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Avis 193 (1996)
Demande d'adhésion de la Russie au Conseil de l'Europe
1. La Fédération de Russie a déposé
une demande d'adhésion au Conseil de l'Europe le 7 mai 1992. Par sa
Résolution (92) 27 du 25 juin 1992, le Comité des Ministres a demandé
à l'Assemblée parlementaire d'émettre un avis sur cette demande,
conformément à la Résolution statutaire (51) 30 A.
2. Le statut d'invité spécial auprès de l'Assemblée parlementaire
a été accordé au Parlement de la Fédération de Russie le 14 janvier
1992.
3. La procédure concernant l'avis sur la demande d'adhésion de
la Russie a été interrompue le 2 février 1995 du fait du conflit
en Tchétchénie. Avec l'adoption de la Résolution 1065, le 27 septembre 1995, cette procédure a été reprise
au motif que la Russie était désormais engagée dans la recherche
d'une solution politique et que des atteintes alléguées et attestées
aux droits de l'homme faisaient l'objet d'enquêtes.
4. L'Assemblée a suivi avec beaucoup d'inquiétude les événements
de décembre 1995 à Goudermes et ceux récemment intervenus à Pervomaïskoïe.
Elle condamne fermement la prise d'otages en tant qu'acte de terrorisme
et violation flagrante des droits de l'homme, qu'aucune cause ne
peut justifier. En même temps, elle estime que les autorités russes
ne se sont pas assez préoccupées de la sécurité des otages. L'usage apparemment
sans discrimination de la force a coûté la vie à de nombreuses personnes
innocentes et violé le droit humanitaire international. Le conflit
tchétchène ne peut être réglé par la force. On ne pourra instaurer
la paix dans la région, ni mettre fin aux attaques terroristes,
sans une solution politique fondée sur la négociation et les valeurs
démocratiques européennes.
5. L'Assemblée note que les réformes politiques, juridiques et
économiques se sont poursuivies. Le système juridique laisse encore
apparaître des insuffisances, comme l'avaient noté les experts juridiques
du Conseil de l'Europe (le 7 octobre 1994). On constate néanmoins
un progrès vers une prise de conscience générale et un plus grand
respect de la légalité.
6. Des assurances quant à la poursuite des progrès ont été données
au Conseil de l'Europe par le Président de la Fédération, le Premier
ministre, le président de la Douma et le président du Conseil de
la Fédération dans leur lettre du 18 janvier 1995.
7. Compte tenu de ces assurances et des considérations et engagements
ci-dessous, l'Assemblée estime que la Russie - au sens de l'article
4 du Statut - a clairement la volonté et sera capable dans un avenir
proche de se conformer aux dispositions de l'article 3 de ce Statut
précisant les conditions requises pour pouvoir adhérer au Conseil
de l'Europe («Tout membre du Conseil de l'Europe reconnaît le principe
de la prééminence du droit et le principe en vertu duquel toute
personne placée sous sa juridiction doit jouir des droits de l'homme et
des libertés fondamentales. Il s'engage à collaborer sincèrement
et activement à la poursuite [de ce] but...»):
7.1. la Russie s'est associée à plusieurs
activités du Conseil de l'Europe depuis 1992 - par le biais de sa
participation aux programmes intergouvernementaux de «coopération
et d'assistance» (notamment dans le domaine des réformes juridiques
et des droits de l'homme) et par la participation de sa délégation
d'invités spéciaux aux travaux de l'Assemblée parlementaire et de
ses commissions;
7.2. un «dialogue politique» est établi entre la Russie et
le Comité des Ministres depuis le 7 mai 1992;
7.3. la Russie a adhéré à plusieurs conventions du Conseil
de l'Europe, dont la Convention culturelle européenne;
7.4. les textes législatifs suivants sont actuellement élaborés
en priorité, à la lumière de consultations internationales, sur
la base des principes et des normes du Conseil de l'Europe: un nouveau
Code pénal et un Code de procédure pénale; un nouveau Code civil
et un Code de procédure civile; une loi sur le fonctionnement et
l'administration du système pénitentiaire;
7.5. de nouvelles lois conformes aux normes du Conseil de l'Europe
seront adoptées: sur le rôle, le fonctionnement et l'administration
du Parquet et de l'Office du commissaire aux droits de l'homme;
sur la protection des minorités nationales; sur la liberté de réunion
et la liberté religieuse;
7.6. le statut de la profession juridique sera protégé par
la loi: une association professionnelle (barreau) sera établie;
7.7. les responsables avérés de violations des droits de l'homme
seront traduits en justice - notamment en relation avec les événements
de Tchétchénie;
7.8. l'exercice effectif des droits consacrés par l'article
27 de la Constitution et par la loi sur la liberté de mouvement
et de choix du lieu de résidence sera assuré;
7.9. les conditions de détention seront améliorées conformément
à la Recommandation R (87) 3 relative aux règles pénitentiaires
européennes: en particulier, les conditions quasi inhumaines régnant dans
de nombreux centres de détention préventive seront améliorées dans
les plus brefs délais;
7.10. la responsabilité de l'administration pénitentiaire et
de l'application des peines sera transférée au ministère de la Justice
dès que possible;
7.11. l'état d'avancement de la réforme législative permettra
la signature et la ratification, dans les délais indiqués, des conventions
européennes énumérées ci-dessous au paragraphe 10;
7.12. la Fédération de Russie aidera les personnes précédemment
déportées des Etats baltes occupés ou celles qui descendent de déportés
à rentrer dans leur pays conformément à des programmes spéciaux
de rapatriement et d'indemnisation qui devront être mis au point.
