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Recommandation 1239 (1994)

Situation de l'ex-Yougoslavie au plan culturel

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l'Assemblée le 14 avril 1994 (15e séance) (voir Doc. 6989, rapport de la commission de la culture et de l'éducation, rapporteur: Mme Fischer). Texte adopté par l'Assemblée le 14 avril 1994 (15e séance).

1. C'est avec incrédulité, indignation et une immense tristesse que l'Europe assiste à l'écroulement de la civilisation et des valeurs européennes dans les régions de l'ex-Yougoslavie actuellement touchées par les conflits qui se sont manifestés à la suite de l'agression initiale des Serbes en Bosnie-Herzégovine et en Croatie.
2. Les pertes en vies humaines et les souffrances physiques et psychologiques des populations concernées ont déjà attiré l'attention de la communauté mondiale et de nombreuses organisations humanitaires.
3. L'Assemblée souhaite à présent également attirer l'attention sur les aspects culturels de cette situation, trop facilement ignorés dans l'analyse politique du conflit et dans le cadre d'une interprétation trop restrictive du rôle de l'aide humanitaire.
4. La dimension culturelle est toutefois exploitée sans relâche par les belligérants qui s'en servent pour alimenter le conflit, comme cible de leurs interventions ou comme arme. Dans une guerre présentée comme l'opposition entre catholiques, musulmans et orthodoxes, le patrimoine religieux est délibérément profané ou détruit. Les médias jouent sur ces divisions et les exacerbent, bien qu'ils soient étrangers à la lutte pour le pouvoir qui se trouve au cœur du conflit. La purification culturelle va de pair avec la purification ethnique.
5. Le siège de Sarajevo et la destruction délibérée du Vieux-Pont de Mostar en constituent des exemples particulièrement repoussants, représentant la négation même de la possibilité de coexistence interculturelle que ces villes incarnaient. Cette coexistence culturelle répond aux valeurs fondamentales du Conseil de l'Europe et de son nouveau plan d'action en faveur de la tolérance.
6. La dimension culturelle et l'esprit de tolérance ne sont pas encore morts dans l'ex-Yougoslavie et il convient de leur apporter d'urgence notre soutien.

Recommandations

7. L'Assemblée se félicite de la mission mise sur pied par l'Unesco pour toutes les questions soulevées par la présente recommandation. Elle en attend avec intérêt la phase opérationnelle et invite le Comité des Ministres à assurer une étroite coordination de toute action du Conseil de l'Europe.
8. L'Assemblée recommande au Comité des Ministres de reconnaître que la dimension culturelle doit faire l'objet d'une intervention internationale d'urgence dans l'ex-Yougoslavie et de s'employer à faire en sorte qu'une action coordonnée soit entreprise par le Conseil de l'Europe, les autres organismes internationaux compétents (y compris l'Unesco) et les Etats membres.
9. Il est impératif que les organes intergouvernementaux présents dans cette région (la Mission européenne de contrôle (ECMM), le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) et la Force de protection des Nations Unies (Forpronu)) reconnaissent cette dimension culturelle et la prennent en compte. Le Comité des Ministres devrait encourager, par les voies appropriées, ces différents organes responsables du transport de matériel et de personnel à adjoindre des moyens d'assistance d'ordre culturel au matériel et au personnel dont ils assurent l'acheminement, et à veiller à ce que les gouvernements leur en fournissent les moyens. L'ECMM, en particulier, devrait être encouragée à développer son rôle consistant à exercer une surveillance (en coopération avec les autorités locales responsables des monuments), à assurer la communication des informations dans ce domaine ainsi qu'à prêter assistance aux missions d'enquête organisées dans le domaine culturel (patrimoine et autres).
10. Il est également impératif que le Comité des Ministres étende la reconnaissance, en tant que successeurs à la Convention culturelle européenne, à tous les Etats de l'ex-Yougoslavie, sans exception. Une telle mesure est en effet nécessaire pour garantir que ces Etats soient consultés comme il convient sur toutes les décisions et actions susceptibles de les concerner dans les domaines couverts par la convention.
11. La troisième priorité consiste à renforcer les crédits consacrés à des actions culturelles dans les zones affectées par le conflit. Cela ne doit pas être laissé à la générosité des particuliers ou à l'initiative privée. Conformément à l'engagement pris en faveur de la tolérance lors du Sommet de Vienne, le Comité des Ministres devrait demander à la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance d'élaborer des projets concrets pour la promotion de la coexistence interculturelle dans l'ex-Yougoslavie.
12. L'Assemblée recommande également au Comité des Ministres de prendre des mesures plus spécifiques dans les domaines suivants:

