Imprimer
Autres documents liés

Recommandation 1781 (2007)

L’agriculture et l’emploi irrégulier en Europe

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 24 janvier 2007 (6e séance) (voir Doc. 11114, rapport de la commission de l’environnement, de l’agriculture et des questions territoriales, rapporteur: M. Dupraz). Texte adopté par l’Assemblée le 24 janvier 2007 (6e séance).

1. L’Assemblée parlementaire est préoccupée par les nombreux cas de non-respect de la législation sociale concernant les rapports entre employeurs et employés, qui touchent plus particulièrement la main-d’œuvre étrangère dans le secteur agricole. Elle rappelle ses différents travaux sur le sujet, notamment ses Résolution 1509 (2006) et Recommandation 1755 (2006) sur les droits fondamentaux des migrants irréguliers, ses Recommandation 1767 (2006) et Résolution 1521 (2006) relatives à l’arrivée massive de migrants irréguliers sur les rivages de l’Europe du Sud, ses Résolution 1501 (2006) et Recommandation 1748 (2006) intitulées «Migrations de travail en provenance des pays d’Europe centrale et orientale: état présent et perspectives», et sa Recommandation 1618 (2003) relative aux migrants occupant un emploi irrégulier dans le secteur agricole des pays du sud de l’Europe.
2. L’Assemblée rappelle la Convention européenne relative à la protection sociale des agriculteurs (STE no 83) et notamment son article 3 selon lequel «toute Partie contractante assurera aux exploitants agricoles, aux membres de leurs familles et, le cas échéant, aux salariés qu’ils emploient, une protection sociale comparable à celle dont jouissent d’autres groupes de la population (…)». L’Assemblée rappelle les principes énoncés dans la Charte sociale européenne révisée (STE no 163), qui stipulent notamment que «tous les travailleurs ont droit à des conditions de travail équitables» et «ont droit à la dignité dans le travail» (partie I, articles 2 et 26), ainsi que la Convention sur la lutte contre la traite des êtres humains (STCE no 197). Elle rappelle également la Convention 184 et la Recommandation 192 sur la sécurité et la santé dans l’agriculture de l’Organisation internationale du travail, adoptée en juin 2001, et la Convention internationale des Nations Unies sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, entrée en vigueur en mars 2003, et regrette que seuls trois Etats membres du Conseil de l’Europe (l’Azerbaïdjan, la Bosnie-Herzégovine et la Turquie) aient ratifié cet instrument.
3. Depuis une dizaine d’années, le système à flux tendu touche l’approvisionnement en fruits et légumes, et les pressions internationales en vue de la libéralisation des marchés agricoles sont constantes. Les conséquences pour les producteurs qui ne peuvent pas faire face à l’afflux de produits à bas prix sont dramatiques et la tendance générale est à la disparition des petits exploitants au profit de grands groupes agroalimentaires. La course vers les prix les plus bas touche directement les salariés de ces secteurs qui doivent adapter leur travail à l’évolution du marché, au risque de perdre leur emploi, et c’est la main-d’œuvre qui est maintenant devenue la variable ajustable.
4. L’agriculture n’est pas le seul secteur économique en Europe qui dépende fortement de l’exploitation d’une main-d’œuvre non déclarée, souvent étrangère et clandestine, mais les fruits et légumes sont le seul secteur agricole intensif qui, bien que mécanisé, nécessite l’emploi d’une forte main-d’œuvre. Le recours à la main-d’œuvre non déclarée est désormais une caractéristique de l’agriculture, surtout dans les activités saisonnières. Cette situation crée des avantages économiques et une distorsion de la concurrence dont profitent les entrepreneurs les moins scrupuleux, avec comme corollaire l’abus ou la privation totale des droits sociaux des travailleurs agricoles.
5. L’Assemblée est consciente du fait que le problème touche l’ensemble du continent et dépasse les compétences nationales des Etats. Des réseaux internationaux de trafic de main-d’œuvre illégale se développent en utilisant la situation de vulnérabilité dans laquelle se trouvent les migrants en quête de travail et prêts à tout pour pouvoir améliorer leurs conditions de vie et celles de leur famille dans leur pays d’origine, et en jouant sur les différences entre les législations nationales applicables et l’absence d’une réglementation européenne en la matière.
6. L’Assemblée constate que le travail illégal peut malheureusement revêtir des formes d’exploitation qu’elle condamne comme étant contraires à une société moderne, aux droits de l’homme et aux valeurs défendues par le Conseil de l’Europe.
7. L’Assemblée note que les personnes qui ont un emploi irrégulier sont aussi souvent celles qui sont dans une situation irrégulière et qu’elles sont ainsi doublement exposées à l’exploitation, en tant que travailleurs illégaux et migrants irréguliers.
8. L’Assemblée considère que tous les travailleurs agricoles, qu’ils soient permanents ou saisonniers, sont des hommes et des femmes qui ont droit au respect et à la dignité humaine. Par conséquent, les mêmes droits que les autres travailleurs doivent leur être garantis, dans l’application des législations nationales et internationales en matière de droit du travail.
