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Rapport | Doc. 12786 | 08 novembre 2011

Ordonnances de protection pour les victimes de violence domestique

Commission sur l'égalité des chances pour les femmes et les hommes

Rapporteure : Mme Riitta MYLLER, Finlande, SOC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 12254, Renvoi 3686 du 21 juin 2010. 2011 - Commission permanente de novembre

Résumé

La violence domestique est un fléau persistant qui touche les vies de millions de personnes, en particulier des femmes. Malheureusement, l’inadaptation de la législation affecte souvent la capacité des Etats membres du Conseil de l’Europe de répondre efficacement aux besoins de protection des victimes et des personnes qui sont à leur charge.

Les Etats membres devraient renforcer l’efficacité des ordonnances de protection disponibles pour assurer la sécurité physique des victimes de violence domestique, non seulement pour empêcher des atteintes aux victimes mais également pour assurer la crédibilité de l’ensemble du dispositif pénal relatif à la violence à l’égard des femmes.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 4 octobre
2011.

(open)
1. La violence domestique est un fléau persistant qui touche les vies de millions de personnes, en particulier des femmes. Malheureusement, l’inadaptation de la législation affecte souvent la capacité des Etats membres du Conseil de l’Europe de répondre efficacement aux besoins de protection des victimes et des personnes qui sont à leur charge, dont la sécurité physique est une priorité.
2. Ces dernières années, les Etats membres ont adapté un certain nombre de mesures juridiques existantes, telles que les injonctions civiles ou les ordonnances restrictives délivrées dans le cadre d'une procédure pénale, aux cas de violence domestique. De plus, certains Etats membres ont prévu des ordonnances de protection visant à protéger spécifiquement les victimes de la violence domestique, en assurant l’expulsion de l’auteur du domicile commun lorsque certaines conditions sont réunies.
3. Ces développements constituent un important progrès vers une réponse globale aux besoins élémentaires de protection des victimes. Cela étant, le faible signalement aux autorités des cas de violence domestique, le nombre élevé d’affaires dans lesquelles les victimes retirent elles-mêmes leur plainte et le faible taux de condamnation indiquent que le cadre existant n’est pas exempt de toute faiblesse.
4. Parmi ces faiblesses, il y a le fait que, souvent, la procédure visant à obtenir des mesures de protection ne peut être engagée qu’ex parte, ce qui est source de grandes difficultés pour les victimes de violences, compte tenu de leur état psychologique et de leur crainte de subir des représailles de la part de l’auteur. De même, la durée souvent extrêmement courte des mesures de protection ne laisse pas suffisamment de temps aux victimes pour rassembler leurs idées, trouver des solutions concrètes pour reprendre une vie normale et envisager des démarches juridiques contre l’auteur.
5. Un élément supplémentaire contribue à amoindrir l’efficacité du cadre juridique existant, à savoir le manque de compréhension du phénomène de la violence à l’égard des femmes par les autorités chargées de faire respecter la loi, qu’il s’agisse de la police ou de l’appareil judiciaire, dont les fonctionnaires ne sont pratiquement pas formés dans ce domaine.
6. L’Assemblée parlementaire est convaincue que le renforcement de l’efficacité des mesures disponibles pour assurer la sécurité physique des victimes de violence domestique devrait être une priorité, non seulement pour empêcher des atteintes aux victimes mais également pour assurer la crédibilité de l’ensemble du dispositif pénal relatif à la violence à l’égard des femmes. C’est seulement quand elles ont le sentiment que le système juridique est disposé à les protéger contre les risques causés par l’auteur et en a la capacité qu’elles se sentent en sécurité pour signaler les infractions dont elles ont été victimes.
7. Dans ce cadre, l’Assemblée réaffirme son soutien à la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (STCE no 210) qui a constitué une contribution majeure pour placer la question de la violence domestique au cœur du débat politique et assurer qu’elle ne soit pas considérée un problème d’ordre «privé» mais une question qui concerne l’intérêt public.
8. Sur la base de ces considérations, l’Assemblée demande aux Etats membres du Conseil de l’Europe:
8.1. de veiller à ce qu’existent diverses mesures juridiques pour protéger les victimes de violence domestique, notamment les injonctions civiles, les ordonnances restrictives délivrées dans le cadre d’une procédure pénale, les ordonnances d’urgence d’interdiction, ainsi que des ordonnances spéciales de protection pour les victimes de violence domestique;
8.2. de veiller à ce que, dans la mesure du possible, ces mesures puissent non seulement être délivrées ex parte mais également ex officio;
8.3. d’ordonner à la police d’enquêter sur tous les cas de violence domestique signalés, quelle que soit leur gravité, et d’en garder la trace;
8.4. d’établir l’obligation pour les autorités chargées de faire respecter la loi de poursuivre l’enquête ou la procédure judiciaire, y compris lorsque la victime a retiré sa plainte;
8.5. de veiller à ce que, dans le cadre d’une procédure judiciaire relative à un cas de violence domestique, des ordonnances restrictives ou des ordonnances d’expulsion temporaires puissent être délivrées en vue d’une protection immédiate et soient suivies d’une ordonnance restrictive;
8.6. de faire en sorte que dans les cas de violence et de menace grave, une ordonnance restrictive temporaire soit systématiquement imposée, assortie d’une injonction à l’auteur de se soumettre à réhabilitation;
8.7. de faire en sorte, lorsqu’une personne suspectée d’avoir commis des actes de violence est arrêtée pour une courte période dans le cadre d’une procédure pénale, qu’il soit également possible d’obtenir une ordonnance restrictive pour protéger la victime après la libération de l’auteur;
8.8. de veiller à ce que dans le cadre d’une procédure pénale, une ordonnance restrictive puisse être délivrée à la fois avant le procès et après la condamnation, ex officio dans les deux cas;
8.9. de donner des instructions à la police pour qu’elle enquête sur tous les cas de non-respect des ordonnances de protection, indépendamment de la demande de la victime;
8.10. de veiller à ce que les sanctions pour non-respect des ordonnances de protection soient significatives et réellement dissuasives;
8.11. de faire en sorte que les ordonnances de protection soient gratuites pour les victimes de violence;
8.12. d’organiser ou de promouvoir l’organisation de formations sur la violence à l’égard des femmes et la violence domestique dans toutes ses formes, y compris la violence psychologique et lesdits «crimes d’honneur», à l’intention des fonctionnaires chargés de faire respecter la loi;
8.13. de mettre en place des services à guichet unique offrant un large éventail d’aides et de conseils aux victimes de violence domestique.
9. L’Assemblée encourage tous les Etats membres à signer et à ratifier sans tarder la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique.
10. Finalement, pour ce qui est de la coopération internationale, l’Assemblée encourage les Etats membres à reconnaître les injonctions, les ordonnances restrictives et de protection délivrées par les autres Etats membres du Conseil de l’Europe.

