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Recommandation 1877 (2009)
Les peuples oubliés d’Europe: protéger les droits fondamentaux des personnes déplacées de longue date
1. A maintes
reprises, l’Assemblée parlementaire s’est déclarée préoccupée par
la situation non résolue des personnes déplacées à l’intérieur de
leur propre pays (PDI), disséminées dans 11 des 47 Etats membres du
Conseil de l’Europe. Elle n’a eu de cesse d’inciter les gouvernements
à rechercher des solutions durables pour le retour, l’intégration
locale ou l’installation ailleurs dans le pays d’origine des personnes
déplacées, et à garantir la protection de leurs droits, conformément
aux dispositions des instruments applicables du Conseil de l’Europe
et aux Principes directeurs des Nations Unies relatifs au déplacement
de personnes à l’intérieur de leur propre pays (ci-après nommés
les Principes directeurs des Nations Unies).
2. L’Assemblée se félicite des travaux déjà réalisés par le Comité
des Ministres pour l’élaboration d’un ensemble de 13 recommandations
sur les PDI (Recommandation Rec(2006)6 du Comité des Ministres relative aux
personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays), qui s’appuient
sur les Principes directeurs des Nations Unies, et met l’accent
sur les obligations contraignantes souscrites par les Etats membres.
Elle déplore cependant que, depuis l’adoption de la recommandation
du Comité des Ministres, le processus de recherche de solutions
durables soit à nouveau bloqué et que, dans l’ensemble, les personnes
déplacées soient davantage marginalisées en Europe.
3. L’Assemblée reste préoccupée au sujet des 2,5 à 2,8 millions
de PDI qui seraient toujours déplacées dans les Etats membres du
Conseil de l’Europe. Environ 99 % d’entre elles ont quitté leur
foyer il n’y a pas moins de quinze à trente-cinq ans en raison de
conflits dus à des causes nombreuses et variées. Elle regrette que
seul environ un quart de toutes les PDI depuis des décennies aient
trouvé une solution durable à leur situation, et que la plupart
se soient installées hors de leur région d’origine.
4. L’Assemblée déplore que la majorité des personnes déplacées
continue de vivre dans le dénuement, doive se battre pour faire
reconnaître ses droits et soit marginalisée, faute de recevoir un
minimum d’attention et de bénéficier d’une protection de leurs droits
fondamentaux, notamment de leurs droits économiques, sociaux et
culturels. De nombreuses catégories de PDI restent particulièrement
vulnérables, dépendent de l’aide de l’Etat et ont besoin d’une assistance
ciblée. En Europe, quelque 390 000 PDI vivent toujours dans des centres
collectifs, des abris de fortune ou des logements clandestins sans
garantie d’occupation et souvent sans accès aux services de base
tels que l’eau, l’électricité ou la collecte des eaux usées. Le
fait d’avoir vécu tant d’années dans des conditions inadéquates
renforce d’autant leur marginalisation sociale.
5. L’Assemblée a, à maintes reprises, exhorté les gouvernements
des Etats membres du Conseil de l’Europe à mettre en œuvre les cadres
normatifs applicables prévus par les Principes directeurs des Nations Unies
et par la Recommandation Rec(2006)6 du Comité des Ministres. A cet
égard, elle déplore les progrès limités à quelques-uns des Etats
membres concernés s’agissant de la mise en conformité de la législation relative
aux PDI avec les dispositions des Principes directeurs des Nations
Unies et de la recommandation du Comité des Ministres.
6. Afin que les personnes déplacées de longue date en Europe
puissent jouir pleinement de leurs droits fondamentaux, l’Assemblée
est convaincue que les acteurs locaux, nationaux et internationaux
doivent impérativement conjuguer et intensifier leurs efforts pour
trouver des solutions politiques à des conflits qui perdurent, améliorer
les cadres juridiques et normatifs, et renforcer la volonté et la
capacité de tous les acteurs concernés de mettre en œuvre ces cadres.
7. Il sera difficile de trouver de vraies solutions aux problèmes
des PDI tant que l’on ne s’attaquera pas aux causes profondes des
déplacements comme les conflits durables et les divisions ethniques.