9. Afin de mettre fin à la disparité des réglementations, il faut soumettre les conditions de travail dans l’agriculture à un cadre juridique contraignant adapté aux différentes situations des travailleurs, qu’ils soient permanents ou saisonniers, étrangers ou nationaux. Cela permettrait également de stimuler la main-d’œuvre nationale, souvent déficiente. Ce cadre juridique doit être assorti de sanctions applicables aux contrevenants et de moyens de contrôle pertinents et efficaces.
10. A cet effet, l’Assemblée recommande au Comité des Ministres d’inviter les Etats membres:
10.1. à rédiger et à mettre en œuvre des conventions collectives régissant le travail dans l’agriculture, notamment le travail saisonnier, prenant en compte la spécificité du secteur et du rythme de travail qu’il impose, et précisant notamment la sécurité sociale, les salaires, le temps de travail, les heures supplémentaires et les conditions de logement, tout en s’assurant que les systèmes de renouvellement des contrats soient contrôlés par un organisme indépendant afin d’éviter tout type de pression sur les employés;
10.2. à prévoir l’acquisition progressive de droits pour les bénéficiaires de permis de travail renouvelés, dont le droit au séjour de longue durée, au regroupement familial et à une pension de retraite;
10.3. à mettre en place des systèmes de contrôle rigoureux et efficaces de ces réglementations assortis de sanctions dissuasives et rapides contre les infractions au droit du travail;
10.4. à mettre en place une meilleure coopération transfrontalière pour lutter contre les réseaux de trafic de main-d’œuvre, en développant notamment les centres nationaux de contact pour l’amélioration des informations sur les migrations, qui pourrait être étendue à des Etats non membres de l’Union européenne afin de coordonner les outils de lutte contre les réseaux de main-d’œuvre illégale;
10.5. à garantir que les migrants irréguliers, y compris ceux qui travaillent dans le secteur agricole, bénéficient au minimum des droits définis dans la Résolution 1509 (2006) de l’Assemblée sur les droits fondamentaux des migrants irréguliers;
10.6. à s’attaquer aux causes premières du recours à des migrants irréguliers dans le secteur agricole, y compris les facteurs économiques, le manque de main-d’œuvre locale, les restrictions au recrutement des personnes venues de l’étranger, la complexité des procédures administratives ainsi que les employeurs peu scrupuleux;
10.7. à apporter à la situation des migrants irréguliers, y compris dans l’agriculture, une réponse équitable et humaine, en examinant les options pour leur régularisation ou leur retour dans le pays d’origine;
10.8. à conclure des accords de réadmission entre pays d’accueil et d’origine pour les migrants irréguliers, accompagnés de programmes spécifiques d’éducation et de formation ainsi que de projets de coopération et de développement économiques dans les pays d’origine;
10.9. à organiser, en coopération avec les organisations professionnelles agricoles et les syndicats, de grandes campagnes d’information sur les métiers de l’agriculture, et à promouvoir la formation et le recrutement de la main-d’œuvre locale tout en créant les conditions de travail adéquates dans le respect et la reconnaissance du travail accompli;
10.10. à inviter les médiateurs nationaux et régionaux à examiner la situation précaire des travailleurs irréguliers employés dans l’agriculture.
11. L’Assemblée recommande également au Comité des Ministres de charger le Comité européen pour la cohésion sociale (CDCS):
11.1. d’envisager l’élaboration d’un protocole additionnel à la Convention européenne relative à la protection sociale des agriculteurs instituant un mécanisme de suivi de cette convention;
11.2. d’élaborer un protocole additionnel à ladite convention, concernant la protection sociale des travailleurs saisonniers dans le secteur agricole.
12. Par ailleurs, l’Assemblée invite les Etats membres qui ne l’ont pas encore fait:
12.1. à signer et/ou à ratifier la Convention européenne relative à la protection sociale des agriculteurs;
12.2. à signer et/ou à ratifier la Convention 184 sur la sécurité et la santé dans l’agriculture de l’Organisation internationale du travail, et à mettre en œuvre la Recommandation 192 y relative;
12.3. à signer et/ou à ratifier la Convention internationale des Nations Unies sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille;
12.4. à signer et/ou à ratifier la Charte sociale européenne révisée;
12.5. à signer et/ou à ratifier la Convention sur la lutte contre la traite des êtres humains.
13. L’Assemblée invite également le commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe à examiner l’exploitation des travailleurs du secteur agricole dans le cadre de ses travaux pays par pays.
14. Enfin, l’Assemblée invite les syndicats nationaux et européens à promouvoir et à défendre les droits des travailleurs saisonniers, en particulier dans le secteur agricole.