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Résolution 1527 (2006)

Droits des minorités nationales en Lettonie

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Texte adopté par la Commission permanente, agissant au nom de l’Assemblée, le 17 novembre 2006 (voir Doc. 11094, rapport de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme, rapporteur: M. Severin).

1. La spécificité démographique de la Lettonie, liée à la composition ethnique de sa population, ainsi que sa politique particulière en matière de minorités nationales et de relations interethniques, lui ont valu de focaliser l’attention du Conseil de l’Europe depuis qu’elle y a adhéré en 1995, mais aussi celle d’autres organisations internationales. Sur ses 2,3 millions d’habitants, on compte 59 % de Lettons et 41 % de personnes de différentes minorités ethniques, les Russes constituant 28,5 % de la population totale. Au vu du caractère multiethnique et multiculturel de la société lettonne, la mise en place d’une société cohésive et d’une nation civique solide représente un énorme défi.
2. A cette situation démographique s’ajoute une particularité juridique: un cinquième environ des habitants du pays, soit 418 440 personnes (selon les chiffres au 1er février 2006), ne possèdent ni la nationalité lettonne ni une autre nationalité, même si ces personnes résidaient en Lettonie et étaient citoyens soviétiques lorsque le pays est devenu indépendant. Pour des raisons parfois liées aux réalités de leur existence (notamment les différences entre leurs droits et les droits des citoyens lettons) ou pour des raisons de nature psychologique (comme on peut le comprendre chez des populations autrefois majoritaires et devenues minoritaires), ces non-citoyens se sentent discriminés, marginalisés et humiliés.
3. Cette particularité juridique découle de la façon dont le pays a regagné son indépendance en 1991, dans le contexte de la dissolution de l’Union soviétique. D’un point de vue technique, l’indépendance est le résultat d’un référendum et d’élections parlementaires, organisés dans le cadre d’une législation soviétique modernisée, au cours desquels un grand nombre de personnes appartenant à différentes minorités ont voté en faveur de l’indépendance et ont soutenu le Front populaire, parti d’opposition. Cependant, en substance, le retour à l’indépendance de la Lettonie est parti du principe d’une continuité de l’actuel Etat letton postsoviétique, non avec l’ancienne Union soviétique, mais avec l’ancien Etat letton tel qu’il existait avant son inclusion dans l’URSS.
4. Dans ces circonstances, il reste maintenant à établir une nation lettonne moderne, à la fois civique et multiculturelle. La spécificité de cette mission a d’inévitables répercussions sur la manière, tout aussi spécifique, avec laquelle les relations interethniques, le statut des minorités et l’intégration interculturelle se développent et sont perçus en Lettonie. L’Assemblée parlementaire considère que ses exigences envers la Lettonie doivent être formulées en partant de cette spécificité, en mettant en balance le plein respect des normes européennes communes et la nécessité de parfaire la cohérence et la cohésion de la société et de l’Etat lettons.
5. Dans le cas d’une succession d’Etats, la citoyenneté figure au nombre des questions sensibles dans lesquelles s’inscrivent tous les problèmes liés au statut des minorités. Conformément aux instruments juridiques du Conseil de l’Europe, il est nécessaire de prévenir l’apatridie, et toute personne qui, au moment de la succession d’Etats, possédait la nationalité de l’Etat prédécesseur a droit à une nationalité. Aux yeux de l’Assemblée, quelles que soient les raisons conduisant à ce qu’un Etat succède à un autre, le principe qui doit être respecté est celui du libre choix de leur nouvelle nationalité par les ressortissants de l’Etat prédécesseur. L’existence de doutes fondés quant à la loyauté de certains ressortissants de l’Etat prédécesseur envers l’Etat successeur ne saurait justifier qu’on leur refuse de choisir librement leur citoyenneté (nationalité); elle peut uniquement constituer un argument en faveur de l’application de procédures de «lustration», qui doivent cependant toujours rester en accord avec les droits fondamentaux des intéressés, comme prévu par la Résolution 1096 (1996) de l’Assemblée parlementaire relative aux mesures de démantèlement de l’héritage des anciens régimes totalitaires communistes. Par ailleurs, lorsque la succession d’Etats intervient dans le contexte d’un processus de libération, seuls ceux qui, en tant que représentants de l’Etat prédécesseur, ont violé les droits fondamentaux de ceux qui ont soutenu l’autodétermination conduisant à la formation de l’Etat successeur peuvent être privés du libre choix de leur citoyenneté (nationalité).
