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Résolution 1605 (2008)

Les communautés musulmanes européennes face à l’extrémisme

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 15 avril 2008 (13e séance) (voirDoc. 11540, rapport de la commission des questions politiques, rapporteur: M. João Bosco Mota Amaral; Doc. 11575, avis de la commission des migrations, des réfugiés et de la population, rapporteur: M. Hakki Keskin; Doc. 11570, avis de la commission de la culture, de la science et de l’éducation, rapporteur: M. Mehmet Tekelioglu; et Doc. 11569, avis de la commission sur l’égalité des chances pour les femmes et les hommes, rapporteuse: Mme Gisela Wurm). Texte adopté par l’Assemblée le 15 avril 2008 (13e séance).

1. Les attaques à Paris en 1995, à New York en 2001, la vague d’attentats à la bombe qui a, par la suite, frappé Madrid et Istanbul en 2003, et Londres en 2005, de même que d’autres nombreux complots terroristes déjoués sur le sol européen ont mis en évidence l’étendue et la gravité de la menace du terrorisme pratiqué par des individus qui invoquent l’intégrisme islamique comme source d’inspiration. Outre le choc ressenti à la suite de ces attaques, de nombreuses personnes ont été troublées de voir que de jeunes musulmans, qui sont nés et qui ont grandi en Europe, avaient pris part à l’organisation et à l’exécution de ces attentats.
2. L’Assemblée parlementaire met en garde contre toute confusion entre l’islam en tant que religion et l’intégrisme islamique en tant qu’idéologie. L’islam est la deuxième religion en Europe et une composante des sociétés européennes. Dans certains Etats membres du Conseil de l’Europe, c’est la religion traditionnelle de la majorité de la population; dans d’autres, c’est la religion de la majorité des immigrés et des citoyens issus de l’immigration, qui représentent une proportion grandissante de la population. L’intégrisme islamique, par contre, est une idéologie extrémiste qui poursuit des objectifs politiques et promeut un modèle de société incompatible avec les valeurs des droits de l’homme et les normes de la démocratie; dans sa pire forme, l’intégrisme islamique préconise l’usage de la violence pour atteindre son but.
3. Il est regrettable, mais indéniable, qu’à l’heure actuelle l’intégrisme islamique, en tant qu’idéologie, a prouvé qu’il exerce un pouvoir d’attraction sur certaines personnes. Les gouvernements européens et les communautés musulmanes européennes devraient travailler en étroite collaboration et en synergie pour neutraliser ce pouvoir d’attraction et prévenir son escalade vers le terrorisme.
4. L’Assemblée félicite les dirigeants, leaders d’opinion et organisations musulmans qui ont fermement et clairement condamné le terrorisme inspiré par l’intégrisme islamique et d’autres manifestations extrémistes, telles que les discours de haine de certains imams officiels ou autoproclamés ou d’autres personnalités musulmanes. De même, l’Assemblée salue les efforts des organisations musulmanes pour mettre en valeur la compatibilité entre l’islam en tant que religion et les valeurs de la démocratie et des droits de l’homme, ainsi que leur action auprès de groupes particulièrement susceptibles de se radicaliser, comme les jeunes et les populations carcérales.
5. Parallèlement à ces efforts, il appartient aux gouvernements européens en particulier de s’attaquer aux causes qui forment le terreau fertile de l’extrémisme – telles que la pauvreté, la discrimination et l’exclusion sociale –; de garantir le plein respect de la liberté de pensée, d’expression et de religion, telle qu’énoncée dans la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5), et de contribuer à instaurer un climat de respect de toutes les religions quelles qu’elles soient, ou de l’absence de religion. A cet égard, les Etats membres du Conseil de l’Europe doivent continuer à être vigilants dans leur action de prévention et de lutte contre le phénomène de l’islamophobie.
6. En outre, les Etats membres du Conseil de l’Europe devraient prendre une série de mesures concrètes pour permettre aux immigrés et aux citoyens issus de l’immigration, dont les membres de communautés musulmanes, de s’intégrer dans la société grâce à un accès sans discrimination à l’emploi, à l’éducation, à la formation professionnelle, au logement et aux services publics. L’engagement et la participation active des immigrés et des personnes d’origine immigrée dans la société doivent aussi être encouragés et soutenus par l’ensemble de la société, qui doit faire davantage pour s’adapter à la diversité et supprimer les obstacles à l’intégration.
7. De même, comme l’Assemblée l’a déjà recommandé, les gouvernements européens, dans le but de créer une citoyenneté qui soit inclusive et participative, devraient remédier au fait que les immigrés et les citoyens issus de l’immigration n’ont actuellement que des possibilités limitées de participer activement à la vie publique et politique. Sur le long terme, cette situation, due à des obstacles législatifs mais aussi sociaux, ne peut que renforcer les griefs et le sentiment d’injustice d’une partie de la population.
8. L’Assemblée salue l’initiative prise par deux Etats membres, l’Espagne et la Turquie, pour la création de l’Alliance des civilisations, et son acceptation par le Secrétaire général des Nations Unies, qui a désigné l’ancien Président du Portugal Jorge Sampaio en tant que haut représentant. L’Assemblée exprime également son soutien aux activités entreprises jusqu’à présent dans ce contexte.
9. Compte tenu de ce qui précède, l’Assemblée invite les Etats membres du Conseil de l’Europe:
9.1. à prendre des mesures fermes contre la discrimination dans tous les domaines;
