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Résolution 1605 (2008)
Les communautés musulmanes européennes face à l’extrémisme
1. Les attaques à Paris en 1995, à
New York en 2001, la vague d’attentats à la bombe qui a, par la
suite, frappé Madrid et Istanbul en 2003, et Londres en 2005, de
même que d’autres nombreux complots terroristes déjoués sur le sol
européen ont mis en évidence l’étendue et la gravité de la menace
du terrorisme pratiqué par des individus qui invoquent l’intégrisme
islamique comme source d’inspiration. Outre le choc ressenti à la suite
de ces attaques, de nombreuses personnes ont été troublées de voir
que de jeunes musulmans, qui sont nés et qui ont grandi en Europe,
avaient pris part à l’organisation et à l’exécution de ces attentats.
2. L’Assemblée parlementaire met en garde contre toute confusion
entre l’islam en tant que religion et l’intégrisme islamique en
tant qu’idéologie. L’islam est la deuxième religion en Europe et
une composante des sociétés européennes. Dans certains Etats membres
du Conseil de l’Europe, c’est la religion traditionnelle de la majorité
de la population; dans d’autres, c’est la religion de la majorité
des immigrés et des citoyens issus de l’immigration, qui représentent
une proportion grandissante de la population. L’intégrisme islamique,
par contre, est une idéologie extrémiste qui poursuit des objectifs
politiques et promeut un modèle de société incompatible avec les
valeurs des droits de l’homme et les normes de la démocratie; dans
sa pire forme, l’intégrisme islamique préconise l’usage de la violence
pour atteindre son but.
3. Il est regrettable, mais indéniable, qu’à l’heure actuelle
l’intégrisme islamique, en tant qu’idéologie, a prouvé qu’il exerce
un pouvoir d’attraction sur certaines personnes. Les gouvernements
européens et les communautés musulmanes européennes devraient travailler
en étroite collaboration et en synergie pour neutraliser ce pouvoir
d’attraction et prévenir son escalade vers le terrorisme.
4. L’Assemblée félicite les dirigeants, leaders d’opinion et
organisations musulmans qui ont fermement et clairement condamné
le terrorisme inspiré par l’intégrisme islamique et d’autres manifestations
extrémistes, telles que les discours de haine de certains imams
officiels ou autoproclamés ou d’autres personnalités musulmanes.
De même, l’Assemblée salue les efforts des organisations musulmanes
pour mettre en valeur la compatibilité entre l’islam en tant que
religion et les valeurs de la démocratie et des droits de l’homme,
ainsi que leur action auprès de groupes particulièrement susceptibles
de se radicaliser, comme les jeunes et les populations carcérales.
5. Parallèlement à ces efforts, il appartient aux gouvernements
européens en particulier de s’attaquer aux causes qui forment le
terreau fertile de l’extrémisme – telles que la pauvreté, la discrimination
et l’exclusion sociale –; de garantir le plein respect de la liberté
de pensée, d’expression et de religion, telle qu’énoncée dans la
Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5), et de contribuer
à instaurer un climat de respect de toutes les religions quelles
qu’elles soient, ou de l’absence de religion. A cet égard, les Etats
membres du Conseil de l’Europe doivent continuer à être vigilants
dans leur action de prévention et de lutte contre le phénomène de
l’islamophobie.
6. En outre, les Etats membres du Conseil de l’Europe devraient
prendre une série de mesures concrètes pour permettre aux immigrés
et aux citoyens issus de l’immigration, dont les membres de communautés musulmanes,
de s’intégrer dans la société grâce à un accès sans discrimination
à l’emploi, à l’éducation, à la formation professionnelle, au logement
et aux services publics. L’engagement et la participation active
des immigrés et des personnes d’origine immigrée dans la société
doivent aussi être encouragés et soutenus par l’ensemble de la société,
qui doit faire davantage pour s’adapter à la diversité et supprimer
les obstacles à l’intégration.
7. De même, comme l’Assemblée l’a déjà recommandé, les gouvernements
européens, dans le but de créer une citoyenneté qui soit inclusive
et participative, devraient remédier au fait que les immigrés et
les citoyens issus de l’immigration n’ont actuellement que des possibilités
limitées de participer activement à la vie publique et politique.
Sur le long terme, cette situation, due à des obstacles législatifs
mais aussi sociaux, ne peut que renforcer les griefs et le sentiment
d’injustice d’une partie de la population.
8. L’Assemblée salue l’initiative prise par deux Etats membres,
l’Espagne et la Turquie, pour la création de l’Alliance des civilisations,
et son acceptation par le Secrétaire général des Nations Unies,
qui a désigné l’ancien Président du Portugal Jorge Sampaio en tant
que haut représentant. L’Assemblée exprime également son soutien
aux activités entreprises jusqu’à présent dans ce contexte.
