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Résolution 1397 (2004)

Fonctionnement des institutions démocratiques en Serbie-Monténégro

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 5 octobre 2004 (26e séance) (voir Doc. 10281, rapport de la commission pour le respect des obligations et engagements des Etats membres du Conseil de l’Europe (commission de suivi), corapporteurs: MM. Budin et Cekuolis). Texte adopté par l’Assemblée le 5 octobre 2004 (26e séance).

1. La Serbie-Monténégro est devenue membre du Conseil de l’Europe le 3 avril 2003, moins d’un mois après le tragique assassinat du Premier ministre serbe Zoran Djindjic. Ce crime a eu un effet traumatisant d’une très grande portée, affectant notamment les efforts déployés pour mener de vastes réformes démocratiques conformes aux normes du Conseil de l’Europe.
2. Depuis l’adhésion, et après la fin de l’état d’urgence imposé à la suite de l’assassinat de M. Djindjic, la Serbie-Monténégro a formellement mené à bien la création des institutions de l’union d’état, fondée sous les auspices de l’Union européenne. Aujourd’hui, le Parlement et le Conseil des ministres de l’union d’état de Serbie-Monténégro se réunissent régulièrement et les juges ont été récemment nommés à la Cour d’Etat.
3. La Serbie-Monténégro a signé et ratifié la Convention européenne des Droits de l’Homme (STE n° 5), la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (STE n° 126) et la Convention-cadre pour la protection des droits des minorités nationales (STE n° 157), et elle est sur la bonne voie en ce qui concerne ses autres engagements formels à l’égard du Conseil de l’Europe.
4. En Serbie, le nouveau gouvernement du Premier ministre Vojislav Kostunica a lancé une ambitieuse réforme législative et adopté une série de lois cruciales dans les domaines de l’organisation politique et du système judiciaire. Dans ce contexte, le gouvernement fait régulièrement appel à l’expertise du Conseil de l’Europe. Un processus analogue est en cours au Monténégro.
5. En juin de cette année, après presque deux ans et trois scrutins invalidés, la Serbie a enfin réussi à élire son nouveau Président, Boris Tadic. Ce succès est le résultat des modifications apportées à la loi électorale par le nouveau parlement, qui a supprimé le seuil de participation exigé pour que l’élection puisse être validée. A cette occasion, le gouvernement a également supprimé le seuil de représentation parlementaire pour les partis représentant les minorités nationales.
6. Les réalisations des autorités en Serbie-Monténégro sont d’autant plus importantes qu’elles s’inscrivent dans le contexte très difficile de la situation héritée du régime de Milosevic et des mauvaises conditions économiques et sociales dans les deux Etats membres de l’union d’état.
7. La situation au Kosovo et le manque de sécurité pour les membres restants de la communauté serbe et d’autres communautés non albanaises, particulièrement après l’éruption de violence ethnique en mars de cette année, ont également des répercussions négatives sur la situation en Serbie. Le grand nombre de personnes déplacées à l’intérieur du pays représente un fardeau financier supplémentaire pour cet Etat qui accueille déjà plusieurs centaines de milliers de réfugiés venus de Croatie et de Bosnie-Herzégovine. L’installation de nombreux réfugiés et de personnes déplacées serbes dans des zones habitées essentiellement par des minorités nationales a changé la structure ethnique de la Vojvodine. La situation sociale se dégrade et le destin tragique de ces personnes est souvent exploité par des politiciens populistes qui préconisent des politiques et des idées extrémistes, fondées sur l’intolérance.
8. Tandis que la situation au Kosovo échappe en grande partie à l’influence des autorités de Belgrade, l’Assemblée parlementaire estime qu’il n’en va pas de même pour la plupart des autres problèmes qui freinent le processus de réformes démocratiques et le rétablissement social et économique. C’est particulièrement vrai, en Serbie, pour les luttes politiques intestines entre les responsables politiques modérés, proeuropéens et démocrates, luttes qui ont contribué à donner un nouvel élan aux forces extrémistes dans le pays après que celles-ci ont quasiment disparu de la scène politique à la suite des premières élections démocratiques au parlement serbe en décembre 2000.
9. Le respect par la Serbie-Monténégro de ses obligations en vertu du Statut du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) est au point mort, et même en recul. Une campagne publique contre le tribunal, menée depuis le 5 octobre 2000 par certains dirigeants politiques serbes, a engendré une profonde hostilité du public à l’égard du TPIY et induit le refus de procéder à de nouvelles extraditions. L’Assemblée considère que de telles attitudes contribuent non seulement à créer un déni de justice pour les centaines de milliers de victimes des crimes commis lors des guerres sur le territoire de l’ancienne Yougoslavie, mais aussi à perpétuer le mythe illusoire d’une Serbie injustement traitée par le monde extérieur. De telles idées, qui étaient répandues sous le régime précédent, sont pour la Serbie un obstacle insurmontable sur la voie de la stabilité démocratique et de la réconciliation avec elle-même et avec ses voisins.