Patrimoine culturel

13. Ce patrimoine n'est pas encore totalement détruit, mais il est en grande partie endommagé. Il serait possible d'en assurer la protection temporaire, mais le matériel fait défaut et une assistance est nécessaire pour l'évaluation des dommages et l'élaboration de plans d'intervention prioritaires. Des mesures doivent être prises, en particulier pour protéger les biens culturels meubles.
14. Il convient de dresser dès à présent des plans et de collecter des fonds pour la reconstruction à plus vaste échelle, qui ne pourra être entreprise que lorsque les combats se seront éloignés des zones touchées. La reconstruction devra alors débuter là où elle est possible et souhaitable, comme c'est le cas à Vukovar, où l'exemple d'initiatives privées dans d'autres régions pourrait être suivi.
15. Les Etats membres devraient fournir des experts chargés de contribuer à la formation de spécialistes et à l'organisation des travaux de restauration menés par les organes locaux et nationaux compétents.
16. Le plan d'action défini pour la Croatie et la Slovénie par le Comité du patrimoine culturel du Conseil de la coopération culturelle (CDCC) devrait être étoffé pour y inclure les aspects liés à l'aménagement du territoire, et il devrait être étendu aux autres régions de l'ex-Yougoslavie.
17. Le Comité des Ministres devrait également créer une structure appropriée chargée d'investigations sur la dispersion illégale des œuvres d'art dont l'ex-Yougoslavie a été spoliée au cours des conflits actuels.
18. Il devrait contribuer aux efforts internationaux entrepris pour reconstituer le fonds de la Bibliothèque nationale et universitaire de Sarajevo, et fournir une aide à son personnel administratif.
19. L'Assemblée attire l'attention du Comité des Ministres sur les rapports d'information produits par la commission de la culture et de l'éducation au cours de l'année écoulée. Elle est persuadée d'avoir fait œuvre utile en suivant ainsi la situation, mais demande que cette action soit dotée d'une base plus solide et plus durable.

Médias indépendants

20. Une aide matérielle d'urgence est nécessaire à la survie des médias indépendants: carburant pour générateurs, papier, cassettes vierges et autres matériels destinés à la télévision, à la radio et à la presse écrite.
21. Il convient également d'accorder un soutien à certaines initiatives concrètes, telles que l'organisation d'un réseau de correspondants indépendants dans l'ensemble de cette zone (AIM) et le Centre de coordination de Ljubljana. Par les voies appropriées, le Comité des Ministres devrait inviter les autorités des Nations Unies à fournir l'infrastructure technique nécessaire aux médias pour une diffusion d'informations indépendantes sous le contrôle de «Casques bleus des médias».
22. Le Comité des Ministres devrait accorder un soutien accru à de telles initiatives et, de plus, encourager la Commission des Communautés européennes à étendre au reste de l'ex-Yougoslavie, ainsi que l'a demandé le Parlement européen, le programme Phare pour la démocratie, qui se limite pour l'instant aux médias indépendants de Slovénie.
23. Pour sa part, l'Assemblée devrait régulièrement envoyer des missions d'observation parlementaires dans les zones de crise, accompagnées de journalistes invités, pour assurer des rapports objectifs.

