Imprimer
Autres documents liés

Rapport | Doc. 12815 | 09 janvier 2012

Le droit de chacun de participer à la vie culturelle

(Ancienne) Commission de la culture, de la science et de l'éducation

Rapporteure : Mme Muriel MARLAND-MILITELLO, France, PPE/DC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 11981, Renvoi 3603 du 2 octobre 2009. 2012 - Première partie de session

Résumé

Le droit de participer à la vie culturelle est au cœur du système des droits de l'homme et doit être reconnu comme tel. Ceux qui sont privés de ce droit perdent aussi la possibilité d'exercer de façon responsable leurs autres droits, n’ayant plus pleinement conscience de leur identité. Par ailleurs, l'accès à la culture et la libre expression artistique et culturelle favorisent le développement de l’esprit critique, une meilleure compréhension de l’autre et le respect mutuel. Ils contribuent ainsi à renforcer la citoyenneté démocratique et la cohésion sociale, à construire le «bien vivre ensemble» et à consolider la paix entre les peuples.

Les Etats devraient non seulement assurer une offre diversifiée de services culturels mais aussi jouer un rôle d'initiation, de stimulation et de régulation des synergies entre les institutions publiques et les organisations du secteur associatif et privé qui contribuent à la promotion de la création artistique et à l’accès du public à l'ensemble des ressources culturelles et artistiques. Une attention particulière doit être accordée aux jeunes, qui sont des vecteurs essentiels de transmission des ressources et des valeurs culturelles: il faut les motiver et susciter chez eux le «désir de culture», par la promotion d’initiatives innovantes et la valorisation des pratiques créatrices de liens culturel, social et politique.

Les lignes directrices proposées devraient inspirer les politiques nationales visant à soutenir l’accès à la culture et la création artistique. Le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe devrait endosser formellement ces lignes directrices et réfléchir aux initiatives qui pourraient faciliter une action politique coordonnée au niveau européen dans ce domaine.

A. Projet de recommandation 
			(1) 
			Projet
de recommandation adopté à l'unanimité par la commission le 6 décembre
2011.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire rappelle que le droit de chacun de participer à la vie culturelle suppose un accès libre et égal pour tous à des ressources culturelles diversifiées. Cette participation peut être plus ou moins active, selon que l'on est un public spectateur, auditeur, que l'on pratique une activité en amateur, ou que l'on s'engage dans une profession artistique comme artiste ou créateur.
2. L'Assemblée est convaincue qu'il est de la responsabilité des Etats et des collectivités publiques locales d’assurer les conditions nécessaires pour «développer toute l'étendue des talents que l'homme a reçus de la nature et par-delà établir entre les citoyens une égalité de fait et rendre réelle l'égalité politique reconnue par la loi» (Condorcet, 1792).
3. Tous les acteurs publics et privés sont concernés par la richesse culturelle commune mais l’Etat a un rôle primordial à assumer. Acteur culturel majeur, l'Etat n’a pas simplement la responsabilité d’assurer une offre diversifiée de services culturels, à travers l’ensemble de ses institutions publiques, il a aussi des fonctions d’initiation, de stimulation et de régulation des synergies entre les institutions publiques et les organisations du secteur associatif et privé qui contribuent à la protection et la promotion du patrimoine culturel, à la création artistique et à l’accès du public à l'ensemble des ressources culturelles et artistiques.
4. L'Etat a également le devoir de prendre en compte les profondes mutations que connaissent les conditions d'accès à la culture, avec l'essor de la culture numérique et de l'internet, de favoriser l'émergence de nouveaux artistes et de nouvelles formes d'expression, de développer les nouveaux modes de diffusion des contenus culturels pour les rendre accessible à tous.
5. Dans un contexte de démocratie forte, garante de la diversité, il convient d’interpréter les obligations de respect, de protection et de réalisation des droits culturels comme une obligation intégrée de résultat en matière de démocratisation culturelle pour un égal accès aux arts. Cette obligation intégrée de résultat implique la réalisation des conditions évolutives qui permettent à chacune et à chacun de s’épanouir et de participer à la vie culturelle, sociale et politique.
6. L'accès aux arts permet à tout être humain d'équilibrer le champ de l'intelligence par celui du sensible. L'un et l'autre doivent se compléter et s'enrichir mutuellement pour l'épanouissement de la personnalité de chacun pour une nouvelle approche des autres. Grâce aux liens culturels et aux dialogues interculturels, l'accès aux arts contribue ainsi à la promotion du «bien vivre ensemble» au sein d'une société, d'un pays, et même entre les peuples, favorisant les relations entre les citoyens du monde par une meilleure compréhension mutuelle. En outre, l’accès aux arts et la libre expression artistique et culturelle contribuent au développement de l’esprit critique et donc à renforcer la citoyenneté démocratique.
7. L'accès aux arts est particulièrement important pour les jeunes, notamment ceux de 15 à 25 ans, qui se trouvent à un moment crucial de leur existence pendant lequel ils construisent leur devenir d'adultes citoyens. Les initier aux ressources culturelles fait appel à leur sensibilité subjective et à leur imagination créative, et leur procure une grande liberté d'initiatives (insuffisamment accordée à cette tranche d'âge).
8. Etant à la croisée des générations, les jeunes sont des vecteurs essentiels de transmission des ressources et des valeurs culturelles au sein de la société. Dans une optique intergénérationnelle et de cohésion sociale, l'une des responsabilités importantes du politique est de susciter, particulièrement chez les jeunes, le «désir de culture», sans lequel, quelle que soit la qualité des offres, quelles que soient les conditions matérielles d'accès à ces offres, les jeunes ne se sentiront pas concernés. Pour les motiver, les responsables politiques doivent les impliquer plus personnellement dans les activités culturelles, promouvoir des initiatives innovantes, valoriser toutes les pratiques créatrices de liens culturel, social et politique.
9. Dans ce contexte, il faut valoriser les ressources artistiques et culturelles qui permettent les rencontres (entre publics, artistes et/ou créateurs): le monde du spectacle vivant (théâtre, opéra, concert, spectacle de cirque, etc.) et celui des arts plastiques (expositions, performances, etc.) offrent ces opportunités de rencontres. Il faut aussi porter une attention particulière aux conditions dans lesquelles les jeunes ont un accès aux activités artistiques et culturelles, qui contribuent fortement à leur donner confiance en eux en leur permettant de découvrir les multiples facettes de leur personnalité.
10. La participation aux arts enrichit le patrimoine artistique et culturel de nos sociétés grâce aux créations multiples et variées qu'elle développe. Les soutiens apportés aux jeunes talents créatifs sont donc indispensables car sans eux le patrimoine de demain s'appauvrirait. Il est donc de la responsabilité des politiques de prendre le risque de l'innovation pour procurer aux générations futures ce qui leur apparaîtra, avec le temps, comme un patrimoine classique à valeur universelle, comme nous l'avons reçu de nos aïeux.
11. L'Assemblée regrette que, par-delà les discours constants en faveur des droits culturels, les moyens matériels financiers et humains et les systèmes d'information, de médiation, d'éducation artistique et culturelle ne permettent toujours pas de traduire de façon effective et équitable les professions de foi et déclarations (nationales et internationales), en dépit de la richesse des initiatives et des projets et de la qualité des intervenants œuvrant dans ces domaines.
12. Le droit de participer à la vie culturelle est un droit pivot au cœur du système des droits de l'homme. L'oublier conduit à mettre en danger ce système tout entier, en privant un être humain de la possibilité d'exercer de façon responsable ses autres droits, par manque de conscience de la plénitude de son identité.
13. Par conséquent, l’Assemblée parlementaire recommande au Comité des Ministres:
13.1. d’endosser formellement les «Lignes directrices pour l’élaboration des politiques visant à assurer la participation effective à la vie culturelle» en annexe à la présente recommandation, dont elles sont partie intégrante;
13.2. de transmettre cette recommandation à tous les Etats membres, afin qu’ils puissent s’en inspirer pour la définition de leurs politiques nationales;
13.3. de transmettre cette recommandation aux comités intergouvernementaux et au secrétariat du secteur intergouvernemental de l'Organisation chargés des programmes en matière de culture, d'éducation, d'innovation technologique, de jeunesse et d'égalité des chances en leur demandant:
13.3.1. d’intégrer dûment la promotion du droit de chacun de participer à la vie culturelle dans les projets en cours (comme, par exemple, ceux sur l’éducation à la citoyenneté démocratique et aux droits de l’homme);
13.3.2. d’intégrer dûment la promotion du droit de chacun de participer à la vie culturelle dans les initiatives qui pourraient être lancées dans le cadre de la réflexion sur le «vivre ensemble» et du partenariat entre la Commission européenne et le Conseil de l’Europe dans le domaine de la politique de jeunesse, de la recherche et du travail des jeunes;
13.4. d’établir un comité d’experts ou un groupe de travail transversal et le charger:
13.4.1. de réfléchir aux initiatives qui pourraient faciliter une action politique coordonnée au niveau européen pour promouvoir le droit de chacun de participer à la vie culturelle;
13.4.2. de réfléchir aux initiatives qui pourraient renforcer la collaboration entre le Conseil de l’Europe, l’Union européenne et d’autres instances internationales dans la mise en œuvre de programmes ciblés pour encourager la participation des jeunes à la vie culturelle et pour soutenir les activités créatives innovantes, en particulier celles liées aux révolutions technologiques;
13.4.3. de collecter et d'analyser les bonnes pratiques nationales en vue de préparer des propositions concrètes, que les comités intergouvernementaux compétents devraient examiner, approuver et soumettre au Comité des Ministres pour adoption;
13.5. d’inviter l’Union européenne et l’UNESCO aux travaux de ce comité d’experts ou groupe de travail transversal et d’y associer étroitement l’Assemblée parlementaire, le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe, la Conférence des organisations internationales non gouvernementales du Conseil de l’Europe et le Conseil consultatif pour la jeunesse;
13.6. sur la base des conclusions et propositions concrètes qui lui auront été transmises, d'adopter les mesures appropriées pour développer des projets concrets de collaboration entre le Conseil de l’Europe, l’Union européenne et l’UNESCO visant à soutenir la mise en œuvre du droit de chacun de participer à une vie culturelle diversifiée et à renforcer, en particulier, la participation des jeunes à la vie culturelle, tant comme public que comme praticiens;
13.7. dans le cadre du programme «Gouvernance démocratique par les politiques de l’éducation, de la culture et de la jeunesse», de charger la plateforme CultureWatchEurope d’établir une série d’indicateurs sur la participation des divers groupes, et des jeunes en particulier, à la vie culturelle et de suivre les développements dans ce domaine.
14. L’Assemblée invite les Conférences européennes des ministres responsables de la culture, de l’éducation, de la jeunesse et du numérique (des médias) à prendre en compte la présente recommandation et à inscrire dans leurs ordres du jour respectifs la question d’une promotion plus efficace des droits culturels, notamment du droit de chacun de participer à la vie culturelle, tant comme public que comme praticien, dans l’espace européen.
15. L’Assemblée, reconnaissant le rôle de plus en plus important que les autorités locales et régionales ont dans la promotion et la mise en œuvre des droits culturels, invite le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe à prendre en compte la présente recommandation et à l'intégrer dans son programme de travail.
16. L’Assemblée considère qu’il conviendrait d’accorder une plus grande considération au droit de chacun de participer à la vie culturelle dans le cadre des travaux du Centre européen pour l’interdépendance et la solidarité mondiales (Centre Nord-Sud) du Conseil de l’Europe; l’Assemblée invite donc les organes du Centre à intégrer dans ses projets la réflexion sur la mise en œuvre effective de ce droit et sur la contribution qu’il apporte au développement harmonieux des civilisations grâce à l'enrichissement des diversités créatives et au dialogue pluri et interculturel.

