Imprimer
Autres documents liés

Résolution 1551 (2007)

Equité des procédures judiciaires dans les affaires d’espionnage ou de divulgation de secrets d’Etat

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 19 avril 2007 (17e séance) (voir Doc. 11031, rapport de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme, rapporteur: M. Pourgourides). Texteadopté par l’Assemblée le 19 avril 2007 (17e séance).

1. L’Assemblée parlementaire considère que l’intérêt légitime de l’Etat de protéger les secrets officiels ne doit pas devenir un prétexte pour restreindre indûment la liberté d’expression et d’information, la coopération scientifique internationale, et le travail des avocats et d’autres défenseurs des droits de l’homme.
2. Elle rappelle l’importance de la liberté d’expression et d’information dans une société démocratique, dans laquelle il doit être possible de dénoncer librement la corruption, les violations des droits de l’homme, la destruction de l’environnement et tout autre abus de pouvoir.
3. Le progrès scientifique dépend de manière déterminante de la libre circulation de l’information entre scientifiques, lesquels doivent pouvoir coopérer à l’échelon international et prendre part au processus scientifique sans crainte d’être poursuivis.
4. Les avocats et les autres défenseurs des droits de l’homme doivent aussi pouvoir remplir le rôle indispensable qui est le leur sans être menacés de poursuites pénales, pour établir la vérité et amener les auteurs de violations des droits de l’homme à rendre des comptes.
5. L’Assemblée constate que la législation de nombreux Etats membres du Conseil de l’Europe relative au secret d’Etat est plutôt vague ou couvre un champ trop large, ce qui fait qu’elle peut être interprétée de manière à englober toute une série d’activités légitimes des journalistes, des scientifiques, des avocats ou d’autres défenseurs des droits de l’homme.
6. Dans le même temps, dans la plupart des Etats membres et observateurs du Conseil de l’Europe, les poursuites pour violation du secret d’Etat sont très rares et les peines prononcées sont, le cas échéant, généralement clémentes. M. Shayler, ancien agent secret britannique, qui avait publié un récit détaillé de ses activités, s’est vu infliger une peine de six mois d’emprisonnement, assortie d’un sursis partiel, tandis qu’un tribunal allemand abandonnait purement et simplement, en juillet 2006, les poursuites à l’encontre d’un journaliste, M. Schirra, qui avait publié des informations provenant de dossiers secrets du Bundesnachrichtendienst (BND, services secrets allemands). La Cour européenne des Droits de l’Homme, pour sa part, a conclu que l’interdiction faite à la presse par la justice britannique de publier des articles rendant compte d’un livre (Spycatcher) censé contenir des informations secrètes était «disproportionnée», étant donné que l’ouvrage était déjà diffusé à l’étranger.
7. En revanche, plusieurs affaires d’espionnage à grand retentissement impliquant des scientifiques, des journalistes et des avocats en Fédération de Russie ont causé bien des souffrances aux personnes concernées et à leurs familles, et ont eu un effet dissuasif sur d’autres membres de ces groupes professionnels. Le climat d’«espionite» entretenu par ces affaires et les déclarations controversées de hauts responsables gouvernementaux font obstacle au bon développement de la société civile dans ce pays.
8. L’Assemblée est également préoccupée par les récentes menaces de poursuites, ou même par les tentatives en ce sens, faites par l’Administration américaine, ainsi que par les autorités allemandes, suisses et italiennes à l’encontre de rédacteurs en chef, de journalistes ou d’autres personnes qui avaient dénoncé des abus (whistle-blowers), en raison de prétendues violations de secrets d’Etat, notamment dans le contexte des récents rapports sur les activités illégales de la CIA (voir la Résolution 1507 (2006) et la Recommandation 1754 (2006) sur les allégations de détentions secrètes et de transferts interétatiques illégaux de détenus concernant des Etats membres du Conseil de l’Europe) et d’autres scandales touchant les services secrets.
9. Elle appelle les autorités judiciaires de tous les pays concernés et la Cour européenne des Droits de l’Homme à trouver un équilibre approprié entre, d’une part, l’intérêt des pouvoirs publics à protéger le secret d’Etat et, d’autre part, la liberté d’expression et la libre circulation des informations dans le domaine scientifique ainsi que l’intérêt que présente, pour la société, la dénonciation des abus de pouvoir.
10. L’Assemblée constate que les procédures pénales pour violation du secret d’Etat sont particulièrement sensibles et sujettes à des abus motivés par des raisons politiques. En conséquence, elle considère que les principes suivants revêtent, pour toutes les personnes et les instances concernées, un caractère vital pour garantir l’équité de ces procédures:
10.1. les informations qui sont déjà du domaine public ne peuvent être considérées comme des secrets d’Etat et leur divulgation ne peut être assimilée à de l’espionnage et réprimée à ce titre, même si la personne concernée collecte, résume, analyse ou commente ces informations. Il en est de même pour la participation à la coopération scientifique internationale et pour la dénonciation de la corruption, de violations des droits de l’homme, de la destruction de l’environnement ou de tout autre abus de la part des pouvoirs publics (whistle-blowing);