B. Exposé des motifs, par Mme Myller, rapporteure

(open)

1. Introduction: besoins de protection des victimes de violence

1. La violence domestique est un problème persistant qui touche les vies de millions de personnes, surtout des femmes, et dont les conséquences sont parfois fatales.
2. Même s’il est un fléau grave et répandu, l’inadaptation de la législation et une compréhension insuffisante de ce phénomène affectent la capacité des Etats membres du Conseil de l’Europe de répondre aux besoins multiples des victimes en matière de protection.
3. Avant le passage à l’acte ou avant que la violence n’atteigne un certain degré de gravité, les victimes doivent pouvoir compter sur des autorités ayant la volonté et la capacité juridique de recueillir leurs plaintes, de diligenter une enquête et de prendre des mesures de protection pour garantir leur sécurité physique et la sécurité de leurs enfants.
4. Immédiatement après le passage à l’acte, la sûreté et la sécurité physiques des victimes doivent être assurées, au moyen par exemple de l’éloignement de l’auteur de la résidence commune ou de la mise à disposition de lieux sûrs. Les victimes ont également besoin d'un accès immédiat aux soins de santé, notamment d’un examen et d’un traitement médicaux respectueux du genre et appropriés, de la part d’un personnel dûment qualifié, formé qui plus est aux questions relatives à la violence à l’égard des femmes. Enfin, les victimes doivent avoir accès à des services de conseil juridique à un prix abordable, fournis par un personnel dûment formé aux possibilités juridiques offertes, notamment à l’enregistrement de déclarations, à la conservation des éléments de preuve et à la procédure de demande de protection.
5. Les besoins de protection sur le long terme dépendent de la situation particulière de la victime et du contexte de la violence. Ils peuvent comprendre l’assurance pour les victimes, et les personnes à leur charge, d’un accès permanent à un abri sûr, un traitement médical continu et confidentiel pour dommage physique et psychologique axé sur la guérison et la réadaptation sur le long terme, la fourniture d’un justificatif d’absence au travail ou l’aide à la recherche d’un nouvel emploi lorsque la réintégration dans l’emploi précédent est risquée.

2. Questions couvertes par le rapport

6. Le présent rapport se penchera sur la question particulière des mesures juridiques qui devraient être disponibles à la fois en amont, c'est-à-dire lorsque l’acte violent n’a pas encore été commis ou lorsqu’il n’excède pas un certain degré de gravité, et immédiatement après le passage à l’acte. L’auteur du rapport voudrait analyser en particulier les différentes ordonnances de protection introduites dans plusieurs Etats membres, comprendre pourquoi celles-ci se révèlent parfois inefficaces et s’efforcer de concevoir de nouvelles mesures de protection, plus adaptées.
7. Il faut toutefois clairement indiquer d’emblée que les ordonnances spéciales de protection ne sont qu'une forme de protection peu efficace si elles ne s’accompagnent pas de la mise à disposition d’abris, de programmes de non-violence, d’une procédure pénale équitable et efficace, de sanctions adaptées et d’une mise à exécution effective.

