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Recommandation 1858 (2009)
Sociétés privées à vocation militaire ou sécuritaire et érosion du monopole étatique du recours à la force
1. On observe,
ces dernières années dans certains Etats, y compris en Europe, une
tendance croissante à faire appel à des sociétés privées pour accomplir
différentes tâches dans les domaines militaire et de la sécurité,
lesquels étaient traditionnellement réservés aux acteurs étatiques.
2. Selon certains ouvrages de recherche, on dénombrerait, à l’heure
actuelle, plus d’un million de personnes opérant, dans plus de cent
pays, en tant que soldats privés ou agents de sécurité pour le compte de
plus de mille sociétés privées à vocation militaire et/ou sécuritaire
(SPMS). En 2006, le chiffre d’affaires de ce nouveau secteur de
l’industrie des services a été estimé à environ 200 milliards de
dollars des Etats-Unis.
3. Tandis que cette nouvelle industrie cherche à développer ses
propres marchés, de sérieuses questions à caractère systémique et
de principe se posent. D’un côté, la plupart des grandes SPMS sont
organisées comme des sociétés actionnaires ou font partie d’entreprises
à but lucratif. En tant que telles, elles ont tout intérêt à ce
que des conflits éclatent ou perdurent pour assurer leur croissance
économique. Plus les conflits augmentent, plus le marché de leurs
services devient rentable. D’un autre côté, pour les Etats, l’émergence
et la poursuite des conflits pèsent lourdement sur les budgets et
les ressources publics, ce qui fait naître un conflit d’intérêts
entre les secteurs public et privé.
4. Les clients des SPMS sont principalement des Etats, mais d’autres
acteurs, tels que de grandes organisations internationales (comme
les Nations Unies), des entreprises privées, des organisations humanitaires,
les médias et des organisations non gouvernementales, ont de plus
en plus recours aux services de ces sociétés en vue d’assurer leur
sécurité dans les zones de conflit ou d’instabilité.
5. La privatisation croissante de l’appareil militaire et de
l’appareil de sécurité porte atteinte à la position de l’Etat qui
est, traditionnellement, le seul acteur à être en droit de recourir
légitimement et légalement à la force, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur
du territoire national. Elle constitue un défi fondamental pour
les démocraties modernes puisqu’elle a pour effet de transférer
le droit au recours à la force de l’Etat, garant de l’intérêt public, à
des acteurs privés mus par une logique économique d’entreprise.
6. En gardant à l’esprit que les SPMS répondent à un certain
nombre de besoins réels et qu’elles font déjà partie de la réalité,
les Etats devraient tout mettre en œuvre pour conserver et reprendre
la maîtrise complète des activités des SPMS, qui devraient être
aussi limitées que possible afin d’éviter ou – suivant le cas –
de renverser la tendance à l’érosion du monopole étatique. Il est
pour le moins nécessaire et possible de mettre en place un cadre
approprié à l’exercice de leurs activités, conformément aux principes
fondamentaux de la démocratie, du respect des droits de l’homme
et de la prééminence du droit. Le cadre juridique devrait dûment prendre
en compte les différences importantes entre les missions privées
à vocation militaire, d’une part, et celles à vocation sécuritaire,
d’autre part.
7. A ce jour, la principale préoccupation que suscitent les activités
des SPMS au sein de l’opinion a trait aux éventuelles – et, dans
bien des cas, aux réelles – violations des droits de l’homme commises
par le personnel de ces sociétés privées et à la difficulté de traduire
en justice les auteurs de ces violations, avec le risque d’impunité
qui s’ensuit.
8. Le personnel des SPMS et leurs employeurs sont tenus de respecter
avant tout la législation du pays dans lequel ils opèrent, mais
aussi les dispositions générales du droit humanitaire international.
Dans la mesure où ils accomplissent des tâches qui relèvent normalement
des compétences des acteurs étatiques, ils sont également tenus
de respecter la législation internationale en matière de droits
de l’homme. Toutefois, l’application de ces dispositions se heurte
à bien des difficultés dans la pratique.
9. Cependant, mis à part le déficit en matière de responsabilité
juridique, les activités des SPMS suscitent une série de préoccupations
liées à l’absence de contrôle démocratique, au manque de transparence,
à l’absence d’obligation de rendre des comptes, au risque élevé
de violations des droits de l’homme, à l’influence croissante des
entreprises privées sur les choix et les orientations politiques,
au flou qui entoure la répartition des tâches entre l’armée et la
police ainsi qu’au passage de la prévention des crises à la réaction
rapide et de la résolution civile des crises au recours à la force.
10. Les SPMS opérant souvent à l’échelon international et leurs
activités ayant des aspects et des conséquences transnationaux,
il est, à l’évidence, nécessaire de les réglementer au niveau international. Toutefois,
il n’existe pas d’instruments juridiques spécifiques dans le cadre
du droit international en vigueur qui réglementent expressément
de telles activités.
11. Bon nombre des défis engendrés par le rôle croissant des SPMS
touchent aux valeurs fondamentales que défend le Conseil de l’Europe.
