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Recommandation 1781 (2007)
L’agriculture et l’emploi irrégulier en Europe
1. L’Assemblée parlementaire est préoccupée
par les nombreux cas de non-respect de la législation sociale concernant
les rapports entre employeurs et employés, qui touchent plus particulièrement
la main-d’œuvre étrangère dans le secteur agricole. Elle rappelle
ses différents travaux sur le sujet, notamment ses Résolution 1509 (2006) et Recommandation
1755 (2006) sur les droits fondamentaux des migrants irréguliers, ses Recommandation 1767 (2006) et Résolution
1521 (2006) relatives à l’arrivée massive de migrants irréguliers
sur les rivages de l’Europe du Sud, ses Résolution 1501 (2006) et Recommandation
1748 (2006) intitulées «Migrations de travail en provenance des
pays d’Europe centrale et orientale: état présent et perspectives»,
et sa Recommandation
1618 (2003) relative aux migrants occupant un emploi irrégulier
dans le secteur agricole des pays du sud de l’Europe.
2. L’Assemblée rappelle la Convention européenne relative à la
protection sociale des agriculteurs (STE no 83)
et notamment son article 3 selon lequel «toute Partie contractante
assurera aux exploitants agricoles, aux membres de leurs familles
et, le cas échéant, aux salariés qu’ils emploient, une protection
sociale comparable à celle dont jouissent d’autres groupes de la
population (…)». L’Assemblée rappelle les principes énoncés dans
la Charte sociale européenne révisée (STE no 163),
qui stipulent notamment que «tous les travailleurs ont droit à des
conditions de travail équitables» et «ont droit à la dignité dans
le travail» (partie I, articles 2 et 26), ainsi que la Convention
sur la lutte contre la traite des êtres humains (STCE no 197).
Elle rappelle également la Convention 184 et la Recommandation 192 sur la sécurité et la santé dans l’agriculture de l’Organisation
internationale du travail, adoptée en juin 2001, et la Convention
internationale des Nations Unies sur la protection des droits de
tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, entrée
en vigueur en mars 2003, et regrette que seuls trois Etats membres
du Conseil de l’Europe (l’Azerbaïdjan, la Bosnie-Herzégovine et
la Turquie) aient ratifié cet instrument.
3. Depuis une dizaine d’années, le système à flux tendu touche
l’approvisionnement en fruits et légumes, et les pressions internationales
en vue de la libéralisation des marchés agricoles sont constantes.
Les conséquences pour les producteurs qui ne peuvent pas faire face
à l’afflux de produits à bas prix sont dramatiques et la tendance
générale est à la disparition des petits exploitants au profit de
grands groupes agroalimentaires. La course vers les prix les plus
bas touche directement les salariés de ces secteurs qui doivent
adapter leur travail à l’évolution du marché, au risque de perdre
leur emploi, et c’est la main-d’œuvre qui est maintenant devenue
la variable ajustable.
4. L’agriculture n’est pas le seul secteur économique en Europe
qui dépende fortement de l’exploitation d’une main-d’œuvre non déclarée,
souvent étrangère et clandestine, mais les fruits et légumes sont
le seul secteur agricole intensif qui, bien que mécanisé, nécessite
l’emploi d’une forte main-d’œuvre. Le recours à la main-d’œuvre
non déclarée est désormais une caractéristique de l’agriculture,
surtout dans les activités saisonnières. Cette situation crée des
avantages économiques et une distorsion de la concurrence dont profitent
les entrepreneurs les moins scrupuleux, avec comme corollaire l’abus
ou la privation totale des droits sociaux des travailleurs agricoles.
5. L’Assemblée est consciente du fait que le problème touche
l’ensemble du continent et dépasse les compétences nationales des
Etats. Des réseaux internationaux de trafic de main-d’œuvre illégale
se développent en utilisant la situation de vulnérabilité dans laquelle
se trouvent les migrants en quête de travail et prêts à tout pour
pouvoir améliorer leurs conditions de vie et celles de leur famille
dans leur pays d’origine, et en jouant sur les différences entre
les législations nationales applicables et l’absence d’une réglementation européenne
en la matière.
6. L’Assemblée constate que le travail illégal peut malheureusement
revêtir des formes d’exploitation qu’elle condamne comme étant contraires
à une société moderne, aux droits de l’homme et aux valeurs défendues
par le Conseil de l’Europe.
7. L’Assemblée note que les personnes qui ont un emploi irrégulier
sont aussi souvent celles qui sont dans une situation irrégulière
et qu’elles sont ainsi doublement exposées à l’exploitation, en
tant que travailleurs illégaux et migrants irréguliers.
8. L’Assemblée considère que tous les travailleurs agricoles,
qu’ils soient permanents ou saisonniers, sont des hommes et des
femmes qui ont droit au respect et à la dignité humaine. Par conséquent,
les mêmes droits que les autres travailleurs doivent leur être garantis,
dans l’application des législations nationales et internationales
en matière de droit du travail.