3. Qui sont les victimes?

8. Il n’existe pas de taux de prévalence pour l’Europe mais l’analyse des enquêtes entreprises à l’échelon national révèle qu’un cinquième à un quart de toutes les femmes ont été victimes de violences physiques au moins une fois dans leur vie d’adulte et que plus d’une sur dix ont été victimes d’actes de violence sexuelle impliquant l’usage de la force. Les taux atteignent pas moins de 45 % pour toutes les formes de violence, y compris pour le harcèlement. Ces actes violents sont commis en majorité par des hommes, le plus souvent le partenaire ou un ancien partenaire de la victime, dans leur environnement social immédiat 
			(2) 
			Rapport
explicatif sur la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention
et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence
domestique (Convention d'Istanbul, STCE no 210)..
9. La violence domestique à l’égard des enfants est généralisée; les études menées sur la question ont mis en évidence le lien entre violence domestique à l’égard des femmes et sévices à enfants. Elles ont aussi mis en évidence le traumatisme subi par les enfants qui assistent à des actes de violence au foyer.
10. Pour d’autres formes de violence domestique, les sévices à personnes âgées ou la violence domestique à l’égard des hommes, les données fiables sont relativement rares.
11. C’est le plus souvent en cas de séparation ou de divorce que les tensions au sein du couple peuvent aboutir à des actes violents, ce qui appelle des mesures de protection. Cela étant, la protection est aussi de mise dans de nombreux cas pendant le mariage ou la cohabitation, d’une part, et après la séparation ou le divorce, d’autre part.
12. Le harcèlement et les menaces ne se limitent pas aux relations intimes. C’est ce qui ressort de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Osman c. Royaume-Uni (1998), qui concernait des menaces proférées par un enseignant à l’encontre d’un élève du secondaire ayant entraîné le décès d’un parent.
13. Dans certains milieux professionnels, les employés sont victimes de harcèlement. Parfois, le harcèlement n’est pas ouvertement menaçant, voire hostile. Ainsi, les artistes de scène ou les hommes politiques sont parfois harcelés par des fans insistants. Ce harcèlement peut devenir extrêmement perturbant et porter atteinte à la vie privée de la victime. Il peut soudainement se transformer en menaces lorsque la victime ne répond pas aux attentes du harceleur. Les gays, lesbiennes et transgenres offrent l’exemple d’autres personnes souvent victimes de menaces.

4. Terminologie

14. Les législations nationales étant diverses, la terminologie varie:
  • l’Union européenne utilise le terme «ordonnance de protection» pour désigner l’ensemble des ordonnances civiles, pénales et administratives délivrées par les autorités nationales, y compris les tribunaux, dans le but de protéger les victimes d’actes violents;
  • on appelle «injonctions civiles» les «ordonnances émises» par des tribunaux civils pour interdire à l’auteur d’actes violents ou de harcèlement d’approcher la victime;
  • de manière générale, on appelle «ordonnances restrictives» les ordonnances délivrées dans le cadre d’une procédure pénale ou spécialement destinées à protéger les victimes d’actes violents;
  • lorsque l’auteur est évincé du domicile commun, on parle en général d’«ordonnance d’expulsion» ou d’«ordonnance d’interdiction».

5. Types de protection

15. La plupart des pays ont adopté des mesures juridiques utilisables en cas de violence. D’importantes différences existent cependant, en ce qui concerne:
  • la nature juridique de la mesure (civile, pénale ou mixte);
  • leur objectif (protéger la victime ou assurer la présence physique du défendeur au procès);
  • leur durée (urgente, court ou moyen terme);
  • les autorités compétentes pour les adopter;
  • l'auteur de la demande (la victime, les autorités ou autre);
  • les sanctions possibles en cas de non-respect.
16. Ce tableau se complique encore si l’on tient compte du fait que dans la plupart des Etats membres coexistent des mesures de nature différente.

5.1. Injonctions civiles

17. Les injonctions civiles sont des outils juridiques existant dans la quasi-totalité des pays. Initialement conçues pour empêcher la destruction de biens, elles continuent d’être appliquées dans ce domaine: les droits de propriété intellectuelle sont actuellement l’un des domaines où elles sont largement utilisées, de façon à empêcher ou interdire leur exercice illégal.
18. Certains pays ont adapté les injonctions civiles aux cas de violence et de harcèlement. Ces ordonnances ont ceci de particulier qu’elles sont délivrées par des juridictions civiles dans le cadre d’une procédure simple et rapide et qu’elles appellent l’auteur à prendre certaines mesures (par exemple mettre fin aux intimidations).
19. Généralement, la victime présente une demande de protection sans le concours de la police ou du parquet. Le requérant doit satisfaire au niveau de preuve requis, à savoir des «motifs raisonnables».
20. L’injonction est généralement consignée sur les procès-verbaux de la police. Sa violation peut aboutir à des sanctions civiles – en principe, de nature pécuniaire – ou pénales.
21. Parce qu’elles trouvent leur origine dans le droit de la protection des biens, les injonctions présentent des avantages et des inconvénients du point de vue de leur application à la protection contre les violences. Les avantages sont les suivants:
  • elles peuvent être associées à une ordonnance d’interdiction, une ordonnance d’expulsion ou une ordonnance restrictive temporaire délivrée ex parte;
  • elles peuvent être délivrées rapidement;
  • le niveau de preuve à apporter est facile à satisfaire (motifs raisonnables);
  • la demande de protection devant émaner du plaignant lui-même, l’ordonnance n’entraîne aucune charge de travail supplémentaire pour les agents publics;
  • les coûts sont raisonnables grâce à la procédure simplifiée;
  • la procédure est extrêmement simple: la victime de violences ou de harcèlement peut en faire la demande par elle-même; elle peut comparaître devant le tribunal sans défenseur, présenter sa cause et faire entendre un témoin.
22. Les inconvénients principaux sont les suivants:
  • elles ne s’accompagnent pas toujours d’une protection assurée par les forces de police;
  • les sanctions peuvent être inefficaces, surtout si elles sont d'ordre pécuniaire;
  • la loi exige parfois l’ouverture en temps utile d’une procédure judiciaire au principal (droits de propriété, divorce, etc.), ce qui peut être difficile pour le plaignant.
23. Le principal inconvénient des injonctions civiles est qu’elles exigent de la victime un rôle actif dans l’engagement de la procédure et tout au long de celle-ci. Dans l’immense majorité des cas, cela revient à demander l’impossible car toute victime d’actes de violence physique est avant tout une victime de violence psychologique qui a perdu toute confiance en elle et qui se considère comme la cause du comportement de l’agresseur. Il n’est par conséquent pas rare qu’immédiatement après avoir présenté une demande d’injonction civile, les victimes la retirent.
24. Comme les autorités n’interviennent pas systématiquement pour ordonner qu’une distance physique sépare la victime qui présente la demande de protection et l’auteur, les victimes ne sont pas protégées contre le risque de représailles.