C’est pourquoi notre Organisation est investie d’une responsabilité particulière
en matière de réglementation des activités des SPMS sur la base
des principes communs. Le Conseil de l’Europe, avec l’expérience
qu’il a acquise en matière de définition, de promotion et de protection de
normes communes dans le domaine des droits de l’homme, de la démocratie
et de la prééminence du droit, offre le cadre approprié pour cette
démarche et devrait jouer le rôle de chef de file dans ce processus,
comme il l’a déjà fait auparavant dans de nombreux domaines innovants.
12. En conséquence, l’Assemblée parlementaire recommande au Comité
des Ministres d’élaborer un instrument du Conseil de l’Europe visant
à réglementer les relations de ses Etats membres avec les SPMS et énonçant
des normes minimales pour l’activité de ces sociétés privées.
13. L’Assemblée propose qu’un tel instrument inclue au moins les
éléments suivants:
13.1. la définition
des domaines de la sécurité intérieure et extérieure qui doivent
continuer de relever de la compétence souveraine des Etats et qui
sont de par leur nature «intrinsèquement gouvernementaux»;
13.2. l’uniformisation des principes permettant de préserver
le monopole étatique en matière de recours à la force;
13.3. l’affirmation claire de la ligne de démarcation entre
sécurité intérieure et extérieure telle que définie par la loi et
la Constitution;
13.4. la confirmation du fait que priorité est accordée à la
prévention des conflits sur la réaction rapide et à la résolution
civile des crises sur le règlement des conflits par le recours à
la force;
13.5. l’uniformisation des principes applicables aux recours
aux SPMS;
13.6. la définition des critères relatifs aux activités, aux
obligations, aux devoirs, aux responsabilités, y compris l’obligation
de rendre compte des infractions au droit humanitaire international
et des violations des droits de l’homme, ainsi qu’aux domaines d’activité
et de compétence des SPMS;
13.7. la définition des critères à appliquer pour autoriser
les SPMS à fournir des services militaires et sécuritaires;
13.8. la mise en place d’un système d’enregistrement et de licence
pour les SPMS;
13.9. l’adaptation et l’harmonisation du droit pénal national
et international (notamment en ce qui concerne les règles relatives
à l’application de la loi) ayant trait aux infractions pénales commises
par les SPMS et leur personnel;
13.10. la mise en place, dans le droit civil, de règles spécifiques
aux SPMS (notamment en ce qui concerne les conditions de la responsabilité);
13.11. la mise en place d’un cadre juridique et réglementaire
pour les SPMS qui souhaitent exporter leurs services (par exemple
autorisations relatives aux missions et aux projets qui prévoient
la surveillance, le contrôle et la supervision démocratiques, la
responsabilité de rendre compte et la spécification des responsabilités;
il serait judicieux de combiner de telles réglementations avec les régimes
d’exportation d’armes existants);
13.12. l’exigence de l’approbation parlementaire pour les missions
effectuées par les SPMS à l’étranger et de dispositions régissant
la coopération, l’échange d’informations et l’assistance entre les
Etats impliqués;
13.13. l’application, également aux SPMS, des lois et règlements
régissant le déploiement des forces armées et de police nationales
à l’étranger;
13.14. la mise en place de règles et de réglementations (par
exemple code de conduite et obligation de s’enregistrer auprès du
ministère des Affaires étrangères) pour les entreprises, les organisations
non gouvernementales ou humanitaires, etc., qui souhaitent faire
appel à des SPMS pour assurer leur sécurité à l’étranger;
13.15. l’obligation, pour le secteur des SPMS, de mettre en place
un cadre d’autoréglementation, y compris un code de conduite contraignant,
et d’instituer un médiateur des SPMS et/ou une équipe chargée d’enquêter
sur les violations commises par les SPMS. Il est entendu que cette autoréglementation
complète mais ne remplace pas le contrôle de légalité exercé par
les organes publics compétents chargés de l’application de la loi,
qui doivent être automatiquement saisis lorsqu’une violation est
détectée grâce aux mécanismes d’autoréglementation proposés;
13.16. les réglementations incluant les éléments suivants: systèmes
efficaces de vérification approfondie et de formation pour le personnel
des SPMS, système efficace de surveillance et d’enquête, système
efficace de mise en œuvre et de protection des droits sociaux des
employés des SPMS.
14. En ce qui concerne la nature d’un tel instrument, l’Assemblée
manifeste sa préférence pour un document juridique contraignant
(convention). Toutefois, l’Assemblée se féliciterait de ce que,
avant la rédaction d’une telle convention, le Comité des Ministres
adopte une recommandation à l’attention des Etats membres en vue
de parvenir à une vision commune d’objectifs.
15. En attendant, l’Assemblée recommande au Comité des Ministres
de soutenir, au nom du Conseil de l’Europe, le Document de Montreux
sur les entreprises militaires et de sécurité privées qui récapitule
les obligations juridiques découlant du droit international et des
bonnes pratiques liées aux activités des SPMS, et d’inviter les
Etats membres qui ne l’ont pas encore fait à y adhérer.