Les gouvernements de certains Etats membres n’exercent toujours
pas de contrôle effectif sur l’intégralité de leur territoire, faute
de règlement des conflits sur leur territoire. L’accès, pour les
PDI, à leurs droits est limité et les possibilités de revenir dans
leur foyer sont bloquées par des négociations de paix au point mort,
voire le retrait des mécanismes existants de maintien ou d’établissement
de la paix, l’absence de mécanismes de réconciliation raisonnés
et un climat d’insécurité permanent.
8. L’Assemblée souligne que, en l’absence de solution politique,
il faudrait encourager l’intégration temporaire ou durable des PDI
dans leur lieu actuel de résidence. L’intégration locale assurée
en fournissant, même temporairement, aux personnes déplacées les
moyens de mener une vie normale grâce à un accès sans restriction
et égal pour tous à des conditions de vie décentes, à des sources
de revenus, à l’éducation et aux services de première nécessité,
n’est pas incompatible avec le retour. L’Assemblée se félicite du
récent changement de politique en la matière intervenu en Azerbaïdjan
et en Géorgie.
9. Il faut respecter le droit, pour les PDI, de faire un choix
volontaire et éclairé entre trois options: retourner dans leur foyer,
s’intégrer là où elles ont été déplacées ou s’installer dans une
autre partie du pays, où elles peuvent vivre en sécurité.
10. Toutes les autorités compétentes doivent respecter et garantir
sans condition le droit des PDI de retourner chez elles en vertu
du droit humanitaire international, ainsi que celui d’exercer leur
droit à la liberté de circulation découlant du droit international
et régional des droits de l’homme. Il faut prendre des mesures de
justice transitionnelles pour réparer les torts subis (dont les
déplacements arbitraires) et poursuivre en justice les auteurs de
crimes internationaux.
11. L’Assemblée reconnaît la nécessité de garantir aux PDI une
assistance internationale permanente sous forme d’aide financière
et technique, afin d’éviter qu’elles ne deviennent les «oubliées»
de l’Europe. Cela revêt une importance particulière dans le contexte
actuel de crise économique mondiale.
12. L’Assemblée prévient que négliger les intérêts des PDI comporte
un véritable risque politique de réactiver à tout moment les conflits
gelés auxquels ces personnes sont associées. La guerre qui a opposé
l’an dernier la Géorgie et la Russie a rappelé de bien sinistre
manière que l’indifférence de la communauté internationale à des
situations de déplacement qui perdurent peut contribuer à un regain
de conflit, à des pertes humaines considérables et à des déplacements
de population supplémentaires.
13. La nécessité d’une véritable force internationale de maintien
de la paix dans les lieux où la violence et les préjugés à l’égard
des communautés locales et des PDI ne peuvent être contenus par
les moyens disponibles au niveau local devrait également rester
une priorité essentielle pour la communauté internationale.
14. Il est également primordial que toutes les communautés concernées
s’attaquent aux pratiques discriminatoires profondément enracinées
dont sont victimes les membres de minorités ethniques, car elles sapent
grandement les chances d’un retour durable.
15. A la lumière de ce qui précède, l’Assemblée recommande au
Comité des Ministres:
15.1. concernant
les solutions politiques durables:
15.1.1. de chercher à créer une nouvelle dynamique politique pour
parvenir à un règlement pacifique des conflits qui perdurent en
Europe afin de garantir des solutions durables, dont le retour volontaire
et éclairé des personnes déplacées dans leur lieu d’origine, conformément
au droit humanitaire international, aux principes de l’Acte final
d’Helsinki et aux engagements contractés vis-à-vis du Conseil de
l’Europe;
15.1.2. d’exhorter tous les Etats membres du Conseil de l’Europe
à défendre les principes du droit international que sont la souveraineté
de l’Etat et l’intégrité territoriale des Etats membres;
15.1.3. de travailler sur les questions politiques, techniques
et financières liées à l’établissement des missions de maintien
de la paix nécessaires pour la protection, le retour dans la dignité
et l’intégration des PDI;
15.2. concernant le respect des normes de protection internationales:
15.2.1. d’exhorter les Etats membres
à respecter scrupuleusement les Principes directeurs des Nations
Unies et la Recommandation Rec(2006)6, et à intégrer, le cas échéant,
les dispositions de ces principes directeurs dans la législation