Lignes directrices pour l’élaboration des politiques visant à assurer la participation effective à la vie culturelle

17. Lignes directrices générales
17.1. Reconnaître les droits culturels comme les droits qui autorisent chaque personne, seule ou en commun, à développer toutes ses aptitudes d'être pensant et sensible, toutes ses capacités d'imagination créative. Reconnaître que ces droits correspondent à des besoins premiers pour tout le genre humain destiné à vivre en société: leviers essentiels des échanges culturels et du dialogue interculturel, les droits culturels sont aussi des piliers du «vivre ensemble» au sein des sociétés grâce à des références culturelles et artistiques communes qui permettent d'accéder à l'ensemble des valeurs humanistes transmises dans les sociétés démocratiques et libérales.
17.2. Affirmer le droit de chacun de participer à la vie culturelle comme le droit qui englobe l’ensemble des droits culturels car sa garantie effective permet l'égal accès pour tous aux ressources culturelles nationales et internationales et le droit d'y participer comme auteurs ou artistes-interprètes.
17.3. Développer des politiques intégrées pour promouvoir la participation à la vie culturelle et établir une programmation stratégique commune aux différents secteurs gouvernementaux concernés, dont les ministères responsables de la culture, de l’éducation, des entreprises, de la recherche et du numérique, associés à ceux de la jeunesse et de l’égalité des chances. Impliquer dans la définition et la mise en œuvre de ces politiques les autorités régionales et locales en fonction des compétences qu’elles ont dans les domaines visés.
17.4. Stabiliser la mise en œuvre des politiques des pouvoirs publics en matière culturelle en pérennisant les expériences probantes. Il s'agit d'éviter que les alternances politiques propres aux démocraties libérales conduisent chaque nouveau gouvernement à apposer sa marque, ce qui remet en cause périodiquement les projets culturels de qualité.
17.5. Dans la définition des politiques intégrées de démocratisation culturelle, prendre en considération l’effet paralysant des multiples facteurs de discriminations (comme les situations économiques, les lieux de vie, les positions sociales, les problèmes liés aux différents handicaps, mais aussi la situation spécifique de la jeunesse) afin d'identifier les formes appropriées de soutien à mettre en œuvre pour que la participation de chacun à la vie culturelle soit adaptée à ces contextes particuliers.
17.6. Placer au cœur de la mission de chaque institution publique qui contribue à l’activité, à la formation et à la médiation culturelles, l'obligation de résultat en termes de démocratisation culturelle avec des interactions fréquentes entre opérateurs.
17.7. Mettre en réseau les opérateurs culturels publics et privés pour échanger leurs expériences et pour développer des partenariats avec mutualisation des moyens. Envisager la dimension transfrontalière des initiatives culturelles avec des projets en partage avec des pays différents.
17.8. Conditionner le financement public des opérateurs culturels privés à leur contribution à la démocratisation culturelle et aux partenariats culturels. Encourager par des mesures fiscales toutes les formes de mécénat soutenant les approches culturelles démocratiques et les soutiens à la création d'autres institutions culturelles privées.
17.9. Moderniser et développer fortement le rôle de médiation des grandes institutions culturelles et placer au cœur de leur programmation:
17.9.1. les adaptations des médiations en fonction des publics (jeunes publics, publics de seniors, publics défavorisés ou tenus à l'écart des ressources culturelles) en évitant de se restreindre à des activités ponctuelles visant seulement à faire entrer occasionnellement un maximum de personnes dans des lieux culturels;
17.9.2. le développement des «projets participatifs» pour lesquels les publics sont invités à participer directement aux créations au sein d'ateliers pour les impliquer personnellement dans la pratique artistique;
17.9.3. l'utilisation des technologies de l'information et de la communication (écrans, réseaux internet, réalité virtuelle et réalité augmentée, etc.) pour des projets multiformes et pluridisciplinaires avec des environnements navigables susceptibles de solliciter l'action du public.
17.10. Repenser le rôle de l'école comme une institution essentielle à la formation artistique, au développement culturel, comme espace d'apprentissage des savoirs indispensables pour rendre effectif et attractif le droit de participer à la vie culturelle et comme espace de liberté d'expression artistique et de rencontres multiples entre les élèves et des œuvres, avec les artistes, dans des institutions artistiques ou des salles de spectacles.
17.11. Mieux intégrer une éducation obligatoire aux pratiques artistiques et culturelles dans les systèmes éducatifs nationaux. Encourager les pratiques visant à développer la créativité et la sensibilité et valorisant le lien entre la vie culturelle du territoire et le système éducatif.
17.12. Prévoir une initiation aux arts pour tous les futurs enseignants, ce qui permettra de décloisonner les enseignements traditionnels en mettant en relief la dimension artistique de toutes les matières: par exemple, les différentes représentations picturales des reliefs en géographie, les mobiles des sculpteurs comme application des lois de la physique et l'histoire des arts pour accompagner les événements historiques. Apprendre à lire, écrire et compter est à l'évidence fondamental; apprendre à voir, à entendre, à sentir, l'est tout autant.
17.13. Etendre les méthodes pédagogiques propres à l'éducation artistique aux autres matières en instaurant un dialogue interactif avec les élèves, en veillant à leur donner la parole pour qu'ils puissent exprimer leurs questionnements et expliquer leur démarche individuelle d'élève.
17.14. Soutenir les projets qui visent à établir au sein des établissements scolaires des lieux de création artistique permettant le contact entre les élèves, les œuvres et les artistes et offrant aux élèves la possibilité de s’initier à la libre expression et à la création artistique.
17.15. Favoriser le développement des pratiques amateurs, dans l'environnement périscolaire et extrascolaire, en veillant à proposer une offre ouverte à des choix diversifiés et adaptés aux différentes catégories de personnes.
17.16. S'appuyer sur les réseaux associatifs locaux, avec des espaces de pratiques propices à l'émergence de talents grâce au soutien de bons professionnels, ce qui permet la découverte de ses propres appétences jusqu'alors ignorées. En particulier, donner aux jeunes accès à des espaces de création en leur laissant toute liberté d'exercer leurs activités ou de monter leurs projets, en s'appuyant sur des associations de jeunes, les encourager à mutualiser leurs moyens, à partager leur créativité en se mettant en réseau avec d'autres associations pour concevoir des projets en commun.
17.17. Soutenir, en particulier financièrement dans le cadre de contrats pluriannuels d'objectifs, les associations culturelles, qui permettent une médiation culturelle de proximité pour les jeunes mais aussi pour toutes les générations.
17.18. Encourager les expressions culturelles et artistiques qui, par une perspective critique sur les conditions politiques, sociales, économiques et culturelles de la société actuelle, contribuent au développement de l’esprit critique et au renforcement de la citoyenneté démocratique. Encourager l’accès du public à ces expressions.
17.19. Prendre résolument en compte les nouvelles formes de création et de diffusion des contenus artistiques et culturels que la révolution technologique ouvre en abolissant les frontières géographiques et temporelles, et en instaurant un espace de liberté d'expression et de partage incontournable. Il s'agit également d'inciter l'émergence et de saisir des nouveaux modes de consommation et de création culturelles rendus possibles par les nouvelles technologies, notamment lorsqu’il s’agit d’atteindre un public jeune.
17.20. Promouvoir les créations pluridisciplinaires conçues via et pour le réseau internet (par exemple le Net Art) combinant plusieurs modes d'expression et qui utilisent les techniques numériques interactives comme outil de création.
17.21. Assurer un système de protection de la création, notamment pour rendre effectifs les droits de propriété intellectuelle qui font partie des droits de l'homme, afin de permettre aux jeunes créateurs d'envisager une activité professionnelle artistique économiquement viable. La révolution numérique a bouleversé les usages, de manière positive pour la démocratisation culturelle, mais elle a aussi vu la naissance du piratage à large échelle des œuvres culturelles, qui fait peser une menace grave sur la création de demain. Afin que chacun puisse participer à la vie culturelle, il convient de trouver des solutions à ce phénomène délétère pour la pérennité de la diversité culturelle.
17.22. Pour que les stratégies de développement culturel réussissent à promouvoir la participation de tous à la vie culturelle et favorisent le soutien à la création, utiliser les principes d'interconnexion et facteurs de valorisation mutuelle suivants: l'inter-artistique et l'interculturel, l'inter-lieux, l'inter-temporel et l'interinstitutionnel.
18. Lignes directrices spécifiques concernant l’utilisation des principes d’interconnexion
18.1. Inter-artistique et interculturel
18.1.1. Parallèlement à l'appréhension approfondie de chaque discipline artistique, développer une approche de l’éducation et de la formation aux arts valorisant les correspondances entre les arts, pour non seulement offrir à chacun une approche exhaustive des expressions artistiques pluridisciplinaires et multiformes mais aussi pour enrichir chaque discipline des autres approches artistiques.
18.1.2. Favoriser les projets éducatifs artistiques qui valorisent les interactions entre les arts, entre les arts et d'autres domaines, et entre les artistes et le public. Par exemple: les activités artistiques qui créent des correspondances entre arts plastiques, musique, arts du son, de la lumière et un dialogue créatif avec le public par la médiation d'ordinateurs dans des espaces non dédiés aux arts (par exemple les friches industrielles, les quartiers des cités pour les arts de la rue).
18.1.3. Accorder des soutiens politiques et économiques continus plus soutenus, avec des contrats d'objectifs pluriannuels, en faveur des théâtres et salles de spectacles, des lieux d'exposition, des compagnies d'artistes et des plasticiens, car ils offrent des occasions de rencontre entre tous les secteurs artistiques et, à travers eux, entre tous les secteurs culturels. Ils permettent également de réunir et de mobiliser une diversité de jeunes publics, artistes, amateurs ou professionnels.
18.2. Inter-lieux et arts numériques
18.2.1. Favoriser les créations réalisées avec les habitants (formes participatives) et les initiatives où la rencontre des arts et des personnes prend vie dans des lieux capables de lier réflexion artistique, philosophique et écologique, donnant donc du sens à sa citoyenneté: réaménager un espace public couvert (comme un hall de gare) ou en plein air (comme un espace vert) pour en faire un lieu de participation créative pour les habitants de ces quartiers.
18.2.2. Favoriser les initiatives culturelles locales et qui visent la valorisation culturelle, historique, sociale et économique des territoires, par les liens entre les créateurs, les publics et les divers métiers qui participent à ces initiatives.
18.2.3. Réaliser des programmes nationaux de numérisation du patrimoine culturel, ce qui s'inscrit dans les objectifs retenus par la Commission européenne pour la réalisation d'Europeana, point d'accès multilingue à tous les contenus culturels du patrimoine et de la création contemporaine.
18.2.4. Connecter les espaces virtuels aux espaces publics et soutenir les projets de services numériques innovants avec des dispositifs sur site (3D, réalité augmentée, systèmes immersifs de réalité virtuelle, téléphones mobiles, podcasts, etc.) ou des dispositifs sur internet accessibles à distance (visites virtuelles, parcours thématiques, services en ligne).
18.2.5. Utiliser les nouvelles formes de diffusion des contenus culturels dématérialisés, en transférant par exemple les arts visuels dans des galeries et musées virtuels où les œuvres seraient accessibles dans des expositions en ligne.
18.2.6. S'engager dans une démarche de soutien aux services numériques culturels innovants pour faciliter l'expérimentation de nouveaux usages numériques et encourager de nouveaux partenariats entre opérateurs culturels et le monde de l'entreprise, et la recherche privée ou publique.
18.3. Inter-temporel
18.3.1. Renouer avec les savoir-faire traditionnels locaux, les sources et les exemples des créations artistiques de l'art des anciens.
18.3.2. Travailler avec les artistes de la mémoire (par exemple les archéologues) et inversement se projeter dans une vision de l'espace urbain du futur que l'on souhaite transmettre (art prospectif).
18.3.3. Favoriser les initiatives qui créent une dynamique territoriale dans la durée (festivals, fêtes, journées thématiques).
18.3.4. Promouvoir les activités liées à la mémoire et développer aussi dans cette direction le rôle des institutions muséales, des théâtres et salles de spectacle (œuvres du patrimoine, artistes des siècles passés et théâtre classique par exemple), ce qui valorise le patrimoine et permet aux jeunes de s'approprier la culture de leur nation et celle d'autres pays.
18.4. Interinstitutionnel
18.4.1. Favoriser la mise en place d’instances de coordination chargées d'assurer la synergie entre politique culturelle et politique éducative, avec des comités permanents de professionnels renouvelables périodiquement.
18.4.2. Renforcer le lien entre les écoles et les institutions culturelles locales et nationales, non seulement pour favoriser l’accès des élèves à ces institutions, mais pour apporter le savoir et l’expérience de ces institutions et de leurs équipes à l’apprentissage artistique dans le contexte scolaire, et ce pour tous les élèves et dès leur plus jeune âge.
18.4.3. Encourager les partenariats interinstitutionnels (entre autorités gouvernementales nationales et entre autorités nationales et locales) et les partenariats public-privé, dès la définition de stratégies, pour la conception des projets et de la programmation, afin d’assurer le niveau le plus élevé de coordination et de synergie.

