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Recommandation 1774 (2006)

Présence turque en Europe: travailleurs migrants et nouveaux citoyens européens

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Texte adopté par la Commission permanente, agissant au nom de l’Assemblée, le 17 novembre 2006 (voir Doc. 11083, rapport de la commission des migrations, des réfugiés et de la population, rapporteur: M. Gülçiçek; et Doc. 11097, avis de la commission des questions sociales, de la santé et de la famille, rapporteuse: Mme Pehlivan).

1. Les migrations continues de travailleurs turcs à destination de l’Europe ont commencé avec le premier accord bilatéral signé entre l’Allemagne et la Turquie, en 1961. A l’époque, il s’agissait de travailleurs contractuels, conformément à des accords passés entre la Turquie et les pays d’accueil, venant principalement de zones rurales de la Turquie. D’autres pays industriels d’Europe ont depuis attiré ces travailleurs (à savoir l’Autriche, la Belgique, la France, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, la Suède et la Suisse).
2. Les migrations turques vers l’Europe occidentale se sont poursuivies au cours des années 1970, du fait du regroupement familial ou de l’asile politique. La période plus récente, de 1989 à 2006, a été caractérisée par un déclin du nombre de cas de regroupement familial, qui ont fait place à des mariages contractés par des immigré(e)s dit(e)s «de la deuxième génération» et avec des personnes de nationalité turque. La diminution actuelle des mouvements d’émigration en provenance de Turquie est due également à une baisse considérable du nombre de demandeurs d’asile et à la recherche de nouvelles opportunités économiques dans la région de la Communauté d’Etats indépendants et au Proche-Orient.
3. Le nombre d’immigrés turcs vivant dans les principaux pays d’accueil européens reste stable ou en décroissance légère mais constante (en Allemagne, par exemple), ou encore décline rapidement à la suite de l’acquisition de la citoyenneté (en Belgique). De nouveaux pays d’immigration sont apparus, notamment l’Italie, l’Espagne et la Finlande. Au total, environ 3 millions d’immigrés turcs vivent aujourd’hui en Europe et approximativement 1,2 million d’entre eux ont acquis la nationalité du pays hôte.
4. Le niveau d’intégration des résidents turcs des première, deuxième et même troisième générations a fait l’objet de vifs débats politiques et même de controverses dans un certain nombre d’Etats membres. Jusqu’à la moitié des années 1980, la Turquie ainsi que les pays d’accueil ont toujours considéré qu’il s’agissait de travailleurs «hôtes» (Gastarbeiter), qui allaient rentrer un jour ou l’autre en Turquie. Cette idée fort répandue a dès le départ faussé le débat sur l’intégration et, de ce fait, les pays d’accueil ne se sont pas investis dans une politique d’intégration.
5. L’Assemblée parlementaire considère que l’identité sociale et culturelle forte des immigrés turcs et des ressortissants européens d’ascendance turque ne devrait pas être perçue comme un obstacle à une pleine intégration. Le rôle des immigrés turcs dans le développement des liens culturels et économiques avec la Turquie représente une chance et non une menace pour la poursuite de l’intégration européenne.
6. Les liens multiples et substantiels des immigrés turcs et des ressortissants européens d’ascendance turque avec leur pays d’origine ne se caractérisent pas seulement par le dynamisme économique et la richesse culturelle, mais aussi par la transmission des valeurs européennes, qui contribue à l’évolution positive de la démocratie turque et au respect de la primauté du droit et des droits de l’homme. La perspective de l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne en est un excellent exemple. La proportion élevée d’affaires concernant la Turquie portées devant la Cour européenne des Droits de l’Homme en est un exemple frappant, avec des requérants de plus en plus conscients de leurs droits en vertu de la Convention et prêts à les défendre.
7. Il va de soi que l’intégration est un processus à deux sens, qui exige une estime mutuelle et des efforts soutenus aussi bien de la part de la société d’accueil que de la population immigrée et de ses descendants, afin de parvenir à une vie en commun sans tensions. Si les autorités et la population du pays d’accueil doivent contribuer à la réception des immigrés et à leur intégration économique, sociale et culturelle, en les protégeant de toutes formes de discrimination, la population immigrée, soutenue par les autorités du pays d’accueil, doit elle aussi tout mettre en œuvre pour se conformer aux coutumes de la société hôte – en apprenant sa langue, en observant ses habitudes et ses codes, et en se conformant à la loi et aux réglementations.
8. Il y aurait lieu de s’employer à corriger de nombreuses inégalités de traitement, souvent associées au travail occasionnel, au travail au noir, à l’éducation et à la formation professionnelle, aux prestations liées à la retraite et à la sécurité sociale, au regroupement familial, aux retours, aux envois de fonds, à la libre circulation et à la question de la pluralité de nationalités.
9. L’Assemblée rappelle, par conséquent, les principes et droits fondamentaux énoncés dans les instruments du Conseil de l’Europe – qui ont été adoptés en vue de garantir le développement économique et social tout en permettant d’exercer et de maintenir les droits de l’homme et les libertés fondamentales, sans aucune discrimination fondée notamment sur la race, la couleur, le sexe, la religion et les opinions politiques. Il est notamment fait référence, à cet égard, à la Convention européenne des Droits de l’Homme (STE no 5) et à ses protocoles, à la Charte sociale européenne révisée (STE no 163), à la Convention européenne relative au statut juridique du travailleur migrant (STE no 93), à la Convention sur la participation des étrangers à la vie publique au niveau local (STE no 144), au Code européen de sécurité sociale (STE no 48) et à la Convention européenne d’assistance sociale et médicale (STE no 14). On peut citer également la Convention internationale des Nations Unies sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, ratifiée par la Turquie.
