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Recommandation 1402 (1999)

Contrôle des services de sécurité intérieure dans les Etats membres du Conseil de l'Europe

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 26 avril 1999 (9e séance) (voir Doc. 8301, rapport de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme, rapporteur: M. Frunda). Texte adopté par l’Assemblée le 26 avril 1999 (9e séance).

1. L’Assemblée reconnaît que les services de sécurité intérieure rendent un service précieux aux sociétés démocratiques en protégeant la sécurité nationale et l’ordre démocratique libre de l’Etat.
2. Toutefois, l’Assemblée s’inquiète du fait que les services de sécurité intérieure de pays membres placent souvent des intérêts qui leur paraissent être ceux de la sécurité nationale et de leur pays au-dessus du respect des droits de l’individu. Ces services étant par ailleurs souvent insuffisamment contrôlés, le risque d’abus de pouvoir et de violation des droits de l’homme est élevé, à moins que des sauvegardes législatives et constitutionnelles ne soient prévues.
3. L’Assemblée estime qu’une telle situation est potentiellement dangereuse. Si les services de sécurité intérieure doivent être habilités à atteindre leurs objectifs légitimes, à savoir protéger la sécurité nationale et l’ordre démocratique libre de l’Etat contre toute menace visible et réelle, ils ne doivent pas pour autant avoir carte blanche pour violer les libertés et les droits fondamentaux.
4. Il convient de trouver le juste équilibre entre le droit d’une société démocratique à la sécurité nationale et les droits de l’individu. Certains droits de l’homme (tels que le droit à une protection contre la torture ou les traitements inhumains) sont absolus et ne devraient jamais être restreints par les pouvoirs publics, y compris par les services de sécurité intérieure. Dans d’autres cas, cependant, il conviendra de déterminer lequel de ces droits (droit de l’individu ou droit d’une société démocratique à la sécurité nationale) devrait être prioritaire, en appliquant les principes de proportionnalité et de légalité, tels qu’ils sont stipulés dans la Convention européenne des Droits de l’Homme.
5. Il existe un risque accru d’abus de pouvoir de la part des services de sécurité intérieure, et donc de violations graves des droits de l’homme, lorsque ces services possèdent une organisation spécifique, exercent certains pouvoirs comprenant des méthodes préventives et répressives qui impliquent la coercition (par exemple celui d’effectuer des perquisitions et des fouilles, des enquêtes judiciaires, des arrestations et des incarcérations), sont insuffisamment contrôlés (par les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire) et sont trop nombreux.
6. L’Assemblée propose par conséquent que les services de sécurité intérieure ne soient pas autorisés à mener des enquêtes judiciaires, à arrêter ou à incarcérer des individus, ni associés à la lutte contre la criminalité organisée, sauf dans des cas très particuliers, lorsque le crime organisé constitue une menace réelle pour l’ordre démocratique libre de l’Etat. Toute interférence avec l’exercice des droits de l’homme et des libertés fondamentales protégés par la Convention européenne des Droits de l’Homme découlant d’activités menées par ces services doit être autorisée par la loi, et de préférence par un juge, préalablement à la conduite des opérations. A cet égard, il est tout particulièrement vital que les trois pouvoirs exercent un contrôle démocratique effectif de ces services, tant a priori que a posteriori.
7. L’Assemblée considère que chaque pays devrait prendre les mesures efficaces qui s’imposent pour satisfaire à ses propres exigences en matière de sécurité intérieure, tout en apportant la garantie de méthodes de contrôle adaptées et conformes à une norme démocratique uniforme. Cette norme commune devrait garantir que les services de sécurité intérieure agissent dans le seul intérêt national, respectent pleinement les libertés fondamentales et ne peuvent devenir un moyen d’oppression ou de pressions indues.
8. L’Assemblée recommande par conséquent au Comité des Ministres de rédiger une convention-cadre relative aux services de sécurité intérieure, en tenant compte des lignes directrices ci-dessous, qui font partie intégrante de cette recommandation.

Lignes directrices

A. Concernant l’organisation des services de sécurité intérieure

1. Tout service de sécurité intérieure doit être organisé et fonctionner sur des bases légales, c’est-à-dire conformément à des lois nationales adoptées par le parlement suivant la procédure législative normale et publiées dans leur intégralité.
2. Les services de sécurité intérieure doivent avoir pour seule mission de protéger la sécurité nationale. Celle-ci consiste à combattre toute menace visible et réelle pour l’ordre démocratique de l’Etat et de la société. Les objectifs économiques ou la lutte contre le crime organisé en soi ne devraient pas faire partie de cette mission. Ils ne devraient s’occuper d’objectifs économiques ou de crime organisé que lorsqu’ils représentent un danger réel et immédiat pour la sécurité nationale.
3. L’exécutif ne peut être autorisé à élargir la mission de ces services; leurs objectifs doivent être définis par la loi et interprétés, en cas de conflit d’interprétation, par les juges (et non par les différents gouvernements). Les services de sécurité intérieure ne doivent pas servir d’instrument d’oppression de partis politiques, de minorités nationales, de groupes religieux ou d’autres catégories particulières de la population.
4. Il est préférable que l’organisation des services de sécurité intérieure ne relève pas de structures militaires. Les services de sécurité civils ne devraient pas non plus fonctionner comme des structures militaires ou semi-militaires.
5. Les Etats membres ne doivent pas recourir à des sources de financement autres que gouvernementales pour leurs services de sécurité intérieure, les dépenses de ces derniers devant être imputées exclusivement au budget de l’Etat. Les budgets présentés au parlement pour approbation doivent être détaillés et explicites.