B. Exposé des motifs, par Mme Marland-Militello, rapporteure

(open)

1. Introduction

«La culture prend diverses formes dans le temps et dans l’espace et (…) cette diversité s’incarne dans l’originalité et la pluralité des identités ainsi que dans les expressions culturelles des peuples et des sociétés qui constituent l’humanité»

(Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, UNESCO, 2005)

1.1. Mandat et étapes d’élaboration du rapport

1. Le 7 juillet 2009, des collègues et moi-même avons déposé une proposition de recommandation sur «le droit de chacun de participer à la vie culturelle». Le 2 octobre 2009, la commission de la culture, de la science et de l’éducation a été chargée de la préparation d’un rapport sur ce thème.
2. J’ai été nommée rapporteur le 8 décembre 2009. Après avoir pris connaissance du projet «Rendre la culture accessible» mis en œuvre par la Direction générale de l’éducation, de la culture et du patrimoine, de la jeunesse et du sport du Conseil de l’Europe 
			(2) 
			Je remercie Mme Kathrin
Merkle, chef de la Division des politiques culturelles, de la diversité
et du dialogue, de m’avoir informé de ce projet. , j’ai proposé à la commission une série d’activités devant permettre de recueillir des informations auprès des différentes sources et connaître le point de vue d’acteurs différents sur la question du droit de participer à la vie culturelle.
3. La commission a tenu une audition à Istanbul le 10 mai 2010 
			(3) 
			Ont participé à cette
audition: le professeur Dr Mehmet Aydin, ministre d'Etat de la Turquie
pour la science et la technologie; le professeur Dr Mehmet Sağlam,
président de la Commission de l’éducation nationale, de la culture,
de la jeunesse et du sport de la Grande Assemblée nationale de Turquie;
M. Gaetano Armao, ministre de la région Sicile responsable de la
culture et de l'identité sicilienne; Mme Annamari
Laaksonen, coordonnatrice de projet, Interarts, Barcelone, qui a
réalisé l’étude «Making culture accessible».. Au cours de cette audition, Mme Annamari Laaksonen a présenté l'étude sur «Making culture accessible», qui venait d’être publiée par le Conseil de l’Europe. Une deuxième audition a été organisée conjointement avec la Commission des affaires culturelles et de l’éducation de l'Assemblée nationale française le 3 novembre 2010. Cette réunion s'est tenue sous le haut patronage de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République française, en présence d’experts français et internationaux 
			(4) 
			Ont participé à cette
audition: M. Jean-Claude Mignon, président de la délégation française
auprès de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe; M. Jacques
Legendre, sénateur, président de la commission de la culture, de l'éducation
et de la communication du Sénat français; Mme Catherine
Pégard, conseillère du Président de la République française; M.
David Fleming, directeur, National Museums Liverpool; Mme Katerina
Stenou, directrice, Division des politiques culturelles et du dialogue
interculturel, UNESCO; M. Daniel Thérond, directeur adjoint, Direction
de la culture et du patrimoine culturel et naturel, Conseil de l’Europe;
Mme Ariane Salmet, ministère français
de la Culture et de la Communication (Délégation au développement
et aux affaires internationales), chef de la Mission pour le développement des
publics; M. Alexandre Viudes, musicien du groupe Starboard Silent
Side, et M. Florian Couret, imprésario du groupe; Mme Nicole
Rodrigues, directrice de l'Unité d'archéologie de la ville de Saint-Denis;
le professeur Patrice Meyer-Bisch, université de Fribourg (Suisse).
Les actes de cette audition ont été publiés sur le site web de l'Assemblée
nationale française, <a href='http://www.assemblee-nationale.fr/13/pdf/cr-cedu/10-11/c1011011.pdf'>www.assemblee-nationale.fr/13/pdf/cr-cedu/10-11/c1011011.pdf</a>.. Les interventions ont été très riches et ont apporté des éclairages diversifiés sur le sujet. Le même jour, un échange de vue a eu lieu sur la politique et les actions du musée d’Orsay concernant la promotion de la participation des jeunes à la vie culturelle 
			(5) 
			Ont
participé à l’échange de vues au musée d'Orsay: Mme Laurence
Madeline, conservatrice, chef du Service culturel et éducatif; Mme Fabienne
Chevallier, chef du Département des publics et de la vente; Mme Rosa
Djaoud, responsable de projets culturels et éducatifs, Service culturel
et éducatif; Mme Diane Daret-Delmas,
chargée du développement des publics du champ social, Département
des publics et de la vente; M. Thierry Gausseron, administrateur
général..
4. Après l’audition de novembre 2010, j’ai sollicité la collaboration du professeur Patrice Meyer-Bisch, membre de l'Observatoire de la diversité et des droits culturels, coordonnateur de l'Institut interdisciplinaire d'éthique et des droits de l'homme (IIEDH) et de la Chaire UNESCO pour les droits de l'homme et la démocratie, université de Fribourg (Suisse). Sa contribution analyse la question de la participation à la vie culturelle d’un point de vue plus spécifiquement juridique et sociologique. Je le remercie pour ce travail dont j'ai pu m'inspirer pour rédiger le présent rapport, en particulier pour ce qui concerne les facteurs permettant une valorisation mutuelle des ressources culturelles et le développement des politiques culturelles favorisant une meilleure cohésion sociale.
5. Entre-temps, sur ma proposition, la commission a décidé, lors de sa réunion de janvier 2011, de demander des informations sur les initiatives développées dans le cadre de la politique culturelle des Etats membres, visant à favoriser la participation à la vie culturelle des jeunes, en tant que public et en tant que créateurs, notamment dans les domaines du spectacle vivant et des arts plastiques et visuels. A cette fin, un courrier a été adressé aux présidents des délégations nationales auprès de l’Assemblée parlementaire afin qu’ils sollicitent des autorités compétentes de leurs pays une réponse aux questions suivantes:
1. Quelle(s) action(s) ou projet(s) pourriez-vous apporter en exemple quant à l’effort de votre pays pour:
  • promouvoir l’accès des jeunes publics – en particulier les jeunes entre 15 et 25 ans – à la culture;
  • soutenir les jeunes créateurs innovants?
2. Quels sont les résultats que ces actions ont permis d’atteindre, notamment en termes
  • d’augmentation de la participation des jeunes (publics et artistes) à la vie culturelle;
  • de réduction des inégalités dans l’accès à la culture et à la création artistique?
6. Un courrier a été également adressé aux membres du Comité directeur de la culture (CDCULT) et du Comité directeur européen pour la jeunesse (CDEJ) du Conseil de l'Europe afin que les ministères compétents soient informés de l’initiative et puissent contribuer à la préparation des réponses.
7. A la suite de cette démarche, les autorités de 27 pays ont fait parvenir des réponses, dont quelques-unes très développées 
			(6) 
			Allemagne, Andorre,
Belgique, Bosnie-Herzégovine, Bulgarie, Croatie, Chypre, République
tchèque, Danemark, Estonie, Finlande, France, Espagne, Géorgie,
Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Moldova, Pologne, Portugal, Roumanie, Serbie,
République slovaque, Slovénie, Suède, Suisse, Ukraine. Ces réponses
ont été reprises dans le document AS/Cult/Inf (2011) 04 rév. Je
ne puis m’empêcher de regretter l’absence de réponses de la part
de pays comme l’Italie, la Fédération de Russie ou le Royaume-Uni;
avoir des exemples de ce que ces pays font pour favoriser la participation
de leur jeunesse à la culture aurait sans doute été intéressant.. Je tiens à remercier très sincèrement les autorités de ces pays pour l’effort qu’elles ont fait.
8. Sur la base des informations recueillies, j'ai identifié des orientations récurrentes qui se dessinent dans le domaine des politiques culturelles pour les jeunes et j'ai pu vérifier dans quelle mesure ces expériences contribuent au développement de projets qui misent sur les valorisations mutuelles et enrichissent la diversité culturelle. Il m'est également apparu légitime et utile de mettre en valeur certaines réalisations qui pourraient servir d'exemples concrets.

1.2. Champ de l’enquête et finalité du rapport

9. Dès le départ, force a été de constater qu'il n'est pas possible d’aborder dans tous ses aspects un sujet aussi vaste que celui de la participation à la vie culturelle de plusieurs groupes sociaux ou culturels. Le nombre de variables (et de leurs combinaisons) ne le permet pas. Dès lors, conformément à ce que j’ai indiqué à la commission, j’ai choisi de centrer en priorité l’analyse sur la catégorie de citoyens qui incarne à la fois le présent et l'avenir de la vie culturelle de nos sociétés: la jeunesse.
10. Ce choix se justifie pour diverses raisons. Tout d’abord, la jeunesse est la période de la vie de l'apprentissage et des expériences nouvelles, avant l'installation dans une vie professionnelle et avant que la position sociale ne conditionne fortement les comportements et les choix culturels. Les jeunes constituent un groupe humain relativement autonome par rapport à leur position dans la société, avec moins d'a priori sociaux et philosophiques. Il est donc important que les actions politiques les visant leur offrent des opportunités variées qui ne leur sont pas offertes dans leurs milieux familial et géographique. Ensuite, comme tous les citoyens, les jeunes forment un groupe socialement transversal et donc toute action politique les visant concerne l'ensemble des composantes sociales et communautaires, ce qui peut avoir des effets positifs au sein des familles et des divers groupes sociaux. En outre, éveiller les jeunes à la culture et promouvoir leur épanouissement culturel sont indispensables pour favoriser, à terme, la participation du plus grand nombre de citoyens à la vie culturelle, car les jeunes sont les publics, les praticiens et les créateurs de demain, à la fois bénéficiaires et responsables du développement et de la transmission culturels de la société. Il s’agit de facteurs déterminants pour concevoir et promouvoir des politiques publiques culturelles efficaces. Enfin, choisir d'étudier particulièrement la jeunesse permettra de saisir au mieux comment la révolution numérique, qui fait partie de l’univers des jeunes, peut apporter le plus à leur participation à la vie culturelle, comme amateurs ou artistes potentiels.
11. La vie culturelle est transversale: elle englobe toutes les actions qui répondent aux aspirations de l'esprit, du regard, de l'ouïe, et qui font appel à la raison, aux sens, à la sensibilité et à l'imagination. Mais j'ai souhaité insister dans mon rapport sur deux domaines: le spectacle vivant (théâtre, musique, opéra, spectacles du cirque, de rue…) et celui des arts plastiques et visuels (peinture, sculpture, architecture, expositions et performances in situ ou sur le web) car ces ressources artistiques s'expriment dans des lieux de rencontre entre publics et artistes, entre publics entre eux, que ce soit physiquement dans des espaces géographiques ou virtuellement sur l'internet.
12. Il ne s’agit pas de réduire la vie culturelle aux arts ni de détacher ceux-ci de l’ensemble de la vie culturelle, mais de spécifier des propositions de politiques qui permettent le développement d’une activité artistique à laquelle chacun doit pouvoir participer dès son plus jeune âge. Le rôle de l’expression artistique dans le développement de l’être jeune est fondamental. Il ne s’agit pas uniquement d’une activité parmi d’autres, qui procurerait un «mieux-être»: c’est un apprentissage essentiel de la créativité, de l’expérience partagée de ce qui pour chacun fait sens, et donc des libertés personnelles et collectives.
13. Il y a, en somme, une fonction libératrice, d’épanouissement des arts en général. De plus, dans les domaines du spectacle vivant et des arts plastiques et visuels qui permettent un rapport direct entre création et publics, il me semble possible de développer des actions ciblées capables de produire un impact sensible et durable sur les jeunes et, par voie de conséquence, une meilleure socialisation de ces futurs citoyens responsables. Aristote ne définissait-il pas l'homme comme un «animal politique» dont l'essence est de vivre en société?
14. Le champ de l’enquête étant défini, deux questions fondamentales doivent être examinées auxquelles nous nous efforcerons de répondre.
  • La première concerne la reconnaissance effective du droit de participation à la vie culturelle avec ses tenants et aboutissants. Quelle est la portée de ce droit en particulier envers les générations actuelles et futures? Quelle peut être sa contribution à une dynamique culturelle diversifiée dont dépend l'avenir des civilisations humaines?
  • La deuxième question est celle de la réalisation concrète du droit de participer à la vie culturelle. Elle se prête à une analyse à partir d’angles d’approche différents. Pour commencer, quels sont les facteurs qui font obstacle à l’exercice de ce droit ? Et comment intervenir pour assurer la mise en œuvre de ce droit, notamment dans une période caractérisée par la nécessité de maîtriser les budgets publics et d’utiliser toutes les ressources disponibles pour répondre aux besoins les plus pressants des citoyens?
15. L’enjeu est non seulement de trouver les ressources, mais aussi de les utiliser pour élargir le nombre de ceux que les politiques culturelles peuvent atteindre, sans pour autant disperser les moyens (limités) disponibles dans des actions qui n’auront pas d’impact durable et sans s'enfermer dans le piège consistant à proposer une offre culturelle à laquelle on serait ensuite incapable de répondre.
16. Pour garantir à chacun (et notamment aux jeunes) une jouissance effective de ce droit, il faut chercher non seulement à rendre la culture accessible physiquement et économiquement mais aussi à la rendre psychologiquement accessible en suscitant un «désir de culture». Sans ce désir, il n’y aura pas de réelle motivation à utiliser les possibilités qui sont offertes de contribuer à une meilleure connaissance de sa propre culture et de s'ouvrir à celle des autres. Il n’y aura pas non plus de réelle motivation à devenir acteurs du développement culturel et créateurs de culture.
17. Cela nous oblige à nous interroger sur l’efficacité des politiques culturelles en Europe: ouvrent-elles aux jeunes un réel espace de participation à la vie culturelle, en tant que publics, en tant qu'amateurs, en tant que professionnels? Favorisent-elles réellement l’émergence, parmi les jeunes, du désir de culture, y compris le désir de rencontrer les autres et leurs cultures ?

