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Recommandation 1880 (2009)
L’enseignement de l’histoire dans les zones de conflit et de post-conflit
1. L’Assemblée
parlementaire rappelle sa Recommandation
1283 (1996) relative à l’histoire et à l’apprentissage de l’histoire
en Europe, et réaffirme que «l’histoire a aussi un rôle politique
clé à jouer dans l’Europe d’aujourd’hui. Elle peut favoriser la
compréhension, la tolérance et la confiance entre les individus
et entre les peuples d’Europe. Elle peut aussi devenir une force
de division, de violence et d’intolérance». Par conséquent, l’enseignement
de l’histoire peut être un instrument pour soutenir la paix et la
réconciliation dans les zones de conflit et de postconflit ainsi
que la tolérance et la compréhension pour faire face à des phénomènes
tels que les migrations, l’immigration et l’évolution démographique.
2. La résolution et la prévention des conflits s’effectuent au
niveau politique, de la recherche de la paix à sa consolidation,
puis à son maintien. L’enseignement de l’histoire est un processus
au cours duquel les enseignants sont consultés, formés, spécialisés,
soutenus, informés, encouragés et protégés dans la mise en œuvre
de nouvelles approches des questions controversées et sensibles.
Il convient de tenir compte de ces deux éléments si l’on veut que
le processus politique soit efficace sur le long terme pour les
générations à venir. L’Assemblée salue par conséquent les travaux
menés par le Conseil de l’Europe et d’autres organisations dans
des endroits comme la Bosnie-Herzégovine, Chypre et la région de
la mer Noire, et elle apporte son soutien aux gouvernements dans
leur lutte pour la tolérance et la compréhension mutuelles.
3. Le contenu de l’enseignement de l’histoire, la manière dont
elle est enseignée et le moment où les sujets controversés peuvent
être abordés sont des questions qui dépendent du développement de
nouvelles compétences et du renforcement de la confiance à la fois
du corps enseignant et des élèves. Ce processus doit être soutenu
par de nouvelles attitudes et mesures politiques concernant le rôle
de l’histoire dans la réconciliation des différences et la promotion
de la tolérance.
4. Traditionnellement, l’histoire était enseignée selon une seule
interprétation des événements qui incarnait «la vérité», ce qui
était avantageux sur le plan politique. Il est à présent internationalement
accepté qu’il peut exister plusieurs visions et plusieurs interprétations
de l’histoire, fondées sur des faits. On reconnaît également la
validité d’une approche aux perspectives multiples, qui aide et
encourage les élèves à respecter la diversité et la différence culturelles,
dans le contexte d’une mondialisation croissante, au lieu d’un enseignement
susceptible de renforcer les aspects plus négatifs du nationalisme.
5. L’Assemblée salue l’action du Conseil de l’Europe dans des
pays qui sortent d’une situation de conflit pour soutenir le changement
dans la manière dont «l’autre» est présenté dans les cours d’histoire.
Il intervient dans les questions relatives au contenu de l’enseignement
de l’histoire et à la manière dont elle est enseignée. Il faut continuer
d’investir considérablement dans le développement des compétences
des enseignants, actuels et futurs, pour les encourager à adopter
un programme d’un nouveau style et de nouvelles façons d’enseigner.
Ce processus étant évolutif, il a des retombées sur les formations
initiale et continue des enseignants.
6. La révision récente des programmes dans certains pays en situation
de postconflit a abouti à une réduction des contenus. Même si cette
réduction optimise le développement des compétences et incite les élèves
à évaluer et à explorer de façon plus approfondie les thèmes eux-mêmes,
elle doit accroître, et non diminuer, l’importance accordée aux
questions intercommunautaires et interrégionales dans les programmes.
7. Les enseignants, les futurs enseignants et les étudiants qui
souhaitent favoriser ce processus de changement sont des ressources
essentielles dans ce domaine. Les enseignants devraient jouer un
rôle de premier plan dans l’élaboration des contenus et la conception
des matériels pédagogiques, afin qu’ils soient adaptés à l’âge des
élèves et suscitent leur intérêt.
8. L’enseignement fondé sur la multiplicité des perspectives
s’appuie sur la disponibilité des matériaux primaires et secondaires,
et suppose une pédagogie interactive. Les études et les travaux
fondés sur des projets, les débats en classe, les visites de musées,
l’utilisation accrue des sources d’information primaires et l’intervention
d’invités pour éveiller l’intérêt des élèves pour l’histoire moderne
sont des pratiques qui donnent leurs meilleurs résultats dans des
classes aux effectifs réduits. Les politiques éducatives doivent
prendre en compte ce changement de mode d’enseignement.
9. L’amélioration de la communication entre les élèves et les
enseignants issus de cultures et de milieux différents offre de
nouvelles possibilités pour la mise en œuvre de projets d’histoire
faisant intervenir plusieurs pays. De nouvelles perspectives s’ouvrent
quand les élèves s’aident mutuellement à «résoudre» leurs problèmes,
les «personnes extérieures» envisageant souvent les situations d’une
autre manière que celles qui sont touchées de plus près par le problème.