10. Depuis la chute du régime de M. Milosevic, il y a moins de quatre ans, la Serbie a connu deux scrutins parlementaires et quatre élections présidentielles. Des élections municipales et régionales (Vojvodine), permettant pour la première fois l’élection directe des maires, se sont déroulées le 19 septembre 2004. En outre, quelques signes laissent envisager la tenue d’élections législatives anticipées avant la fin de l’année, et les électeurs pourraient également être appelés aux urnes au début de 2005 pour l’élection directe des représentants serbes au Parlement de l’union d’état. Des élections démocratiques sont sans aucun doute le fondement de toute démocratie, mais l’Assemblée prévient qu’elles ne peuvent remplacer l’action politique; la baisse constante du taux de participation montre clairement que trop d’élections entraînent une profonde fatigue électorale qui entame la confiance des citoyens à l’égard des institutions démocratiques.
11. Tandis que la réforme législative, menée en coopération active avec le Conseil de l’Europe, est en bonne voie tant en Serbie qu’au Monténégro, un certain nombre de lois d’une importance capitale, dans les domaines de la police et des médias, doivent encore être adoptées ou rendues pleinement conformes aux normes du Conseil de l’Europe. Ce point est préoccupant, et l’Assemblée estime que les autorités de Belgrade et de Podgorica devraient faire beaucoup plus pour mener à bien une véritable réforme permettant de prévenir efficacement toute tentative d’exploiter la police et les médias à des fins politiques.
12. Tandis que la réforme législative, menée en coopération active avec le Conseil de l’Europe, est en bonne voie tant en Serbie qu’au Monténégro, un certain nombre de lois d’une importance capitale, dans les domaines de la police et des médias, doivent encore être adoptées ou rendues pleinement conformes aux normes du Conseil de l’Europe. Ce point est préoccupant, et l’Assemblée estime que les autorités de Belgrade et de Podgorica devraient faire beaucoup plus pour mener à bien une véritable réforme permettant de prévenir efficacement toute tentative d’exploiter la police et les médias à des fins politiques.
13. Dans ce contexte, l’Assemblée note que, à la suite de la politique menée par le régime de Milosevic, la composition ethnique de la Vojvodine, où de nombreuses communautés nationales et religieuses coexistaient pacifiquement, a considérablement changé. L’Assemblée attire l’attention des autorités de Serbie-Monténégro sur les dispositions pertinentes de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales du Conseil de l’Europe, en particulier sur l’article 16, qui préconise de s’abstenir de modifier la composition ethnique dans une aire géographique où réside une importante minorité nationale.
14. L’indépendance du pouvoir judiciaire est officiellement garantie par la loi, en Serbie comme au Monténégro. Cependant, particulièrement en Serbie, les juges se plaignent d’une interférence excessive de la part du pouvoir exécutif et de campagnes médiatiques visant à discréditer le pouvoir judiciaire au moyen d’allégations de corruption et de liens avec le crime organisé. Ces faits se produisent au moment où deux tribunaux spéciaux serbes conduisent deux procès d’une importance cruciale: le tribunal spécial pour le crime organisé juge les personnes accusées de l’assassinat de M. Djindjic, le tribunal spécial pour les crimes de guerre, les personnes accusées des crimes commis à Ovcara, en Croatie, immédiatement après la chute de Vukovar. Au Monténégro, un nombre significatif de nominations de magistrats ont été bloquées par le parlement, ce qui suscite quelques inquiétudes quant à l’interférence politique dans l’exercice du pouvoir judiciaire.
15. Dans sa forme et dans les circonstances actuelles, l’union d’état de Serbie-Monténégro, créée à l’initiative et avec l’assistance de l’Union européenne afin de soutenir le processus de réforme démocratique et économique, et d’accélérer son intégration dans l’Union européenne, ne répond pas aux attentes. L’Assemblée estime que cela est dû principalement au fait que la Serbie et le Monténégro n’ont pas modifié leurs Constitutions respectives pour les rendre conformes à la Charte constitutionnelle. Plus d’un an après l’expiration du délai convenu de six mois, il y a peu de signes d’une véritable intention de procéder aux modifications constitutionnelles nécessaires dans un avenir proche. Le statu quo crée un vide constitutionnel et engendre ainsi des contradictions constitutionnelles, juridiques, administratives et politiques, ce qui empêche l’union d’état et ses institutions de jouer un autre rôle que celui d’une coquille pratiquement dépourvue de pouvoirs.
