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Résolution 1695 (2009) Version finale
Améliorer la qualité et la cohérence des décisions en matière d’asile dans les Etats membres du Conseil de l’Europe
1. Les taux d’acceptation des demandes
d’asile en Europe varient radicalement selon les pays, mettant ainsi
en lumière des insuffisances majeures au niveau de la qualité des
décisions prises par les Etats membres du Conseil de l’Europe en
matière d’asile. Comme preuve, en 2007, les taux d’acceptation ont considérablement
varié, de 1 % à 39 %, entre les pays qui reçoivent un nombre élevé
de demandeurs d’asile. La situation est encore plus frappante lorsqu’on
se penche sur certains groupes spécifiques de demandeurs d’asile.
A titre d’exemple, toujours en 2007, le taux d’acceptation des Irakiens
qui cherchaient à trouver refuge en Europe se situait dans une fourchette
allant de 0 % à 81 %.
2. Les très faibles taux de reconnaissance observés dans certains
pays, ou pour certains groupes de demandeurs d’asile, peuvent être
dus à des difficultés d’accès à la procédure d’asile, à l’insuffisance
de garanties procédurales dans les procédures d’asile, à des interprétations
restrictives et divergentes des critères d’éligibilité, à un manque
d’informations objectives et fiables sur le pays d’origine, à un
défaut d’appréciation des faits, notamment une culture de l’incrédulité
dans les décisions d’asile, à des pressions politiques, à une formation
insuffisante des autorités compétentes et de leurs agents, ou à
plusieurs de ces facteurs à la fois.
3. Les décisions en matière d’asile sont parfois incohérentes
au sein d’un même pays, mais aussi entre Etats membres du Conseil
de l’Europe. Cette incohérence signifie que des demandes d’asile
similaires sont traitées différemment. Une telle situation porte
atteinte à la prééminence du droit et est foncièrement injuste.
Il est vrai que les Etats membres reçoivent des demandeurs d’asile
originaires de différents pays, dont le besoin de protection peut
varier. Malgré cela, toutefois, les écarts entre les taux d’acceptation
continuent souvent de croître.
4. Selon les pays, on constate également des écarts importants
entre le nombre d’octrois du statut de réfugié et le nombre d’octrois
d’une protection complémentaire, notamment la protection au titre
de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5),
la protection subsidiaire et d’autres formes de protection humanitaire.
5. Les différences sont parfois encore plus frappantes lorsqu’on
se penche sur les taux d’acceptation de demandes concomitantes de
certains pays d’origine, ou groupes ethniques, spécifiques, en fonction
du pays où est déposée la demande d’asile. C’est le cas pour les
demandeurs d’asile venant de Tchétchénie, d’Irak, d’Afghanistan
et les Roms du Kosovo. Par exemple le taux d’acceptation des personnes
venant de Russie (essentiellement des Tchétchènes), qui demandent
protection, a oscillé entre 0 % et 80 % selon les pays ayant accueilli
un nombre important de personnes appartenant à ce groupe.
6. Dans certains Etats membres du Conseil de l’Europe, jusqu’à
50 %, voire plus dans certains cas, des décisions de première instance
relatives à l’asile sont annulées en appel, ce qui fait douter de
la fiabilité et de la qualité de ces décisions. L’introduction d’un
recours retarde non seulement la prise de décision finale, mais augmente
le coût de la procédure et le sentiment d’incertitude pour le demandeur
d’asile et les membres de sa famille. Par ailleurs, tous les Etats
ne prévoient pas de recours de plein droit suspensif (tel qu’une
procédure d’appel ou de contrôle juridictionnel qui suspende réellement
une mesure d’exécution dont les conséquences sont potentiellement
irréversibles), comme exigé par la Convention européenne des droits
de l’homme.
7. Toutes les décisions en matière d’asile devraient s’inspirer
des principes et objectifs fondamentaux des droits de l’homme ainsi
que de la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés
et son Protocole de 1967, plutôt que de considérations politiques.
Tout système d’asile doit traiter de manière équitable, humaine
et efficace tant les personnes qui nécessitent une protection internationale
que celles dont la demande en la matière a été rejetée.