10. L’Assemblée est préoccupée par le fait que les politiques et pratiques nationales concernant les travailleurs migrants et leur famille, y compris les immigrés venant de Turquie, répondent de moins en moins aux normes juridiques internationales.
11. Eu égard à ce qui précède, l’Assemblée parlementaire recommande au Comité des Ministres:
11.1. de renforcer les mécanismes du Conseil de l’Europe pour le suivi d’instruments juridiques, en particulier des dispositions relatives aux droits des migrants, telles que l’article 19 de la Charte sociale européenne révisée;
11.2. d’introduire des sanctions plus efficaces en cas d’inobservation;
11.3. d’appeler les Etats membres:
11.3.1. à signer, à ratifier et à mettre en œuvre, selon le cas, les instruments juridiques pertinents du Conseil de l’Europe, à savoir la Convention européenne des Droits de l’Homme et ses protocoles, la Charte sociale européenne révisée, la Convention européenne relative au statut juridique du travailleur migrant, la Convention sur la participation des étrangers à la vie publique au niveau local, le Code européen de sécurité sociale et la Convention européenne d’assistance sociale et médicale;
11.3.2. à impliquer les associations de migrants dans le processus de suivi et à éliminer, lorsqu’il y a lieu, les obstacles à cette participation;
11.3.3. plus spécifiquement:
11.3.3.1. à appliquer des politiques volontaristes pour combattre la discrimination et l’intolérance;
11.3.3.2. à faciliter, aux travailleurs migrants, l’accès à l’information ainsi que l’accès à leurs droits en pratique;
11.3.4. en ce qui concerne la délivrance de permis de travail et de permis de résidence:
11.3.4.1. à fixer des délais limites raisonnables de délivrance de ces permis, ne dépassant pas six mois;
11.3.4.2. à limiter les droits afférents au permis de travail et de résidence à des coûts administratifs n’excédant pas les droits perçus pour la délivrance de passeports aux nationaux;
11.3.4.3. à garantir que soit octroyé automatiquement un statut de résident aux enfants de titulaires de permis de travail ou de résidence;
11.3.4.4. à cesser d’ordonner la reconduite immédiate à la frontière, à l’expiration du permis de travail ou de résidence;
11.3.4.5. à garantir que soit délivré automatiquement un permis de résidence aux immigrés ayant séjourné légalement de manière continue dans le pays depuis plus de cinq ans;
11.3.5. en matière de sécurité sociale et d’assurance-maladie:
11.3.5.1. à garantir aux résidents des droits égaux à ceux des nationaux;
11.3.5.2. en cas de retour volontaire, à garantir des droits égaux à ceux des nationaux concernant les transferts de prestations de sécurité sociale et d’assurance-maladie;
11.3.6. dans le domaine de l’éducation:
11.3.6.1. en coopération avec le pays d’origine, à promouvoir l’éducation dans la langue maternelle parallèlement à l’éducation ordinaire;
11.3.6.2. à éviter la ségrégation des enfants d’immigrés dans des établissements spéciaux;
11.3.6.3. à offrir aux enfants d’immigrés des possibilités égales en matière d’éducation et de carrière, en évitant de les cantonner dans des secteurs de l’économie à faibles qualifications et bas salaires;
11.3.6.4. à organiser à l’intention des travailleurs immigrés et de leur famille, particulièrement au niveau local, l’apprentissage, gratuit dans la mesure du possible, de la langue du pays d’accueil, au moyen de cours sur mesure, pratiques et axés sur les principaux centres d’intérêt de leur vie, ainsi que l’initiation aux règles de droit, aux valeurs démocratiques fondamentales, incluant l’égalité entre les hommes et les femmes, adaptée aux besoins spécifiques des femmes immigrées, et à assurer l’évaluation de l’efficacité de ces dispositifs;
11.3.6.5. à élaborer des formations spécifiques pour les instituteurs sur le thème «comment vivre dans une société multiculturelle/comment vivre la diversité?» et à prévoir dans l’enseignement primaire des cours pour les enfants (aussi bien les enfants d’origine immigrée que les enfants autochtones) sur le même thème;
11.3.7. dans l’emploi, aussi bien dans le secteur public que dans le secteur privé:
11.3.7.1. à éliminer les obstacles à l’égalité dans l’accès à l’emploi et dans l’avancement professionnel;
11.3.7.2. à prendre des mesures pour combattre la discrimination et l’exclusion au travail, en particulier par le biais de l’instauration par les employeurs de plans de diversité (qui pourraient contenir la désignation d’un manager responsable de questions telles que la diversité, les candidatures anonymes et les quotas), ainsi que par le biais d’un investissement plus actif des syndicats dans la défense des droits des travailleurs immigrés;
11.3.7.3. à prendre des mesures pour développer l’accès des travailleurs immigrés, en particulier des travailleurs indépendants, à la formation professionnelle;
11.3.8. en matière d’intégration:
11.3.8.1. à élaborer des politiques encourageant la participation active des immigrés à la vie sociale, culturelle, économique et politique du pays d’accueil;
11.3.8.2. à éliminer les obstacles au droit d’association des immigrés afin de protéger leurs droits sociaux, économiques et politiques, en vue d’une participation active au sein des associations, des syndicats et des partis politiques, et aux élections;
11.3.8.3. à permettre la double nationalité, qui doit être considérée comme un moyen d’élever le niveau d’intégration tout en préservant la diversité culturelle et les liens avec le pays d’origine;
11.3.8.4. à prendre des mesures encourageant le respect des diverses cultures et religions, en tant que facteur essentiel de la stabilité et de la paix sociales.