9. Afin de mettre fin à la disparité des réglementations, il
faut soumettre les conditions de travail dans l’agriculture à un
cadre juridique contraignant adapté aux différentes situations des
travailleurs, qu’ils soient permanents ou saisonniers, étrangers
ou nationaux. Cela permettrait également de stimuler la main-d’œuvre nationale,
souvent déficiente. Ce cadre juridique doit être assorti de sanctions
applicables aux contrevenants et de moyens de contrôle pertinents
et efficaces.
10. A cet effet, l’Assemblée recommande au Comité des Ministres
d’inviter les Etats membres:
10.1. à
rédiger et à mettre en œuvre des conventions collectives régissant
le travail dans l’agriculture, notamment le travail saisonnier,
prenant en compte la spécificité du secteur et du rythme de travail
qu’il impose, et précisant notamment la sécurité sociale, les salaires,
le temps de travail, les heures supplémentaires et les conditions
de logement, tout en s’assurant que les systèmes de renouvellement des
contrats soient contrôlés par un organisme indépendant afin d’éviter
tout type de pression sur les employés;
10.2. à prévoir l’acquisition progressive de droits pour les
bénéficiaires de permis de travail renouvelés, dont le droit au
séjour de longue durée, au regroupement familial et à une pension
de retraite;
10.3. à mettre en place des systèmes de contrôle rigoureux et
efficaces de ces réglementations assortis de sanctions dissuasives
et rapides contre les infractions au droit du travail;
10.4. à mettre en place une meilleure coopération transfrontalière
pour lutter contre les réseaux de trafic de main-d’œuvre, en développant
notamment les centres nationaux de contact pour l’amélioration des
informations sur les migrations, qui pourrait être étendue à des
Etats non membres de l’Union européenne afin de coordonner les outils
de lutte contre les réseaux de main-d’œuvre illégale;
10.5. à garantir que les migrants irréguliers, y compris ceux
qui travaillent dans le secteur agricole, bénéficient au minimum
des droits définis dans la Résolution
1509 (2006) de l’Assemblée sur les droits fondamentaux des migrants
irréguliers;
10.6. à s’attaquer aux causes premières du recours à des migrants
irréguliers dans le secteur agricole, y compris les facteurs économiques,
le manque de main-d’œuvre locale, les restrictions au recrutement des
personnes venues de l’étranger, la complexité des procédures administratives
ainsi que les employeurs peu scrupuleux;
10.7. à apporter à la situation des migrants irréguliers, y
compris dans l’agriculture, une réponse équitable et humaine, en
examinant les options pour leur régularisation ou leur retour dans
le pays d’origine;
10.8. à conclure des accords de réadmission entre pays d’accueil
et d’origine pour les migrants irréguliers, accompagnés de programmes
spécifiques d’éducation et de formation ainsi que de projets de
coopération et de développement économiques dans les pays d’origine;
10.9. à organiser, en coopération avec les organisations professionnelles
agricoles et les syndicats, de grandes campagnes d’information sur
les métiers de l’agriculture, et à promouvoir la formation et le recrutement
de la main-d’œuvre locale tout en créant les conditions de travail
adéquates dans le respect et la reconnaissance du travail accompli;
10.10. à inviter les médiateurs nationaux et régionaux à examiner
la situation précaire des travailleurs irréguliers employés dans
l’agriculture.
11. L’Assemblée recommande également au Comité des Ministres de
charger le Comité européen pour la cohésion sociale (CDCS):
11.1. d’envisager l’élaboration d’un
protocole additionnel à la Convention européenne relative à la protection
sociale des agriculteurs instituant un mécanisme de suivi de cette
convention;
11.2. d’élaborer un protocole additionnel à ladite convention,
concernant la protection sociale des travailleurs saisonniers dans
le secteur agricole.
12. Par ailleurs, l’Assemblée invite les Etats membres qui ne
l’ont pas encore fait:
12.1. à signer
et/ou à ratifier la Convention européenne relative à la protection
sociale des agriculteurs;
12.2. à signer et/ou à ratifier la Convention 184 sur la sécurité
et la santé dans l’agriculture de l’Organisation internationale
du travail, et à mettre en œuvre la Recommandation 192 y relative;
12.3. à signer et/ou à ratifier la Convention internationale
des Nations Unies sur la protection des droits de tous les travailleurs
migrants et des membres de leur famille;
12.4. à signer et/ou à ratifier la Charte sociale européenne
révisée;
12.5. à signer et/ou à ratifier la Convention sur la lutte contre
la traite des êtres humains.
13. L’Assemblée invite également le commissaire aux droits de
l’homme du Conseil de l’Europe à examiner l’exploitation des travailleurs
du secteur agricole dans le cadre de ses travaux pays par pays.
14. Enfin, l’Assemblée invite les syndicats nationaux et européens
à promouvoir et à défendre les droits des travailleurs saisonniers,
en particulier dans le secteur agricole.