2. Définition et portée du droit de participer à la vie culturelle

2.1. Un droit fondamental au cœur du système des droits de l’homme

2.1.1. La reconnaissance internationale du droit de participer à la vie culturelle

18. Le droit de participer à la vie culturelle est reconnu à l’article 27.1 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, qui dispose que «toute personne a le droit de prendre part librement à la vie culturelle de la communauté, de jouir des arts et de participer au progrès scientifique et aux bienfaits qui en résultent». L’article 15.1.a du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966 demande aux Etats de reconnaître à chacun le droit de participer à la vie culturelle.
19. La Convention internationale des droits de l’enfant du 20 novembre 1989 affirme qu'un enfant autochtone ou appartenant à une minorité «ne peut être privé du droit d'avoir sa propre vie culturelle» (article 30). Il dispose ensuite que «les Etats parties reconnaissent à l'enfant le droit au repos et aux loisirs, de se livrer au jeu et à des activités récréatives propres à son âge, et de participer librement à la vie culturelle et artistique» (article 31.1), et que «les Etats parties respectent et favorisent le droit de l'enfant de participer pleinement à la vie culturelle et artistique, et encouragent l'organisation à son intention de moyens appropriés de loisirs et d'activités récréatives, artistiques et culturelles, dans des conditions d'égalité» (article 31.2).
20. Dans le cadre européen, la Convention-cadre du Conseil de l'Europe sur la valeur du patrimoine culturel pour la société (Convention de Faro – STCE no 199, entrée en vigueur le 1er juin 2011) précise dans son article 1.a que «le droit au patrimoine culturel est inhérent au droit de participer à la vie culturelle, tel que défini dans la Déclaration universelle des droits de l’homme»; son article 4.a requiert aux parties de reconnaître «que toute personne, seule ou en commun, a le droit de bénéficier du patrimoine culturel et de contribuer à son enrichissement».
21. Le droit de participer à la vie culturelle ou des aspects essentiels de ce droit sont également mentionnés dans nombre d’autres instruments internationaux visant des catégories vulnérables et rappelant la nécessité d’assurer la jouissance de ce droit dans des conditions d’égalité 
			(7) 
			Parmi
d’autres textes: 
			(7) 
			– le Pacte international relatif
aux droits civils et politiques (article 27). 
			(7) 
			– la
Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes
de discrimination raciale (article 5.e.vi); 
			(7) 
			–
la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination
à l’égard des femmes (article 13.c); 
			(7) 
			–
la Convention relative aux droits de l’enfant (article 31.2); 
			(7) 
			–
la Convention relative aux droits des personnes handicapées (article
30.1) 
			(7) 
			– la Convention internationale sur la protection
des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille
(article 43.1.g); 
			(7) 
			–
la Convention culturelle européenne (Conseil de l’Europe, STE no 18,
articles 2 et 5) 
			(7) 
			– la Convention‑cadre pour la protection
des minorités nationales (Conseil de l’Europe, STE no 157,
article 15); 
			(7) 
			– la Charte sociale européenne révisée
(Conseil de l’Europe, STE no 163, notamment
les articles 15.3, 23.1.a et 30.a)..
22. On rappellera dans ce contexte la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles de 2005, qui affirme à l’article 2.7 le principe directeur de l’accès équitable, dans ces termes: «L'accès équitable à une gamme riche et diversifiée d’expressions culturelles provenant du monde entier et l’accès des cultures aux moyens d’expression et de diffusion constituent des éléments importants pour mettre en valeur la diversité culturelle et encourager la compréhension mutuelle.»
23. Malgré le nombre de textes internationaux qui énoncent le droit de participer à la vie culturelle, ce droit a semblé longtemps peu important. La brève disposition à l’article 27 de la Déclaration universelle a été largement négligée par la doctrine et a été oubliée dans les stratégies de mise en œuvre des droits de l'homme. La formule lapidaire de l’article 15 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels est peut-être à l’image de ce manque de considération.
24. Les dispositions de la Convention sur les droits de l’enfant apparaissent comme une réduction de leurs droits culturels à une série d'activités particulières, sans prendre la pleine mesure de l'apport des activités artistiques et culturelles en termes de bien-être et d'épanouissement mental et physique des enfants.
25. Le droit de participer à la vie culturelle, comme le droit à l'éducation (droit culturel le mieux reconnu), est en fait l'essence même de l'ensemble des droits culturels, eux-mêmes fondamentaux pour les droits de l'homme dont ils permettent l'exercice. Le Conseil des droits de l'homme des Nations Unies rappelle ce principe d'indivisibilité: «les droits culturels font partie intégrante des droits de l’homme, qui sont universels, indissociables, intimement liés et interdépendants. 
			(8) 
			Voir, entre autres,
la Résolution A/HRC/6/L.3/Rev.1, point 1. Voir aussi l’article 5
de la Déclaration universelle de l’UNESCO sur la diversité culturelle.» Sa place dans la Déclaration universelle, entre le droit à l’éducation (article 26) et le droit de participer à un ordre démocratique (article 28), symbolise le fait que ce droit a un effet de levier sur l’ensemble des droits de l'homme: sa réalisation signifie que les personnes ont accès aux ressources culturelles qui sont nécessaires à leur développement et à l’exercice de leur citoyenneté.
26. Il est important de relever que ce droit correspond à la fois à un devoir de non-ingérence et à une obligation positive des Etats. Comme le rappelle le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies dans son Observation générale no 21 (novembre 2009), afin d’assurer une garantie effective de ce droit, les Etats devraient observer à la fois une obligation d'abstention et une obligation d'action. En effet, ils doivent non seulement respecter une neutralité à l'égard des pratiques culturelles et de l’accès aux biens et services culturels (condition de la liberté d'accès et de la liberté de créer), dans la mesure où ils ne contreviennent pas à d'autres droits fondamentaux, mais ils doivent aussi «agir de manière positive», c’est-à-dire «assurer les conditions nécessaires à la participation à la vie culturelle, faciliter et promouvoir celle-ci et assurer l’accès aux biens culturels ainsi que leur préservation» (paragraphe 6) (condition pour l'égalité d'accès). Un dosage équitable doit être trouvé entre une neutralité respectueuse des libertés de choix et une politique active engagée pour favoriser les égalités d'accès et de participation.

2.1.2. Portée universelle du droit de participer à la vie culturelle dans sa diversité

27. Il est dans la nature même de tout droit fondamental d’avoir une portée universelle et de bénéficier à tous sans discrimination aucune. Naturellement, le fait qu’il s’agisse d’un droit reconnu à «chacun» n’exclut pas que ce droit puisse être exercé en association avec d’autres, ou au sein d’une communauté ou d’un groupe.
28. Dans la mesure où chacun est différent, le droit de participer à la vie culturelle ne peut être garanti de manière efficace sans un effort d’adaptation aux besoins des divers bénéficiaires. La politique culturelle doit tenir compte de la diversité. Plus encore, la diversité devrait être une composante essentielle de toute politique culturelle. La vraie culture ne peut qu’être plurielle car elle est fondée sur le propre de l'humanité: sa liberté et la diversité qui en découle.
29. A cet égard, il convient de souligner que l’adoption en septembre 2001 de la Déclaration universelle de l’UNESCO sur la diversité culturelle et celle, en 2005, de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles correspondent à un virage politique important: alors que la diversité culturelle était considérée comme un frein au développement, un obstacle à la modernité et donc au progrès, à la science et à la démocratie, elle est désormais de plus en plus comprise comme une ressource pour chacun de ces domaines et pour la paix. Le culturel apparaît désormais comme matière première du développement social, économique, politique et de l'enrichissement du patrimoine culturel.
30. Néanmoins, comprendre la diversité et élaborer une politique culturelle qui tienne compte de cette diversité (ainsi que de la diversité des besoins culturels des divers groupes de bénéficiaires) n’implique ni le relativisme culturel ni la renonciation par les Etats à la promotion de leur culture historique (éventuellement composite) et du patrimoine culturel correspondant. Il s’agit plutôt de faire – en fonction du contexte de chaque pays – une place au «divers» en tant qu’élément de richesse dans l’échange culturel.
31. Toutefois, c’est le respect des droits de l'homme, indivisibles et interdépendants, qui permet la valorisation mutuelle de tout ce que les milieux culturels contiennent de diversité et de richesse. C’est le dialogue interculturel qui favorise une meilleure compréhension des différences et de l'universalité humaine et permet d’identifier les pratiques qui, sous prétexte de culture, sont contraires aux droits de l’homme. Le respect des droits culturels garantit la participation de tous au patrimoine commun, ce capital de ressources que la diversité culturelle constitue. L’exercice des droits, libertés et responsabilités culturels est à la fois la fin et le moyen de cette préservation et de ce développement, car cela signifie que chacun peut participer à cette diversité, y puiser des ressources et contribuer à son enrichissement.
32. Par ailleurs, l’attention qu’il convient de porter à la différence des situations et des besoins individuels n’implique pas la fragmentation de la politique culturelle en une multitude d’actions «ad personam». Vouloir préconiser une telle approche serait irréaliste et irréalisable: un effort de ce type ne serait pas viable (quels que soient les moyens disponibles), et il serait probablement dangereux dans la mesure où l’on perdrait de vue la dimension collective de la culture et de la vie culturelle. L’objectif doit être de rendre la culture accessible, par le biais d’une politique culturelle ouverte, et non de l’émietter. Mais cette approche collective des politiques culturelles doit se combiner avec des offres plus individuelles pour que chacun puisse s'approprier une expression artistique et faire naître en lui le désir de culture.
33. Chercher à concilier la portée universelle du droit de participer à la vie culturelle avec la diversité des situations individuelles ne doit en aucun cas conduire à des politiques publiques qui n'offriraient que le plus petit dénominateur commun, au motif que l'offre culturelle serait ainsi accessible à tous. Le but d'une vraie politique culturelle est d'élever les individus et non de niveler tout le monde par le bas. Il est fondamental de ne jamais perdre de vue l'exigence de qualité due à tous, publics comme créateurs, et de ne pas se contenter d'un «droit au rabais». Le recours à des médiateurs culturels professionnels est indispensable et le rôle des experts, consistant à guider sans imposer, contribue fortement à une participation épanouissante pour tous.