9. Compte tenu de ce qui précède, l’Assemblée invite les Etats
membres du Conseil de l’Europe:
9.1. à
prendre des mesures fermes contre la discrimination dans tous les
domaines;
9.2. à condamner et à combattre l’islamophobie;
9.3. à agir résolument contre les discours de haine et toutes
les autres formes de comportement contraires aux valeurs fondamentales
des droits de l’homme et de la démocratie, même lorsque leurs auteurs
invoquent des motifs religieux pour tenter de les justifier;
9.4. à lutter contre toutes les formes de discrimination et
de violence (en particulier les mariages forcés, les mutilations
sexuelles féminines, les crimes dits «d’honneur»), qui, au nom d’une interprétation
erronée des textes religieux ou des coutumes, bafouent les droits
fondamentaux des femmes et l’égalité entre les femmes et les hommes;
9.5. à combattre toute forme de relativisme culturel ou religieux
qui justifie des pratiques discriminatoires et des violations des
droits de la personne, en particulier à l’encontre des femmes ou d’autres
groupes de la société;
9.6. à veiller au strict respect des droits de l’homme et du
principe de la primauté du droit dans la mise en œuvre des mesures
antiterroristes;
9.7. à promouvoir la cohésion sociale, l’intégration, la participation
politique et civique des immigrés et des citoyens issus de l’immigration,
hommes et femmes, notamment:
9.7.1. en
prenant une série de mesures concrètes pour permettre aux immigrés
et aux personnes issues de l’immigration de s’intégrer dans la société
grâce à un accès équitable et libre de toute discrimination à l’emploi,
à l’éducation, à la formation professionnelle, au logement dans des
quartiers mixtes, aux services publics et grâce, à terme, à une
participation démocratique par le biais de la citoyenneté;
9.7.2. en développant des activités spécifiques qui encouragent
l’intégration et la tolérance chez les jeunes;
9.7.3. en signant et en ratifiant la Convention européenne relative
au statut juridique du travailleur migrant (STE no 93);
9.7.4. en accordant aux immigrés résidant en situation régulière
le droit de vote et d’éligibilité, au moins aux élections locales
et régionales, afin qu’ils puissent avoir une influence sur l’administration
publique et les autorités au niveau local;
9.7.5. en signant et en ratifiant la Convention sur la participation
des étrangers à la vie publique au niveau local (STE no 144);
9.7.6. en encourageant la participation des personnes issues
de l’immigration aux partis politiques, aux syndicats et aux organisations
non gouvernementales;
9.7.7. en prenant toutes les mesures nécessaires afin d’éliminer
l’inégalité des chances à laquelle les immigrés sont confrontés,
y compris le chômage et l’instruction inadéquate;
9.7.8. en supprimant tout obstacle juridique ou administratif
non nécessaire à la construction d’un nombre suffisant de lieux
de culte adaptés à la pratique de la religion islamique;
9.7.9. en s’assurant que les manuels d’école ne donnent pas de
l’islam l’image d’une religion hostile ou menaçante;
9.8. à promouvoir et à soutenir des activités tendant à améliorer
le statut et le rôle des femmes musulmanes en Europe et à dépasser
les stéréotypes qui les enferment dans des rôles subordonnés et passifs,
par exemple par le biais d’un enseignement approprié dans les écoles
et la mise en œuvre de campagnes de sensibilisation dans les médias;
9.9. à surveiller le rôle joué par les Etats étrangers dans
le financement des mosquées et la nomination des imams, afin de
s’assurer que ces actions ne servent pas à promouvoir des opinions extrémistes;
9.10. à soutenir la mise en place de cours, si possible universitaires,
afin de former les imams localement;
9.11. à encourager la tenue d’un débat public et ouvert à tous
sur les répercussions que peut avoir leur politique étrangère sur
le phénomène de la radicalisation;
9.12. à encourager des projets informatifs sur la contribution
de l’islam aux sociétés occidentales afin de surmonter les stéréotypes
le concernant.
10. L’Assemblée appelle les dirigeants et les personnalités qui
influencent l’opinion à agir de façon responsable afin d’éviter
d’encourager la discrimination et l’islamophobie.
11. En outre, l’Assemblée invite les organisations, les dirigeants
et les leaders d’opinion musulmans européens:
11.1. à faire preuve d’un sens élevé des responsabilités lorsqu’ils
s’expriment publiquement et à condamner clairement le terrorisme
et l’extrémisme, en ayant conscience de l’influence qu’ils ont sur
les communautés musulmanes;
11.2. à encourager les musulmans à participer pleinement à la
société sans remettre en question la laïcité de la société et des
institutions du pays dans lequel ils vivent;
11.3. à souscrire officiellement à la Convention européenne
des droits de l’homme;
11.4. à promouvoir la transmission des valeurs européennes fondamentales
au sein des communautés musulmanes, notamment parmi les jeunes,
en mettant l’accent sur leur compatibilité avec la religion musulmane;
11.5. à veiller à ce que les valeurs européennes fondamentales
soient enseignées dans les écoles religieuses musulmanes;
11.6. à encourager les jeunes musulmans européens à devenir
imams;
11.7. à mettre en place des projets visant à réduire le risque
de radicalisation de la jeune génération et des populations carcérales,
le cas échéant, dans le cadre d’une coopération avec d’autres organisations
ou avec les autorités locales ou autres;
11.8. à encourager les médias à rendre compte de façon équitable
de la réalité musulmane et des opinions des musulmans, en veillant
notamment à donner la parole aussi aux modérés;
11.9. à élaborer des lignes directrices éthiques pour lutter
contre l’islamophobie dans les médias et en faveur de la tolérance
et de la compréhension culturelles, en collaboration avec les organisations
de médias appropriées;
11.10. à encourager le développement d’une intelligentsia laïque.