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Recommandation 1877 (2009)

Les peuples oubliés d’Europe: protéger les droits fondamentaux des personnes déplacées de longue date

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 24 juin 2009 (23e séance) (voir Doc. 11942, rapport de la commission des migrations, des réfugiés et de la population, rapporteur: M. Greenway). Texte adopté par l’Assemblée le 24 juin 2009 (23e séance).

1. A maintes reprises, l’Assemblée parlementaire s’est déclarée préoccupée par la situation non résolue des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays (PDI), disséminées dans 11 des 47 Etats membres du Conseil de l’Europe. Elle n’a eu de cesse d’inciter les gouvernements à rechercher des solutions durables pour le retour, l’intégration locale ou l’installation ailleurs dans le pays d’origine des personnes déplacées, et à garantir la protection de leurs droits, conformément aux dispositions des instruments applicables du Conseil de l’Europe et aux Principes directeurs des Nations Unies relatifs au déplacement de personnes à l’intérieur de leur propre pays (ci-après nommés les Principes directeurs des Nations Unies).
2. L’Assemblée se félicite des travaux déjà réalisés par le Comité des Ministres pour l’élaboration d’un ensemble de 13 recommandations sur les PDI (Recommandation Rec(2006)6 du Comité des Ministres relative aux personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays), qui s’appuient sur les Principes directeurs des Nations Unies, et met l’accent sur les obligations contraignantes souscrites par les Etats membres. Elle déplore cependant que, depuis l’adoption de la recommandation du Comité des Ministres, le processus de recherche de solutions durables soit à nouveau bloqué et que, dans l’ensemble, les personnes déplacées soient davantage marginalisées en Europe.
3. L’Assemblée reste préoccupée au sujet des 2,5 à 2,8 millions de PDI qui seraient toujours déplacées dans les Etats membres du Conseil de l’Europe. Environ 99 % d’entre elles ont quitté leur foyer il n’y a pas moins de quinze à trente-cinq ans en raison de conflits dus à des causes nombreuses et variées. Elle regrette que seul environ un quart de toutes les PDI depuis des décennies aient trouvé une solution durable à leur situation, et que la plupart se soient installées hors de leur région d’origine.
4. L’Assemblée déplore que la majorité des personnes déplacées continue de vivre dans le dénuement, doive se battre pour faire reconnaître ses droits et soit marginalisée, faute de recevoir un minimum d’attention et de bénéficier d’une protection de leurs droits fondamentaux, notamment de leurs droits économiques, sociaux et culturels. De nombreuses catégories de PDI restent particulièrement vulnérables, dépendent de l’aide de l’Etat et ont besoin d’une assistance ciblée. En Europe, quelque 390 000 PDI vivent toujours dans des centres collectifs, des abris de fortune ou des logements clandestins sans garantie d’occupation et souvent sans accès aux services de base tels que l’eau, l’électricité ou la collecte des eaux usées. Le fait d’avoir vécu tant d’années dans des conditions inadéquates renforce d’autant leur marginalisation sociale.
5. L’Assemblée a, à maintes reprises, exhorté les gouvernements des Etats membres du Conseil de l’Europe à mettre en œuvre les cadres normatifs applicables prévus par les Principes directeurs des Nations Unies et par la Recommandation Rec(2006)6 du Comité des Ministres. A cet égard, elle déplore les progrès limités à quelques-uns des Etats membres concernés s’agissant de la mise en conformité de la législation relative aux PDI avec les dispositions des Principes directeurs des Nations Unies et de la recommandation du Comité des Ministres.
6. Afin que les personnes déplacées de longue date en Europe puissent jouir pleinement de leurs droits fondamentaux, l’Assemblée est convaincue que les acteurs locaux, nationaux et internationaux doivent impérativement conjuguer et intensifier leurs efforts pour trouver des solutions politiques à des conflits qui perdurent, améliorer les cadres juridiques et normatifs, et renforcer la volonté et la capacité de tous les acteurs concernés de mettre en œuvre ces cadres.