10. Des activités transfrontalières et intercommunautaires sont
organisées dans certaines localités. La Recommandation 1283 (1996) de l’Assemblée demandait aux gouvernements d’assurer
un financement continu et suffisant de la recherche en matière d’histoire,
en particulier des travaux des commissions multilatérales et bilatérales
sur l’histoire contemporaine. Il incombe aux responsables politiques
de renforcer ces possibilités et d’encourager les bénéficiaires
à s’associer pour avancer dans cette direction sans crainte de représailles,
d’où qu’elles puissent venir. Ces activités doivent concerner à
la fois les enseignants et les élèves. Elles devraient pouvoir s’inscrire
sur le long terme, en visant à obtenir des résultats tangibles,
car la confiance s’établit avec le temps.
11. L’enseignement de l’histoire doit tenir compte de la situation
internationale qui prévalait au cours de la période étudiée, et
replacer les événements dans ce contexte. En effet, les événements
étudiés isolément ne rendent pas pleinement compte du contexte et
par conséquent n’en donnent pas toujours une représentation exacte
ou complète. Toutefois, les références à l’histoire locale peuvent
avoir une résonance particulière pour les jeunes et éveiller leur
intérêt. De nombreux aspects de la vie locale peuvent ainsi être
reliés à des circonstances ou événements plus importants.
12. L’éducation à la compréhension mutuelle et le patrimoine culturel
doivent être au cœur des politiques éducatives, comme c’est le cas
dans le nord de l’Irlande. Les services de soutien à l’enseignement
de l’histoire devraient aider les enseignants à coordonner les sujets
interdisciplinaires lors de journées spéciales de planification.
Ces services devraient mettre en place, au niveau international,
un mécanisme pour la mise en commun des notions et des pratiques.
13. Le recours à un humour bienveillant pour éveiller l’intérêt
des élèves à l’égard de certains aspects de l’histoire est une bonne
façon de capter leur attention, aussi efficace que la projection
de films ou l’utilisation d’autres technologies. Quand nous serons
capables de rire aussi bien de nous-mêmes que des autres, nous aurons
progressé sur le chemin de la paix et de la réconciliation.
14. L’enseignement de l’histoire fondé sur la multiplicité des
perspectives permettra aux élèves d’acquérir des compétences analytiques
(ainsi que des connaissances sur le sujet) qui les aideront à développer
leur esprit critique. Il s’agit donc d’une discipline susceptible
de contribuer de façon cruciale au développement de l’enfant en
cette époque de dynamiques changeantes et, si elle obtient un soutien
suffisant, de former des employeurs et des travailleurs potentiels
pour les pays qui ont le plus besoin de relancer leur économie à
la suite d’un conflit.
15. D’après la Recommandation 1283 (1996), tout individu a le droit de connaître son passé, et
de l’accepter ou de le rejeter ensuite. Le droit des élèves à pouvoir
examiner de manière critique à la fois ce qu’ils voient et ce qu’ils
entendent autour d’eux dans les divers médias, par le biais des
supports pédagogiques, n’est devenu fondamental qu’avec le temps
et le développement des nouvelles technologies. Comprendre la complexité
des situations peut les aider à apprécier la diversité et à reconnaître
de manière objective les fausses représentations induites par les
stéréotypes.
16. L’Assemblée reconnaît que la révision du contenu des programmes
a mis en avant la nécessité de contrebalancer les événements controversés,
sensibles et tragiques par des sujets plus positifs et inclusifs
qui ne soient pas exclusivement de nature politique et dont la portée
dépasse les frontières nationales. Il convient d’approuver et d’encourager
cette évolution qui vise à inclure dans les programmes des éléments
culturels, philosophiques et économiques, et à prendre en compte
le rôle joué par les femmes et les minorités.
17. L’Assemblée attire l’attention du Comité des Ministres sur
de récents travaux qui soulignent la nécessité de donner la priorité
aux écoles situées aux carrefours de conflits, qu’il s’agisse de
mesures pour renforcer la confiance à la fois des enseignants et
des élèves, pour mettre à disposition des sources d’information
primaires et secondaires, et des accès à internet, ou pour organiser
des échanges scolaires. Sortir d’un conflit est une épreuve longue
et personnelle, que doivent relever chaque enseignant, chaque élève,
chaque établissement scolaire et chaque communauté.
18. La diffusion de l’information s’est accélérée avec la mondialisation
de diverses formes de supports qui transmettent tous de manière
instantanée des informations sur l’actualité ou «l’histoire». Dans
chaque Etat membre le système éducatif devrait encourager les élèves
à développer des compétences analytiques pour étudier les médias
de manière critique et les aider à comprendre ainsi que des messages
peuvent être transmis sous une forme explicite ou subliminale.
