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Résolution 1722 (2010) Version finale

La piraterie – Un crime qui défie les démocraties

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 28 avril 2010 (14e séance) (voir Doc. 12193, rapport de la commission des questions politiques, rapporteur: Mme Keleş). Texte adopté par l’Assemblée le 28 avril 2010 (15e séance).

1. L’Assemblée parlementaire s’inquiète de la recrudescence de la piraterie, devenue désormais endémique dans certaines zones maritimes, qui engendre des pertes économiques de plusieurs milliards de dollars chaque année, de grandes souffrances puisque des personnes sont kidnappées, traumatisées, blessées, voire tuées, et qui pourrait servir au financement de groupes extrémistes ou terroristes. Ce phénomène est directement lié à l’incapacité des Etats côtiers à exercer leur contrôle policier à l’intérieur ou aux abords de leurs eaux territoriales, en raison de l’absence de bonne gouvernance.
2. Depuis 2009, la mer au large des côtes somaliennes est devenue la zone la plus sensible de la planète, les activités de piraterie s’étendant des eaux territoriales somaliennes au golfe d’Aden, au Kenya, à Madagascar, aux Seychelles et à la Tanzanie. En outre, les pirates font usage d’armes et de technologies de plus en plus sophistiquées.
3. Jusqu’à présent, le cadre de lutte contre la piraterie mettait principalement l’accent sur la dissuasion militaire: 45 pays ont envoyé des navires de guerre au large des côtes somaliennes pour escorter les navires de commerce battant leur pavillon ou pour lesquels ils ont un intérêt particulier, en raison de la nationalité de l’équipage ou de la nature de leur chargement.
4. Les Etats ont commencé à coopérer et ont mis en place des systèmes de sécurité collectifs, dans le but de dissuader, de se défendre et d’enrayer les actes de piraterie commis contre des navires, quel que soit leur pavillon. Dans ce contexte, l’Assemblée salue les efforts entrepris par l’OTAN et l’Union européenne depuis 2008, qui, grâce à de nombreuses opérations militaires successives, ont permis de distribuer en toute sécurité des milliers de tonnes d’aide humanitaire à la population civile somalienne, de déjouer des dizaines d’attaques de pirates et de porter assistance aux victimes.
5. La dissuasion militaire a fait chuter le taux d’attaques réussies au large des côtes somaliennes, de 1 sur 3 en 2006 à 1 sur 6 en 2009. Dans un même temps, la capacité des navires de commerce à éviter ou échapper par eux-mêmes aux attaques de pirates a énormément augmenté, leur permettant ainsi d’être de moins en moins dépendants de sociétés de sécurité privées.
6. L’Assemblée est cependant convaincue que la dissuasion militaire ne peut pas fournir une solution à long terme au problème de la piraterie, dont les causes profondes se trouvent à terre. Une approche globale est nécessaire pour traiter les causes de la pauvreté, de l’instabilité et de l’absence de gouvernance en Somalie et dans d’autres pays, dans lesquels la situation conduit certaines personnes à des actes de piraterie.
7. La pratique de certains Etats membres du Conseil de l’Europe consistant à remettre en liberté les pirates présumés est source de préoccupation. Une approche globale de la piraterie suppose de garantir une répression efficace, en tant que partie intégrante de tout effort de dissuasion crédible et preuve d’une volonté politique ferme de faire respecter la prééminence du droit.
8. L’Assemblée reconnaît qu’un certain nombre d’obstacles entravent la poursuite effective des pirates présumés, le principal étant que la majorité des attaques a lieu dans les eaux territoriales d’un Etat. Dans un tel cas, au titre du droit international, l’Etat riverain porte à lui seul la responsabilité d’arrêter et de poursuivre les auteurs de piraterie. En effet, le principe de juridiction universelle ne s’applique pas, à l’exception de la Somalie en vertu de la Résolution 1851 (2008) du Conseil de sécurité des Nations Unies.
9. En outre, certains Etats membres du Conseil de l’Europe sont réticents à engager des poursuites, au motif que leur législation nationale est obsolète, floue ou inadaptée à la piraterie telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui. Par ailleurs, s’agissant des opérations internationales ou lorsque plusieurs pays sont impliqués, aucune règle claire ne précise l’Etat qui doit engager les poursuites et dans quel ordre de préséance.
10. L’Assemblée note que l’Union européenne a conclu des accords avec les Gouvernements du Kenya et des Seychelles, concernant le transfert et les poursuites à l’encontre de personnes soupçonnées d’avoir commis des actes de piraterie en haute mer et appréhendées par la force navale placée sous la direction de l’Union européenne (EU NAVFOR); les Pays-Bas, le Royaume-Uni et les Etats-Unis ont fait de même. L’Assemblée regrette que ces arrangements semblent inappropriés face à l’ampleur et à l’échelle du problème.
11. Tout en reconnaissant que le transfert de pirates présumés vers un pays tiers n’est pas en soi illégal, et que la proximité géographique avec le théâtre des attaques est un élément important, susceptible de faciliter les investigations ultérieures, la collecte de preuves et l’audition des témoins, l’Assemblée rappelle que les Etats membres du Conseil de l’Europe doivent garantir le respect de l’ensemble des engagements souscrits au titre de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5) et d’autres instruments pertinents relatifs aux droits de l’homme. Elle rappelle également que les Etats pourraient être tenus responsables de violation de la Convention, en cas notamment de transfert de personnes vers un pays où elles pourraient être victimes de torture ou de traitements inhumains ou dégradants, ou ne pas bénéficier d’un procès équitable.