7. Il sera difficile de trouver de vraies solutions aux problèmes des PDI tant que l’on ne s’attaquera pas aux causes profondes des déplacements comme les conflits durables et les divisions ethniques. Les gouvernements de certains Etats membres n’exercent toujours pas de contrôle effectif sur l’intégralité de leur territoire, faute de règlement des conflits sur leur territoire. L’accès, pour les PDI, à leurs droits est limité et les possibilités de revenir dans leur foyer sont bloquées par des négociations de paix au point mort, voire le retrait des mécanismes existants de maintien ou d’établissement de la paix, l’absence de mécanismes de réconciliation raisonnés et un climat d’insécurité permanent.
8. L’Assemblée souligne que, en l’absence de solution politique, il faudrait encourager l’intégration temporaire ou durable des PDI dans leur lieu actuel de résidence. L’intégration locale assurée en fournissant, même temporairement, aux personnes déplacées les moyens de mener une vie normale grâce à un accès sans restriction et égal pour tous à des conditions de vie décentes, à des sources de revenus, à l’éducation et aux services de première nécessité, n’est pas incompatible avec le retour. L’Assemblée se félicite du récent changement de politique en la matière intervenu en Azerbaïdjan et en Géorgie.
9. Il faut respecter le droit, pour les PDI, de faire un choix volontaire et éclairé entre trois options: retourner dans leur foyer, s’intégrer là où elles ont été déplacées ou s’installer dans une autre partie du pays, où elles peuvent vivre en sécurité.
10. Toutes les autorités compétentes doivent respecter et garantir sans condition le droit des PDI de retourner chez elles en vertu du droit humanitaire international, ainsi que celui d’exercer leur droit à la liberté de circulation découlant du droit international et régional des droits de l’homme. Il faut prendre des mesures de justice transitionnelles pour réparer les torts subis (dont les déplacements arbitraires) et poursuivre en justice les auteurs de crimes internationaux.
11. L’Assemblée reconnaît la nécessité de garantir aux PDI une assistance internationale permanente sous forme d’aide financière et technique, afin d’éviter qu’elles ne deviennent les «oubliées» de l’Europe. Cela revêt une importance particulière dans le contexte actuel de crise économique mondiale.
12. L’Assemblée prévient que négliger les intérêts des PDI comporte un véritable risque politique de réactiver à tout moment les conflits gelés auxquels ces personnes sont associées. La guerre qui a opposé l’an dernier la Géorgie et la Russie a rappelé de bien sinistre manière que l’indifférence de la communauté internationale à des situations de déplacement qui perdurent peut contribuer à un regain de conflit, à des pertes humaines considérables et à des déplacements de population supplémentaires.
13. La nécessité d’une véritable force internationale de maintien de la paix dans les lieux où la violence et les préjugés à l’égard des communautés locales et des PDI ne peuvent être contenus par les moyens disponibles au niveau local devrait également rester une priorité essentielle pour la communauté internationale.
14. Il est également primordial que toutes les communautés concernées s’attaquent aux pratiques discriminatoires profondément enracinées dont sont victimes les membres de minorités ethniques, car elles sapent grandement les chances d’un retour durable.