nationale, s’ils ne l’ont pas encore fait;
15.2.2. d’établir un nouveau comité permanent au sein du Conseil
de l’Europe, ayant pour mandat d’examiner les questions relatives
à l’asile et aux personnes déplacées, en remplacement du Comité
ad hoc d’experts sur les aspects juridiques de l’asile territorial,
des réfugiés et des apatrides (CAHAR), et de le charger d’examiner
les éventuelles lacunes juridiques dans le droit national et international
en vue d’élaborer des instruments internationaux contraignants complémentaires,
comme le suggère la Recommandation Rec(2006)6 du Comité des Ministres,
d’étudier les mécanismes de mise en œuvre des cadres juridiques
applicables aux PDI et d’établir des critères de référence concrets
pour parvenir à des solutions durables pour chaque pays concerné;
15.2.3. de mieux faire connaître les droits et les mécanismes
de protection en vigueur au titre de la Convention européenne des
droits de l’homme (STE no 5), de la Charte
sociale européenne révisée (STE no 163)
et de son mécanisme de réclamations collectives, de la Commission européenne
contre le racisme et l’intolérance (ECRI), et de la Convention-cadre
pour la protection des minorités nationales (CCMN, STE no 157),
au regard de leur application aux PDI;
15.3. concernant la protection des droits des PDI, d’inviter
les Etats membres concernés à concevoir, avec les PDI, des solutions
durables et, en particulier:
15.3.1. à
revoir, à adopter et à mettre en œuvre les stratégies et les plans
d’action nationaux par l’établissement d’un cadre juridique et institutionnel
clair assurant aux PDI une protection effective et tenant compte
de leur vulnérabilité particulière, et à réviser et modifier les
lois en vigueur afin de lever tous les obstacles juridiques à l’intégration
des PDI;
15.3.2. à mobiliser les PDI et à leur donner les moyens de devenir
les acteurs de leur propre protection;
15.3.3. à respecter pleinement l’aspect volontaire du retour,
de l’intégration ou de l’installation;
15.3.4. à assurer la sécurité des PDI, notamment sur les lieux
de retour et là où il reste des mines terrestres et des obus qui
n’ont pas explosé;
15.3.5. à poursuivre le processus de réconciliation plus énergiquement,
en particulier sur les lieux de retour ou d’installation des PDI,
en favorisant l’instauration d’un climat politique et culturel de
respect, de tolérance et de non-discrimination, ainsi qu’en enquêtant
et en traduisant en justice les auteurs de crimes contre l’humanité,
de crimes de guerre et de violences interethniques;
15.3.6. à restituer aux personnes déplacées leurs biens ou leurs
droits d’occupation/location et/ou à leur fournir rapidement une
indemnisation juste et effective, dans la mesure où la restitution est
impossible, ainsi qu’à réparer ou à reconstruire les maisons restituées,
ou bien à construire des logements de remplacement appropriés;
15.3.7. à offrir aux PDI un accès sans réserve aux droits, à une
documentation juridique et à une aide judiciaire gratuite;
15.3.8. à proposer aux PDI des activités génératrices de revenus
afin de faciliter leur réinsertion sociale et économique, et à leur
garantir, en particulier, un accès sans restriction ni discrimination aux
emplois offerts par des employeurs privés ou publics; à mettre en
place des systèmes de protection sociale dont puissent bénéficier
les PDI qui ont besoin d’aide, notamment des programmes de logements
sociaux; à assurer, le cas échéant, le transfert des droits à la
sécurité sociale et à pension;
15.3.9. à garantir des conditions de vie et l’accès aux besoins
fondamentaux conformes aux normes pertinentes;
15.3.10. à trouver des solutions appropriées pour les groupes de
personnes les plus vulnérables qui sont toujours hébergées dans
des centres collectifs, des camps de toile ou d’autres logements
de fortune;
15.3.11. à faire en sorte que les enfants déplacés soient scolarisés
avec, dans la mesure du possible, les enfants non déplacés et qu’ils
reçoivent une éducation de qualité sans obstacles financiers;
15.3.12. à garantir aux PDI la possibilité d’exercer leur droit
de participer aux affaires publiques à tous les niveaux, y compris
le droit de voter ou de se présenter à des élections, ce qui peut nécessiter
l’adoption de mesures spéciales telles que des campagnes d’inscription
des PDI sur les listes électorales ou la mise en place d’un système
de vote à distance;
15.3.13. à contrôler la viabilité de solutions durables pour les
