Imprimer
Autres documents liés

Résolution 1695 (2009) Version finale

Améliorer la qualité et la cohérence des décisions en matière d’asile dans les Etats membres du Conseil de l’Europe

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Texte adopté par la Commission permanente, agissant au nom de l’Assemblée le 20 novembre 2009 (voir Doc. 11990, rapport de la commission des migrations, des réfugiés et de la population, rapporteur: M. Cilevičs). Voir également la Recommandation 1889 (2009).

1. Les taux d’acceptation des demandes d’asile en Europe varient radicalement selon les pays, mettant ainsi en lumière des insuffisances majeures au niveau de la qualité des décisions prises par les Etats membres du Conseil de l’Europe en matière d’asile. Comme preuve, en 2007, les taux d’acceptation ont considérablement varié, de 1 % à 39 %, entre les pays qui reçoivent un nombre élevé de demandeurs d’asile. La situation est encore plus frappante lorsqu’on se penche sur certains groupes spécifiques de demandeurs d’asile. A titre d’exemple, toujours en 2007, le taux d’acceptation des Irakiens qui cherchaient à trouver refuge en Europe se situait dans une fourchette allant de 0 % à 81 %.
2. Les très faibles taux de reconnaissance observés dans certains pays, ou pour certains groupes de demandeurs d’asile, peuvent être dus à des difficultés d’accès à la procédure d’asile, à l’insuffisance de garanties procédurales dans les procédures d’asile, à des interprétations restrictives et divergentes des critères d’éligibilité, à un manque d’informations objectives et fiables sur le pays d’origine, à un défaut d’appréciation des faits, notamment une culture de l’incrédulité dans les décisions d’asile, à des pressions politiques, à une formation insuffisante des autorités compétentes et de leurs agents, ou à plusieurs de ces facteurs à la fois.
3. Les décisions en matière d’asile sont parfois incohérentes au sein d’un même pays, mais aussi entre Etats membres du Conseil de l’Europe. Cette incohérence signifie que des demandes d’asile similaires sont traitées différemment. Une telle situation porte atteinte à la prééminence du droit et est foncièrement injuste. Il est vrai que les Etats membres reçoivent des demandeurs d’asile originaires de différents pays, dont le besoin de protection peut varier. Malgré cela, toutefois, les écarts entre les taux d’acceptation continuent souvent de croître.
4. Selon les pays, on constate également des écarts importants entre le nombre d’octrois du statut de réfugié et le nombre d’octrois d’une protection complémentaire, notamment la protection au titre de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5), la protection subsidiaire et d’autres formes de protection humanitaire.
5. Les différences sont parfois encore plus frappantes lorsqu’on se penche sur les taux d’acceptation de demandes concomitantes de certains pays d’origine, ou groupes ethniques, spécifiques, en fonction du pays où est déposée la demande d’asile. C’est le cas pour les demandeurs d’asile venant de Tchétchénie, d’Irak, d’Afghanistan et les Roms du Kosovo. Par exemple le taux d’acceptation des personnes venant de Russie (essentiellement des Tchétchènes), qui demandent protection, a oscillé entre 0 % et 80 % selon les pays ayant accueilli un nombre important de personnes appartenant à ce groupe.
6. Dans certains Etats membres du Conseil de l’Europe, jusqu’à 50 %, voire plus dans certains cas, des décisions de première instance relatives à l’asile sont annulées en appel, ce qui fait douter de la fiabilité et de la qualité de ces décisions. L’introduction d’un recours retarde non seulement la prise de décision finale, mais augmente le coût de la procédure et le sentiment d’incertitude pour le demandeur d’asile et les membres de sa famille. Par ailleurs, tous les Etats ne prévoient pas de recours de plein droit suspensif (tel qu’une procédure d’appel ou de contrôle juridictionnel qui suspende réellement une mesure d’exécution dont les conséquences sont potentiellement irréversibles), comme exigé par la Convention européenne des droits de l’homme.
7. Toutes les décisions en matière d’asile devraient s’inspirer des principes et objectifs fondamentaux des droits de l’homme ainsi que de la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés et son Protocole de 1967, plutôt que de considérations politiques. Tout système d’asile doit traiter de manière équitable, humaine et efficace tant les personnes qui nécessitent une protection internationale que celles dont la demande en la matière a été rejetée.