10.2. la législation relative au secret d’Etat, y compris les listes d’informations secrètes pouvant servir de base aux poursuites pénales, doit être claire et, avant tout, publique. Des arrêtés secrets pouvant justifier des responsabilités pénales ne peuvent pas être considérés comme compatibles avec les normes juridiques du Conseil de l’Europe et devraient être abrogés dans tous les Etats membres;
10.3. les services secrets, dont le rôle est de protéger les secrets d’Etat et qui sont généralement eux-mêmes victimes des atteintes à de tels secrets, ne doivent pas être en même temps chargés d’effectuer des enquêtes criminelles et d’intenter des poursuites contre les auteurs présumés de ces violations. L’Assemblée regrette que la Fédération de Russie n’ait toujours pas respecté l’engagement, pris lors de son adhésion, de modifier la loi relative au Service fédéral de sécurité (FSB) à cet égard (voir la Résolution 1455 (2005) sur le respect des obligations et engagements de la Fédération de Russie, paragraphe 13.x.a);
10.4. les procès doivent avoir lieu rapidement et il convient d’éviter de longues périodes de détention préventive;
10.5. les tribunaux devraient veiller à garantir l’équité des procès en prêtant une attention particulière au principe de l’égalité des armes entre le ministère public et la défense, ce qui suppose en particulier:
10.5.1. que la défense doit être correctement représentée lors de la sélection des experts conseillant le tribunal sur la nature secrète des informations en jeu;
10.5.2. que les experts aient un degré élevé de compétences professionnelles et soient indépendants des services secrets;
10.5.3. que la défense soit autorisée à interroger les experts devant le jury et à remettre leurs témoignages en question par le biais d’experts nommés par la défense, y compris étrangers;
10.6. les procédures doivent être aussi ouvertes et transparentes que possible, de manière à renforcer la confiance du public dans leur équité; à tout le moins, les jugements doivent être rendus publics;
10.7. de plus, les civils ne doivent pas, en règle générale, être jugés par des juridictions militaires; et il faut souligner que tous les procès doivent être conduits par des cours et des tribunaux compétents, indépendants et impartiaux, selon des procédures conformes aux principes internationaux d’équité;
10.8. les changements de juges et de jurys doivent être permis seulement dans des circonstances exceptionnelles, bien définies et pleinement motivées, afin d’éviter de donner l’impression que le choix est opportuniste ou que les tribunaux ne sont pas indépendants;
10.9. la question de savoir si l’information divulguée relevait déjà du domaine public doit toujours être considérée comme une question de fait à trancher par le jury et, lorsque le jury répond par l’affirmative, le juge doit toujours instruire le jury à acquitter l’accusé.
11. L’Assemblée estime que, dans plusieurs affaires d’espionnage à grand retentissement en Fédération de Russie, dont celles de M. Soutiaguine et de M. Danilov, plusieurs éléments portent fortement à croire que les principes susmentionnés (paragraphe 10) n’ont pas été respectés, et elle observe que les peines de prison prononcées (respectivement quatorze et quinze ans) sont, en tout état de cause, sans commune mesure avec la pratique d’autres Etats membres du Conseil de l’Europe; elle relève en particulier les éléments suivants:
11.1. comme dans les affaires précédentes concernant M. Nikitine, M. Pasko (voir la Résolution 1354 (2003) sur la condamnation de Grigory Pasko) et M. Moïsseïev, les procédures à l’encontre de M. Soutiaguine et de M. Danilov ont duré de nombreuses années, années que les accusés ont passées pour l’essentiel en détention, pendant que le FSB menait les enquêtes pénales;
11.2. les juges et les jurys ont été changés de façon répétée, sans que des raisons valables aient été données;
11.3. la défense a été dans l’impossibilité d’interroger devant le jury les experts chargés de se prononcer sur la nature secrète des informations concernées;
11.4. il apparaît que certains de ces experts n’avaient pas l’indépendance nécessaire;
11.5. les procédures ont manqué de transparence; dans l’affaire Danilov, le jugement même était secret. Dans plusieurs affaires, les tribunaux semblent s’être appuyés sur un décret secret (no 055-96) pour prononcer des sanctions pénales.
12. L’Assemblée se félicite vivement de la déclaration faite par la Chambre publique de la Fédération de Russie, le 30 juin 2006, qui reconnaît le caractère inadapté de la législation actuelle relative au secret d’Etat et qui regrette l’impact négatif, sur le moral de la communauté scientifique, de la sévérité avec laquelle cette législation est appliquée.
13. L’Assemblée invite la communauté scientifique internationale à établir une typologie des pratiques acceptées dans le cadre de la coopération scientifique internationale à l’égard des informations potentiellement sensibles.
14. Elle exhorte tous les Etats membres à s’abstenir de poursuivre les scientifiques qui agissent en fonction de ces pratiques acceptées et à réhabiliter tous ceux qui ont été sanctionnés pour avoir agi conformément à ces pratiques.
15. L’Assemblée appelle en particulier les organes compétents de la Fédération de Russie à recourir à tous les moyens légaux disponibles pour libérer sans délai MM. Soutiaguine, Danilov et Trepachkine, et, en attendant leur libération, à leur prodiguer les soins médicaux nécessaires.