5.2. Ordonnances de protection dans les procédures pénales (ordonnances restrictives)

25. Il ressort des études entreprises ces vingt dernières années que la violence domestique est souvent grave, répétée et de plus en plus dangereuse en l’absence d’intervention. De même, le harcèlement et la violence sexuelle sont souvent des phénomènes qui s’inscrivent dans la durée et il faudrait donc réagir aux signes annonciateurs d’un comportement menaçant avant que la victime n’encoure un risque encore plus grand. Dans ces cas, les injonctions civiles ne sont pas suffisantes et il est évident que les personnes exposées à un risque de violence grave ont besoin de la protection du système de justice pénale.
26. La législation en matière de procédure pénale prévoit habituellement des instruments permettant de limiter la liberté du suspect. Dans les cas de violences aggravées, le suspect peut être arrêté et placé en détention. Une ordonnance de protection limite moins la liberté individuelle qu’une arrestation.
27. Les ordonnances restrictives délivrées dans le cadre d’une procédure pénale limitent la liberté de circulation du suspect avant le procès. Toutefois, ces ordonnances ont été conçues pour garantir la présence du suspect au procès et non pas pour protéger la victime. Un problème se pose fréquemment: les suspects sont censés rester à la disposition des forces de police à leur domicile. Naturellement, cette exigence ne permet en rien de protéger les victimes potentielles de violences domestiques, dans la mesure où le suspect est contraint de vivre sous le même toit que la victime.
28. Par ailleurs, les mesures coercitives prises dans le cadre d’une procédure pénale peuvent cependant garantir une protection effective aux victimes. Par exemple, le non-respect d’une ordonnance rendue au pénal donne généralement lieu à l’arrestation du suspect.
29. Le principal avantage des ordonnances restrictives lorsqu’elles sont adoptées dans des affaires de violence domestique est que la victime n’a pas d’initiative à prendre tout au long de la procédure car la police peut solliciter cette ordonnance de son propre chef. En outre,
  • la police peut aussi envisager des mesures de protection additionnelles;
  • les sanctions sont efficaces (l’auteur de l’infraction peut être arrêté en cas de non-respect de l’ordonnance);
  • les garanties juridiques s’exercent au niveau de la procédure pénale.
30. Cela étant, les inconvénients sont également manifestes:
  • si nul ne signale l’infraction – victime ou témoin – en premier lieu, l’ordonnance ne peut être appliquée;
  • les policiers n’enregistrent malheureusement pas toujours les plaintes, par exemple lorsqu’ils considèrent que les faits signalés par la victime ne présentent pas une gravité suffisante pour justifier l’ouverture de l’action pénale;
  • comme c’est le cas dans le cadre des injonctions civiles, la victime peut également retirer sa plainte pendant l’action pénale dans la plupart des Etats membres. La législation française doit être considérée à cet égard comme un modèle de bonne pratique car elle prévoit que la procédure suit son cours ex officio, y compris si la victime retire sa plainte.