12. L’Assemblée rappelle également que les Etats membres du Conseil de l’Europe ont pour obligation de respecter la Convention européenne des droits de l’homme dans l’exercice d’une juridiction extraterritoriale: ils doivent de ce fait se conformer aux dispositions pertinentes de la Convention lors de l’arrestation, de la détention à bord ou du transfert de pirates présumés, indépendamment du lieu où ils s’effectuent.
13. Bien que le manque de transparence prévale dans la plupart des affaires de piraterie, notamment dans celles où des personnes sont retenues en otage pendant de longues périodes, il y a tout lieu de penser que la majorité d’entre elles se soldent par le versement d’une rançon. Les Etats membres du Conseil de l’Europe devraient adopter des politiques et législations claires régissant cette question afin de ne pas encourager tout nouvel acte de piraterie et le recours au paiement de rançons pour financer les groupes extrémistes ou terroristes.
14. A la lumière de ces considérations, l’Assemblée, s’agissant de la dissuasion militaire:
14.1. encourage les Etats membres du Conseil de l’Europe à mettre en place une escorte navale des navires traversant des zones qui présentent un risque de piraterie;
14.2. demande à l’OTAN, à l’Union européenne et aux pays concernés de renouveler et d’intensifier leurs opérations de lutte contre la piraterie au large des côtes somaliennes;
14.3. rappelant sa Recommandation 1858 (2009) intitulée «Sociétés privées à vocation militaire ou sécuritaire et érosion du monopole étatique du recours à la force», encourage les Etats membres du Conseil de l’Europe à réglementer le recours, par les compagnies maritimes, à des sociétés de sécurité privées.
15. S’agissant des poursuites, l’Assemblée appelle les Etats membres du Conseil de l’Europe:
15.1. à moderniser et à développer un cadre juridique interne commun et plus pertinent afin d’ériger en infraction pénale l’acte de piraterie, quel que soit le lieu où il est commis, et d’assurer les poursuites dans les Etats membres du Conseil de l’Europe, ou à mettre en place la législation appropriée si elle n’existe pas;
15.2. à introduire des dispositions juridiques afin d’autoriser l’arrestation, le transfert et les poursuites à l’encontre de pirates présumés appréhendés dans les eaux territoriales somaliennes ou sur le territoire somalien, conformément à la Résolution 1851 du Conseil de sécurité des Nations Unies;
15.3. à établir des règles relatives au traitement, à bord de leurs navires militaires, de pirates présumés, garantissant le respect plein et entier de la Convention européenne des droits de l’homme et d’autres instruments internationaux pertinents relatifs aux droits de l’homme;
15.4. à renforcer la coopération internationale et à convenir de directives claires quant à la manière d’identifier l’Etat responsable des poursuites à l’encontre de pirates présumés;
15.5. à rechercher les moyens appropriés d’adapter le cadre juridique international en vigueur aux besoins actuels en matière de surveillance maritime et à étudier la possibilité de créer, à condition que tous les inconvénients existants soient supprimés dans ce domaine, un mécanisme spécial (international ou avec une participation internationale) permettant d’engager des poursuites contre les personnes soupçonnées de piraterie.
16. L’Assemblée appelle les Etats membres du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne:
16.1. à conclure des accords avec des pays tiers quant au transfert et à l’engagement de poursuites à l’encontre de pirates présumés, et à veiller à ce que ces accords soient pleinement conformes à la Convention européenne des droits de l’homme et aux autres instruments internationaux pertinents relatifs aux droits de l’homme;
16.2. à surveiller étroitement le traitement accordé aux pirates présumés après leur transfert vers un pays tiers, notamment en ce qui concerne les conditions de détention, l’accès à un procès équitable, l’absence de toute pratique de la torture et de traitement inhumain ou dégradant, ou encore de la peine capitale.
17. Enfin, s’agissant de l’élaboration d’un cadre global de lutte contre la piraterie, l’Assemblée appelle les Etats membres du Conseil de l’Europe:
17.1. à s’attaquer aux causes profondes de la piraterie, en soutenant des mesures destinées à réduire la pauvreté, à promouvoir la reprise et le développement économiques, et à renforcer l’aide aux pays, en particulier à la Somalie, dans lesquels la situation conduit certaines personnes à des actes de piraterie;
17.2. à soutenir les efforts du Gouvernement fédéral de transition de la Somalie et ceux de la communauté internationale, en particulier des Nations Unies et de l’Union européenne, afin de rétablir la paix et la stabilité en Somalie;
17.3. à renforcer l’aide apportée à la Somalie, directement ou par l’intermédiaire du Programme alimentaire mondial, du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et d’autres organisations des droits de l’homme ou humanitaires;
17.4. à mettre en place des politiques et une législation claires contre le paiement de rançons, et à garantir leur respect tant par les acteurs privés que par les autorités de l’Etat;
17.5. à améliorer la coopération internationale afin d’identifier les réseaux criminels basés en Somalie ou ailleurs qui orchestrent les attaques de pirates et à veiller à ce que les responsables soient traduits en justice;
17.6. à mener des enquêtes afin de vérifier si les versements de rançons servent à financer des groupes extrémistes ou terroristes et, dans l’affirmative, à prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre un terme à cette pratique et éviter les récidives.