2.2. Un faisceau des droits permettant de structurer l’identité et le relationnel

2.2.1. «Culture» et «œuvres culturelles»: relier par le sens

34. Pour comprendre ce que «participer à la vie culturelle» signifie, il faut s’entendre sur ce qu’est la «culture». Au sens strict, la culture désigne le domaine d’activités relatif aux œuvres artistiques (peintures, sculptures, arts visuels), aux spectacles vivants (théâtre, musique), aux lettres, aux œuvres cinématographiques patrimoniales et contemporaines, mais la culture fait aussi référence aux coutumes et modes de vie de communautés particulières. Ces deux acceptions s'imbriquent au sein des sociétés.
35. La culture est donc ce que l'homme dans le temps et dans l'espace ajoute à la nature, ce qui implique que:
  • les cultures ne sont pas des entités au-delà des personnes 
			(9) 
			On «personnalise» les
cultures au point de parler de «dialogue des cultures», mais seules
les personnes peuvent dialoguer. Par ailleurs, seuls existent des
milieux culturels composites (comme le sont les milieux écologiques),
plus ou moins riches d’œuvres culturelles auxquelles les personnes
peuvent, ou non, faire référence. Les «cultures», comprises comme
totalités homogènes, sont des leurres sociaux dangereux, sources
de discriminations, de conflits et de pauvreté., et ce sont les personnes en mouvement qu’il faut considérer au sein de milieux culturels vivants, à formes mixtes et évolutives;
  • ce sont la dignité et l’intimité de chaque être humain dans sa liberté d'expression, sa liberté de développer son identité, qui s'expriment à travers les constructions culturelles;
  • ce sont les œuvres porteuses «d’identités, de valeurs et de sens» 
			(10) 
			A
cet égard, dans le préambule de la Convention sur la protection
et la promotion de la diversité des expressions culturelles, la
Conférence générale de l’Unesco culture se dit «convaincue que les
activités, biens et services culturels ont une double nature, économique
et culturelle, parce qu’ils sont porteurs d’identités, de valeurs
et de sens» (18e considérant). qui contribuent à la communication entre les hommes;
  • le culturel est ce qui donne du sens au tissu social et politique du moment, mais aussi ce qui situe l'homme dans le monde;
  • enfin, l'art et la culture ont leur propre finalité en soi, leur propre pérennité: la promotion de la vie de l'esprit, de la sensibilité et d'une imagination tournée vers la recherche de sens et de beauté, eux-mêmes variables selon le temps et l'espace.

2.2.2. «Participer»: l’accès à la culture et la contribution à la vie culturelle

36. Participer à la vie culturelle implique l'exercice, sous une forme librement choisie, de toutes les libertés fondamentales reconnues aux citoyens dans une société démocratique. Le droit de participer à la vie culturelle est un dénominateur commun qui recouvre toutes les activités culturelles qui concourent à la construction des civilisations humaines et du sens qu'elles entendent attribuer à la place de l'homme dans son histoire universelle. L'on ne saurait limiter les droits culturels à une finalité sociale. La culture a une fin en soi, une pérennité, expression de la liberté créatrice de la condition humaine.
37. Ainsi, le droit de «participer» à la vie culturelle est un droit complexe, comprenant plusieurs composantes interdépendantes. Pour les besoins du rapport, on distinguera principalement deux aspects: l’accès à la culture et la contribution à la vie culturelle. On notera que ces deux composantes principales ne correspondent pas à des phases chronologiquement différentes, mais qu’elles s’imbriquent, la première étant susceptible de faire naître la seconde.
38. Le droit d’accès à la culture est, au fond, le droit de se réaliser pleinement et librement, de structurer une identité culturelle que l'on peut partager avec les autres. Cette première composante recouvre la liberté de chaque personne de rechercher, choisir et développer une identité culturelle propre, de s'ouvrir et/ou de se confronter (dans un sens constructif et non conflictuel) avec d’autres identités culturelles. Il s’agit donc du droit d’entrer en contact avec, de faire l'expérience de, de comprendre et d'assimiler divers éléments, d'en retirer des plaisirs qui permettront de façonner sa propre identité culturelle.
39. Cette identité se construit dans la diversité culturelle, sans laquelle il n'y a pas de liberté car pas de choix. Seuls les Etats de droit démocratiques et libéraux peuvent promouvoir cette liberté. L'accès à cette diversité permet en particulier d'avoir connaissance de la culture des autres. En cela le droit d'accès à la culture participe de manière fructueuse au dialogue interculturel, et favorise la compréhension entre les peuples, tout en enrichissant la propre participation de chacun grâce au partage des pratiques.
40. Le droit de contribuer à la vie culturelle est le droit d'agir, comme amateur ou professionnel, en tant que sujet créatif et agent du développement culturel. Cette deuxième composante (souvent négligée dans la réflexion sur la démocratisation culturelle) recouvre, tout d’abord, le droit de chacun de participer à la création des expressions sensibles et esthétiques, spirituelles, matérielles, intellectuelles de la communauté. Il s’agit ici de reconnaître et rendre effectif le droit, comme amateur ou professionnel, d’exercer ses propres pratiques culturelles, de partager son acquis culturel avec les autres, et d'enrichir sa propre réflexion créative de celle des autres.
41. Le droit de contribuer à la vie culturelle inclut aussi le droit de prendre part à l’élaboration et à la mise en œuvre de politiques qui influent sur l’exercice des droits culturels de tous 
			(11) 
			Voir à cet égard la
Déclaration universelle de l’UNESCO sur la diversité culturelle,
article 5. Voir aussi la Déclaration de Fribourg sur les droits
culturels, article 7..
42. L’acquisition des divers savoirs qui rendent possibles un égal accès et une contribution à la vie culturelle passe par l'éducation en milieu scolaire car «il n'y pas d'autre lieu que l'école pour organiser la rencontre de tous avec l'art. Il n'y a pas d'autre lieu que l'école pour instaurer de manière précoce le contact avec les œuvres. Il n'y a pas d'autre lieu que l'école pour réduire les inégalités d'accès à l'art et à la culture» (Jack Lang, 2000). Cela permet qu'adulte, l'on puisse jouir des formes d'expressions constitutives des patrimoines passé et présent, et préparer leur avenir.
43. Enfin, il est important de souligner qu’en ce qui concerne l’enfant et l’adolescent, la réalisation du droit de participer à la vie culturelle est une condition nécessaire afin qu’ils puissent jouer dans la société un rôle fondamental: celui de médiateurs culturels entre les groupes sociaux et culturels. Les plus jeunes peuvent passer d’une compréhension, d’une construction culturelle à une autre plus facilement que les adultes. Cependant, s’ils n’ont pas un ancrage assez solide dans leurs références culturelles premières, ils peuvent être manipulés et adopter des attitudes discriminatoires, voire brutales.

2.2.3. «Vie culturelle»: un processus dynamique et interactif

44. Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies, dans son Observation générale no 21 de novembre 2009, indique que «l’expression “vie culturelle” est une référence explicite à la culture en tant que processus vivant, qui est historique, dynamique et évolutif et qui a un passé, un présent et un futur» (paragraphe 11).
45. Il poursuit en précisant que «la notion de culture ne doit pas être considérée comme une série de manifestations isolées ou de compartiments hermétiques, mais comme un processus interactif par lequel les personnes et les communautés, tout en préservant leurs spécificités individuelles et leurs différences, expriment la culture de l’humanité» (paragraphe 12). 
46. En d’autres termes, la vie culturelle ne peut se réduire à un rapport abstrait entre un individu et les éléments culturels dont il fait l’expérience, un rapport relevant simplement du domaine de la connaissance et où l’individu resterait solitaire; la notion de vie culturelle renvoie aussi aux rapports, passés et actuels, entre personnes et à une dynamique d’interactions qui perdure tout au long de la vie, même si l'aventure artistique suit parfois un chemin apparemment solitaire.
47. La vie culturelle peut aussi désigner une expérience de partage des savoirs et des œuvres. «Une personne n’existe pas socialement tant qu’elle n’est pas reconnue comme participant à cette vie qui est l’espace de la communication sociale. Une reconnaissance particulière de la dignité de chacun est attachée à la confiance qui lui est reconnue dans sa capacité d’apprendre, de transmettre et de créer. Participer à la vie culturelle implique, pour les personnes comme pour les communautés, une expérience de réciprocité.» 
			(12) 
			P. Meyer-Bisch et M.
Bidault, Déclarer les droits culturels.
Commentaire de la Déclaration de Fribourg, Zurich, 2010, Schulthess,
Bruylant, p. 64, paragraphe 5.3. Ainsi, la vie culturelle touche la personne humaine au cœur de sa dignité et de ses capacités relationnelles.
48. Enfin, la vie culturelle comme processus interactif ne peut être confinée dans des lieux qui y sont dévolus spécifiquement. La culture est partout où il y a pensée et action humaines, que ce soit dans les espaces publics, dans les institutions culturelles, en extérieur ou chez soi grâce à internet. A cet égard, la révolution technologique ouvre de nouvelles perspectives en matière d'accès à la culture en abolissant les frontières géographiques et temporelles; elle permet aussi d'autres modes de création et de consommation culturelles. L'émergence de talents sur internet renouvelle la vitalité de la vie artistique et culturelle en y associant publics, artistes, informaticiens et entrepreneurs.