5.3. Ordonnances d’expulsion, ordonnances d’interdiction, ordonnances restrictives temporaires

31. La majorité des Etats membres ont élaboré différents types d’ordonnances de protection spécifiques pour les victimes de violence, ordonnances qui permettent à la police et/ou au tribunal d’enjoindre à l’auteur de quitter immédiatement le domicile. On peut les appeler ordonnances d’expulsion, ordonnances d’interdiction ou, en particulier au Royaume-Uni, ordonnances restrictives temporaires.
32. L’Autriche a été le premier pays européen à adopter des ordonnances d’expulsion pour protéger les victimes de violence domestique. Sa législation en la matière est très détaillée et fait figure de modèle. L’Allemagne, l’Espagne et la France ont introduit une législation du même type. En effet, l'Allemagne et l'Espagne prévoient également la possibilité de délivrer des ordonnances de protection pour les victimes de viol (en dehors du cadre domestique).
33. Les ordonnances d’expulsion ont été spécialement conçues pour les cas de violence domestique et visent à mettre fin à la violence, à offrir une protection à court terme à la victime et à lui donner le temps de réfléchir et de présenter une demande de protection complémentaire, une injonction par exemple. Elles ne rentrent pas facilement dans la catégorie des injonctions civiles ou des ordonnances restrictives délivrées dans le cadre d’une procédure pénale. Elles sont plutôt à mi-chemin entre les deux. L’expulsion est exécutée par la police.
34. Un trait commun à l’ensemble des Etats membres est que la mesure d'expulsion est exécutée par la police. Il reste que des différences considérables existent s’agissant:
  • de la durée de validité de l’ordonnance d’expulsion;
  • de l’autorité compétente pour la délivrer;
  • de l’aide accordée à la victime.
35. Pour ne citer que quelques exemples: la Slovaquie a adopté en 2008 une législation autorisant la police à évincer l’auteur d’actes de violence domestique du foyer et du voisinage de la victime pendant quarante-huit heures. La nouvelle ordonnance restrictive adoptée par la Hongrie en 2009 au moyen d’une loi autorise la police à éloigner l’auteur pour une période maximale de soixante-douze heures, mais le traitement de la demande par un tribunal prend plusieurs semaines 
			(3) 
			«Protéger
les femmes contre la violence», Etude analytique des résultats du
3e cycle de suivi de la mise en œuvre de la Recommandation Rec(2002)5
sur la protection des femmes contre la violence dans les Etats membres
du Conseil de l’Europe, préparée par le professeur Carol Hagemann-White,
université d’Osnabrück, Allemagne, 2010, p. 17. Publiée par la Division
pour l'égalité entre les femmes et les hommes du Conseil de l'Europe, 
			(3) 
			<a href='www.coe.int/t/dghl/standardsetting/equality/03themes/violence-against-women/cdeg_2010_12fr.pdf'>www.coe.int/t/dghl/standardsetting/equality/03themes/violence-against-women/cdeg_2010_12fr.pdf</a>..
36. A l'extrême opposé, en Autriche, la police peut ordonner l’expulsion de l’auteur pendant vingt jours. Pendant cette période, la victime se voit offrir une aide, un abri et des conseils juridiques sur les démarches à accomplir.
37. La plupart des Etats membres qui ont adapté le modèle autrichien (comme l’Allemagne, la Suisse, le Luxembourg et la République tchèque) visent à prévoir suffisamment de temps pour que des mesures sur le moyen terme soient adoptées avant que la mesure d’urgence expire. Les auteurs sont souvent éloignés pour une période de sept à dix jours au cours de laquelle il est possible de demander une audience en vue du renouvellement de la mesure 
			(4) 
			Ibid.,
p. 18..
38. La législation en vigueur aux Pays-Bas depuis 2009 autorise les maires à imposer une ordonnance restrictive de dix jours. Dans la pratique, elle permet à un cadre de la police d'utiliser cette compétence, de sorte que la protection soit immédiatement mise en œuvre. Le tribunal peut valider l’ordonnance dans les trois jours à compter de la date à laquelle elle est entrée en vigueur. Une fois les dix jours écoulés, le maire peut décider de la renouveler pour une autre période de quatre semaines. Il est prévu que victime et auteur bénéficient d’une assistance professionnelle pendant la période de dix jours.
39. Il y a lieu de se féliciter de l’adoption de mesures particulières pour protéger les victimes d’infractions violentes, en particulier en cas de relations intimes avec l’auteur. Toutefois, on peut améliorer encore leur efficacité:
  • si l’éloignement de l’auteur ne peut être que de courte durée, la victime risque de se retrouver dans une situation encore plus dangereuse quand il regagne le domicile;
  • peu de victimes sont prêtes à engager une action en justice ou à demander une protection complémentaire une fois que la menace immédiate est passée. Selon une étude finnoise, dans les affaires où les victimes ne présentent pas de demande de protection complémentaire, les violences commises sont relativement graves. Ce qui semble indiquer que les victimes ont été menacées ou qu’elles ont subi des pressions.

6. Menaces transnationales, protection transnationale

40. Les menaces de violence franchissent aisément les frontières. Les auteurs peuvent non seulement circuler librement ou facilement en Europe, mais les menaces elles-mêmes franchissent les frontières via l’internet et les réseaux sociaux, de sorte que les victimes peuvent être atteintes quel que soit l’endroit où elles se rendent. Avec l’internet, il est possible de menacer et de harceler beaucoup de gens. Face à ce phénomène, un certain nombre de pays comme l’Espagne, les Etats-Unis et le Royaume-Uni considèrent le «harcèlement électronique» comme une infraction pénale.
41. Plusieurs questions de droit international et européen peuvent être soulevées à cet égard. Les plus importantes sont celles de l’exécution transfrontière des mesures de protection et de l’amélioration du niveau de protection offert dans l’ensemble des pays européens par l’élaboration de règles communes et par le recensement et l’échange des meilleures pratiques.
42. A cet égard, le Conseil de l’Europe pourrait jouer un rôle important avec sa Convention sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique. De plus, l’Assemblée parlementaire pourrait encourager les Etats membres à coopérer plus étroitement dans ce domaine et à reconnaître les ordonnances de protection de victimes de violence délivrées par d’autres Etats membres.