B. Concernant les activités opérationnelles des services de sécurité intérieure

1. Les services de sécurité intérieure doivent respecter la Convention européenne des Droits de l’Homme.
2. Toute atteinte portée par les activités opérationnelles des services de sécurité intérieure à la Convention européenne des Droits de l’Homme doit être autorisée par la loi. Les écoutes téléphoniques, mécaniques ou techniques, la surveillance auditive et visuelle, et toute autre mesure opérationnelle comportant un risque important de limitation des droits de l’individu doivent être soumises à une autorisation spéciale préalable, délivrée par le pouvoir judiciaire. La législation devrait normalement définir les paramètres à prendre en compte – avant toute autorisation de perquisition ou concernant ces activités – par des juges ou des magistrats, disponibles vingt-quatre heures sur vingt-quatre pour délivrer des autorisations préalables, afin que la demande d’autorisation soit examinée dans un délai de quelques heures (au maximum). Ces paramètres devraient prendre en considération les exigences minimales ci-dessous:
a. il existe des raisons vraisemblables de croire qu’un individu a commis, commet ou est sur le point de commettre une infraction;
b. il existe des raisons vraisemblables de croire que certaines communications ou preuves spécifiques en relation avec cette infraction pourront être obtenues par leur interception ou à l’occasion de visites domiciliaires, ou que la commission de l’infraction peut être évitée par le biais d’une arrestation;
c. le recours aux procédures normales d’enquête a échoué ou apparaît soit peu susceptible d’aboutir à un résultat, soit trop dangereux. L’autorisation d’entreprendre ce type d’activité doit être limitée dans le temps (trois mois au plus). Lorsque la surveillance ou l’interception des appels téléphoniques ont pris fin, l’intéressé doit être informé des mesures prises à son égard.
3. Les services de sécurité intérieure ne doivent pas être autorisés à accomplir des actions de poursuites pénales telles que des enquêtes criminelles, des arrestations ou la mise en détention. En raison du risque sérieux d’abus de ces pouvoirs et pour éviter le doublement d’activités traditionnelles de police, de tels pouvoirs doivent être confiés exclusivement aux organes chargés des poursuites pénales.

C. Concernant le contrôle démocratique effectif des services de sécurité intérieure

1. L’exécutif doit exercer un contrôle a posteriori des activités de ces services, en les obligeant par exemple à rédiger et à présenter des rapports annuels détaillés sur leurs activités. Il conviendrait de conférer à un seul ministre la responsabilité politique de contrôler et surveiller les services de sécurité intérieure, en lui donnant libre accès à ces services afin de permettre un contrôle effectif au quotidien. Le ministre doit adresser annuellement un rapport au parlement sur les activités des services de sécurité intérieure.
2. Le pouvoir législatif doit adopter des lois claires et appropriées qui donnent à ces services une base statutaire. Ces textes doivent préciser quelles catégories d’activité impliquant un risque élevé de violation des droits individuels peuvent être exercées, et dans quelles circonstances, et établir les garanties nécessaires contre les abus. Le pouvoir législatif doit également contrôler de façon stricte le budget de ces services, en obligeant entre autres ces derniers à lui soumettre des rapports annuels détaillés sur l’utilisation des ressources, et mettre en place des commissions spéciales de contrôle.
3. Les juges doivent être autorisés à exercer un large contrôle a priori et a posteriori, notamment à délivrer des autorisations préalables concernant certaines activités présentant un grand risque pour les droits de l’homme. Le principe premier du contrôle a posteriori doit être le suivant: les personnes qui estiment que leurs droits ont été violés par des actes (ou omissions) des organes de sécurité devraient en général disposer d’un recours devant les tribunaux ou d’autres organes judiciaires. Ces derniers devraient alors être compétents pour déterminer si, en agissant de la sorte, les fonctionnaires de ces services ont correctement exécuté leur mandat, tel qu’il est défini par la loi. Il serait bon que les tribunaux soient ainsi habilités à déterminer s’il y a eu harcèlement injustifié d’un individu ou abus des pouvoirs discrétionnaires administratifs.
4. Les autres organes (par exemple les médiateurs et les commissaires à la protection des données) doivent être autorisés, au cas par cas, à exercer un contrôle a posteriori des services de sécurité.
5. Tout individu doit jouir d’un droit général d’accès aux informations collectées et mises en mémoire par le(s) service(s) de sécurité intérieure, sous réserve de dérogations, clairement définies par la loi, liées à la sécurité nationale. Il serait également souhaitable que tous les litiges relatifs au pouvoir des services de sécurité d’interdire la divulgation d’informations fassent l’objet d’un contrôle judiciaire.