Imprimer
Autres documents liés
Résolution 1722 (2010) Version finale
La piraterie – Un crime qui défie les démocraties
1. L’Assemblée parlementaire s’inquiète
de la recrudescence de la piraterie, devenue désormais endémique
dans certaines zones maritimes, qui engendre des pertes économiques
de plusieurs milliards de dollars chaque année, de grandes souffrances
puisque des personnes sont kidnappées, traumatisées, blessées, voire
tuées, et qui pourrait servir au financement de groupes extrémistes
ou terroristes. Ce phénomène est directement lié à l’incapacité
des Etats côtiers à exercer leur contrôle policier à l’intérieur
ou aux abords de leurs eaux territoriales, en raison de l’absence
de bonne gouvernance.
2. Depuis 2009, la mer au large des côtes somaliennes est devenue
la zone la plus sensible de la planète, les activités de piraterie
s’étendant des eaux territoriales somaliennes au golfe d’Aden, au
Kenya, à Madagascar, aux Seychelles et à la Tanzanie. En outre,
les pirates font usage d’armes et de technologies de plus en plus
sophistiquées.
3. Jusqu’à présent, le cadre de lutte contre la piraterie mettait
principalement l’accent sur la dissuasion militaire: 45 pays ont
envoyé des navires de guerre au large des côtes somaliennes pour
escorter les navires de commerce battant leur pavillon ou pour lesquels
ils ont un intérêt particulier, en raison de la nationalité de l’équipage
ou de la nature de leur chargement.
4. Les Etats ont commencé à coopérer et ont mis en place des
systèmes de sécurité collectifs, dans le but de dissuader, de se
défendre et d’enrayer les actes de piraterie commis contre des navires,
quel que soit leur pavillon. Dans ce contexte, l’Assemblée salue
les efforts entrepris par l’OTAN et l’Union européenne depuis 2008,
qui, grâce à de nombreuses opérations militaires successives, ont
permis de distribuer en toute sécurité des milliers de tonnes d’aide
humanitaire à la population civile somalienne, de déjouer des dizaines
d’attaques de pirates et de porter assistance aux victimes.
5. La dissuasion militaire a fait chuter le taux d’attaques réussies
au large des côtes somaliennes, de 1 sur 3 en 2006 à 1 sur 6 en
2009. Dans un même temps, la capacité des navires de commerce à
éviter ou échapper par eux-mêmes aux attaques de pirates a énormément
augmenté, leur permettant ainsi d’être de moins en moins dépendants
de sociétés de sécurité privées.
6. L’Assemblée est cependant convaincue que la dissuasion militaire
ne peut pas fournir une solution à long terme au problème de la
piraterie, dont les causes profondes se trouvent à terre. Une approche
globale est nécessaire pour traiter les causes de la pauvreté, de
l’instabilité et de l’absence de gouvernance en Somalie et dans
d’autres pays, dans lesquels la situation conduit certaines personnes
à des actes de piraterie.
7. La pratique de certains Etats membres du Conseil de l’Europe
consistant à remettre en liberté les pirates présumés est source
de préoccupation. Une approche globale de la piraterie suppose de
garantir une répression efficace, en tant que partie intégrante
de tout effort de dissuasion crédible et preuve d’une volonté politique
ferme de faire respecter la prééminence du droit.
8. L’Assemblée reconnaît qu’un certain nombre d’obstacles entravent
la poursuite effective des pirates présumés, le principal étant
que la majorité des attaques a lieu dans les eaux territoriales
d’un Etat. Dans un tel cas, au titre du droit international, l’Etat
riverain porte à lui seul la responsabilité d’arrêter et de poursuivre les
auteurs de piraterie. En effet, le principe de juridiction universelle
ne s’applique pas, à l’exception de la Somalie en vertu de la Résolution
1851 (2008) du Conseil de sécurité des Nations Unies.
9. En outre, certains Etats membres du Conseil de l’Europe sont
réticents à engager des poursuites, au motif que leur législation
nationale est obsolète, floue ou inadaptée à la piraterie telle
qu’elle est pratiquée aujourd’hui. Par ailleurs, s’agissant des
opérations internationales ou lorsque plusieurs pays sont impliqués, aucune
règle claire ne précise l’Etat qui doit engager les poursuites et
dans quel ordre de préséance.
10. L’Assemblée note que l’Union européenne a conclu des accords
avec les Gouvernements du Kenya et des Seychelles, concernant le
transfert et les poursuites à l’encontre de personnes soupçonnées
d’avoir commis des actes de piraterie en haute mer et appréhendées
par la force navale placée sous la direction de l’Union européenne
(EU NAVFOR); les Pays-Bas, le Royaume-Uni et les Etats-Unis ont
fait de même. L’Assemblée regrette que ces arrangements semblent
inappropriés face à l’ampleur et à l’échelle du problème.
11. Tout en reconnaissant que le transfert de pirates présumés
vers un pays tiers n’est pas en soi illégal, et que la proximité
géographique avec le théâtre des attaques est un élément important,
susceptible de faciliter les investigations ultérieures, la collecte
de preuves et l’audition des témoins, l’Assemblée rappelle que les Etats
membres du Conseil de l’Europe doivent garantir le respect de l’ensemble
des engagements souscrits au titre de la Convention européenne des
droits de l’homme (STE no 5) et d’autres
instruments pertinents relatifs aux droits de l’homme. Elle rappelle
également que les Etats pourraient être tenus responsables de violation
de la Convention, en cas notamment de transfert de personnes vers
un pays où elles pourraient être victimes de torture ou de traitements
inhumains ou dégradants, ou ne pas bénéficier d’un procès équitable.