7. Reconnaissance mutuelle des ordonnances de protection au sein de l’Union européenne

43. La Directive sur la mise en œuvre de l’ordonnance de protection européenne adoptée par le Conseil de l’Union européenne le 23 septembre 2011 marque un progrès important dans la protection des victimes de violence. Cette directive énonce l’obligation pour les autorités nationales de l’ensemble de l’Union européenne de reconnaître les ordonnances de protection délivrées en application du droit pénal interne d’un autre Etat membre. Plus précisément, l’objectif de la directive est «d’établir des règles permettant à une autorité judiciaire ou équivalente d'un Etat membre dans lequel une mesure de protection a été prise, d'émettre une décision de protection européenne permettant à une autorité compétente d'un autre Etat membre d'assurer une protection ininterrompue à la personne concernée sur le territoire de cet Etat» 
			(5) 
			<a href='http://register.consilium.europa.eu/pdf/en/11/st14/st14471.en11.pdf'>http://register.consilium.europa.eu/pdf/en/11/st14/st14471.en11.pdf</a>.
Voir aussi le communiqué de presse: <a href='http://europa.eu/rapid/pressReleasesAction.do?reference=PRES/11/323&format=HTML&aged=0&language=FR'>http://europa.eu/rapid/pressReleasesAction.do?reference=PRES/11/323&format=HTML&aged=0&language=FR</a>..
44. La directive est de large portée puisqu’elle s’applique aux mesures de protection visant à protéger une personne contre les agissements fautifs d’un tiers susceptibles de mettre en danger sa vie, son intégrité physique ou psychologique, et sa dignité 
			(6) 
			Ibid..
45. Outre la Directive européenne sur la mise en œuvre de l’ordonnance de protection, la Commission européenne a adopté, le 18 mai 2011, un ensemble de propositions visant à garantir aux victimes de violences à travers toute l’Union européenne une aide, une protection et un ensemble de droits minimaux, quel que soit l’endroit d’où elles viennent et où elles vivent, et visant à ce que les ordonnances délivrées dans les Etats membres de l’Union européenne sur la base du droit civil ou administratif soient mutuellement reconnues 
			(7) 
			<a href='http://www.wave-network.org/start.asp?ID=23517&b=7'>www.wave-network.org/start.asp?ID=23517&b=7</a>..
46. Le projet de règlement relatif à la reconnaissance mutuelle des mesures de protection de caractère civil vise à protéger les victimes contre toutes autres atteintes dont elles pourraient faire l’objet de la part de leur agresseur. Il a pour but de faire en sorte que les victimes de violence – y compris de violence domestique – puissent toujours se prévaloir des ordonnances d’interdiction ou de protection délivrées contre l’auteur des violences lorsqu’elles voyagent ou se déplacent dans un autre pays de l’Union européenne.
47. Le Parlement européen entamera l’examen du projet de règlement en commission à l’automne 2011, dans le cadre de la procédure législative normale. Le règlement prendra effet dès adoption par le Conseil de l’Union européenne.

8. Les ordonnances de protection dans la Recommandation Rec(2002)5 du Comité des Ministres sur la protection des femmes contre la violence

48. La Recommandation Rec(2002)5 du Comité des Ministres constitue à de nombreux égards le fondement juridique et politique de la plupart des activités menées par le Conseil de l’Europe en matière de violence à l’égard des femmes.
49. Bien que ce texte ne parle pas expressément d’ordonnances restrictives, il appelle les Etats membres du Conseil de l’Europe à adopter, développer et améliorer, le cas échéant, leurs politiques nationales de lutte contre la violence, en garantissant notamment aux victimes une sécurité et une protection maximales et en adaptant le droit pénal et civil, y compris la procédure judiciaire. De plus, il demande aux Etats membres de «prévoir des mesures pour assurer la protection efficace des victimes contre les menaces et les risques de vengeance»,et de «permettre aux autorités judiciaires d’adopter des mesures intérimaires en vue de protéger les victimes, visant à empêcher l’auteur de violences d’entrer en contact avec la victime, de communiquer avec elle ou de s’approcher d’elle, de résider dans certains endroits déterminés ou de fréquenter de tels endroits».