16. L’Assemblée, pleinement consciente de l’importance du bon fonctionnement de l’union d’état pour la réussite des réformes démocratiques en Serbie-Monténégro et son intégration dans l’Union européenne, invite:
16.1. les gouvernements, les parlements et toutes les forces politiques de Serbie-Monténégro à relancer et achever rapidement leur réforme constitutionnelle pour créer les conditions constitutionnelles et juridiques préalables nécessaires au fonctionnement normal de l’union d’état avant l’expiration de la période de trois ans prévue par la Charte constitutionnelle;
a. le Conseil des ministres et le Parlement de l’union d’état à intensifier leurs activités, en privilégiant les domaines dans lesquels il n’y a eu jusqu’ici que peu de progrès, voire aucun, tels que:
b. la levée des obstacles à la libre circulation des biens et des services entre la Serbie et le Monténégro;
c. l’adoption des décisions juridiques et administratives nécessaires au respect des obligations incombant au pays en sa qualité de membre du Conseil de l’Europe, à commencer par la sélection de candidats au poste de juge à la Cour européenne des Droits de l’Homme et par la nomination de l’agent du gouvernement auprès de la Cour;
d. le retour des réfugiés et personnes déplacées serbes dans leur patrie d’origine;
e. le démantèlement des tribunaux militaires et le transfert de leurs compétences aux juridictions civiles;
f. le respect de toutes les autres obligations issues de la Charte constitutionnelle qui relèvent de leur compétence et qui n’ont pas encore été honorées.
17. Par ailleurs, l’Assemblée demande aussi aux dirigeants politiques de Serbie-Monténégro, ainsi qu’à l’Union européenne, d’entamer des discussions dans le but de lever les obstacles au bon fonctionnement de l’union d’état, et notamment ceux relatifs à l’obligation d’organiser l’élection au suffrage direct des membres du Parlement de l’union d’état dans un délai de deux ans après l’entrée en vigueur de la Charte constitutionnelle.
18. S’agissant du Kosovo, l’Assemblée invite les autorités de Serbie-Monténégro à chercher de manière constructive une solution durable à ce problème. Elles devraient poursuivre et renforcer le dialogue avec les organes provisoires de l’autonomie du Kosovo et avec la Minuk, encourager les Serbes du Kosovo à participer au processus politique, y compris aux prochaines élections, et aider à démanteler les structures parallèles de gouvernement mises en place dans la région de Mitrovica. De leur côté, les dirigeants de la communauté albanaise du Kosovo et la communauté internationale devraient s’employer bien plus activement à créer durablement les conditions de sécurité nécessaires au retour au Kosovo des Serbes et des autres non-Albanais, et à garantir leur pleine participation à la vie politique. Ces efforts ne pourront aboutir que si des progrès substantiels sont enregistrés à bref délai en ce qui concerne le traitement des conséquences des violences ethniques qui se sont produites en mars de cette année, sur le plan des procédures judiciaires et de la reconstruction.
19. L’Assemblée encourage les autorités de Serbie-Monténégro à poursuivre leurs réformes législatives et à se consacrer principalement aux lois essentielles qui devraient être adoptées dans les meilleurs délais. Parmi ces lois figurent (la liste n’est pas exhaustive):
19.1. en Serbie, la loi sur la police, la loi sur les organisations non gouvernementales et la loi sur le médiateur. De plus, il conviendrait de réviser ou de compléter la série de lois sur les médias, en ce qui concerne les aspects suivants: la prévention de l’ingérence indue du pouvoir exécutif, la concentration des médias, la transparence de la propriété des médias, et l’intégration dans le Code pénal de dispositions relatives à la diffamation;
19.1. au Monténégro, les lois sur la police, les services de renseignements et l’accès du public à l’information.
20. L’Assemblée appelle les autorités de Serbie-Monténégro à s’abstenir de toute tentative de contrôler, d’influencer ou d’intimider les médias. Le gouvernement serbe ne devrait pas utiliser le budget de l’Etat pour maintenir son influence politique sur les médias qui restent la propriété de l’Etat au détriment des médias indépendants. Il devrait aussi mener à terme la transformation de la Radiotélévision serbe en un radiodiffuseur public. Au Monténégro, le nombre des actions en diffamation dirigées contre des médias et le montant des amendes imposées constituent une question très préoccupante.