8. Il est important d’améliorer la qualité et la cohérence des décisions en matière d’asile, et de s’attacher à réduire les écarts majeurs entre les taux d’acceptation, que ce soit d’un pays à l’autre ou au sein d’un pays spécifique. A cette fin, l’Assemblée parlementaire invite instamment les Etats membres du Conseil de l’Europe:
8.1. à garantir l’accès à la procédure d’asile:
8.1.1. en veillant à ce que le renforcement des contrôles aux frontières, sur terre ou en mer, n’empêche pas les demandeurs d’asile d’accéder au système d’asile. Lorsque des contrôles aux frontières sont mis en place, il convient de s’assurer que la protection offerte est la même que celle apportée sur le territoire du pays et d’instaurer une surveillance aux frontières impliquant les autorités nationales chargées du contrôle aux frontières, des organisations non gouvernementales (ONG) et le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR);
8.1.2. en communiquant aux demandeurs d’asile des informations détaillées sur les procédures auxquelles ils sont confrontés dans une langue compréhensible pour eux, et en autorisant le HCR, les conseillers juridiques et les représentants des ONG à accéder aux demandeurs d’asile dans les meilleurs délais, notamment à ceux qui sont placés en rétention et dans les zones de transit des aéroports et des ports;
8.1.3. en supprimant les entraves pratiques à la procédure d’asile telles que les délais excessivement courts ou appliqués automatiquement pour déposer une demande, les restrictions linguistiques pour remplir les formulaires et les problèmes d’accès à des interprètes compétents;
8.1.4. en prévoyant un entretien personnel aux fins d’examiner chaque demande d’asile;
8.1.5. en fournissant gratuitement une assistance juridique et une représentation, conformément aux règles nationales pertinentes en matière d’aide juridique, non seulement au stade du recours, mais aussi dès le début de la procédure d’asile;
8.2. à garantir la pleine conformité avec les droits fondamentaux des critères d’éligibilité pour prétendre à l’asile et à une protection complémentaire:
8.2.1. en veillant à prendre pleinement en compte les formes de persécution liées au sexe, ou affectant spécifiquement les enfants, et à faire preuve de sensibilité à ces questions lors de l’appréciation des éléments de preuve;
8.2.2. en clarifiant et en harmonisant l’approche de la persécution par les acteurs gouvernementaux et non gouvernementaux, ainsi que la prise en compte des possibilités de trouver un lieu sûr dans le pays d’origine où les personnes peuvent se réfugier ou retourner (l’option de la «fuite intérieure»);
8.2.3. en garantissant la mise en place de normes minimales communes (et non pas l’application d’une politique de nivellement par le bas) sur le recours à diverses formes de protection complémentaire, de manière à refléter clairement les obligations juridiques en vertu de la Convention européenne des droits de l’homme et d’autres obligations et instruments des droits de l’homme applicables en cas d’impossibilité de renvoyer les demandeurs d’asile;
8.2.4. en garantissant un statut similaire aux bénéficiaires du statut de réfugié et d’une protection complémentaire;
8.3. à améliorer les garanties procédurales, y compris au niveau du recours:
8.3.1. en concentrant les ressources dès la phase initiale de la procédure d’asile («front-loading»), en tant que moyen essentiel de parvenir à une meilleure cohérence et qualité des décisions en matière d’asile, et de garantir qu’elles soient prises rapidement, afin d’éviter les pertes de temps, d’énergie et d’argent occasionnées par de longues procédures d’appel;
8.3.2. en supprimant l’ensemble des pratiques procédurales qui violent la Convention européenne des droits de l’homme et/ou donnent lieu à des appréciations erronées qui augmentent le risque de refoulement. Il s’agit notamment des délais excessivement courts ou automatiques, des recours non suspensifs et des normes peu élevées du contrôle en appel;
8.3.3. en traitant de manière équitable et efficace les demandes d’asile, sans compromettre la qualité ou la cohérence des décisions, et en recourant à des procédures accélérées uniquement à titre exceptionnel lorsque la demande est clairement abusive ou manifestement infondée. Les procédures d’asile accélérées ne devraient pas être employées à l’égard de personnes en situation de vulnérabilité (dont les mineurs/enfants non accompagnés et/ou séparés, les survivants de tortures, les victimes de violence sexuelle ou de traite et les personnes atteintes d’une incapacité mentale et/ou physique) ou dans les affaires complexes;
8.3.4. en traitant les demandes d’asile de manière à garantir la dignité de l’être humain, l’intérêt supérieur de l’enfant et l’unité de la famille;