9. Protection des victimes de violence dans le cadre de la Convention européenne des droits de l’homme

50. La Convention européenne des droits de l’homme peut servir à plusieurs égards de base juridique pour protéger les victimes de violence:
  • l’article 2 protège le droit à la vie 
			(8) 
			Pour
la jurisprudence sur son application dans des affaires de violence
à l’égard de femmes, voir Kontrova c. Slovaquie,
2007; Branko Tomasic c. Croatie,
2009.;
  • l’article 3 peut être concerné lorsque la gravité de l’acte est telle qu’il équivaut à un traitement cruel, inhumain ou dégradant 
			(9) 
			Pour la jurisprudence
sur son application dans des affaires de violence à l’égard de femmes,
voir MC c. Bulgarie, 2003.;
  • l’article 8 protège le droit à la vie privée 
			(10) 
			Pour la jurisprudence
sur son application dans des affaires de violence à l’égard de femmes,
voir X et Y c. Pays-Bas, 1985, Bevacqua c. Bulgarie, 2001, MC c. Bulgarie, 2003..
51. Dans sa jurisprudence, la Cour européenne des droits de l’homme a précisé l’étendue des obligations conventionnelles qui pèsent sur les Etats membres du Conseil de l’Europe 
			(11) 
			Comité ad hoc sur la
prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et
la violence domestique (CAHVIO), jurisprudence de la Cour européenne
des droits de l’homme sur la violence à l'égard des femmes, document établi
par Mme Christine Chinkin, London School of Economics and Political
Science, 4 mai 2009.. Les Etats ont non seulement l’obligation de s’abstenir de violer les droits mentionnés ci-dessus mais ils ont également l’obligation positive de prendre des mesures efficaces pour protéger les particuliers de la violation de ces droits par des personnes privées.
52. Cela signifie que les Etats doivent adopter des mesures pénales efficaces pour empêcher que des infractions ne soient commises, des mesures soutenues par un dispositif policier visant à prévenir, supprimer et réprimer la violation de ces dispositions 
			(12) 
			Opuz
c. Turquie, 2009..
53. S'agissant de violations des articles 2 et 3, cette obligation positive permet, le cas échéant, d’exiger des autorités qu’elles prennent des mesures d’exécution préventives visant à protéger une personne dont la vie est menacée par le comportement délictueux d’un tiers 
			(13) 
			Aydin c. Turquie..
54. La portée de cette obligation ne doit toutefois pas être interprétée de telle façon qu’un fardeau insurmontable ou excessif pèse sur les autorités, et ne couvre pas toutes les menaces à la vie portées à leur connaissance: «Pour qu'il y ait obligation positive, il doit être établi que les autorités savaient ou auraient dû savoir sur le moment qu'un individu donné était menacé de manière réelle et immédiate dans sa vie du fait des actes criminels d'un tiers et qu'elles n'ont pas pris, dans le cadre de leurs pouvoirs, les mesures qui, d'un point de vue raisonnable, auraient sans doute pallié ce risque» 
			(14) 
			Kontrova c. Slovaquie, 2007..

10. Les ordonnances de protection dans la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (Convention d’Istanbul)

55. La Convention d’Istanbul, ouverte à la signature le 11 mai 2011 et signée à ce jour par 16 Etats membres du Conseil de l’Europe, est un instrument de premier plan dans la protection des victimes de violence, en particulier les femmes.
56. Elle comporte des dispositions visant à éloigner physiquement la victime de l’auteur. L’article 52 sur les ordonnances d’urgence d’interdiction énonce que:
«Les Parties prennent les mesures législatives ou autres nécessaires pour que les autorités compétentes se voient reconnaître le pouvoir d’ordonner, dans des situations de danger immédiat, à l’auteur de violence domestique de quitter la résidence de la victime ou de la personne en danger pour une période de temps suffisante et d’interdire à l’auteur d’entrer dans le domicile de la victime ou de la personne en danger ou de la contacter. Les mesures prises conformément au présent article doivent donner la priorité à la sécurité des victimes ou des personnes en danger.»
57. Plutôt que d’imposer à la victime, souvent accompagnée d’enfants à charge, le fardeau de la recherche urgente d’un lieu sûr, que ce soit dans un abri ou ailleurs, la convention privilégie l’expulsion de l’auteur de sorte que la victime puisse rester au foyer familial.
58. L’article 53 crée par conséquent l’obligation pour les Etats de donner aux autorités le pouvoir d’enjoindre à l’auteur de quitter le domicile commun et de lui interdire d’y retourner et de contacter la victime. C’est donc aux autorités qu’il appartient d’évaluer le risque immédiat.
59. La convention laisse aux Parties le soin de décider de la durée de validité de cette ordonnance, qui doit toutefois être suffisamment longue pour garantir une protection efficace de la victime. La convention laisse également le soin aux Parties de désigner et d’investir, dans le cadre de leurs systèmes juridiques et constitutionnels, l’autorité compétente pour délivrer ces ordonnances, et de fixer la procédure applicable.
60. Outre les mesures d’urgence et en complément de celles-ci, la convention impose aux Etats parties l’obligation de faire en sorte que les victimes de toutes les formes de violence qu’elle couvre bénéficient également d’ordonnances restrictives ou de protection appropriées (article 53).
61. Conformément à la convention, les Parties choisissent le régime juridique approprié sur la base duquel ces ordonnances peuvent être délivrées, que ce soit en droit civil, dans le cadre d’une procédure pénale ou en droit administratif. Dans tous les cas, ces mesures devraient répondre aux critères ci-après:
  • permettre une protection immédiate sans charge financière ou administrative excessive pour la victime. Autrement dit, les ordonnances devraient prendre effet immédiatement après leur adoption et être obtenues sans qu’il soit nécessaire d’engager une longue procédure. Les frais imputés au requérant, plus probablement à la victime, ne devraient pas être une charge financière excessive empêchant la victime de présenter une demande. En même temps, les procédures mises en place pour demander une ordonnance restrictive ou de protection ne devraient être sources d’aucune difficulté insurmontable pour les victimes;
  • être délivrées pour une période donnée ou jusqu’à ce qu’elles soient modifiées ou annulées;
  • si nécessaire, être délivrées ex parte avec effet immédiat. Cela signifie qu’un juge ou tout autre fonctionnaire compétent doit pouvoir délivrer une ordonnance restrictive ou de protection temporaire sur la base de la demande d’une seule partie;
  • être disponibles indépendamment ou en complément d’autres mesures juridiques. Les études ont montré que lorsque ces ordonnances existent, nombre de victimes qui prévoient de demander une ordonnance restrictive ou de protection risquent de ne pas être prêtes à porter des accusations pénales à l’encontre de l’auteur. La demande d’ordonnance restrictive ou de protection ne devrait donc pas être liée à l’engagement d’une action pénale contre l’auteur concerné. De la même manière, ces mesures ne devraient pas dépendre de l’engagement d’une action en divorce ou autre procédure;
  • pouvoir être délivrées dans le cadre d’une procédure ultérieure, de sorte qu’une ordonnance restrictive ou de protection puisse être adoptée dans le cadre de toute autre procédure engagée contre le même auteur.
62. Concernant les sanctions en cas de non-respect de ces ordonnances, la convention exige qu’elles soient «effectives, proportionnées et dissuasives», et laisse aux Parties le soin de déterminer leur nature juridique (pénale, civile ou administrative).
63. Quelques dispositions complémentaires prévues par la convention sont particulièrement progressistes, même si elles n’imposent aucune obligation aux Etats parties. Par exemple:
  • étant donné que, dans certains cas, il peut être difficile d’établir les faits dans les affaires de violence domestique, les Parties pourraient envisager de limiter la possibilité pour l'auteur de faire barrage aux efforts déployés par la victime pour rechercher une protection en prenant les mesures nécessaires pour faire en sorte que les ordonnances restrictives et de protection ne puissent être délivrées à l’encontre de la victime et de l’auteur mutuellement;
  • les Parties devraient envisager de supprimer, dans leurs législations nationales, toute notion de comportement provocant en relation avec le droit de demander des ordonnances restrictives ou de protection. Ces notions ouvrent la voie à des interprétations abusives dont l’objet est de discréditer la victime et devraient donc être supprimées de la législation relative à la violence domestique;
  • enfin, les Parties pourraient également envisager de prendre des mesures pour faire en sorte que le droit de demander des ordonnances restrictives ou de protection n’appartienne pas uniquement aux victimes. Ces mesures sont particulièrement utiles pour les victimes juridiquement incapables et les victimes vulnérables qui risquent de ne pas vouloir demander une ordonnance restrictive ou de protection par peur, parce qu’elles sont déstabilisées ou pour des raisons affectives.
64. Il convient de se féliciter de l’inclusion des articles 52 et 53 dans la convention parce qu’ils forment une très bonne base pour une norme commune élevée. De la même manière, il importe de souligner que les Parties ne sont pas autorisées à émettre des réserves à ces articles. Il convient toutefois de rappeler que dans son avis sur la convention, l’Assemblée a proposé de modifier l’article 53 de sorte que des ordonnances restrictives ou de protection puissent aussi être émises ex officio et «indépendamment et cumulativement à d’autres procédures» 
			(15) 
			Avis 280 (2011).. Ces modifications n’ont malheureusement pas été acceptées par le Comité des Ministres.