8. Pour assurer la concrétisation de ces assurances et le respect
de ces engagements, l'Assemblée décide d'établir - en étroite coopération
avec la délégation parlementaire russe - son propre programme parlementaire «de
conseil et de contrôle» sous l'autorité des commissions responsables
de la mise en œuvre de la Directive no 508 (1995) relative au respect
des obligations et engagements contractés par les Etats membres
du Conseil de l'Europe. Ce programme complétera la procédure de
contrôle prévue par la Directive no 508 (1995), sans y porter atteinte.
9. Comme contribution à l'assistance et à la coopération à long
terme, l'Assemblée se félicite du programme joint Union européenne/Conseil
de l'Europe pour le renforcement des structures fédérales et des mécanismes
de protection des droits de l'homme, et pour la réforme du système
juridique: une attention toute particulière devrait également être
accordée à l'appui et au renforcement des organisations non gouvernementales
dans le domaine des droits de l'homme, et à l'établissement d'une
société civile.
10. L'Assemblée parlementaire prend note que la Fédération de
Russie partage pleinement sa conception et son interprétation des
engagements contractés, tels qu'énoncés au paragraphe 7, et qu'elle
a l'intention:
10.1. de signer la
Convention européenne des Droits de l'Homme au moment de son adhésion;
de ratifier la Convention et les Protocoles nos 1, 2, 4, 7 et 11
dans un délai d'un an; de reconnaître, dans l'attente de l'entrée
en vigueur du Protocole no 11, le droit de requête individuelle
auprès de la Commission européenne et la juridiction obligatoire
de la Cour européenne (articles 25 et 46 de la Convention);
10.2. de signer dans l'année et de ratifier dans les trois ans
suivant son adhésion le Protocole no 6 à la Convention européenne
des Droits de l'Homme concernant l'abolition de la peine de mort
en temps de paix, et de mettre en place un moratoire sur les exécutions
prenant effet le jour de l'adhésion;
10.3. de signer et de ratifier dans l'année suivant son adhésion
la Convention européenne pour la prévention de la torture et des
peines ou traitements inhumains ou dégradants;
10.4. de signer et de ratifier dans l'année suivant son adhésion
la Convention-cadre européenne pour la protection des minorités
nationales; de fonder sa politique à l'égard des minorités sur les
principes énoncés dans la Recommandation
1201 (1993) de l'Assemblée, et d'incorporer ces principes dans le système
et la pratique juridiques et administratifs du pays;
10.5. de signer et de ratifier dans l'année suivant son adhésion
la Charte européenne de l'autonomie locale et la Charte européenne
des langues régionales ou minoritaires; d'étudier, en vue de sa ratification,
la Charte sociale du Conseil de l'Europe; et de mener entre-temps
sa politique selon les principes de ces conventions;
10.6. de signer et de ratifier et d'appliquer entre-temps les
principes de base d'autres conventions du Conseil de l'Europe -
notamment celles relatives à l'extradition; à l'entraide judiciaire
en matière pénale; au transfèrement des personnes condamnées; et
au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des
produits du crime;
10.7. de régler les différends internationaux et internes par
des moyens pacifiques (obligation qui incombe à tous les Etats membres
du Conseil de l'Europe), en rejetant résolument toute menace d'employer
la force contre ses voisins;
10.8. de régler les différends internationaux qui subsistent
en matière de frontières selon les principes du droit international,
en s'en tenant aux traités internationaux existants;
10.9. de ratifier, dans un délai de six mois après son adhésion,
l'accord intervenu le 21 octobre 1994 entre les Gouvernements russe
et moldove, et de poursuivre le retrait de la 14e armée et de son
matériel du territoire de la Moldova dans un délai de trois ans
