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Résolution 1315 (2003)

L’évaluation des perspectives de solution politique du conflit en République tchétchène

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l'Assemblée le 29 janvier 2003 (5e séance) (voir Doc. 9687, rapport de la commission des questions politiques, rapporteur: Lord Judd). Texte adopté par l'Assemblée le 29 janvier 2003 (5e séance).

1. L'Assemblée parlementaire rappelle que, comme elle l'indiquait dans son Avis n° 193 (1996) relatif à la demande d'adhésion de la Fédération de Russie au Conseil de l'Europe, le conflit tchétchène ne peut être résolu par le recours à la force et qu'il n'y aura dans la région ni rétablissement de la paix ni fin des attentats terroristes sans une solution politique, fondée sur la négociation et sur les valeurs démocratiques européennes. Faute d'une telle solution politique, la population de la République tchétchène et celle de la Russie dans son ensemble font depuis trop longtemps l'expérience d'une situation douloureuse et cruelle. Le Conseil de l'Europe ne sera pas conforme à ce qu'il prétend être tant que cette situation grave durera. Nous nous en trouvons tous diminués.
2. L'Assemblée prend acte de la déclaration de la Douma d'Etat de la Fédération de Russie, en date du 24 décembre 2002, qui propose de faire de 2003 une année de paix et de concorde nationale, et appelle à la reconstruction de la République tchétchène et à un règlement politique global. Elle note également les prises de position récentes du Président de la Fédération de Russie, qui a souhaité voir un processus politique remplacer les opérations militaires.
3. Déplorant vivement les pertes en vies humaines qui ont marqué les récents attentats de Moscou et de Grozny, l'Assemblée réaffirme que le processus politique ne doit pas être abandonné. Elle est fermement convaincue que toute attitude autre qu'un attachement sans faille à la primauté du droit, aux droits de l'homme et aux principes humanitaires, qui sont au cœur même des objectifs du Conseil de l'Europe, serait erronée et contre-productive.
4. S'agissant de la situation relative aux droits de l'homme dans la République tchétchène, l'Assemblée continue à s'inquiéter vivement du nombre de meurtres de personnes ayant des activités politiques, des disparitions fréquentes et de l'inefficacité des autorités dans les enquêtes les concernant, ainsi que de la généralisation d'allégations et d'indications qui font état de brutalités et de violences contre la population civile de la république.
5. Les autorités russes ne semblent pas être capables de mettre un terme aux graves violations des droits de l'homme en Tchétchénie. Eu égard au fait que certaines enquêtes concernant les cas les plus médiatisés de meurtres et disparitions massifs se poursuivent depuis plus de trois ans sans aboutir à des résultats tangibles, l'Assemblée est amenée à conclure que les instances de poursuite n'ont ni la volonté ni la capacité de rechercher les coupables et de les déférer à la justice. L'Assemblée déplore le climat d'impunité qui règne ainsi dans la République tchétchène et qui rend impossible une vie normale dans ladite république.
6. Par conséquent, l'Assemblée appelle les autorités compétentes de la Fédération de Russie et de la République tchétchène à faire en sorte:
6.1. que les effectifs globaux des forces militaires fédérales soient réduits et ne servent qu'à des opérations militaires, en laissant aux autorités judiciaires et de la police de la République tchétchène la responsabilité du maintien de l'ordre;
6.2. que la Directive no 80 soit strictement appliquée lors des opérations militaires, que la Directive no 46 soit pleinement respectée lors des opérations de contrôle de l'enregistrement des citoyens, et qu'une coopération étroite avec les autorités judiciaires et de police de la République tchétchène soit maintenue à tout moment;
6.3. que davantage d'unités de police, caractérisées par la mixité ethnique, soient constituées, en vue des activités de maintien de l'ordre, et qu'elles reçoivent une formation appropriée relative à la lutte contre le terrorisme et aux droits de l'homme;
6.4. que les personnels de police et de sécurité adhèrent constamment aux codes de conduite recommandés par le Conseil de l'Europe et qu'ils appliquent également toutes les garanties constitutionnelles russes aux personnes arrêtées, quel que soit le lieu où elles sont arrêtées et détenues;
6.5. que l'indépendance et l'efficacité des autorités judiciaires soient renforcées, que les enquêtes soient menées avec plus d'énergie et de rigueur, et que les actions en justice contre les suspects aboutissent à une conclusion moins tardive et plus convaincante;
6.6. que les rapports du Comité pour la prévention de la torture (CPT), du Conseil de l'Europe, soient publiés, et ses recommandations mises en œuvre;
6.7. que la loi fédérale russe de 1998 sur la suppression du terrorisme soit modifiée pour refléter les recommandations d'experts formulées dans le document 9634 de l'Assemblée, afin d'assurer la conformité de ladite loi avec les normes du Conseil de l'Europe;
6.8. que la prolifération d'armes mises à la disposition des combattants tchétchènes se ralentisse et que les combattants soient encouragés à rendre leurs armes volontairement, par exemple en leur accordant une grâce, conformément au décret du chef de l'administration de la République tchétchène, en date du 24 octobre 2002, ainsi qu'au droit humanitaire international.