PDI ainsi que les conditions de vie, en particulier de logement,
de ces dernières;
15.3.14. à veiller à ce que les PDI et celles qui rentrent chez
elles bénéficient d’un accès libre, total et permanent à l’aide
humanitaire; les Etats ne devraient pas bloquer ou entraver cet
accès pour des raisons politiques;
15.3.15. à mettre en commun leurs expériences et bonnes pratiques
s’agissant de trouver des solutions durables pour les PDI;
15.4. concernant les activités du Conseil de l’Europe relatives
aux PDI en Europe, de réunir des représentants des PDI de toute
l’Europe afin qu’ils puissent échanger des informations sur leurs expériences
respectives et en tirer des enseignements;
15.5. en vue de renforcer la stabilité politique et économique
dans les Etats membres concernés, d’inviter les gouvernements de
tous les Etats membres du Conseil de l’Europe:
15.5.1. à continuer de soutenir le processus
de retour volontaire, d’intégration locale ou d’installation ailleurs
dans le pays des PDI, en apportant l’aide financière ainsi que les compétences
et le savoir-faire techniques nécessaires;
15.5.2. à apporter des contributions volontaires en faveur des
programmes spéciaux du Conseil de l’Europe qui visent à renforcer
la protection des droits de l’homme, la primauté du droit et la démocratie
dans les pays touchés de manière significative par des déplacements;
15.5.3. à continuer de soutenir les institutions nationales, régionales
et internationales de défense des droits de l’homme présentes dans
les Etats membres concernés dans leur action visant à encourager
les gouvernements à étendre l’accès des PDI à leurs droits.
16. L’Assemblée recommande également au Comité des Ministres d’inviter
l’Union européenne:
16.1. à prêter
une attention accrue aux questions liées au règlement durable de
la situation des PDI et aux préoccupations concernant leurs droits
fondamentaux dans le cadre de sa politique européenne de voisinage
(PEV) et de son nouveau programme de Partenariat oriental;
16.2. à accroître le rôle des missions de maintien de la paix
de la politique européenne de sécurité et de défense (PESD) dans
les zones de conflit potentielles;
16.3. à maintenir l’impulsion politique dans les Etats concernés
non membres de l’Union européenne qui ont une perspective claire
d’intégration européenne; à évaluer l’amélioration de la situation
des PDI en ce qui concerne, en particulier, les progrès réalisés
dans la promotion des conditions propices à la mise en œuvre de
solutions durables, dans le cadre de leur éventuel processus d’adhésion;
16.4. à continuer de soutenir le processus de retour volontaire,
d’intégration locale ou d’installation ailleurs dans le pays, en
apportant l’aide financière et l’expertise nécessaires;
16.5. à contribuer financièrement aux programmes conjoints spécifiques
avec le Conseil de l’Europe visant à renforcer la protection des
droits fondamentaux des PDI en Europe, en particulier ceux des groupes
les plus vulnérables, ainsi qu’à sensibiliser davantage et à améliorer
les compétences des acteurs locaux aux questions relatives aux PDI.
17. L’Assemblée invite le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux
à étudier des moyens efficaces de sensibiliser davantage et d’améliorer
les capacités des pouvoirs locaux à tenir compte de la complexité
de l’intégration des PDI là où elles sont déplacées, de leurs besoins
particuliers et de leur vulnérabilité spécifique.
18. L’Assemblée encourage le Commissaire aux droits de l’homme
du Conseil de l’Europe à mobiliser les institutions nationales de
défense des droits de l’homme et les médiateurs des régions qui
hébergent des PDI de longue date en vue d’évaluer les progrès réalisés
dans la mise en œuvre des diverses recommandations du Conseil de
l’Europe sur la protection des droits des PDI et d’identifier les
obstacles qui subsistent à la garantie de solutions durables, et
lui demande de publier un document d’orientation sur la question.
19. L’Assemblée invite la Banque de développement du Conseil de
l’Europe à renforcer sa coopération avec les Etats membres concernés
dans le but de financer un plus grand nombre de projets concernant
les réfugiés et les PDI qui reviennent dans leur foyer.
20. L’Assemblée reconnaît la nécessité de procéder à un suivi
plus global des progrès réalisés dans le règlement des problèmes
évoqués ci-dessus grâce à son mécanisme de suivi pays par pays et
aux rapports «régionaux» ou thématiques de sa commission des migrations,
des réfugiés et de la population.