8. Il est important d’améliorer la qualité et la cohérence des
décisions en matière d’asile, et de s’attacher à réduire les écarts
majeurs entre les taux d’acceptation, que ce soit d’un pays à l’autre
ou au sein d’un pays spécifique. A cette fin, l’Assemblée parlementaire
invite instamment les Etats membres du Conseil de l’Europe:
8.1. à garantir l’accès à la procédure
d’asile:
8.1.1. en veillant à ce que
le renforcement des contrôles aux frontières, sur terre ou en mer, n’empêche
pas les demandeurs d’asile d’accéder au système d’asile. Lorsque
des contrôles aux frontières sont mis en place, il convient de s’assurer
que la protection offerte est la même que celle apportée sur le
territoire du pays et d’instaurer une surveillance aux frontières
impliquant les autorités nationales chargées du contrôle aux frontières,
des organisations non gouvernementales (ONG) et le Haut-Commissariat
des Nations Unies pour les réfugiés (HCR);
8.1.2. en communiquant aux demandeurs d’asile des informations
détaillées sur les procédures auxquelles ils sont confrontés dans
une langue compréhensible pour eux, et en autorisant le HCR, les
conseillers juridiques et les représentants des ONG à accéder aux demandeurs
d’asile dans les meilleurs délais, notamment à ceux qui sont placés
en rétention et dans les zones de transit des aéroports et des ports;
8.1.3. en supprimant les entraves pratiques à la procédure d’asile
telles que les délais excessivement courts ou appliqués automatiquement
pour déposer une demande, les restrictions linguistiques pour remplir
les formulaires et les problèmes d’accès à des interprètes compétents;
8.1.4. en prévoyant un entretien personnel aux fins d’examiner
chaque demande d’asile;
8.1.5. en fournissant gratuitement une assistance juridique et
une représentation, conformément aux règles nationales pertinentes
en matière d’aide juridique, non seulement au stade du recours,
mais aussi dès le début de la procédure d’asile;
8.2. à garantir la pleine conformité avec les droits fondamentaux
des critères d’éligibilité pour prétendre à l’asile et à une protection
complémentaire:
8.2.1. en veillant
à prendre pleinement en compte les formes de persécution liées au
sexe, ou affectant spécifiquement les enfants, et à faire preuve
de sensibilité à ces questions lors de l’appréciation des éléments
de preuve;
8.2.2. en clarifiant et en harmonisant l’approche de la persécution
par les acteurs gouvernementaux et non gouvernementaux, ainsi que
la prise en compte des possibilités de trouver un lieu sûr dans
le pays d’origine où les personnes peuvent se réfugier ou retourner (l’option
de la «fuite intérieure»);
8.2.3. en garantissant la mise en place de normes minimales communes
(et non pas l’application d’une politique de nivellement par le
bas) sur le recours à diverses formes de protection complémentaire,
de manière à refléter clairement les obligations juridiques en vertu
de la Convention européenne des droits de l’homme et d’autres obligations
et instruments des droits de l’homme applicables en cas d’impossibilité
de renvoyer les demandeurs d’asile;
8.2.4. en garantissant un statut similaire aux bénéficiaires
du statut de réfugié et d’une protection complémentaire;
8.3. à améliorer les garanties procédurales, y compris au niveau
du recours:
8.3.1. en concentrant
les ressources dès la phase initiale de la procédure d’asile («front-loading»),
en tant que moyen essentiel de parvenir à une meilleure cohérence
et qualité des décisions en matière d’asile, et de garantir qu’elles
soient prises rapidement, afin d’éviter les pertes de temps, d’énergie
et d’argent occasionnées par de longues procédures d’appel;
8.3.2. en supprimant l’ensemble des pratiques procédurales qui
violent la Convention européenne des droits de l’homme et/ou donnent
lieu à des appréciations erronées qui augmentent le risque de refoulement.
Il s’agit notamment des délais excessivement courts ou automatiques,
des recours non suspensifs et des normes peu élevées du contrôle
en appel;
8.3.3. en traitant de manière équitable et efficace les demandes
d’asile, sans compromettre la qualité ou la cohérence des décisions,
et en recourant à des procédures accélérées uniquement à titre exceptionnel
lorsque la demande est clairement abusive ou manifestement infondée.
