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Résolution 1576 (2007)

Pour une Convention européenne sur la promotion des politiques de santé publique dans la lutte contre la drogue

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 3 octobre 2007 (33e séance) (voir Doc. Doc. 11344, rapport de la commission des questions sociales, de la santé et de la famille, rapporteur: M. Flynn). Texte adopté par l’Assemblée le 3 octobre 2007 (33e séance).

1. L’accoutumance est un problème biologique, psychologique et sociétal complexe. La recherche scientifique et l’expérience pratique ont permis d’en élargir la connaissance. De plus en plus, cette meilleure connaissance permet de mettre en œuvre une politique en matière de drogue axée sur la préservation de la santé publique, pour le toxicomane en tant qu’individu comme pour la société. Bien que nombre d’interrogations scientifiques concernant la dépendance restent toujours sans réponse, les aspects relatifs à la santé publique, à l’efficacité de la prévention et des traitements médicaux, et à une meilleure protection de la société contre les risques sanitaires sont aujourd’hui mieux connus.
2. Depuis la fin des années 1960, les considérations de santé publique ont pris une part de plus en plus importante dans l’élaboration par de nombreux Etats membres du Conseil de l’Europe de politiques pragmatiques et scientifiquement fondées de lutte contre la drogue. Ces considérations s’appuient sur le principe fondamental du droit à la santé, reconnu dans l’acquis du Conseil de l’Europe (articles 11 et 13 de la Charte sociale européenne révisée, STE no 163) ainsi que dans nombre d’autres traités des droits de l’homme internationaux et régionaux. Il confère à tout un chacun le droit de jouir du meilleur état de santé possible, que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) définit comme un état de bien-être physique, mental et social total.
3. Ces dernières décennies, un certain nombre de mesures de santé publique essentielles, notamment les traitements de substitution, les programmes d’échange de seringues et les traitements psychosociaux, ont été prises pour répondre à «l’usage problématique de drogue». Ces mesures ont eu des conséquences nettement positives en matière de réhabilitation durable et de réinsertion sociale des usagers de drogue. L’ensemble de la société a pu sentir leurs effets bénéfiques, qui se sont traduits par une diminution de la délinquance, une baisse des coûts pour le système de santé et la justice, une réduction des risques de transmission du VIH et autres virus véhiculés par voie sanguine, une augmentation de la productivité et, à terme, un usage de la drogue moins répandu.
4. Toutefois, ces réponses n’ont été que partiellement appliquées à travers l’Europe, malgré le grand nombre d’études et de données attestant leur efficacité et leur rentabilité. D’après certaines estimations citées par l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT), par exemple, chaque dollar investi dans des programmes de traitement de la dépendance aux opiacés peut rapporter entre 4 et 7 dollars simplement par réduction de la criminalité liée à la drogue, des coûts de la justice pénale et du vol. Si l’on ajoute les économies réalisées au niveau des soins de santé, l’économie totale peut s’avérer 12 fois supérieure aux coûts engagés.
5. En outre, les récentes évolutions mondiales ont apporté une preuve supplémentaire de l’échec retentissant des efforts déployés pour réduire la production et les approvisionnements de drogue. Le marché actuel de drogues illégales en Afghanistan, le plus grand producteur mondial d’héroïne, offre une preuve, s’il en est, de l’inefficacité d’une approche globale du problème des drogues. Les Nations Unies ont confirmé que malgré six années d’action militaire pour limiter la production de pavot en Afghanistan, celle-ci a atteint en 2006-2007 un niveau record, supérieur de 60 % à celui de l’année précédente.
6. Les mesures prises dans l’Union européenne dans le cadre de la stratégie de l’Union européenne contre la drogue (2005-2012) visent à atteindre un haut niveau de protection de la santé en complétant l’action des Etats membres de l’Union en matière de prévention et de réduction de la toxicomanie, et de ses effets nocifs sur la santé et la société. En particulier, la stratégie place au premier rang de ses priorités l’amélioration de l’accès à diverses mesures de santé publique qui peuvent diminuer la morbidité et la mortalité liées à la toxicomanie. Il est toutefois clair qu’il conviendra de déployer des efforts particuliers en Europe de l’Est et en Asie centrale, où des obstacles politiques et «infrastructurels» ont empêché la mise en œuvre de ces mesures. La pandémie de plus en plus grave du VIH/sida dans ces régions rend cet impératif encore plus urgent: 80 % des cas de VIH dont la contamination peut être retracée en Europe de l’Est et en Asie centrale sont le résultat de l’injection de drogue par voie intraveineuse.