Education

24. Ce conflit prolongé a gravement entravé le fonctionnement du système éducatif dans les régions concernées. Les écoles et les universités ont été endommagées, et le personnel a besoin d'être remplacé ou recyclé. Il est toutefois essentiel pour les enfants et les étudiants que la poursuite des cours soit assurée.
25. Les élèves et les étudiants déplacés hors des zones de combat sont quant à eux confrontés à un autre problème. Dans la mesure du possible, ils devraient avoir la possibilité de poursuivre leur scolarité ou leurs études dans les camps de réfugiés, ou au moins dans les régions voisines où il est plus facile de leur dispenser un enseignement dans leur langue maternelle.
26. Des programmes d'éducation à la paix et de promotion de la tolérance et de la coexistence doivent être élaborés en collaboration avec les milieux locaux responsables de l'éducation et avec des organisations telles que l'Unicef.
27. Par ailleurs, les gouvernements de tous les Etats membres devraient être invités à aider les universités à accueillir des étudiants provenant des régions touchées par les conflits et connaissant des langues étrangères. Cette aide devrait être d'ordre à la fois financier et administratif.
28. Il conviendrait de faire preuve d'une certaine souplesse dans l'octroi du statut d'étudiant réfugié ainsi que dans l'organisation de l'enseignement et de l'assistance dans ce domaine, le retour dans la région d'origine une fois le conflit terminé demeurant toutefois le principe de base.
29. L'Assemblée fait siennes les propositions adoptées par la Conférence permanente des ministres européens de l'Education à Madrid en mars 1994 en ce qui concerne la situation des élèves étudiants réfugiés ou déplacés dans l'ex-Yougoslavie.
30. Elle lance un appel au Comité des Ministres:
30.1. pour que ce dernier cherche, en collaboration avec l'Union européenne, l'Unicef et l'Unesco, des moyens d'aider les enfants des écoles et de reconstruire les systèmes d'enseignement dans l'ex-Yougoslavie;
30.2. pour qu'il collabore avec les universités et les organismes non gouvernementaux intéressés dans l'aide aux universités ainsi qu'aux étudiants réfugiés ou déplacés de l'ex-Yougoslavie;
30.3. pour qu'il encourage les Etats membres à approvisionner le compte spécial ouvert auprès du Fonds culturel.

Arts et artistes

31. La vie culturelle se poursuit dans les pays touchés par les combats, et notamment à Sarajevo, qui organise à nouveau son festival d'hiver. La communauté culturelle des écrivains et artistes de toute l'Europe soutient cette initiative, de même d'ailleurs que l'Assemblée. Le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe devrait apporter son soutien là où celui de l'Union européenne a si malheureusement fait défaut.
32. La création et le maintien de corridors culturels permettant aux artistes et à leurs œuvres de circuler entre les zones touchées et le reste du monde revêtent une importance toute particulière.
33. Le Conseil de l'Europe, en coopération avec l'Unesco, devrait examiner la possibilité de créer une fondation qui commanditerait des artistes de différentes disciplines pour dépeindre le drame qui se déroule en ex-Yougoslavie.

Autres autorités

34. L'Assemblée demande au Comité des Ministres d'inviter les responsables des différentes communautés religieuses touchées par ce conflit à exercer plus activement des pressions en faveur de la paix, de la tolérance et de la compréhension interculturelle.
35. L'Assemblée reconnaît l'importance de la solidarité européenne aux niveaux local et régional. Elle se réjouit de l'action de la Conférence permanente des pouvoirs locaux et régionaux de l'Europe à la suite de sa Résolution 251 (1993) relative à l'action humanitaire et à l'aide à la démocratie locale en ex-Yougoslavie, et demande au Comité des Ministres de fournir les moyens de renforcer la coordination de ces actions dans le domaine culturel, et plus particulièrement par un jumelage des dispositions prises.

Mise en œuvre

36. Finalement, l'Assemblée demande au Comité des Ministres de lui faire rapport régulièrement sur la mise en œuvre de ces recommandations.