3. Le droit de participer à la vie culturelle et les jeunes

3.1. Etat des lieux: les obstacles à la participation et les mesures visant à la promouvoir

3.1.1. Facteurs qui limitent la participation, notamment des jeunes, à la vie culturelle

49. Les jeunes constituent, comme les autres personnes, une catégorie non homogène – socialement, économiquement, psychologiquement, culturellement –, mais le manque d'autonomie financière, la plus ou moins grande dépendance vis-à-vis de l'autorité parentale et la faible connaissance des acquis culturels les rendent à la fois pareillement vulnérables – face aux inégalités et aux influences néfastes – et ouverts à toutes les offres sans les a priori des générations précédentes. Les politiques en faveur de leur participation à la vie culturelle doivent tenir compte de ces différents paramètres en plus de ceux qui concernent toutes les générations. La baisse des coûts d'accès aux pratiques artistiques et culturelles, les efforts pour développer ces activités à proximité des lieux de vie (ruraux ou citadins), les facilités de déplacement proposées pour rejoindre les ressources culturelles éloignées, une information sur les différentes offres, notamment en utilisant internet et les réseaux sociaux, doivent contribuer à diminuer les inégalités de fait que subissent trop souvent encore les jeunes.
50. Certaines réponses au questionnaire font explicitement état de ces facteurs. Ainsi, dans la réponse de la Finlande, on indique que, selon le «Baromètre de la jeunesse 2009» 
			(13) 
			Le «Baromètre de la
jeunesse» est une enquête annuelle qui, depuis 1994, suit les évolutions
dans les attitudes et les valeurs de la jeunesse en Finlande. L’enquête
est financée par le ministère de l’Education et de la Culture et
est menée par la Société finlandaise de recherche sur la jeunesse., pour un quart des jeunes le coût constitue un obstacle majeur; selon la même enquête, lorsqu’il s’agit de l’encouragement à la participation à la vie culturelle, le rôle de la famille et des amis est crucial, le rôle de ceux travaillant avec les jeunes et de ceux qui supervisent les activités artistiques ayant moins d'influence.
51. Sans doute, on peut faire un constat similaire partout en Europe: pour tous, le milieu social d’appartenance conditionne lourdement tant la possibilité d’avoir accès à une vaste gamme de services culturels que celle de pouvoir se lancer dans une activité créative. Pour les jeunes en particulier, quand leur environnement familial se préoccupe avant tout d’assurer la survie matérielle, la culture passe au second plan. Seules des politiques publiques de soutien dynamiques peuvent surmonter ces obstacles 
			(14) 
			Par exemple, en France,
la gratuité instaurée pour les jeunes de moins de 26 ans dans les
musées et monuments nationaux, la gratuité dans les musées municipaux
de Nice ou les gratuités ciblées pour les spectacles vivants. Des mesures
similaires sont fréquentes dans d’autres pays: entrée gratuite aux
musées et galeries pour les jeunes en Bosnie-Herzégovine; au Danemark,
la gratuité pour les jeunes jusqu’à 18 ans dans tous les musées
de l’Etat ou qui reçoivent un financement étatique; en Bulgarie,
les gratuités ciblées pour des expositions muséales, des concerts,
des spectacles de théâtre; le «Carnet Culture Jeunes» offert par
la ville de Luxembourg aux jeunes entre 12 et 25 ans, qui contient
des bons pouvant être échangés contre des billets d’entrée dans
les institutions culturelles de la ville; les bons culturels financés
par le ministère de la Culture de la République slovaque; la politique
de prix réduits pour les jeunes pratiquée par le ministère de la
Culture de la Moldova. On peut également rappeler qu’au niveau européen,
plus de 4 millions de détenteurs de la Carte européenne de la jeunesse
bénéficient des avantages liés à cette carte, y compris la gratuité
d’accès ou des prix d’accès réduits dans de nombreuses institutions
culturelles dans 37 pays..
52. A cela s'ajoutent les clivages géographiques et notamment la concentration de l’offre de certaines formes de culture dans les grandes villes et dans les zones d’intérêt touristique. Par exemple, la réponse de la Lettonie mentionne non seulement un taux d’accès dangereusement bas pour les familles à faible revenu, mais aussi la diversité d’opportunités offertes à la jeunesse qui réside dans la capitale, Riga, et un taux significativement inférieur de participation de la jeunesse aux activités culturelles dans d’autres régions.
53. Le problème de l’inégalité des chances entre les femmes et les hommes dans la participation à la vie culturelle peut se poser dans certains pays, dans certains milieux socio-économiques. Même si des progrès significatifs ont été accomplis, le poids des traditions, les inégalités de traitement à responsabilité égale entre hommes et femmes pèsent encore parfois sur leur disponibilité à s'offrir le plaisir d'une activité ludique culturelle, le seul vecteur d'accès à la culture pour ces femmes étant bien souvent la télévision.
54. Enfin, malgré les efforts accomplis pour garantir aux personnes handicapées la jouissance des biens et des services culturels, les discriminations dans ce domaine sont toujours présentes, surtout lorsqu’il s’agit de la possibilité d’aller au-delà du rôle de spectateur pour s’épanouir en tant que créateur d’art. Sur ce plan, les technologies de l'information et de la communication offrent de nombreuses opportunités (accès dématérialisé, audiodescription, réalité augmentée, etc.) pour rendre accessibles les biens et services culturels aux personnes ayant un handicap.
55. D'autres facteurs peuvent restreindre l'accès à la culture, comme l'isolement hospitalier ou la détention en prison. A l'hôpital, les initiatives originales 
			(15) 
			Par
exemple, les rencontres européennes de la culture à l'hôpital dès
2001 à Strasbourg et, pour internet, l'espace Gong, espace-forum
consacré à l’art, aux lettres et aux sciences humaines à l’hôpital,
www.forum-gong.eu/. se multiplient, des médiateurs culturels professionnels coordonnent des activités culturelles et artistiques que pratiquent ensemble patients, personnels de santé et administratifs. Ces activités modifient profondément l'atmosphère de l'hôpital, qui apparaît comme un lieu de vie ouvert sur l'humain. L'installation d'œuvres d'art dans les espaces hospitaliers déclenche des processus spirituels, émotionnels, esthétiques chez ceux qui vivent à l'hôpital et les contemplent. L'art à l'hôpital améliore le bien-être des patients et la réussite des thérapies suivies. En milieu carcéral, les expositions d'œuvres de détenus, les soirées de spectacles vivants humanisent ces lieux d'enfermement et maintiennent un lien avec la société, ce qui facilite leur réinsertion à l'issue de leur peine.
56. L’analyse stratégique du rapport s'attache à recenser les dysfonctionnements transversaux susceptibles de toucher tous les jeunes, et a fortiori celles et ceux qui sont discriminés. En voici quelques-uns.
57. Le manque de temps. Il est intéressant de noter qu’un tiers des jeunes Finlandais dénoncent le manque de temps comme un facteur qui limite la possibilité de se consacrer à des activités culturelles susceptibles de les attirer. Cela oblige à réfléchir sur les tensions que les jeunes ressentent entre participation aux activités artistiques et créatives et, par exemple, temps d’études et de formation professionnelle, temps de travail, temps pour la famille et les amis, ou encore temps pour le sport et le loisir.
58. L’inadéquation de l’offre. A cet égard, il semble que la fracture soit davantage culturelle que sociale. Des politiques tarifaires spécifiques pour les jeunes sont certes utiles mais ne sont pas suffisantes pour influencer, à elles seules, les pratiques culturelles des 15-25 ans. Certains animateurs culturels parlent d’«intimidation sociale et culturelle», évoquant le fait que les jeunes ne se sentent pas forcément concernés par l’offre culturelle proposée, qu’ils perçoivent cette offre comme éloignée de leur manière de se voir et de vivre leur vie. Ici, la difficulté est celle de susciter chez les jeunes l’envie de se nourrir d’activités qui ne sont pas faciles à appréhender car éloignées de leur expérience, tout en leur offrant la possibilité de participer à la vie culturelle à leur façon, en créant de ponts culturels entre les formes de cultures auxquelles les jeunes accèdent plus facilement et les autres. Il ne s’agit pas de forcer les jeunes à rentrer dans un système culturel donné, mais simplement de leur offrir les clés de compréhension qui peuvent leur permettre de se réapproprier, s’ils le souhaitent, certaines formes culturelles dont ils ont tendance à s’écarter, et de bâtir leur identité culturelle sur ces piliers. Partir du présent pour remonter aux pratiques et esthétiques du passé fait partie des méthodes qui ont fait leurs preuves.
59. Une médiation inadaptée. Pour ressentir le désir d’approcher une quelconque œuvre culturelle, la personne doit être capable de la lire, de la décrypter pour être en mesure de l’apprécier; elle doit être mise en confiance et prendre conscience que l’activité lui est accessible et peut être féconde pour elle. L’échec de la démocratisation culturelle peut s’expliquer aussi par les carences du travail de médiation et d’interaction. Les stratégies mises en place, souvent trop théoriques avec une pédagogie défaillante, ne parviennent pas à susciter plus de désir chez les jeunes. La présence d'artistes, avec leur expérience vivante, facilite le désir d'apprentissage artistique, en particulier chez les jeunes.
60. Les cloisonnements entre les différentes formes de culture. Que ce soit entre les arts et les artistes tels qu’ils se présentent à leurs publics, ou dans la définition des politiques de promotion culturelle, ou dans l’articulation de l’éducation culturelle et dans la perception que chacun finalement développe en son for intérieur, les cloisonnements isolent les acteurs culturels et les publics et les enferment dans d'étroits domaines culturels. Qu'elle soit élitiste, populaire, patrimoniale ou contemporaine, toute culture vivante est multimodale et doit accepter la confrontation et la critique mutuelle sans préjugés de forme ou de fond. Les cloisonnements sont particulièrement sensibles dans les conservatoires et les écoles d’art, où l'esprit perfectionniste qui règne dans chaque discipline limite les échanges entre disciplines et décourage les futurs amateurs pour ne s'intéresser qu'aux futurs professionnels potentiels.
61. Les influences d'internet sur les comportements culturels. L’impact de la révolution numérique sur les pratiques culturelles des jeunes se caractérise d'une façon générale par une préférence pour la culture anglo-saxonne, qui découle sans doute de la suprématie des acteurs américains (iTunes, Universal, Warner, etc.). Mais contrairement à ce que l'on pourrait croire, le monde numérique n'est pas en rivalité avec le monde physique: les accès à la culture par internet incitent les jeunes à aller aux spectacles d'artistes découverts sur la toile, tout comme ils peuvent susciter la curiosité d'aller voir en vrai les œuvres plastiques présentées sur le Net, pour échanger autrement qu'à travers un écran. L'on peut simplement constater que la lecture de journaux et des livres papier a diminué, mais les programmes de télévision sont également responsables de cette baisse. Il convient de noter chez les 15-25 ans l’importance de pratiques beaucoup plus individualisées qui relient les personnes à de nouvelles communautés (plutôt virtuelles). Ainsi apparaît une véritable culture de l’écran (on se cultive chez soi en téléchargeant musiques, films, en regardant des expositions, spectacles, via le Net, etc.). Malheureusement internet concerne prioritairement les jeunes diplômés, groupe qui est déjà le plus investi dans le domaine culturel, ce qui limite son efficacité – pourtant réelle – en terme de démocratisation culturelle.
62. Le manque de lieux de création. Les espaces de création ne manquent pas en général, mais il faut être une troupe déjà reconnue, voire professionnelle, pour obtenir l’autorisation de les utiliser. Il est nécessaire de proposer des espaces de création, de tailles variables, répartis dans des lieux différents, sans objectif prédéfini, permettant aux groupes de répéter librement et de monter eux-mêmes leurs projets.

3.1.2. Exemples d’initiatives dans le domaine de la participation, notamment des jeunes, à la vie culturelle

63. Dans les réponses au questionnaire, l’aspect qui revient le plus fréquemment est celui de l’interconnexion entre école et accès à la culture. La plupart des réponses font état d’actions qui lient le monde du spectacle et de la création artistique avec le monde de l’école. Celle-ci est non seulement un lieu privilégié d’apprentissage des notions culturelles et de découverte de diverses pratiques artistiques de la part des élèves, mais aussi un lieu où les créateurs (y compris les jeunes créateurs) et les jeunes publics peuvent entrer en contact et interagir.
64. Par exemple, en Suède, dans le cadre de l’Initiative des écoles créatives, l’évaluation des plans d’action présentés par les écoles tient compte des modèles de coopération à long terme entre les écoles et le secteur culturel que ces plans comportent. Au Danemark, le projet «Interface» a pour objectif de développer le partenariat entre les écoles secondaires et les musées locaux; par ailleurs, un système spécifique finance le rattachement d’artistes professionnels aux institutions scolaires pour des périodes plus ou moins longues, les projets devant mettre en valeur le partenariat entre écoles et artistes locaux. En Allemagne, l’éducation culturelle est considérée comme un outil essentiel pour la promotion de la participation des jeunes à la vie culturelle; une enquête devrait être lancée pour étudier les accords de coopération entre institutions culturelles et écoles.
65. Presque de manière symétrique à la mission culturelle de l’école, diverses réponses soulignent la mission éducative des institutions culturelles. On peut citer à cet égard les programmes éducatifs de la Galerie nationale slovaque et du musée de la Republika Srpska, qui ont créé un service de l’éducation au sein de leurs administrations; le projet éducatif permanent «Equipo» du musée national Centro de Arte Reina Sofía, en Espagne; la mission éducative du musée des Arts contemporains du Grand-Hornu et, plus généralement, l’organisation de services pédagogiques dans les musées en Belgique, ou le Plan national d’éducation pour les musées au Danemark, qui met un accent particulier sur le développement de leur rôle éducationnel.
66. Plusieurs réponses insistent sur la fonction sociale de la culture et mentionnent des projets visant des catégories de personnes vulnérables et celles qui rencontrent des difficultés particulières lorsqu’il s’agit de la participation à la vie culturelle 
			(16) 
			Par exemple, les initiatives
concernant les non-voyants et les malvoyants en République slovaque
et le programme de subventions mis en place en République tchèque
pour améliorer l’accès des personnes handicapés aux services culturels.. Quelques projets méritent d’être cités pour leur approche: il s’agit là d’exemples d’activités qui conjuguent culture, intégration multiple et citoyenneté, et qui valorisent de nouveaux modes de participation (liens entre vie culturelle, vie sociale et vie politique apaisée):
  • le programme «Jeunesse en action» en Bulgarie, le programme «Nous et les autres» en Serbie et les projets concernant l’accès à la culture et le renforcement des droits culturels des Roms en République slovaque valorisent la diversité culturelle et le dialogue interculturel;
  • au Danemark, le Musée national a développé un projet spécifiquement dédié aux femmes entre 15 et 30 ans, qui utilise la technologie digitale et un profil virtuel sur Facebook;
  • en Belgique, des conventions sont conclues avec des associations qui développent des projets axés sur la réduction des inégalités d’accès à la culture et un travail socioculturel avec les jeunes défavorisés en milieu rural ou urbain ou avec les jeunes issus de l’immigration 
			(17) 
			Le
rapport de l’expert consultant mentionne aussi le travail de l’association
belge Culture et démocratie, notamment de son groupe de travail
sur la culture et la créativité dans la formation des travailleurs
sociaux..
67. Outre l’organisation de foires ou festivals internationaux, nombre de projets insistent sur l’ouverture à l’international: en Bosnie-Herzégovine, le talent campus de Sarajevo (lié au Festival du film de Sarajevo) favorise les rencontres entre jeunes réalisateurs de divers pays et le développement des projets collaboratifs; le ministère de la Culture croate finance la participation de jeunes artistes aux compétitions ou événements internationaux; le programme «Mobilité» du Fonds culturel national bulgare soutient les expositions à l’étranger des jeunes artistes; en Allemagne, on finance des projets d’échanges transfrontaliers d’expertise et de savoirs dans le domaine de l’éducation culturelle; et en Suisse, un soutien financier est accordé à des associations qui offrent des échanges internationaux interculturels en matière de jeunesse. D’autres actions encore mettent l’accent sur la collaboration et les échanges interdisciplinaires et/ou intergénérationnels: par exemple, en Pologne, le programme «Education culturelle» du ministère de la Culture et du Patrimoine national favorise les projets d’éducation culturelle qui adoptent diverses formes artistiques et qui sont fondés sur la collaboration de personnes qui appartiennent à différents groupes d’âge.
68. L’utilisation des nouvelles technologies est aussi mentionnée. Au Danemark, l’Agence du patrimoine et le ministère de l’Education collaborent pour une plateforme digitale concernant les ressources éducationnelles des musées danois. Au Portugal, le programme «Jeunes créateurs» a permis de récompenser le travail d’artistes émergents, entre autres dans le domaine de l’art digital. Un projet intéressant, en Pologne, l’«Académie Orange», est financé par l’opérateur de téléphonie mobile et soutient, entre autres, des projets de création de musique par ordinateur, la création de jeux éducatifs interactifs et de cartes régionales interactives.
69. Du point de vue méthodologique, un aspect que les réponses au questionnaire mettent souvent en lumière est l’importance de la coopération et de la recherche de synergies entre les institutions (éducatives et culturelles, publiques et privées, aux divers échelons de gouvernement) tant dans la phase de programmation et conception que dans la phase de réalisation des projets. La mise en réseau des divers acteurs est indispensable pour faciliter le partage des connaissances et de l’expérience acquise.
70. Certaines réponses rappellent l’importance d’associer les élèves à la conception et/ou à l’évaluation des projets. Par exemple, en Belgique, les dossiers pour l’attribution des bourses dans le cadre du programme «Soutien aux projets jeunes» sont examinés par un comité composé de représentants du secteur de la jeunesse. Au Danemark, le Réseau pour les enfants et la culture a un rôle consultatif auprès du ministère de la Culture et lui a soumis un rapport sur la culture de la jeunesse dans un nouveau contexte. Au Portugal, la gestion du Programme jeunes créateurs a été confiée à l’Institut portugais de la jeunesse.
71. Un constat: l’évaluation des projets n’est pas systématique et tant les outils que la méthodologie d’évaluation ne sont que rarement des éléments constitutifs des projets eux-mêmes. C’est peut-être un aspect qu’il faudrait développer, aussi pour favoriser les échanges d’expérience tant au niveau national qu’européen.