7. L'Assemblée demande aux autorités russes de lui fournir une liste à jour et détaillée de toutes les enquêtes pénales effectuées par les instances d'application de la loi militaire et civile concernant les crimes perpétrés contre la population civile par les appelés et les membres de toutes les forces de police et forces spéciales, ainsi que les crimes perpétrés par les combattants tchétchènes contre la population civile, l'administration tchétchène locale et les forces fédérales en République tchétchène. En plus de données statistiques, cette liste devrait donner des précisions sur la nature des crimes perpétrés et sur la situation actuelle concernant les enquêtes et/ou les inculpations et condamnations.
8. L'Assemblée note l'intention des autorités tchétchènes et fédérales russes d'organiser, le 23 mars 2003, un référendum sur un projet de Constitution de la République tchétchène. Tout en reconnaissant le rôle qu'un référendum peut jouer dans les décisions sur la structure et la constitution démocratiques futures de la république, l'Assemblée note avec inquiétude qu'il est peu probable que les conditions nécessaires à la tenue d'un tel référendum seront remplies à cette date. C'est pourquoi elle invite les autorités compétentes à prendre les mesures indispensables pour créer ces conditions, en particulier:
8.1. en assurant un niveau approprié de sécurité publique à tous les individus, dans l'ensemble de la République tchétchène, avant et pendant tout référendum;
8.2. en établissant un registre transparent et précis des électeurs, y compris tous les résidents de la République tchétchène, habilités à participer à tout référendum et à toutes élections, qu'ils demeurent dans la république ou qu'ils séjournent temporairement dans une autre partie de la Fédération de Russie, y compris les personnes déplacées à l'intérieur du pays séjournant dans des camps, et en fournissant les moyens nécessaires à leur participation au référendum;
8.3. en examinant les moyens éventuels de prendre des dispositions pratiques qui permettent aux personnes déplacées tchétchènes dans les républiques voisines, en particulier en Ingouchie, d'exercer leur droit de vote;
8.4. en prenant les dispositions adéquates voulues pour la procédure de vote, eu égard au code de bonne conduite en matière électorale élaboré par le Conseil de l'Europe;
8.5. en respectant la liberté d'association des partis politiques, garantie par l'article 11 de la Convention européenne des Droits de l'Homme, pour leur permettre de participer à la formation de l'opinion publique dans le cadre d'un débat démocratique ouvert;
8.6. en veillant à la composition équitable et équilibrée des commissions électorales compétentes, chargées de préparer tout référendum et toute élection;
8.7. en respectant la liberté du débat politique, grâce à des médias libres et indépendants, tels que garantis par l'article 10 de la Convention européenne des Droits de l'Homme;
8.8. en reconnaissant le besoin de renforcer la société civile dans la République tchétchène, et en favorisant ce renforcement pour stimuler un dialogue politique constructif, sur la base la plus large possible;
8.9. en accordant l'attention requise à la transparence, tout au long du processus de référendum et d'élections ultérieures
9. L'Assemblée se félicite de ce que le Président de l'Ingouchie ait offert d'autoriser toutes les personnes de la République tchétchène déplacées sur le plan interne à séjourner dans son pays et de reconnaître à ceux qui le souhaitent le droit d'y résider. L'Assemblée appelle par conséquent les services fédéraux russes des migrations et les autres autorités compétentes à ne jamais recourir à la force directe ou indirecte, ou à des pressions indues, quelles qu'elles soient, pour obliger des personnes déplacées à retourner dans la République tchétchène contre leur gré. L'Assemblée réaffirme que la coercition est une atteinte aux droits fondamentaux et se déclare convaincue qu'elle ne peut qu'aggraver l'instabilité.
10. L'Assemblée appelle les autorités compétentes de la Fédération de Russie et de la République tchétchène à établir urgemment, en coopération avec les Etats européens et la communauté internationale plus largement, un plan coordonné d'actions pour la reconstruction et l'aide humanitaire, et à garantir l'utilisation équitable, appropriée et transparente de cette aide. L'Assemblée souligne l'importance d'un libre accès des organisations humanitaires à la République tchétchène et invite ces dernières à examiner les contributions qu'elles devraient apporter. Dans le même temps, l'Assemblée invite les autorités russes à simplifier les règlements régissant leur accès et à lever tous les obstacles bureaucratiques qui peuvent compromettre leur action.
11. L'Assemblée appelle ceux qui, en République tchétchène, ont pris les armes contre les autorités de la Fédération de Russie et de la République tchétchène à rendre leurs armes et à s'engager dans un véritable processus politique; elle les invite également à se montrer convaincants en prenant leurs distances à l'égard des actes terroristes et d'autres crimes procédant du conflit en République tchétchène; elle demande en outre la libération immédiate de toutes les personnes qui ont été enlevées. L'Assemblée réaffirme que la violence n'a pas sa place dans une résolution politique du conflit, dans l'intérêt de tous les habitants de la République tchétchène.