6. L’existence et la coexistence de communautés ethniques, culturelles et linguistiques diverses dans une société qui est à la recherche de ses critères de cohésion nationale, ainsi que l’extrême prégnance du contexte historique contemporain qui domine dans une large mesure la conscience collective et l’opinion publique, transforment souvent les relations interethniques et le statut des minorités, malgré les efforts en faveur de l’intégration interethnique, en une source d’incompréhension mutuelle et de méfiance que chaque partie contribue à alimenter. Ces facteurs nourrissent également depuis plus d’une décennie un débat politique interne et international autour de la situation des minorités en Lettonie, y compris dans le pays voisin, la Fédération de Russie. L’Assemblée elle-même a déjà soulevé ce problème en de nombreuses occasions (notamment dans sa Résolution 1236 (2001) sur le respect des obligations et engagements de la Lettonie).
7. La question des droits des minorités nationales doit être abordée dans son contexte politique, social et historique, et il est nécessaire de se demander comment les principes, valeurs et normes défendus par le Conseil de l’Europe, conçus comme un modèle universel, devraient être appliqués pour encourager une coexistence interethnique équilibrée, l’intégration des différentes communautés dans la société et, au-delà et avant tout, le développement d’un pays uni par une vision commune de l’avenir. L’Assemblée considère que l’objectif final de la politique à l’égard des minorités est la cohésion de la société et la coexistence interethnique, fondées sur le respect de la diversité et sur un système de droits, d’obligations et de responsabilités négocié dans un esprit rationnel et positif entre les parties directement concernées.
8. L’Assemblée constate que la Lettonie s’est engagée à respecter les normes, principes et exigences de l’Organisation en vigueur, tels qu’établis notamment par la Convention européenne des Droits de l’Homme (STE no 5) et la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme ainsi que par la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales (STE no 157). La ratification de la convention-cadre par la Lettonie en 2005 représente donc un progrès bienvenu. Il appartient aux mécanismes de supervision de ces conventions ainsi qu’à la Cour européenne des Droits de l’Homme, s’il y a lieu, d’en suivre la mise en œuvre et d’en apprécier l’application en Lettonie, apportant ainsi à la cause de la protection des minorités la seule garantie internationale légitime qui soit libre de tout intérêt partisan ou de motivations politiques orientées.
9. Le Conseil de l’Europe, rejoint par d’autres instances internationales, a établi un corpus de lignes directrices générales qui définit le cadre des droits des minorités nationales. L’Assemblée considère que la politique des Etats membres dans ce domaine devrait s’inscrire dans ce cadre global. Le respect des recommandations générales du Conseil de l’Europe doit donc être évalué et mis en œuvre dans le contexte particulier de chaque Etat. Il importe donc que le passage de ces recommandations à des dispositions juridiques concrètes se fasse à travers un dialogue politique interne constructif entre les différents acteurs directement concernés. Aussi longtemps qu’il existe une volonté politique de respecter ces recommandations, le rôle du Conseil de l’Europe doit être d’encourager le bon déroulement de ce processus et d’apporter son expertise. Dans le cas de la Lettonie, malgré les retards et les hésitations identifiés, on ne peut nier que la volonté politique évolue dans la bonne direction. L’Assemblée espère que ces retards et ces hésitations n’aboutiront ni à ralentir ni à entraver la volonté politique concernant les progrès attendus.
10. L’Assemblée estime que des efforts constructifs et réels doivent continuer d’être entrepris par toutes les parties prenantes pour résoudre au mieux la question de la non-citoyenneté, à la fois par une politique de naturalisation et par des mesures d’accompagnement de ce processus, telles que des campagnes d’information et de sensibilisation. Elle se félicite que la démarche suivie ait eu pour effet de faire passer le pourcentage de non-citoyens de 29 % à 18 % en l’espace de dix ans. Dans les circonstances actuelles, les naturalisations individuelles semblent constituer une solution durable au problème de l’apatridie. Cependant, l’Assemblée constate que le pourcentage des non-citoyens dans la population est toujours assez élevé et se déclare préoccupée par la baisse récente du taux de naturalisation.
11. L’Assemblée considère que les réglementations en matière de naturalisation en Lettonie ne présentent pas d’obstacles insurmontables à l’acquisition de la nationalité lettonne et que la procédure applicable ne comprend aucune exigence excessive ou allant à l’encontre des normes européennes existantes. Cependant, s’agissant de la situation très particulière des non-citoyens, qui est sans précédent et ne permet donc pas de s’appuyer directement sur des normes ou pratiques européennes, l’Assemblée estime que des progrès supplémentaires sont possibles pour éviter d’imposer des exigences superflues aux personnes souhaitant acquérir la nationalité lettonne. Par ailleurs, l’Assemblée encourage les personnes résidant en Lettonie et qui n’ont pas encore la citoyenneté lettonne – en particulier celles qui ont été réticentes à demander leur naturalisation – à la demander dans les meilleurs délais.