7. La zone d’influence géographique du Conseil de l’Europe en fait le forum idéal pour entreprendre une telle action et envoyer un signal clair aux Etats membres, en les dotant d’un cadre qui les aide à concevoir des réponses au problème de l’usage de drogue qui soient axées sur la santé publique – une approche encouragée par le Groupe Pompidou et la Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (FISCR). A cette fin, l’Assemblée parlementaire invite les Etats membres à coopérer pour élaborer une convention afin de promouvoir des politiques de santé publique dans la lutte contre la drogue. Cet instrument devrait compléter les instruments juridiques existants dans le domaine de la lutte contre la drogue, des droits de l’homme et de la santé publique. Il devrait rassembler les connaissances scientifiques et médicales dans un document-cadre qui pourrait constituer une base pour élaborer des stratégies nationales de lutte contre la drogue.
8. La convention du Conseil de l’Europe devrait reposer sur les trois objectifs suivants, qui sont interdépendants:
8.1. promouvoir, en tant que droit de l’homme fondamental, le droit à la santé dans le cadre de l’usage problématique de drogue;
8.2. clarifier le champ d’application du droit à la santé tel qu’il s’applique à l’usage problématique de drogue;
8.3. contribuer à identifier des bonnes pratiques en matière d’exercice du droit à la santé dans le cadre de l’usage problématique de drogue, et ce aux niveaux local, national et international.
9. Dans la poursuite de ces objectifs, la convention, qui doit s’inscrire dans le cadre existant des politiques nationales de lutte contre la drogue tout en le complétant, devrait intégrer les quatre éléments suivants:
9.1. la prévention et l’éducation, notamment les mesures qui visent les besoins spéciaux de groupes marginalisés et vulnérables;
9.2. le traitement, comprenant une variété de méthodes, notamment le traitement de substitution et les programmes d’échange de seringues, et incluant une dimension psychosociale comme partie intégrante des différentes méthodes;
9.3. la réhabilitation et la réinsertion sociale, notamment les solutions de substitution (traitement) à la prison et la réadaptation au marché du travail;
9.4. le suivi et l’évaluation, dans le but d’identifier les meilleures pratiques.
10. Dans la mesure où beaucoup de conséquences négatives de l’usage de drogue se ressentent au niveau local, la convention devrait également s’efforcer de réaffirmer le principe de subsidiarité, en encourageant l’étude des différents moyens par lesquels un nombre plus important d’administrations publiques pourraient agir efficacement. Ainsi, le but recherché est que les mesures politiques destinées à répondre au problème de la drogue dans l’intérêt de la santé soient guidées tant par les observations scientifiques que par les conditions locales.
11. Afin de promouvoir la mise en œuvre effective de la convention, l’Assemblée invite les Etats membres:
11.1. à étendre le champ des programmes de réduction de la demande de drogue, à les évaluer et à diffuser les bonnes pratiques à l’issue de l’évaluation;
11.2. à améliorer l’accès aux programmes de prévention dans les écoles et à les rendre plus efficaces;
11.3. à améliorer les méthodes de prévention et la détection des facteurs de risques dans certains groupes cibles, notamment les jeunes, ainsi que la diffusion de ces données auprès des professionnels afin de mettre en place des programmes d’intervention précoces;
11.4. à veiller à ce que soient disponibles et accessibles des programmes ciblés de traitement, de rééducation et de réinsertion sociale. Ces programmes devraient intégrer des stratégies psychosociales et pharmacologiques éprouvées, et englober les toxicomanes que n’atteignent pas les services en place, en prêtant une attention particulière aux services spécialisés destinés aux jeunes et à la réadaptation des usagers des drogues au marché du travail;
11.5. à concevoir de nouvelles alternatives à l’emprisonnement pour les toxicomanes et à développer la mise en place de services de prévention, de traitement et de réinsertion pour les détenus;
11.6. à améliorer l’accès aux services et aux traitements de réduction du risque, à mettre en place des programmes pour prévenir la propagation du virus VIH, de l’hépatite C et d’autres maladies transmises par le sang, et à s’employer à réduire le nombre de décès liés à la drogue;
11.7. à encourager la recherche sur les facteurs sous-jacents de la dépendance et des questions comme les effets de certaines drogues, et les mesures sanitaires efficaces;
11.8. à mettre en œuvre des programmes opérationnels de lutte contre la drogue, afin de réduire la production d’héroïne, de cocaïne et de cannabis ainsi que de drogues synthétiques, et leur commerce, notamment en concevant des programmes communs, en recueillant des renseignements sur les pays tiers impliqués dans la fabrication et la commercialisation de ces drogues, en mettant en commun les bonnes pratiques et en échangeant les informations;
11.9. à concevoir et à mettre en œuvre des mesures ciblées sur le blanchiment d’argent et la confiscation et la réaffectation de produits financiers liés à la drogue, en particulier grâce à l’échange d’informations et de bonnes pratiques;
11.10. à favoriser la coopération avec des organisations internationales telles que la FISCR et l’OEDT, mais aussi avec la société civile et les différentes communautés vivant là où les problèmes de drogue sont le plus criants;
11.11. à encourager la création, dans les parlements nationaux, de mécanismes et de structures de promotion des réponses de santé publique au niveau national à l’usage problématique de drogue, tels que des groupes parlementaires de tout parti;
11.12. à apporter l’aide financière requise.