12. L’Assemblée rappelle également que les Etats membres du Conseil
de l’Europe ont pour obligation de respecter la Convention européenne
des droits de l’homme dans l’exercice d’une juridiction extraterritoriale:
ils doivent de ce fait se conformer aux dispositions pertinentes
de la Convention lors de l’arrestation, de la détention à bord ou
du transfert de pirates présumés, indépendamment du lieu où ils
s’effectuent.
13. Bien que le manque de transparence prévale dans la plupart
des affaires de piraterie, notamment dans celles où des personnes
sont retenues en otage pendant de longues périodes, il y a tout
lieu de penser que la majorité d’entre elles se soldent par le versement
d’une rançon. Les Etats membres du Conseil de l’Europe devraient
adopter des politiques et législations claires régissant cette question
afin de ne pas encourager tout nouvel acte de piraterie et le recours
au paiement de rançons pour financer les groupes extrémistes ou terroristes.
14. A la lumière de ces considérations, l’Assemblée, s’agissant
de la dissuasion militaire:
14.1. encourage
les Etats membres du Conseil de l’Europe à mettre en place une escorte
navale des navires traversant des zones qui présentent un risque
de piraterie;
14.2. demande à l’OTAN, à l’Union européenne et aux pays concernés
de renouveler et d’intensifier leurs opérations de lutte contre
la piraterie au large des côtes somaliennes;
14.3. rappelant sa Recommandation
1858 (2009) intitulée «Sociétés privées à vocation militaire ou sécuritaire
et érosion du monopole étatique du recours à la force», encourage
les Etats membres du Conseil de l’Europe à réglementer le recours,
par les compagnies maritimes, à des sociétés de sécurité privées.
15. S’agissant des poursuites, l’Assemblée appelle les Etats membres
du Conseil de l’Europe:
15.1. à moderniser
et à développer un cadre juridique interne commun et plus pertinent
afin d’ériger en infraction pénale l’acte de piraterie, quel que
soit le lieu où il est commis, et d’assurer les poursuites dans
les Etats membres du Conseil de l’Europe, ou à mettre en place la
législation appropriée si elle n’existe pas;
15.2. à introduire des dispositions juridiques afin d’autoriser
l’arrestation, le transfert et les poursuites à l’encontre de pirates
présumés appréhendés dans les eaux territoriales somaliennes ou
sur le territoire somalien, conformément à la Résolution 1851 du
Conseil de sécurité des Nations Unies;
15.3. à établir des règles relatives au traitement, à bord de
leurs navires militaires, de pirates présumés, garantissant le respect
plein et entier de la Convention européenne des droits de l’homme
et d’autres instruments internationaux pertinents relatifs aux droits
de l’homme;
15.4. à renforcer la coopération internationale et à convenir
de directives claires quant à la manière d’identifier l’Etat responsable
des poursuites à l’encontre de pirates présumés;
15.5. à rechercher les moyens appropriés d’adapter le cadre
juridique international en vigueur aux besoins actuels en matière
de surveillance maritime et à étudier la possibilité de créer, à
condition que tous les inconvénients existants soient supprimés
dans ce domaine, un mécanisme spécial (international ou avec une
participation internationale) permettant d’engager des poursuites
contre les personnes soupçonnées de piraterie.
16. L’Assemblée appelle les Etats membres du Conseil de l’Europe
et de l’Union européenne:
16.1. à
conclure des accords avec des pays tiers quant au transfert et à
l’engagement de poursuites à l’encontre de pirates présumés, et
à veiller à ce que ces accords soient pleinement conformes à la Convention
européenne des droits de l’homme et aux autres instruments internationaux
pertinents relatifs aux droits de l’homme;
16.2. à surveiller étroitement le traitement accordé aux pirates
présumés après leur transfert vers un pays tiers, notamment en ce
qui concerne les conditions de détention, l’accès à un procès équitable, l’absence
de toute pratique de la torture et de traitement inhumain ou dégradant,
ou encore de la peine capitale.
17. Enfin, s’agissant de l’élaboration d’un cadre global de lutte
contre la piraterie, l’Assemblée appelle les Etats membres du Conseil
de l’Europe:
17.1. à s’attaquer
aux causes profondes de la piraterie, en soutenant des mesures destinées
à réduire la pauvreté, à promouvoir la reprise et le développement
économiques, et à renforcer l’aide aux pays, en particulier à la
Somalie, dans lesquels la situation conduit certaines personnes
à des actes de piraterie;
17.2. à soutenir les efforts du Gouvernement fédéral de transition
de la Somalie et ceux de la communauté internationale, en particulier
des Nations Unies et de l’Union européenne, afin de rétablir la
paix et la stabilité en Somalie;
17.3. à renforcer l’aide apportée à la Somalie, directement
ou par l’intermédiaire du Programme alimentaire mondial, du Haut-Commissariat
des Nations Unies pour les réfugiés et d’autres organisations des
droits de l’homme ou humanitaires;
17.4. à mettre en place des politiques et une législation claires
contre le paiement de rançons, et à garantir leur respect tant par
les acteurs privés que par les autorités de l’Etat;
17.5. à améliorer la coopération internationale afin d’identifier
les réseaux criminels basés en Somalie ou ailleurs qui orchestrent
les attaques de pirates et à veiller à ce que les responsables soient
traduits en justice;
17.6. à mener des enquêtes afin de vérifier si les versements
de rançons servent à financer des groupes extrémistes ou terroristes
et, dans l’affirmative, à prendre toutes les mesures nécessaires
pour mettre un terme à cette pratique et éviter les récidives.