12. Dans ce contexte, l’Assemblée prend note des préoccupations exprimées par les observateurs internationaux de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) lors des élections législatives du 7 octobre 2006, selon lesquelles le fait qu’un pourcentage significatif de la population adulte ne possède pas le droit de vote représente une lacune permanente en matière de démocratie. Le pays accomplirait donc un grand pas vers l’intégration des minorités en accordant, comme le recommande l’Assemblée, le droit de vote aux non-citoyens, au moins aux élections locales.
13. Afin d’encourager la cohésion nationale et de renforcer la stabilité de l’Etat, et au regard des normes existantes, l’Assemblée considère que les autorités de l’Etat letton, les dirigeants politiques du pays et la société civile lettonne devraient élaborer des moyens d’intégrer les membres des communautés ethniques minoritaires. Cela suppose notamment d’assurer la participation de ces minorités aux décisions politiques aux niveaux national et local.
14. Dans ce contexte, l’Assemblée estime qu’il conviendrait d’adopter une feuille de route officielle, élaborée par le Gouvernement letton et approuvée par les représentants des minorités, qui définirait les étapes menant à la pleine application des bonnes pratiques européennes dans le domaine des droits des minorités et de l’intégration interethnique. Le rythme de mise en œuvre des mesures prévues par cette feuille de route devrait être accéléré à mesure que se consolideront l’Etat et la nation civique en Lettonie.
15. L’éducation et la langue font partie des questions les plus délicates s’agissant de minorités nationales. Chaque pays devrait définir une politique d’éducation ouverte à l’intégration des différentes communautés et à la promotion de la diversité linguistique. C’est l’objectif déclaré de la réforme de l’éducation actuellement en cours en Lettonie, et l’Assemblée salue tous les progrès accomplis dans ce sens. Cependant, il conviendrait d’apporter une juste réponse – sur la base d’un dialogue intensifié et structuré entre les pouvoirs publics et les représentants des minorités – aux préoccupations de ces dernières, qui prétendent notamment que la nouvelle politique a abouti à une détérioration de la qualité de l’enseignement. Afin d’assurer une qualité d’enseignement élevée, et donc de garantir la compétitivité des jeunes appartenant à des minorités en ces temps de mondialisation, des mesures ciblées devraient être prises pour concilier, d’une part, la nécessité objective et l’obligation constitutionnelle de maîtriser la langue officielle en tant qu’élément de cohésion d’un Etat civique et, d’autre part, le bilinguisme et une flexibilité dans le choix et la proportion des matières enseignées dans la langue maternelle.
16. Comme en témoignent les bonnes pratiques en Europe, la possibilité pour les minorités de communiquer avec les autorités dans leur langue maternelle dans les lieux où elles sont fortement représentées donnerait un immense élan à l’intégration des minorités et à l’instauration d’un climat de dialogue et de compréhension mutuelle. Les autorités lettonnes pourraient donc envisager de modifier en conséquence la législation existante. Ces amendements devraient être effectués dans le but de promouvoir la confiance entre les minorités et la majorité, et de manière à ne pas porter atteinte au statut de la langue lettonne, qui est déjà bien établie en Lettonie comme élément d’identité et comme langue de communication de l’Etat civique, et non ethnique.