11. Conclusions et recommandations

65. Il est essentiel que toutes les mesures visant à s’attaquer à la violence domestique s’inscrivent dans un cadre capable de garantir effectivement et rapidement la sécurité des victimes. Eriger les actes de violence domestique en infractions pénales est certes important en termes de volonté politique et du point de vue de la justice mais permet seulement de s’attaquer à une partie du problème: la plupart des affaires n’arrivent pas devant les tribunaux parce que les victimes sont psychologiquement dépassées, mais aussi parce que lorsqu’elles comparent les avantages et inconvénients qu’il y a à signaler un acte violent, elles concluent souvent que le risque de représailles excède les chances d’obtenir une protection. De la même manière, un nombre important d’affaires de violence domestique sont abandonnées en cours de traitement par le système de justice pour les mêmes raisons.
66. Renforcer les mesures disponibles pour assurer la sécurité physique des victimes à court et à moyen terme tout en assurant leur mise en œuvre et exécution efficace devient par conséquent une priorité, non seulement pour éviter que les intéressés ne subissent une nouvelle atteinte mais pour assurer également la crédibilité et l’efficacité de l’ensemble du dispositif pénal relatif à la violence à l’égard des femmes.
67. L’analyse comparée des différents types de mesures de protection mises en place dans les Etats membres du Conseil de l’Europe révèle d’importantes différences. La Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique pourrait jouer un rôle de premier plan pour parvenir à l’harmonisation de ces mesures sur la base d’une norme élevée.
68. Il est cependant possible et souhaitable que les Etats membres du Conseil de l’Europe aillent plus loin que les dispositions de la convention et adoptent des mesures plus protectrices, tel que recommandé dans le projet de résolution.
69. L’auteur voudrait conclure le présent rapport sur la notion de violence domestique. Elle l’a utilisée tout au long du rapport pour être facilement comprise. Cela étant, comme l’a récemment déclaré la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Opuz c. Turquie, il ne devrait y avoir aucun doute sur le fait qu’il n’y a rien de «privé» dans la violence domestique, une question d’intérêt public qui exige action et engagement politique de la part de l’Etat.
70. Il convient d’adresser enfin un mot de remerciement spécial à l’ancienne rapporteure, Mme Krista Kiuru, qui a quitté ses fonctions pour devenir ministre en Finlande, et qui s’est beaucoup investie personnellement dans la préparation du présent rapport, et à Mme Johanna Niemi, professeur de droit international à l’université d’Helsinki, pour ses conseils d’expert.