres, et les organisations
non gouvernementales (ONG) par le réseau d'ONG internationales du
Conseil de l'Europe; le prestige des différents organes de suivi
que sont le Comité européen des droits sociaux, la Commission européenne
contre le racisme et l'intolérance et le Comité consultatif de la
Convention-cadre pour la protection des minorités nationales (STE no 157)
doit également être mis à profit. Il ne faut en outre pas oublier
les activités remarquables du Commissaire aux droits de l'homme
du Conseil de l'Europe et la contribution qu'il pourrait apporter.
11. L'implication de ces différents acteurs doit permettre au
Conseil de l'Europe d'assurer à une telle campagne sur le thème
du «vivre ensemble» le plus grand impact et la plus grande pertinence
possibles.
Les Roms
12. Concernant les Roms, le rapporteur tient à souligner
les initiatives prises par l'Assemblée pour encourager leur participation
politique, y compris l'accord signé début 2011 entre le Forum européen
des Roms et des Gens du voyage et l'Assemblée en vue d'intensifier
la coopération. Récemment, l’Assemblée a une fois de plus noté «avec
inquiétude que les Roms restent extrêmement sous-représentés dans
les organes élus et que leur participation à la vie publique et
politique est limitée», et a instamment demandé aux Etats membres de
«renforcer la participation et la représentation politiques des
Roms aux niveaux national et local, notamment en leur délivrant
les documents d'identité nécessaires, en éliminant la discrimination
institutionnelle et les obstacles juridiques et/ou en attribuant
des sièges réservés aux représentants roms au parlement ainsi que dans
les organes régionaux et locaux élus» (Résolution 1740 (2010)).
Aux niveaux local, régional et national, les Etats membres devraient
prendre des mesures visant à garantir aux personnes appartenant
à ce groupe une participation significative au niveau politique.
Le Conseil de l'Europe, y compris son Assemblée parlementaire et
son Congrès, peut grandement y contribuer.
Rétention des migrants en situation
irrégulière et des demandeurs d'asile
13. Une fois de plus, le rapporteur se félicite de ce
que le rapport du Groupe d’éminentes personnalités aborde le problème.
Cette question est hautement prioritaire pour la commission des
migrations, des réfugiés et de la population, comme l'attestent
les travaux récents de l’Assemblée sur la question qui ont abouti
à la Résolution 1707 (2010) sur la rétention administrative des
demandeurs d'asile et des migrants en situation irrégulière en Europe.
14. Il faudrait disposer de règles européennes sur la rétention
en complément des Règles pénitentiaires européennes (qui concernent
uniquement les criminels). Grâce à son expérience des Règles pénitentiaires européennes
et aux travaux du Comité européen pour la prévention de la torture
(CPT), le Conseil de l'Europe est bien placé pour les élaborer.
De même, il existe de très bonnes raisons d'approfondir l'examen
des alternatives à l'incarcération des immigrés et des bonnes pratiques
envisageables en Europe. Une autre idée qui mérite d'être creusée
serait de mieux équiper les parlementaires en vue de réaliser des
visites individuelles dans les lieux de rétention de leur pays.
De nombreux parlementaires possèdent ce droit, mais sont mal équipés
pour accomplir cette tâche. La commission des migrations, des réfugiés
et de la population a déjà traité le sujet dans le passé et pourrait
facilement s'en charger.
Activités normatives dans le
domaine du «vivre ensemble» et de l'intégration
15. Le rapport du Groupe d’éminentes personnalités recommande
que le Conseil de l'Europe devrait, au cours de ses futures activités
normatives, élaborer des lignes directrices traitant à la fois des
droits et des responsabilités, et des liens entre les deux. Il recommande
aussi d'élaborer un code de bonnes pratiques sur le thème «Vivre
ensemble en Europe dans la diversité et dans la liberté». Le rapporteur
est entièrement favorable à ces propositions. Il est certes difficile,
surtout en Europe, de s'intéresser à la problématique des droits
des migrants et à l'incapacité des instruments internationaux ou
européens d'attirer les signatures et les ratifications. Un fossé
considérable reste donc à traiter et à combler d'une manière ou
d'une autre. Une option ambitieuse consisterait à élaborer une convention-cadre
sur l'intégration et le «vivre ensemble», qui couvrirait à la fois
le volet des droits et celui des responsabilités. On pourrait également
tirer parti de l'expérience accumulée avec la Convention-cadre pour
la protection des minorités nationales, qui a créé le cadre dans lequel
les problèmes des minorités sont aujourd'hui examinés en Europe,
pour examiner les questions de droits et de responsabilités dans
le contexte de l'intégration et du «vivre ensemble». Ces aspects
sont importants non seulement pour les migrants, mais également
pour les sociétés d'accueil. Le rapporteur estime que cette question
mérite un examen plus approfondi même si, d'un point de vue politique,
le débat est déjà parvenu à maturité et pourrait déjà être abordé.
16. Dans un premier temps, le rapporteur soutient pleinement la
proposition de faire examiner ces questions dans le cadre d'un code
de bonnes pratiques sur la cohabitation, mais pense qu'il est à
la fois nécessaire et approprié que le Conseil de l'Europe mène
une initiative plus ambitieuse à long terme.
Conférence / réunion de haut
niveau
17. Le rapporteur salue la proposition d'organiser une
conférence avec la participation du Secrétaire général, de représentants
du Comité des Ministres, du Groupe d'éminentes personnalités et
de l’Assemblée. Il considère toutefois qu'il devrait s'agir non
pas de l'aboutissement, mais du début d'un processus de mise en œuvre
de plusieurs des idées avancées par le Groupe d’éminentes personnalités
et par la commission des questions politiques, ainsi que de nouvelles
idées qui pourraient naître de la conférence proposée. Un puissant suivi
intergouvernemental sera nécessaire, et le rapporteur suggère par
conséquent qu'il soit traité lors d'une session ministérielle et
qu'il figure également au nombre des questions prioritaires lors
d'un éventuel futur sommet des chefs d'Etat et de gouvernement du
Conseil de l'Europe.
Conclusions du rapporteur
18. Le rapporteur considère que l'Assemblée parlementaire
et le Conseil de l'Europe en général devraient voir dans le rapport
du Groupe d’éminentes personnalités l'occasion rêvée pour traiter
la question du «vivre ensemble» en Europe.
19. Les dangers liés à la tendance de «vivre chacun pour soi»
et dans la division ne sont plus à démontrer. Le Conseil de l'Europe
peut, grâce à son large éventail de réponses aux problèmes de droits
de l'homme aux divers niveaux (civil, politique et gouvernemental)
jouer un rôle majeur, surtout si les efforts de ses différents organes
peuvent être conjugués et orientés dans la même direction.