8.3.5. en s’abstenant d’employer des listes de pays d’origine sûrs ou de pays tiers sûrs, afin de garantir un examen individuel de chaque demande d’asile, en examinant avec rigueur la situation particulière de chaque demandeur vis-à-vis du pays concerné. Le demandeur d’asile doit être en mesure de réfuter une présomption de sûreté de son pays. Par ailleurs, les Etats doivent avoir la garantie que les pays faisant l’objet d’une demande d’asile assureront une protection effective de chaque demandeur d’asile, en vue de satisfaire pleinement aux obligations posées par la Convention européenne des droits de l’homme;
8.3.6. en veillant à ce que toutes les décisions relatives à une demande de protection internationale soient motivées en fait et en droit;
8.4. à améliorer la qualité des informations et des éléments factuels employés, et de leur appréciation:
8.4.1. en garantissant une évaluation objective du témoignage et de la crédibilité du requérant, en lui accordant au besoin le bénéfice du doute;
8.4.2. en préparant, au besoin, des informations et des notes d’orientation relatives aux pays d’origine actualisées à l’attention des décideurs à tous les niveaux, y compris des juges, et en publiant la jurisprudence principale afin de contribuer à la cohérence et à la qualité des décisions;
8.5. à assurer une formation et un soutien appropriés à toutes les personnes impliquées dans les procédures d’asile, et à mettre en place un mécanisme de suivi permanent desdites procédures:
8.5.1. en veillant à former au droit international des réfugiés et aux normes relatives aux droits de l’homme toutes les personnes impliquées dans les procédures d’asile, y compris les juges. Une formation en matière de communication transculturelle et de sensibilité pour les questions liées au sexe et à l’âge, ainsi qu’à la conduite d’entretiens avec des enfants, devrait également être dispensée. Il conviendrait aussi de fournir des conseils et une assistance afin d’aider les personnes travaillant dans le domaine de l’asile à traiter les problèmes souvent rencontrés (tels que le syndrome du burn-out associant fatigue, perte d’intérêt, sentiment d’être dépassé et culture de l’incrédulité);
8.5.2. en s’assurant que chaque demande d’asile est examinée séparément et de manière approfondie par plus d’un décideur compétent disposant de ressources adéquates, notamment d’un délai suffisant;
8.5.3. en effectuant un audit régulier des procédures d’asile, au besoin en consultation et coopération avec le HCR, en tenant compte des bonnes pratiques établies, y compris des programmes tels que «l’Initiative qualité» au Royaume-Uni;
8.5.4. en soutenant l’Association internationale des juges spécialistes du droit des réfugiés dans ses activités de formation des juges, d’organisation de conférences et de recueil des précédents jurisprudentiels européens en vue de produire une base de données jurisprudentielle y afférente facilement accessible.
9. L’Assemblée invite l’Union européenne:
9.1. à prendre en compte les recommandations formulées dans cette résolution en mettant en œuvre son régime d’asile européen commun et à veiller à ce que la cohérence ne soit pas renforcée aux dépens des garanties procédurales et à ce que les normes minimales ne deviennent pas des normes maximales;
9.2. à revoir de toute urgence le Règlement de Dublin II et le mécanisme de «pays sûr», qui partent du principe erroné que les normes de protection sont les mêmes dans toute l’Europe;
9.3. à accorder la priorité – lors de la mise en place du Bureau européen d’appui en matière d’asile – à la question de l’amélioration de la qualité et de la cohérence des décisions en matière d’asile en Europe;
9.4. à promouvoir le partage des responsabilités entre les Etats membres de l’Union européenne pour soulager le fardeau qui pèse sur les Etats faisant face à l’arrivée massive de demandeurs d’asile, et les aider à renforcer leurs capacités pour qu’ils soient en mesure de relever les défis futurs en matière d’asile;
9.5. à accorder la priorité, dans ses révisions de la Directive 2004/83/CE de qualification et de la Directive 2005/85/CE relative aux procédures d’asile, à la suppression des dispositions en conflit avec la Convention européenne des droits de l’homme et d’autres instruments internationaux.
10. L’Assemblée invite le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe à continuer d’évoquer la question de la qualité et de la cohérence des décisions en matière d’asile dans ses travaux sur les différents Etats membres, et à mettre à profit son réseau d’institutions nationales des droits de l’homme afin d’élaborer un rapport thématique sur ce sujet à l’intention de l’ensemble des Etats membres.