15. A la lumière de ce qui précède, l’Assemblée recommande au Comité des Ministres:
15.1. concernant les solutions politiques durables:
15.1.1. de chercher à créer une nouvelle dynamique politique pour parvenir à un règlement pacifique des conflits qui perdurent en Europe afin de garantir des solutions durables, dont le retour volontaire et éclairé des personnes déplacées dans leur lieu d’origine, conformément au droit humanitaire international, aux principes de l’Acte final d’Helsinki et aux engagements contractés vis-à-vis du Conseil de l’Europe;
15.1.2. d’exhorter tous les Etats membres du Conseil de l’Europe à défendre les principes du droit international que sont la souveraineté de l’Etat et l’intégrité territoriale des Etats membres;
15.1.3. de travailler sur les questions politiques, techniques et financières liées à l’établissement des missions de maintien de la paix nécessaires pour la protection, le retour dans la dignité et l’intégration des PDI;
15.2. concernant le respect des normes de protection internationales:
15.2.1. d’exhorter les Etats membres à respecter scrupuleusement les Principes directeurs des Nations Unies et la Recommandation Rec(2006)6, et à intégrer, le cas échéant, les dispositions de ces principes directeurs dans la législation nationale, s’ils ne l’ont pas encore fait;
15.2.2. d’établir un nouveau comité permanent au sein du Conseil de l’Europe, ayant pour mandat d’examiner les questions relatives à l’asile et aux personnes déplacées, en remplacement du Comité ad hoc d’experts sur les aspects juridiques de l’asile territorial, des réfugiés et des apatrides (CAHAR), et de le charger d’examiner les éventuelles lacunes juridiques dans le droit national et international en vue d’élaborer des instruments internationaux contraignants complémentaires, comme le suggère la Recommandation Rec(2006)6 du Comité des Ministres, d’étudier les mécanismes de mise en œuvre des cadres juridiques applicables aux PDI et d’établir des critères de référence concrets pour parvenir à des solutions durables pour chaque pays concerné;
15.2.3. de mieux faire connaître les droits et les mécanismes de protection en vigueur au titre de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5), de la Charte sociale européenne révisée (STE no 163) et de son mécanisme de réclamations collectives, de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI), et de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales (CCMN, STE no 157), au regard de leur application aux PDI;
15.3. concernant la protection des droits des PDI, d’inviter les Etats membres concernés à concevoir, avec les PDI, des solutions durables et, en particulier:
15.3.1. à revoir, à adopter et à mettre en œuvre les stratégies et les plans d’action nationaux par l’établissement d’un cadre juridique et institutionnel clair assurant aux PDI une protection effective et tenant compte de leur vulnérabilité particulière, et à réviser et modifier les lois en vigueur afin de lever tous les obstacles juridiques à l’intégration des PDI;
15.3.2. à mobiliser les PDI et à leur donner les moyens de devenir les acteurs de leur propre protection;
15.3.3. à respecter pleinement l’aspect volontaire du retour, de l’intégration ou de l’installation;
15.3.4. à assurer la sécurité des PDI, notamment sur les lieux de retour et là où il reste des mines terrestres et des obus qui n’ont pas explosé;
15.3.5. à poursuivre le processus de réconciliation plus énergiquement, en particulier sur les lieux de retour ou d’installation des PDI, en favorisant l’instauration d’un climat politique et culturel de respect, de tolérance et de non-discrimination, ainsi qu’en enquêtant et en traduisant en justice les auteurs de crimes contre l’humanité, de crimes de guerre et de violences interethniques;
15.3.6. à restituer aux personnes déplacées leurs biens ou leurs droits d’occupation/location et/ou à leur fournir rapidement une indemnisation juste et effective, dans la mesure où la restitution est impossible, ainsi qu’à réparer ou à reconstruire les maisons restituées, ou bien à construire des logements de remplacement appropriés;
15.3.7. à offrir aux PDI un accès sans réserve aux droits, à une documentation juridique et à une aide judiciaire gratuite;
15.3.8. à proposer aux PDI des activités génératrices de revenus afin de faciliter leur réinsertion sociale et économique, et à leur garantir, en particulier, un accès sans restriction ni discrimination aux emplois offerts par des employeurs privés ou publics; à mettre en place des systèmes de protection sociale dont puissent bénéficier les PDI qui ont besoin d’aide, notamment des programmes de logements sociaux; à assurer, le cas échéant, le transfert des droits à la sécurité sociale et à pension;
15.3.9. à garantir des conditions de vie et l’accès aux besoins fondamentaux conformes aux normes pertinentes;
15.3.10. à trouver des solutions appropriées pour les groupes de personnes les plus vulnérables qui sont toujours hébergées dans des centres collectifs, des camps de toile ou d’autres logements de fortune;