3.2. Vers une nouvelle stratégie de mise en œuvre du droit des jeunes de participer à la vie culturelle

3.2.1. L’approche: valorisation mutuelle et synergies

72. Le besoin des plaisirs de l'esprit, du regard, de l'ouïe, le besoin de créer en imaginant des univers inexplorés sont des besoins fondamentaux pour l'homme. Mais tout jeune n'a pas eu l'opportunité de les satisfaire, car ils peuvent être détournés ou asphyxiés par de multiples facteurs discriminants, par la consommation de masse nivelante, par une offre inadaptée, par le manque de lieux d'échange et de création. Tous ces facteurs révèlent les sérieuses difficultés que rencontre le politique quand il s'efforce de développer des actions capables d’avoir un impact durable sur la participation à la vie culturelle.
73. La première condition d’une action efficace est de reconnaître le problème et sa gravité, souvent non perçus et donc négligés; la violation des droits culturels prive ceux qui la subissent du sens de leur existence:
  • ces personnes sont privées d'une partie d'elles-mêmes, de liens avec leur histoire, leurs origines et leurs milieux sociaux respectifs; elles sont privées de la possibilité de découvrir la beauté là où elle se trouve et donc d’une ressource essentielle de libération et d’épanouissement: l’admiration;
  • elles ne sont plus en capacité de participer aux œuvres des communautés qui les entourent, de participer à la fabrication des repères identitaires; leurs actions perdent leur sens, de liberté et d’avenir, et se cantonnent dans l'immédiate nécessité du règne animal. La fierté de créer et de donner, le plaisir de recevoir, qui sont le propre de l'homme, ne font alors pas partie de leur quotidien.
74. La violation des droits culturels menace par ailleurs la pérennité de la diversité culturelle et l'avenir du patrimoine de demain, sans lesquels les hommes seraient orphelins, privés de parenté et de paternité.
75. En somme, sans participation à la vie culturelle, on est dépossédé de son passé et de son présent, et on reste sans ambition d'avenir. En revanche, l’excellence culturelle est facteur d’excellence de vie avec des projections dans le futur en prolongement ou en réaction avec le passé, afin de tisser l'histoire continue des hommes dans le temps et l'espace.
76. La participation à la vie culturelle est aussi une responsabilité. C’est aux jeunes de décider quelles sont les références (contenus et formes) qu’ils jugent nécessaires pour structurer leur identité et leur tissu relationnel, et celles qu'ils souhaitent promouvoir pour enrichir leur patrimoine artistique et culturel. Ils ont besoin pour cela de s’appuyer sur des personnes et des institutions d’enseignement et de communication qui leur donnent accès à des œuvres, avec les clés de lecture permettant de les interpréter et de les apprécier ou de les contester.
77. La promotion de la culture concerne autant la diversité que la qualité des choix: la diversité permet la liberté de choix, la qualité des références permet la liberté d’être et de s’épanouir à travers une discipline culturelle maîtrisée. Toutefois, l’action politique ne peut se construire sur la base d’un nombre indéterminé d’options et de variables, car cela la condamne à rester superficielle et inefficace. Les réponses au questionnaire montrent beaucoup d’initiatives extrêmement bénéfiques et qui méritent d’être mieux connues et partagées. Mais cette profusion ne semble pas toujours s’appuyer sur une stratégie politique lisible et cohérente dans le temps et l’espace.
78. Parmi les mille et une activités culturelles, ce sont celles permettant une rencontre à la fois entre des domaines culturels différents et des personnes venant de milieux et de classes d’âge différents qui réussissent à jouer un rôle important et à être soutenues prioritairement dans les politiques publiques. A la base de toute stratégie, il faut viser la meilleure synergie entre les domaines du culturel, favoriser la valorisation mutuelle des ressources et la richesse des connexions, l’interaction des personnes et des savoirs, sans jamais perdre de vue l'exigence de qualité, marque de respect que l'on doit à celles et ceux qui ont accès à la culture ou qui la pratiquent comme amateurs ou professionnels.

3.2.2. Les interactions ou les principes de connexions

79. Quatre interactions ou principes de connexions devraient donc servir de critères essentiels dans les choix politiques. Ces critères ont pour objectif de viser une plus grande valorisation mutuelle et donc une meilleure reconnaissance des ressources existantes, une meilleure productivité des investissements, en termes tant économiques, culturels, sociaux que politiques.
80. L’interartistique et interculturel. Chaque discipline artistique permet d’exprimer et de réaliser une dimension susceptible de révéler un aspect valorisant de chacun d'entre nous. Lorsqu'elle interagit avec d'autres expressions artistiques, elle renforce la palette de communication entre la personne et les expressions artistiques – et chaque art est valorisé par les autres, la visibilité et l'attractivité de chacune étant accrues par l’interaction avec les autres. En outre, cette interaction favorise la rencontre de publics différents et entre acteurs et publics, puisque le public est davantage sollicité par la multiplicité des offres artistiques favorisant ses capacités de lien social. Le théâtre, rencontre entre l’écriture et les arts de la scène (danse, musique, chant, parole et gestuelle, costumes, décors) en est l’exemple classique 
			(18) 
			Par exemple, le Théâtre
du Grabuge à Lyon et sa création Ne pas
pleurer, ne pas me taire. Grâce aux ateliers réalisés
en amont avec les habitants, le personnage d’Antigone peut être
compris par tous. En particulier, les femmes peuvent mettre en relation
leur expérience avec ce que le personnage d’Antigone a vécu et sont
ainsi plus à même d’écouter le texte.. Parmi d’autres formes hybrides d’arts pluridisciplinaires, on citera le cirque contemporain (qui inclut aussi théâtre, danse, musique, etc.) ou les spectacles de sons et lumières, qui valorisent aussi des cadres naturels et/ou monumentaux, ou encore les performances de plasticiens en lien avec des vidéastes, des artistes de la lumière et du son 
			(19) 
			Par
exemple, l’Ososphère à Strasbourg. . Ces interactions favorisent l’intégration sociale, mais il ne s’agit pas de fabriquer des programmes pour des publics considérés comme «marginaux». Les arts ont une fin en soi et n'ont pas vocation à devenir une thérapie sociale: on n'initie pas aux arts pour fabriquer de bons citoyens. Loin de cette instrumentalisation de l'art, il s'agit d’inviter et d’attirer ces publics à des activités générales de rencontre, et de révéler la proximité entre des personnes qui croyaient n'avoir rien en commun.
81. L’interlieux. Si des activités destinées à des publics choisis restent importantes pour développer les disciplines particulières, il est nécessaire de favoriser les lieux de rencontre mixtes qui valorisent à la fois les capacités d’un territoire urbain ou rural et la diversité des publics invités à l’habiter pour le temps d’une fête ou d’un festival, ou dans la longue durée (lieux polyvalents, tels que places, rues ou bâtiments). Il s’agit de veiller à la sauvegarde et à l’enrichissement de véritables «écosystèmes» culturels. La réhabilitation des anciennes friches industrielles en lieux d'expositions, de performances artistiques, en est une illustration très réussie. La valorisation culturelle des territoires n’est pas seulement culturelle, mais aussi sociale et économique, grâce aux liens entre créateurs, publics et les divers métiers qui participent à l’activité 
			(20) 
			Concernant l’approche
qui consiste à privilégier le local et vise la valorisation culturelle,
sociale et économique des territoires par les liens entre créateurs,
publics et les divers métiers qui participent aux activités artistiques,
voir les propositions contenues dans l’Agenda 21 de la culture,
adopté à Barcelone le 8 mai 2004. . Enfin, lorsqu’on pense aux «lieux», il ne faut pas oublier de prendre en compte l'espace dématérialisé d'accès à la culture que le réseau internet permet (et qui est par essence interlieux), ainsi que l’art numérique et les «artistes net» qui s’expriment dans le monde numérique.
82. L’intertemporel. La culture n’est jamais statique, elle est en devenir. L’intertemporel renvoie à la capitalisation de la culture dans le temps et à la transmission entre les générations. Il s’agit ici principalement du rôle de l'éducation artistique en milieu scolaire et universitaire, des conservatoires et des écoles artistiques, des musées et aussi des moyens que permettent les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC). L’intertemporel doit permettre de puiser dans l’histoire, voire dans l’archéologie, les sources et les exemples des volontés de vivre ensemble 
			(21) 
			On peut citer comme
exemple, à cet égard, l’initiative «Archéologie et citoyenneté»
de la mairie de Saint-Denis en France, qui a été présentée durant
l’audition du 3 novembre 2010. ,mais aussi de se projeter dans l'avenir imaginatif des arts prospectifs.
83. L’interinstitutionnel. Il s’agit de réaliser la meilleure synergie entre les institutions au service des droits, libertés et responsabilités culturelles de chacun. Au cœur de la mission de chaque institution qui contribue à la formation, à l’activité et à la communication artistiques (école, école d’art, université, conservatoire, autorité publique, association culturelle, entreprise culturelle, média…) devrait se trouver l’obligation d’interaction en vue de tisser des liens entre éducation et culture, entre science et culture, entre économie et culture. Dans cette optique, il est nécessaire de développer cohérence et synergies:
  • entre les politiques dans les domaines de l’éducation (y compris l’éducation artistique), de la sauvegarde et gestion du patrimoine culturel (local et national, matériel et immatériel), de la jeunesse, de l’aide social;
  • entre les projets et initiatives des autorités aux divers échelons (local, régional, national et international);
  • entre les projets et initiatives des institutions éducatives et culturelles, publiques et privées;
  • entre l’action de ces institutions et celle d’autres partenaires, en particulier les médias, les mécènes, les sponsors et le monde associatif, notamment les associations de jeunes.
84. Plus les activités s’inspirent de ces quatre critères, plus elles sont créatrices de richesses personnelles culturelles et sociales. Ce sont elles qui ont le meilleur «effet de levier» sur le développement intégrant les différentes dimensions, personnelles et sociales, y compris économiques.
85. Les spectacles vivants sont sans doute les mieux à même de réaliser simultanément ces critères. Ils permettent de valoriser une correspondance entre les arts concernés, entre les artistes et les publics, entre les lieux, entre les temporalités et entre les institutions, y compris par-delà les frontières. Ici, on pense non pas à la troupe qui gère sa tournée pour un public averti, mais à celle qui invente des lieux-frontières à la rencontre de nouveaux publics (rue, écoles, instituts de formation, entreprises, musée…) en faisant ressortir les pans de mémoire oubliée 
			(22) 
			Par exemple, la compagnie
de théâtre de rue française KompleXKarphanaüM (constituée en 1995),
avec ses fresques documentaires se déroulant sur les trottoirs ou
les murs des villes, mêlant son, interventions plastiques, dramaturgie
et vidéo. Entre la fiction et le réel, le collectif abolit les frontières
entre spectateur et acteur. L'espace public devient espace de représentation,
dans des interventions urbaines qui jettent un regard neuf sur les
lieux du quotidien. En 2000, KompleXKapharnaüM a prolongé ses ateliers
d'expérimentation en proposant aux habitants d'un quartier de réaliser
des courts métrages pour ensuite projeter le résultat en grand format
sur les façades. Le concept, «SquarE, télévision locale de rue»,
a touché 25 villes européennes. Ce projet se poursuit sur internet,
via SquarENet. S'élabore encore une création autour de la mémoire,
qui consiste à faire revivre, le temps du spectacle, un quartier
abandonné, grâce à un solide travail documentaire visant à retrouver
des témoins, des souvenirs, des archives. 
			(22) 
			<a href='http://www.evene.fr/celebre/biographie/komplexkapharnaum-42925.php'>www.evene.fr/celebre/biographie/komplexkapharnaum-42925.php</a>..
86. Il est enfin utile de préciser que la dimension internationale enrichit simultanément les dynamiques d’interconnexion en mettant en relation des expériences acquises dans des pays différents, en ouvrant vers d’autres horizons, mais aussi en encourageant la découverte de ce que nous avons en commun dans la diversité culturelle. La construction européenne bénéficiera pleinement de ces interconnexions culturelles entre pays.