19. Les personnalités influentes d’horizons divers et en particulier
les responsables religieux peuvent avoir un rôle à jouer au sein
des communautés qui se dirigent vers la paix ou sortent des conflits
en créant un climat favorable ou défavorable à ce processus. Une
orientation positive transconfessionnelle envoie un signal fort
à ceux qui cherchent à inclure «l’image de l’autre» pour la première
fois dans l’enseignement. L’Assemblée salue le rôle positif qu’ont
joué les responsables religieux et les personnalités influentes
dans certains pays, et invite tous les responsables religieux à
adopter de nouvelles initiatives en faveur de la coexistence pacifique
des citoyens d’aujourd’hui et de demain, et à soutenir ainsi la
prise de nouvelles initiatives à l’école.
20. L’Assemblée invite tous les Etats signataires de la Convention
culturelle européenne (STE no 18):
20.1. à veiller à mettre en place
les technologies et les moyens nécessaires pour favoriser les interactions
des enseignants et des élèves au sein des Etats et entre les Etats,
y compris en termes d’accès des minorités à des sources d’information
et à des ressources écrites dans leur propre langue;
20.2. à financer de manière suffisante et continue les travaux
de recherche sur l’histoire, en particulier ceux des commissions
multilatérales et bilatérales sur l’histoire contemporaine;
20.3. à axer l’étude de l’histoire plus sur les éléments socio-économiques,
culturels, artistiques et patrimoniaux, et moins sur ses aspects
politiques;
20.4. à mettre en œuvre un projet sur dix ans, encourageant
les élèves des écoles primaires à tenir un journal dans lequel ils
consigneraient leurs réactions face à l’actualité; ces récits pourraient
ensuite être examinés et échangés avec d’autres Etats membres à
la fin du projet;
20.5. à veiller à ce que les programmes de formation des enseignants
comportent deux éléments distincts et équilibrés: le développement
de l’expertise dans le domaine de la matière enseignée («quoi enseigner?»)
et le renforcement des compétences pour susciter l’intérêt des élèves
pour la discipline («comment enseigner?»);
20.6. à affronter là où il existerait le problème des résistances
aux changements «curriculaires» ou pédagogiques motivées en profondeur
par des raisons politiques;
20.7. à effectuer régulièrement des recherches sur ce que pensent
les enseignants et les élèves des nouveaux concepts, enjeux et approches
de l’histoire, qu’il s’agisse de l’étendue des programmes, de leur
contenu, de leur pertinence, de leur transmission ou de la manière
dont ils sont examinés;
20.8. à faciliter la tâche des enseignants en ce qui concerne
le calendrier du programme, pour leur permettre de diffuser de nouvelles
idées en dehors de la salle de classe et les encourager à essayer
de nouvelles pratiques;
20.9. à réduire, dans la mesure du possible, les effectifs des
classes;
20.10. à encourager les enseignants à adhérer à des associations
d’enseignants d’histoire et à participer à des manifestations telles
que celles organisées par EUROCLIO (Conférence permanente européenne
des associations de professeurs d’histoire) afin de développer leur
confiance en eux, leur expérience et leurs compétences;
20.11. à encourager les enseignants à tirer parti des possibilités
de développement personnel pour se tenir au courant des pratiques
et des priorités ayant cours à l’étranger et inversement;
20.12. à envisager de mettre en place un système de récompense
dans la structure de la grille des salaires afin d’encourager tous
les secteurs de l’enseignement de l’histoire à participer activement
au recensement continu de nouvelles méthodes pédagogiques, émanant
aussi bien de la hiérarchie du système éducatif que de sa base;
20.13. à donner à tous les établissements scolaires la capacité
d’accéder à des sources d’informations primaires et secondaires,
y compris à l’internet à large bande.
21. L’Assemblée demande la pleine mise en œuvre du Livre blanc
sur le dialogue interculturel «Vivre ensemble dans l’égale dignité»
(lancé en mai 2008), pour faciliter l’élaboration de directives
pour les enseignants sur les questions relatives à la tolérance
et au dialogue interculturel.
22. L’Assemblée recommande au Comité des Ministres:
22.1. de continuer de soutenir les
travaux du Conseil de l’Europe, en coopération avec d’autres institutions,
comme l’Institut Georg-Eckert de recherche internationale sur les
manuels scolaires, dans les zones de conflit et de postconflit,
sur la révision et la conception des manuels scolaires et des manuels
pour enseignants, sur l’organisation de séminaires d’enseignants
et l’identification des documents sources;
22.2. de mener des recherches sur les bonnes pratiques et les
faire connaître aux pays qui ont connu des conflits dans le passé,
et d’aider tous ceux qui participent à un tel processus, quel que
soit le stade où ils se trouvent;
22.3. de continuer de soutenir la mise en œuvre du projet du
Conseil de l’Europe: «L’image de l’autre dans l’enseignement de
l’histoire»;
22.4. de renforcer la coopération avec l’Union européenne dans
le cadre des programmes et projets conjoints relatifs à l’enseignement
de l’histoire, et d’utiliser le mieux possible, le cas échéant,
les fonds de l’Union européenne.