à compter de la date de signature de l'accord;
10.10. de remplir les obligations qui lui incombent en vertu
du Traité relatif aux forces armées conventionnelles en Europe (CFE);
10.11. de dénoncer comme erroné le concept de deux catégories
différentes de pays étrangers, qui consiste à traiter certains d'entre
eux appelés «pays étrangers proches» comme une zone d'influence spéciale;
10.12. de négocier les demandes de restitution de biens culturels
à d'autres pays européens sur une base ad hoc qui permettrait de
distinguer les différentes catégories de biens (archives, œuvres
d'art, bâtiments, etc.) et de propriétaire (public, privé ou institutionnel);
10.13. de restituer dans les plus brefs délais les biens des
institutions religieuses;
10.14. de régler rapidement toutes les questions relatives à
la restitution de biens réclamés par des Etats membres du Conseil
de l'Europe, et notamment les archives transférées à Moscou en 1945;
10.15. de cesser de restreindre, avec effet immédiat, la liberté
de circulation internationale de personnes ayant connaissance de
secrets d'Etat, à l'exception des restrictions qui sont généralement
acceptées dans les Etats membres du Conseil de l'Europe, et de faciliter
la consultation des archives conservées dans la Fédération russe;
10.16. de s'assurer que l'application de la Convention des droits
de l'homme de la CEI n'entrave en rien la procédure et les garanties
de la Convention européenne des Droits de l'Homme;
10.17. de réviser la loi sur les services de sécurité fédéraux
afin de la mettre en conformité avec les principes et les normes
du Conseil de l'Europe dans un délai d'un an suivant son adhésion:
en particulier, le droit du Service fédéral de sécurité (FSB) de
posséder et de gérer des centres de détention préventive devrait
être supprimé;
10.18. d'adopter une loi prévoyant un service militaire de substitution,
comme prévu à l'article 59 de la Constitution;
10.19. de réduire, voire d'éliminer, les incidents de mauvais
traitements et les décès dans les forces armées en dehors des affrontements
militaires;
10.20. de poursuivre les réformes juridiques afin de mettre l'ensemble
de sa législation en conformité avec les principes et les normes
du Conseil de l'Europe: en particulier, le décret présidentiel no
1226 devrait être révisé dans les plus brefs délais;
10.21. d'élargir sa coopération internationale pour prévenir
- et éliminer les effets écologiques - des catastrophes naturelles
et technologiques;
10.22. de signer et de ratifier dans l'année suivant son adhésion
l'Accord général sur les privilèges et immunités du Conseil de l'Europe
et ses protocoles additionnels;
10.23. de coopérer pleinement à la mise en œuvre de la Directive
no 508 (1995) de l'Assemblée relative au respect des obligations
et engagements contractés par les Etats membres du Conseil de l'Europe, ainsi
qu'aux processus de contrôle établis en vertu de la Déclaration
du Comité des Ministres du 10 novembre 1994 (95e session);
10.24. de respecter strictement les dispositions du droit international
humanitaire, y compris en cas de conflits armés sur son territoire;
10.25. de coopérer de bonne foi avec les organisations humanitaires
internationales et de leur permettre d'exercer leurs activités sur
son territoire conformément à leurs mandats.
11. L'Assemblée recommande au Comité des Ministres - sur la base
des engagements et ententes exposés ci-dessus:
11.1. d'inviter la Fédération de Russie
à devenir membre du Conseil de l'Europe;
11.2. d'attribuer à la Fédération de Russie dix-huit sièges
à l'Assemblée parlementaire;
11.3. de garantir une augmentation des moyens et des capacités
de l'Organisation, notamment ceux de l'Assemblée et des institutions
des droits de l'homme, afin de faire face aux conséquences de ces décisions,
et de se garder d'utiliser l'adhésion de la Fédération de Russie
pour diminuer les contributions des Etats qui sont déjà membres.