15.3.11. à faire en sorte que les enfants déplacés soient scolarisés avec, dans la mesure du possible, les enfants non déplacés et qu’ils reçoivent une éducation de qualité sans obstacles financiers;
15.3.12. à garantir aux PDI la possibilité d’exercer leur droit de participer aux affaires publiques à tous les niveaux, y compris le droit de voter ou de se présenter à des élections, ce qui peut nécessiter l’adoption de mesures spéciales telles que des campagnes d’inscription des PDI sur les listes électorales ou la mise en place d’un système de vote à distance;
15.3.13. à contrôler la viabilité de solutions durables pour les PDI ainsi que les conditions de vie, en particulier de logement, de ces dernières;
15.3.14. à veiller à ce que les PDI et celles qui rentrent chez elles bénéficient d’un accès libre, total et permanent à l’aide humanitaire; les Etats ne devraient pas bloquer ou entraver cet accès pour des raisons politiques;
15.3.15. à mettre en commun leurs expériences et bonnes pratiques s’agissant de trouver des solutions durables pour les PDI;
15.4. concernant les activités du Conseil de l’Europe relatives aux PDI en Europe, de réunir des représentants des PDI de toute l’Europe afin qu’ils puissent échanger des informations sur leurs expériences respectives et en tirer des enseignements;
15.5. en vue de renforcer la stabilité politique et économique dans les Etats membres concernés, d’inviter les gouvernements de tous les Etats membres du Conseil de l’Europe:
15.5.1. à continuer de soutenir le processus de retour volontaire, d’intégration locale ou d’installation ailleurs dans le pays des PDI, en apportant l’aide financière ainsi que les compétences et le savoir-faire techniques nécessaires;
15.5.2. à apporter des contributions volontaires en faveur des programmes spéciaux du Conseil de l’Europe qui visent à renforcer la protection des droits de l’homme, la primauté du droit et la démocratie dans les pays touchés de manière significative par des déplacements;
15.5.3. à continuer de soutenir les institutions nationales, régionales et internationales de défense des droits de l’homme présentes dans les Etats membres concernés dans leur action visant à encourager les gouvernements à étendre l’accès des PDI à leurs droits.
16. L’Assemblée recommande également au Comité des Ministres d’inviter l’Union européenne:
16.1. à prêter une attention accrue aux questions liées au règlement durable de la situation des PDI et aux préoccupations concernant leurs droits fondamentaux dans le cadre de sa politique européenne de voisinage (PEV) et de son nouveau programme de Partenariat oriental;
16.2. à accroître le rôle des missions de maintien de la paix de la politique européenne de sécurité et de défense (PESD) dans les zones de conflit potentielles;
16.3. à maintenir l’impulsion politique dans les Etats concernés non membres de l’Union européenne qui ont une perspective claire d’intégration européenne; à évaluer l’amélioration de la situation des PDI en ce qui concerne, en particulier, les progrès réalisés dans la promotion des conditions propices à la mise en œuvre de solutions durables, dans le cadre de leur éventuel processus d’adhésion;
16.4. à continuer de soutenir le processus de retour volontaire, d’intégration locale ou d’installation ailleurs dans le pays, en apportant l’aide financière et l’expertise nécessaires;
16.5. à contribuer financièrement aux programmes conjoints spécifiques avec le Conseil de l’Europe visant à renforcer la protection des droits fondamentaux des PDI en Europe, en particulier ceux des groupes les plus vulnérables, ainsi qu’à sensibiliser davantage et à améliorer les compétences des acteurs locaux aux questions relatives aux PDI.
17. L’Assemblée invite le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux à étudier des moyens efficaces de sensibiliser davantage et d’améliorer les capacités des pouvoirs locaux à tenir compte de la complexité de l’intégration des PDI là où elles sont déplacées, de leurs besoins particuliers et de leur vulnérabilité spécifique.
18. L’Assemblée encourage le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe à mobiliser les institutions nationales de défense des droits de l’homme et les médiateurs des régions qui hébergent des PDI de longue date en vue d’évaluer les progrès réalisés dans la mise en œuvre des diverses recommandations du Conseil de l’Europe sur la protection des droits des PDI et d’identifier les obstacles qui subsistent à la garantie de solutions durables, et lui demande de publier un document d’orientation sur la question.
19. L’Assemblée invite la Banque de développement du Conseil de l’Europe à renforcer sa coopération avec les Etats membres concernés dans le but de financer un plus grand nombre de projets concernant les réfugiés et les PDI qui reviennent dans leur foyer.
20. L’Assemblée reconnaît la nécessité de procéder à un suivi plus global des progrès réalisés dans le règlement des problèmes évoqués ci-dessus grâce à son mécanisme de suivi pays par pays et aux rapports «régionaux» ou thématiques de sa commission des migrations, des réfugiés et de la population.