17. En conséquence, l’Assemblée parlementaire invite les autorités lettonnes:
17.1. à ratifier dans les meilleurs délais le Protocole no 12 à la Convention européenne des Droits de l’Homme, qui porte interdiction générale de la discrimination (STE no 177);
17.2. à signer et à ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (STE no 148);
17.3. à mettre en œuvre de bonne foi la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales, et à examiner la possibilité de retirer les deux déclarations consignées dans l’instrument de ratification ayant trait aux articles 10.2 et 11 de la convention-cadre, en accord avec la Recommandation 1766 (2006) de l’Assemblée relative à la ratification de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales par les Etats membres du Conseil de l’Europe;
17.4. à élaborer et à adopter, en coopération avec la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise), une législation garantissant l’interdiction de toute discrimination pour des motifs ethniques et qui aboutirait à une réelle égalité entre toutes les communautés ethniques et culturelles vivant en Lettonie, qu’elles soient majoritaires ou minoritaires, tout en excluant que l’une de ces communautés s’identifie à l’Etat au détriment des autres;
17.5. à envisager toutes les possibilités et à examiner tous les moyens appropriés de mettre en œuvre les recommandations formulées en la matière par l’Assemblée, le commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe ainsi que les organes concernés de l’OSCE et des Nations Unies, afin d’accorder à tous les résidents permanents le droit de vote aux élections locales;
17.6. à renforcer les relations entre communautés ethniques et le dialogue interculturel sur la base du principe de la participation effective, tel que stipulé dans l’article 15 de la convention-cadre et, à cette fin, à remettre sur pied le conseil consultatif des minorités auprès du Président de la Lettonie afin de coopérer de façon constructive avec les organisations non gouvernementales et les associations représentatives;
17.7. à poursuivre leurs efforts de sensibilisation afin de promouvoir la politique d’acquisition de la nationalité lettonne par la naturalisation, notamment auprès des personnes actives et des jeunes;
17.8. à réfléchir à la possibilité d’accorder une naturalisation automatique aux personnes qui sont âgées, qui sont nées en Lettonie ou qui ont contribué de façon notable à la mise en place du nouvel Etat indépendant letton;
17.9. à éviter les exigences qui peuvent nuire à la dignité ethnoculturelle de ceux qui sollicitent leur naturalisation en leur demandant d’exprimer des convictions contraires à leur vision de l’histoire de leur communauté ou nation culturelle;
17.10. à réfléchir à la possibilité d’assouplir les conditions liées aux procédures actuelles de naturalisation afin d’accroître le taux de naturalisation et d’accélérer le processus;
17.11. à concevoir et à mettre en place des moyens d’encourager et de garantir l’intégration civique des communautés ethniques, y compris leur intégration dans le processus politique et la fonction publique, notamment:
17.11.1. en modifiant la législation afin de rendre possible l’usage des langues minoritaires dans les relations entre les minorités nationales et les administrations dans les zones où ces minorités sont fortement représentées;
17.11.2. en passant en revue les différences existant entre les droits des citoyens et ceux des non-citoyens afin de supprimer celles qui ne se justifient pas ou qui ne sont pas strictement nécessaires, au moins en faisant en sorte que les non-citoyens jouissent des mêmes droits que les ressortissants d’autres Etats membres de l’Union européenne vivant sur le territoire letton;
17.12. à poursuivre leurs efforts dans la mise en œuvre de leur politique en matière d’éducation, de développement du respect de la diversité et de promotion de la diversité linguistique, dans un esprit d’ouverture; à mettre en œuvre la législation en matière d’éducation et, si nécessaire, à envisager de la modifier en accord avec les dispositions et l’esprit de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales et dans le respect des recommandations pertinentes du Conseil de l’Europe, notamment en assurant une formation adéquate des enseignants qui doivent être capables d’enseigner dans les langues minoritaires.
18. L’Assemblée demande, en outre, aux différents acteurs de la vie politique lettonne de s’abstenir de tenir des discours fondés sur l’intolérance, le racisme ou la haine et d’exploiter à des fins purement politiciennes les tensions intercommunautaires. Elle rappelle sa Résolution 1495 (2006), «Combattre la résurgence de l’idéologie nazie», et sa Résolution 1481 (2006), «Nécessité d’une condamnation internationale des crimes des régimes communistes totalitaires», et espère que les autorités lettonnes continueront à adopter une attitude stricte devant les tentatives de justification des crimes commis en Lettonie par les troupes nazies et le régime totalitaire communiste.
19. L’Assemblée appelle l’Union européenne à veiller à ce que le statut des minorités et les progrès de l’intégration interethnique soient assurés au plus haut niveau dans tous ses Etats membres. Le fait d’accorder aux non-citoyens de Lettonie les mêmes droits qu’aux citoyens de l’Union européenne dans toute l’Union représenterait une avancée concrète dans cette direction.
20. Enfin, l’Assemblée, tenant compte de l’historique des relations russo-lettonnes et de l’importance qu’exerce pour le présent et l’avenir de la Lettonie le voisinage d’un marché et d’une culture aussi importants que ceux de la Fédération de Russie, vis-à-vis desquels la minorité russe peut jouer le rôle de passerelle, considère que les progrès vers la réconciliation sociale et l’intégration interethnique en Lettonie pourraient être grandement facilités par la relance du dialogue politique bilatéral entre la Lettonie et la Fédération de Russie. Elle propose que des contacts à haut niveau soient noués entre les Gouvernements letton et russe, dans le cadre d’une politique de bon voisinage qui reste encore à construire dans la région.