Les procédures d’asile accélérées ne devraient pas être employées
à l’égard de personnes en situation de vulnérabilité (dont les mineurs/enfants
non accompagnés et/ou séparés, les survivants de tortures, les victimes
de violence sexuelle ou de traite et les personnes atteintes d’une
incapacité mentale et/ou physique) ou dans les affaires complexes;
8.3.4. en traitant les demandes d’asile de manière à garantir
la dignité de l’être humain, l’intérêt supérieur de l’enfant et
l’unité de la famille;
8.3.5. en s’abstenant d’employer des listes de pays d’origine
sûrs ou de pays tiers sûrs, afin de garantir un examen individuel
de chaque demande d’asile, en examinant avec rigueur la situation
particulière de chaque demandeur vis-à-vis du pays concerné. Le
demandeur d’asile doit être en mesure de réfuter une présomption
de sûreté de son pays. Par ailleurs, les Etats doivent avoir la
garantie que les pays faisant l’objet d’une demande d’asile assureront
une protection effective de chaque demandeur d’asile, en vue de
satisfaire pleinement aux obligations posées par la Convention européenne
des droits de l’homme;
8.3.6. en veillant à ce que toutes les décisions relatives à
une demande de protection internationale soient motivées en fait
et en droit;
8.4. à améliorer la qualité des informations et des éléments
factuels employés, et de leur appréciation:
8.4.1. en garantissant une évaluation objective du témoignage
et de la crédibilité du requérant, en lui accordant au besoin le
bénéfice du doute;
8.4.2. en préparant, au besoin, des informations et des notes
d’orientation relatives aux pays d’origine actualisées à l’attention
des décideurs à tous les niveaux, y compris des juges, et en publiant
la jurisprudence principale afin de contribuer à la cohérence et
à la qualité des décisions;
8.5. à assurer une formation et un soutien appropriés à toutes
les personnes impliquées dans les procédures d’asile, et à mettre
en place un mécanisme de suivi permanent desdites procédures:
8.5.1. en veillant à former au droit
international des réfugiés et aux normes relatives aux droits de
l’homme toutes les personnes impliquées dans les procédures d’asile,
y compris les juges. Une formation en matière de communication transculturelle
et de sensibilité pour les questions liées au sexe et à l’âge, ainsi
qu’à la conduite d’entretiens avec des enfants, devrait également être
dispensée. Il conviendrait aussi de fournir des conseils et une
assistance afin d’aider les personnes travaillant dans le domaine
de l’asile à traiter les problèmes souvent rencontrés (tels que
le syndrome du burn-out associant
fatigue, perte d’intérêt, sentiment d’être dépassé et culture de
l’incrédulité);
8.5.2. en s’assurant que chaque demande d’asile est examinée
séparément et de manière approfondie par plus d’un décideur compétent
disposant de ressources adéquates, notamment d’un délai suffisant;
8.5.3. en effectuant un audit régulier des procédures d’asile,
au besoin en consultation et coopération avec le HCR, en tenant
compte des bonnes pratiques établies, y compris des programmes tels
que «l’Initiative qualité» au Royaume-Uni;
8.5.4. en soutenant l’Association internationale des juges spécialistes
du droit des réfugiés dans ses activités de formation des juges,
d’organisation de conférences et de recueil des précédents jurisprudentiels
européens en vue de produire une base de données jurisprudentielle y
afférente facilement accessible.
9. L’Assemblée invite l’Union européenne:
9.1. à prendre en compte les recommandations formulées dans
cette résolution en mettant en œuvre son régime d’asile européen
commun et à veiller à ce que la cohérence ne soit pas renforcée
aux dépens des garanties procédurales et à ce que les normes minimales
ne deviennent pas des normes maximales;
9.2. à revoir de toute urgence le Règlement de Dublin II et
le mécanisme de «pays sûr», qui partent du principe erroné que les
normes de protection sont les mêmes dans toute l’Europe;
9.3. à accorder la priorité – lors de la mise en place du Bureau
européen d’appui en matière d’asile – à la question de l’amélioration
de la qualité et de la cohérence des décisions en matière d’asile
en Europe;
9.4. à promouvoir le partage des responsabilités entre les
Etats membres de l’Union européenne pour soulager le fardeau qui
pèse sur les Etats faisant face à l’arrivée massive de demandeurs
d’asile, et les aider à renforcer leurs capacités pour qu’ils soient
en mesure de relever les défis futurs en matière d’asile;
9.5. à accorder la priorité, dans ses révisions de la Directive
2004/83/CE de qualification et de la Directive 2005/85/CE relative
aux procédures d’asile, à la suppression des dispositions en conflit
avec la Convention européenne des droits de l’homme et d’autres
instruments internationaux.
10. L’Assemblée invite le Commissaire aux droits de l’homme du
Conseil de l’Europe à continuer d’évoquer la question de la qualité
et de la cohérence des décisions en matière d’asile dans ses travaux
sur les différents Etats membres, et à mettre à profit son réseau
d’institutions nationales des droits de l’homme afin d’élaborer un
rapport thématique sur ce sujet à l’intention de l’ensemble des
Etats membres.