4. Conclusions

87. Le droit de chacun de participer à la vie culturelle résume l'ensemble des droits culturels, dont le respect et l'égale répartition entre les hommes et les territoires offrent à chaque personne:
  • l'opportunité d'une rencontre avec des cultures et des arts divers;
  • la possibilité de choisir la nature des relations qu'elle souhaite entretenir avec l'univers artistique et culturel (épisodiques ou permanentes, amateurs ou professionnelles);
  • la garantie de pouvoir exercer de manière libre et responsable ses autres droits.
88. En effet, le respect du droit de chacun de participer à la vie culturelle rejoint celui des droits de l'homme et en permet l'exercice puisqu'il implique que soient réunies les conditions matérielles et psychologiques permettant à toute personne de mettre en œuvre toutes les potentialités de sa personnalité d'être pensant, doué de sensibilité, pour se construire une identité d'homme et de citoyen, en partage avec son environnement culturel, social et politique.
89. La création et la valorisation de ces droits culturels sont révélatrices de la capacité de l'homme à se nourrir de culture comme richesse sociale, et d'acquérir, grâce au contact avec la diversité culturelle, une conscience de sa place au milieu des autres et de la place des autres à côté de soi. Les «liants essentiels» de la vie sociale et politique ne sont-ils pas des activités à forte teneur culturelle? La création et la valorisation de ces droits culturels sont également révélatrices du besoin de l'homme de bâtir des œuvres matérielles et immatérielles qui le dépassent pour forger les civilisations à transmettre aux générations futures.
90. Cependant, bien que leur importance soit reconnue par toutes les instances nationales et internationales, et malgré la multitude des initiatives et réalisations qui foisonnent dans les territoires, force est de constater que les droits culturels ne profitent pas à tous de manière égale. Il n'y a pas d'égalité des chances d'accéder à la connaissance et à la pratique artistique et culturelle.
91. Sont autant de freins au développement culturel des sociétés et au partage harmonieux de leur richesse entre les citoyens d'une même nation et entre les citoyens de pays différents:
  • la répartition inégale de l'offre dans les territoires et son inadaptation récurrente aux aspirations des différents publics;
  • les inégalités d'accès socio-économiques;
  • les insuffisances de l'éducation, de la formation et de l'apprentissage artistique et culturel;
  • les soutiens politiques et financiers irréguliers, voire aléatoires en fonction des contraintes socio-économiques;
  • le fait que la culture soit d'une façon générale la variable d'ajustement des budgets nationaux et locaux.
92. Seuls les Etats et les collectivités publiques sont véritablement à même de remédier efficacement à tous ces freins, à toutes ces discriminations. Ils sont les responsables des services publics d'intérêt général (dont ceux de la culture, qui doivent bénéficier à tous). Ils ont la capacité non seulement d'initier, de stimuler (comme les instances privées), mais surtout ils ont le pouvoir de réguler les synergies entre tous les acteurs (publics entre eux, publics et privés). Ils ont le devoir de protéger, de favoriser la diversité culturelle pour préserver l’identité de chacun et la liberté d'expression.
93. Le point de départ incontournable pour un égal accès à la culture, qui relève de la responsabilité des Etats, est l'éducation. L'école est le lieu par excellence de l'égalité d'accès aux enseignements, et le droit de participer à la vie culturelle est intrinsèquement lié au droit à l'éducation artistique, à l'apprentissage des savoirs qu'elle dispense, à la liberté d'expression créatrice qu'elle suscite et aux rencontres multiples entre élèves, œuvres, artistes et institutions qu'elle provoque, qui doivent être pérennes et obligatoires tout au long du cursus scolaire pour que les jeunes scolarisés s'imprègnent dans la durée des apports inestimables que procure une vie culturelle et se découvrent «désireux de culture».
94. En dehors de l'école, une politique visant la réalisation du droit de participer à la vie culturelle ne saurait se contenter de financer et d’organiser des spectacles, des expositions, des productions culturelles variées et de qualité. Il faut aussi et surtout organiser les rencontres entre publics et créateurs, favoriser les lieux dans lesquels l'apprenant, le médiateur et le créateur partagent des expériences sensibles, esthétiques, philosophiques dans des relations de réciprocité enrichissantes pour tous, amateurs comme professionnels. C'est parce qu'un public se découvre une potentialité d'acteur culturel et qu'il entre dans un rapport actif à une œuvre, à une manifestation culturelle, que cette pratique peut faire naître un «désir de culture» sans lequel les efforts en faveur des offres n'auront que peu d'effets sur l'effectivité du droit de participer à la vie culturelle.
95. Etant à la croisée des générations, les jeunes sont des vecteurs essentiels de transmission des ressources et des valeurs culturelles au sein de la société. Dans une optique intergénérationnelle et de cohésion sociale, l'une des responsabilités importantes du politique est de les motiver. Les responsables politiques doivent donc les impliquer plus personnellement dans les activités culturelles, promouvoir des initiatives innovantes, valoriser toutes les pratiques créatrices de liens culturel, social et politique, valoriser les ressources artistiques et culturelles qui permettent les rencontres. Il faut aussi porter une attention particulière aux conditions dans lesquelles les jeunes ont un accès aux activités artistiques et culturelles, qui contribuent fortement à leur donner confiance en eux en leur permettant de découvrir les multiples facettes de leur nature.
96. La participation aux arts enrichit parallèlement le patrimoine artistique et culturel de nos sociétés grâce aux créations multiples et variées qu'elle développe. Les soutiens apportés à la jeune création innovante sont indispensables car sans eux le patrimoine de demain s'appauvrirait. Il est donc de la responsabilité des politiques de prendre le risque de l'innovation pour procurer aux générations futures ce qui leur apparaîtra, avec le temps, comme un patrimoine classique à valeur universelle, de la même façon que nous l'avons reçu de nos aïeux.
97. Parallèlement, l'Etat a le devoir de prendre en compte les profondes mutations que connaissent les conditions d'accès à la culture avec l'essor de la culture numérique et de l'internet, de favoriser l'émergence de nouveaux artistes et de nouvelles formes d'expression, et de développer les nouveaux modes de diffusion des contenus culturels pour les rendre accessible à tous. La mondialisation des échanges que permet internet offre l'opportunité aux artistes de s'enrichir mutuellement et aux internautes (les jeunes en particulier) de participer aux expressions créées à l'autre bout du globe.
98. La réussite de ces politiques permettra de lutter contre l'autocensure que s'appliquent certaines personnes pensant, à tort, qu'elles ne sont pas aptes à la pratique culturelle et artistique ou à la création artistique. Face à cet obstacle psychologique, l'éducation aux arts et les politiques incitatives en direction des jeunes sont particulièrement efficaces, à une période de leur vie où ils font l'expérience de multiples découvertes et sont moins soumis aux conditionnements culturels et sociaux.
99. Le droit de participer à la vie culturelle est également entravé par les discriminations multiples dont sont victimes toutes les personnes, tous les jeunes qui pour des raisons diverses sont tenus éloignés des offres et des pratiques artistiques et culturelles: les problèmes économiques, les distances qui les séparent des ressources culturelles (zones rurales, zones montagneuses, etc.), les enfermements forcés dans des lieux clos (hôpitaux, prisons, etc.) et les handicaps (physiques, sensoriels ou mentaux) peuvent les pénaliser. Il est du devoir de l'Etat de mettre en œuvre les moyens matériels, humains et financiers pour en réduire les conséquences.
100. Le rôle de l'Etat comme régulateur des synergies est ici essentiel. La collaboration avec les collectivités locales, si elle est fructueuse, permet un meilleur équilibre entre les offres de proximité et de rayonnement national ou international; une utilisation plus rationnelle de moyens mutualisés avec l'apport de la contribution de partenaires privés est indispensable, compte tenu des budgets contraints; un décloisonnement entre les disciplines artistiques et culturelles est à développer pour un meilleur accès pour tous à une vie artistique et culturelle riche et variée.
101. Les facteurs de valorisation mutuelle des ressources artistiques et culturelles que constituent l'interartistique et culturel, l'interlieux, l'intertemporel et l'interinstitutionnel sont une des pistes que je propose pour la mise en œuvre et l'évaluation des politiques publiques de démocratisation culturelle, spécialement celles visant les jeunes publics ou praticiens. Sur cette base, j'ai élaboré un certain nombre de lignes directrices pour les décideurs politiques dans l'annexe du projet de recommandation.
102. La dimension internationale des initiatives culturelles doit compléter et enrichir la dynamique générée par chacun de ces facteurs. En effet, le droit de chacun de participer à la vie culturelle est aussi le droit de jouir et de contribuer à la production du patrimoine culturel européen; le droit d’entrer en relation avec la diversité culturelle européenne, avec son histoire, son présent et son avenir, liés à la promotion des valeurs de la démocratie et des droits de l'homme que le Conseil de l’Europe prône. A cet égard, il serait souhaitable d’approfondir la dimension «droits culturels» comme un élément transversal dans les projets du Conseil de l’Europe concernant l’éducation à la citoyenneté démocratique, l’éducation de qualité, les jeunes, la société de l’information, la cohésion sociale. En outre, le droit de chacun de participer à la vie culturelle a toute sa place dans la construction de la société du «vivre ensemble».
103. L’art et la culture ne sauraient être enfermés dans des frontières; au contraire, il faut favoriser leur circulation et promouvoir les activités artistiques et culturelles transfrontalières. A cet égard, le Conseil de l’Europe a une expertise reconnue dans le développement de la coopération intergouvernementale, mais aussi de la coopération entre autorités locales et régionales (qui dans le domaine culturel est très importante) et des partenariats entre institutions publiques et société civile. Le Conseil de l’Europe pourrait mobiliser des énergies nouvelles (et à moindre coût) pour une action harmonieuse des divers acteurs visant une protection effective du droit de chacun de participer à la vie culturelle et pour coordonner l’échange de bonnes pratiques et des projets collaboratifs d’envergure européenne dans ce domaine.
104. Enfin, l’art et la culture sont de puissants vecteurs pour partager et promouvoir des valeurs dans un dialogue interculturel apaisé. Pour ce qui concerne l'espace européen, il s’agit d’être capables de l'ouvrir sur le monde, en commençant par les pays proches de la région méditerranéenne, et de véhiculer à travers l’art et la culture les valeurs démocratiques et libérales qui nous unissent. Le Centre Nord-Sud doit poursuivre son objectif de favoriser une meilleure compréhension entre les civilisations. La rencontre des cultures est à la base de la connaissance et de la confiance mutuelles, qui sont les fondements de la paix.