21. L’Assemblée demande aux autorités de Serbie-Monténégro de faire en sorte que le crime de torture, tel qu’il est défini dans la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, soit inscrit dans la législation, comme l’a notamment recommandé le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants en 1998.
22. L’Assemblée est préoccupée par le risque de dégradation des relations interethniques en Serbie, et notamment en Vojvodine. Elle invite les autorités à faire toute la lumière sur les incidents reposant sur des motifs ethniques et à prendre les sanctions nécessaires, mais aussi à renforcer le dialogue avec les représentants de la minorité afin de prévenir tout risque de détérioration des relations interethniques dans le pays. Par ailleurs, il convient de faire cesser immédiatement et de condamner sans réserve toute tentative d’exploiter les tensions interethniques à des fins politiques, que ce soit aux niveaux local, national ou international. L’Assemblée note aussi avec inquiétude qu’il est toujours fait état de mauvais traitements de Roms par des membres des forces de l’ordre et d’expulsions illégales, et qu’aucun progrès réel n’a été enregistré dans la lutte contre la discrimination à l’encontre des Roms en matière d’accès aux droits sociaux et économiques fondamentaux.
23. L’Assemblée invite la communauté internationale à aider davantage la Serbie-Monténégro, qui accueille plusieurs centaines de milliers de réfugiés originaires de Croatie et de Bosnie-Herzégovine. Il conviendrait notamment de créer les conditions nécessaires au retour durable des personnes souhaitant retourner dans leur pays. En outre, l’Assemblée approuve sans réserve l’appel lancé récemment par Marek Nowicki, le médiateur du Kosovo, qui a demandé à l’union d’état et aux autorités serbes et monténégrines d’accorder aux personnes déplacées du Kosovo certains des droits et des avantages dont bénéficient les réfugiés.
24. Concernant l’indépendance du pouvoir judiciaire, l’Assemblée demande au pouvoir exécutif de renoncer immédiatement à essayer d’influencer le pouvoir judiciaire, de faire pression sur lui ou de le discréditer. Toute allégation justifiée de corruption, de liens avec le milieu criminel ou de partialité politique doit être traitée dans le cadre de la loi, et non pas par les médias. En Serbie, il incombe au gouvernement de créer les conditions permettant aux deux cours spéciales de remplir leurs fonctions de manière indépendante et professionnelle. Au Monténégro, les forces politiques devraient s’abstenir de toute tentative d’influencer le pouvoir judiciaire, que ce soit par leur rôle dans la nomination des juges ou par tout autre moyen.
25. L’Assemblée appelle les autorités de Serbie-Monténégro à renforcer leur lutte contre le crime organisé et la corruption, qui continuent d’entraver la réforme démocratique et la reprise économique.
26. L’Assemblée appelle les autorités de tous niveaux à s’acquitter immédiatement et sans conditions des obligations qui incombent à leur pays en vertu du Statut du TPIY, à commencer par l’arrestation et l’extradition de tous les inculpés qui vivent au grand jour sur le territoire de la Serbie-Monténégro, et par l’intensification des recherches visant à retrouver ceux qui pourraient se cacher dans le pays. Les autorités devraient déférer aux juridictions internes toutes les personnes qui ne sont pas inculpées par le TPIY mais sont soupçonnées de crimes de guerre, et, en particulier, prendre des dispositions en vue d’inculper les personnes soupçonnées d’avoir tué quelque 800 Albanais (dont les corps ont été exhumés à Batajnica et ailleurs en Serbie), d’avoir transféré les cadavres en Serbie et de les avoir de nouveau enterrés. En outre, les autorités devraient immédiatement remplir leur engagement d’informer le public des crimes commis par le régime de Milosevic, au moyen d’une campagne publique, et surtout d’un changement d’attitude de nombreux dirigeants politiques, qui sont en partie responsables de l’hostilité de l’opinion publique à l’égard du tribunal.
27. Etant donné que la poursuite de l’impunité, des «disparitions» et des enlèvements attise les tensions interethniques au Kosovo, les autorités devraient collaborer pleinement avec la Minuk pour apporter des éclaircissements sur le sort des autres Albanais qui ont «disparu» après avoir été arrêtés par la police ou les forces paramilitaires serbes en 1999.
28. En conclusion, l’Assemblée appelle toutes les forces politiques modérées, proeuropéennes et progressistes que compte la Serbie-Monténégro à établir un dialogue et une coopération, dans le but de stabiliser et de consolider les institutions démocratiques des deux Etats et de l’union. C’est une condition préalable indispensable à la réussite des réformes démocratiques, économiques et sociales.
29. L’Assemblée décide de continuer le suivi des obligations et engagements de la Serbie-Monténégro.
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