9.2. à condamner et à combattre l’islamophobie;
9.3. à agir résolument contre les discours de haine et toutes les autres formes de comportement contraires aux valeurs fondamentales des droits de l’homme et de la démocratie, même lorsque leurs auteurs invoquent des motifs religieux pour tenter de les justifier;
9.4. à lutter contre toutes les formes de discrimination et de violence (en particulier les mariages forcés, les mutilations sexuelles féminines, les crimes dits «d’honneur»), qui, au nom d’une interprétation erronée des textes religieux ou des coutumes, bafouent les droits fondamentaux des femmes et l’égalité entre les femmes et les hommes;
9.5. à combattre toute forme de relativisme culturel ou religieux qui justifie des pratiques discriminatoires et des violations des droits de la personne, en particulier à l’encontre des femmes ou d’autres groupes de la société;
9.6. à veiller au strict respect des droits de l’homme et du principe de la primauté du droit dans la mise en œuvre des mesures antiterroristes;
9.7. à promouvoir la cohésion sociale, l’intégration, la participation politique et civique des immigrés et des citoyens issus de l’immigration, hommes et femmes, notamment:
9.7.1. en prenant une série de mesures concrètes pour permettre aux immigrés et aux personnes issues de l’immigration de s’intégrer dans la société grâce à un accès équitable et libre de toute discrimination à l’emploi, à l’éducation, à la formation professionnelle, au logement dans des quartiers mixtes, aux services publics et grâce, à terme, à une participation démocratique par le biais de la citoyenneté;
9.7.2. en développant des activités spécifiques qui encouragent l’intégration et la tolérance chez les jeunes;
9.7.3. en signant et en ratifiant la Convention européenne relative au statut juridique du travailleur migrant (STE no 93);
9.7.4. en accordant aux immigrés résidant en situation régulière le droit de vote et d’éligibilité, au moins aux élections locales et régionales, afin qu’ils puissent avoir une influence sur l’administration publique et les autorités au niveau local;
9.7.5. en signant et en ratifiant la Convention sur la participation des étrangers à la vie publique au niveau local (STE no 144);
9.7.6. en encourageant la participation des personnes issues de l’immigration aux partis politiques, aux syndicats et aux organisations non gouvernementales;
9.7.7. en prenant toutes les mesures nécessaires afin d’éliminer l’inégalité des chances à laquelle les immigrés sont confrontés, y compris le chômage et l’instruction inadéquate;
9.7.8. en supprimant tout obstacle juridique ou administratif non nécessaire à la construction d’un nombre suffisant de lieux de culte adaptés à la pratique de la religion islamique;
9.7.9. en s’assurant que les manuels d’école ne donnent pas de l’islam l’image d’une religion hostile ou menaçante;
9.8. à promouvoir et à soutenir des activités tendant à améliorer le statut et le rôle des femmes musulmanes en Europe et à dépasser les stéréotypes qui les enferment dans des rôles subordonnés et passifs, par exemple par le biais d’un enseignement approprié dans les écoles et la mise en œuvre de campagnes de sensibilisation dans les médias;
9.9. à surveiller le rôle joué par les Etats étrangers dans le financement des mosquées et la nomination des imams, afin de s’assurer que ces actions ne servent pas à promouvoir des opinions extrémistes;
9.10. à soutenir la mise en place de cours, si possible universitaires, afin de former les imams localement;
9.11. à encourager la tenue d’un débat public et ouvert à tous sur les répercussions que peut avoir leur politique étrangère sur le phénomène de la radicalisation;
9.12. à encourager des projets informatifs sur la contribution de l’islam aux sociétés occidentales afin de surmonter les stéréotypes le concernant.
10. L’Assemblée appelle les dirigeants et les personnalités qui influencent l’opinion à agir de façon responsable afin d’éviter d’encourager la discrimination et l’islamophobie.
11. En outre, l’Assemblée invite les organisations, les dirigeants et les leaders d’opinion musulmans européens:
11.1. à faire preuve d’un sens élevé des responsabilités lorsqu’ils s’expriment publiquement et à condamner clairement le terrorisme et l’extrémisme, en ayant conscience de l’influence qu’ils ont sur les communautés musulmanes;
11.2. à encourager les musulmans à participer pleinement à la société sans remettre en question la laïcité de la société et des institutions du pays dans lequel ils vivent;
11.3. à souscrire officiellement à la Convention européenne des droits de l’homme;
11.4. à promouvoir la transmission des valeurs européennes fondamentales au sein des communautés musulmanes, notamment parmi les jeunes, en mettant l’accent sur leur compatibilité avec la religion musulmane;
11.5. à veiller à ce que les valeurs européennes fondamentales soient enseignées dans les écoles religieuses musulmanes;
11.6. à encourager les jeunes musulmans européens à devenir imams;
11.7. à mettre en place des projets visant à réduire le risque de radicalisation de la jeune génération et des populations carcérales, le cas échéant, dans le cadre d’une coopération avec d’autres organisations ou avec les autorités locales ou autres;
11.8. à encourager les médias à rendre compte de façon équitable de la réalité musulmane et des opinions des musulmans, en veillant notamment à donner la parole aussi aux modérés;
11.9. à élaborer des lignes directrices éthiques pour lutter contre l’islamophobie dans les médias et en faveur de la tolérance et de la compréhension culturelles, en collaboration avec les organisations de médias appropriées;
11.10. à encourager le développement d’une intelligentsia laïque.